1. Lorsque le fédéralisme européen libèrera les territoires …
En préambule, il me semble nécessaire de rappeler un principe fondamental dans la construction de tout
système politique démocratique : la quantité de décentralisation dépend de la quantité de liberté que revendiquent les
citoyens. Plus de liberté signifie moins d’ingérence dans le domaine personnel. Et par conséquent le citoyen sera enclin à
conférer les pouvoirs de gouvernement à une autorité proche de lui, la plus locale possible.
Il n’en faut pas plus pour mettre en évidence que les citoyens ne comprennent pas les mécanismes européens, sources
de contraintes diverses, puisqu’ils considèrent que cette gouvernance est bien trop éloignée pour appréhender leurs
particularismes et leurs aspirations. Phénomène si bien décrit par PORTALIS (rédacteur du code civil napoléonien) selon
qui « les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois … »
L’inadaptation qui commence à être ressentie et exprimée, quelles que soient les tendances politiques ou
philosophiques, est bien que les institutions européennes ont été construites autour des Etats-Nations et non pour les
citoyens. Faut-il alors s’étonner que ces derniers soient éloignés d’un idéal fondamental de l’Union Européenne : une
identité européenne pour la gestion des biens communs et la promotion des valeurs communes ?
Mes propos sont quelques unes des réflexions qui visent à démontrer que la dimension fédérale de l’Union Européenne
est justement l’organisation politique qui permettra au citoyen de « se sentir bien dans son Europe ».
La construction Européenne s’est faite sur la base du consensualisme, du contrat : Traité CECA, Traité de Rome,
et tous ceux qui ont suivi. Il s’agit d’une construction coopérative, égalitaire, où l’unanimité est la règle entre les Etats
membres. Il ne pouvait en être autrement dans les circonstances historiques de la reconstruction de l’Europe. Les
circonstances de la constitution des Etats Unis d’Amérique, pour autant que l’on accepte qu’il s’agisse d’un modèle de
fédéralisme, sont très différentes, mais néanmoins les mêmes valeurs humanistes et républicaines ont été les lumières
de chacun des « pères fondateurs » respectifs de ces systèmes d’organisation politique.
Dans les faits, l’évolution de l’UE s’est réalisée sur les principes de la négociation contractuelle :
- soit sur la loi du plus fort
- soit sur le consensus minimaliste
- soit sur les considérations techniques implacables des « eurocrates » (j’en parlerai ci-après)
Cette règle de fonctionnement conduit à des frustrations des égos nationaux, défendus concurrement par les députés
européens et/ou par les représentants du pouvoir exécutif de chaque Etat membre.
Face à un pouvoir politique européen tellement mou qu’il
en parait inexistant, faute de consensus fort sur la
nécessaire évolution des institutions, comment inciter les
citoyens à exercer leur pouvoir originaire lors des
prochaines élections ?
Car l’enjeu du renouvellement de nos représentants à
l’assemblée européenne sera bien de donner le cap vers la
parole interdite, le mot tabou : le mot « F » (1). Et si on
commençait par donner quelques explications sur un
FEDERALISME EUROPEEN MODERE ? Voici quelques
propos d’un citoyen « Euro-pragmatique ».
Philippe ABARNOU : Chargé d’enseignement à la faculté de
droit de NANTES – Expert près la Cour d’Appel de RENNES –
DEA droit international de la Mer - Diplômé notaire -
Première raison du fédéralisme : passer de relations horizontales à une
dimension verticale
2. Le fédéralisme, axe vertical de l’évolution de chacun des Etat-Nation, permet au contraire à chacun d’échapper à une
confrontation et de se positionner sur cet axe.
L’adhésion européenne n’est plus un acte contractuel, mais une volonté de souscrire à des compétences, à des valeurs, à
des objectifs sociaux et économiques, et aussi une volonté de se soumettre à des règles communes budgétaires et
fiscales.
Sommes-nous loin des critères d’adhésion actuels ? La règle européenne n’est-elle pas aujourd’hui adaptable pour
permettre à certains Etats d’atteindre les objectifs en leur donnant, par exemple, plus de temps ?
La différence réside dans l’aptitude de l’Etat-Nation à transposer les règles Européennes :
- soit immédiatement : système contractuel
- soit par engagement progressif, en respectant ses propres territoires : système fédéral
Le pragmatisme des institutions actuelles conduit à différencier :
- La zone EURO (17 Etat-Nation)
- L’Union Européenne (28 Etat-Nation)
Cette distinction consacre à l’évidence un processus de fonctionnement fédéraliste de l’UE, tout en conservant un
fonctionnement coopératif / contractuel de la zone EURO !!! Et c’est bien pour cela que « le mot F » est tabou.
