La « Qualité de vie au travail », encore une nouvelle alchimie de mots pour faire aimer l’entreprise ? obtenir toujours plus des employés ? masquer la quête d’un profit financier pour des dirigeants/actionnaires en faisant croire à la mise en place d’un cadre idyllique où chaque salarié pourrait s’épanouir sereinement ? prévenir les risques psychosociaux ?
Il s’agit avant tout d’un engagement dans une démarche de créativité combinant innovations sociales et organisationnelles afin d’obtenir un équilibre entre performances sociales et économiques, entre donner du sens à des actions à déployer et l’efficience du travail réalisé....
Dossier Institut du Leadership - Qualite de Vie au Travail
1. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 1
LES DOSSIERS DE L’INSTITUT
Qualité de vie
au travail
30 juillet 2013
2. Ce numéro des Dossiers de l’Institut
résulte des travaux d’un groupe de
consultants de BPI group de toutes les
directions qui s’est réuni entre avril et
juillet 2013.
Contributeurs experts :
Isabelle AUROY
Soline AVRILLAS
Audrey BARBE
Gérard BARDIER
Gaëtan de BRYE
Nathalie LASNIER
Olivier REYDELLET
Bénédicte ROY
Et, pour ses illustrations :
Jean-Michel MILON
Ces illustrations sont issues du blog
de JM Milon (http://lamineducoach.fr/),
elles ont été choisies et utilisées avec l’accord
de l’auteur. Leur reproduction est interdite.
Directeur de la publication :
Philippe BIGARD
Coordination, rédaction :
Fanny BARBIER
Les sources externes utilisées à l’appui de ce
document sont référencées et mentionnées
explicitement (bibliographie, webographie).
Tout ce qui n’est pas référencé comme tel renvoie
à des réflexions développées par les consultants
de BPI group et rédigées en interne. De ce fait,
nous vous remercions de ne pas utiliser et citer
ce dossier sans la permission des auteurs.
3. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 3
Avant-propos
La « Qualité de vie au travail », encore une nouvelle alchimie de mots pour faire aimer l’entreprise ?
obtenir toujours plus des employés ? masquer la quête d’un profit financier pour des dirigeants/action-
naires en faisant croire à la mise en place d’un cadre idyllique où chaque salarié pourrait s’épanouir
sereinement ? prévenir les risques psychosociaux ?
Il s’agit avant tout d’un engagement dans une démarche de créativité combinant innovations sociales
et organisationnelles afin d’obtenir un équilibre entre performances sociales et économiques, entre
donner du sens à des actions à déployer et l’efficience du travail réalisé.
Que l’on soit dirigeant ou salarié, que l’on appartienne à la génération des baby boomers, X ou Y,
il s’agit de mettre en place des pratiques s’inscrivant dans la durée, visant à la promotion du travail
collaboratif, d’une entreprise solidaire et apprenante et de lieux de dialogue nouveaux afin de passer
de la logique du capital humain au capital sociétal. Les dimensions éthiques et comportementales
viennent ici s’appuyer sur la solidarité des personnes et le développement de l’individu. « Faire vivre
ensemble » voilà bien la finalité ! Au sein de l’entreprise comme au sein de son territoire.
Pourquoi y croire aujourd’hui alors que le concept est évoqué depuis plusieurs années ? L’innovation
digitale offre l’opportunité de réinventer la façon de travailler et de manager, et de réinterroger les
modes de fonctionnement des entreprises sur les volets RH, sociaux, managériaux et organisation-
nels. L’ambition est ainsi en marche vers sa concrétisation.
Jean-Marie THUILLIER
Directeur associé BPI group
Directeur des Practices, des Métiers et de l’Innovation
4. 4 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
1
2
4
3
Avant-propos 3
Édito 5
Chapitre
La négociation interprofessionnelle de 2013 9
Une histoire des relations sociales qui encourage la négociation 9
Les thèmes de la négociation 2013 10
L’Accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 « vers une politique de qualité de vie
au travail et de l’égalité professionnelle » 11
Tribune : La qualité de vie au travail, au-delà des bonnes intentions.
Refonder le pacte social dans l’entreprise 14
Chapitre
Des risques psychosociaux à la qualité de vie au travail,
état des lieux 17
Pourquoi et comment le sujet a-t-il émergé avec autant de force ? 17
Des RPS à la qualité de vie au travail, données, définitions, obligations 21
Tribune : Quels acteurs pour la qualité de vie au travail ? 34
Chapitre
Le « mal travailler » a un coût 37
L’évolution des représentations, la nécessité de réintroduire de la coopération 38
L’exception française : surinvestissement dans le travail, défiance, manque de mobilité 39
Tribune : Ni « coûteux » ni « rigide », le travail est d’abord un facteur de compétitivité 42
Chapitre
Comment les pouvoirs publics, les entreprises,
les administrations et les syndicats se sont-ils emparés du sujet ? 45
Les accords d’entreprises 45
Les 7 propositions de l’ANDRH pour améliorer la qualité de vie au travail 45
L’Etat employeur exemplaire 46
Des pistes pour l’action. Sélection et décryptage 48
Tribune : Organisations du travail responsabilisantes et qualité de vie au travail 55
Annexes 59
Annexe 1 : Qualité de vie au travail / Egalité professionnelle - Socle commun de négociation 60
Annexe 2 : Accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 61
Annexe 3 : Le travail à cœur, pour en finir avec les risques psychosociaux 74
Annexe 4 : La santé dans le droit du travail, quelques repères historiques 77
Annexe 5 : Acteurs et sites 79
Bibliographie 81
5. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 5
Édito
L’Accord national interprofessionnel (ANI) sur la « Qualité de Vie au Travail »
vient d’être signé avec une certaine confidentialité, il s’inscrit cependant dans
une actualité déjà dense.
Des rapports (dont le dernier du Conseil Economique Social et Environnemental
paru en avril 2013), des accords (dans les entreprises mais aussi au sein de
la fonction publique), une jurisprudence en hausse, ainsi que le discours du
premier ministre en clôture de la Conférence Sociale de juin 2013, le sujet n’a
jamais été si prégnant, encadré, considéré.
Comment les acteurs concernés s’empareront-ils de cette nouvelle réalité ?
Le constat général, fortement médiatisé, est celui d’un malaise, d’un « symptôme » pour
reprendre le vocabulaire médical et la référence à la « santé mentale » décrite par le Code
du Travail. Symptôme d’une société en pleine mutation économique, du fameux moral en
berne des Français, ou d’individus au travail de plus en plus sujets au non néanmoins fameux
« burn-out » ? Une hypothèse apparaît, nos organisations du travail seraient « malades ». Au
mieux, elles peineraient à donner du sens à leurs salariés et agents, au pire, elles seraient
sources de mal-être voire de souffrance.
Nous, praticiens des ressources humaines, ne pouvons ignorer la question de la qualité de
vie au travail et ses impacts sur notre quotidien, nos approches et nos moyens d’actions.
A la regarder de près, elle met en lumière deux dimensions fondamentales de l’être humain
au travail.
Une dimension de ressources, au sens de « richesse » plus que de « moyen »
À trop considérer l’homme comme un rouage, essentiel certes, mais au sens mécaniste du
terme, dans la création de valeur économique, on en aurait oublié que la « mécanique » est
complexe, voire fragile. La qualité de vie au travail interroge nos modes d’organisation et
de management. Un défi pour le monde du travail serait de les repenser en intégrant mieux
cette complexité que nous représentons tous, les 28 millions d’individus au travail en France.
Prendre en compte la dimension de « ressources » implique que chacun ait la possibilité
de s’exprimer sur le contenu, l’organisation et la qualité de son travail, à la fois individuel et
collectif. Cela signifie pour chaque salarié, même dans les environnements taylorisés, un droit
à la « controverse », à la possibilité de prendre part à des décisions opérationnelles, à être
traité en individu responsable et responsabilisé.
6. 6 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
La qualité de vie au travail questionne la souplesse de nos systèmes organisationnels et
introduit une recherche d’efficacité équilibrée entre les processus, le contrôle et les marges de
manœuvre. La démarche comporte un certain nombre de pré-requis : un parti pris structurel
pour la confiance, une dose de « lâcher prise » du côté des dirigeants, une volonté d’oser sortir
de modes d’organisation et de management parfois tellement infantilisants qu’ils deviennent
contre-performants, sources de stress mais aussi de non-engagement. Autant de dommages
qui « coûtent ». L’enjeu n’est pas seulement social, il est avant tout économique.
Une dimension d’individu « unifié » ou la fin du salarié « schizophrène »
Un autre signe de la période actuelle est celui d’une plus grande perméabilité entre le dedans
et le dehors de nos organisations. Les frontières entre le « professionnel » et le « hors profes-
sionnel » ne sont plus si étanches. La conciliation des temps de vie est un autre volet-clé du
dernier ANI. Le risque est de la voir gadgétisée, de la ramener à des actions pratiques mais
périphériques (du type conciergerie d’entreprise).
Elle porte en elle une idée de fond, celle d’un individu « unifié » qui ne se réduit pas à ses
tâches ou à ses missions pour l’organisation qu’il sert. Il s’agit d’un(e) salarié(e) qui possède
son système de valeurs, qui ne fait pas qu’épouser celui de l’organisation ; d’un individu
citoyen qui ne fonctionne pas sans la prise en compte de sa vie personnelle.
Evolution démographique, arrivée de jeunes générations dans l’entreprise, apparition de
nouveaux modes de travail grâce aux nouvelles technologies, féminisation de la société du
travail, les raisons de ces évolutions sont multiples. Aujourd’hui, de jeunes hommes peuvent
même avouer aller chercher leurs enfants à l’école ! Et les salariés plus âgés sont nombreux
à être en charge ou au chevet d’un parent, parfois gravement malade.
La conciliation des temps implique, on le voit, de prendre en considération que la vie profes-
sionnelle n’est pas linéaire. L’écosystème propre à chaque salarié ne fait pas partie du monde
du travail mais interagit fortement avec lui (en termes d’horaires, d’organisation, de manage-
ment) ; sa prise en compte relève du champ de la responsabilité élargie de l’employeur. Le
concept peut déranger : en effet, à repousser toujours plus les frontières de la responsabilité
de l’employeur, on peut se demander jusqu’où cette histoire s’arrêtera. Ce serait oublier que
dès que l’on parle de responsabilité élargie, ou sociétale, nous entrons dans le domaine de
la co-responsabilité. Nous sommes donc tous en responsabilité de la qualité de vie au travail,
parties prenantes institutionnelles ou individus au quotidien. Nous somme tous moteurs, tous
relais, voire parfois victimes ou bourreaux…
Il s’agit de traiter d’une réalité, sans déni ni tabou, celle du désengagement, parfois du mal-
être, ou même de la souffrance au travail, mais aussi d’en cerner les leviers sous-jacents de
créativité, de qualité, d’innovation. Un terrain qui rapproche chefs d’entreprise et salariés ou
agents. Car derrière ces notions, c’est de l’ingéniosité humaine dont on parle, et ainsi des
leviers d’une performance qui s’inscrit dans la durée. La sensibilisation des décisionnaires
à la qualité de vie au travail est déterminante. En effet, elle pousse les directions à intégrer
systématiquement les paramètres humains dans leurs critères décisionnels, non seulement
dans une approche risques mais aussi dans une logique d’opportunité.
7. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 7
Quel sont les ingrédients d’un collectif qui fonctionne, d’une organisation qui réussit ? Ils produi-
sent une alchimie difficile à décrire, certainement une certaine « qualité (de vie) au travail »…
Dans cette perspective, nous vous proposons ici de revenir sur le nouvel ANI et ses enjeux,
de comprendre ce coût additionnel de la non-qualité de vie au travail et de répertorier les
actions mises en œuvre dans les sphères publique et privée pour enrayer ce phénomène.
Notre objectif est de vous donner des repères pour la réflexion et l’action sur un sujet qui
nous concerne tous.
Audrey BARBE
Responsable de la practice RPS
BPI group
8. 8 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
9. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 9
La négociation
interprofessionnelle
de 2013
Chapitre
1La négociation sur « l’amélioration de la qualité de
vie au travail et de l’égalité professionnelle » a abouti
le 19 juin à un Accord national interprofessionnel qui a
été validé début juillet parce que signé par trois des cinq
organisations syndicales de salariés – CFDT, CFE-CGC et CFTC – qui totalisent
plus de 50 % des suffrages exprimés lors des élections professionnelles, seuil
nécessaire à la validité d’un accord. De même que pour l’ANI du 11 janvier
2013 sur la sécurisation de l’emploi et contrairement à ce qui était prévu, la
CGT (pas plus que FO) n’a signé l’accord.
Cette négociation, lancée lors de la grande conférence sociale de juillet 2012,
qui devait être conclue le 8 mars 2013 (pour la journée de la femme), aura fina-
lement abouti dans les semaines qui ont suivi la seconde conférence sociale
des 20 et 21 juin 2013.
Une histoire des relations sociales qui encourage la négociation
La négociation sur l’amélioration de la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle
s’inscrit dans un contexte social très actif. En effet, depuis 2007, la méthode de négociation
est à l’honneur. La loi LARCHER du 31 janvier 2007, dite de modernisation du dialogue
social, prévoit que tout projet gouvernemental impliquant des réformes dans les domaines des
relations du travail, de l’emploi ou de la formation professionnelle, doit d’abord comporter une
phase de concertation avec les partenaires sociaux ; la réforme de la représentativité en
2008, puis la volonté affichée par le gouvernement Ayrault de mettre à l’honneur la méthode
de la négociation sociale, fidèle à l’idéal de la deuxième gauche, vont dans le même sens.
Il faut noter également que la négociation sur « l’amélioration de la qualité de vie au travail et
de l’égalité professionnelle » a été précédée par la publication du Rapport GALLOIS, Pacte
pour la compétitivité de l’industrie française1
, remis le 5 novembre 2012 au premier ministre,
dont un chapitre entier est consacré au « pacte social » et appelle à un accroissement du rôle
du dialogue social dans l’entreprise. Elle se situe aussi dans le sillage de la négociation sur
la sécurisation de l’emploi, menée entre octobre 2012 et janvier 2013, qui a donné lieu à un
Accord national interprofessionnel signé le 11 janvier 2013 par les organisations patronales
et trois organisations syndicales sur cinq (CFDT, CFE-CGC, CFTC) et transcrit dans la loi
n°013-504 du 14 juin 2013.
Hervé GARNIER, chef de file de la délégation CFDT, déclarait en février 2013 que la « (…)
négociation qualité de vie au travail-égalité professionnelle est (…) le prolongement de la
négociation sur la sécurisation de l’emploi. Ce sont les deux faces d’une même pièce : d’un
côté, il s’agissait de traiter de l’emploi ; de l’autre, il s’agit de traiter du travail. Les deux sont
complémentaires, et d’une égale importance sur le fond, car il ne peut y avoir d’emploi
sans qualité de vie au travail.2
»
1) http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/
fichiers_joints/rapport_de_louis_gallois_sur_la_
competitivite_0.pdf
2) http://www.cfdt.fr/jcms/prod_133079/il-ne-
peut-y-avoir-demploi-sans-qualite-de-vie-au-
travail
10. 10 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
A noter enfin que le sujet a bénéficié d’un retentissement médiatique supplémentaire, avec
la parution, le 10 avril 2013, du « Projet d’avis sur la Prévention des risques psychoso-
ciaux » présenté au Conseil économique, social et environnemental par Mme Sylvie BRUNET
et l’introduction dans les débats, lors de la seconde conférence sociale, du thème de la
santé mentale.
Les thèmes de la négociation 2013
La négociation portait sur un champ particulièrement vaste – la qualité de vie au travail – dans
lequel le Gouvernement avait inclus l’égalité professionnelle.
Pour les syndicats de salariés, l’enjeu global était d’impulser une dynamique de dialogue
dans les entreprises sur les conditions du travail. Ils voulaient notamment voir « revalorisé le
droit d’expression des salariés3
» et être associés plus en amont aux réflexions sur l’organi-
sation du travail. Les discussions portaient sur l’éventuelle création de nouveaux lieux de
dialogue, l’information des institutions représentatives du personnel (CE, DP) et surtout le
renforcement du rôle des CHSCT.
D’autres sujets étaient également sur la table selon un premier document de travail proposé
par les représentants patronaux, comme l’encadrement du recours aux nouvelles tech-
nologies (mails, téléphones et ordinateurs portables) pour éviter l’intrusion permanente du
travail dans la vie personnelle, la formation des managers intermédiaires et la mise en place
d’indicateurs sur la qualité de vie au travail.
Les lois AUROUX
Dans le rapport qui avait précédé ses lois, Jean AUROUX avait eu cette jolie formule : « L’entreprise ne peut plus être le lieu
du bruit des machines et du silence des hommes ».
Pour mémoire, c’est la première de ces lois relatives aux libertés des travailleurs dans l’entreprise en date du 4 août 1982 qui
organise, notamment, le droit à l’expression directe des salariés sur le contenu et l’organisation de leur travail. (L. no
82-689, 4 août, JO 6 août).
A la faveur de cette recherche d’amélioration de la qualité de vie au travail, l’expression directe des salariés revient au premier
plan. Les transformations du travail – devenu plus complexe, plus fragmenté, plus tourné vers un résultat et dans le même temps
moins défini, moins stable – nécessitent d’ouvrir de nouveaux espaces pour le dialogue, la parole mais aussi pour la « controverse
sur le travail » chère à Yves CLOT (voir ci-après).
Il faut souligner la complexité de cette négociation. D’abord, en raison de sa thématique qui
englobait des sujets faisant l’objet d’accords déjà signés (comme le stress, le harcèlement,
l’égalité salariale, la santé au travail, la pénibilité, la durée du travail...) ; ensuite parce que
quelques thèmes étaient abordés directement par certains ministères comme les congés
parentaux et l’égalité professionnelle ; enfin parce que d’autres thèmes étaient intégrés à
d’autres négociations, c’était le cas, par exemple, du temps partiel qui a été traité par la loi
du 14 juin sur la sécurisation de l’emploi.
A noter enfin que cette négociation s’est située dans un contexte particulier. Sur les huit
parties prenantes, quatre renouvelaient leur dirigeant. Laurent BERGER a remplacé François
CHEREQUE, au secrétariat général de la CFDT, le 29 novembre 2012. Thierry LEPAON a
succédé à Bernard THIBAULT au secrétariat général de la CGT, le 22 mars 2013. Carole
COUVERT a été élue présidente de la CFE-CGC, le 17 avril. Et enfin, le 3 juillet, Pierre GATTAZ
a succédé à Laurence PARISOT à la présidence du MEDEF.3) Première des 4 « Lois Auroux » de 1982,
voir encadré.
11. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 11
Si l’on ajoute à ce contexte, le fait que l’accord n’était pas simple à écrire en raison de la
multiplicité des thèmes soulevés, sans compter celui de l’égalité professionnelle introduit par
le ministère des droits des femmes, on comprendra que la négociation ait mis du temps à
avancer et à aboutir.
Position des acteurs – Cadre de référence
Les organisations syndicales de salariés ont effectué un important travail en amont de la négociation, dans l’objectif de montrer
leur rapprochement après la division qui est apparue au moment du vote de l’ANI du 11 janvier 2013 entre un bloc de syndicats
dits « majoritaires » et réformistes (CFDT, CGC-CFE et CFTC) et des syndicats plus contestataires (CGT et FO). Ce travail aura
porté ses fruits en partie, scellant le rapprochement lors de la négociation entre la CFDT et la CGT, toutes deux signataires avec
la CFE-CGC et la CFTC du socle commun publié le 22 février4
; FO qui n’a pas signé le socle commun semblait alors néanmoins
vouloir se rapprocher des autres syndicats de salariés.
La volonté partagée était de traiter de la question de la qualité du travail et pas seulement de la qualité de vie au travail. Puisque
la qualité du travail soulève un problème récurrent souligné par le patronat, celui du désengagement des salariés, le moment
était peut-être propice pour avancer dans cette voie.
Pour résumer les enjeux, aux yeux des syndicats, étaient les suivants :
• Obtenir de nouveaux droits liés à l’expression directe des salariés ;
• Traiter de l’organisation du travail ;
• Aborder le sujet de la conciliation des temps ;
• S’assurer que, derrière les mots, le quotidien des salariés change ;
• Obtenir des droits pour tous, y compris dans l’entreprise « étendue » à ses sous-traitants, partenaires ou fournisseurs ;
• Accepter pour les organisations syndicales de se remettre en question elles-mêmes.
Du côté patronal, Benoît ROGER-VASSELIN pour le MEDEF reconnaissait en février 2013 qu’il existe « une réticence des
entreprises à travailler sur la qualité de vie au travail dans la période actuelle », la thématique étant plus un sujet pour une période
de croissance (…) « notre sentiment est qu’il y a une attente de contraintes nouvelles pour les entreprises, or nous voudrions
arriver à améliorer les choses (...) sans que cela se traduise par de nouvelles contraintes ».5
L’Accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 « vers une politique de qualité de vie
au travail et de l’égalité professionnelle »
Après plus de 9 mois de négociation, les partenaires sociaux ont finalement abouti à un
accord6
, non sans avoir procédé jusqu’au bout à des ajustements et des concessions.
L’accord est conclu pour une durée déterminée de 3 ans et, se félicite la CFDT, « reposera
avant tout sur la capacité (des organisations syndicales) à faire vivre la dynamique dans les
entreprises, les branches et les territoires pour vraiment changer le quotidien des salariés7
».
En effet, il n’est pas certain que l’ANI soit transposé dans une loi, ses mesures se présentent
plus comme des bonnes pratiques et des appels à expérimentation. Certains considèrent ce
procédé en phase avec le sujet « la QVT ne se décrète pas, elle se co-construit8
», et porteur
de vraies évolutions dans les relations sociales de l’entreprise.
