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23/07/13 LeTemps.ch | Les trusts? Pas ce que vous croyez!
www.letemps.ch/Facet/print/Uuid/5ef6fc46-c3c9-11e2-9d9b-e1235b6f0489/Les_trusts_Pas_ce_que_vous_croyez 1/3
L’invité Vendredi24 mai 2013
Les trusts? Pas ce que vous croyez!
Par Me Tetiana Bersheda*
Le fisc – suisse ou étranger – garde toute la liberté de manœuvre
pour apprécier les conditions spécifiques de chaque trust, afin d’en
déterminer les effets sur le plan fiscal. Cela exclut donc que le
trust puisse être assimilé à un instrument de fraude fiscale
*LL.M.
(Cantab), Docteur
en droit, Bersheda Avocats
Certains articles s’apparentent plus à des actes d’accusation contre les banquiers, les avocats et les
fiduciaires qu’à une présentation factuelle des trusts. Une réponse s’impose pour que l’opinion
publique ne soit pas faussée.
Le trust est une institution juridique provenant des pays de common law anglo-saxons. En Angleterre,
cette institution remonte au temps des Croisades. Son usage s’est bien diversifié depuis et son
utilisation géographique s’est beaucoup étendue. Aujourd’hui, les trusts sont notamment utilisés pour
structurer les caisses de pension, planifier des successions, développer des activités caritatives ou
culturelles, structurer ou protéger un patrimoine familial et assurer la séparation des patrimoines des
entrepreneurs. Par exemple, s’ils avaient été anglo-saxons, de grands collectionneurs voulant éviter la
dispersion de leur collection, tels Alfred Baur ou Martin Bodmer, n’auraient pas créé une fondation,
mais un trust, comme le trust du J. Paul Getty Museum de Malibu.
De même, un père ayant des enfants de plusieurs mariages, vivant dans des pays différents, peut tenir
à structurer leur héritage en créant un ou plusieurs trusts, afin d’éviter que son décès ne suscite des
problèmes de partage, avec toutes les brouilles et batailles juridiques pénibles que cela suscite
parfois. Pour sa part, un industriel prenant des risques importants dans ses activités professionnelles,
peut tenir à protéger son patrimoine familial de toute faillite de son entreprise en créant un trust pour
sa femme et ses enfants.
A cet égard, soulignons une réalité trop méconnue: celui qui crée un trust renonce à tout droit de
propriété sur les biens, les collections ou les capitaux confiés à ce trust. En effet, la Convention de La
Haye définit le «trust» comme un rapport juridique dans lequel le constituant confie – par acte entre
vifs ou pour cause de mort – des biens patrimoniaux à un tiers, le trustee, afin que ce dernier les gère
dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé. Attention, donc, aux jugements trop
sommaires. En effet, en l’état actuel du droit, les trusts étrangers constituent un moyen juridique
légitimement reconnu non seulement par les pays étrangers ou les instances internationales, mais aussi
par le législateur suisse.
De manière infondée, par excès de simplification ou méconnaissance, voire désinformation, certains
assimilent les trusts à de purs instruments d’évasion fiscale, dont l’utilisation serait opaque et
scandaleuse. Cela est regrettable. Car si cette fausse impression n’est pas dissipée, la place financière
23/07/13 LeTemps.ch | Les trusts? Pas ce que vous croyez!
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suisse en payera chèrement le prix face à ses concurrents, en particulier Londres, New York ou
Singapour, qui ont intégré l’institution du trust en leur droit interne, voire Monaco, les Pays-Bas ou le
Luxembourg, qui appliquent rigoureusement la Convention de La Haye relative à la loi applicable au
trust et à sa reconnaissance et reconnaissent les trusts régis par le droit étranger.
L’élément majeur de la création d’un trust discrétionnaire et irrévocable est donc ce dessaisissement
complet, par le constituant du trust, des biens qu’il transfère au trustee, avec la mission de les gérer
conformément au mandat donné.