Deuxième raison du fédéralisme : la répartition des compétences
Le fédéralisme consiste à attribuer une liste exhaustive des pouvoirs au gouvernement fédéral dans la
constitution et laisse les gouvernements nationaux / locaux bénéficier de tous les pouvoirs résiduaires. Dans une vision
simple, on peut citer à titre de répartition :
Compétences exercées par l'État fédéral
la diplomatie
la défense
la politique monétaire
l'économie
l’énergie
les ressources rares
l’environnement en tant que « bien commun »
Compétences exercées par les entités fédérées
l'état des personnes (mariage, divorce, décès et naissance, nationalité)
l'éducation
la sécurité publique
la politique fiscale locale
la politique sociale
Voilà de quoi tordre le cou au sulfureux « principe de subsidiarité » qui permet aux institutions européennes actuelles de
légiférer dans les domaines où l’action communautaire serait plus efficace que l’action de chaque Etat.
3. Cette répartition impose bien entendu la mise en place d’une « Cour Fédérale » ayant les pouvoirs de faire respecter et
d’interpréter les domaines définis.
Cette répartition répond immédiatement au besoin des citoyens de « vivre local dans un environnement global »
A titre d’exemple quotidien, il sera possible d’en finir avec le « calibrage obligatoire » des fruits et légumes, source de
gaspillages pour les producteurs et de déséconomies pour les consommateurs. Néanmoins les règles normatives
subsisteront dès lors que les producteurs s’adresseront au marché « hors territoire ».
C’est ici que je souhaite évoquer le rôle critiqué de la Commission européenne et de ses composants, souvent qualifiés
« d’eurocrates ».
En fait, la question est de savoir si la Commission a pris le pouvoir sur les institutions européennes ?
Je pense qu’il n’y a pas plus « européens » que les commissaires, recrutés à un niveau de compétence élevé, maitrisant
les langues de l’UE, et surtout faisant preuve d’un engagement envers les valeurs de l’Europe. Il s’agit d’un corps
administratif dont aucun Etat-Nation ne dispose. La commission européenne est certainement l’outil dont une Europe
fédérale ne saurait se passer, car cette commission peut réunir les compétences qui permettront de gérer et
d’administrer les décisions fédérales. Je fait remarquer ici le travail de son président qui est bien le seul à avoir
ouvertement mis les institutions européennes sur les rails du Fédéralisme, et à avoir initié les règles de solidarité
budgétaire (via la BCE).
Par contre, la faiblesse de l’Europe est certainement de ne pas avoir de représentant exécutif fort et légitime.
Seul un Conseil de l’Europe doté d’un président élu au suffrage universel pourra diriger l’UE d’une voix forte. Un
suffrage universel direct serait sûrement difficile à organiser, par contre un suffrage universel indirect dont les grands
électeurs seraient (pour la France) :
- les conseillers régionaux
- les députés
- les sénateurs
Ce mode de scrutin permettrait de respecter la représentativité des peuples et des territoires.
Je considère quatre niveaux de compétences :
Troisième raison du fédéralisme : La libération des territoires
Commune/intercommu
nalité / métropoles
Régions Etat-Nation Union Européenne
Fédérale
4. De par la répartition des compétences UE Fédérale / Etats-Nations, une grande autonomie peut être laissée aux régions
et territoires (ou même « terroirs » ?) en matière de reconnaissance et de compétitivité. Les AOC (appellation d’origine
contrôlée en matière de productions agricole / alimentaire) peuvent servir de modèle à des AOI (appellation d’origine
industrielle) lorsque qu’un territoire a développé une compétence reconnue. Ce peut être le cas de bassins industriels en
matière d’aéronautique, de construction navale, de biochimie, … Les outils déjà mis en place en matière de pôles de
développement Universités / recherche / industrie trouveraient ici une nouvelle justification, entrainés par une place
renforcée des Régions.
En fait, c’est mécaniquement la « décrispation » de l’Etat-Nation, allégé d’une partie de ses fonctions régaliennes, qui
libèrera toutes les initiatives des territoires. Les propositions contenues dans le document d’orientation politique du 1
er
Conseil National de l’UDI sont applicables ici :
- la région oriente la politique de la formation et de l’emploi et participe à la gestion des fonds
- la région module une fiscalité locale incitative
- la région est le lien direct avec les instances Fédérales en matière d’échanges, d’énergie, de ressources,
d’environnement.
Les territoires, composantes de la région, bénéficieront des outils de compétitivité apportés par cette dernière, alors que
l’UE Fédérale assurera le respect des règles de concurrence et incitera au progrès social.
Le mouvement de désengagement de l’Etat-Nation au profit des collectivités territoriales serait-il un signe ? Je pense
que oui, mais ce signal n’est pas assumé. L’Etat-Nation cherche sa place, comme le citoyen cherche la sienne. C’est la
volonté qui manque !
L’Etat-Nation a un réflexe de souveraineté, comme la grenouille décérébrée a encore un réflexe médullaire. Ce n’est
pas un problème d’exercice du pouvoir, c’est un problème de positionnement du pouvoir. L’Etat-Nation doit réfléchir à
une position intermédiaire entre les territoires et l’UE Fédérale.
