Article du Parisien sur la Justice Restaurative - 10 déc 2012
1. L’actualité/ Faitsdivers Aujourd’hui en France / Lundi 10 décembre 2012
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Quandvictimes
etcriminelsseparlent
La justice réparatrice, qui consiste à organiser des face-à-face entre des condamnés
et des victimes de crimes ou délits, fait une timide entrée en France. Ses objectifs ?
Réparer la victime, réinsérer l’auteur, rétablir la paix sociale.
LE MOT
La justice
réparatrice
P ratiquée comme justice et
règlement
traditionnel dans les tribus
peuples premiers, la
réparatrice ou restaurative a été
relancée au Canada dans les
années 1970. Il s’agissait alors de
favoriser la médiation dans de
petites affaires impliquant des
mineurs, avant jugement. L’idée
s’est ensuite répandue aux Etats-
Paris,le28novembre.GaëtanGaubert, Unis avant de gagner l’Europe
ex-détenu,arencontrédesvictimes (Belgique, Pays-Bas, Royaume-
etdesparentsdevictimeslorsd’une Uni). La justice réparatrice y est
expériencepiloteen2010. (CaroleEpinette.) pratiquée à des degrés divers et à
«L
tout moment du processus
orsqu’elles sont ren- judiciaire. Depuis 1994, le Québec
trées dans la salle, j’ai propose des « rencontres détenus-
vu des personnes dé- victimes », dans le but d’apaiser les
truites physiquement deux parties : soulager la douleur
et moralement. J’ai été marqué par d’un côté, anticiper la récidive de
cette souffrance et, ce jour-là, j’ai vrai- l’autre. En France, une seule
ment compris ce que signifiait être expérience de ce type a été menée
victime. » C’était en 2010, à la maison à la centrale de Poissy (Yvelines),
centrale de Poissy (Yvelines). Gaëtan PalaisdejusticedeParis,le28novembre.Unesoiréedesensibilisationàlajusticeréparatrice,unconceptqueChristianeTaubira courant 2010.
Gaubert, qui témoigne pour la pre- souhaitedévelopperenFrance,aétéorganiséerécemment.(CaroleEpinette.)
mière fois, y était alors incarcéré pour
meurtre — il avait tué celui qu’il pen- concept qui fait timidement son sationorganiséeparleProjetImagine, lant avec les détenus que j’ai fini par rie-José Boulay, mais on a aussi com-
sait être l’amant de sa petite amie. chemin en France. Mais à ce jour, une auteur d’une vaste enquête sur le accepter que certaines questions res- pris leurs souffrances, celles de leur
Comme lui, deux autres détenus et seuleexpérienceapuêtremenéedans sujet. « Cette démarche, c’était ac- teraient sans réponse. » famille, et la réalité du monde car-
“
trois victimes ont expérimenté les l’Hexagone. cepter de briser sa carapace pour aller Gaëtan Gaubert, lui, n’était « pas céral. » Celle qui a créé avec son époux
rencontres victime-auteur, une expé- vers l’humanité, l’empathie, la sincé- dans l’introspection », avant que son l’Association des parents d’enfants
rience pilote qui s’inspire du système J’avais des rité », raconte Marie-Josée Boulay. chef de détention ne lui propose ces victimes (Apev) a aussi vu dans cette
québécois où elles connaissent un
vrai succès (lire ci-dessous). Ces six questions d’ordre Elleavaitaussibesoin«d’alleraubout
de quelque chose », un quelque chose
rencontres. Il reconnaît : « En prison,
onestlivréàsoi-mêmeetonoublieun
expérience un moyen de lutter contre
la récidive. « On rencontre des
rencontres s’organisent sur le prin- émotionnel auquel le procès n’avait pas permis de peu les victimes. C’est sans doute une hommes, pas des monstres… Mais
cipe dit de substitution : les faits
commis par les auteurs ressemblent à
qui n’intéressaient mettre un point final, malgré la sévé-
ritédelapeineprononcéeàl’encontre
façon de se protéger… Avec ces ren-
contres, j’ai été infiniment plus cons-
toutcelasefaitpetitàpetit.Et,contrai-
rementàcequel’onmedemandesou-
ceux subis par les victimes, mais les pas la justice” du meurtrier : perpétuité avec une cient de ce que j’avais commis, non vent, il ne s’agit pas de pardonner,
participants ne se connaissaient pas. La mère d’une victime peine de sûreté de trente ans, le pas de l’acte, mais de ses consé- mais d’encourager leur volonté de ré-
Elles complètent le processus judi- maximum. « J’avais des questions quences. Chaque jour, je pense à la insertion.»