4) Voir annexe 1
5) http://lentreprise.lexpress.fr/gestion-entreprise/
la-negociation-sur-la-qualite-de-vie-au-travail-
patine-toujours-selon-les-syndicats_39776.html
6) Voir annexe 2
7) http://www.cfdt.fr
8) Pour reprendre les propos de O. HOEFFEL sur
le site de miroir social http://www.miroirsocial.
com/actualite/8950/un-grand-pas-pour-la-qualite-
de-vie-au-travail
12. 12 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
La qualité de vie au travail s’intègre dans la négociation d’entreprise
L’accord prévoit la possibilité pour les entreprises de mettre en place une négociation sur la
qualité de vie au travail regroupant les autres obligations de négocier déjà existantes participant
de la démarche qualité de vie au travail (stress, harcèlement,...). Dans ce cas, l’accord serait
conclu pour 3 ans et devrait être majoritaire.
Des espaces de discussion sont ouverts dans les entreprises
Les partenaires sociaux incitent les entreprises à mettre en place des groupes de travail entre
salariés d’un service en présence ou non d’un référent métier ou d’un facilitateur, éventuelle-
ment à l’initiative d’un manager de proximité. Les restitutions seraient ensuite transmises à la
hiérarchie et aux représentants du personnel, libre à l’employeur d’en tirer les conséquences
en terme d’organisation du travail.
Un diagnostic préalable permet de spécifier les thèmes de négociation retenus
La réalisation d’un diagnostic préalable partagé doit faire l’objet d’une information des salariés.
Sa mise en œuvre suit une méthodologie qui favorise leur participation et la confiance. Ce
diagnostic doit permettre de déterminer les enjeux propres à l’entreprise en matière de qualité
du travail, de qualité de vie au travail et de conciliation des temps. Qualitatif et quantitatif, il
doit être établi selon des modalités réalisables quelle que soit la taille de l’entreprise. Pour la
réalisation de ce diagnostic, les partenaires sociaux peuvent faire appel à des organismes
externes.
Des indicateurs dédiés sont mis en place
Ce diagnostic pourra être établi sur la base des outils déjà existants dans l’entreprise, des
informations dont sont destinataires les instances représentatives du personnel tels par
exemple que des indicateurs de santé, suivi de l’absentéisme, impression des salariés, etc.
Qu’elles aient signé ou pas l’accord, toutes les organisations syndicales se félicitent que la
qualité de vie au travail s’inscrive dans le dialogue social.
Pour la CFE-CGC, « cet accord est une chance de réhumaniser le travail ! ».
La CFTC salue la mise en place d’un indicateur de promotion sexué (art 6), ou encore la
possibilité d’aborder dans un entretien la question de la conciliation entre la vie personnelle
et la vie professionnelle (art. 8).
La CGT s’est engagée dans la négociation avec beaucoup d’ambition et veillera à ce que
« soient entendues les paroles des salariés sur le travail, sa qualité et son organisation ». Mais,
déçue par le résultat « une déclaration de bonnes intentions », la centrale a finalement décidé
de ne pas signer l’accord alors qu’elle avait signé le socle commun du 22 février.
FO qui n’a pas signé non plus, reproche à l’accord son absence de contenu normatif ainsi
que la possibilité de voir diluer les revendications syndicales et alléger les contraintes des
entreprises.
13. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 13
Une réelle prise en compte du travail
Les « éléments descriptifs destinés à faciliter l’élaboration d’une démarche de qualité de vie au travail dans le cadre du dialogue
social » qui sont rappelés en annexe de l’Accord sont à ce titre fort prometteurs. Les deux chapitres consacrés à la qualité du
contenu du travail et à la qualité de l’organisation du travail notamment ouvrent sur une réelle prise en compte du travail dans les
discussions à venir.
Extraits de l’annexe à l’article 13 de l’ANI du 19 juin :
La qualité du contenu du travail
• Autonomie
• Variété des taches
• Degré de responsabilité
• Enrichissement des compétences
• Capacité d’expression des salariés
• Sens donné au travail
La qualité de l’organisation du travail
• Qualité du pilotage
• Capacité d’appui de l’organisation dans la résolution des problèmes
• Rôle et appui du management de proximité
• Démarche de progrès
• Anticipation de la charge de travail pour sa gestion optimale
• Organisations apprenantes
• Conséquences de l’impact de la généralisation des nouvelles technologies de l’information et de communication (distinction
des temps de travail liés aux moyens électroniques tels que e-mails à distance, portable…)
• Anticipation des conséquences des mutations et restructurations des entreprises sur la qualité de vie au travail et l’emploi
14. TRIBUNE
La qualité de vie au travail, au-delà des bonnes intentions.
Refonder le pacte social dans l’entreprise
Le Monde du 23 juillet 2013
Philippe BIGARD
Directeur de l’Institut du Leadership – BPI group
La conférence sociale des 20 et 21 juillet a remis à l’honneur le sujet de « la qualité de vie au
travail ». La signature d’un nouvel accord national interprofessionnel (ANI) sur le sujet semble
acquise après l’approbation des syndicats CFDT, CFE-CGC et CFTC.
Mais d’un ANI (sur la sécurisation de l’emploi) à l’autre (sur la qualité de vie au travail), le
parallélisme des formes pourrait être trompeur. Car si l’ANI du 11 janvier avait une portée
normative – il a d’ailleurs été transposé dans la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin –,
l’ANI à venir se propose plutôt de valoriser des bonnes pratiques de façon incitative et pour
une durée déterminée.
Ce regain d’intérêt pour le travail même, sa qualité, les conditions de sa réalisation, ne peut
que réjouir tous ceux qui appellent de leurs vœux un retour au travail réel, un réinvestissement
massif sur le cœur même de ce qui le constitue : la qualité, l’envie de bien faire ou, mieux,
l’amour de la belle ouvrage comme on disait autrefois.
Mais il comporte également un risque majeur : celui de se complaire à une vision lénifiante de
l’entreprise et de tourner au concours de beauté, passant du « green » au « social washing »,
et contribuant ainsi à accroître encore les malentendus entre salariés et directions.
Le thème de la qualité de vie au travail s’est imposé à la suite de la crise des risques psycho-
sociaux (RPS), qui a atteint son apogée avec le dénombrement macabre des suicides chez
France Télécom. Le stress professionnel et ses possibles dérives, de la souffrance au travail
jusqu’au « burn-out », mal du siècle selon certains, font depuis un peu moins de dix ans
l’objet d’une attention particulière.
Il faut dire que les enquêtes témoignent avec une constance remarquable du fait qu’un quart
environ de la population salariée européenne dit souffrir de stress professionnel. Les dernières
statistiques en France, qui se classe parmi les derniers de la classe européenne, culminent à
27,5%. Le coût pour notre économie s’évalue à 3 milliards d’euros au minimum. Le prix de
la souffrance, lui, ne se mesure pas. Le problème n’est, on le voit, pas mince !
La qualité de vie au travail n’est-elle qu’une façon plus positive d’approcher le même type
de problèmes, plutôt que par leur face obscure ? Ne s’agit-il que de s’intéresser au bien-
être plutôt qu’au mal-être, au bonheur plutôt qu’aux souffrances auxquels le travail peut
conduire ? De « positiver », en somme, comme le recommandent publicitaires et gourous du
développement personnel ?
Certaines entreprises affirment s’emparer de ce thème en mettant à la disposition des salariés
des services tels que garde d’enfants, pressing, cordonnerie ou conciergerie d’entreprise. Tout
est fait pour faciliter la vie de jeunes athlètes du travail, incités par ailleurs à se montrer ultra
performants en toutes circonstances. On notera ici que ce qu’on présente comme nouveau
ne fait au fond que reprendre les vieilles ficelles du paternalisme d’autrefois, celui des Michelin,
Moulinex ou Schneider au XIXe
ou au XXe
, avant les chocs pétroliers.
Mais c’est aussi prendre le risque de ne pas traiter les vrais problèmes liés aux transformations
du travail lui-même, à ses nouvelles formes, à son organisation, à son environnement, aux
14 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
15. conditions dans lesquelles il s’exerce, et plus encore au système relationnel de plus en plus
complexe dans lequel il s’inscrit. En passant des RPS à la QVT, ne risque-t-on d’alimenter
une forme de déni ou d’hypocrisie bien-pensante ?
La prise en compte d’une dimension morale des risques professionnels n’est en réalité pas
nouvelle. Dès 1840, le docteur Villermé, pionnier de la médecine du travail, dresse dans son
Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de laine,
de coton et de soie9
un portrait saisissant de la dureté physique ainsi que de la misère morale
de la condition ouvrière à l’époque de L’Assommoir.
Cela nous semble évidemment bien loin. Mais en sommes-nous au fond si éloignés aujourd’hui
avec la prise en compte des problèmes d’addiction dans l’entreprise, souvent partie intégrante
des plans d’action QVT dans les grands groupes ?
Si ces questions se posent (ou se reposent) aujourd’hui avec cette acuité, c’est parce que
c’est tout un modèle qu’il s’agit de repenser et de reconstruire. Le compromis fordiste est,
on le sait, caduc. L’insécurité, subie ou redoutée, mine le moral des travailleurs et pollue
inexorablement les relations de travail. La défiance s’installe. Et le divorce entre des méthodes
de gouvernance technocratique, la gestion individualisée à outrance de la performance et le
« vrai travail », est amplement consommé.
Au vrai, si ce thème de la refondation du pacte social s’est imposé depuis peu, c’est bien
parce qu’on en est revenu à une forme « d’état de nature » dans les relations de travail,
soumises au règne du plus fort et marquées par des formes de violence plus ou moins
larvée. Communauté artificielle (par différence avec les communautés naturelles, comme la
famille, ou électives comme les amis), l’entreprise est une communauté où se confrontent
des logiques d’intérêt souvent divergentes au service de finalités communes. Cela appelle à
l’invention de nouveaux paradigmes en matière de management, de gestion des ressources
humaines et de démocratie sociale.
Le risque, c’est de passer trop vite d’un diagnostic largement partagé à des actions pleines
de bonnes intentions, mais dont la mise en œuvre ne saurait aboutir sans une remise en
question en profondeur du fonctionnement actuel des relations de travail.
La perspective est ambitieuse sans doute, prométhéenne peut-être. En attendant, chacun de
nous peut et doit cultiver sans relâche un nouveau type de compétences : après les savoirs,
les savoir-faire et les savoir-être, c’est un nouveau savoir-vivre ensemble au travail dont il
devient chaque jour plus urgent de faire l’apprentissage.
9) Réédité en 1986, sous le titre Tableau de l’état
physique et moral des salariés en France.
Ed La Découverte
Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 15
16. 16 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
17. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 17
Des risques psychosociaux
à la qualité de vie au
travail, état des lieux
Chapitre
2La qualité de vie au travail est une préoccupa-
tion devenue incontournable dans la gestion des
ressources humaines. Il est intéressant de se rappeler
comment le sujet a fait une entrée aussi remarquable dans les
préoccupations des entreprises ainsi que d’analyser les termes employés pour
le décrire et leurs évolutions.
Pourquoi et comment le sujet a-t-il émergé avec autant de force ?
Trois ouvrages qui font date
En 1996, la parution de l’essai de Viviane FORRESTER L’Horreur économique10
qui critique
férocement l’ultralibéralisme annonçant l’extinction du travail et l’exclusion des travailleurs,
puis en 1998, la parution des ouvrages de Christophe DEJOURS, Souffrance en France - la
banalisation de l’injustice sociale11
, et de Marie-France HIRIGOYEN, Le Harcèlement moral :
la violence perverse au quotidien12
, favorisent la prise de conscience par le grand public d’un
phénomène bien réel en entreprise : le travail peut être source de mal-être voire de souffrance.
