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Le fou et le sage
Le bord du gouffre
Son pied se balançait dans le vide. Voilà tout ce qui séparait le toit
de cet immeuble de la route qui paraissait toute petite vu d'en haut ; du
vide. Il en allait de même pour le regard de Tim ; il était vide. Lui qui était
pourtant si joli garçon, avec des yeux bleus magnifiques. Son regard s'était
éteint. Peut-être au moment où il avait appuyé sur la télécommande du
poste de télévision. Juste avant de monter les marches qui mènent à la porte
donnant accès au toit. Un toit plat, comme on en trouve beaucoup sur les
nouveaux bâtiments du centre-ville de Lausanne.
Une faible circulation défilait le long de la rue menant au pont
Bessières. Il aurait pu sauter depuis ce pont célèbre pour ses tragédies, mais
une barrière de sécurité avait été aménagée. Ce serait depuis cet immeuble
terne et dans cette nuit profonde que disparaitrait le méconnu Timothée
Bonvin, né à Lausanne et s'apprêtant à mourir dans cette même capitale
vaudoise.
Comment en était-il arrivé là ? Le scénario classique : jeune Suisse
de vingt-cinq ans, il avait terminé ses études d'économie trois ans
auparavant, démarrant une carrière de comptable au sein d'une entreprise
très connue dont il est préférable de taire le nom. Après avoir servi des
cafés et photocopié la moitié des archives de la boîte, il avait finalement
obtenu une promotion digne de ce nom et un salaire lui permettant de
quitter ses parents et de demander sa copine en mariage. Il n'était pas
vraiment du genre conservateur, mais il s'était toujours imaginé se marier
aux environs de vingt-cinq ans, puis fonder une famille vers trente ans.
Sauf que l'entreprise pour laquelle il travaillait a soudainement était
impliquée dans une affaire de corruption, la mettant en faillite et lui faisant
perdre son emploi. Son avenir tout tracé était compromis. Il lui était
possible de retrouver du travail, mais les choses commencèrent à se
compliquer pour lui.
D'abord il se mit au chômage. Puis il commença à s'endetter. Il
ne trouvait pas de travail, à cause de ses récentes dettes. Son stress alla
en s’aggravant et son médecin lui pronostiqua une dépression. À vingt-
cinq ans, il déprimait. Son mal-être intérieur se reflétait sur son aspect
externe, et sa fiancée devint plus distante envers lui.
Elle finit par rompre leurs fiançailles et Tim découvrit
rapidement sur Facebook qu'elle était de nouveau en couple avec un
bellâtre. Il la soupçonna alors de l'avoir trompé et s'en voulu d'avoir
tout gâché de la sorte.
D'abord en soirée, puis la journée, et bientôt dès le réveil, il se
mit à boire. Son alcoolisme n'arrangea rien à sa situation désespérée et
il perdit ses amis les uns après les autres, jusqu'à rompre le contact avec
sa famille. Il était seul au monde.
Ce soir-là, le propriétaire de l'immeuble frappa énergiquement à
sa porte, lui réclamant les loyers de retard. Il allait le faire expulser. Il
venait de toucher le fond.
En un rien de temps il était passé d'une carrière prometteuse à
un chômeur, devenant un paria de la société. Lui qui était né Suisse, qui
avait fait des études et des plans d'avenirs. Il n'était pas comme ces
personnes qu'il avait toujours jugées, ces ressortissants étrangers qui
n'apportent que de la délinquance et bafouent les valeurs de la Suisse,
s'était-il toujours dit. Pourtant, il était l'exacte définition de ce qu'est
une personne à charge de l'aide sociale et un fardeau pour l'économie
du pays. Il se détestait.
Alors, après avoir vidé sa troisième bouteille de la journée, il
tituba jusque sur le toit, déterminé à mettre fin à ses jours.
Il était là, un pied dans le vide, prêt à en finir avec la vie et à
trouver enfin la paix. Du moins c'est ce qu'il espérait. Est-ce qu'il
Le fou et le sage 1
trouverait vraiment la paix ? Il avait entendu dire que le suicide mène à
l'enfer. De toute manière, il ne croyait pas à ses bondieuseries. Un monde
où il y a autant de souffrance et d'injustice ne peut que vouloir dire qu'il n'y
a pas de Dieu. S'il y en avait un, Tim ne voudrait même pas le connaître,
tant il lui en aurait voulu de ne rien faire pour lui.
Il était hésitant, un pied toujours en équilibre, réalisant
soudainement ce qu'il s'apprêtait à faire. Il inspira un grand coup mais
n'arrivait pas à se décider. Qu'est-ce qui l'en empêchait ? Il n'avait plus de
raison de vivre. S'il continuait de la sorte il finirait au fond d'un caniveau,
mort d'une cirrhose.
Alors qu'il allait vraiment sauter, il eut une pensée très forte pour
une personne. Il en fut tellement surpris qu'il reposa son pied qui était dans
le vide sur le bord du muret du toit. Il n'avait plus repensé à cette personne
depuis des années. D'ailleurs il n'avait jamais vraiment pensé à lui. Thomas,
un ami du lycée. Enfin, plutôt une connaissance. Un gars bien, qui avait été
le souffre douleur d'un grand nombre de personnes pendant ses études.
Thomas était un évangélique, ou un évangéliste, Tim ne savait plus trop.
C'était un de ces allumés chrétiens qui passait pour un sectaire à l'époque.
Tout le monde se payait sa tête parce qu'il ne faisait jamais la fête, parlait
de Jésus et était encore vierge par choix. Un ringard fini pour les jeunes de
son âge.
Pourquoi Tim pensait-il à lui dans un moment pareil ? Ce devait
être l'alcool. Il chassait Thomas de son esprit et regarda la route à une
vingtaine de mètres plus bas. Il eut soudainement peur. Pourtant il était
ivre, il n'aurait pas dû ressentir quoi que ce soit. Il s'éloigna un peu du bord,
par précaution. Que lui arrivait-il ? Il ne se sentait plus du tout saoul et sa
détermination lui était passée. Il envisagea de rentrer pour ouvrir une
nouvelle bouteille, une dernière, mais il pensa à nouveau à Thomas.
C'était même étrange qu'il se souvienne de son prénom. Ils n'avaient
jamais été en bons termes. Tim faisait partie des personnes cool du lycée,
contrairement à Thomas, qui était rejeté de presque tous. Il sortit son
portable de sa poche et consulta son répertoire. Il y avait bien un
Thomas dans ses contacts, mais ce n'était pas le même. Il chercha sur
Google un Thomas du gymnase de la Cité. Bien entendu il y avait des
millions de résultats. Il essaya la recherche d'images. Tout en bas de la
page, il reconnut un adolescent à l'aspect angélique, un blond
boutonneux avec une frange de côté. C'était bien Thomas. Sa photo
était dans les archives du club d'échecs. Thomas Pittet.
Tim rechercha sur local.ch les coordonnées de Thomas. Il y
avait un monsieur et une madame Thomas et Caroline Pittet, de
Lausanne. L'adolescent boutonneux vierge se serait-il marié ? Le
monde professionnel n'ayant plus rien à voir avec la vie estudiantine, il
se pourrait bien que Thomas soit devenu un homme.
Sans trop savoir pourquoi, il appela le numéro fixe qu'il venait
de trouver. Il était deux heures vingt-six du matin, il n'y avait aucune
chance pour que quelqu'un réponde, mais il avait envie de voir s'il
s'agissait bien du même Thomas. Plusieurs sonneries retentirent, et Tim
allait raccrocher, quand une voix masculine très faible lui répondit.
– Allô ? Pittet à l'appareil.
– Thomas Pittet ?
– Oui. Qui le demande ?
– Je suis Timothée Bonvin. Vous étiez bien au gymnase de la
Cité ?
Il y eut un instant de silence. Thomas devait rassembler ses
forces pour se concentrer.
– Oui, j'ai était diplômé en 2008. Timothée Bonvin ? On était
dans la même classe ?
– Classe parallèle je crois. Mais j'ai aussi était diplômé en 2008.
– Je vois. Sympa de m'appeler. Mais pourquoi au milieu de la
nuit ?
Le fou et le sage 2
– Je suis désolé Thomas, je ne sais pas ce qui m'a pris.
Un nouveau silence. Tim était sincère, il ne savait pas ce qui lui
prenait.
– Ce n'est rien, reprit Thomas. Est-ce que tout va bien ? Qu'est-ce
que tu fais ?
Tim avait le choix : il pouvait soit lui dire la vérité, soit inventer une
histoire pour mettre fin à la conversation. Il choisit une autre alternative,
comme si son appel avait soudainement un but.
– Est-ce qu'on pourrait se voir ?
Il voulait parler avec Thomas, lui demander ce que la vie lui avait
apporté et essayer de comprendre ce que lui-même avait fait de faux.
En posant cette question, il avait pris une décision : si Thomas lui
répondait non, il sauterait. S'il lui accordait de son temps, il garderait un
petit peu d'espoir.
– Oui, on peut se voir. Quand ça ?
– Maintenant.
Le fou et le sage 3
Une lueur dans l'obscurité
Lausanne de nuit offre une expérience intéressante. Il y a moins de
circulation mais tout autant de monde dans la rue, pour la plupart ivre à
deux heures et demies du matin. Des dealers vous accostent à la rue de
Bourg et des prostituées vous attendent à la rue de Genève. Non pas que
Tim ait déjà eu recours à ce genre de service.
Ce qui l'émerveillait le plus, c'était la quasi-omniprésence de la
police. Et pourtant, rien ne changeait. Le trafic de drogue était toujours là,
la débauche sexuelle aussi, et presque tous les jours on pouvait lire dans les
journaux qu'une bagarre ou un incident grave avait eu lieu.
Le flot de lumière projeté par les réverbères faisait oublier qu'il n'y
avait pas de soleil et les pas de Tim résonnaient sur les pavés. Il arriva à
Saint-François, où un petit bistrot se trouvait à côté de l'église. Il était
fermé, à cette heure. Tim avait déjà bu des verres sur la terrasse et
s'étonnait de n'avoir jamais reconnu Thomas, qui gérait apparemment le
commerce. Il se retrouva à côté des chaises retournées sur les tables et
devant un écriteau marqué « fermé ». Une lumière s'alluma dans l'arrière
boutique et Tim vit quelqu'un avancer dans le noir pour venir lui ouvrir.
Thomas n'avait plus rien à voir avec l'adolescent boutonneux qu'il
avait été au lycée. Il avait un visage délicat et des cheveux courts qui lui
donnaient un air autoritaire. Mais son regard était tendre et ses yeux
respiraient le bonheur. C'en était contagieux. Il lui sourit à pleines dents et
lui serra joyeusement la main.
– Timothée ! Ça faisait si longtemps.
– Oui, tu peux le dire. Appelle-moi Tim.
Thomas le fit rentrer sans hésiter et ils s'installèrent au bar.
Apparemment Thomas avait oublié ou ne lui tenait plus rigueur des
moqueries du passé. Il servit à boire. Tim avait une mauvaise hygiène et il
empestait l'alcool. Thomas semblait s'en être rendu compte et lui offrit un
Rivella. Ils trinquèrent au « bon vieux temps » et Tim fut presque
surpris de ne pas sentir de brûlure dans son œsophage en buvant une
gorgée.
– Alors Tim, comment ça va ? J'imagine que si tu m'as appelé au
milieu de la nuit après tout ce temps, surtout que nous n'étions pas très
proches, c'est parce que tu dois avoir besoin de quelque chose.
– Simplement de discuter.
– Ok. J'aime discuter au milieu de la nuit. Non, vraiment, il y a
quelque chose d’apaisant et de sain.
– Dans l'obscurité ? Tu n'étais pas du genre à voir le mal partout,
ou un truc comme ça ? Tu as changé de philosophie ?
– Moi, voir le mal partout ? Pas du tout. La nuit fait partie d'une
journée, elle est faite pour se reposer. Aujourd'hui beaucoup profitent de
la nuit pour vivre différemment de la semaine de travail, pour échapper
au quotidien.
– Et toi, tu n'as pas besoin d'échapper au quotidien ?
– Tu sais Tim, j'aime ma vie. Et je suis reconnaissant de tout ce
que j'ai. Si les choses devaient être différentes, je serais aussi
reconnaissant.
– Je vois. Désolé de venir gâcher ta nuit parfaite.
– Tu ne gâches rien. Tu as l'air mal en point. Dis-moi ce que je
peux faire pour t'aider.
Tim regarda son verre pensivement. Il ne savait pas vraiment ce
qu'il attendait de Thomas.
– Je ne sais pas. Dis-moi comment faire pour être heureux, ça
serait un bon début.
– Alors c'est ça qui t'inquiète, tu n'es pas heureux ? Parle-moi de
ta vie.
– Il n'y a rien à dire. Je vis seul, je n'ai pas d'amis, pas de travail,
je vais bientôt me retrouver à la rue et je n'arrive pas à arrêter de boire.
Le fou et le sage 4
Oh et ce soir j'allais sauter du toit de mon immeuble quand je t'ai appelé.
Thomas essayait de rester impassible mais il avait du mal. Il
cherchait ses mots.
– Je suis vraiment désolé d'entendre ça. Je sais que ce n'est pas
vraiment important, mais pourquoi as-tu pensé à m'appeler ?
– Je n'en sais rien, en fait. J'allais sauter et j'ai pensé à toi. C'est
bizarre.
– Oui. Ou peut-être que ça devait se passer ainsi.
– Quoi, tu veux dire que c'est le destin, ou un truc comme ça ?
– Un truc comme ça.
– Je ne crois pas à tout ça. Ce sont des histoires pour bonnes
femmes et les enfants. Et pour les faibles d'esprit.
– Les faibles d'esprit ? Tu veux dire que toutes les personnes qui
croient en quelque chose d'autre que le hasard et la science sont des faibles
d'esprit ?
– Ouais. La science explique tout. Et le reste c'est le fruit du hasard.
– Donc si tu es ici en vie devant moi, c'est un hasard ?
– Exactement. Je sais que les gars comme toi sont des types bien,
avec une philosophie altruiste et qui réconforte ceux qui ont en besoin,
mais d'un point de vue strictement pragmatique, c'est irrationnel de croire
en une sorte de monde surnaturel.
– Attend, il ne s'agit pas d'un monde surnaturel, mais de ce monde.
Oui les actes altruistes sont une bonne manière de rendre témoignage et
d'aider son prochain. Mais ce n'est pas l'essentiel.
– Alors c'est quoi l'essentiel ?
– Laisse-moi te raconter une comptine. C'est l'histoire d'un fou, qui
rencontre un sage. Le fou lui demande le sens de la vie, mais le sage refuse
de lui répondre. Le fou s'en va s'en y prêter attention. Quelques années plus
tard, le fou commence à se lasser de sa folie et se met à chercher le sens de
la vie. Il cherche des années durant, sans jamais trouver. Un jour, il
découvre le sens de la vie. Il est alors fou de joie, il ne tient pas en
place. Il décide de parler de sa découverte à tout le monde. Mais les
gens le traitent de fou et ne l'écoutent pas. Il repart déçu. Il se souvient
alors de la réaction du sage qui avait refusé de lui répondre.
Thomas arrêta là son histoire et Tim le regarda perplexe. En
voyant son regard, Thomas lui sourit.
– Tu n'as pas compris où je voulais en venir ? C'est simple. Pour
que quelqu'un soit prêt à entendre le sens de la vie, il faut qu'il soit en
recherche. S'il ne s'intéresse pas à connaître la réponse, c'est peine
perdue que de la lui donner. Alors, le jour où tu seras prêt à l'entendre,
je te dirai ce qu'est l'essentiel.
– Alors je suis un fou ? C'est une façon de voir les choses. Ce
qui ne me prouve absolument pas que tu sois un sage.
– Tu as raison. Socrate disait : tout ce que je sais, c'est que je ne
sais rien. En un sens, il reconnait son ignorance et je ne prétends pas
être celui qui sait tout et toi un ignorant. Mais je peux te parler de mon
expérience personnelle, de ma vie, des choses que j'ai vécues et de la
manière dont j'ai réalisé quelle est la vérité. Personne ne peut
t'influencer, tu dois en faire l'expérience toi-même.
Tim réfléchit longuement à ce point de vue objectif.
– D'accord, dit-il.
– D'accord à quoi ?
– Je veux expérimenter ce que tu as à offrir.
– Bravo, tu ne le regretteras pas. Mais ça risque de prendre du
temps.
– Je ne suis pas pressé, en un sens.
– Je te promets qu'on va se revoir et je te ferai voir par toi-même
ce dont il s'agit. Promets-moi en retour que tu ne vas pas essayer de te
suicider.
Tim inspira une grande bouffée d'air. Il était trois heures du
Le fou et le sage 5
matin, il avait encore de l'alcool dans le sang et commençait à se demander
comment cette nuit folle allait se terminer. Il n'avait aucune envie d'écouter
un fanatique religieux lui parler du bon Dieu ou il ne savait pas trop quoi,
mais il devait bien l'admettre : Thomas avait quelque chose de différent. Il
avait vraiment l'air heureux. Il n'était pourtant pas riche ou célèbre, ni
même populaire. C'était un simple gars de son âge qui avait souffert
probablement toute sa vie de discrimination pour ses convictions. Et
pourtant il était si rayonnant. Tim devait savoir. Ça ne lui coûterait rien, du
moins il l’espérait car il n'avait plus un sou en poche.
– Ok. Je te promets de ne pas attenter à mes jours si tu peux m'aider
à retrouver la joie de vivre.
– Je vais t'aider à connaître la seule vraie joie de vivre, celle que tu
n'as encore jamais connue. Mais ce n'est pas moi qui te rendrai heureux :
c'est la même chose que ce qui me rend heureux. C'est au travers d'elle que
tu connaîtras le bonheur. Et non pas au travers d'un homme.
Les deux jeunes hommes terminèrent la nuit en partageant leur
parcours de vie. Celui de Thomas avait une conclusion bien plus édulcorée
que celui de Tim. Après le lycée, il avait étudié la restauration dans le but
de reprendre l'affaire familiale. Son père ayant refusé d'en hériter, c'est
Thomas qui reçu comme legs le bistrot, au décès de son grand-père. Il
fréquenta deux ans une fille de sa paroisse et ils se marièrent en grandes
pompes. Thomas avait alors vingt-deux ans. Depuis, il était l'homme le plus
heureux du monde, comblé par une épouse géniale.
Il aimait également son métier, qui lui permettait de rencontrer
beaucoup de monde et de partager des moments de débats sur le sens de
l'existence. Il suivait d'ailleurs des cours occasionnels de théologie. Il
n'avait pas d'objectif précis, mais ces cours semblaient le passionner.
Les premiers rayons du soleil pointant le bout de leur nez, ils
décidèrent de se quitter, en promettant de se revoir très vite. Thomas insista
pour que Tim rencontre sa femme, qui venait de se lever, et il fit l'heureuse
connaissance d'une blonde aussi rayonnante que son mari. Ils formaient
un beau couple. Plutôt que de déprimer, Tim fut encouragé en voyant
ces deux tourtereaux, se disant que le bonheur devait ressembler à ça.
Il rentra chez lui, éreinté mais satisfait, curieux et un peu moins
las de son existence. Mais surtout, il était encore en vie.
Le fou et le sage 6
Questions existentielles
Tim frottait énergiquement un verre dans l'évier. Il regarda en
soupirant la pile de vaisselle restante. C'était à lui que revenait le privilège
de faire la plonge aujourd'hui. Cela faisait un mois qu'il travaillait au bistrot
de Thomas et il ne servait que très rarement les clients. Même si Thomas ne
le lui avait pas dit ouvertement, il se doutait que c'était son alcoolisme qui
en était la cause. Malgré l'aspect peu aguicheur de la tâche qui lui était
confiée, il était reconnaissant à Thomas de l'avoir engagé et surtout de
pouvoir payer ses factures. Il espérait que ce travail ne serait que
temporaire et qu'il trouverait quelque chose dans la comptabilité.
Il n'avait plus bu une goutte d'alcool depuis la nuit où il avait failli
mettre fin à ses jours. Ce fut la seule condition que Thomas exigeât pour
l'engager : qu'il arrête de boire. Il assistait à des réunions des alcooliques
anonymes, et même s'il n'était pas tout à fait convaincu d'être à sa place, il
devait bien avouer qu'il allait mieux. Et ce en partie grâce à Thomas.
Thomas s'était montré un véritable ami au cours du mois écoulé.
Maintenant que Tim ne pouvait plus fréquenter ses potes de bar, il passait
beaucoup de temps avec Thomas. C'était quelqu'un de formidable. Non
seulement il lui avait offert ce travail, mais en plus il s'intéressait à ce qu'il
devenait. Il était prêt à lui prêter de l'argent si besoin et à l'héberger chez
lui. Tim avait encore sa fierté et préférait se serrer la ceinture, mais il fut
touché par le geste.
Thomas était plus érudit que ne l'aurait imaginé Tim. Il avait une
culture générale très développée et un regard critique sur la société. Bien
sûr sa spécialité était de philosopher sur la vie et Tim avait souvent droit à
des théories qu'il n'approuvait guère. Alors, pour voir si Thomas était
vraiment incollable sur son sujet, il lui posait toutes les questions qui lui
venaient à l'esprit. Et s'il n'arrivait pas toujours à le convaincre, il avait
toujours une réponse pertinente.
Comme la fois où Tim l'avait volontairement provoqué en lui
lançant ce défi :
– Prouve-moi que Dieu existe.
Thomas avait soutenu son regard et lui avait souri.
– Prouve-moi que Dieu n'existe pas. Si tu attends de moi une
démonstration surnaturelle qui te prouverait que Dieu existe, tu te
trompes. Pourtant, des miracles ont eu lieu à travers le monde, mais les
gens ne sont pas concernés par ce qui ne leur arrive pas directement. Et
même là ils peuvent douter. D'autant plus qu'il y a plusieurs formes de
puissances surnaturelles, pour ainsi dire. Par exemple dans l'histoire de
Moïse, où celui-ci va voir le pharaon et transforme son bâton en
serpent. Il le fait au nom de Dieu. Mais les magiciens du pharaon font
de même en transformant leurs bâtons en serpents. C'est un bon
exemple des différentes puissances dont je te parle. Mais à la fin de
l'histoire, le serpent de Moïse dévore les serpents des magiciens,
affirmant la supériorité de Dieu sur ces autres puissances.