ciaire, avec un triple objectif : réparer Marie-Josée Boulay, dont la fille a d’ordre émotionnel, qui n’intéres- victime et à sa famille. « La peine de Depuis, Gaëtan Gaubert bénéficie
la victime, réinsérer l’auteur, rétablir été violée et assassinée en 1988, faisait saient pas la justice. Je voulais com- prison, elle est nécessaire mais elle ne d’un régime de semi-liberté. C’est la
la paix sociale. En juin dernier, la partie des volontaires. Elle a récem- prendre le passage à l’acte et, au fond, suffit pas. » première fois qu’il revoyait Marie-
garde des Sceaux, Christiane Taubira, ment témoigné, aux côtés de Gaëtan savoir quels avaient été les derniers Parfois, les échanges ont été hou- Josée. Avant qu’il ne s’éclipse pour re-
a exprimé son désir de développer ce Gaubert,lorsd’unesoiréedesensibili- instants de mon enfant. C’est en par- leux. « On les a secoués, reconnaît Ma- prendre son train pour la Bretagne,
celle-ci lui a fait la bise…
«C’estunedémarchequiprévientlarécidive» LOUISE COLCOMBET
INTERVIEW Jean-Jacques Goulet, ancien coordinateur des rencontres détenus-victimes au Québec
A
ncien coordinateur des ren- réparer le tissu social. Dans un procès cette démarche pour les victimes ? des volontaires chez les auteurs ?
contres détenus-victimes au pénal, on cherche un coupable. Ces On pense parfois que ces rencontres Au contraire ! Ils sont demandeurs.
Québec, Jean-Jacques Goulet rencontres entre des victimes et des vont être une épreuve de plus pour Cette démarche interpelle la société
est en charge des cercles de soutien et détenus permettent d’aller plus loin : elles, mais l’expérience prouve le dans son ensemble, donc aussi les au-
deresponsabilitéquientourentlesdé- la victime, qui dans notre système ju- contraire. Parfois, la colère remonte, teurs, afin de prévenir la récidive. Cel-
linquants sexuels à leur sortie de diciaireamoinsdedroitsqu’enFrance mais cela fait partie d’un processus de le-ci a d’ailleurs baissé, même si nous
prison,autrepilierdelajusticerépara- (elle ne peut pas être partie civile, par libération. Quand j’animais des ren- ne possédons pas encore de chiffres
trice au Canada. Ces rencontres, qui exemple) a là l’occasion de verbaliser contres sur des cas d’inceste, je me définitifs. C’est aussi le but des cercles
n’existent qu’au Québec, se déroulent sa douleur, de poser des questions… souviensd’unejeunefillequiavaittel- desoutienetderesponsabilité,créésil
entre des victimes et des auteurs Cette expérience est aussi faite pour lement peur qu’elle était recroque- y a une quinzaine d’années pour les
ayantcommisdescrimesoudélitsap- celles et ceux dont l’agresseur n’a ja- villée sur elle-même. A la fin, elle a agresseurs sexuels qui sortent de
parentés, de l’accident de la route à mais été identifié et qui n’auront donc trouvé la force d’affronter, dans une prison et présentent un haut risque.
l’inceste.Depuis2004,400personnes même pas l’étape du procès. Pour les rencontre en face à face, son oncle qui Outre leur agent de probation, ils ren-
ont participé à ce programme. auteurs, il s’agit d’un cheminement l’avait agressée. On voit aussi des vic- contrent chaque semaine un groupe
Pourquoi le Canada s’est-il lancé dans lequel ils prennent conscience times de viol qui parviennent, grâce de bénévoles qu’ils peuvent appeler si
dans une politique de justice des conséquences de leurs actes pour aux rencontres et parfois après de lon- nécessaire. Pour ces hommes, le taux
réparatrice ? changerleurcomportement. gues années, à porter plainte. de récidive a baissé de 80 %. Paris,le28novembre.
JEAN-JACQUES GOULET. L’idée est de Quelles sont les conséquences de Avez-vous des difficultés à trouver Propos recueillis par L.C. Jean-JacquesGoulet.(CaroleEpinette.)