Ces trois ouvrages deviennent vite des best sellers touchant un lectorat inhabituel pour ce
genre de livres. Les notions de souffrance, de harcèlement, de stress au travail sont depuis
régulièrement relayées dans les cercles professionnels et dans les médias grand public.
Les suicides au travail
C’est dans ce contexte qu’intervient le phénomène des suicides liés au travail chez France
Telecom13
et Renault notamment en 2009 et, plus récemment à La Poste, créant un très fort et
très normal retentissement médiatique. Le problème se pose avec une acuité particulière : même
s’il n’existe pas de statistiques précises sur les suicides liés au travail, personne ne peut nier que
des questions professionnelles peuvent entraîner des suicides. Selon DURKHEIM, le suicide est
un « construit social » indéniable14
. Alors que « le nombre de suicides qualifiés d’accidents du
travail par la CNAMTS (Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés) évoluerait
entre 15 et 20 par an15
» , l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail)
estime que sur les 11 000 cas annuels en France, 300 à 400 seraient imputables au travail16
.
Depuis 2007, un objet de politiques publiques
A partir de 2007, l’Etat érige le stress au travail au rang de ses priorités17
Des réflexions
et travaux parlementaires sont menés rassemblant autour de ces sujets élus et personna-
lités qualifiées. Ainsi la Mission de réflexion de l’Assemblée nationale sur « La Souffrance
au travail18
» qui rend ses conclusions en décembre 2009, ou la Commission des affaires
sociales du Sénat qui publie un rapport sur « Le Mal-être au travail19
» riche en propositions
pour améliorer la prise en charge des RPS, ou encore la Commission des affaires sociales de
l’Assemblée nationale qui dresse un état des lieux des « Risques psychosociaux au travail20
».
10) Fayard, 1996
11) Le Seuil, 1998
12) La Découverte & Syros, 1998
13) En septembre 2009, 32 cas de suicides
sur les 24 derniers mois étaient signalés
chez France Telecom
14) DURKHEIM défend l’idée selon laquelle le
suicide, dont on pourrait penser de prime abord
qu’il est déterminé par des raisons relevant de
l’intime, du psychologique, est également éclairé
par des causes sociales, des déterminants
sociaux. Le Suicide, 1897
15) Cf. Projet d’avis sur La Prévention des risques
psychosociaux, CESE, 2013
16) Statistiquement parlant, le nombre de suicides
survenus récemment dans certaines très grandes
entreprises reste dans la « norme »
17) Un site internet est ouvert :
http://www.travailler-mieux.gouv.fr
18) Assemblée nationale, décembre 2009
19) Sénat, juillet 2010
20) Assemblée nationale, mai 2011
18. 18 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
Un 1er
plan d’urgence pour la prévention du stress au travail a été lancé en octobre 2009
par Xavier DARCOS, ministre du travail qui, en parallèle, demande aux entreprises de plus de
1 000 salariés de signer des accords sur la prévention du stress au travail. Les entreprises
mandatent des cabinets spécialisés dans les risques psychosociaux. En novembre 2010, la
profession s’organise : la Fédération des Intervenants en Risques Psychosociaux (FIRPS)
est créée, chargée de garantir son éthique et sa déontologie.
A noter enfin que les grandes Conférences sociales de juillet 2012 puis de juin 2013 ont
toutes les deux inscrit à leur agenda les sujets de l’égalité professionnelle et de l’amélioration
de la qualité de vie au travail.
La deuxième grande Conférence sociale
La deuxième grande conférence sociale pour l’emploi s’est tenue les 20 et 21 juin 2013 au Palais d’Iéna. Ouverte par le Président
de la République, clôturée par le Premier ministre, elle a réuni plus de 300 participants, représentants des organisations syndicales,
d’employeurs et des collectivités territoriales. Une feuille de route a été établie pour 2013 à partir des travaux menés durant ces
deux jours21
.
La table ronde n°2, animée par Najat Vallaud-Belkacem et Alain Vidalies, était ainsi définie : « Améliorer les conditions de travail,
prévenir les risques et améliorer la santé des salariés » ; les participants à cette table ronde ont souligné le besoin d’une vision
partagée de l’articulation entre les dispositifs de veille, de prévention et de réparation des risques et maladies professionnelles.
Dès la rentrée, le Comité d’orientation des conditions de travail (COCT) définira la démarche permettant de réaliser un bilan
provisoire du Plan Santé au travail 2 et de préparer le Plan Santé au Travail 3 (2015-2019).
Deux Accords nationaux interprofessionnels
Les partenaires sociaux eux aussi s’emparent du sujet. Des accords cadres européens sont
suivis par des négociations interprofessionnelles en France. Ainsi, il convient de signaler deux
Accords nationaux interprofessionnels signés à l’unanimité des syndicats d’employeurs
et de salariés.
L’ANI sur le stress au travail signé en juillet 200822
. Cet ANI transpose et élargit l’accord
cadre européen sur le stress signé en octobre 200423
. Il propose des pistes d’actions et ouvre
des perspectives pour la négociation et la prévention en entreprises. Ainsi, l’accord rappelle
que, dès qu’un problème de stress au travail est identifié, une action doit être entreprise
pour le prévenir, l’éliminer ou à défaut le réduire. La responsabilité en incombe à l’employeur.
L’ANI sur le harcèlement et la violence au travail, signé en mars 201024
. Cet accord, qui
transpose l’accord européen signé le 15 décembre 200625
, a « pour objectifs :
ƒƒ d’améliorer la sensibilisation, la compréhension et la prise de conscience des employeurs,
des salariés et de leurs représentants à l’égard du harcèlement et de la violence au travail
afin de mieux prévenir ces phénomènes, les réduire et si possible les éliminer ;
ƒƒ d’apporter aux employeurs, aux salariés et à leurs représentants, à tous les niveaux, un
cadre concret pour l’identification, la prévention et la gestion des problèmes de harcèle-
ment et de violence au travail.
Cet accord stipule qu’aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement
qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible
de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de
compromettre son avenir professionnel.
De même, aucun salarié ne doit subir des agressions ou des violences dans des circonstances
liées au travail, qu’il s‘agisse de violence interne ou externe.
21) http://www.emploi.gouv.fr/files/files/Feuille_
de_route_sociale_2013_VF.pdf
22) http://www.anact.fr/web/publications/
NOTINMENU_affichage_document?p_
thingIdToShow=2040548
23) Bref social n° 14156 du 14 juin 2004
24) http://www.travailler-mieux.gouv.fr/IMG/pdf/
accord-harcelement-violence-2010.pdf
25) Bref social n° 14857 du 23 avril 2007
19. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 19
En conséquence, l’employeur prend toutes les mesures nécessaires en vue de prévenir de
tels agissements :
ƒƒ Les entreprises doivent clairement affirmer que le harcèlement et la violence au travail ne
sont pas admis. Cette position qui peut être déclinée sous la forme d’une « charte de
référence » précise les procédures à suivre si un cas survient. Les procédures peuvent
inclure une phase informelle, durant laquelle une personne ayant la confiance de la direc-
tion et des salariés est disponible pour fournir conseils et assistance.
ƒƒ La diffusion de l’information est un moyen essentiel pour lutter contre l’émergence et
le développement du harcèlement et de la violence au travail. A cet effet, la position
ci-dessus, lorsqu’elle fait l’objet d’un document écrit ou de la « charte de référence », est
annexée au règlement intérieur dans les entreprises qui y sont assujetties. »
Les rapports des experts
Des études sont commandées à des experts et bénéficient elles aussi d’une large audience.
Citons notamment le Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques
psychosociaux au travail, commandé par Xavier BERTRAND, ministre du travail, à Philippe
NASSE et Patrick LEGERON (2008).
Ce texte « fondateur » recommande la constitution d’un Collège d’expertise sur le suivi
statistique des risques psychosociaux au travail. Mis en place par l’INSEE et présidé
par Michel GOLLAC26
, le Collège d’expertise a été formé en 2008 à la demande de Xavier
BERTRAND. Il réunit des experts des principales disciplines des sciences humaines. Il
comprend des économistes, des ergonomes, des épidémiologistes, un chercheur en gestion,
des chercheurs en médecine du travail, des psychologues et psychiatres, des sociologues
et des statisticiens. Il remettra en 2011 la version finale de son rapport, intitulé Mesurer les
facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser. Celui-ci propose un dispo-
sitif de suivi des risques pour la santé mentale provoqués par certaines conditions d’emploi,
d’organisation, et de relations au travail. Il préconise notamment de mettre en place des
indicateurs nationaux pour suivre six types de facteurs de risques psychosociaux au travail
(voir ci-après).
En février 2010, paraît le rapport commandé à Henri LACHMANN, Christian LAROSE, Muriel
PENICAUD, « Rapport sur le bien-être et l’efficacité au travail – 10 propositions pour
améliorer la santé psychologique au travail». La pertinence de ce rapport tient sans doute
à la diversité de ses auteurs, issus du monde de l’entreprise pour H. LACHMANN (Président
du conseil de surveillance de Schneider Electric) ou M. PENICAUD (Directrice générale des
ressources humaines de Danone) et du syndicalisme pour C. LAROSE (Vice-président du
Conseil économique, social et environnemental, ex secrétaire général de la Fédération CGT
du textile).
Enfin, en juin 2013, paraît l’avis du CESE sur la prévention des risques psychosociaux,
déjà cité et sur lequel nous reviendrons.
26) Directeur du Laboratoire de Sociologie
quantitative du Centre de recherche en économie
et statistique (CREST)
20. 20 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
Les 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au
travail du Rapport LACHMANN, LAROSE, PENICAUD
1
L’implication de la direction générale et de son conseil d’administration
est indispensable. L’évaluation de la performance doit intégrer le facteur
humain, et donc la santé des salariés.
2 La santé des salariés est d’abord l’affaire des managers, elle ne s’externalise
pas. Les managers de proximité sont les premiers acteurs de santé.
3 Donner aux salariés les moyens de se réaliser dans le travail. Restaurer des
espaces de discussion et d’autonomie dans le travail.
4 Impliquer les partenaires sociaux dans la construction des conditions de santé.
Le dialogue social, dans l’entreprise et en dehors, est une priorité.
5 La mesure induit les comportements. Mesurer les conditions de santé et sécu-
rité au travail est une condition du développement du bien-être en entreprise.
6 Préparer et former les managers au rôle de manager. Affirmer et concrétiser la
responsabilité du manager vis-à-vis des équipes et des hommes.
7
Ne pas réduire le collectif de travail à une addition d’individus. Valoriser la
performance collective pour rendre les organisations de travail plus motivantes
et plus efficientes.
8
Anticiper et prendre en compte l’impact humain des changements. Tout projet
de réorganisation ou de restructuration doit mesurer l’impact et la faisabilité
humaine du changement.
9 La santé au travail ne se limite pas aux frontières de l’entreprise. L’entreprise a
un impact humain sur son environnement, en particulier sur ses fournisseurs.
10 Ne pas laisser le salarié seul face à ses problèmes. Accompagner les salariés
en difficulté.
21. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 21
Des RPS à la qualité de vie au travail, données, définitions, obligations
Les risques psychosociaux pourraient constituer demain les risques majeurs dans les entre-
prises comme dans les administrations, venant ainsi se substituer aux risques physiques,
biologiques et chimiques aujourd’hui assez bien circonscrits. Les facteurs de risques psycho-
sociaux sont le stress, mais aussi le harcèlement moral ou sexuel, la violence interne ou
externe, les traumatismes après agression.
De quelles données dispose-t-on ?
Parmi les enquêtes fournissant des données intéressantes sur l’exposition aux RPS en
France, citons :
ƒƒ L’Enquête Conditions de Travail (ECT)27
, lancée en 1978 par la DARES (la direction
de l’animation de la recherche, des études et des statistiques qui dépend du ministère
du travail, de l’emploi et de la santé et du ministère de l’économie, des finances et de
l’industrie), puis reconduite en 1984, 1991, 1998, 2005 et 2012. Cette enquête mesure
les conditions de travail telles qu’elles sont perçues par les salariés (et depuis peu par les
non-salariés). Cette enquête, qui n’a lieu que tous les 7 ans, s’inspire des deux modèles
de stress les plus répandus, les modèles de KARAZEK et de SIEGRIST (voir ci-dessus) ;
ƒƒ L’enquête Santé et itinéraire professionnel (SIP)28
, lancée fin 2006 et renouvelée en
2010, témoigne d’une prise en compte grandissante des RPS dans les enquêtes sur les
conditions de travail. Il s’agit d’un questionnement rétrospectif qui vise à repérer les prin-
cipaux changements de l’état de santé au regard des situations de travail décrites dans
leurs durées et leurs discontinuités. Pour chacun des emplois occupés par la personne
enquêtée au cours de sa vie professionnelle, on retrouve de nombreuses modalités
correspondant à des dimensions propres aux RPS ;
ƒƒ L’enquête Surveillance médicale des risques (SUMER)29
est le seul outil statistique
disponible en France qui fournit une mesure de l’exposition au stress professionnel basée
sur un modèle de référence, le modèle KARAZEK qui permet de produire une mesure du
« job strain ». C’est une enquête transversale qui fournit une évaluation des expositions
professionnelles des salariés. Les données sont recueillies par le médecin du travail.
L’enquête Sumer 2009-2010 a été élargie à titre expérimental à certains secteurs de
la Fonction publique. Elle présente une mesure plus complète des facteurs de RPS en
intégrant la reconnaissance au travail (partie du questionnaire de SIEGRIST). Les premiers
résultats ont été publiés fin 2011 ;
ƒƒ L’enquête Changements Organisationnels et Informatisation (COI)30
. Coordonnée
par le Centre d’études de l’emploi, il s’agit d’une enquête couplée employeurs/salariés
qui fournit une image des changements organisationnels liés à l’informatisation. Elle a été
menée en 2003 et 2006.
ƒƒ A noter aussi l’Enquête sur la qualité de vie réalisée par l’INSEE31
sur la base notam-
ment des indicateurs de qualité de vie retenus par le rapport STIGLITZ : conditions de
vie matérielles, santé, éducation, gouvernance et droits des individus, loisirs et contacts
sociaux, environnement et cadre de vie, sécurité économique et physique et c’est une
première, en 2011, les risques psychosociaux au travail. Sur ce sujet, l’enquête montre
que les RPS vont de pair avec un moindre sentiment de bien-être.
27) http://travail-emploi.gouv.fr/etudes-
recherches-statistiques-de,76/statistiques,78/
conditions-de-travail-et-sante,80/les-enquetes-
conditions-de-travail,2000/
28) http://travail-emploi.gouv.fr/
etudes-recherches-statistiques-de,76/
etudes-et-recherches,77/manifestations-
et-colloques-de-la,99/manifestations-et-
colloques-passes,688/2012-sante-et-
itineraire,14420.html
29) http://travail-emploi.gouv.fr/etudes-
recherches-statistiques-de,76/statistiques,78/
conditions-de-travail-et-sante,80/les-enquetes-
surveillance-medicale,1999/l-enquete-
sumer-2010,15981.html
30) http://www.enquetecoi.net/
31) « L’enquête aborde pour la première fois en
France la question des risques psychosociaux au
travail. Pour les personnes en emploi, il s’agit de
prendre en compte une dimension supplémentaire
ayant trait à leur qualité de vie au travail. À cet
égard, les risques psychosociaux au travail vont
de pair avec un moindre sentiment de bien-
être, et il apparaît que le mal-être au travail ne
se substitue pas au mal-être émotionnel de la
vie courante, mais peut au contraire venir s’y
ajouter. » http://www.insee.fr/fr/themes/document.
asp?ref_id=ip1428#inter3
22. 22 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
En complément à ces enquêtes, de nombreuses études et recherches sont consacrées à
ces sujets de stress, de RPS ou de qualité de vie au travail. Elles sont le fait notamment de
l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), créée en 1973,
sous la tutelle du ministère du travail, dont « la vocation est d’améliorer à la fois la situation
des salariés et l’efficacité des entreprises, et de favoriser l’appropriation des méthodes corres-
pondantes par tous les acteurs concernés. Le réseau de l’ANACT et des ARACT (Agences
régionales pour l’amélioration des conditions de travail) encourage les entreprises à placer
le travail au même niveau que les autres déterminants économiques (produits, marchés,
technologies…) et privilégie la participation de tous les acteurs de l’entreprise (direction,
encadrement, salariés) aux projets de développement.32
»
Les salariés français dénoncent une dégradation de la qualité de vie au travail
Le constat établi par les salariés français en matière de qualité de vie au travail est aujourd’hui assez sombre : en effet, dans
l’enquête réalisée par TNS Sofres pour l’ANACT, les 1 000 salariés actifs et occupés interrogés donnent à leur qualité de vie au
travail la note moyenne de 6.1 sur 10, plus d’un sur cinq optant pour une note inférieure à la moyenne. Outre cette note passable,
68 % estiment que la qualité de vie au travail des Français s’est dégradée au cours des cinq dernières années, près d’un sur deux
(48 %) considérant également que sa propre qualité de vie au travail s’est détériorée depuis le début de son exercice professionnel.
Ce sentiment est particulièrement répandu parmi les salariés du secteur public et les professions intermédiaires, ainsi que parmi
les personnes travaillant au sein d’une grande entreprise et les salariés âgés de 35 à 49 ans.
Une large frange de la population active, et particulièrement au sein des « classes moyennes » et des tranches d’âge intermédiaire,
indique ainsi être touchée par une détérioration notable des conditions de travail.
Celle-ci est principalement imputée au contexte de crise économique entraînant une plus grande pression sur les salariés dans
un contexte d’insécurité accrue et de rigueur salariale.
Étude 2013 pour l’ANACT 33
Une réalité appréhendée d’abord au plan européen
Dès 1975, l’Europe s’est dotée d’institutions visant à mesurer et prévenir les RPS. La
Fondation de Dublin, ou Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie
et de travail34
, est créée en vue de contribuer à la planification et à la mise en place de meil-
leures conditions de vie et de travail en Europe. En 1996, l’Agence européenne pour la
sécurité et la santé au travail (EU-OSHA)35
, plus spécialisée sur les sujets de la santé et de
la sécurité au travail, est créée à Bilbao, en Espagne. L’EU-OSHA réunit des représentants
de la Commission européenne, des gouvernements des États membres, des organisations
d’employeurs et de travailleurs, ainsi que des experts. Sa mission est de contribuer à faire de
l’Europe un lieu de travail plus sûr, plus sain et plus productif. L’Agence mène des activités
de recherche et de développement, diffuse des informations fiables, vérifiées et impartiales
en matière de sécurité et de santé, et organise des campagnes de sensibilisation.
32) http://www.anact.fr/
33) Etude réalisée online du 7 au 17 mai 2013
auprès d’un échantillon de 1 001 salariés actifs
et occupés de 18 ans et plus, issu du panel TNS
Sofres. Y accéder : http://www.anact.fr/web/
actualite/essentiel?p_thingIdToShow=33555605
34) http://www.eurofound.europa.eu/about/
index_fr.htm
35) https://osha.europa.eu/fr/about
23. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 23
Résultats du sondage d’opinion paneuropéen sur la santé et la sécurité dans le cadre professionnel mené
par l’EU-OSHA
Environ la moitié des travailleurs européens (51 %) estiment que le stress lié au travail est courant sur leur lieu de travail, voire
très courant, pour 16 % d’entre eux.
Les femmes semblent plus enclines que les hommes à considérer ce phénomène comme étant commun (54 % contre 49 %),
tout comme le sont les travailleurs de 18 à 54 ans (53 %) par rapport à ceux de 55 ans et plus (44 %).
La perception du stress lié au travail varie en fonction du secteur, les professionnels de la santé et des soins étant les plus
nombreux à considérer que ce problème est courant (61 %, dont 21 % le jugeant comme « très courant»).
La cause la plus courante de stress lié au travail en Europe semble être l’insécurité de l’emploi et les restructurations (72 %),
suivie par les horaires ou la charge de travail (66 %).
Six travailleurs sur dix (59 %) perçoivent les comportements inacceptables, tels que le harcèlement ou l’agressivité, comme une
cause courante de stress lié au travail. Plus rares sont les travailleurs qui perçoivent le manque de soutien des collègues ou
supérieurs hiérarchiques (57 %), le manque de clarté des rôles et responsabilités (52 %) ou le manque de possibilité de gérer les
rythmes de travail (46 %) comme causes courantes de stress lié au travail.
Le stress lié au travail est l’un des principaux défis en matière de santé et de sécurité que doit relever l’Europe et représente un
coût immense en termes de souffrance humaine et de performances économiques. Le sondage montre que la grande
majorité des Européens (86 %) estiment que le respect de bonnes pratiques en matière de santé et de sécurité au travail est
nécessaire pour garantir la compétitivité économique d’un pays. Mais seuls 41 % des travailleurs européens estiment que
ce problème n’est pas correctement pris en charge sur leur lieu de travail, voire pas pris en charge du tout, selon 15 %
d’entre eux.
Source EU-OSHA 36
Une approche physiologique du stress au travail
Selon Hans SELYE37
, « Le stress est la réaction de l’organisme face aux modifications,
exigences, contraintes ou menaces de son environnement en vue de s’y adapter ». Face à
une situation stressante, le « syndrome général d’adaptation » fait que l’organisme traverse
trois phases successives : un état d’alarme, puis de résistance et enfin d’épuisement.
Réaction d’alarme. Dès la confrontation à une situation évaluée comme stressante, des
hormones sont libérées par l’organisme. Ces hormones ont pour effet d’augmenter la
fréquence cardiaque, la tension artérielle, les niveaux de vigilance, la température corporelle
et de provoquer une vasodilatation des vaisseaux des muscles. Toutes ces modifications ont
pour but de préparer l’organisme à réagir.
Résistance. Après l’alarme, un second axe neuro-hormonal est activé, préparant l’organisme
aux dépenses énergétiques que nécessitera la réponse au stress. De nouvelles hormones,
les glucocorticoïdes, sont sécrétées : elles augmentent le taux de sucre dans le sang pour
apporter l’énergie nécessaire aux muscles, au cœur et au cerveau.