« Mais je m'égare. Tu veux que je te prouve que Dieu existe ?
Débattons philosophiquement la question. Qu'est-ce que c'est que ça ?
Il pointait du doigt la table contre laquelle ils étaient accoudés.
– Ben, une table, répondit simplement Tim.
– Oui, et en quoi est faite cette table ?
– En acier ou une matière similaire.
– Et en quoi cette matière est-elle constituée ?
– Heu… Les trucs de physique, là, les atomes ou je ne sais pas
quoi.
– Oui, ces trucs-là. Et d'où viennent-ils ces trucs-là ?
– D'autres particules plus petites encore, et ce jusqu'à l'infini.
– Jusqu'à l'infini ? Et d'où viennent à l'origine toutes ces
infinités de particules ?
– Du Big Bang ?
Le fou et le sage 7
– C'est ce que nous apprend la science. Mais qu'y avait-il avant le
Big Bang ?
– Comment le saurais-je ?
– Tu vois Tim, ce que j'essaie de te démontrer, c'est que tu peux
prendre n'importe quoi, en remontant à la source de toute chose, tu arrives à
la limite de la science. La science explique beaucoup de choses, mais elle
n'a pas toutes les réponses. Beaucoup s'accordent alors à dire qu'il y a un
architecte derrière tout ça, un dieu horloger. Ce sont les théistes et les
déistes. Pour expliquer simplement les choses, ce sont les opposés aux
athées.
– Et si tout cela n'était que le fruit du hasard ? Si le Big Bang n'était
dû qu'à une erreur de l'univers et qu'avant ça il n'y avait rien ? Ton
architecte n'y serait pour rien et ça voudrait dire qu'il n'y a pas forcément
un dieu ou quelque chose à l'origine de tout.
– Je ne crois pas au hasard, même au plus petit. Mais admettons que
le Big Bang soit le fruit du hasard. Ce serait juste un petit hasard. Mais
ensuite il n'y aurait que des hasards, trop parfaits pour en être vraiment : la
terre à la parfaite distance du soleil, de l'eau permettant la vie sur terre, le
corps humain fait de manière à ce qu'il soit tel qu'il est. Imagine si tu avais
les oreilles sous les pieds ! Non mon ami, il n'y a pas de hasard, pas avec la
vie.
– S'il n'y a pas de hasard, qu'y avait-il avant Dieu, vu que tu sembles
affirmer son existence ?
– Il n'y a jamais eu d'avant Dieu. Dieu est le zéro de l'échelle
mathématique. Qu'y a-t-il avant zéro ? Les nombres négatifs, mais ce sont
les mêmes que les nombres positifs. Dieu a toujours existé, c'est un mystère
qui nous dépasse, je te l'accorde.
– Ok, admettons qu'il y ait un début à toutes choses et que le début
de la vie c'est Dieu. Comment expliques-tu que nous ne voyons pas Dieu et
qu'il y ait autant de souffrance en ce monde ?
– Déjà, nous ne voyons pas Dieu parce qu'il est Esprit. Et il est
marqué dans la Bible que celui qui verra la face de Dieu mourra. Il est
des mystères qui nous dépassent mais il est possible de sentir la
présence de Dieu et de le voir à l'œuvre dans notre vie. Demander où
est Dieu, c'est comme un poisson qui demanderait : où est l'eau ? Dieu
c'est comme l'oxygène, on ne peut pas le voir, mais il est omniprésent,
c'est-à-dire qu'il est partout. La question de la souffrance revient
régulièrement quand je parle de ma foi avec les autres. La souffrance ne
vient pas de Dieu. Il y a eu un péché originel, c'est-à-dire une faute vis-
à-vis de Dieu qui a cassé la relation parfaite qu'avait l'homme avec Dieu
lors de sa création. Tu as déjà dû entendre parler d'Adam et Eve ?
– Oui, ceux qui ont mangé la pomme.
– Ce n'était pas une pomme mais un fruit défendu. C'est un
symbole. Garde en tête que ces récits ne sont pas toujours à prendre au
pied de la lettre. Ils sont des images qui racontent l'histoire de
l'humanité, qui s'est transmise de manière orale. Alors il ne s'agit pas
forcément de manger un fruit pour qu'il y ait une rupture avec Dieu,
mais plutôt de la désobéissance au seul commandement que leur avait
donné Dieu. En voulant devenir comme Dieu, chose pour laquelle
l'homme n'est pas fait, en voulant prendre ses propres décisions, en
décidant de ce qui est bien et de ce qui est mal à la place de Dieu, tout
cela a entraîné la rupture avec le Créateur. C'est ainsi qu'est entré le mal
sur la terre.
– Mais attend, il n'y a pas un serpent dans l'histoire ? Ça serait
pas plutôt sa faute à lui ?
– Je vois que tu as déjà entendu cette histoire. Oui, là aussi il
faut être prudent. Le serpent symbolise le diable. C'est lui qui est venu
tenter Adam et Eve. Mais ce sont eux qui ont désobéi.
– Attend, attend. Donc il y avait déjà le mal avant qu'Adam et
Eve ne mange le fruit, c'est ça que tu dis ?
Le fou et le sage 8
– Les théologiens ne sont pas tous d'accord, mais il semblerait que
le diable ait été un ange, qui a voulu s'élever au même rang que Dieu, et il
aurait été déchu pour ça. Ecoute, ce n'est pas le plus important de savoir
d'où vient le diable. C'est comme Dieu, il est des mystères que l'on ne peut
pas saisir avec notre simple intelligence. Ce qui est bien certain, c'est que
nous sommes là, toi et moi, et que ce n'est pas un hasard.
– Alors c'est parce que deux personnes ont mangé d'un fruit en
désobéissant à Dieu qu'il y a autant de souffrance en ce monde ?
– C'est comme ça que le mal est entré dans le monde, mais s'il y a
de la souffrance encore aujourd'hui ce n'est plus à cause d'Adam et Eve,
mais à cause de nous. Imagine que Dieu soit un dentiste. Pourquoi y aurait-
il encore des caries aujourd'hui si les dentistes existent ? Tout simplement
parce que toutes les personnes ne vont pas chez le dentiste. C'est la même
chose avec Dieu. Tout le monde ne s'adresse pas à Lui.
– Donc, si tout le monde s'adressait à Dieu, il n'y aurait pas de mal ?
– Si le monde entier reconnaissait Dieu comme le Seigneur du
monde, oui, ce serait la fin de tous les malheurs, parce que le mal cesserait
d'exister. Mais cela n'arrivera jamais. Il est écrit que certains seront sauvés
et d'autres pas.
– Mais c'est injuste. Tout le monde mériterait d'être sauvé !
– Même Adolf Hitler ? C'est à Dieu de juger chaque personne, mais
ce que tu dois comprendre, c'est que tout le monde peut être sauvé, sauf que
peu de gens choisissent de l'être. Hitler a choisi de faire le mal, personne ne
l'a forcé. C'est toute la complexité du libre arbitre.
C'était le genre de conversations qu'avaient Tim et Thomas. Tim
n'était pas convaincu par les propos de Thomas, mais il aimait bien débattre
sur le sujet. Parfois il lui venait une subtilité avec laquelle il essayait
d'attaquer Thomas. Mais celui-ci ne se laissait pas défaire.
– Thomas, par rapport à la création, lui demanda-t-il un jour,
comment se fait-il que la terre ait pu être créée en six jours si les
scientifiques ont retrouvés des fossiles de plusieurs millions d'années ?
Thomas soupira et Tim crut qu'il avait trouvé une faille en lui.
– La question du créationisme, répondit-il en s'asseyant, comme
si ce qu'il avait à dire allait prendre du temps. Même au sein des
chrétiens il y a des débats acharnés sur la question. Il y a trois écoles :
ceux qui affirment que la terre a été créée en six jours de vingt-quatre
heures ; ceux qui croient que la science est compatible avec la création
et que la terre a été créée en plusieurs millions d'années et que ces six
jours symbolisent les jours de la semaine et leur découpage, mettant en
avant l'importance d'un jour de repos ; et enfin ceux qui pensent qu'il a
pu y avoir une évolution dans laquelle Dieu est impliqué.
– Et toi, à quelle école appartiens-tu ?
– Je crois que rien n'est impossible à Dieu et qu'il a très bien pu
créer tout l'univers en six jours. Mais je ne suis pas contre la science et
il est bien possible que ce soient des jours symboliques. Après tout, le
premier jour, ce fut le premier de tous, il n'avait donc pas de
commencement. C'est un détail. L'important est de croire que le monde
a été créé et qu'il n'est pas le fruit du hasard.
« Dieu à très bien pu créer la terre avec de l'âge : après tout il a
bien créé l'homme adulte. Et puis il y a le déluge. Il y a quelques
années, suite à une catastrophe naturelle, une inondation a eu lieu aux
États-Unis. En quelques heures seulement, la roche est devenue fossile
et les scientifiques ont estimé l'âge de cette roche à plusieurs
millénaires. C'est dingue non ?
Tim s'était assis et le regardait perplexe.
– Je ne t'ai pas convaincu, hein ? Lui demanda Thomas.
– C'est intéressant de discuter avec toi Thomas, vraiment, mais
je trouve que c'est un peu un dialogue d'un muet avec un sourd. Tu as
tes opinions et moi les miennes. Et tu me respectes, j'apprécie.
Seulement tu m'avais parlé d'expérimenter par moi-même ta foi et là je
Le fou et le sage 9
dois dire que je suis un peu sur ma soif.
– Vraiment ? Peut-être es-tu prêt alors pour faire un pas vers la
vérité.
Thomas se leva et alla dans l'arrière boutique. Il revint quelques
minutes plus tard avec un livre épais à la main. Tim n'eu pas de mal à
deviner de quel livre il s'agissait.
– La Bible ? Demanda-t-il quand-même.
– Oui, la Bible. Je te fais cadeau de cette version en français
fondamental. Tu ne devrais pas avoir de peine à la comprendre.
– Je te remercie, mais je ne sais pas si je vais la lire, honnêtement.
– C'est à toi de décider. En tout cas si tu commences à la lire et que
tu as des questions, n'hésite pas à venir me voir.
Lorsque Thomas s'en fut allé, Tim regarda l'ouvrage bleu avec un
arbre sur la couverture. Il y avait la terre et des nuages au-dessus, et
« Bible » était écrit en blanc. C'était plus classe que ce qu'il ne se l'était
imaginé. Mais c'était tellement volumineux… Jamais il n'avait lu un livre
aussi long. Il le feuilleta et découvrit que ce livre était en fait un ensemble
de livres. Peut-être pourrait-il lire un seul de ceux-ci et voir si cela lui
plaisait ? Mais par lequel commencer ? C'était trop compliqué, il décida de
laisser tomber pour le moment.
Quelques jours plus tard, alors qu'il était chez lui et zappait
bêtement de chaîne en chaîne, son regard tomba sur la Bible offerte par son
seul ami du moment, qu'il avait laissé traîner sur une table basse. C'était
une dure journée pour lui. Il venait de découvrir sur Facebook que son ex-
fiancée s'était fiancée avec son copain, et il venait de recevoir un rappel
pour le loyer. Pour couronner le tout, il n'avait pas de nouvelles des
employeurs auxquels il avait envoyé sa candidature.
Alors qu'il songeait à aller au commerce du coin s'acheter à boire, il
décida, sans savoir vraiment pourquoi, d'ouvrir pour la première fois sa
Bible. Il ouvrit au hasard, n'y connaissant rien. C'était un passage dans le
livre des Proverbes. Il tomba sur le chapitre vingt et commença sa
lecture, sans se soucier de ne pas être au début du livre.
« Le vin rend l'homme moqueur, l'alcool le rend bruyant. Celui
qui en boit trop ne sera jamais un sage. »
Il arrêta aussitôt sa lecture. Ce verset le fit réfléchir, puis il
chassa l'idée qu'il puisse y avoir un rapport quelconque avec lui. C'était
simplement un hasard, rien de plus, essaya-t-il de se rassurer. Il reposa
la Bible et reporta son attention vers la télé. Il ne croyait pas à toutes
ces bondieuseries et encore moins qu'un fichu livre puisse lui apporter
des réponses. Car cela voudrait dire qu'il aurait dû reconnaître qu'il y a
quelqu'un derrière tout ça. Et il n'était pas prêt. Il n'avait jamais cru et
n'était pas près de changer sa mentalité.
Malgré tout ce qu'il se dit pour se rassurer, il ne pouvait chasser
de son esprit ce simple verset. Il ne toucha plus sa Bible ce soir-là, mais
il ne toucha pas non plus une goutte d'alcool.
Le fou et le sage 10
Quand le fou cherche la sagesse
Fallait-il donc ne pas boire de vin pour être sage ? Cette question
trotta dans la tête de Tim, à tel point qu'il eut envie d'en savoir plus.
Thomas lui assura qu'il n'était pas interdit de boire dans la Bible,
simplement de s'enivrer, afin de montrer le bon exemple aux autres et par
respect pour son propre corps, création de Dieu.
Pour Tim, qui reconnaissait à présent sa dépendance à l'alcool, cette
manière d'aborder le problème avait du sens. Il se sentait un peu comme le
fou de la comptine de Thomas : en recherche.
Au cours des mois qui suivirent, il ouvrit à nouveau sa Bible. Il
s'intéressa à la sagesse enseignée par Salomon dans les Proverbes et y
trouva une philosophie surprenante. Après avoir lu ce livre, il décida
d'essayer de lire la Bible en entier. Il commença donc par la Genèse, le
premier livre, qui raconte l'histoire de la création et celle des patriarches
d'Israël. Ce lien étroit avec le peuple juif intriguait Tim.
– Dans les religions monothéistes, lui expliqua Thomas, c'est-à-dire
qui n'ont qu'un seul Dieu, il y a un lien ; le sémitisme. Le nom vient du
dernier fils de Noé, Sem. Il désigne tous les peuples qui parlent une langue
dite sémite. Nous y retrouvons ainsi le peuple arabe et les juifs, qui sont les
ancêtres du christianisme.
– Donc il existe un lien entre l'islam, le judaïsme et le
christianisme ?
– Oui, Abraham. Son fils aîné, Ismaël, lui vint de sa servante. C'est
lui qui est l'ancêtre du peuple arabe. Et le premier fils qu'il eut avec sa
femme Sarah, Isaac, est l'ancêtre du peuple juif. Le fils d'Isaac, Jacob, se
verra renommé Israël, ce qui veut dire « celui qui lutte avec Dieu ». En
effet, il a combattu Dieu au cours d'une nuit.
Ces récits n'étaient pas inconnus de Tim. Il venait de les parcourir,
mais réalisait à présent quel lien historique il existait entre les histoires de
la Bible et le reste de l'humanité. C'était fascinant de voir que toutes
choses semblaient être liées à ces histoires. Par exemple pourquoi il y a
autant de langues à travers le monde : l'histoire de la tour de Babel en
était la cause.
Tim n'avait pas l'impression d'avoir trouvé ce qu'il cherchait
dans ce livre : le sens de la vie. Si la Bible raconte ce qui s'est passé de
la création à environ deux mille ans en arrière, elle n'apporte pas de
réponse sur la raison de la création ou le but de l'existence. Pourquoi
sommes-nous sur cette terre ? Si Dieu est omnipotent, c'est-à-dire qu'il
peut tout, comment expliquer qu'il reste impassible face à l'injustice ?
– Imagine que tu apprennes la mort de quelqu'un. Ça ne te
réjouirait pas, n'est-ce pas ? Lui demanda Thomas.
– Bien sûr que non. Où veux-tu en venir ?
– Maintenant imagine que ce quelqu'un est Adolf Hitler. Que
ressentirais-tu ?
– Selon le contexte, du soulagement, je suppose.
– Alors qu'une personne meure te dérange, mais pas si c'est un
tyran responsable de la mort de millions de personnes ?
– Ça me semble assez logique, oui.
– Pourtant, selon toute logique, nous sommes tous égaux. Et la
mort de quiconque devrait nous attrister. Cependant, si quelqu'un avait
tué Hitler avant qu'il vienne au pouvoir, cela aurait sauvé des millions
de personnes. Parfois nous considérons une situation comme injuste,
alors que c'était le meilleur moyen d'éviter une catastrophe.
– Mais pourquoi n'y aurait-il pas tout simplement aucune
catastrophe ? En gros, pourquoi nous permettre de vivre de la sorte
alors que tout pourrait être différent ?
– Tu verras en poursuivant ta lecture que par la suite Dieu a
demandé à son peuple de lui offrir des sacrifices. C'était le moyen d'être
pardonné pour nos mauvais actes. Il nous a donné le libre arbitre, il
Le fou et le sage 11
nous a créé à son image.
– Je croyais que Dieu est Esprit ?
– Oui. Et comme lui nous avons un corps, une âme et un esprit. De
même les trois personnes de la trinité ne forment qu'une seule.
– Je n'y comprends rien à cette trinité.
– C'est assez complexe. Essaie seulement de comprendre qu'il n'y a
aucun mal en Dieu. Le mal qui existe vient de nos propres décisions et nous
pouvons en venir à bout en demandant l'aide de Dieu.
– Comment est-ce qu'on fait ça, demander l'aide de Dieu ?
– En priant.
Tim n'était pas prêt à essayer la prière. Pour l'instant il voulait
comprendre en quoi le christianisme pouvait être une meilleure alternative
qu'un autre religion.
– Donc, les religions sémites sont assez proches ?
– Oui. Nous retrouvons des similitudes entre le Tanakh, le livre
saint des juifs, le Coran, le livre sacré des musulmans et la Bible.
– Et pourquoi ce serait le christianisme qui serait la vraie religion
monothéiste ? Si tu étais né dans un pays arabe, ne serais-tu pas
musulman ?
– C'est probable. Cela dit, nombre de musulmans deviennent
chrétiens. Dans la culture arabe, la religion est omniprésente. En Occident,
nous sommes laïques. Donc nous avons la liberté de choisir. En plus de
cela, le christianisme est la seule religion qui ne te demande rien. Certains
diront peut-être que c'est par les œuvres que tu obtiens le salut, mais il n'en
est rien. Il est marqué clairement que c'est par la foi que nous sommes
sauvés. Islam veut dire soumission. C'est une religion très exigeante et qui
demande une dévotion totale. Le judaïsme exige que tu sois né au moins de
mère juive. C'est un héritage sanguin. Le bouddhisme et l'hindouisme sont
des religions polythéistes, c'est-à-dire qui ont plusieurs dieux, et, même si
certains sont plus importants que d'autres, il n'y a pas un Dieu unique et
Créateur, qui te promet une vie après la mort. La vie est un cycle et la
réincarnation en est l'aboutissement. Dans le bouddhisme il est question
de rechercher un état spirituel qui te permettrait d'échapper à ce cycle. Il
n'y a que dans le christianisme où l'homme n'a rien à faire, simplement
d'accepter le salut.
– Si c'était si simple, tout le monde devrait être chrétien !
– Certains se disent croyants, mais la vérité c'est que Dieu
regarde au cœur. Il sait si tu es sincère dans tes engagements et si tu
l'aimes vraiment.
Tous ces débats donnaient la migraine à Tim.
– Et si simplement il n'y avait pas de religion qui détienne la
vérité ? Si la vie n'avait pas de but précis et qu'il suffisait de profiter de
celle-ci en cherchant à bien agir ?
– Dans ce cas, dans quel but chercher à bien agir ? Pourquoi
faire le bien s'il n'y a pas de conséquences ? Nous revenons au libre
arbitre et aux conséquences que cela implique de ne pas avoir la même
éthique. Je vais te donner un exemple. Les Grecs de la Grèce antique
pratiquaient la pédérastie. Des hommes d'un certain âge avaient des
rapports sexuels avec des jeunes hommes, voire des enfants. C'était
chose courante. Avec le temps, la pédophilie et l'homosexualité ont été
réprouvées. Aujourd'hui, dans la plupart des sociétés occidentales,
l'homosexualité est une chose tout à fait acceptée, mais pas la
pédophilie. Alors qu'est-ce que ça veut dire ? Que la pédophilie devrait
être acceptée parce que c'est comme l'homosexualité, une chose qui a
été acceptée, ou que l'homosexualité devrait être désapprouvée ? C'est
une vaste question. Tout dépend de quelle éthique tu appliques. Les
libéraux argumenteront pour une approche progressiste, tandis que les
conservateurs soutiendront haut et fort que les deux pratiques sont
mauvaises. La Bible, elle, a toujours été claire à ce sujet. Sauf que la
société a évolué et que les valeurs chrétiennes se sont perdues.
Le fou et le sage 12
– En même temps tu ne vas pas me dire que l'esclavage, par
exemple, serait une bonne chose à rétablir !
– Non. Il faut vivre avec son temps. Mais certaines choses sont
clairement définies comme bien ou mal, et la liberté religieuse commence à
se perdre. C'est une chose attendue, car annoncée dans l'Apocalypse. Le
mal deviendra bien et le bien deviendra mal.
Toutes ces discussions ne réussissaient pas à convaincre Tim qu'une
religion valait mieux qu'une autre. C'était en effet vers le christianisme qu'il
commençait à se tourner, mais il avait le sentiment que dans un autre
contexte il aurait très bien pu se tourner vers un autre mouvement. Il lui
fallait expérimenter par lui-même cette chose dont parlait Thomas.
– Ta religion est peut-être importante pour toi, mais je ne vois
toujours pas ce qu'elle a à m'apporter.
– D'abord il ne s'agit pas d'une religion. C'est un terme inventé par
les hommes, qui a trop souvent été utilisé pour faire des choses
regrettables. Ce que je te propose ce n'est pas une religion. C'est une
relation. Dieu t'aime comme un père et un ami, et il souhaite entrer en
contact avec toi.
