1. 1
Eric
Zemmour
:
le
slalom
de
la
peur
Eric
Zemmour
et
son
intelligence
auraient
pu
contribuer
à
l'élaboration
de
pistes
afin
de
sortir
de
notre
crise
sociétale.
A
défaut,
il
exécute
un
curieux
slalom
dont
la
peur
est
la
boussole.
La
crise
est
durable,
autant
que
la
crise
sociale.
Avec
9
millions
de
personnes
en
précarité
voire
en
pauvreté
avérée,
le
doute
sociétal
se
répand
à
la
vitesse
d'un
cheval
au
galop.
Parlant
de
cheval,
Eric
Zemmour
préfère
le
temps
des
fiacres
et
affirme
ne
pas
aimer
notre
siècle,
au
profit
du
XVIIIème.
Le
sociologue
Alain
Touraine
a
démontré
qu'il
faut
un
minimum
d'empathie
avec
la
situation
observée
pour
être
en
capacité
d'en
rendre
compte
analytiquement...
"
Le
suicide
de
la
France
"
mérite
d'être
lu.
Que
l'on
soit
en
symbiose
ou
en
désaccord,
répétons-‐le
ce
texte
mérite
lecture.
D'évidence,
on
y
retrouve
un
condensé
de
peurs
:
peur
de
l'islamisation
de
la
France
(
mot
d'invasion
utilisé
dès
l'emplacement
253,
livre
numérique
Kindle
),
de
son
déclin,
du
délabrement
de
son
système
éducatif,
du
projet
européen,
etc.
L'auteur
nous
envoie
des
messages
où
le
brassage
des
sources
nous
fait
croire
à
son
discours.
C'est
sa
force.
Oui,
c'est
un
homme
de
persuasion.
Mais
croire
un
instant
–
le
temps
d'un
déclic
de
smartphone
-‐,
ce
n'est
pas
équivalent
à
la
situation
de
devenir
un
lecteur
convaincu.
Pour
une
simple
raison
:
les
faits
sont
agglutinés
tels
des
abeilles
voulant
rentrer
dans
une
ruche
et
le
taux
important
d'imprécisions
–
maîtrisées
–
nuit
aux
diagnostics.
Exemple
ponctuel.
Chapitre
nommé
1970,
mort
du
Général
de
Gaulle
:
"
Il
pleut
sur
le
char
qui
porte
le
cercueil
ceint
d'un
drapeau
tricolore.
"
Il
faut
savoir
être
précis
et
respectueux
lorsqu'on
traite
de
sujets
qui
intéressent
nos
Armées.
Loin
d'être
un
char,
le
Général
reposait
sur
un
Panhard
EBR
(
engin
blindé
de
reconnaissance
)
dépourvu
de
sa
tourelle.
Plus
consistant
:
"
Nixon
voulait
engager
à
son
service
l'homme
qui
avait
écrit
le
message
du
président
Pompidou
:
"
Le
Général
est
mort,
la
France
est
veuve.
Comme
cela
est
beau
et
comme
c'est
très
français
"
s'extasiait-‐il.
(209).
On
a
le
droit
d'être
un
lecteur
pressé
mais
on
peut
aussi
décrypter
à
mailles
fines.
Ecrire
que
l'homme
de
lettres
qu'était
l'ancien
Président
n'aurait
pas
su
rédiger
son
intervention
télévisée
(
source
INA,
durée
1
mn
26
)
et
que
"
quelqu'un
avait
écrit
le
message
"
est
inconvenant.
Que
le
2. 2
lecteur
se
rapporte
à
Alain
Frèrejean
(
"
C'était
Georges
Pompidou
"
,
Fayard,
2007
).
Monsieur
Zemmour
nous
confiera-‐t-‐il
le
nom
du
rédacteur
–
allégué
–
du
message
pompidolien
?
Le
regard
sur
la
condition
féminine
confine
à
l'absurde
puisqu'elle
n'est
réalisée
qu'à
charge
et
que
l'auteur
ne
sait
qu'être
un
Torquemada
moderne.
Depuis
la
loi
Neuwirth
jusqu'à
la
loi
de
juin
1970
définissant
l'autorité
parentale.
"
On
oubliait
que
la
famille
n'avait
jamais
été
conçue
dans
la
nuit
des
temps
comme
le
lieu
privilégié
de
l'amour
et
du
bonheur
privés,
mais
comme
l'institution
matricielle
qui
permettrait
de
fonder
un
peuple,
une
société,
une
nation.
"
(
308).
Certes...
Quel
dommage
de
ne
pas
relier
Olympe
de
Gouges,
Marie
Curie,
Simone
Veil,
Claudie
Haigneré
ou
Anne
Lauvergeon
pour
se
cantonner
dans
une
description
noire
Soulages
du
déclin
du
modèle
du
pater
familias,
de
la
primauté
de
l'homme
sur
"
bobonne".
