1. Sociologie du marketing
Alexandre Coutant, ELLIADD, OUN, Université de Franche-Comté
alexandre.coutant@univ-fcomte.fr
@acoutant
Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0
http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/
2. Pourquoi une sociologie du secteur
professionnel ?
• Taux de réussite des lancements
d’offre commerciale à trois ans :
15%
– Situation « normale » : échec
– Piloter l’échange marchand = risque
• Double utilité :
– Insertion professionnelle
• Secteur multidisciplinaire réunissant acteurs
hétéroclites
• Beaucoup de discours de promotion
• Ensemble de contraintes complexes
– Outils de gestion imparfaits
• Comprendre leur logique
• Emploi « raisonné » de la boite à outil
marketing
3. Exemple : les raisons de
consommation
• Conditionnement pavlovien
– Comportements de chiens
peuvent être conditionnés
• Application à la consommation
aboutit à une vision du
consommateur et des leviers à
actionner pour l’influencer
• Consommateur passif,
conditionnable, ne maîtrisant pas
ses comportements
– Encourage démarche
manipulatoire, décourage de
s’intéresser aux variations Intérêt ? Comportements routiniers,
consommation peu impliquante,
entre première phase d’une démarche
mémorisation/affection/action plus diversifiée
4. Cadre d’analyse du secteur
• « Derrière chaque décision de commandement
ou d'action, il y a des suppositions implicites sur
la nature humaine et le comportement des
hommes » (Mac Gregor, 1971)
5. Cadre d’analyse du secteur
• Cadres de l’expérience (Goffman,1991)
– Rendent compte « de la structure de
l'expérience individuelle de la vie sociale » :
• « d’une part, ils orientent les perceptions, les
représentations des individus et d’autre part, ils
influencent son engagement et ses conduites. […]
Les cadres fixent en quelque sorte la
représentation de la réalité ; ils donnent à l’individu
l’impression que cette réalité est bien ce qu’elle
est. […] La définition de la réalité étant fixée, la
personne peut ajuster son degré d’engagement et
adopter les comportements adéquats » (Nizet,
Rigaux, 2005).
6. Fonction et Place du marketing en entreprise
Fondements du marketing
• Marché : rencontre de l’offre et de la
demande grâce à la « main invisible »
– Le marketing facilite cette rencontre
7. Fonction et Place du marketing en entreprise
Le « marketing concept »
• Conception de la relation marchande : point
de vue de la demande
– « Fabriquez ce que vous pouvez vendre plutôt
que d’essayer de vendre ce que vous pouvez
fabriquer » (Drucker, 1954)
– Autres optiques :
• Optique production : consommateur choisit en
fonction du prix et de l’accessibilité
• Optique produit : consommateur préfère le produit qui
offre la meilleure qualité ou la meilleure performance
• Optique vente : consommateur n’achètera pas
suffisamment par lui-même et il faut stimuler en
permanence les ventes
8. Fonction et Place du marketing en entreprise
Nuance du marketing concept
• « Satisfaire le client » :
– Réagir aux exigences d’un « cahier des charges » construit par un client
compétent
– Anticiper les attentes du consommateur
• Le marketing ne consiste pas simplement à répondre à la demande du client
ou du consommateur
– Toute demande doit être interprétée par le marketer.
– De nombreux clients ne savent pas ce qu’ils peuvent attendre… d’un nouveau
produit ou d’une nouvelle technologie…
• Marketing consiste donc tout autant :
– À servir le marché en s’adaptant à la demande d’un client(roi) (to be market
driven)
– À façonner et conduire le marché (to drive market) en mettant en évidence un
nouveau problème et à proposer une solution
9. Fonction et Place du marketing en entreprise
Trois conceptions du marketing
• Un marketing réactif qui adapte les actions de
l’entreprise, au travers de routines, à des
demandes assez facilement repérables et
souvent verbalisables,
Risque
• Un marketing d’anticipation qui s’efforce de
prévoir les tendances susceptibles de faire
évoluer la demande,
• Un marketing de création qui vise à découvrir,
Risque
voire inventer des solutions qui jusque là
n’existaient pas
10. Fonction et Place du marketing en entreprise
état actuel de la profession
• Pas de renforcement des départements marketing
dans les organisations (même réductions)
• Critiques vis-à-vis de « l’orientation marketing »
– Paradoxe juste apparent : marketing n’est pas une fonction
séparée mais une vision de l’entreprise et un ensemble de
processus qui traversent toute l’organisation
11. Fonction et Place du marketing en entreprise
Trois grandes formes de marketing
1. Un marketing de forme entrepreneuriale, qui repose sur la
créativité d’un seul homme, généralement le créateur de
l’entreprise. Les outils et les responsabilités sont peu
formalisés ; il s’agit le plus souvent de petites organisations ;
2. Une fonction marketing structurée au sein d’un service
plus important afin de mettre en œuvre des actions et des
outils plus complexes (publicité, études, gestion de la
marque…) ;
3. Un marketing intrapreneurial au sein de grandes
organisations qui cherchent à revitaliser l’esprit
d’entreprendre en leur sein. objectif : stimuler et
encourager l’esprit d’entreprendre dans toute l’organisation
dans une logique d’orientation marché
12.