– Si j'entre en contact avec Dieu, je veux bien devenir chrétien sur
le champ ! Plaisanta Tim.
– C'est très facile d'entrer en contact avec Dieu. Il te suffit de le
vouloir. Mais au fond de toi tu n'y crois pas. C'est pour ça que ça ne
marchera pas.
– Tu veux dire qu'il faut que je m'imagine les choses, c'est ça ?
– Non, je veux dire que pour vraiment entrer en contact avec Dieu
tu dois être sincère. Dieu ce n'est ni le karma ni un rite : Dieu est une
personne divine qui est capable d'entrer en contact avec toi. Dieu te voit
constamment et sait même les choses que tu ignores sur toi-même.
– Comment pourrait-il tout savoir de moi et de toute personne en
même temps ? C'est impossible !
– Aux hommes, cela est impossible. À Dieu, rien n'est
impossible. Imagine que Dieu soit en dehors du temps. Il voit en même
temps le passé, le présent et le futur. Nous sommes juste un point sur
une ligne tracée à l'avance, dont le courbé dépend de nos choix. Dieu
étant immortel et existant depuis toujours, il est omniscient, c'est-à-dire
qu'il sait tout. Cela fait partie des trois caractéristiques de Dieu : il est
omniscient, omnipotent et omniprésent.
– Si Dieu sait tout mais que nos choix ont encore de
l'importance, qu'est-ce que ça veut dire ? S'il est en dehors du temps,
cela voudrait-il dire qu'il sait à l'avance ce que nous allons décider ?
– Eh bien, oui et non…
Thomas semblait hésitant, comme tiraillé par la question de
Tim.
– C'est ce que l'on appelle la prédestination. C'est-à-dire que
Dieu a choisi à l'avance ceux qu'il appelle à devenir chrétiens.
– Cela ne me semble pas très juste…
– Tu pourrais le voir un peu comme une porte où il est écrit
« choisis-moi » et de l'autre côté il est écrit « je t'ai choisi ». En disant
que l'homme choisi lui-même s'il veut devenir chrétien ou pas ça enlève
le fait que Dieu fait tout le travail.
– Donc, les chrétiens ne choisissent pas vraiment d'être
chrétiens, si je comprends bien…
Thomas marqua un temps de silence.
– Je t'avoue que je ne sais pas. Mais ça me fait bien réfléchir en
tout cas. Merci pour cette réflexion. Être chrétien ne veut en tout cas
pas dire avoir tout compris à tout.
Ils ricanèrent.
– Toute cette théologie me fait tourner la tête, se plaignit Tim.
Tu n'aurais pas quelque chose de plus concret.
– Bien sûr que oui, rit Thomas. Pardonne mes élans de
Le fou et le sage 13
théologien. Au moins tu peux constater que la théologie n'est pas un truc de
pauvre d'esprit. L'étude de la Bible est très complexe et c'est un véritable
chef-d'œuvre, écrit d'une manière tellement parfaite que c'en est impossible
que cela vienne des hommes. Je pourrais t'en parler pendant des heures, que
dis-je, des jours entiers !
– Explique-moi plutôt comment Dieu a pu écrire un livre.
– De sa propre main il n'a écrit que les dix commandements, donnés
à Moïse sur des tablettes de pierre. Pour le reste, il a inspiré des personnes,
souvent des prophètes et autres grands personnages bibliques, pour mettre
par écrit la tradition orale. La manière dont la Bible est telle quelle est
aujourd'hui, avec le nombre de livres qu'elle a et sa disposition, est une
histoire fascinante. C'est en découvrant ce genre de choses que l'on cesse de
croire au hasard.
– Je veux bien te croire quand tu dis que c'est fascinant, mais
j'aimerais vraiment du concret…
– Tu veux découvrir ce qu'est une communauté et comment entrer
en contact avec Dieu ?
– Oui. Et si possible avoir une preuve de son existence.
– Très bien. Tu as frappé à la bonne porte.
Le fou et le sage 14
Première expérience
Tim ne savait pas trop à quoi il s'attendait en allant à l'Eglise le
dimanche matin. En tout cas pas à ça. Dans sa conception de l'Eglise, il
s'imaginait ce qu'il avait vu pour les mariages et les enterrements : un grand
bâtiment en pierre froide, de la lumière filtrée par des vitraux et des bancs
inconfortables, un vieux prêtre plongé dans une immense Bible usée et des
paroissiens du troisième âge chantant des cantiques d'avant-guerre. Ce qu'il
avait devant lui ressemblait plus à un séminaire : de la moquette au sol, des
chaises, une estrade avec du matériel sonore de pointe, des fenêtres tout ce
qu'il y a de plus normal, des gens habillés comme lui et même un
projecteur qui affichait un message de bienvenue.
Il avait suivi Thomas et Caroline, son épouse, qui semblaient
connaître chacune des cinquante personnes présentes. Des visages radieux
le saluèrent et lui posèrent plein de questions. Pour montrer qu'il
n'appartenait pas à ce monde, il dit clairement que c'était la première fois
qu'il mettait le pied dans une Eglise évangélique. D'ailleurs, que voulait
dire ce terme ?
– Évangélique signifie que nous nous identifions à l'Évangile, lui
expliqua Thomas. Dans le christianisme il y a l'Eglise universelle, qui est
normalement l'Eglise catholique, mais en disant cela on pense à l'Eglise
catholique romaine, qui est celle avec le pape. Les évangéliques sont l'un
des mouvements du protestantisme et se distinguent des réformés en n'étant
pas une Eglise d'État, du moins ici sur le canton de Vaud. Ça c'est dans les
grandes lignes.
– Et c'est quoi alors les évangélistes ? Ça n'existe pas ?
– Si, sauf qu'il ne s'agit pas d'un mouvement du christianisme mais
de l'action d'annoncer l'Évangile, c’est-à-dire de faire le l'évangélisation.
Un évangéliste est une personne qui pratique l'évangélisation, ou alors les
auteurs des Évangiles, et un évangélique est une personne qui prend
l'Évangile comme référence.
Tim ne savait pas vraiment ce qu'est l'Évangile, alors parler de
termes techniques lui paraissait hors d'atteinte. Il commençait à se
demander s'il avait bien fait de venir.
Quelqu'un venait de prendre un micro et invita l'assemblée à
s'asseoir. L'orateur souhaita la bienvenue à chacun et demanda s'il y
avait des personnes présentes pour la première fois. Thomas poussa
Tim à se lever et celui-ci sourit faiblement, mal à l'aise. L'assemblée
l'applaudit et bientôt de la musique retentit. Ces chants n'avaient rien à
voir avec les cantiques de Noël que Tim connaissait. C'étaient des
chants dynamiques, accompagnés de guitare, de piano et de batterie.
C'était comme un concert. Des gens levaient même les mains et certains
fermaient les yeux. Tim se contentait de chanter en lisant les paroles sur
le projecteur. Il y avait des mots qu'il ne comprenait pas et des phrases
qui lui semblaient dénuées de sens.
Pendant ce moment animé, un temps de prière fut décrété. Tim
se rassit et observa autour de lui. Beaucoup de personnes avaient la tête
baissée et l'on pouvait voir leurs lèvres bouger. Il se demanda si toutes
ces personnes étaient en train de jouer une sorte de comédie ou si elles
vivaient réellement quelque chose. Des gens commencèrent à prier à
voix haute.
– J'ai sur le cœur de prier pour une personne ici présente. Sache
que tu vas bientôt trouver du travail. Ne t'inquiète pas, confie-toi en
moi, et je veillerai sur tes pas. N'aie pas peur.
Évidemment, Tim fut intrigué par cette prière, mais il se dit que
n'importe qui pouvait être concerné. Et même que c'était une prière que
lui-même aurait pu dire devant tout le monde, pour se faire bien voir. Il
devenait plus craintif à l'égard des évangéliques que ce qu'il ne l'aurait
cru. Tout ça n'était qu'une supercherie. Mais dans quel but, au juste ?
– Que votre cœur ne se trouble point. Croyez en Dieu, et croyez
Le fou et le sage 15
aussi en moi.
Tim vit que le monsieur qui venait de parler avait lu un texte. Sans
aucun doute de la Bible. Il se demanda s'il s'agissait encore d'une
coïncidence si ces paroles lui parlaient. Ce qu'il voulait, si Dieu existait
vraiment, c'était avoir une preuve concrète de son existence et la certitude
que c'était bien ce Dieu-ci qui était le vrai Dieu. Ce qu'il venait de vivre ne
l'avait pas convaincu.
Après un nouveau chant, il y eut un temps que Thomas lui expliqua
être la Sainte Cène, que lui-même connaissait sous le nom d'eucharistie.
Quelques personnes prirent du pain et le rompirent, puis du vin et
remplirent des coupes. Elles passèrent ensuite dans les rangs pour donner
du pain et du vin aux fidèles. Tim n'en prit pas et resta perplexe sur la
manière de prendre ce qu'il s'imaginait comme étant une hostie. Il se
souvenait vaguement que c'était un truc en rapport avec ce qu'avait fait le
Christ, mais n'y attacha guère d'importance.
Un temps d'offrande suivit alors. Chacun était libre de donner à sa
guise ce qu'il souhaitait dans le petit panier qui circulait dans les rangs.
C'était peut-être ça le but de la supercherie, se dit Tim, l'argent. Il donna
quelques francs qu'il avait dans sa poche, à contre cœur, car il était ruiné.
Le pasteur prit à son tour la parole et parla pendant une demi-heure.
Il parla de la sagesse et du fait que ce n'était pas l'argent qui possédait le
pouvoir. Cela fit ricaner Tim. Si ce n'était pas l'argent, qui était-ce ? D'après
le pasteur, c'était Dieu. Où était donc son Dieu si puissant ? Le pasteur
raconta alors une histoire.
– Deux bébés parlent dans le ventre de leur mère. Le premier
demande à son frère :
« Tu crois en la vie après l'accouchement ?
« Bien sûr, lui répond-il. Nous sommes ici uniquement pour devenir
fort et nous préparer à ce qui nous attend après.
« Non, il n'y a rien après l'accouchement, argumente l'autre. Est-ce
que tu peux imaginer à quoi une telle vie ressemblerait ?
« Je ne connais pas tous les détails, mais il y aura beaucoup de
lumière et de joie. Par exemple on pourra manger avec notre bouche.
« C'est n'importe quoi ! C'est le cordon ombilical qui nous
nourrit, un point c'est tout ! Il n'y a jamais eu de revenant de cette vie
après l'accouchement. La vie se termine à l'accouchement.
« Non. Je ne sais pas exactement à quoi rassemblera cette vie,
mais nous verrons notre maman et elle prendra soin de nous.
« Maman ? Tu crois en maman ? Et ou se trouve-t-elle alors ?
« Elle est partout ! Elle est autour de nous. C'est grâce à elle que
nous vivons. Sans elle nous ne sommes rien.
« Ridicule ! Je n'ai jamais vu aucune maman, donc c'est évident
qu'elle n'existe pas.
« Je ne suis pas d'accord. Parfois tout devient calme et on peut
l'entendre chanter, sentir quand elle caresse notre monde. Je suis certain
que notre vie commence après l'accouchement.
Tim était forcé d'admettre que ce récit ne le laissait pas de
marbre, mais il n'était pas encore convaincu de la pertinence des propos
qu'il avait entendus. Après tout, tout aussi touchantes que soient ces
histoires, il n'avait pas expérimenté personnellement cette soi-disant
puissance de Dieu.
Trop perdu dans ses pensées et n'ayant pas la moindre envie de
rester discuter avec les membres de l'Eglise, il salua hâtivement
Thomas et rentra chez lui. Il y resta la journée et n'ouvrit pas sa Bible. Il
lui semblait qu'il n'avait pas trouvé ce qu'il cherchait et il était déçu.
Bien sûr discuter était intéressant, mais vivre les choses comme le
prétendait Thomas serait beaucoup mieux. Il n'était plus du tout sûr de
ce qu'il croyait et se demandait même si la vie avait un sens.
Malgré un sommeil agité, il fut efficace à son travail le
lendemain. En rentrant chez lui, il avait, comme d'habitude, du courrier.
Le fou et le sage 16
En plus des rappels habituels, il y avait une lettre d'une entreprise auprès de
laquelle il avait postulé. Se disant que l'on avait enfin la décence de lui
refuser un poste ouvertement, il ouvrit l'enveloppe, peu enthousiaste. Ce
n'était pas un refus : c'était une invitation à un entretien d'embauche pour le
lendemain.
Il s'empressa d'appeler l'entreprise pour confirmer le rendez-vous et
prévint ensuite Thomas qu'il devrait s'absenter le lendemain. Thomas était
très content pour lui, et lui dit qu'il prierait pour que cet entretient se passe
bien. En dépit de toutes ses appréhensions sur la vie, Tim devait reconnaitre
que de penser que quelqu'un veille sur lui le réconfortait.
Le fou et le sage 17
Et le fou devint sage
Tim était en avance pour son entretien. Il était assis dans la salle
d'attente, nerveux. Il savait que s'il arrivait à décrocher cet emploi, sa
carrière pourrait reprendre. Cela faisait des mois qu'il n'avait plus exercé
son métier et il avait peur que les dettes qui lui restaient l'empêchent
d'obtenir le poste. Dans sa conception des choses, retrouver un emploi lui
permettrait de repartir à zéro. Et il était tout de même confiant, car, se
disait-il, s'il avait été convoqué c'était que l'entreprise n'avait pas tenu
compte de ses dettes.
Il ne pouvait toutefois pas s'empêcher de stresser. C'était, en
quelque sorte, sa seule chance de s'en sortir. Alors qu'il essayait de respirer
calmement et de se détendre, il ressentit le besoin d'avoir la paix. Et il lui
semblait connaître un moyen de trouver cette paix, seulement il n'avait
jamais essayé. Il inspira un grand coup et tenta de parler en lui-même. Ne
sachant pas très bien comment s'y prendre, il adressa cette prière :
– Heu… Dieu, si tu existes et que tu m'entends, je t'en prie, accorde-
moi ce travail. J'en ai besoin pour m'en sortir. Je sais que je ne suis pas un
de tes fidèles, mais il paraît que tu peux agir dans nos vies. Si c'est le cas, je
te le demande : donne-moi ta paix. Je te promets de retourner à l'Eglise si
j'obtiens ce poste, mais s'il te plaît, aide-moi !
C'était un cri du cœur. Il n'avait jamais prié auparavant et n'était
toujours pas convaincu que Dieu existe et s'il existe que ce soit bien celui
de la Bible qui soit le vrai. Mais la paix qu'il ressentit après cette prière, il
ne l'avait jamais ressentie auparavant. C'était comme si quoi qu'il arrive il
serait satisfait. Ce n'était pas si important, après tout, seulement un travail.
On appela monsieur Bonvin et il se dirigea d'un pas assuré vers le
bureau du directeur. Son entretien fut bref, et il eut l'impression de subir un
interrogatoire. Il ne pouvait que dire oui à tout ce que lui demandait le
directeur, n'étant pas en position de négocier. L'important, c'est qu'au final
il décrocha la place de travail.
Un immense soulagement s'empara de lui. Il commencerait dès
le lundi suivant et se dépêcha d'annoncer la bonne nouvelle à Thomas.
Il garda sous silence la prière adressée dans la salle d'attente, mais il
savait que quelque chose en lui avait changé.
Il fut bien obligé de se souvenir de cette prière le samedi soir, en
repensant à la promesse qu'il avait faite. À qui l'avait-il faite au juste ?
À Dieu ? C'était ridicule. Pourtant il avait envie d'honorer sa parole.
Avant d'aller se coucher, il se replongea dans la lecture de sa Bible. Il
comprenait mieux ces histoires de sacrifices dont lui avait parlé
Thomas. Et c'était sacrément pénible à lire. Il finit par sauter des
passages pour chercher un extrait intéressant, ce qui n'était pas évident
dans le livre du Lévitique. Il finit par remettre de côté sa Bible et alla
dormir.
Le lendemain, il était debout à neuf heures, prêt à se rendre pour
la deuxième fois de sa vie à un culte. Thomas eut l'air assez surpris de
le voir, mais lui serra simplement la main en lui souhaitant la
bienvenue. Il s'assit à côté du couple Pittet et n'eut pas besoin de se
lever cette fois-ci. Durant les chants, que l'assemblée semblait appeler
la louange, il fut stupéfait par la beauté d'une jeune fille de son âge qui
était sur la scène avec les musiciens. Elle avait quelque chose de
spécial, sans qu'il ait pu dire quoi.
Le message du jour parlait de la reconnaissance. Bien qu'il ne se
sentit pas particulièrement ciblé cette fois-ci, il savait qu'il avait au
moins une raison d'être reconnaissant. Et au fond de lui, il l'était.
À la fin du culte, de nombreuses personnes vinrent le saluer et il
ne se déroba pas cette fois, trop désireux de rencontrer la fille de la
louange. La brune au regard perçant finit par venir dans sa direction et
il alla se présenter. Elle s'appelait Julie et avait un sourire délicieux.
Elle était animée par une vigueur étonnante. Il n'avait jamais connu une
Le fou et le sage 18
fille pareille. Il aurait bien aimé l'inviter pour faire plus ample
connaissance, mais il se gêna et laissa passer sa chance. Il était bon pour
revenir le dimanche suivant.
Avec son nouveau travail qui commençait, il retrouva goût à
beaucoup de choses, dont le stress du monde de la finance. La semaine fila
à une allure folle et bientôt ce fut dimanche et un nouveau culte. Il avait
avancé dans sa Bible et échangea ses impressions avec Thomas, qui
semblait s'émerveiller de son changement de comportement. Le message du
jour parla de la grâce de Dieu et pour une fois Tim commençait à y
comprendre quelque chose. Il se pouvait bien que Dieu soit bon. L'idée
qu'il puisse y avoir quelqu'un qui contrôlait tout le rassurait. Il n'était pas
encore converti au christianisme, même s'il commençait à vivre la vie d'un
chrétien.
Il revit Julie et n'eut toujours pas le courage de l'inviter. Il lui
semblait qu'elle appartenait à un monde différent du sien. Il avait progressé
dans sa recherche du sens de la vie, mais n'était pas encore satisfait et
convaincu qu'il avait trouvé la vérité. Il lui manquait un élément pour sa
compréhension : quelle démarche devait-il faire pour que sa vie soit
réellement différente ? Après tout il vivait la même vie qu'autrefois, aux
seules différences près qu'il se rendait à l'Eglise et ne buvait plus d'alcool.
Il continuait la lecture de sa Bible, sans que cela ne lui apporta
réellement des réponses, seulement de la connaissance biblique et
historique. Il se rendait aux cultes et entendait des messages d'espoir et de
réconfort. Il discuta longuement avec Thomas à propos de la personne de
Dieu et lui avoua qu'il avait prié dans la salle d'attente avant son entretien.
Thomas l'encouragea à prier à nouveau, ne serait-ce que pour dire merci. Il
lui montra la prière du Notre Père et la manière dont il est conseillé de prier
dans la Bible.
Il fallut du temps à Tim pour se décider à prier. Et lorsqu'il
commença, il comprit assez vite que ce n'était pas très compliqué. Il lui
suffisait de dire merci pour ce qu'il avait dans sa vie, de demander à
Dieu de prendre soin des autres et de l'aider à devenir meilleur.
L'attitude de cœur était ce qui comptait le plus, lui avait dit Thomas.
Tim finit par reconnaitre que lorsqu'il priait il se sentait bien, que
lorsqu'il lisait la Bible il pouvait comprendre certains passages d'une
manière plus personnelle. En fait, Tim finit par comprendre que
Thomas avait raison : il est facile d'avoir une relation avec Dieu, il
suffit de décrocher le combiné de son côté, car Dieu est toujours à
l'autre bout du fil.
Tim ne disait plus « Dieu » quand il priait, mais « Seigneur ». Il
arrivait à entretenir chaque jour un petit moment avec Lui pour
progresser dans sa foi. Son travail se passait très bien, même s'il était
débordé. Lorsqu'il n'en pouvait plus, il s'en remettait à Dieu, et aussitôt
une paix intérieure s'emparait de lui.
Il vivait vraiment comme un chrétien, sauf que mis à part la
Bible, il n'avait rien qui le distinguait d'une autre religion monothéiste.
Il savait à qui il adressait ses prières, pourtant il avait l'impression qu'il
lui manquait quelque chose. Par exemple s'il devait partager sa foi avec
un non-croyant, il ne saurait pas comment s'y prendre. Ses croyances
n'étaient pas assez claires.
Alors même si sa vie était à présent agréable, il ressentait le
besoin de clarifier les choses et de découvrir une bonne fois pour toutes
quelle est cette vérité qui lui était promise. Car il savait qu'il n'en était
pas loin mais qu'il ne l'avait pas encore découverte.
Il s'adressa bien sûr à Thomas, en lui rappelant qu'il lui avait
promis de tout lui révéler lorsqu'il le désirerait sincèrement. Voyant la
détermination de son ami, Thomas lui sourit et lui fit signe de s'asseoir.
– Voilà que le fou s'en lassé de sa folie et qu'il devient sage.
Le fou et le sage 19
La vérité
– Un capitaine de navire partit en mer et emporta sa mère avec lui.
Après quelques semaines, le capitaine s'aperçut que des vivres
disparaissaient. Il convoqua alors son équipage et lui dit : « Ces vols
doivent cesser. Si nous n'avons plus de vivres, nous n'arriverons pas en vie
au port. Si j'attrape le coupable, il sera attaché au mat et recevra trente
coups de fouets ». Pendant les jours qui suivirent, il n'y eut plus de vols.
Puis ils recommencèrent. L'équipage vint trouver le capitaine, en lui
disant : « Nous avons trouvé le coupable ». « Très bien, répondit le
capitaine, amenez-le-moi ». « Il s'agit de votre mère. »
« Et là Tim, tu es le capitaine du bateau. Que fais-tu ?
Tim médita la question un instant, présentant un piège.
– Je suis un homme de parole, mais comme il s'agit de ma mère, je
lui fais grâce.