Épuisement (ou burn-out). Si la situation stressante se prolonge encore ou s’intensifie, les
capacités de l’organisme peuvent être débordées : c’est l’état de stress chronique. Pour faire
face à la situation, l’organisme produit toujours plus d’hormones. Le système de régulation
devient inefficient. L’organisme, submergé d’hormones, est en permanence activé. Il s’épuise.
36) Sondage d’opinion sur la sécurité et la santé
au travail menée auprès de travailleurs à temps
plein, à temps partiel ou indépendants par Ipsos
MORI qui a réalisé des sondages dans 31 pays
européens (les 27 États membres actuels ainsi
que l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la
Suisse) et mené un total de 16 622 interviews
entre le 23 novembre 2012 et le 5 février 2013.
37) Hans SELYE (1907-1982), pionnier des études
sur le stress, est le fondateur et le directeur de
l’Institut de médecine et chirurgie expérimentale
de l’Université de Montréal.
24. 24 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
Deux modèles d’analyse
Deux modèles théoriques sont couramment utilisés dans l’analyse des facteurs de risques
psychosociaux : les modèles mis au point par deux chercheurs Robert KARAZEK38
et
Johannes SIEGRIST39
. Les apports de ces deux chercheurs sont notamment repris sous
forme de questionnaire dans le cadre des diagnostics sur les RPS pour mesurer l’effet des
facteurs psychosociaux de l’environnement de travail sur la santé des travailleurs : il s’agit
des modèles KARAZEK et SIEGRIST.
Le modèle de KARAZEK (appelé Job strain model en anglais) est le plus utilisé pour mesurer
les contraintes psychosociales au travail. Il a deux principales composantes : la demande
psychologique qui porte sur la charge de travail, les exigences intellectuelles et les contraintes
de temps ; la latitude décisionnelle qui combine le développement des compétences et
l’autorité décisionnelle. Le modèle part du postulat qu’une demande psychologique élevée,
une faible latitude décisionnelle ou, à plus forte raison, la combinaison des deux, constituent
des facteurs de risque pour la santé des travailleurs. Le soutien social est une troisième
composante qui s’évalue en mesurant l’aide apportée par les collègues de travail et/ou supé-
rieurs hiérarchiques ainsi que la coopération au travail. Cette composante peut atténuer – ou
renforcer – le déséquilibre.
Le modèle de SIEGRIST repose sur le principe de réciprocité des efforts et de la recon-
naissance, ce qui signifie que les efforts fournis devraient être récompensés selon des
modalités socialement définies (argent, estime, promotion, sécurité de l’emploi). Le modèle
part du postulat qu’il y a un risque pour la santé du travailleur lorsque les efforts fournis sont
plus élevés que la reconnaissance reçue. Ce modèle a l’avantage d’inclure une dimension
individuelle dans l’évaluation des contraintes psychosociales au travail. Cependant, parce qu’il
évalue la réciprocité des échanges uniquement dans un contexte formel (tel que le contrat de
travail), le modèle ne permet pas de mesurer les effets de certaines contraintes psychosociales
telles que le climat des relations managériales ou interpersonnelles au travail.
38) Robert KARAZEK, sociologue, est professeur
à l’Université du Massachusetts Lowell
(Department of Work Environment) et à celle de
Copenhague (Department of Psychology).
39) Johannes SIEGRIST est professeur de
sociologie médicale à la Faculté de Médecine de
l’Université de Düsseldorf et Directeur de l’Ecole
de Santé Publique de l’Université.
25. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 25
Les six familles de facteurs de RPS au travail
1
L’intensité du travail et le temps de travail
La mesure de l’intensité du travail et du temps de travail englobe les notions de « demande
psychologique » et « d’effort». L’intensité et la complexité du travail dépendent des contraintes
de rythme, de l’existence d’objectifs irréalistes ou flous, des exigences de polyvalence, des
responsabilités, d’éventuelles instructions contradictoires, des interruptions d’activités non
préparées et de l’exigence de compétences élevées. Le temps de travail influe sur la santé et
le bien- être par sa durée et son organisation.
2
Les exigences émotionnelles
Elles sont liées à la nécessité de maîtriser et façonner ses propres émotions, afin notamment
de maîtriser et façonner celles ressenties par les personnes avec qui on interagit lors du travail.
Devoir cacher ses émotions est également exigeant.
3
Le manque d’autonomie
L’autonomie au travail désigne la possibilité pour le travailleur d’être acteur dans son travail,
dans sa participation à la production de richesses et dans la conduite de sa vie professionnelle.
Comme la « latitude décisionnelle » du questionnaire de Karasek, elle inclut non seulement
les marges de manœuvre, mais aussi la participation aux décisions ainsi que l’utilisation et le
développement des compétences. La notion d’autonomie comprend l’idée de se développer
au travail et d’y prendre du plaisir.
4
La mauvaise qualité des rapports sociaux au travail
Les rapports sociaux au travail sont les rapports entre travailleurs ainsi que ceux entre le travailleur
et l’organisation qui l’emploie. Les rapports sociaux à prendre en compte comprennent les
relations avec les collègues, les relations avec la hiérarchie, la rémunération, les perspectives de
carrière, l’adéquation de la tâche à la personne, les procédures d’évaluation du travail, l’attention
portée au bien-être des travailleurs. Les pathologies des rapports sociaux comme le harcèlement
moral, doivent être prises en compte.
5
La souffrance éthique
Une souffrance éthique est ressentie par une personne à qui l’on demande d’agir en opposition
avec ses valeurs professionnelles, sociales ou personnelles. Le conflit de valeurs peut venir de
ce que le but du travail ou ses effets secondaires heurtent les convictions du travailleur, ou bien
du fait qu’il doit travailler d’une façon non conforme à sa conscience professionnelle.
6
L’insécurité de la situation de travail
L’insécurité de la situation de travail comprend l’insécurité socio-économique et le risque de
changement non maîtrisé de la tâche et des conditions de travail. L’insécurité socio-économique
peut provenir du risque de perdre son emploi, du risque de voir baisser le revenu qu’on en tire
ou du risque de ne pas bénéficier d’un déroulement « normal » de sa carrière. Des conditions
de travail non soutenables sont aussi génératrices d’insécurité. Des incertitudes susceptibles
de créer une insécurité peuvent aussi porter sur l’avenir du métier ou l’évolution des conditions
de travail. De telles craintes peuvent être motivées par l’expérience de changements incessants
ou incompréhensibles.
Source INRS40
40) Institut national de recherche et de sécurité
pour la prévention des accidents du travail et
des maladies professionnelles
http://www.travailler-mieux.gouv.fr/Mesurer-les-
facteurs-psychosociaux.html
26. 26 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
Stress fonctionnel et stress pathologique
Selon l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA), le stress
« survient lorsqu’il y a un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes
imposées par son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour
y faire face ».
Le stress à court terme, engendré par exemple par l’obligation de respecter un délai, ne consti-
tue pas un problème en soi, il peut en effet stimuler chacun à donner le meilleur de lui-même.
En revanche, le stress devient un risque pour la santé et la sécurité lorsqu’il est éprouvé
dans la durée. Il peut se traduire alors pour l’organisation par de l’absentéisme, un taux
élevé de rotation du personnel, un médiocre respect des horaires, des problèmes de discipline,
de harcèlement, de diminution de la productivité, d’accidents, d’erreurs et d’augmentation
des coûts d’indemnisation et des soins de santé. En ce qui concerne l’individu, le stress
peut donner lieu à des réactions émotionnelles (irritabilité, anxiété, insomnies, dépression,
hypochondrie, aliénation, syndrome d’épuisement professionnel, problèmes familiaux) ; des
réactions cognitives (difficultés de concentration, problèmes de mémoire, d’apprentissage et
de prise de décision) ; des réactions comportementales (abus de drogue, d’alcool, de tabac;
comportement destructeur) ou encore des réactions physiologiques (problèmes de dos,
immunité affaiblie, ulcères gastroduodénaux, problèmes cardiaques, hypertension).
27. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 27
Harcèlement moral
Le harcèlement moral se manifeste par « des agissements répétés, qui ont pour objet ou
pour effet une dégradation des conditions du salarié susceptible de porter atteinte à ses
droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir
professionnel.41
».
Le harcèlement selon l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail
« Le harcèlement (aussi connu sous le nom d’intimidation, de mobbing ou de violence psychologique) fait référence à un
comportement abusif, répété, dirigé à l’encontre d’un salarié ou d’un groupe de salariés et consistant à traiter injustement, à
humilier, à fragiliser ou à menacer la personne harcelée. Le harcèlement, qui émane généralement de l’intérieur de l’organisation,
peut se manifester sous la forme d’attaques aussi bien verbales que physiques ou par des actes plus subtils tels que des
manœuvres visant à isoler la personne dans la structure sociale. Le statut d’une personne, ses compétences professionnelles,
sa vie privée, ses caractéristiques physiques, son origine ethnique, son genre ou ses préférences sexuelles peuvent donner lieu
à du harcèlement.
Il s’agit d’un problème important sur le marché du travail européen, qui s’assortit de coûts considérables pour les travailleurs et
les organisations. Tout membre d’une organisation est susceptible de subir un harcèlement. Il ressort des sondages que 5 %
des travailleurs en Europe ont indiqué être victimes de harcèlement / d’intimidation (en 2005). Dans certains pays de l’Union
européenne, pas moins de 10 à 17 % des travailleurs ont fait état de ce problème.
Le harcèlement au travail engendre un stress considérable pour les victimes et leurs collègues, familles et amis. Dans certains
cas, les individus sont incapables de se comporter normalement dans le cadre professionnel et dans la vie de tous les jours. Le
harcèlement peut avoir pour conséquence des stress post-traumatiques, une perte d’estime de soi, de l’anxiété, la dépression,
l’apathie, l’irritabilité, des troubles de la mémoire, du sommeil ou de l’appareil digestif, voire conduire au suicide. Les symptômes
peuvent persister plusieurs années après le harcèlement.
Sur le plan organisationnel, le harcèlement peut entraîner un absentéisme accru et un taux élevé de rotation du personnel et
réduire l’efficacité et la productivité. Les préjudices juridiques causés par le harcèlement peuvent également être considérables.
Il est important de prendre des mesures à un stade précoce pour prévenir le harcèlement. Il convient d’effectuer en premier lieu
une évaluation du risque, afin de définir les mesures appropriées. Ces mesures peuvent être la formulation d’une politique de lutte
contre le harcèlement, la mise en place d’un arbitrage du conflit et d’une formation à l’exercice du pouvoir, le réaménagement
de l’environnement professionnel et le soutien des victimes en cas de harcèlement (par exemple sous la forme d’une assistance
psychosociale et de réparations).
Les facteurs garantissant la réussite de la lutte contre le harcèlement sont les suivants :
• l’engagement des employeurs et des salariés à promouvoir un environnement professionnel exempt de toute violence ;
• la définition précise des actes qui ne peuvent être tolérés ;
• l’information sur les conséquences du harcèlement et sur les sanctions auxquelles il donne lieu ;
• l’information sur les services/personnes pouvant fournir une assistance et sur leurs modalités d’intervention ;
• la garantie pour les victimes d’être entendues sans représailles ;
• l’information sur la procédure à suivre pour déposer une plainte ;
• l’information sur les possibilités d’entrer en contact avec les services d’assistance psychosociale et de soutien ;
• la garantie de la confidentialité.