13. Histoire et idéologie du marketing
• L’économie et la psychologie aux origines du métier
– Analyses macro ou expérimentales
– Focalisation sur le marché
– Focalisation sur l’acte d’achat
– Importance accordée aux concurrents et partenaires
– Difficulté à légitimer l’alternative à l’économie
• « l'arbre du consommateur cache la forêt de l'économie » (Dupuy et
Thoenig, 1994)
• Marketing de l’offre (gestion de marque ou de produit)
– « il est inutile de demander aux consommateurs leurs mobiles d’achat.
Ils les ignorent, surtout quand il s’agit de produits de consommation
courante » (Formateur marketing cité par Chatriot,Chessel, Hilton, 2005)
• Constat
– Le marketing, fondé sur la nécessité d’entretenir un lien plus
direct entre les producteurs et les consommateurs, a en fait
multiplié les intermédiaires ou ses représentants (Cochoy,
1999 ou Chatriot, Chessel, Hilton, 2005)
14. Histoire et idéologie du marketing
• Une logique praxéologique particulière
– Méfiance à l’égard des études
• Peu prédictives
• Complexes
• Contradictoires
– Omniprésence du « témoignage » de praticien et de
l’exemple
• Problème pour en tirer des règles de fonctionnement
(exemple : démarche d’Apple)
– Outil de gestion
• Pilotage de l’échange marchand
• Outils de contrôle et d’orientation des comportements
15. Facebook et le syndrome du canard
• Fredcavazza.net, 10/2008
– Échec programmé de Facebook car moins spécialisé que ses
concurrents, donc moins performant (principe « darwinien »)
– Commentaire : «Je crois qu’il manque une dimension, si la métaphore
peut être filée… car force est de constater que les canards existent
encore. Tout comme les êtres humains, d’ailleurs, qui dominent
actuellement la chaîne alimentaire, bien que leurs ancêtres aient couru
moins vite que les guépards, nagé moins bien que les requins et… volé
moins bien que des pingouins. »
16. Nespresso et les médias sociaux
• Présence en ligne :
– Découle d’une charte
– Répond à un objectif précis d’image de marque
– Professionnels dédiés
– Plan de crise prévu et diffusé
17. Nespresso et les médias sociaux
• Stratégie explicitée :
– Dialogue : 2 contenus généraux et 4 posts locaux par jour. Évaluation des
retours générés.
– Participation : invitation des membres à « co-construire » produits et publicités
– Réactivité : retours « en temps réel » selon une guideline précise et en cross-
média
– Communication 360° : médias sociaux intégrés à démarche plus large de
visibilité en fonction de cœur de cible et d’influenceurs adaptés
18. Contraintes du secteur : des acteurs hétéroclites
Cité de l'inspiration Cité marchande Cité industrielle
Principe supérieur Non mesurable, Concurrence Sciences et
commun jaillit de l'inspiration techniques,
performance
Etat de grandeur Spontané, échappe à la Désirable, valeur Performant, fonctionnel
raison
Dignité Amour, passion, création Intérêt Travail
Répertoire des objets Esprits, corps Richesse Les moyens
Répertoire des sujets Enfants, Concurrents, clients Professionnels
artistes
Formule d'investissement Risque Opportunisme Investissements, progrès
(prix à payer)
Rapport de grandeur Singularité Possession Maîtrise
Relations naturelles Rêver, Relations d'affaires, Fonctionner
imaginer intéresser
Figure harmonieuse Imaginaire Marché Système
Epreuve modèle Aventure intérieure Affaire, marché conclu Test
Mode d'expression du Eclair de génie Prix Effectif, correct
jugement
Forme de l'évidence Certitude de l'inspiration Argent, bénéfice Mesure
Etat de petit Routinier Perdant Inefficace
19. Contraintes du secteur : des acteurs hétéroclites
• Un secteur « en crise »
Cité de l'inspiration Cité marchande Cité industrielle
Principe supérieur Non mesurable, Concurrence Sciences et
commun jaillit de l'inspiration techniques,
performance
Acteur représentatif Créatif Commercial Sondeur