– Tu serais prêt à risquer une mutinerie ? Un capitaine n'a qu'une
seule parole !
– Je ne peux tout de même pas faire fouetter ma propre mère !
L'équipage doit comprendre.
– Il ne peut pas y avoir de traitement de faveur, Tim. Voilà ce qu'a
fait le capitaine : Il a dit : « Très bien, attachez ma mère au mât ». Et
lorsque le fouet s'est levé pour infliger la sentence, le capitaine s'est jeté
contre sa mère, l’encerclant de ses bras et recevant les trente coups de
fouets à sa place. Ça Tim, c'est ce que Jésus a fait pour toi.
Tim médita cette histoire. Il n'était pas très sûr d'avoir compris où
Thomas voulait en venir.
– Jésus a pris ma punition ? Mais je n'ai rien fait de mal ! Pourquoi
devrais-je être puni ?
– Tu n'es peut-être pas un criminel, un assassin, tu rentres peut-être
dans la catégorie que la loi humaine qualifie d'honnête citoyen, mais tu un
descendant d'Adam, membre de la lignée humaine, et donc pécheur.
– Adam était un pêcheur ?
– Non, c'est un terme biblique pour désigner une personne qui
commet un péché, c'est-à-dire une faute. C'est dans notre nature, nous
commettons tous des erreurs, à commencer par la plus grave de toutes :
nous ne sommes pas en relation avec Dieu. C'est comme si nous étions
morts, que nous n'étions que des corps sans vie.
– Mais on n'y peut rien si on est nés comme ça ! Ça me semble
plus injuste qu'autre chose !
– Au contraire, il y a la plus importante des justices qui soit sur
cette terre. Imagine que ta vie soit portée devant un tribunal. Pas
n'importe quel tribunal, pas un tribunal avec des lois faites par les
hommes, mais un tribunal où Dieu siège en juge. Le diable t'accuse
d'être un menteur, un tricheur, d'avoir eu recours à la violence, d'avoir
eu de mauvaises pensées, de pas avoir respecté ton corps, de l'avoir
adoré lui plutôt que Dieu…
– Je n'ai jamais adoré le diable !
– Vraiment ? Toutes les fois où tu as préféré l'argent, le pouvoir
et l'adulation des autres, où tu as voué un véritable culte à ta télé, à ta
voiture, à ton travail. Toutes ces fois tu idolâtrais le diable. Et celui-ci
ne se fait pas prier : il te réclame auprès de lui, car c'est là qu'est ton
cœur.
– En quoi est-ce de la justice ? Avec des arguments pareils, je
suis sûr de finir en enfer, c'est ça que tu veux dire ?
– Ça c'est ce que tu mériterais, ce que nous méritons tous. Là où
il y a plus qu'une justice, là où la grâce de Dieu a surabondé, c'est qu'il
t'a donné un avocat : Jésus-Christ. Ce n'est pas Mahomet, ce n'est pas
Bouddha, ce n'est pas toutes ces divinités, non, c'est Jésus, qui est le
seul homme sans péché à avoir été crucifié, pour toi, pour que tu sois
sauvé. Ton dossier peut redevenir vierge, Dieu ne pourrait plus t'accuser
Le fou et le sage 20
de rien, si tu acceptes Jésus-Christ comme Sauveur.
– Pourquoi aurait-il donné sa vie pour moi ? Je n'existais même
pas !
– Non mais il te connaissait déjà. Il a donné sa vie pour chacun
d'entre-nous. D'abord le salut était uniquement pour le peuple juif, qui
pouvait obtenir le pardon des péchés en offrant des sacrifices d'animaux,
comme tu l'as vu dans ta Bible. Mais ensuite Dieu s'est fait homme et s'est
offert en sacrifice une bonne fois pour toutes. C'est la plus grande preuve
d'amour qui soit : le berger qui donne sa propre vie pour sauver ses brebis.
Dès lors il n'est plus besoin de sacrifier des animaux pour avoir le pardon
des péchés, ou une relation avec Dieu. Autrefois les juifs avaient un rideau
qui séparait le lieu où était sacrifié l'agneau pascal dans le temple. Quand
Jésus a expiré, le rideau s'est déchiré, du haut vers le bas, pour signifier
qu'il n'y a plus de séparation entre Dieu et les hommes. Jésus-Christ est le
seul et l'unique intermédiaire. Aucun homme ni quoi que ce soit ne peut te
séparer de Jésus. Et c'est par lui que tu dois passer pour accéder au salut.
– Je ne suis pas sûr de tout comprendre. Comment est-ce que je
peux passer par Jésus ? Et c'est quoi ce fameux salut ? Le paradis ?
– Pardonne mon vocabulaire auquel tu n'es pas habitué. Passer par
Jésus ça veut dire t'identifier à son sacrifice, reconnaître que tu ne méritais
pas ce sacrifice mais que tu l'acceptes et que tu veux changer de manière de
vivre pour l'honorer. Le salut c'est l'assurance d'être sauvé, d'avoir la vie
éternelle. Le paradis, si on veut, c'est un peu ça. Mais c'est beaucoup plus.
La vie éternelle c'est être en communion avec Dieu, en Jésus-Christ, dès
aujourd'hui et à jamais.
– L'éternité… Dur à concevoir.
– Je te comprends, Tim, moi aussi au début j'avais de la peine à
concevoir qu'il puisse y avoir quelque chose après le mort, surtout quelque
chose qui ne finirait jamais… Ça dépasse notre intelligence. Ce que Dieu
nous demande ce n'est pas de tout comprendre mais de réaliser qu'il nous
tend la main, et ce depuis qu'il est ressuscité.
– Ah oui, il y a encore ça…
– Heureusement ! Si Jésus était seulement mort, son sacrifice
n'aurait rien signifié. Mais il est ressuscité, vainquant la mort
définitivement, et il est monté au ciel pour siéger à la droite de Dieu,
pour intercéder pour notre cause.
Tim dut réfléchir longuement pour être au clair dans son esprit.
– Au final, Jésus est venu et il est reparti vers Dieu. Ce qui fait
que nous sommes seuls sur cette terre, si je comprends bien ?
– Non, il nous a envoyé son Saint-Esprit.
– Tu es en train de me perdre là…
– La trinité est complexe, mais elle peut être comprise
simplement. D'abord il y a Dieu, qui envoie son fils pour nous, puis son
consolateur, ou défenseur, le Saint-Esprit. Le Saint-Esprit, de même que
Jésus, est Dieu. Dès le début de la Bible nous nous en apercevons. Le
terme hébreu qui désigne Dieu est un pluriel. L'Esprit de Dieu est
mentionné dès le commencement de la Bible. Au début de l'évangile de
Jean, il est écrit que Jésus était avec Dieu et qu'il était Dieu. Si tu
analyses toute la Bible, tu verras que Dieu est bel et bien trinitaire.
L'Ancien Testament nous annonce la venue de Christ, tandis que le
Nouveau nous rapporte sa venue et son ministère, et nous promet son
retour.
– Parce qu'en plus il doit revenir ?
– Oui, Jésus doit revenir.
– Et quand ça ?
– Nul ne le sait. Avant de nous lancer dans des débats
eschatologiques, c'est-à-dire sur la fin des temps, revenons à Jésus-
Christ, veux-tu ?
Tim hocha de la tête.
– Il y a tant de choses à assimiler, dit-il. Je retire ce que je t'ai dit
Le fou et le sage 21
la première fois que nous nous sommes vus : tout cela n'est pas pour les
faibles d'esprits ! Je croyais qu'il fallait être naïf pour croire en Dieu, mais
je m'aperçois que la foi est quelque chose de très complexe et réfléchi.
– La théologie est quelque chose de complexe, parce que justement
elle étudie toutes les subtilités que comporte la foi. Mais ce que tu dois
retenir c'est le message de l'Evangile : Jésus a donné sa vie pour toi, et tout
ce que tu as à faire c'est d'accepter ce cadeau. Te sens-tu prêt à accepter ce
cadeau ?
– Qu'est-ce que ça va changer concrètement dans ma vie ?
– Tout. Tu seras quelqu'un de différent, ta vie auras un sens et tu
sentiras la présence de Jésus qui vit en toi. Tu n'auras plus peur des choses
insignifiantes qui nous entourent, car tu auras la conviction que ta vie fait
partie d'un dessein beaucoup plus grand.
Tim se sentait touché par les belles choses que lui promettaient
Thomas. Il était encore trop tiraillé pour se décider aussi vite.
– Laisse-moi y réfléchir, finit-il par dire.
– Bien sûr. Je prierai pour toi et si tu veux entreprendre cette
démarche de conversion seul, sens-toi libre. Tu n'as qu'à prier le Seigneur
Jésus. Demande-lui pardon pour les erreurs que tu as commises dans ta vie
et dis-lui que tu veux changer de comportement et que tu acceptes son
sacrifice pour toi. Peut-être que tu ne réalises pas encore vraiment
l'importance de ce sacrifice. Alors je te conseille de lire l'un des évangiles,
que tu retrouves au début du Nouveau Testament. Celui de Jean est
particulièrement intéressant. Mais tous sont pertinents.
L'assimilation de tout ce qui venait d'être dit provoquait des
migraines à Tim. Ce n'est pas le contenu qui le dérangeait, c'était la
complexité et la profondeur du message de Thomas. Car au fond de lui il
avait ressenti quelque chose de fort lorsque son ami lui avait demandé s'il
voulait accepter le cadeau de Jésus. Il n'était pas encore prêt, bien que
conscient qu'il devait faire un choix. Il commençait à comprendre, et c'était
comme si on lui demandait de choisir la vie ou la mort, en un sens. Il
prenait conscience qu'il ne pouvait plus demeurer dans l'ignorance : il
devait faire son choix, qui serait conséquent, et en assumer les
conséquences.
Comme il se faisait tard, il prit congé de Thomas et rentra chez
lui, encore perdu dans ses pensées. Sa vie avait tellement changé. Il
aurait pu se contenter de ce qu'il avait, sans avoir besoin de la religion,
de Jésus ou de quoi que ce soit de spirituel, pourtant il savait que non
seulement il devait probablement à Dieu d'être encore en vie, et en plus
que la question du sens de la vie n'épargne personne, quelle que soit sa
situation. Il s'en rendait bien compte à présent : tous les excès de ce
monde n'étaient en fait qu'une recherche désespérée de sens à la vie. Se
pouvait-il que chacun trouve un sens personnel à la sienne ? Ou était-ce
Thomas qui avait raison en affirmant qu'il n'y a que Jésus-Christ qui
soit la solution ?
Tim alla se coucher l'esprit peu clair, entremêlé dans ses
pensées, tiraillé entre ce qu'il avait vécu ces derniers temps et une
pensée athée matérialiste occidentale avec laquelle il avait toujours
vécu. Il n'eut pas la force de chercher dans la Bible où se trouvait
l'évangile de Jean ou un autre et s'endormit immédiatement.
Sa semaine se poursuivit, et le travail en fit de même avec lui. Il
se retrouva ainsi le samedi soir, épuisé, à se demander s'il allait mettre
son réveil pour aller à l'église le lendemain ou faire une grâce matinée.
Il se résolut finalement à y aller tout de même, un peu contrarié
envers lui-même. Ses sentiments étaient mitigés : d'un côté il avait un
réel désir d'expérimenter la foi chrétienne et de lâcher prise, et d'un
autre il n'arrivait pas à lâcher prise par rapport à sa vision rationaliste
des choses. Le simple fait de penser à Jésus éveillait en lui toute une
dualité. Il avait cette image toute reçue d'un Jésus bébé dans les bras de
sa mère, ou sur une croix, agonisant. Le nom de Jésus avait toujours été
Le fou et le sage 22
pour lui comme celui du Père Noël, une légende pour enfants et ringards.
Mais le Jésus que lui avait décrit Thomas était un homme extraordinaire,
capable d'aimer de manière incompréhensible et aussi invincible : c'est
Dieu lui-même !
Entre l'image d'un père et d'un ami, et celle d'une statue et d'une
fable, il y avait de quoi se perdre. Comment cela était-il arrivé ? Si Jésus
était bel est bien un héros, pourquoi était-il tombé dans l'oubli ? Sûrement
que l'Histoire aurait des réponses intéressantes à donner. Ce qui importait à
Tim pour l'instant c'était de savoir ce qu'il allait faire de la proposition de
Thomas. Allait-il accepter le cadeau de Jésus ? Y avait-il vraiment un
cadeau ?
Il était tellement perdu dans ses pensées qu'il n'écoutait presque pas
le message du pasteur. Lorsqu'il entendit ce dernier parler de Jésus, il
réalisa alors à quel point tout le culte était centré sur Jésus. Comment se
faisait-il qu'il ne l'ait pas remarqué auparavant ? Ce devait sûrement être
son cerveau qui se concentrait sur les événements qu'il vivait et mettait en
évidence ce qui lui trottait dans la tête. Cette pensée, bien rationnelle, le
rassura. Ce n'était pas Jésus qui le poursuivait, c'était de la bonne vieille
psychologie.
Un étrange sentiment commençait à s'emparer de lui : plus il pensait
à Jésus, plus il sentait une haine monter en lui. C'était comme si son esprit
ne voulait pas qu'il soit dans ses pensées. Il le dérangeait. C'en était
tellement fort que Tim finit par traiter le mal par le mal, en prenant sa Bible
et cherchant l'évangile de Jean. Il le trouva plus facilement qu'il ne l'avait
pensé.
Mais c'était quoi au juste un évangile ? Il chercha sur Wikipédia et
trouva une définition intéressante. Cela voulait dire « bonne nouvelle » et
traitait des enseignements de Jésus. Quelle était cette bonne nouvelle ?
Pour le découvrir, il commença sa lecture.
Ça racontait la vie de Jésus de Nazareth, présenté comme le fils de
Dieu. Il se rendit vite compte que le Jésus décrit par Jean était bien loin
de ce qu'il aurait osé s'imaginer. C'est donc avec un intérêt grandissant
qu'il poursuivit la biographie de Jésus, dit le Christ, le Messie.
Le fou et le sage 23
La décision
« Jésus a encore fait beaucoup d'autres choses. Si on les écrivait
toutes l'une après l'autre, à mon avis, le monde entier ne pourrait pas
contenir les livres que l'on écrirait ». Tim reposa sa Bible. Il venait de
terminer l'évangile de Jean et il était très impressionné. Il s'était senti
intimement lié avec le Jésus qu'il avait rencontré et n'était pas ressorti
indemne de cette expérience.
La complexité théologique du livre l'avait aussi surpris. Il s'attendait
à quelque chose de plus sommaire. En fait il n'avait pas tout compris de ce
qu'il avait lu, mais il avait ressenti l'amour qui émanait de l'Évangile. Il
avait était fasciné par les miracles et les discours de Jésus. Il avait souffert
lorsque le peuple avait réclamé inutilement sa mise à mort. Il avait été
passionné lorsqu'il avait compris la raison de ce sacrifice. C'était bien pour
lui, ainsi que pour l'humanité toute entière, que Jésus avait donné sa vie.
La chapitre quatorze l'avait particulièrement marqué. Il aborde une
grande diversité de sujets, mais celui qu'il retenait était le verset six,
lorsque Jésus dit qu'il est le chemin, la vérité et la vie. Il ajoute ensuite qu'il
est dans le Père et que le Père est en lui, ce qui aida Tim à concevoir un peu
mieux la trinité. Lui qui cherchait la vérité, où elle résidait, quelle religion
détenait la vérité, il comprit alors que personne ne détient la vérité : c'est
Jésus qui est la Vérité. La phrase que lui avait dite Thomas prenait du sens :
la foi ce n'est pas une religion, c'est une relation. Lorsqu'il comprit qui était
vraiment Jésus, il lui sembla qu'avoir une relation avec lui était tout à fait
possible.
Ce n'était plus une statue ou un homme mort il y a deux mille ans,
mais c'était Dieu lui-même qui vivait encore aujourd'hui et avec lequel il
était possible d'entretenir une relation personnelle. Tim n’avait plus du tout
de haine à l'encontre de Jésus, pourtant il était encore hésitant à accepter
son sacrifice. C'était comme si une partie de lui comprenait que sa vie
changerait à jamais, qu'il aurait à se montrer à la hauteur des exigences
fixées pas Jésus. Il savait aussi que ce qu'on lui demandait n'était pas un
fardeau. Au contraire, c'était un cadeau !
Tous les petits enfants sont impatients d'ouvrir leurs cadeaux.
Tim était un petit enfant de Dieu, mais aussi un adulte qui réfléchissait
trop et ne s'impatientait plus de découvrir une belle surprise. Lorsqu'il
comprit cela, il fut un peu attristé, car il avait lu que le Royaume des
cieux appartient à ceux qui sont comme des petits enfants. Il avait envie
d'être comme un petit enfant, de pouvoir serrer Jésus dans ses bras.
Quelque chose lui disait que c'était possible, que cela ne dépendait que
de lui. Il n'était pas encore tout à fait décidé à faire ce pas.
Il sortit se promener et finit inévitablement par se retrouver
devant un verre de Rivella, assit en face de Thomas.
– J'ai fini de lire l'évangile de Jean, dit-il simplement.
– Vraiment ? s'étonna Thomas.
Il avait l'air sincèrement surpris.
– Et comment as-tu trouvé ta lecture ?
Tim resta un long moment perdu dans ses pensées, faisant le tri
dans ses sentiments mitigés.
– Que Jésus est un sacré personnage.
– C'est le moins que l'on puisse dire. Comment le décrirais-tu ?
– Si j'ai bien compris, il est à la fois le fils de Dieu et Dieu lui-
même, c'est bien ça ?
Thomas hocha la tête.
– Ça reste difficilement compréhensible pour un esprit cartésien
comme le mien. Le Jésus de cet évangile est un Jésus très humain, avec
des sentiments. Il est pourtant beaucoup plus : il accomplit des
miracles, il a un discours révolutionnaire plein d'amour et il ne connait
pas le mal, il résiste à la tentation. C'est un surhomme, donc un dieu.
– Un dieu humain ?
Le fou et le sage 24
– Je crois qu'il n'y a aucun autre mot pour décrire ce personnage que
son propre nom : Jésus.
Thomas avait l'air impressionné et touché par les propos de Tim.
– Tu as bien raison. Jésus veut dire « Dieu sauve ». En sachant que
Dieu s'est présenté à Moïse en lui disant « je suis celui qui est », et donc
que dans le nom de Jésus il y a aussi celui de Dieu, et en se rappelant que
dans la culture hébraïque le nom sert à désigner le profil de la personne, ce
nom résume en effet qui est Jésus-Christ. Le nom a une grande importance
et le nom de Jésus est celui qui a été donné aux hommes pour obtenir le
salut.
Après avoir marqué une pause, Thomas regarda Tim droit dans les
yeux :
– Es-tu prêt à obtenir ce salut ?
Tim baissa le regard et semblait réfléchir à la proposition de son
ami.
– Tu as compris ce que veux dire accepter le sacrifice de Jésus, lui
dit Thomas. Tu es prêt à prendre ta décision. C'est à toi de choisir, mais tu
sais que tu dois en prendre une et en assumer les conséquences.
– Je sais.
– Alors pourquoi hésiter ? Tu n'as qu'à accepter le plus merveilleux
cadeau que l'on t'ait jamais fait !
– Je… Je ne suis pas sûr d'être à la hauteur. Il y a tant de choses que
je dois régler dans ma vie…
– C'est normal, nous avons tous notre ardoise. Et ce que Jésus te
propose c'est de l'effacer pour toi, d'échanger la sienne contre la tienne.
– C'est juste que je n'arrive pas à comprendre comment quelqu'un
pourrait m'aimer au point de donner sa vie pour moi.
– Dieu n'avait pas besoin de nous créer. Il nous a créé par amour.
Nous lui avons désobéi. Si nous ne l'avions pas fait, nous serions encore
auprès de lui, à bénéficier de son amour inconditionnel, comme un père
aime ses enfants. La bonne nouvelle c'est qu'un jour nous pourrons
connaître à nouveau cette relation parfaite avec Dieu. Et tu peux dès
aujourd'hui accéder à ce privilège. Dieu t'aime comme tu es et, si tu le
lui demandes, il pardonnera toutes les erreurs que tu as commises dans
ta vie.
Tim était au clair dans sa tête. Il savait qu'il y avait deux
chemins qui s'offraient à lui. Son choix serait le plus important de sa
vie. Et au final, quoi de plus normal que de réfléchir longuement pour
prendre une décision de cette envergure.
– Je dois encore y réfléchir, annonça-t-il à Thomas.
– Très bien. Me permettrais-tu de prier pour toi avant que tu t'en
ailles ?
Tim acquiesça. Thomas posa une main sur son épaule et
demanda à Dieu sa sagesse et son discernement dans ce choix
existentiel. Il le remit dans la paix du Seigneur et pria encore pour que
le Saint-Esprit se révèle à lui. Encore une étrangeté chrétienne, pensa
Tim.
Il repartit chez lui, bien qu'incapable de chasser Jésus de ses
pensées. Il s'endormit agité, après avoir parcouru distraitement sa Bible.
Il venait de commencer un nouveau livre, les Psaumes. C'était une sorte
de recueil de poèmes, à la profondeur et à la pertinence spirituelle
déconcertantes. Les mots apaisants ne suffirent pourtant pas à le bercer
calmement et il se réveilla en sursaut, au milieu de la nuit, en sueur.
Il alla jusqu'à la cuisine pour boire de l'eau et tenta de se calmer.
Assis contre le bar de la salle à manger, il constata qu'il tremblait.
L'horloge du four indiquait deux heures du matin. Un étrange sentiment
s'empara de lui. Il ressentait à la fois de la crainte et du réconfort. Il se
sentait seul et perdu, voué aux ténèbres et à la peur. D'un autre côté, il
pouvait apercevoir comme une lueur dans cette obscurité. Il ressentait
un amour immense, dénué de tout ressentiment, un amour tel qu'il en
Le fou et le sage 25
avait envie de se jeter aux pieds de la personne qui lui vouait un tel amour :
Jésus-Christ.