A défaut, les Etats-Nations continueront à tirer sur la couverture financée (bon gré ou mal gré) par le citoyen qui ne
comprend pas le sous-emploi des magnifiques institutions européennes …
A supposer que la couverture disputée finisse par se rompre, et nous le voyons déjà alors qu’elle est à peine
déchirée, les nationalismes auront à cœur de ruiner l’œuvre européenne et ses valeurs de paix, d’humanisme, de
république et de démocratie.
Toutefois, la contestation des institutions européennes trouve une écoute faute de pédagogie : l’Europe, c’est
compliqué ! Et pourtant, le site www.europa.eu est d’une infinie richesse d’outils disponibles. Mais combien d’heures
« d’institutions européennes » dans le cursus d’un bachelier ? C’est vrai que la vie et les mœurs des rois de France,
c’est plus national, traditionnel et historique !
Ce qui confirme que la vie de l’UE, vue par les Etats-Nations, ne concerne pas les citoyens, sauf pour les contraintes et
l’impôt. Vision qui confine à la séparation du citoyen et de « son Europe » dont il fait pourtant totalement partie. Mais le
sait-il ?
Quatrième raison du fédéralisme : le rempart contre les nationalismes et les extrêmes
5. Je formule ici le regret que la carte électorale (anciennement « carte d’électeur ») délivrée par le Ministère de l’Intérieur
ne comporte pas le sigle de l’UE, alors que cette même carte permettra de voter pour l’élection de nos députés
européens ! Cherchez l’erreur … qui conduit à une forte abstention.
Et si mes propos devaient contenir une seule proposition pratique, ce serait de commencer par mettre cette carte aux
couleurs de l’Europe !
Citoyen européen ? Et les autres ?
Il faut démasquer la confusion provoquée par les nationalismes entre droit des nationaux, immigration et intégration.
Les traités européens ont ouvert (sous contrôle néanmoins) un vaste espace d’acceptation et de circulation des
populations. La faiblesse du dispositif est sans doute de n’avoir pas suffisamment expliqué aux Etats-Nations, et par
suite, aux territoires, les processus d’intégration (et surtout de n’avoir pas prévu de budget suffisant pour cette
rubrique).
Je n’aurai pas ici la prétention d’entreprendre une réflexion sur ce thème : mais à nouveau, une plus grande autonomie
des régions permettra sans doute des réponses locales adaptées en matière de logement, comme en matière de
formation et d’emploi. Les sujets ne sont-ils pas intimement liés ?
Conséquence logique d’une absence de pouvoir exécutif fort, l’UE na pas de voix internationale lors des
« printemps » et bien pire face aux « hivers ».
Comment constituer et conforter une identité européenne, porteuse de valeurs essentielles, quand les
institutions de l’UE ont du mal à balbutier un rappel à l’ordre et au respect des droits de l’Homme d’un despote sud-
méditerranéen ou asiatique ? Ou face à un risque d’appropriation d’arme nucléaire ? Ou face à des menaces terroristes
larvées ?
Il y a une constante dans l’observation des peuples et de leur relation avec l’Etat ou l’Autorité qui en tient lieu : « le
besoin de sécurité est premier, le désir de démocratie est second »
La construction européenne ne pourra répondre aux aspirations primordiales qu’en garantissant une fédération des
moyens sécuritaires face aux risques.
Ensuite, comment donner aux citoyens la confiance et l’espoir dans une croissance économique mondiale
lorsque des négociations commerciales historiques s’engagent en ordre dispersé ? Là aussi, il y a une divergence affichée
des leaders des pays de l’UE. Quel dommage qu’il manque UNE voix : car la négociation commence par la révélation du
talon d’Achille.
Si de nouveaux Etats-Nations souhaitent rejoindre le périmètre de la construction européenne, c’est bien pour bénéficier
de l’aura de ses institutions, pour que leur contribution soit payée en retour. La déception des nouveaux euro-citoyens
sera-t-elle au rendez-vous ?
L’image sera différente avec un pouvoir central fédéral, ce qui, en matière internationale, n’empêche pas l’application
raisonnée d’une clause de retrait, cette dernière ne pouvant pas être une clause de véto. Et là encore, le réflexe
souverain risque de compromettre la solidité d’une initiative fédérale.
Je suis bien conscient que beaucoup de chemin reste à parcourir … alors que les institutions existantes et leur mode de
fonctionnement sont parfaitement adaptables à un mode « fédéraliste ».
Cinquième raison du fédéralisme : une diplomatie commune
6. Réflexe souverain, manque d’aura électoral à prôner le fédéralisme, peur ou incompétence, voilà
autant de freins pour instaurer un fédéralisme européen, pourtant si positif et libérateur des énergies.
Le « Never sport » de Sir Winston CHURCHILL justifiait sa longévité.
Le « Never federalism » ne doit pas justifier la fin du Rêve Européen.
Ce choix appartient aux euro-citoyens, l’euro-pragmatisme doit devenir l’enjeu pédagogique et civique des
prochaines consultations électorales. Et en raison du rapprochement des deux consultations pour 2014, il
serait pertinent que la pédagogie européenne soit présente dans la campagne des élections municipales.
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(1) Le mot « F » comme Fédéralisme n’est jamais prononcé officiellement.