Verbatim représentatif « Moins de tests, plus de « Combien ça me « Si ça ne se mesure
testicules » rapporte ? » pas, ça n’existe pas »
– Cité par projet : valeur de l’activité et de l’inclusion dans un réseau
(Nouvel Esprit du Capitalisme)
• Un double public
– Annonceur ≠ consommateur
– « Pour nous concepteurs, peu importent les cibles potentielles, nous n’en avons
qu’une : l’annonceur. C’est lui que nous devons séduire en appliquant le postulat
de Boileau qui est toujours de vigueur : “la grande règle de toutes les règles pour
communiquer est de plaire”. » (Duchet, 2003)
• Objectivation des démarches délicates
– Cultures différentes
– Forte subjectivité
20. Contraintes du secteur : des outils de gestion
ambivalents
• Ambivalence des chiffres
– Flou irréductible et prévision difficile
• Absence de lois, de « recettes » idéales
• « Je sais qu'un dollar de publicité sur deux ne sert à rien, mais je ne
sais pas quel est ce dollar »
– Conception différente des chiffres
• Base du travail
• Intérêt focalisé sur les ventes et « mal nécessaire »
• Outil de production de la croyance : « la légitimité du savoir des
spécialistes repose donc sur la croyance dont ils sont investis »
(Laufer, 1994)
– « l’efficacité de la publicité peut être réelle mais non mesurable. Ce n’est
pas parce qu’on ne peut pas, dans certains cas, mesurer précisément
son effet que la publicité n’en a pas » (Publicitor)
– « Feeling », « nez », expérience individuelle valorisés
– Valeur « sacrificielle » (Chabrol, 1994)
» Pouvoir hypnotique et recherche du « chiffre discriminant »
21. Exemple : usages des « réseaux
sociaux » en entreprise
• 2700 cadres interrogés, 7 pays.
Plateformes : Facebook,Twitter, Google+,
LinkedIn, Yammer ou Chatter
Millward Brown, mai 2012
22. Exemple : usages des « réseaux
sociaux » en entreprise
• Intérêt(s) relevés :
– Trouver des informations et des contacts
(41%)
– Partager des idées (37%)
– Networking (34%)
– Minimiser le volume des mails (31%)
• Donc développer l’emploi
de Facebook ou Yammer ?
Millward Brown, mai 2012
23. • Taux de clic : 0,05% (0,4% pour Google et moyenne
sur Internet : 0,1%)
– Nécessité de s’accorder sur des évaluateurs du ROI
– Conséquence des excès de discours de production de la
croyance
24. Contraintes du secteur : des outils de gestion
ambivalents
• Cercle vicieux de l’âne de Buridan (Cochoy,
1998)
– Consommateur classique choisit entre produits
différents
– Généricité nuit à la qualité
– Différenciation amène l’imitation et le retour au
paradoxe initial
• Marque, marque-réseau, USP, norme,
services associés, tiers de confiance,
valeurs immatérielles, etc
– Ajouter la rationalité limitée du
consommateur et l’efficacité relative
des démarches de différenciation
25. Contraintes du secteur : des outils de gestion
ambivalents
• La fuite en avant de la segmentation (Assouly,
2007)
– Consommation de masse commence par
renoncement à la satisfaction des goûts individuels
• Tension entre unification de l’offre et segmentation de la
demande
– Exclusion du goût ou production d’un goût moyen
– Segmentation « cosmétique »
» Critique anticonsumériste
– Une personnalisation difficile
• Potentiel du progrès technique
et de la co-construction
26. Tentatives de construction de cadres communs
• Gourous et grandes modes
– Ogilvy, Burnett, Bernbach,
Séguéla, Dru, Habib « Être une personne, c'est être personne.
Nous ne fabriquons pas des personnes,
– Expérientiel, sensoriel, nous créons des stars. Une personne que
neuromarketing tout le monde connaît, qui fait vendre et
qui dure ».
– Sémiologie, sociostyles, Jacques Séguéla
psychologie sociale,
neurosciences
• Focalisation sur des
éléments jugés clés du
secteur
– Marque
– concurrence Bontour, Lehu
29. Le marketing digital… du marketing ?
• What’s your e- • Quel est notre
business ? métier ?