Il tomba de sa chaise et se mit à genoux, posa sa tête contre ses
mains, paumes vers le ciel, et commença à pleurer.
– Seigneur Jésus, pardonne-moi ! Pardonne-moi toutes les fois où je
me suis moqué de toi, où j'ai mal agi, où j'ai fait de mauvais choix.
Pardonne mon comportement envers les autres, mon égoïsme, ma haine,
ma rancœur, mes mensonges, et les innombrables autres fautes que j'ai
commises. Pardonne-moi d'avoir pensé à m'ôter la vie que tu m'as donnée.
Je t'aime Seigneur, j'ai besoin de ton amour ! Merci pour ton amour et ton
sacrifice à la croix, merci parce que tu m'offres une deuxième chance. Je
t'accepte dans ma vie, je veux vivre conformément à tes enseignements.
Permets-moi de recevoir le cadeau que tu m'as fait et de ne jamais te
tourner le dos.
Il continua longtemps à prier, à s'abandonner, au milieu de sa salle à
manger, en pleine nuit. Il ressentit une paix incommensurable s'emparer de
lui, encore plus forte que celle qu'il avait ressentie dans la salle d'attente
avant son entretien d'embauche, la première fois qu'il avait prié. Il pleura et
se sentit comme lavé. Il abandonnait son passé et débutait une nouvelle vie.
Le fou et le sage 26
Une nouvelle vie
Lorsque Thomas reçut un coup de fil de Tim au milieu de la nuit, il
craignait le pire. La première fois qu'il avait décroché, son ami était sur le
point de se jeter dans le vide du haut du toit de son immeuble. Comme Tim
sanglotait dans le combiné, cela n'arrangea en rien les inquiétudes de
Thomas. Pourtant, ce qu'il avait à lui dire était radicalement différent de
leur première conversation nocturne. Tim venait de donner sa vie à Jésus.
Sur le coup, Thomas se mit à pleurer de joie lui aussi, ce qui alerta
sa femme, Caroline, qui sortit du lit pour voir ce qui se passait. Thomas lui
annonça avec émotion qu'il y avait un nouveau venu dans la famille céleste.
– Tim ? demanda-t-elle à la fois étonnée et ravie.
Thomas ne réussit pas à parler, il se contenta de lui faire un signe
positif de la tête. Cette nuit était riche en émotions. Ce fut le cas également
du lendemain, lorsque Tim alla chez Thomas et qu'ils s'enlacèrent
longuement. Ils étaient comme des frères. Des frères en Christ, expliqua
Thomas.
Le dimanche suivant, Tim avait l'impression que sa nouvelle vie
n'avait jamais eu autant de sens qu'en ce moment précis : il louait Dieu de
tout son cœur, chantant des louanges et priant de toute son âme celui qui l'a
sauvé de la mort, Jésus-Christ. Il faisait tout cela avec aisance au milieu des
autres chrétiens, qui avaient le même amour que lui pour Jésus. Il eut
l'occasion de donner son témoignage et ne put s'empêcher d'être à nouveau
ému. Comment un pécheur tel que lui avait-il pu changer ainsi d'attitude de
manière aussi radicale et aussi rapidement ? Lui-même n'en revenait pas.
Il était heureux en permanence. Quoi qu'il fasse, il avait envie de le
faire comme si c'était pour le Seigneur. Il savait que le plus important dans
sa vie était sa relation avec Dieu, et tout le reste coulait de source.
Bien sûr il n'était pas épargné par les difficultés de la vie. Son
travail devenait de plus en plus difficile, mais au lieu de s'apitoyer sur son
sort, il priait et adoptait une attitude exemplaire en toute circonstance.
Un de ces collègues lui demanda même s'il se droguait. Il lui
répondit que sa drogue était Jésus et son collègue ricana. Il comprit que
ce n'était pas facile d'être chrétien en public. Il avait beaucoup à
apprendre et cela commença par des visites pastorales, c'est-à-dire que
le pasteur de, il pouvait le dire maintenant, son Eglise lui rendait visite,
ou alors ils se voyaient à son bureau. Ils discutaient comme il l'avait fait
avec Thomas, sauf que leurs conversations étaient plus portées sur la
vie spirituelle, que Tim vivait désormais quotidiennement.
Il comprit l'importance du Saint-Esprit dans la vie d'un
chrétien : c'était Dieu aussi, qui vit en chacun de ceux qui l'ont reçu.
Thomas lui avait expliqué que le Saint-Esprit était tellement important
qu'il fallait que Jésus remonte au ciel afin que les hommes puissent le
recevoir. Son rôle était de guider les croyants dans la vie de tous les
jours, de les inspirer et de les conseiller. C'était plus qu'une présence,
c'était véritablement une personne qui avait élu domicile en Tim.
Il décida d'être baptisé, pour montrer à tous son engagement
avec Jésus. Il fut ainsi baptisé dans le Lac Léman, par une belle journée
d'automne. Ce fut un jour qu'il n'oublierait jamais.
Il n'oublierait jamais non plus le jour où son patron l'avait
convoqué dans son bureau. Craignant le pire, il s'était entièrement remis
à Dieu pour cette épreuve et était prêt à accepter n'importe quel
scénario. Et ce fut un scénario facile à accepter, car ce que son patron
lui proposa, c'était un poste beaucoup plus important, qui le mettrait à
l'abri du besoin, matériellement parlant. Il accepta bien sûr avec joie.
Il n'oublierait pas aussi le jour où il a finalement eu le courage
de demander à Julie de sortir avec lui. Et lorsqu'elle accepta, ce fut pour
lui comme un cadeau supplémentaire du Seigneur, que de pouvoir
apprendre à la connaître et devenir, d'abord son ami, ensuite son
confident, et finalement son fiancé. Ils s'engagèrent pour la vie, dans
Le fou et le sage 27
une jolie petite Eglise de Lausanne, par un printemps florissant, et leur
aventure ne s'arrêta pas là. Ils eurent trois enfants, une vie spirituelle active,
elle dans la louange, et lui dans différents domaines administratifs et dans
le conseil de l'Eglise. Il eut même une relation rétablie avec sa famille, avec
laquelle il avait coupé les ponts.
Sa vie était belle. Ce n'était pas pour autant un comte de fée. Il y
avait des épreuves difficiles, comme la mort d'un proche, la maladie, le
stress et parfois même de la colère. Il souffrait des fois de discrimination et
subissait des épreuves dans sa foi. C'était un défi de tous les jours que de
suivre le Christ. La Bible ne cachait pas la réalité : la souffrance existe. Ce
sont dans ce genre de moments que la foi est mise à l'épreuve. Elle peut
permettre de progresser dans la vie. Car être chrétien ne voulait pas dire ne
jamais être triste ou ne plus jamais commettre d'erreurs, car il y a un temps
pour tout. Être chrétien c'est la promesse d'être consolé, d'être pardonné et
de connaître le but de la vie, qui est de persévérer dans la communion avec
Dieu.
Il y avait aussi des moments particuliers, comme lorsque Tim
demanda à Thomas d'être son témoin de mariage, ou à chaque fois qu'il
était inondé de l'amour de Jésus. Il vivait une vie somme toute assez
normale, sauf qu'il avait l'essentiel. Cet essentiel c'est Jésus-Christ, son
Sauveur et Seigneur, qui vit en lui et lui permet, quelles que soient les
circonstances, de toujours surmonter les épreuves. Et en toute honnêteté, il
l'a toujours couvert des cadeaux les plus incroyables.
Le fou et le sage 28

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Le fou et le sage

  • 1. Le fou et le sage Le bord du gouffre Son pied se balançait dans le vide. Voilà tout ce qui séparait le toit de cet immeuble de la route qui paraissait toute petite vu d'en haut ; du vide. Il en allait de même pour le regard de Tim ; il était vide. Lui qui était pourtant si joli garçon, avec des yeux bleus magnifiques. Son regard s'était éteint. Peut-être au moment où il avait appuyé sur la télécommande du poste de télévision. Juste avant de monter les marches qui mènent à la porte donnant accès au toit. Un toit plat, comme on en trouve beaucoup sur les nouveaux bâtiments du centre-ville de Lausanne. Une faible circulation défilait le long de la rue menant au pont Bessières. Il aurait pu sauter depuis ce pont célèbre pour ses tragédies, mais une barrière de sécurité avait été aménagée. Ce serait depuis cet immeuble terne et dans cette nuit profonde que disparaitrait le méconnu Timothée Bonvin, né à Lausanne et s'apprêtant à mourir dans cette même capitale vaudoise. Comment en était-il arrivé là ? Le scénario classique : jeune Suisse de vingt-cinq ans, il avait terminé ses études d'économie trois ans auparavant, démarrant une carrière de comptable au sein d'une entreprise très connue dont il est préférable de taire le nom. Après avoir servi des cafés et photocopié la moitié des archives de la boîte, il avait finalement obtenu une promotion digne de ce nom et un salaire lui permettant de quitter ses parents et de demander sa copine en mariage. Il n'était pas vraiment du genre conservateur, mais il s'était toujours imaginé se marier aux environs de vingt-cinq ans, puis fonder une famille vers trente ans. Sauf que l'entreprise pour laquelle il travaillait a soudainement était impliquée dans une affaire de corruption, la mettant en faillite et lui faisant perdre son emploi. Son avenir tout tracé était compromis. Il lui était possible de retrouver du travail, mais les choses commencèrent à se compliquer pour lui. D'abord il se mit au chômage. Puis il commença à s'endetter. Il ne trouvait pas de travail, à cause de ses récentes dettes. Son stress alla en s’aggravant et son médecin lui pronostiqua une dépression. À vingt- cinq ans, il déprimait. Son mal-être intérieur se reflétait sur son aspect externe, et sa fiancée devint plus distante envers lui. Elle finit par rompre leurs fiançailles et Tim découvrit rapidement sur Facebook qu'elle était de nouveau en couple avec un bellâtre. Il la soupçonna alors de l'avoir trompé et s'en voulu d'avoir tout gâché de la sorte. D'abord en soirée, puis la journée, et bientôt dès le réveil, il se mit à boire. Son alcoolisme n'arrangea rien à sa situation désespérée et il perdit ses amis les uns après les autres, jusqu'à rompre le contact avec sa famille. Il était seul au monde. Ce soir-là, le propriétaire de l'immeuble frappa énergiquement à sa porte, lui réclamant les loyers de retard. Il allait le faire expulser. Il venait de toucher le fond. En un rien de temps il était passé d'une carrière prometteuse à un chômeur, devenant un paria de la société. Lui qui était né Suisse, qui avait fait des études et des plans d'avenirs. Il n'était pas comme ces personnes qu'il avait toujours jugées, ces ressortissants étrangers qui n'apportent que de la délinquance et bafouent les valeurs de la Suisse, s'était-il toujours dit. Pourtant, il était l'exacte définition de ce qu'est une personne à charge de l'aide sociale et un fardeau pour l'économie du pays. Il se détestait. Alors, après avoir vidé sa troisième bouteille de la journée, il tituba jusque sur le toit, déterminé à mettre fin à ses jours. Il était là, un pied dans le vide, prêt à en finir avec la vie et à trouver enfin la paix. Du moins c'est ce qu'il espérait. Est-ce qu'il Le fou et le sage 1
  • 2. trouverait vraiment la paix ? Il avait entendu dire que le suicide mène à l'enfer. De toute manière, il ne croyait pas à ses bondieuseries. Un monde où il y a autant de souffrance et d'injustice ne peut que vouloir dire qu'il n'y a pas de Dieu. S'il y en avait un, Tim ne voudrait même pas le connaître, tant il lui en aurait voulu de ne rien faire pour lui. Il était hésitant, un pied toujours en équilibre, réalisant soudainement ce qu'il s'apprêtait à faire. Il inspira un grand coup mais n'arrivait pas à se décider. Qu'est-ce qui l'en empêchait ? Il n'avait plus de raison de vivre. S'il continuait de la sorte il finirait au fond d'un caniveau, mort d'une cirrhose. Alors qu'il allait vraiment sauter, il eut une pensée très forte pour une personne. Il en fut tellement surpris qu'il reposa son pied qui était dans le vide sur le bord du muret du toit. Il n'avait plus repensé à cette personne depuis des années. D'ailleurs il n'avait jamais vraiment pensé à lui. Thomas, un ami du lycée. Enfin, plutôt une connaissance. Un gars bien, qui avait été le souffre douleur d'un grand nombre de personnes pendant ses études. Thomas était un évangélique, ou un évangéliste, Tim ne savait plus trop. C'était un de ces allumés chrétiens qui passait pour un sectaire à l'époque. Tout le monde se payait sa tête parce qu'il ne faisait jamais la fête, parlait de Jésus et était encore vierge par choix. Un ringard fini pour les jeunes de son âge. Pourquoi Tim pensait-il à lui dans un moment pareil ? Ce devait être l'alcool. Il chassait Thomas de son esprit et regarda la route à une vingtaine de mètres plus bas. Il eut soudainement peur. Pourtant il était ivre, il n'aurait pas dû ressentir quoi que ce soit. Il s'éloigna un peu du bord, par précaution. Que lui arrivait-il ? Il ne se sentait plus du tout saoul et sa détermination lui était passée. Il envisagea de rentrer pour ouvrir une nouvelle bouteille, une dernière, mais il pensa à nouveau à Thomas. C'était même étrange qu'il se souvienne de son prénom. Ils n'avaient jamais été en bons termes. Tim faisait partie des personnes cool du lycée, contrairement à Thomas, qui était rejeté de presque tous. Il sortit son portable de sa poche et consulta son répertoire. Il y avait bien un Thomas dans ses contacts, mais ce n'était pas le même. Il chercha sur Google un Thomas du gymnase de la Cité. Bien entendu il y avait des millions de résultats. Il essaya la recherche d'images. Tout en bas de la page, il reconnut un adolescent à l'aspect angélique, un blond boutonneux avec une frange de côté. C'était bien Thomas. Sa photo était dans les archives du club d'échecs. Thomas Pittet. Tim rechercha sur local.ch les coordonnées de Thomas. Il y avait un monsieur et une madame Thomas et Caroline Pittet, de Lausanne. L'adolescent boutonneux vierge se serait-il marié ? Le monde professionnel n'ayant plus rien à voir avec la vie estudiantine, il se pourrait bien que Thomas soit devenu un homme. Sans trop savoir pourquoi, il appela le numéro fixe qu'il venait de trouver. Il était deux heures vingt-six du matin, il n'y avait aucune chance pour que quelqu'un réponde, mais il avait envie de voir s'il s'agissait bien du même Thomas. Plusieurs sonneries retentirent, et Tim allait raccrocher, quand une voix masculine très faible lui répondit. – Allô ? Pittet à l'appareil. – Thomas Pittet ? – Oui. Qui le demande ? – Je suis Timothée Bonvin. Vous étiez bien au gymnase de la Cité ? Il y eut un instant de silence. Thomas devait rassembler ses forces pour se concentrer. – Oui, j'ai était diplômé en 2008. Timothée Bonvin ? On était dans la même classe ? – Classe parallèle je crois. Mais j'ai aussi était diplômé en 2008. – Je vois. Sympa de m'appeler. Mais pourquoi au milieu de la nuit ? Le fou et le sage 2
  • 3. – Je suis désolé Thomas, je ne sais pas ce qui m'a pris. Un nouveau silence. Tim était sincère, il ne savait pas ce qui lui prenait. – Ce n'est rien, reprit Thomas. Est-ce que tout va bien ? Qu'est-ce que tu fais ? Tim avait le choix : il pouvait soit lui dire la vérité, soit inventer une histoire pour mettre fin à la conversation. Il choisit une autre alternative, comme si son appel avait soudainement un but. – Est-ce qu'on pourrait se voir ? Il voulait parler avec Thomas, lui demander ce que la vie lui avait apporté et essayer de comprendre ce que lui-même avait fait de faux. En posant cette question, il avait pris une décision : si Thomas lui répondait non, il sauterait. S'il lui accordait de son temps, il garderait un petit peu d'espoir. – Oui, on peut se voir. Quand ça ? – Maintenant. Le fou et le sage 3
  • 4. Une lueur dans l'obscurité Lausanne de nuit offre une expérience intéressante. Il y a moins de circulation mais tout autant de monde dans la rue, pour la plupart ivre à deux heures et demies du matin. Des dealers vous accostent à la rue de Bourg et des prostituées vous attendent à la rue de Genève. Non pas que Tim ait déjà eu recours à ce genre de service. Ce qui l'émerveillait le plus, c'était la quasi-omniprésence de la police. Et pourtant, rien ne changeait. Le trafic de drogue était toujours là, la débauche sexuelle aussi, et presque tous les jours on pouvait lire dans les journaux qu'une bagarre ou un incident grave avait eu lieu. Le flot de lumière projeté par les réverbères faisait oublier qu'il n'y avait pas de soleil et les pas de Tim résonnaient sur les pavés. Il arriva à Saint-François, où un petit bistrot se trouvait à côté de l'église. Il était fermé, à cette heure. Tim avait déjà bu des verres sur la terrasse et s'étonnait de n'avoir jamais reconnu Thomas, qui gérait apparemment le commerce. Il se retrouva à côté des chaises retournées sur les tables et devant un écriteau marqué « fermé ». Une lumière s'alluma dans l'arrière boutique et Tim vit quelqu'un avancer dans le noir pour venir lui ouvrir. Thomas n'avait plus rien à voir avec l'adolescent boutonneux qu'il avait été au lycée. Il avait un visage délicat et des cheveux courts qui lui donnaient un air autoritaire. Mais son regard était tendre et ses yeux respiraient le bonheur. C'en était contagieux. Il lui sourit à pleines dents et lui serra joyeusement la main. – Timothée ! Ça faisait si longtemps. – Oui, tu peux le dire. Appelle-moi Tim. Thomas le fit rentrer sans hésiter et ils s'installèrent au bar. Apparemment Thomas avait oublié ou ne lui tenait plus rigueur des moqueries du passé. Il servit à boire. Tim avait une mauvaise hygiène et il empestait l'alcool. Thomas semblait s'en être rendu compte et lui offrit un Rivella. Ils trinquèrent au « bon vieux temps » et Tim fut presque surpris de ne pas sentir de brûlure dans son œsophage en buvant une gorgée. – Alors Tim, comment ça va ? J'imagine que si tu m'as appelé au milieu de la nuit après tout ce temps, surtout que nous n'étions pas très proches, c'est parce que tu dois avoir besoin de quelque chose. – Simplement de discuter. – Ok. J'aime discuter au milieu de la nuit. Non, vraiment, il y a quelque chose d’apaisant et de sain. – Dans l'obscurité ? Tu n'étais pas du genre à voir le mal partout, ou un truc comme ça ? Tu as changé de philosophie ? – Moi, voir le mal partout ? Pas du tout. La nuit fait partie d'une journée, elle est faite pour se reposer. Aujourd'hui beaucoup profitent de la nuit pour vivre différemment de la semaine de travail, pour échapper au quotidien. – Et toi, tu n'as pas besoin d'échapper au quotidien ? – Tu sais Tim, j'aime ma vie. Et je suis reconnaissant de tout ce que j'ai. Si les choses devaient être différentes, je serais aussi reconnaissant. – Je vois. Désolé de venir gâcher ta nuit parfaite. – Tu ne gâches rien. Tu as l'air mal en point. Dis-moi ce que je peux faire pour t'aider. Tim regarda son verre pensivement. Il ne savait pas vraiment ce qu'il attendait de Thomas. – Je ne sais pas. Dis-moi comment faire pour être heureux, ça serait un bon début. – Alors c'est ça qui t'inquiète, tu n'es pas heureux ? Parle-moi de ta vie. – Il n'y a rien à dire. Je vis seul, je n'ai pas d'amis, pas de travail, je vais bientôt me retrouver à la rue et je n'arrive pas à arrêter de boire. Le fou et le sage 4
  • 5. Oh et ce soir j'allais sauter du toit de mon immeuble quand je t'ai appelé. Thomas essayait de rester impassible mais il avait du mal. Il cherchait ses mots. – Je suis vraiment désolé d'entendre ça. Je sais que ce n'est pas vraiment important, mais pourquoi as-tu pensé à m'appeler ? – Je n'en sais rien, en fait. J'allais sauter et j'ai pensé à toi. C'est bizarre. – Oui. Ou peut-être que ça devait se passer ainsi. – Quoi, tu veux dire que c'est le destin, ou un truc comme ça ? – Un truc comme ça. – Je ne crois pas à tout ça. Ce sont des histoires pour bonnes femmes et les enfants. Et pour les faibles d'esprit. – Les faibles d'esprit ? Tu veux dire que toutes les personnes qui croient en quelque chose d'autre que le hasard et la science sont des faibles d'esprit ? – Ouais. La science explique tout. Et le reste c'est le fruit du hasard. – Donc si tu es ici en vie devant moi, c'est un hasard ? – Exactement. Je sais que les gars comme toi sont des types bien, avec une philosophie altruiste et qui réconforte ceux qui ont en besoin, mais d'un point de vue strictement pragmatique, c'est irrationnel de croire en une sorte de monde surnaturel. – Attend, il ne s'agit pas d'un monde surnaturel, mais de ce monde. Oui les actes altruistes sont une bonne manière de rendre témoignage et d'aider son prochain. Mais ce n'est pas l'essentiel. – Alors c'est quoi l'essentiel ? – Laisse-moi te raconter une comptine. C'est l'histoire d'un fou, qui rencontre un sage. Le fou lui demande le sens de la vie, mais le sage refuse de lui répondre. Le fou s'en va s'en y prêter attention. Quelques années plus tard, le fou commence à se lasser de sa folie et se met à chercher le sens de la vie. Il cherche des années durant, sans jamais trouver. Un jour, il découvre le sens de la vie. Il est alors fou de joie, il ne tient pas en place. Il décide de parler de sa découverte à tout le monde. Mais les gens le traitent de fou et ne l'écoutent pas. Il repart déçu. Il se souvient alors de la réaction du sage qui avait refusé de lui répondre. Thomas arrêta là son histoire et Tim le regarda perplexe. En voyant son regard, Thomas lui sourit. – Tu n'as pas compris où je voulais en venir ? C'est simple. Pour que quelqu'un soit prêt à entendre le sens de la vie, il faut qu'il soit en recherche. S'il ne s'intéresse pas à connaître la réponse, c'est peine perdue que de la lui donner. Alors, le jour où tu seras prêt à l'entendre, je te dirai ce qu'est l'essentiel. – Alors je suis un fou ? C'est une façon de voir les choses. Ce qui ne me prouve absolument pas que tu sois un sage. – Tu as raison. Socrate disait : tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien. En un sens, il reconnait son ignorance et je ne prétends pas être celui qui sait tout et toi un ignorant. Mais je peux te parler de mon expérience personnelle, de ma vie, des choses que j'ai vécues et de la manière dont j'ai réalisé quelle est la vérité. Personne ne peut t'influencer, tu dois en faire l'expérience toi-même. Tim réfléchit longuement à ce point de vue objectif. – D'accord, dit-il. – D'accord à quoi ? – Je veux expérimenter ce que tu as à offrir. – Bravo, tu ne le regretteras pas. Mais ça risque de prendre du temps. – Je ne suis pas pressé, en un sens. – Je te promets qu'on va se revoir et je te ferai voir par toi-même ce dont il s'agit. Promets-moi en retour que tu ne vas pas essayer de te suicider. Tim inspira une grande bouffée d'air. Il était trois heures du Le fou et le sage 5