Contrairement à une société, un trust ne dispose donc pas de la personnalité morale. Le trustee est le
seul propriétaire juridique et dispose de tous les droits économiques sur les biens détenus en trust, à
condition, bien sûr, que ces biens soient gérés dans l’intérêt des bénéficiaires, conformément aux
devoirs fiduciaires des trustees.
Ce principe implique que seul le trustee doit être identifié comme l’ayant droit économique des biens
détenus dans un trust discrétionnaire et irrévocable. En effet, le constituant de ce trust et ses
bénéficiaires n’ont plus aucun droit de propriété sur ce trust.
La qualification en droit suisse de la relation juridique entre le constituant, le trustee et le bénéficiaire
est bien illustrée dans l’arrêt rendu le 18 mars 2011 par le Tribunal administratif fédéral (cause No A-
7013/2010).
Les juges ont également précisé que «dans un trust discrétionnaire, les bénéficiaires n’ont aucun droit
ferme de requérir du trustee le paiement de revenus ou de parts de capital du trust. Le trustee
dispose d’une entière liberté dans le choix des personnes qui bénéficient des distributions […] et du
montant de ces distributions en faveur des bénéficiaires». Cela, bien sûr, dans le cadre du mandat
donné.
Les juges fédéraux ont aussi confirmé qu’une relation bancaire relève des actifs d’un trust
discrétionnaire et irrévocable conformément au droit d’un Etat étranger qui, en tant que loi choisie
expressément par le constituant, régit le trust. Par conséquent, les bénéficiaires de ce type de trust ne
doivent pas figurer sur les formulaires bancaires en tant qu’ayants droit économiques. Cette décision
souligne clairement qu’un trust se distingue totalement d’une société, d’une fondation ou de toute autre
personne morale, en ce sens que les bénéficiaires d’un trust discrétionnaire et irrévocable ne sont pas
les ayants droit économiques des actifs détenus dans le trust.
Autre point important souligné par cette jurisprudence: le trust est régi par la loi choisie par le
constituant. Dès lors, c’est cette loi qui régit la validité du trust, son interprétation, ses effets, ainsi que
son administration. Ce droit s’applique donc à titre exclusif. Ainsi, selon la Convention de La Haye, un
trust créé conformément à la loi étrangère définie par le constituant dans le document constitutif du
trust doit être reconnu en tant que trust en Suisse. Les autorités judiciaires et administratives doivent
appliquer le droit, éventuellement en faisant recours au droit étranger si ce renvoi est prévu par les
règles du droit international privé du for, sans céder à la pression d’une conception de la morale
plaidée par les partisans de certaines idées politiques ou idéaux sociaux.
Lorsque certains critiquent les trusts et relancent l’offensive fiscale contre la Suisse, en essayant de
priver la Suisse de cet outil juridique internationalement reconnu et largement utilisé dans nombre
d’autres pays, il convient de rappeler que la reconnaissance des trusts étrangers en Suisse se limite
aux effets du droit privé des trusts, par opposition aux effets du droit public, qui inclut le droit fiscal.
La Convention de La Haye ne porte donc pas atteinte à la compétence des Etats en matière fiscale. En
d’autres termes, le fisc – suisse ou étranger – garde toute la liberté de manœuvre qui est la sienne
pour apprécier les conditions spécifiques de chaque trust, afin d’en déterminer les effets sur le plan
23/07/13 LeTemps.ch | Les trusts? Pas ce que vous croyez!
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fiscal. Cela exclut donc que le trust puisse être assimilé à un instrument de fraude fiscale. Les
accusations récentes contre les trusts sont une manipulation de l’opinion publique qui profite
directement à nos concurrents.