• Who’s the e- • Qui est le client ?
customer ? • Quelle est la valeur
• What’s the customer’s du client ?
e-value ? • Quel sera notre
• What’ll be your e- métier ?
business ? • Que devrait-il être ?
• What should it be ? – Peter Drucker
– Mac Kinsey
30. Un phénomène massif et apprécié
• Progression régulière du marché du e-commerce :
– Croissance à deux chiffres depuis son émergence
– 2010 : 31 mds €
• Des acheteurs nombreux et satisfaits (source : FEVAD, chiffres
clés 2011)
– 77% des Français achètent en ligne (28 ms)
– 97% sont satisfaits
• Confiance suffisante
• Délais respectés
• Prix attractifs
• Une augmentation des investissements des entreprises
– Investissements publicitaires en ligne 2011 : 31 mds $ (22% de hausse)
(source : IAB)
– 3,8 mds $ sur les médias sociaux
– 76% des entreprises ont prévu une augmentation de leurs effectifs en
2011 (source : FEVAD, chiffres clés 2011)
36. Un phénomène massif et apprécié
• Panier moyen : 90 €
• 3 ms d’acheteurs en mobilité
• Carte bancaire employée dans 80
% des cas
• Livraison à domicile choisie dans
82 % des cas
• 86 % des internautes déclarent
préparer leurs achats sur Internet
– Mais : Internet projet militaire et
universitaire pendant 30 ans
• Forte culture du libre et gratuit
• Recherche de pairs
• P2P
• Web marchand : 90’s
• Même interrogation fondamentale
– Quelle valeur ajoutée à présence
37. Des canaux complémentaires
• Ne pas séparer Internet des magasins
physiques
– 82% des achats se finissent en magasin
• E-commerce :
– Avant achat : information, présélection, choix du circuit d’achat
– Transaction : réservation, commande, paiement
– Après achat : SAV, fidélisation
• Canal prescripteur ≠ canal d’achat
– Achat pur Web : recherche d’information, sélection, décision
d’achat, achat tous en ligne
– Achat Web hybride : finit en ligne
– Achat réel hybride : finit hors-ligne
38. Distribution stimulée
• Désintermédiation : vente directe
– Substitution à un canal traditionnel
– Suppression des intermédiaires : producteur/client
• Évitement des distributeurs
• Intégralité des catalogues, même produits de niche
• Données clients accessibles
• Marge de distribution conservée par le producteur
• Impact limité :
– Frais de structure
– Nécessité d’une
marque forte
– Réservé aux achats
de forte valeur
– Nécessité d’un
avantage prix
– Conflit de canaux
de distribution
39. Distribution stimulée
• Réintermédiation : création d’intermédiaire(s)
– Interface entre client et producteurs/distributeurs
– infomédiaires
• Mettre en contact acheteurs et vendeurs
• Agréger offre et demande
• Faciliter les transactions : yeld management
• Garantir (ex : verisign)
• Raisons de succès limité:
– Infomédiaires souvent fragiles
– Valeur ajoutée jugée insuffisante
– Concurrents multicanaux puissants
40. Distribution stimulée
• Rétromédiation:
redirection des
prospects par le
producteur
– Guider internautes
vers sites de vente
• Information maîtrisée
• Marketing relationnel
possible
• Frais de structure
limités
• Ébauche de stratégie
multicanale
41. Distribution stimulée
• Stratégie multicanale: vente par plusieurs
circuits
– Complémentarité d’Internet avec les autres canaux
• Adaptation au comportement du client : plus un internaute
achète en ligne, plus il aura tendance à y puiser de
l’information pour ses achats hors-ligne
• Attente de base
• Fidélisation : développer la part de client ; prolonger la
durée de vie du client multiplier occasions de vente et
réduire l’infidélité du client
• Recrutement de nouveaux clients
42. Risque d’oubli de la démarche
marketing
• Oubli des règles fondamentales de la démarche
marketing : répondre à une attente avec une offre
originale
– Retour de la focalisation sur l’acte d’achat
– Résurgence d’une logique ingénieur
• ex : ad-exchange
– Le client achète des satisfactions (désirées et anticipées)
• « Ce que l’on vend, ce n’est pas le produit, mais les services qu’il
rend, la satisfaction qu’il rend. Pour reprendre un exemple célèbre,
si l’on vend des perceuses à percussion avec des forets de 8 mm,
ce n’est pas parce que les gens ont besoin de perceuses à
percussion, ni de forets, mais parce que les gens désirent faire des
trous de 8 mm dans du béton. Leur attente consiste à fixer un
tableau au mur » (Lancaster, 1971)