  • 6. matin, il avait encore de l'alcool dans le sang et commençait à se demander comment cette nuit folle allait se terminer. Il n'avait aucune envie d'écouter un fanatique religieux lui parler du bon Dieu ou il ne savait pas trop quoi, mais il devait bien l'admettre : Thomas avait quelque chose de différent. Il avait vraiment l'air heureux. Il n'était pourtant pas riche ou célèbre, ni même populaire. C'était un simple gars de son âge qui avait souffert probablement toute sa vie de discrimination pour ses convictions. Et pourtant il était si rayonnant. Tim devait savoir. Ça ne lui coûterait rien, du moins il l’espérait car il n'avait plus un sou en poche. – Ok. Je te promets de ne pas attenter à mes jours si tu peux m'aider à retrouver la joie de vivre. – Je vais t'aider à connaître la seule vraie joie de vivre, celle que tu n'as encore jamais connue. Mais ce n'est pas moi qui te rendrai heureux : c'est la même chose que ce qui me rend heureux. C'est au travers d'elle que tu connaîtras le bonheur. Et non pas au travers d'un homme. Les deux jeunes hommes terminèrent la nuit en partageant leur parcours de vie. Celui de Thomas avait une conclusion bien plus édulcorée que celui de Tim. Après le lycée, il avait étudié la restauration dans le but de reprendre l'affaire familiale. Son père ayant refusé d'en hériter, c'est Thomas qui reçu comme legs le bistrot, au décès de son grand-père. Il fréquenta deux ans une fille de sa paroisse et ils se marièrent en grandes pompes. Thomas avait alors vingt-deux ans. Depuis, il était l'homme le plus heureux du monde, comblé par une épouse géniale. Il aimait également son métier, qui lui permettait de rencontrer beaucoup de monde et de partager des moments de débats sur le sens de l'existence. Il suivait d'ailleurs des cours occasionnels de théologie. Il n'avait pas d'objectif précis, mais ces cours semblaient le passionner. Les premiers rayons du soleil pointant le bout de leur nez, ils décidèrent de se quitter, en promettant de se revoir très vite. Thomas insista pour que Tim rencontre sa femme, qui venait de se lever, et il fit l'heureuse connaissance d'une blonde aussi rayonnante que son mari. Ils formaient un beau couple. Plutôt que de déprimer, Tim fut encouragé en voyant ces deux tourtereaux, se disant que le bonheur devait ressembler à ça. Il rentra chez lui, éreinté mais satisfait, curieux et un peu moins las de son existence. Mais surtout, il était encore en vie. Le fou et le sage 6
  • 7. Questions existentielles Tim frottait énergiquement un verre dans l'évier. Il regarda en soupirant la pile de vaisselle restante. C'était à lui que revenait le privilège de faire la plonge aujourd'hui. Cela faisait un mois qu'il travaillait au bistrot de Thomas et il ne servait que très rarement les clients. Même si Thomas ne le lui avait pas dit ouvertement, il se doutait que c'était son alcoolisme qui en était la cause. Malgré l'aspect peu aguicheur de la tâche qui lui était confiée, il était reconnaissant à Thomas de l'avoir engagé et surtout de pouvoir payer ses factures. Il espérait que ce travail ne serait que temporaire et qu'il trouverait quelque chose dans la comptabilité. Il n'avait plus bu une goutte d'alcool depuis la nuit où il avait failli mettre fin à ses jours. Ce fut la seule condition que Thomas exigeât pour l'engager : qu'il arrête de boire. Il assistait à des réunions des alcooliques anonymes, et même s'il n'était pas tout à fait convaincu d'être à sa place, il devait bien avouer qu'il allait mieux. Et ce en partie grâce à Thomas. Thomas s'était montré un véritable ami au cours du mois écoulé. Maintenant que Tim ne pouvait plus fréquenter ses potes de bar, il passait beaucoup de temps avec Thomas. C'était quelqu'un de formidable. Non seulement il lui avait offert ce travail, mais en plus il s'intéressait à ce qu'il devenait. Il était prêt à lui prêter de l'argent si besoin et à l'héberger chez lui. Tim avait encore sa fierté et préférait se serrer la ceinture, mais il fut touché par le geste. Thomas était plus érudit que ne l'aurait imaginé Tim. Il avait une culture générale très développée et un regard critique sur la société. Bien sûr sa spécialité était de philosopher sur la vie et Tim avait souvent droit à des théories qu'il n'approuvait guère. Alors, pour voir si Thomas était vraiment incollable sur son sujet, il lui posait toutes les questions qui lui venaient à l'esprit. Et s'il n'arrivait pas toujours à le convaincre, il avait toujours une réponse pertinente. Comme la fois où Tim l'avait volontairement provoqué en lui lançant ce défi : – Prouve-moi que Dieu existe. Thomas avait soutenu son regard et lui avait souri. – Prouve-moi que Dieu n'existe pas. Si tu attends de moi une démonstration surnaturelle qui te prouverait que Dieu existe, tu te trompes. Pourtant, des miracles ont eu lieu à travers le monde, mais les gens ne sont pas concernés par ce qui ne leur arrive pas directement. Et même là ils peuvent douter. D'autant plus qu'il y a plusieurs formes de puissances surnaturelles, pour ainsi dire. Par exemple dans l'histoire de Moïse, où celui-ci va voir le pharaon et transforme son bâton en serpent. Il le fait au nom de Dieu. Mais les magiciens du pharaon font de même en transformant leurs bâtons en serpents. C'est un bon exemple des différentes puissances dont je te parle. Mais à la fin de l'histoire, le serpent de Moïse dévore les serpents des magiciens, affirmant la supériorité de Dieu sur ces autres puissances. « Mais je m'égare. Tu veux que je te prouve que Dieu existe ? Débattons philosophiquement la question. Qu'est-ce que c'est que ça ? Il pointait du doigt la table contre laquelle ils étaient accoudés. – Ben, une table, répondit simplement Tim. – Oui, et en quoi est faite cette table ? – En acier ou une matière similaire. – Et en quoi cette matière est-elle constituée ? – Heu… Les trucs de physique, là, les atomes ou je ne sais pas quoi. – Oui, ces trucs-là. Et d'où viennent-ils ces trucs-là ? – D'autres particules plus petites encore, et ce jusqu'à l'infini. – Jusqu'à l'infini ? Et d'où viennent à l'origine toutes ces infinités de particules ? – Du Big Bang ? Le fou et le sage 7
  • 8. – C'est ce que nous apprend la science. Mais qu'y avait-il avant le Big Bang ? – Comment le saurais-je ? – Tu vois Tim, ce que j'essaie de te démontrer, c'est que tu peux prendre n'importe quoi, en remontant à la source de toute chose, tu arrives à la limite de la science. La science explique beaucoup de choses, mais elle n'a pas toutes les réponses. Beaucoup s'accordent alors à dire qu'il y a un architecte derrière tout ça, un dieu horloger. Ce sont les théistes et les déistes. Pour expliquer simplement les choses, ce sont les opposés aux athées. – Et si tout cela n'était que le fruit du hasard ? Si le Big Bang n'était dû qu'à une erreur de l'univers et qu'avant ça il n'y avait rien ? Ton architecte n'y serait pour rien et ça voudrait dire qu'il n'y a pas forcément un dieu ou quelque chose à l'origine de tout. – Je ne crois pas au hasard, même au plus petit. Mais admettons que le Big Bang soit le fruit du hasard. Ce serait juste un petit hasard. Mais ensuite il n'y aurait que des hasards, trop parfaits pour en être vraiment : la terre à la parfaite distance du soleil, de l'eau permettant la vie sur terre, le corps humain fait de manière à ce qu'il soit tel qu'il est. Imagine si tu avais les oreilles sous les pieds ! Non mon ami, il n'y a pas de hasard, pas avec la vie. – S'il n'y a pas de hasard, qu'y avait-il avant Dieu, vu que tu sembles affirmer son existence ? – Il n'y a jamais eu d'avant Dieu. Dieu est le zéro de l'échelle mathématique. Qu'y a-t-il avant zéro ? Les nombres négatifs, mais ce sont les mêmes que les nombres positifs. Dieu a toujours existé, c'est un mystère qui nous dépasse, je te l'accorde. – Ok, admettons qu'il y ait un début à toutes choses et que le début de la vie c'est Dieu. Comment expliques-tu que nous ne voyons pas Dieu et qu'il y ait autant de souffrance en ce monde ? – Déjà, nous ne voyons pas Dieu parce qu'il est Esprit. Et il est marqué dans la Bible que celui qui verra la face de Dieu mourra. Il est des mystères qui nous dépassent mais il est possible de sentir la présence de Dieu et de le voir à l'œuvre dans notre vie. Demander où est Dieu, c'est comme un poisson qui demanderait : où est l'eau ? Dieu c'est comme l'oxygène, on ne peut pas le voir, mais il est omniprésent, c'est-à-dire qu'il est partout. La question de la souffrance revient régulièrement quand je parle de ma foi avec les autres. La souffrance ne vient pas de Dieu. Il y a eu un péché originel, c'est-à-dire une faute vis- à-vis de Dieu qui a cassé la relation parfaite qu'avait l'homme avec Dieu lors de sa création. Tu as déjà dû entendre parler d'Adam et Eve ? – Oui, ceux qui ont mangé la pomme. – Ce n'était pas une pomme mais un fruit défendu. C'est un symbole. Garde en tête que ces récits ne sont pas toujours à prendre au pied de la lettre. Ils sont des images qui racontent l'histoire de l'humanité, qui s'est transmise de manière orale. Alors il ne s'agit pas forcément de manger un fruit pour qu'il y ait une rupture avec Dieu, mais plutôt de la désobéissance au seul commandement que leur avait donné Dieu. En voulant devenir comme Dieu, chose pour laquelle l'homme n'est pas fait, en voulant prendre ses propres décisions, en décidant de ce qui est bien et de ce qui est mal à la place de Dieu, tout cela a entraîné la rupture avec le Créateur. C'est ainsi qu'est entré le mal sur la terre. – Mais attend, il n'y a pas un serpent dans l'histoire ? Ça serait pas plutôt sa faute à lui ? – Je vois que tu as déjà entendu cette histoire. Oui, là aussi il faut être prudent. Le serpent symbolise le diable. C'est lui qui est venu tenter Adam et Eve. Mais ce sont eux qui ont désobéi. – Attend, attend. Donc il y avait déjà le mal avant qu'Adam et Eve ne mange le fruit, c'est ça que tu dis ? Le fou et le sage 8
  • 9. – Les théologiens ne sont pas tous d'accord, mais il semblerait que le diable ait été un ange, qui a voulu s'élever au même rang que Dieu, et il aurait été déchu pour ça. Ecoute, ce n'est pas le plus important de savoir d'où vient le diable. C'est comme Dieu, il est des mystères que l'on ne peut pas saisir avec notre simple intelligence. Ce qui est bien certain, c'est que nous sommes là, toi et moi, et que ce n'est pas un hasard. – Alors c'est parce que deux personnes ont mangé d'un fruit en désobéissant à Dieu qu'il y a autant de souffrance en ce monde ? – C'est comme ça que le mal est entré dans le monde, mais s'il y a de la souffrance encore aujourd'hui ce n'est plus à cause d'Adam et Eve, mais à cause de nous. Imagine que Dieu soit un dentiste. Pourquoi y aurait- il encore des caries aujourd'hui si les dentistes existent ? Tout simplement parce que toutes les personnes ne vont pas chez le dentiste. C'est la même chose avec Dieu. Tout le monde ne s'adresse pas à Lui. – Donc, si tout le monde s'adressait à Dieu, il n'y aurait pas de mal ? – Si le monde entier reconnaissait Dieu comme le Seigneur du monde, oui, ce serait la fin de tous les malheurs, parce que le mal cesserait d'exister. Mais cela n'arrivera jamais. Il est écrit que certains seront sauvés et d'autres pas. – Mais c'est injuste. Tout le monde mériterait d'être sauvé ! – Même Adolf Hitler ? C'est à Dieu de juger chaque personne, mais ce que tu dois comprendre, c'est que tout le monde peut être sauvé, sauf que peu de gens choisissent de l'être. Hitler a choisi de faire le mal, personne ne l'a forcé. C'est toute la complexité du libre arbitre. C'était le genre de conversations qu'avaient Tim et Thomas. Tim n'était pas convaincu par les propos de Thomas, mais il aimait bien débattre sur le sujet. Parfois il lui venait une subtilité avec laquelle il essayait d'attaquer Thomas. Mais celui-ci ne se laissait pas défaire. – Thomas, par rapport à la création, lui demanda-t-il un jour, comment se fait-il que la terre ait pu être créée en six jours si les scientifiques ont retrouvés des fossiles de plusieurs millions d'années ? Thomas soupira et Tim crut qu'il avait trouvé une faille en lui. – La question du créationisme, répondit-il en s'asseyant, comme si ce qu'il avait à dire allait prendre du temps. Même au sein des chrétiens il y a des débats acharnés sur la question. Il y a trois écoles : ceux qui affirment que la terre a été créée en six jours de vingt-quatre heures ; ceux qui croient que la science est compatible avec la création et que la terre a été créée en plusieurs millions d'années et que ces six jours symbolisent les jours de la semaine et leur découpage, mettant en avant l'importance d'un jour de repos ; et enfin ceux qui pensent qu'il a pu y avoir une évolution dans laquelle Dieu est impliqué. – Et toi, à quelle école appartiens-tu ? – Je crois que rien n'est impossible à Dieu et qu'il a très bien pu créer tout l'univers en six jours. Mais je ne suis pas contre la science et il est bien possible que ce soient des jours symboliques. Après tout, le premier jour, ce fut le premier de tous, il n'avait donc pas de commencement. C'est un détail. L'important est de croire que le monde a été créé et qu'il n'est pas le fruit du hasard. « Dieu à très bien pu créer la terre avec de l'âge : après tout il a bien créé l'homme adulte. Et puis il y a le déluge. Il y a quelques années, suite à une catastrophe naturelle, une inondation a eu lieu aux États-Unis. En quelques heures seulement, la roche est devenue fossile et les scientifiques ont estimé l'âge de cette roche à plusieurs millénaires. C'est dingue non ? Tim s'était assis et le regardait perplexe. – Je ne t'ai pas convaincu, hein ? Lui demanda Thomas. – C'est intéressant de discuter avec toi Thomas, vraiment, mais je trouve que c'est un peu un dialogue d'un muet avec un sourd. Tu as tes opinions et moi les miennes. Et tu me respectes, j'apprécie. Seulement tu m'avais parlé d'expérimenter par moi-même ta foi et là je Le fou et le sage 9
  • 10. dois dire que je suis un peu sur ma soif. – Vraiment ? Peut-être es-tu prêt alors pour faire un pas vers la vérité. Thomas se leva et alla dans l'arrière boutique. Il revint quelques minutes plus tard avec un livre épais à la main. Tim n'eu pas de mal à deviner de quel livre il s'agissait. – La Bible ? Demanda-t-il quand-même. – Oui, la Bible. Je te fais cadeau de cette version en français fondamental. Tu ne devrais pas avoir de peine à la comprendre. – Je te remercie, mais je ne sais pas si je vais la lire, honnêtement. – C'est à toi de décider. En tout cas si tu commences à la lire et que tu as des questions, n'hésite pas à venir me voir. Lorsque Thomas s'en fut allé, Tim regarda l'ouvrage bleu avec un arbre sur la couverture. Il y avait la terre et des nuages au-dessus, et « Bible » était écrit en blanc. C'était plus classe que ce qu'il ne se l'était imaginé. Mais c'était tellement volumineux… Jamais il n'avait lu un livre aussi long. Il le feuilleta et découvrit que ce livre était en fait un ensemble de livres. Peut-être pourrait-il lire un seul de ceux-ci et voir si cela lui plaisait ? Mais par lequel commencer ? C'était trop compliqué, il décida de laisser tomber pour le moment. Quelques jours plus tard, alors qu'il était chez lui et zappait bêtement de chaîne en chaîne, son regard tomba sur la Bible offerte par son seul ami du moment, qu'il avait laissé traîner sur une table basse. C'était une dure journée pour lui. Il venait de découvrir sur Facebook que son ex- fiancée s'était fiancée avec son copain, et il venait de recevoir un rappel pour le loyer. Pour couronner le tout, il n'avait pas de nouvelles des employeurs auxquels il avait envoyé sa candidature. Alors qu'il songeait à aller au commerce du coin s'acheter à boire, il décida, sans savoir vraiment pourquoi, d'ouvrir pour la première fois sa Bible. Il ouvrit au hasard, n'y connaissant rien. C'était un passage dans le livre des Proverbes. Il tomba sur le chapitre vingt et commença sa lecture, sans se soucier de ne pas être au début du livre. « Le vin rend l'homme moqueur, l'alcool le rend bruyant. Celui qui en boit trop ne sera jamais un sage. » Il arrêta aussitôt sa lecture. Ce verset le fit réfléchir, puis il chassa l'idée qu'il puisse y avoir un rapport quelconque avec lui. C'était simplement un hasard, rien de plus, essaya-t-il de se rassurer. Il reposa la Bible et reporta son attention vers la télé. Il ne croyait pas à toutes ces bondieuseries et encore moins qu'un fichu livre puisse lui apporter des réponses. Car cela voudrait dire qu'il aurait dû reconnaître qu'il y a quelqu'un derrière tout ça. Et il n'était pas prêt. Il n'avait jamais cru et n'était pas près de changer sa mentalité. Malgré tout ce qu'il se dit pour se rassurer, il ne pouvait chasser de son esprit ce simple verset. Il ne toucha plus sa Bible ce soir-là, mais il ne toucha pas non plus une goutte d'alcool. Le fou et le sage 10
  • 11. Quand le fou cherche la sagesse Fallait-il donc ne pas boire de vin pour être sage ? Cette question trotta dans la tête de Tim, à tel point qu'il eut envie d'en savoir plus. Thomas lui assura qu'il n'était pas interdit de boire dans la Bible, simplement de s'enivrer, afin de montrer le bon exemple aux autres et par respect pour son propre corps, création de Dieu. Pour Tim, qui reconnaissait à présent sa dépendance à l'alcool, cette manière d'aborder le problème avait du sens. Il se sentait un peu comme le fou de la comptine de Thomas : en recherche. Au cours des mois qui suivirent, il ouvrit à nouveau sa Bible. Il s'intéressa à la sagesse enseignée par Salomon dans les Proverbes et y trouva une philosophie surprenante. Après avoir lu ce livre, il décida d'essayer de lire la Bible en entier. Il commença donc par la Genèse, le premier livre, qui raconte l'histoire de la création et celle des patriarches d'Israël. Ce lien étroit avec le peuple juif intriguait Tim. – Dans les religions monothéistes, lui expliqua Thomas, c'est-à-dire qui n'ont qu'un seul Dieu, il y a un lien ; le sémitisme. Le nom vient du dernier fils de Noé, Sem. Il désigne tous les peuples qui parlent une langue dite sémite. Nous y retrouvons ainsi le peuple arabe et les juifs, qui sont les ancêtres du christianisme. – Donc il existe un lien entre l'islam, le judaïsme et le christianisme ? – Oui, Abraham. Son fils aîné, Ismaël, lui vint de sa servante. C'est lui qui est l'ancêtre du peuple arabe. Et le premier fils qu'il eut avec sa femme Sarah, Isaac, est l'ancêtre du peuple juif. Le fils d'Isaac, Jacob, se verra renommé Israël, ce qui veut dire « celui qui lutte avec Dieu ». En effet, il a combattu Dieu au cours d'une nuit. Ces récits n'étaient pas inconnus de Tim. Il venait de les parcourir, mais réalisait à présent quel lien historique il existait entre les histoires de la Bible et le reste de l'humanité. C'était fascinant de voir que toutes choses semblaient être liées à ces histoires. Par exemple pourquoi il y a autant de langues à travers le monde : l'histoire de la tour de Babel en était la cause. Tim n'avait pas l'impression d'avoir trouvé ce qu'il cherchait dans ce livre : le sens de la vie. Si la Bible raconte ce qui s'est passé de la création à environ deux mille ans en arrière, elle n'apporte pas de réponse sur la raison de la création ou le but de l'existence. Pourquoi sommes-nous sur cette terre ? Si Dieu est omnipotent, c'est-à-dire qu'il peut tout, comment expliquer qu'il reste impassible face à l'injustice ? – Imagine que tu apprennes la mort de quelqu'un. Ça ne te réjouirait pas, n'est-ce pas ? Lui demanda Thomas. – Bien sûr que non. Où veux-tu en venir ? – Maintenant imagine que ce quelqu'un est Adolf Hitler. Que ressentirais-tu ? – Selon le contexte, du soulagement, je suppose. – Alors qu'une personne meure te dérange, mais pas si c'est un tyran responsable de la mort de millions de personnes ? – Ça me semble assez logique, oui. – Pourtant, selon toute logique, nous sommes tous égaux. Et la mort de quiconque devrait nous attrister. Cependant, si quelqu'un avait tué Hitler avant qu'il vienne au pouvoir, cela aurait sauvé des millions de personnes. Parfois nous considérons une situation comme injuste, alors que c'était le meilleur moyen d'éviter une catastrophe. – Mais pourquoi n'y aurait-il pas tout simplement aucune catastrophe ? En gros, pourquoi nous permettre de vivre de la sorte alors que tout pourrait être différent ? – Tu verras en poursuivant ta lecture que par la suite Dieu a demandé à son peuple de lui offrir des sacrifices. C'était le moyen d'être pardonné pour nos mauvais actes. Il nous a donné le libre arbitre, il Le fou et le sage 11