»
Source : EU-OSHA42
41) Circulaire DGT 2012-14 du 12 novembre
2012 relative au harcèlement
42) https://osha.europa.eu/fr/topics/stress/
index_html/harassment
28. 28 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
L’expression de « risques psychosociaux » renvoie à des contextes de travail et de risques
plus variés tels que la surcharge de travail, des contraintes excessives de temps mais aussi
la perte de repères, la difficulté à trouver du sens au travail, le conflit de valeurs. Elle rappelle
surtout que la santé psychique n’est pas seulement une dynamique individuelle, mais qu’elle
se construit dans la relation aux autres : par la reconnaissance, la possibilité d’échanges et
de coopération dans le travail, avec le soutien des collègues et de la hiérarchie.
Selon le ministère du travail, les risques psychosociaux (RPS) « recouvrent des risques profes-
sionnels d’origine et de nature variées qui mettent en jeu l’intégrité physique et la santé mentale
des salariés et ont, par conséquent, un impact sur le bon fonctionnement des entreprises. »
Les RPS sont couramment définis par leurs composantes : stress, harcèlement sexuel et moral
(définis dans le Code du travail et le Code pénal), souffrance et mal-être au travail, burn-out
et épuisement professionnel (concepts sans définition légale), violences internes et externes.
Selon le Collège d’expertise sur le suivi des RPS au travail, créé en 2008 et dirigé par Michel
GOLLAC, « les RPS au travail figurent plutôt initialement dans le vocabulaire patronal
(…) L’expression met en cause un environnement à risques plutôt qu’une personne ou une
fonction déterminée, ce qui fait qu’elle se prête moins à l’imputation de responsabilité. » Au
contraire, le vocable de souffrance au travail appartient plutôt au registre syndical. Selon
M. GOLLAC, le terme de souffrance au travail « est du ressort de la psychodynamique du
travail, qui fait remonter la cause de la souffrance psychique à l’organisation du travail, et
notamment au décalage travail prescrit-travail réel, non pris en compte par les directions
d’entreprise. (...)43
».
Ce qui est en jeu dans ces distinctions va au-delà d’un glissement terminologique. Soit,
on se place sur le plan de la psychologie et on traite de la souffrance d’un individu, soit on
se place sur le plan organisationnel et l’on s’attache à agir sur l’organisation dans laquelle
l’individu se trouve.
Les 3 types de prévention
Prévention primaire Prévention secondaire Prévention tertiaire
Réduire les sources de stress Aider les personnes à faire face au stress Prendre en charge les personnes
affectées par le stress
Principe : agir directement sur les
causes ou les sources de stress
présentes pour les réduire ou les
éliminer.
Principe : aider les individus à
développer des connaissances et des
habiletés pour mieux reconnaître et
gérer leur réaction face au stress.
Principe : traiter les individus souffrant.
Réhabiliter, permettre le retour pour les
individus ayant souffert d’un problème
de santé au travail.
43) http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/
storage/rapports-publics/114000201/0000.pdf
29. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 29
Qualité de vie au travail
La notion de qualité de vie au travail est relativement récente. Elle a été lancée en 2003 par
l’ANACT qui instaure alors la semaine de la Qualité de vie au travail, dont la 10e
édition vient
d’être organisée44
. Avant 2003, il était d’usage de parler de souffrance au travail, de stress,
de harcèlement, de risques psychosociaux. Il s’agissait de définir et surtout de prévenir un
mal et ses conséquences dramatiques comme les suicides au travail. Au fil des années,
les débats et les prises de position ont amené les acteurs à poser un regard nouveau sur
le sujet. Les entreprises prennent conscience de l’importance des impacts des RPS sur
leur compétitivité – le mal travailler a un coût – mais également sur leur organisation et leur
management – comment motiver les salariés et répondre à leurs besoins d’accomplissement
professionnel, comment attirer et retenir les talents et notamment les jeunes générations en
attente de sens, comment favoriser leur engagement professionnel ? Il a semblé alors réduc-
teur de ne s’emparer que des sujets de RPS et qu’est apparu le concept de qualité de vie au
travail auquel sont associés le bien-être des salariés mais aussi l’efficacité des entreprises.
C’est en 2010 en effet que paraît le rapport commandé par François FILLON, premier ministre,
à Henri LACHMANN, Christian LAROSE, Muriel PENICAUD, « Rapport sur le bien-être
et l’efficacité au travail – 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au
travail ». Ce rapport fait encore référence. C’est le premier qui aborde le sujet sous un angle
positif : « bien-être, efficacité » et qui le relie à la performance des entreprises.
A ne traiter que la qualité de vie au travail, certaines entreprises ont pu se focaliser sur
l’amélioration des conditions de travail – de la vie au travail – au détriment des raisons
qui font que ces conditions se dégradent. Ainsi de nouveaux services censés augmenter
la qualité de vie au travail sont apparus récemment. Présentés comme très modernes, ils
rappellent ironiquement le modèle des entreprises paternalistes de la fin du XIXe
ou début
du XXe
siècle. On propose ou on réinvente des conciergeries, des crèches d’entreprise, des
salles de sport, des séances de massage ou la possibilité de faire une sieste sur le lieu de
travail. Les salariés ne sont pas dupes, à en croire l’enquête menée par l’ANACT à l’occasion
de la 10e
semaine de la qualité de vie au travail, pour eux, la qualité de vie au travail est
tout sauf un gadget.
La qualité de vie au travail est tout sauf un gadget !
Interrogés sur les mots qui caractérisent le mieux la qualité de vie au travail, les salariés choisissent des termes très positifs.
Ce n’est ni « une illusion » (2 % de citations seulement), ni « un gadget » (1 %), pas plus qu’« une formule de communication,
de publicitaire ». Au contraire, la qualité de vie au travail recouvre un grand nombre de dimensions, ayant toutes trait à des
enjeux de fond, notamment ceux qui sont de l’ordre des fondamentaux de la satisfaction professionnelle (l’intérêt du travail,
la reconnaissance des salariés, l’environnement physique de travail, l’ambiance entre collègues, l’organisation du travail et le
management). Illustration en chiffres :
• 87 % des salariés estiment que l’intérêt du travail est lié à la qualité de vie au travail,
• 84 % des salariés lient la qualité de vie au travail à la reconnaissance - symbolique mais aussi financière.
Et enfin, la qualité de vie au travail est de l’ordre du « gagnant-gagnant » : 87 % des salariés estiment qu’une bonne qualité de
vie au travail profite à la fois aux salariés et aux entreprises.
Étude 2013 pour l’ANACT45
44) http://www.qualitedevieautravail.org
45) Etude réalisée online du 7 au 17 mai 2013
auprès d’un échantillon de 1 001 salariés actifs
et occupés de 18 ans et plus, issu du panel
TNS Sofres. http://www.anact.fr/web/actualite/
essentiel?p_thingIdToShow=33555605
30. 30 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
Qualité de vie au travail : quelques méthodes et référentiels reconnus
Voici une sélection46
de référentiels qui, partout dans le monde dirigent, guident ou récompensent les bonnes pratiques.
Nom / date Auteur Domaine Description
ILO-OSH-2001 OIT (Organisation
Internationale du
Travail)
Cadre normatif
pour la Santé et
Sécurité au travail
Principes directeurs concernant les systèmes de
gestion de la sécurité et de la santé au travail,
compatibles avec les autres normes existantes.
Référentiel de l’OIT validé par l’Etat et les partenaires
sociaux au niveau international.
IIP (Investor In
People) - 1990
Investor in People
- UK
RH Management Référentiel international d’origine britannique,
conçu dans les années 90 pour la certification du
management des ressources humaines. Outil de
progrès qui fournit un cadre de travail destiné à
améliorer la performance par le biais de l’amélioration
des compétences. Près de 30.000 entreprises sont
certifiées.
Great Place to
Work - 2002
En France
depuis 2009
Great Place to Work
Institute
RH Management Récompense les entreprises candidates qui ont mis
en place des pratiques managériales vertueuses.
Great Place to Work mesure avec précision les
comportements et l’environnement des entreprises
dans 45 pays au moyen de 58 paramètres
spécifiques.
DIN SPEC
91020 - 2012
DIN (Deutsche
Industrie Norm)
Spécification pour
les systèmes de
management au
travail
Certificat qui s’applique pour l’instant seulement en
Allemagne et qui respecte la structure de l’ISO 9001 :
2008.
Intègre la dimension management de la Santé au
Travail.
Friendly Work
Space - 2009
Promotion Santé
Suisse, entreprises
et autres parties
prenantes de la
santé au travail en
Suisse
Démarche et label
pour la Gestion
de la Santé en
Entreprise (Santé,
Sécurité et Qualité
de Vie au Travail)
Le label Friendly Work Space permet d’attester les
progrès en matière de gestion de la santé et la qualité
de vie au travail en mesurant 26 critères. Il utilise des
fondements issus du mouvement Européen ENWHP
(European Network for Work Health Promotion) et
une démarche qui s’apparente à l’EFQM (European
Foundation for Quality Management).
Entreprise en
Santé - 2008
BNQ (Bureau de
Normalisation du
Québec)
Démarche
normative pour
promouvoir la
Santé et la Qualité
de Vie au Travail
Propose des méthodes et outils qui ont fait leurs
preuves au Canada pour promouvoir la santé et
la qualité de vie au travail. La démarche ouvre les
habitudes de vie, l’équilibre vie professionnelle -
vie personnelle, l’environnement de travail et les
pratiques de management. La certification peut être
obtenue en respectant une quarantaine de critères.
IBET
Indice de
bien-être
au travail
Mozart Consulting RH Management Référentiel statistique socioéconomique de la
qualité organisationnelle du travail, source de santé
économique, individuelle et collective, l’IBET est un
indice socio-économique variant de 0 à 1 pour sa valeur
maximum, traduisant la meilleure performance socio-
organisationnelle. Pour ses concepteurs, le bien-être
au travail socio-organisationnel, signe de l’engagement
des salariés, se situe à un IBET ≥ 0,85.
46) D’après Opteama Consulting, juin 2013
31. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 31
Qualité du travail
Dans l’objectif de traiter le sujet en profondeur et en identifiant ses causes primaires, certains
mettent sur la table plutôt que la qualité de vie au travail la notion de qualité du travail. C’est
la thèse développée par Yves CLOT, titulaire de la chaire de psychologie du travail au CNAM,
dans son ouvrage, Le travail à cœur, pour en finir avec les risques psychosociaux47
rédigé
après les suicides chez France Telecom. Selon CLOT, c’est le travail lui-même qui est malade
et qu’il convient de soigner. Plutôt que de chercher à soigner directement les acteurs – et les
risques qu’ils encourent, il faut soigner les organisations et le travail. Plutôt que de se lancer
dans une démarche « hygiéniste » de prévention et de prise en charge des RPS, il faut mettre
en débat – CLOT parle de controverse – la qualité du travail, ce qu’est le travail bien fait et
comment l’obtenir. Selon le chercheur, ne pas vouloir s’engager dans ce débat sur la qualité
du travail empêche les organisations de coordonner les acteurs et entraîne une dégradation de
leur santé. Car c’est l’écart perçu par les travailleurs entre ce qu’ils devraient faire et ce qu’on
leur demande d’accomplir qui produit des déséquilibres. Selon CLOT, il s’agit de « transfor-
mer la souffrance au travail en énergie vitale pour agir, et de laisser le pouvoir d’agir
sur leur santé et leur travail aux salariés via la prise d’initiative et la coopération. » Il
faut inventer une idée neuve du collectif, retrouver la logique du métier qui a été supplantée
par la logique des compétences. Le métier se réfère au professionnalisme, au travail bien
fait. C’est ce travail bien fait qui est respectable et grâce auquel le salarié se sentira respecté.