Quelle
insulte
à
nos
avancées
sociétales
!
Ni
feu
Raymond
Barre,
ni
Jean-‐Hervé
Lorenzi,
ni
les
"économistes
atterrés"
ne
poseraient
longtemps
leurs
yeux
sur
les
lignes
du
soi-‐disant
suicide
français.
Il
faut
la
rigueur
analytique
d'un
Nicolas
Baverez
pour
pouvoir
se
hisser
au
rang
de
déclinologue.
Eric
Zemmour
utilise
de
manière
pernicieuse
une
méthode
lorsqu'il
traite
d'économie
:
il
a
recours
–
sans
frein
ni
modération
–
à
l'enthymème
qu'Aristote
définissait
ainsi
:
"
L'enthymème
est
composé
de
termes
peu
nombreux
et
souvent
moins
nombreux
que
ceux
que
constituent
le
syllogisme.
En
effet,
si
quelqu'un
de
ces
termes
est
connu,
il
ne
faut
pas
l'énoncer;
l'auditeur
lui-‐même
le
supplée."
Chaque
chapitre
est
une
porte
de
son
slalom
et
hélas
un
corridor
vers
le
déni
existentiel
de
l'autre
avec
un
A
majuscule.
Hélas,
car
tant
de
brio
intellectuel
mériterait
d'être
mis
au
service
de
la
notion
de
fraternité.
L'heure
est
à
la
créativité
et
à
l'innovation
(
au
ski
hors-‐piste,
en
somme
)
et
non
à
un
chapelet
d'idées
souvent
déjà
lues.
L'anti-‐américanisme
de
l'auteur
pousse
à
garder
en
mémoire
Gérard
Vincent
(
"
Les
jeux
français
",
1978
:
chapitre
13
"
l'américanosphère
".)
"
La
France
n'échappera
à
l'assujettissement
qui
la
menace
que
si
elle
ouvre
les
yeux
sur
les
grands
défis
de
l'époque
et
s'emploie
à
y
répondre.
"
(
André
Fontaine,
"
La
France
au
bois
dormant
"
1978
).
Il
est
troublant
de
relire
des
extraits
de
ces
différents
livres.
Certains
diront
érudition,
d'autres
diront
–
dans
un
style
british
–
que
tout
skieur
démarre
son
slalom
après
le
passage
de
l'ouvreur.
3. 3
Lire
Zemmour
suppose
de
ne
pas
omettre
le
mode
d'emploi,
"
la
théorie
du
texte
comme
une
hyphologie,
de
hyphos
:
toile
d'araignée
"
(
Roland
Barthes
).
Ainsi,
l'auteur
ose
écrire
"
En
France,
personne
ne
s'intéresse
au
droit
"
(
410)
ce
qui
remplira
d'allégresse
vinaigrée
les
lecteurs
du
Cercle
Les
Echos
qui
sont
souvent
des
praticiens
accomplis
des
matières
juridique
et
judiciaire.
S'en
suit
une
critique
à
boulets
vifs
du
Conseil
constitutionnel
dont
la
teneur
est
fort
voisine
de
"
L'opinion
dissidente
"
de
René
de
Lacharrière
(revue
Pouvoirs,
1980,
n°
13
).
Lire
Zemmour,
c'est
donc
retrouver
des
idées
déjà
énoncées
?
Son
analyse
du
monde
politique
est
souvent
très
fondée
:
sur
ce
plan,
Zemmour
est
le
Jean-‐Claude
Killy
du
décryptage.
Killy,
c'était
les
J.O
de
1968
:
une
date
qui
génère
un
trop-‐plein
phobique
pour
l'auteur.
Evidemment
quand
une
société
se
met
en
marche,
ses
sujets
deviennent
citoyens
comme
l'a
souvent
dit
le
visionnaire
Antoine
Riboud.
Quand
André
Kaspi
s'étonne
"
que
l'on
multiplie
les
journées
de
repentance
pour
satisfaire
un
groupe
de
victimes
"
(sic),
Eric
Zemmour
énonce
alors
:
"
Après
ces
fortes
paroles,
on
ne
fit
rien.
Les
journées
commémoratives
sont
désormais
un
droit
acquis
au
nom
de
"
la
réconciliation
des
mémoires
".
Une
belle
antiphrase
"
(
5741).
Et
alors
!
L'unité
d'un
pays
qui
a
parfois
vu
s'opposer
des
franges
de
sa
population
mérite
ces
heures
d'introspection
collective.
Raboter
des
quais
pour
des
trains
trop
larges
nous
coûtera
plus
cher
que
ces
journées
qui
éloignent
l'odeur
des
chairs
meurtries
par
les
sinistres
méandres
de
l'histoire
nationale.
Zemmour
ajoute
:
"
Chacun
rêvait
de
devenir
victime,
et
d'acquérir
la
puissance
–
réelle
et
fantasmée
à
la
fois
–
que
cette
condition
victimaire
avait
apportée
aux
Juifs
"
(
5741).