  • 12. nous a créé à son image. – Je croyais que Dieu est Esprit ? – Oui. Et comme lui nous avons un corps, une âme et un esprit. De même les trois personnes de la trinité ne forment qu'une seule. – Je n'y comprends rien à cette trinité. – C'est assez complexe. Essaie seulement de comprendre qu'il n'y a aucun mal en Dieu. Le mal qui existe vient de nos propres décisions et nous pouvons en venir à bout en demandant l'aide de Dieu. – Comment est-ce qu'on fait ça, demander l'aide de Dieu ? – En priant. Tim n'était pas prêt à essayer la prière. Pour l'instant il voulait comprendre en quoi le christianisme pouvait être une meilleure alternative qu'un autre religion. – Donc, les religions sémites sont assez proches ? – Oui. Nous retrouvons des similitudes entre le Tanakh, le livre saint des juifs, le Coran, le livre sacré des musulmans et la Bible. – Et pourquoi ce serait le christianisme qui serait la vraie religion monothéiste ? Si tu étais né dans un pays arabe, ne serais-tu pas musulman ? – C'est probable. Cela dit, nombre de musulmans deviennent chrétiens. Dans la culture arabe, la religion est omniprésente. En Occident, nous sommes laïques. Donc nous avons la liberté de choisir. En plus de cela, le christianisme est la seule religion qui ne te demande rien. Certains diront peut-être que c'est par les œuvres que tu obtiens le salut, mais il n'en est rien. Il est marqué clairement que c'est par la foi que nous sommes sauvés. Islam veut dire soumission. C'est une religion très exigeante et qui demande une dévotion totale. Le judaïsme exige que tu sois né au moins de mère juive. C'est un héritage sanguin. Le bouddhisme et l'hindouisme sont des religions polythéistes, c'est-à-dire qui ont plusieurs dieux, et, même si certains sont plus importants que d'autres, il n'y a pas un Dieu unique et Créateur, qui te promet une vie après la mort. La vie est un cycle et la réincarnation en est l'aboutissement. Dans le bouddhisme il est question de rechercher un état spirituel qui te permettrait d'échapper à ce cycle. Il n'y a que dans le christianisme où l'homme n'a rien à faire, simplement d'accepter le salut. – Si c'était si simple, tout le monde devrait être chrétien ! – Certains se disent croyants, mais la vérité c'est que Dieu regarde au cœur. Il sait si tu es sincère dans tes engagements et si tu l'aimes vraiment. Tous ces débats donnaient la migraine à Tim. – Et si simplement il n'y avait pas de religion qui détienne la vérité ? Si la vie n'avait pas de but précis et qu'il suffisait de profiter de celle-ci en cherchant à bien agir ? – Dans ce cas, dans quel but chercher à bien agir ? Pourquoi faire le bien s'il n'y a pas de conséquences ? Nous revenons au libre arbitre et aux conséquences que cela implique de ne pas avoir la même éthique. Je vais te donner un exemple. Les Grecs de la Grèce antique pratiquaient la pédérastie. Des hommes d'un certain âge avaient des rapports sexuels avec des jeunes hommes, voire des enfants. C'était chose courante. Avec le temps, la pédophilie et l'homosexualité ont été réprouvées. Aujourd'hui, dans la plupart des sociétés occidentales, l'homosexualité est une chose tout à fait acceptée, mais pas la pédophilie. Alors qu'est-ce que ça veut dire ? Que la pédophilie devrait être acceptée parce que c'est comme l'homosexualité, une chose qui a été acceptée, ou que l'homosexualité devrait être désapprouvée ? C'est une vaste question. Tout dépend de quelle éthique tu appliques. Les libéraux argumenteront pour une approche progressiste, tandis que les conservateurs soutiendront haut et fort que les deux pratiques sont mauvaises. La Bible, elle, a toujours été claire à ce sujet. Sauf que la société a évolué et que les valeurs chrétiennes se sont perdues. Le fou et le sage 12
  • 13. – En même temps tu ne vas pas me dire que l'esclavage, par exemple, serait une bonne chose à rétablir ! – Non. Il faut vivre avec son temps. Mais certaines choses sont clairement définies comme bien ou mal, et la liberté religieuse commence à se perdre. C'est une chose attendue, car annoncée dans l'Apocalypse. Le mal deviendra bien et le bien deviendra mal. Toutes ces discussions ne réussissaient pas à convaincre Tim qu'une religion valait mieux qu'une autre. C'était en effet vers le christianisme qu'il commençait à se tourner, mais il avait le sentiment que dans un autre contexte il aurait très bien pu se tourner vers un autre mouvement. Il lui fallait expérimenter par lui-même cette chose dont parlait Thomas. – Ta religion est peut-être importante pour toi, mais je ne vois toujours pas ce qu'elle a à m'apporter. – D'abord il ne s'agit pas d'une religion. C'est un terme inventé par les hommes, qui a trop souvent été utilisé pour faire des choses regrettables. Ce que je te propose ce n'est pas une religion. C'est une relation. Dieu t'aime comme un père et un ami, et il souhaite entrer en contact avec toi. – Si j'entre en contact avec Dieu, je veux bien devenir chrétien sur le champ ! Plaisanta Tim. – C'est très facile d'entrer en contact avec Dieu. Il te suffit de le vouloir. Mais au fond de toi tu n'y crois pas. C'est pour ça que ça ne marchera pas. – Tu veux dire qu'il faut que je m'imagine les choses, c'est ça ? – Non, je veux dire que pour vraiment entrer en contact avec Dieu tu dois être sincère. Dieu ce n'est ni le karma ni un rite : Dieu est une personne divine qui est capable d'entrer en contact avec toi. Dieu te voit constamment et sait même les choses que tu ignores sur toi-même. – Comment pourrait-il tout savoir de moi et de toute personne en même temps ? C'est impossible ! – Aux hommes, cela est impossible. À Dieu, rien n'est impossible. Imagine que Dieu soit en dehors du temps. Il voit en même temps le passé, le présent et le futur. Nous sommes juste un point sur une ligne tracée à l'avance, dont le courbé dépend de nos choix. Dieu étant immortel et existant depuis toujours, il est omniscient, c'est-à-dire qu'il sait tout. Cela fait partie des trois caractéristiques de Dieu : il est omniscient, omnipotent et omniprésent. – Si Dieu sait tout mais que nos choix ont encore de l'importance, qu'est-ce que ça veut dire ? S'il est en dehors du temps, cela voudrait-il dire qu'il sait à l'avance ce que nous allons décider ? – Eh bien, oui et non… Thomas semblait hésitant, comme tiraillé par la question de Tim. – C'est ce que l'on appelle la prédestination. C'est-à-dire que Dieu a choisi à l'avance ceux qu'il appelle à devenir chrétiens. – Cela ne me semble pas très juste… – Tu pourrais le voir un peu comme une porte où il est écrit « choisis-moi » et de l'autre côté il est écrit « je t'ai choisi ». En disant que l'homme choisi lui-même s'il veut devenir chrétien ou pas ça enlève le fait que Dieu fait tout le travail. – Donc, les chrétiens ne choisissent pas vraiment d'être chrétiens, si je comprends bien… Thomas marqua un temps de silence. – Je t'avoue que je ne sais pas. Mais ça me fait bien réfléchir en tout cas. Merci pour cette réflexion. Être chrétien ne veut en tout cas pas dire avoir tout compris à tout. Ils ricanèrent. – Toute cette théologie me fait tourner la tête, se plaignit Tim. Tu n'aurais pas quelque chose de plus concret. – Bien sûr que oui, rit Thomas. Pardonne mes élans de Le fou et le sage 13
  • 14. théologien. Au moins tu peux constater que la théologie n'est pas un truc de pauvre d'esprit. L'étude de la Bible est très complexe et c'est un véritable chef-d'œuvre, écrit d'une manière tellement parfaite que c'en est impossible que cela vienne des hommes. Je pourrais t'en parler pendant des heures, que dis-je, des jours entiers ! – Explique-moi plutôt comment Dieu a pu écrire un livre. – De sa propre main il n'a écrit que les dix commandements, donnés à Moïse sur des tablettes de pierre. Pour le reste, il a inspiré des personnes, souvent des prophètes et autres grands personnages bibliques, pour mettre par écrit la tradition orale. La manière dont la Bible est telle quelle est aujourd'hui, avec le nombre de livres qu'elle a et sa disposition, est une histoire fascinante. C'est en découvrant ce genre de choses que l'on cesse de croire au hasard. – Je veux bien te croire quand tu dis que c'est fascinant, mais j'aimerais vraiment du concret… – Tu veux découvrir ce qu'est une communauté et comment entrer en contact avec Dieu ? – Oui. Et si possible avoir une preuve de son existence. – Très bien. Tu as frappé à la bonne porte. Le fou et le sage 14
  • 15. Première expérience Tim ne savait pas trop à quoi il s'attendait en allant à l'Eglise le dimanche matin. En tout cas pas à ça. Dans sa conception de l'Eglise, il s'imaginait ce qu'il avait vu pour les mariages et les enterrements : un grand bâtiment en pierre froide, de la lumière filtrée par des vitraux et des bancs inconfortables, un vieux prêtre plongé dans une immense Bible usée et des paroissiens du troisième âge chantant des cantiques d'avant-guerre. Ce qu'il avait devant lui ressemblait plus à un séminaire : de la moquette au sol, des chaises, une estrade avec du matériel sonore de pointe, des fenêtres tout ce qu'il y a de plus normal, des gens habillés comme lui et même un projecteur qui affichait un message de bienvenue. Il avait suivi Thomas et Caroline, son épouse, qui semblaient connaître chacune des cinquante personnes présentes. Des visages radieux le saluèrent et lui posèrent plein de questions. Pour montrer qu'il n'appartenait pas à ce monde, il dit clairement que c'était la première fois qu'il mettait le pied dans une Eglise évangélique. D'ailleurs, que voulait dire ce terme ? – Évangélique signifie que nous nous identifions à l'Évangile, lui expliqua Thomas. Dans le christianisme il y a l'Eglise universelle, qui est normalement l'Eglise catholique, mais en disant cela on pense à l'Eglise catholique romaine, qui est celle avec le pape. Les évangéliques sont l'un des mouvements du protestantisme et se distinguent des réformés en n'étant pas une Eglise d'État, du moins ici sur le canton de Vaud. Ça c'est dans les grandes lignes. – Et c'est quoi alors les évangélistes ? Ça n'existe pas ? – Si, sauf qu'il ne s'agit pas d'un mouvement du christianisme mais de l'action d'annoncer l'Évangile, c’est-à-dire de faire le l'évangélisation. Un évangéliste est une personne qui pratique l'évangélisation, ou alors les auteurs des Évangiles, et un évangélique est une personne qui prend l'Évangile comme référence. Tim ne savait pas vraiment ce qu'est l'Évangile, alors parler de termes techniques lui paraissait hors d'atteinte. Il commençait à se demander s'il avait bien fait de venir. Quelqu'un venait de prendre un micro et invita l'assemblée à s'asseoir. L'orateur souhaita la bienvenue à chacun et demanda s'il y avait des personnes présentes pour la première fois. Thomas poussa Tim à se lever et celui-ci sourit faiblement, mal à l'aise. L'assemblée l'applaudit et bientôt de la musique retentit. Ces chants n'avaient rien à voir avec les cantiques de Noël que Tim connaissait. C'étaient des chants dynamiques, accompagnés de guitare, de piano et de batterie. C'était comme un concert. Des gens levaient même les mains et certains fermaient les yeux. Tim se contentait de chanter en lisant les paroles sur le projecteur. Il y avait des mots qu'il ne comprenait pas et des phrases qui lui semblaient dénuées de sens. Pendant ce moment animé, un temps de prière fut décrété. Tim se rassit et observa autour de lui. Beaucoup de personnes avaient la tête baissée et l'on pouvait voir leurs lèvres bouger. Il se demanda si toutes ces personnes étaient en train de jouer une sorte de comédie ou si elles vivaient réellement quelque chose. Des gens commencèrent à prier à voix haute. – J'ai sur le cœur de prier pour une personne ici présente. Sache que tu vas bientôt trouver du travail. Ne t'inquiète pas, confie-toi en moi, et je veillerai sur tes pas. N'aie pas peur. Évidemment, Tim fut intrigué par cette prière, mais il se dit que n'importe qui pouvait être concerné. Et même que c'était une prière que lui-même aurait pu dire devant tout le monde, pour se faire bien voir. Il devenait plus craintif à l'égard des évangéliques que ce qu'il ne l'aurait cru. Tout ça n'était qu'une supercherie. Mais dans quel but, au juste ? – Que votre cœur ne se trouble point. Croyez en Dieu, et croyez Le fou et le sage 15
  • 16. aussi en moi. Tim vit que le monsieur qui venait de parler avait lu un texte. Sans aucun doute de la Bible. Il se demanda s'il s'agissait encore d'une coïncidence si ces paroles lui parlaient. Ce qu'il voulait, si Dieu existait vraiment, c'était avoir une preuve concrète de son existence et la certitude que c'était bien ce Dieu-ci qui était le vrai Dieu. Ce qu'il venait de vivre ne l'avait pas convaincu. Après un nouveau chant, il y eut un temps que Thomas lui expliqua être la Sainte Cène, que lui-même connaissait sous le nom d'eucharistie. Quelques personnes prirent du pain et le rompirent, puis du vin et remplirent des coupes. Elles passèrent ensuite dans les rangs pour donner du pain et du vin aux fidèles. Tim n'en prit pas et resta perplexe sur la manière de prendre ce qu'il s'imaginait comme étant une hostie. Il se souvenait vaguement que c'était un truc en rapport avec ce qu'avait fait le Christ, mais n'y attacha guère d'importance. Un temps d'offrande suivit alors. Chacun était libre de donner à sa guise ce qu'il souhaitait dans le petit panier qui circulait dans les rangs. C'était peut-être ça le but de la supercherie, se dit Tim, l'argent. Il donna quelques francs qu'il avait dans sa poche, à contre cœur, car il était ruiné. Le pasteur prit à son tour la parole et parla pendant une demi-heure. Il parla de la sagesse et du fait que ce n'était pas l'argent qui possédait le pouvoir. Cela fit ricaner Tim. Si ce n'était pas l'argent, qui était-ce ? D'après le pasteur, c'était Dieu. Où était donc son Dieu si puissant ? Le pasteur raconta alors une histoire. – Deux bébés parlent dans le ventre de leur mère. Le premier demande à son frère : « Tu crois en la vie après l'accouchement ? « Bien sûr, lui répond-il. Nous sommes ici uniquement pour devenir fort et nous préparer à ce qui nous attend après. « Non, il n'y a rien après l'accouchement, argumente l'autre. Est-ce que tu peux imaginer à quoi une telle vie ressemblerait ? « Je ne connais pas tous les détails, mais il y aura beaucoup de lumière et de joie. Par exemple on pourra manger avec notre bouche. « C'est n'importe quoi ! C'est le cordon ombilical qui nous nourrit, un point c'est tout ! Il n'y a jamais eu de revenant de cette vie après l'accouchement. La vie se termine à l'accouchement. « Non. Je ne sais pas exactement à quoi rassemblera cette vie, mais nous verrons notre maman et elle prendra soin de nous. « Maman ? Tu crois en maman ? Et ou se trouve-t-elle alors ? « Elle est partout ! Elle est autour de nous. C'est grâce à elle que nous vivons. Sans elle nous ne sommes rien. « Ridicule ! Je n'ai jamais vu aucune maman, donc c'est évident qu'elle n'existe pas. « Je ne suis pas d'accord. Parfois tout devient calme et on peut l'entendre chanter, sentir quand elle caresse notre monde. Je suis certain que notre vie commence après l'accouchement. Tim était forcé d'admettre que ce récit ne le laissait pas de marbre, mais il n'était pas encore convaincu de la pertinence des propos qu'il avait entendus. Après tout, tout aussi touchantes que soient ces histoires, il n'avait pas expérimenté personnellement cette soi-disant puissance de Dieu. Trop perdu dans ses pensées et n'ayant pas la moindre envie de rester discuter avec les membres de l'Eglise, il salua hâtivement Thomas et rentra chez lui. Il y resta la journée et n'ouvrit pas sa Bible. Il lui semblait qu'il n'avait pas trouvé ce qu'il cherchait et il était déçu. Bien sûr discuter était intéressant, mais vivre les choses comme le prétendait Thomas serait beaucoup mieux. Il n'était plus du tout sûr de ce qu'il croyait et se demandait même si la vie avait un sens. Malgré un sommeil agité, il fut efficace à son travail le lendemain. En rentrant chez lui, il avait, comme d'habitude, du courrier. Le fou et le sage 16
  • 17. En plus des rappels habituels, il y avait une lettre d'une entreprise auprès de laquelle il avait postulé. Se disant que l'on avait enfin la décence de lui refuser un poste ouvertement, il ouvrit l'enveloppe, peu enthousiaste. Ce n'était pas un refus : c'était une invitation à un entretien d'embauche pour le lendemain. Il s'empressa d'appeler l'entreprise pour confirmer le rendez-vous et prévint ensuite Thomas qu'il devrait s'absenter le lendemain. Thomas était très content pour lui, et lui dit qu'il prierait pour que cet entretient se passe bien. En dépit de toutes ses appréhensions sur la vie, Tim devait reconnaitre que de penser que quelqu'un veille sur lui le réconfortait. Le fou et le sage 17
  • 18. Et le fou devint sage Tim était en avance pour son entretien. Il était assis dans la salle d'attente, nerveux. Il savait que s'il arrivait à décrocher cet emploi, sa carrière pourrait reprendre. Cela faisait des mois qu'il n'avait plus exercé son métier et il avait peur que les dettes qui lui restaient l'empêchent d'obtenir le poste. Dans sa conception des choses, retrouver un emploi lui permettrait de repartir à zéro. Et il était tout de même confiant, car, se disait-il, s'il avait été convoqué c'était que l'entreprise n'avait pas tenu compte de ses dettes. Il ne pouvait toutefois pas s'empêcher de stresser. C'était, en quelque sorte, sa seule chance de s'en sortir. Alors qu'il essayait de respirer calmement et de se détendre, il ressentit le besoin d'avoir la paix. Et il lui semblait connaître un moyen de trouver cette paix, seulement il n'avait jamais essayé. Il inspira un grand coup et tenta de parler en lui-même. Ne sachant pas très bien comment s'y prendre, il adressa cette prière : – Heu… Dieu, si tu existes et que tu m'entends, je t'en prie, accorde- moi ce travail. J'en ai besoin pour m'en sortir. Je sais que je ne suis pas un de tes fidèles, mais il paraît que tu peux agir dans nos vies. Si c'est le cas, je te le demande : donne-moi ta paix. Je te promets de retourner à l'Eglise si j'obtiens ce poste, mais s'il te plaît, aide-moi ! C'était un cri du cœur. Il n'avait jamais prié auparavant et n'était toujours pas convaincu que Dieu existe et s'il existe que ce soit bien celui de la Bible qui soit le vrai. Mais la paix qu'il ressentit après cette prière, il ne l'avait jamais ressentie auparavant. C'était comme si quoi qu'il arrive il serait satisfait. Ce n'était pas si important, après tout, seulement un travail. On appela monsieur Bonvin et il se dirigea d'un pas assuré vers le bureau du directeur. Son entretien fut bref, et il eut l'impression de subir un interrogatoire. Il ne pouvait que dire oui à tout ce que lui demandait le directeur, n'étant pas en position de négocier. L'important, c'est qu'au final il décrocha la place de travail. Un immense soulagement s'empara de lui. Il commencerait dès le lundi suivant et se dépêcha d'annoncer la bonne nouvelle à Thomas. Il garda sous silence la prière adressée dans la salle d'attente, mais il savait que quelque chose en lui avait changé. Il fut bien obligé de se souvenir de cette prière le samedi soir, en repensant à la promesse qu'il avait faite. À qui l'avait-il faite au juste ? À Dieu ? C'était ridicule. Pourtant il avait envie d'honorer sa parole. Avant d'aller se coucher, il se replongea dans la lecture de sa Bible. Il comprenait mieux ces histoires de sacrifices dont lui avait parlé Thomas. Et c'était sacrément pénible à lire. Il finit par sauter des passages pour chercher un extrait intéressant, ce qui n'était pas évident dans le livre du Lévitique. Il finit par remettre de côté sa Bible et alla dormir. Le lendemain, il était debout à neuf heures, prêt à se rendre pour la deuxième fois de sa vie à un culte. Thomas eut l'air assez surpris de le voir, mais lui serra simplement la main en lui souhaitant la bienvenue. Il s'assit à côté du couple Pittet et n'eut pas besoin de se lever cette fois-ci. Durant les chants, que l'assemblée semblait appeler la louange, il fut stupéfait par la beauté d'une jeune fille de son âge qui était sur la scène avec les musiciens. Elle avait quelque chose de spécial, sans qu'il ait pu dire quoi. Le message du jour parlait de la reconnaissance. Bien qu'il ne se sentit pas particulièrement ciblé cette fois-ci, il savait qu'il avait au moins une raison d'être reconnaissant. Et au fond de lui, il l'était. À la fin du culte, de nombreuses personnes vinrent le saluer et il ne se déroba pas cette fois, trop désireux de rencontrer la fille de la louange. La brune au regard perçant finit par venir dans sa direction et il alla se présenter. Elle s'appelait Julie et avait un sourire délicieux. Elle était animée par une vigueur étonnante. Il n'avait jamais connu une Le fou et le sage 18