47) La Découverte 2010.
Voir fiche de lectude en annexe 3
32. 32 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
Les obligations de l’employeur : garantir la sécurité et la santé physique et mentale
des salariés
La loi définit une obligation générale de sécurité qui incombe au chef d’établissement
quel qu’il soit, appartenant au secteur privé ou public (article L. 4121-1 du Code du travail).
Il lui revient d’évaluer les risques, y compris psychosociaux, et de prendre les mesures
nécessaires pour assurer et protéger la santé physique et mentale ainsi que la sécurité de
ses salariés. Cette obligation générale repose sur une approche globale de la prévention des
risques professionnels. Il s’agit non seulement de rechercher la conformité à des obliga-
tions précises mais encore d’obtenir le résultat attendu : garantir la sécurité aussi bien
que la santé physique et, depuis le 17 janvier 2002, mentale des salariés.
L’employeur ne doit pas sous-estimer sa responsabilité en la matière. Didier LOMBARD,
ancien président directeur général de France Telecom, a ainsi été mis en examen, en
juillet 2012, pour harcèlement moral, après le suicide d’une trentaine de salariés de
l’entreprise au cours des années 2008 et 2009. De même, Renault a été condamné
pour « faute inexcusable» par la cour d’appel de Versailles, le 19 mai 2011, à la suite du
suicide d’un de ses salariés, ingénieur en informatique au Technocentre de Guyancourt
(Yvelines).
La réglementation impose à l’employeur d’évaluer les risques d’atteinte à la santé physique
et mentale de ses salariés et de mettre en place des mesures de prévention adaptées.
Cette évaluation des risques est retranscrite dans un document unique qui liste également
les solutions à mettre en œuvre. Plus qu’un simple inventaire, ce document obligatoire est
un outil essentiel pour lancer une démarche de prévention dans l’entreprise et la pérenniser.
Ce document doit être mis à jour au minimum chaque année. Le document unique est une
obligation pour toutes les entreprises depuis 2001.
Une fois rédigé, le document unique est mis à disposition des acteurs suivants :
ƒƒ les représentants du personnel à travers le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions
de travail (CHSCT),
ƒƒ le médecin du travail,
ƒƒ l’inspecteur du travail,
ƒƒ les ingénieurs conseils ou contrôleurs de sécurité des Caisses d’Assurance Retraite et
de la Santé au Travail sur simple demande.
Depuis fin 2008, l’employeur doit rendre ce document accessible aux travailleurs et placer
une affiche sur le lieu de travail pour indiquer où il est possible de le consulter.
Pour organiser la prévention du stress en entreprise, le chef d’entreprise peut s’appuyer sur
les principes généraux de prévention. Parmi ces principes (article L. 4121-2 du Code du
travail), figure notamment la nécessité de :
ƒƒ Combattre les risques à la source et d’adapter le travail à l’homme, ce qui implique ici
d’intervenir le plus en amont possible pour prévenir les risques psychosociaux - conception
des postes de travail adaptés, choix des méthodes de travail et de production, en vue
par exemple de limiter le travail monotone et le travail cadencé, le manque de soutien,
les surcharges de travail…
ƒƒ Planifier la prévention en y intégrant dans un ensemble cohérent la technique, l’organi-
sation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs
ambiants.
33. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 33
Le développement de la qualité de vie au travail ne peut être abordé sous le seul angle norma-
tif. Il s’agit de ré-impulser une dynamique dans l’entreprise en faveur de la qualité de vie au
travail qui dépend elle-même de la qualité de l’organisation du travail et du management.
Le rôle du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)
La mission du CHSCT est de (article L4612-1 du code du travail) :
1. contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des
travailleurs de l’établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise exté-
rieure ;
2. contribuer à l’amélioration des conditions de travail, notamment en vue de faciliter l’ac-
cès des femmes à tous les emplois et de répondre aux problèmes liés à la maternité ;
3. veiller à l’observation des dispositions légales prises en ces matières.
Chaque année l’employeur présente au CHSCT (article L4612-16 du code du travail) :
1. un rapport annuel écrit faisant le bilan de la situation générale de la santé, de la sécurité
et des conditions de travail dans son établissement et des actions menées au cours
de l’année écoulée. Le travail de nuit doit être traité spécifiquement ;
2. un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des
conditions de travail fixant la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de
l’année à venir. Pour chacune de ces mesures, les conditions d’exécution et l’estimation
du coût sont indiquées.
Ces rapport et programme annuels sont soumis au CHSCT pour avis. Celui-ci peut proposer
un ordre de priorité et l’adoption de mesures supplémentaires.
34. TRIBUNE
Quels acteurs pour la qualité de vie au travail ?
Gérard BARDIER
Consultant BPI group
Juin 2013
L’objectif des quatre organisations syndicales (hors FO), parties prenantes de la négociation
interprofessionnelle sur la qualité de vie au travail, qui avaient fait front commun autour d’un
« socle commun de négociation48
», était que « qualité, contenu et sens du travail soient pris
en compte dans les décisions des directoires des entreprises et au niveau d’un dialogue
social impliquant les IRP ».
Ce thème de la qualité de vie au travail au sens strict (c’est-à-dire sans celui de l’égalité
professionnelle qui faisait aussi partie de la discussion interprofessionnelle), semble en effet
une nouvelle manière d’aborder la même question que les risques psychosociaux.
Partir de la notion de risque, c’est se trouver par construction dans une évaluation négative, la
seule perspective étant de s’approcher du risque nul. La notion de qualité de vie au travail
est plus positive et ne pose pas par construction de limite aux progrès réalisés. Elle
est donc probablement plus acceptable pour les employeurs que l’approche par les RPS.
Mais ceux-ci ont également un intérêt objectif à améliorer la qualité de vie au travail de leurs
salariés, s’ils veulent les mobiliser et les fidéliser.
Pour que les solutions mises en place dans le but de faire progresser la qualité de vie
au travail soient pérennes, il semble indispensable que celle-ci ne soit pas traitée comme
un sujet à part, mais prise en compte dans les réflexions organisationnelles, au même titre
que les enjeux de qualité pour le client ou de performance pour l’actionnaire. C’est grâce à
ce type d’intégration que des progrès durables dans le domaine des conditions physiques
de travail ont été obtenus dans les années 80 par les promoteurs des démarches socio
techniques et socio organisationnelles.
Cependant ce décloisonnement des questions de qualité de vie au travail et des autres enjeux
de l’entreprise ne sera atteint que si le sujet n’est pas porté par les seuls représentants du
personnel, mais qu’il devient un enjeu porté aussi par les directions : tout laisse croire que
ce résultat sera plus facilement atteint par l’entrée « qualité de vie au travail » que par l’entrée
« risques psycho sociaux ».
On n’en est pas encore là, et il est probable que, seule une partie des employeurs, les plus
sensibles aux enjeux de ressources humaines et de mobilisation des salariés, décidera de
s’emparer de la question de la qualité de vie au travail. Ces employeurs peuvent, s’ils sont
suffisamment nombreux, ouvrir des voies qui pourraient demain se révéler incontournables,
comme l’est aujourd’hui par exemple la « démarche 5 S »49
dans l’industrie.
Le thème de la qualité de vie au travail serait alors, au moins chez ces employeurs les plus
progressistes, une occasion de dialogue social.
Les partenaires sociaux devront aussi trouver le moyen de favoriser le dialogue des salariés
eux-mêmes avec leur encadrement de proximité autour du travail, de son contenu et de son
organisation : c’est-à-dire qu’ils devront accepter de ne pas s’accaparer ce dialogue tout en
34 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
48) Socle commun de négociation signé par la
CGT, CFDT, CFE-CGC, CFTC, le 22 février 2013.
Voir annexe 1
49) Technique de management visant à
l’amélioration continue des tâches effectuées
dans les entreprises, élaborée dans le cadre du
système de production de Toyota.
35. étant attentifs à ce qu’il existe réellement sur le terrain et que la qualité de vie au travail n’y
soit pas le parent pauvre.
Sur ce point, les organisations syndicales qui ont défini un « socle commun » ont clairement
affiché leurs intentions en soulignant que « Les salariés doivent pouvoir participer au débat
sur l’organisation du travail. Ils doivent pouvoir disposer d’espaces d’expression sur leur
travail » et en réclamant de fournir « un appui aux managers et de redéfinir le management de
proximité permettant aux salariés plus d’autonomie, de prises de responsabilités, d’initiatives,
de créativité, un enrichissement de leurs compétences ».
Dans une logique de subsidiarité et de traitement des problèmes au plus près de l’action, le
dialogue entre les salariés et leur encadrement traitera des questions de micro organisation,
le dialogue social entre les partenaires sociaux portant sur les questions d’organisation plus
globales.
Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 35
36. 36 - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - Institut du Leadership - BPI group
37. Institut du Leadership - BPI group - QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL - 37
Le « mal travailler »
a un coût Chapitre
3
Nombre de personnes concernées
Coûthumainetsocial
Coûtenperformanceorganisationnelle
Démotivation
Mal être au travail, absentéisme
Burn Out, Suicides
Désengagement, tentation du retrait
Le stress est à l’origine d’un nombre important de
maladies cardiovasculaires, de dépressions et de
troubles musculo-squelettiques (TMS). Une étude de
l’INRS estime que le coût du stress professionnel a représenté au minimum 2 à
3 milliards d’euros en France en 2007 (dépenses de soins, absentéisme, cessa-
tions d’activité, décès prématurés). Cette estimation est bien un minimum car
l’étude n’a pas pris en compte la dimension du coût du stress pour l’individu
à savoir la souffrance et la perte de bien-être qui, elles, ne se mesurent pas.
En Europe, le coût annuel du stress au travail dépasserait les 20 milliards d’euros. Le stress
au travail est à lui seul la cause de 30 % des arrêts maladie (Agence Européenne pour la
Sécurité et la Santé au Travail, 2002).
Le BIT (Bureau International du Travail) estime que les pertes de qualité, l’absentéisme et le
turnover résultant du stress représentent entre 3 et 4 % du PIB des pays industrialisés soit
pour la France quelque 60 milliards d’euros. Selon le BIT, « ce stress auquel sont soumis les
travailleurs est l’un des grands défis que devront relever les gouvernements, les employeurs
et les syndicats au cours des années à venir ».
Ces coûts mesurés ne sont pour certains que la partie émergée de l’iceberg, car la non
qualité de la vie au travail génère aussi des coûts masqués en termes de démotivation ou
de désengagement.