Le
lecteur
jugera.
Remettant
en
cause
les
travaux
de
Robert
Paxton
qui
"
jugeait
que
l'antisémitisme
d'Etat
de
Vichy
avait
précédé,
favorisé,
décuplé
l'extermination
nazie
"
(1278),
l'auteur
avance
avec
une
détermination
entière,
qu'avec
"
l'appoint
de
Klarsfeld,
la
doxa
paxtonienne
est
indestructible.
Incontestable.
Incontestée.
Pourtant
la
question
subsiste,
lancinante.
".
En
est-‐on
si
sûr
?
Plus
loin
se
tient
une
phrase-‐clef
:
"
Des
historiens
comme
Robert
Aron
rappelaient
que
la
France
vaincue,
sous
la
botte
allemande,
était
soumise
aux
pressions
permanentes
de
Hitler.
Les
mêmes
expliquaient
le
bilan
ambivalent
de
Vichy
par
la
stratégie
adoptée
par
les
Pétain
et
Laval
face
aux
demandes
allemandes
:
sacrifier
les
Juifs
étrangers
pour
sauver
les
Juifs
français."
(1249).
4. 4
Les
pages
qui
suivent
ce
début
de
réinterprétation
de
l'histoire
claquent
pour
dire
ce
que
pense
Eric
Zemmour.
Pour
ma
part,
ma
vie
d'économiste
–
je
n'évoque
donc
pas
des
points
personnels
–
m'a
fait
travailler
des
années
avec
Francis-‐Louis
Closon,
Compagnon
de
la
Libération,
directeur
des
finances
de
"
La
France
libre
"
à
Londres,
puis
Préfet
à
Lille
en
1944
et
directeur
de
l'INSEE.
Dans
son
livre
"
Le
temps
des
passions
",
il
y
a
les
réponses
aux
questions
que
se
posent
l'auteur
du
"
Suicide
français
".
En
Sorbonne,
j'ai
travaillé
pour
et
avec
le
doyen
Henri
Bartoli,
"
Juste
parmi
les
Nations
"
(
1988
)
et
il
m'a
rapporté
la
peur
terrible
des
juifs
de
France
(
Français
ou
non
)
dès
les
lois
antisémites
de
fin
1940.
Même
en
ayant
été
plus
d'une
décennie
commissaire
aux
comptes,
je
ne
sais
pas
compter
entre
les
déportations
de
juifs
étrangers
et
celles
de
juifs
français.
Comme
l'a
si
bien
incarné
le
Cardinal
Lustiger
:
chaque
homme
doit
pouvoir
rester
en
possession
de
sa
condition
d'homme.
Trouver
des
mérites
au
régime
de
Vichy
qui
aurait
su
préserver
les
Juifs
français
du
funeste
destin
des
"
autres
"
est
un
exercice
périlleux.
Il
suffit
de
relire
les
minutes
du
procès
Papon
pour
comprendre
l'inanité
factuelle
de
ces
affirmations
par-‐delà
leur
caractère
aussi
outrancier
que
choquant.
Lire
Zemmour
c'est
donc
se
méfier
de
l'hyphologie
précitée
qui
précipite
le
lecteur
vers
des
analyses
insoutenables
et
dignes
d'une
salle
de
médecine
légale.
Depuis
le
11
septembre
2001,
le
XXIème
siècle
ne
sera
pas
paisible.
Depuis
l'explosion
des
flux
migratoires,
le
vivre
ensemble
devient
complexe.
Depuis
l'émergence
de
nouveaux
pays,
notre
Europe
est
face
à
un
sérieux
défi
économique.
Alors,
pourquoi
n'escompter
qu'un
"
salaire
de
la
peur
"
quand
l'auteur
aurait
pu
être
un
skieur
de
descente
:
un
homme
de
ligne
droite.
Tel
que
l'était
Stanley
Hoffmann
:
"
Essais
sur
la
France,
déclin
ou
renouveau
?
"
(
1974
).
40
ans
après,
sa
question
reste
centrale
:
"
Le
rôle
de
la
France
sera-‐t-‐il
autre
chose
qu'une
survivance
?
"
Nous
y
pensons
tous.
Avec
appréhension
mais
volonté
de
faire.
Ce
faire
où
faillit
Zemmour.
Le
lecteur
ne
sort
pas
indemne
de
ce
pamphlet
qui
a
les
proportions
d'un
essai
mais
ne
sera
pas
le
dictionnaire
de
notre
avenir
collectif.
Après
cette
lecture
d'un
homme
d'exception
qui
voit
notre
nation
suicidée,
je
suis
allé
me
replonger
dans
quelques
feuilles
noircies
par
Aristide
Briand
qui
croyait
aux
valeurs
du
siècle
des
Lumières
et
qui
a
su
œuvrer
pour
la
réconciliation
de
l'humanité.
Octobre
2014.