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  • 2. 23/07/13 LeTemps.ch | Les trusts? Pas ce que vous croyez! www.letemps.ch/Facet/print/Uuid/5ef6fc46-c3c9-11e2-9d9b-e1235b6f0489/Les_trusts_Pas_ce_que_vous_croyez 2/3 suisse en payera chèrement le prix face à ses concurrents, en particulier Londres, New York ou Singapour, qui ont intégré l’institution du trust en leur droit interne, voire Monaco, les Pays-Bas ou le Luxembourg, qui appliquent rigoureusement la Convention de La Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance et reconnaissent les trusts régis par le droit étranger. L’élément majeur de la création d’un trust discrétionnaire et irrévocable est donc ce dessaisissement complet, par le constituant du trust, des biens qu’il transfère au trustee, avec la mission de les gérer conformément au mandat donné. Contrairement à une société, un trust ne dispose donc pas de la personnalité morale. Le trustee est le seul propriétaire juridique et dispose de tous les droits économiques sur les biens détenus en trust, à condition, bien sûr, que ces biens soient gérés dans l’intérêt des bénéficiaires, conformément aux devoirs fiduciaires des trustees. Ce principe implique que seul le trustee doit être identifié comme l’ayant droit économique des biens détenus dans un trust discrétionnaire et irrévocable. En effet, le constituant de ce trust et ses bénéficiaires n’ont plus aucun droit de propriété sur ce trust. La qualification en droit suisse de la relation juridique entre le constituant, le trustee et le bénéficiaire est bien illustrée dans l’arrêt rendu le 18 mars 2011 par le Tribunal administratif fédéral (cause No A- 7013/2010). Les juges ont également précisé que «dans un trust discrétionnaire, les bénéficiaires n’ont aucun droit ferme de requérir du trustee le paiement de revenus ou de parts de capital du trust. Le trustee dispose d’une entière liberté dans le choix des personnes qui bénéficient des distributions […] et du montant de ces distributions en faveur des bénéficiaires». Cela, bien sûr, dans le cadre du mandat donné. Les juges fédéraux ont aussi confirmé qu’une relation bancaire relève des actifs d’un trust discrétionnaire et irrévocable conformément au droit d’un Etat étranger qui, en tant que loi choisie expressément par le constituant, régit le trust. Par conséquent, les bénéficiaires de ce type de trust ne doivent pas figurer sur les formulaires bancaires en tant qu’ayants droit économiques. Cette décision souligne clairement qu’un trust se distingue totalement d’une société, d’une fondation ou de toute autre personne morale, en ce sens que les bénéficiaires d’un trust discrétionnaire et irrévocable ne sont pas les ayants droit économiques des actifs détenus dans le trust. Autre point important souligné par cette jurisprudence: le trust est régi par la loi choisie par le constituant. Dès lors, c’est cette loi qui régit la validité du trust, son interprétation, ses effets, ainsi que son administration. Ce droit s’applique donc à titre exclusif. Ainsi, selon la Convention de La Haye, un trust créé conformément à la loi étrangère définie par le constituant dans le document constitutif du trust doit être reconnu en tant que trust en Suisse. Les autorités judiciaires et administratives doivent appliquer le droit, éventuellement en faisant recours au droit étranger si ce renvoi est prévu par les règles du droit international privé du for, sans céder à la pression d’une conception de la morale plaidée par les partisans de certaines idées politiques ou idéaux sociaux. Lorsque certains critiquent les trusts et relancent l’offensive fiscale contre la Suisse, en essayant de priver la Suisse de cet outil juridique internationalement reconnu et largement utilisé dans nombre d’autres pays, il convient de rappeler que la reconnaissance des trusts étrangers en Suisse se limite aux effets du droit privé des trusts, par opposition aux effets du droit public, qui inclut le droit fiscal. La Convention de La Haye ne porte donc pas atteinte à la compétence des Etats en matière fiscale. En d’autres termes, le fisc – suisse ou étranger – garde toute la liberté de manœuvre qui est la sienne pour apprécier les conditions spécifiques de chaque trust, afin d’en déterminer les effets sur le plan
  • 3. 23/07/13 LeTemps.ch | Les trusts? Pas ce que vous croyez! www.letemps.ch/Facet/print/Uuid/5ef6fc46-c3c9-11e2-9d9b-e1235b6f0489/Les_trusts_Pas_ce_que_vous_croyez 3/3 fiscal. Cela exclut donc que le trust puisse être assimilé à un instrument de fraude fiscale. Les accusations récentes contre les trusts sont une manipulation de l’opinion publique qui profite directement à nos concurrents. © 2013 Le Temps SA