  • 19. fille pareille. Il aurait bien aimé l'inviter pour faire plus ample connaissance, mais il se gêna et laissa passer sa chance. Il était bon pour revenir le dimanche suivant. Avec son nouveau travail qui commençait, il retrouva goût à beaucoup de choses, dont le stress du monde de la finance. La semaine fila à une allure folle et bientôt ce fut dimanche et un nouveau culte. Il avait avancé dans sa Bible et échangea ses impressions avec Thomas, qui semblait s'émerveiller de son changement de comportement. Le message du jour parla de la grâce de Dieu et pour une fois Tim commençait à y comprendre quelque chose. Il se pouvait bien que Dieu soit bon. L'idée qu'il puisse y avoir quelqu'un qui contrôlait tout le rassurait. Il n'était pas encore converti au christianisme, même s'il commençait à vivre la vie d'un chrétien. Il revit Julie et n'eut toujours pas le courage de l'inviter. Il lui semblait qu'elle appartenait à un monde différent du sien. Il avait progressé dans sa recherche du sens de la vie, mais n'était pas encore satisfait et convaincu qu'il avait trouvé la vérité. Il lui manquait un élément pour sa compréhension : quelle démarche devait-il faire pour que sa vie soit réellement différente ? Après tout il vivait la même vie qu'autrefois, aux seules différences près qu'il se rendait à l'Eglise et ne buvait plus d'alcool. Il continuait la lecture de sa Bible, sans que cela ne lui apporta réellement des réponses, seulement de la connaissance biblique et historique. Il se rendait aux cultes et entendait des messages d'espoir et de réconfort. Il discuta longuement avec Thomas à propos de la personne de Dieu et lui avoua qu'il avait prié dans la salle d'attente avant son entretien. Thomas l'encouragea à prier à nouveau, ne serait-ce que pour dire merci. Il lui montra la prière du Notre Père et la manière dont il est conseillé de prier dans la Bible. Il fallut du temps à Tim pour se décider à prier. Et lorsqu'il commença, il comprit assez vite que ce n'était pas très compliqué. Il lui suffisait de dire merci pour ce qu'il avait dans sa vie, de demander à Dieu de prendre soin des autres et de l'aider à devenir meilleur. L'attitude de cœur était ce qui comptait le plus, lui avait dit Thomas. Tim finit par reconnaitre que lorsqu'il priait il se sentait bien, que lorsqu'il lisait la Bible il pouvait comprendre certains passages d'une manière plus personnelle. En fait, Tim finit par comprendre que Thomas avait raison : il est facile d'avoir une relation avec Dieu, il suffit de décrocher le combiné de son côté, car Dieu est toujours à l'autre bout du fil. Tim ne disait plus « Dieu » quand il priait, mais « Seigneur ». Il arrivait à entretenir chaque jour un petit moment avec Lui pour progresser dans sa foi. Son travail se passait très bien, même s'il était débordé. Lorsqu'il n'en pouvait plus, il s'en remettait à Dieu, et aussitôt une paix intérieure s'emparait de lui. Il vivait vraiment comme un chrétien, sauf que mis à part la Bible, il n'avait rien qui le distinguait d'une autre religion monothéiste. Il savait à qui il adressait ses prières, pourtant il avait l'impression qu'il lui manquait quelque chose. Par exemple s'il devait partager sa foi avec un non-croyant, il ne saurait pas comment s'y prendre. Ses croyances n'étaient pas assez claires. Alors même si sa vie était à présent agréable, il ressentait le besoin de clarifier les choses et de découvrir une bonne fois pour toutes quelle est cette vérité qui lui était promise. Car il savait qu'il n'en était pas loin mais qu'il ne l'avait pas encore découverte. Il s'adressa bien sûr à Thomas, en lui rappelant qu'il lui avait promis de tout lui révéler lorsqu'il le désirerait sincèrement. Voyant la détermination de son ami, Thomas lui sourit et lui fit signe de s'asseoir. – Voilà que le fou s'en lassé de sa folie et qu'il devient sage. Le fou et le sage 19
  • 20. La vérité – Un capitaine de navire partit en mer et emporta sa mère avec lui. Après quelques semaines, le capitaine s'aperçut que des vivres disparaissaient. Il convoqua alors son équipage et lui dit : « Ces vols doivent cesser. Si nous n'avons plus de vivres, nous n'arriverons pas en vie au port. Si j'attrape le coupable, il sera attaché au mat et recevra trente coups de fouets ». Pendant les jours qui suivirent, il n'y eut plus de vols. Puis ils recommencèrent. L'équipage vint trouver le capitaine, en lui disant : « Nous avons trouvé le coupable ». « Très bien, répondit le capitaine, amenez-le-moi ». « Il s'agit de votre mère. » « Et là Tim, tu es le capitaine du bateau. Que fais-tu ? Tim médita la question un instant, présentant un piège. – Je suis un homme de parole, mais comme il s'agit de ma mère, je lui fais grâce. – Tu serais prêt à risquer une mutinerie ? Un capitaine n'a qu'une seule parole ! – Je ne peux tout de même pas faire fouetter ma propre mère ! L'équipage doit comprendre. – Il ne peut pas y avoir de traitement de faveur, Tim. Voilà ce qu'a fait le capitaine : Il a dit : « Très bien, attachez ma mère au mât ». Et lorsque le fouet s'est levé pour infliger la sentence, le capitaine s'est jeté contre sa mère, l’encerclant de ses bras et recevant les trente coups de fouets à sa place. Ça Tim, c'est ce que Jésus a fait pour toi. Tim médita cette histoire. Il n'était pas très sûr d'avoir compris où Thomas voulait en venir. – Jésus a pris ma punition ? Mais je n'ai rien fait de mal ! Pourquoi devrais-je être puni ? – Tu n'es peut-être pas un criminel, un assassin, tu rentres peut-être dans la catégorie que la loi humaine qualifie d'honnête citoyen, mais tu un descendant d'Adam, membre de la lignée humaine, et donc pécheur. – Adam était un pêcheur ? – Non, c'est un terme biblique pour désigner une personne qui commet un péché, c'est-à-dire une faute. C'est dans notre nature, nous commettons tous des erreurs, à commencer par la plus grave de toutes : nous ne sommes pas en relation avec Dieu. C'est comme si nous étions morts, que nous n'étions que des corps sans vie. – Mais on n'y peut rien si on est nés comme ça ! Ça me semble plus injuste qu'autre chose ! – Au contraire, il y a la plus importante des justices qui soit sur cette terre. Imagine que ta vie soit portée devant un tribunal. Pas n'importe quel tribunal, pas un tribunal avec des lois faites par les hommes, mais un tribunal où Dieu siège en juge. Le diable t'accuse d'être un menteur, un tricheur, d'avoir eu recours à la violence, d'avoir eu de mauvaises pensées, de pas avoir respecté ton corps, de l'avoir adoré lui plutôt que Dieu… – Je n'ai jamais adoré le diable ! – Vraiment ? Toutes les fois où tu as préféré l'argent, le pouvoir et l'adulation des autres, où tu as voué un véritable culte à ta télé, à ta voiture, à ton travail. Toutes ces fois tu idolâtrais le diable. Et celui-ci ne se fait pas prier : il te réclame auprès de lui, car c'est là qu'est ton cœur. – En quoi est-ce de la justice ? Avec des arguments pareils, je suis sûr de finir en enfer, c'est ça que tu veux dire ? – Ça c'est ce que tu mériterais, ce que nous méritons tous. Là où il y a plus qu'une justice, là où la grâce de Dieu a surabondé, c'est qu'il t'a donné un avocat : Jésus-Christ. Ce n'est pas Mahomet, ce n'est pas Bouddha, ce n'est pas toutes ces divinités, non, c'est Jésus, qui est le seul homme sans péché à avoir été crucifié, pour toi, pour que tu sois sauvé. Ton dossier peut redevenir vierge, Dieu ne pourrait plus t'accuser Le fou et le sage 20
  • 21. de rien, si tu acceptes Jésus-Christ comme Sauveur. – Pourquoi aurait-il donné sa vie pour moi ? Je n'existais même pas ! – Non mais il te connaissait déjà. Il a donné sa vie pour chacun d'entre-nous. D'abord le salut était uniquement pour le peuple juif, qui pouvait obtenir le pardon des péchés en offrant des sacrifices d'animaux, comme tu l'as vu dans ta Bible. Mais ensuite Dieu s'est fait homme et s'est offert en sacrifice une bonne fois pour toutes. C'est la plus grande preuve d'amour qui soit : le berger qui donne sa propre vie pour sauver ses brebis. Dès lors il n'est plus besoin de sacrifier des animaux pour avoir le pardon des péchés, ou une relation avec Dieu. Autrefois les juifs avaient un rideau qui séparait le lieu où était sacrifié l'agneau pascal dans le temple. Quand Jésus a expiré, le rideau s'est déchiré, du haut vers le bas, pour signifier qu'il n'y a plus de séparation entre Dieu et les hommes. Jésus-Christ est le seul et l'unique intermédiaire. Aucun homme ni quoi que ce soit ne peut te séparer de Jésus. Et c'est par lui que tu dois passer pour accéder au salut. – Je ne suis pas sûr de tout comprendre. Comment est-ce que je peux passer par Jésus ? Et c'est quoi ce fameux salut ? Le paradis ? – Pardonne mon vocabulaire auquel tu n'es pas habitué. Passer par Jésus ça veut dire t'identifier à son sacrifice, reconnaître que tu ne méritais pas ce sacrifice mais que tu l'acceptes et que tu veux changer de manière de vivre pour l'honorer. Le salut c'est l'assurance d'être sauvé, d'avoir la vie éternelle. Le paradis, si on veut, c'est un peu ça. Mais c'est beaucoup plus. La vie éternelle c'est être en communion avec Dieu, en Jésus-Christ, dès aujourd'hui et à jamais. – L'éternité… Dur à concevoir. – Je te comprends, Tim, moi aussi au début j'avais de la peine à concevoir qu'il puisse y avoir quelque chose après le mort, surtout quelque chose qui ne finirait jamais… Ça dépasse notre intelligence. Ce que Dieu nous demande ce n'est pas de tout comprendre mais de réaliser qu'il nous tend la main, et ce depuis qu'il est ressuscité. – Ah oui, il y a encore ça… – Heureusement ! Si Jésus était seulement mort, son sacrifice n'aurait rien signifié. Mais il est ressuscité, vainquant la mort définitivement, et il est monté au ciel pour siéger à la droite de Dieu, pour intercéder pour notre cause. Tim dut réfléchir longuement pour être au clair dans son esprit. – Au final, Jésus est venu et il est reparti vers Dieu. Ce qui fait que nous sommes seuls sur cette terre, si je comprends bien ? – Non, il nous a envoyé son Saint-Esprit. – Tu es en train de me perdre là… – La trinité est complexe, mais elle peut être comprise simplement. D'abord il y a Dieu, qui envoie son fils pour nous, puis son consolateur, ou défenseur, le Saint-Esprit. Le Saint-Esprit, de même que Jésus, est Dieu. Dès le début de la Bible nous nous en apercevons. Le terme hébreu qui désigne Dieu est un pluriel. L'Esprit de Dieu est mentionné dès le commencement de la Bible. Au début de l'évangile de Jean, il est écrit que Jésus était avec Dieu et qu'il était Dieu. Si tu analyses toute la Bible, tu verras que Dieu est bel et bien trinitaire. L'Ancien Testament nous annonce la venue de Christ, tandis que le Nouveau nous rapporte sa venue et son ministère, et nous promet son retour. – Parce qu'en plus il doit revenir ? – Oui, Jésus doit revenir. – Et quand ça ? – Nul ne le sait. Avant de nous lancer dans des débats eschatologiques, c'est-à-dire sur la fin des temps, revenons à Jésus- Christ, veux-tu ? Tim hocha de la tête. – Il y a tant de choses à assimiler, dit-il. Je retire ce que je t'ai dit Le fou et le sage 21
  • 22. la première fois que nous nous sommes vus : tout cela n'est pas pour les faibles d'esprits ! Je croyais qu'il fallait être naïf pour croire en Dieu, mais je m'aperçois que la foi est quelque chose de très complexe et réfléchi. – La théologie est quelque chose de complexe, parce que justement elle étudie toutes les subtilités que comporte la foi. Mais ce que tu dois retenir c'est le message de l'Evangile : Jésus a donné sa vie pour toi, et tout ce que tu as à faire c'est d'accepter ce cadeau. Te sens-tu prêt à accepter ce cadeau ? – Qu'est-ce que ça va changer concrètement dans ma vie ? – Tout. Tu seras quelqu'un de différent, ta vie auras un sens et tu sentiras la présence de Jésus qui vit en toi. Tu n'auras plus peur des choses insignifiantes qui nous entourent, car tu auras la conviction que ta vie fait partie d'un dessein beaucoup plus grand. Tim se sentait touché par les belles choses que lui promettaient Thomas. Il était encore trop tiraillé pour se décider aussi vite. – Laisse-moi y réfléchir, finit-il par dire. – Bien sûr. Je prierai pour toi et si tu veux entreprendre cette démarche de conversion seul, sens-toi libre. Tu n'as qu'à prier le Seigneur Jésus. Demande-lui pardon pour les erreurs que tu as commises dans ta vie et dis-lui que tu veux changer de comportement et que tu acceptes son sacrifice pour toi. Peut-être que tu ne réalises pas encore vraiment l'importance de ce sacrifice. Alors je te conseille de lire l'un des évangiles, que tu retrouves au début du Nouveau Testament. Celui de Jean est particulièrement intéressant. Mais tous sont pertinents. L'assimilation de tout ce qui venait d'être dit provoquait des migraines à Tim. Ce n'est pas le contenu qui le dérangeait, c'était la complexité et la profondeur du message de Thomas. Car au fond de lui il avait ressenti quelque chose de fort lorsque son ami lui avait demandé s'il voulait accepter le cadeau de Jésus. Il n'était pas encore prêt, bien que conscient qu'il devait faire un choix. Il commençait à comprendre, et c'était comme si on lui demandait de choisir la vie ou la mort, en un sens. Il prenait conscience qu'il ne pouvait plus demeurer dans l'ignorance : il devait faire son choix, qui serait conséquent, et en assumer les conséquences. Comme il se faisait tard, il prit congé de Thomas et rentra chez lui, encore perdu dans ses pensées. Sa vie avait tellement changé. Il aurait pu se contenter de ce qu'il avait, sans avoir besoin de la religion, de Jésus ou de quoi que ce soit de spirituel, pourtant il savait que non seulement il devait probablement à Dieu d'être encore en vie, et en plus que la question du sens de la vie n'épargne personne, quelle que soit sa situation. Il s'en rendait bien compte à présent : tous les excès de ce monde n'étaient en fait qu'une recherche désespérée de sens à la vie. Se pouvait-il que chacun trouve un sens personnel à la sienne ? Ou était-ce Thomas qui avait raison en affirmant qu'il n'y a que Jésus-Christ qui soit la solution ? Tim alla se coucher l'esprit peu clair, entremêlé dans ses pensées, tiraillé entre ce qu'il avait vécu ces derniers temps et une pensée athée matérialiste occidentale avec laquelle il avait toujours vécu. Il n'eut pas la force de chercher dans la Bible où se trouvait l'évangile de Jean ou un autre et s'endormit immédiatement. Sa semaine se poursuivit, et le travail en fit de même avec lui. Il se retrouva ainsi le samedi soir, épuisé, à se demander s'il allait mettre son réveil pour aller à l'église le lendemain ou faire une grâce matinée. Il se résolut finalement à y aller tout de même, un peu contrarié envers lui-même. Ses sentiments étaient mitigés : d'un côté il avait un réel désir d'expérimenter la foi chrétienne et de lâcher prise, et d'un autre il n'arrivait pas à lâcher prise par rapport à sa vision rationaliste des choses. Le simple fait de penser à Jésus éveillait en lui toute une dualité. Il avait cette image toute reçue d'un Jésus bébé dans les bras de sa mère, ou sur une croix, agonisant. Le nom de Jésus avait toujours été Le fou et le sage 22
  • 23. pour lui comme celui du Père Noël, une légende pour enfants et ringards. Mais le Jésus que lui avait décrit Thomas était un homme extraordinaire, capable d'aimer de manière incompréhensible et aussi invincible : c'est Dieu lui-même ! Entre l'image d'un père et d'un ami, et celle d'une statue et d'une fable, il y avait de quoi se perdre. Comment cela était-il arrivé ? Si Jésus était bel est bien un héros, pourquoi était-il tombé dans l'oubli ? Sûrement que l'Histoire aurait des réponses intéressantes à donner. Ce qui importait à Tim pour l'instant c'était de savoir ce qu'il allait faire de la proposition de Thomas. Allait-il accepter le cadeau de Jésus ? Y avait-il vraiment un cadeau ? Il était tellement perdu dans ses pensées qu'il n'écoutait presque pas le message du pasteur. Lorsqu'il entendit ce dernier parler de Jésus, il réalisa alors à quel point tout le culte était centré sur Jésus. Comment se faisait-il qu'il ne l'ait pas remarqué auparavant ? Ce devait sûrement être son cerveau qui se concentrait sur les événements qu'il vivait et mettait en évidence ce qui lui trottait dans la tête. Cette pensée, bien rationnelle, le rassura. Ce n'était pas Jésus qui le poursuivait, c'était de la bonne vieille psychologie. Un étrange sentiment commençait à s'emparer de lui : plus il pensait à Jésus, plus il sentait une haine monter en lui. C'était comme si son esprit ne voulait pas qu'il soit dans ses pensées. Il le dérangeait. C'en était tellement fort que Tim finit par traiter le mal par le mal, en prenant sa Bible et cherchant l'évangile de Jean. Il le trouva plus facilement qu'il ne l'avait pensé. Mais c'était quoi au juste un évangile ? Il chercha sur Wikipédia et trouva une définition intéressante. Cela voulait dire « bonne nouvelle » et traitait des enseignements de Jésus. Quelle était cette bonne nouvelle ? Pour le découvrir, il commença sa lecture. Ça racontait la vie de Jésus de Nazareth, présenté comme le fils de Dieu. Il se rendit vite compte que le Jésus décrit par Jean était bien loin de ce qu'il aurait osé s'imaginer. C'est donc avec un intérêt grandissant qu'il poursuivit la biographie de Jésus, dit le Christ, le Messie. Le fou et le sage 23
  • 24. La décision « Jésus a encore fait beaucoup d'autres choses. Si on les écrivait toutes l'une après l'autre, à mon avis, le monde entier ne pourrait pas contenir les livres que l'on écrirait ». Tim reposa sa Bible. Il venait de terminer l'évangile de Jean et il était très impressionné. Il s'était senti intimement lié avec le Jésus qu'il avait rencontré et n'était pas ressorti indemne de cette expérience. La complexité théologique du livre l'avait aussi surpris. Il s'attendait à quelque chose de plus sommaire. En fait il n'avait pas tout compris de ce qu'il avait lu, mais il avait ressenti l'amour qui émanait de l'Évangile. Il avait était fasciné par les miracles et les discours de Jésus. Il avait souffert lorsque le peuple avait réclamé inutilement sa mise à mort. Il avait été passionné lorsqu'il avait compris la raison de ce sacrifice. C'était bien pour lui, ainsi que pour l'humanité toute entière, que Jésus avait donné sa vie. La chapitre quatorze l'avait particulièrement marqué. Il aborde une grande diversité de sujets, mais celui qu'il retenait était le verset six, lorsque Jésus dit qu'il est le chemin, la vérité et la vie. Il ajoute ensuite qu'il est dans le Père et que le Père est en lui, ce qui aida Tim à concevoir un peu mieux la trinité. Lui qui cherchait la vérité, où elle résidait, quelle religion détenait la vérité, il comprit alors que personne ne détient la vérité : c'est Jésus qui est la Vérité. La phrase que lui avait dite Thomas prenait du sens : la foi ce n'est pas une religion, c'est une relation. Lorsqu'il comprit qui était vraiment Jésus, il lui sembla qu'avoir une relation avec lui était tout à fait possible. Ce n'était plus une statue ou un homme mort il y a deux mille ans, mais c'était Dieu lui-même qui vivait encore aujourd'hui et avec lequel il était possible d'entretenir une relation personnelle. Tim n’avait plus du tout de haine à l'encontre de Jésus, pourtant il était encore hésitant à accepter son sacrifice. C'était comme si une partie de lui comprenait que sa vie changerait à jamais, qu'il aurait à se montrer à la hauteur des exigences fixées pas Jésus. Il savait aussi que ce qu'on lui demandait n'était pas un fardeau. Au contraire, c'était un cadeau ! Tous les petits enfants sont impatients d'ouvrir leurs cadeaux. Tim était un petit enfant de Dieu, mais aussi un adulte qui réfléchissait trop et ne s'impatientait plus de découvrir une belle surprise. Lorsqu'il comprit cela, il fut un peu attristé, car il avait lu que le Royaume des cieux appartient à ceux qui sont comme des petits enfants. Il avait envie d'être comme un petit enfant, de pouvoir serrer Jésus dans ses bras. Quelque chose lui disait que c'était possible, que cela ne dépendait que de lui. Il n'était pas encore tout à fait décidé à faire ce pas. Il sortit se promener et finit inévitablement par se retrouver devant un verre de Rivella, assit en face de Thomas. – J'ai fini de lire l'évangile de Jean, dit-il simplement. – Vraiment ? s'étonna Thomas. Il avait l'air sincèrement surpris. – Et comment as-tu trouvé ta lecture ? Tim resta un long moment perdu dans ses pensées, faisant le tri dans ses sentiments mitigés. – Que Jésus est un sacré personnage. – C'est le moins que l'on puisse dire. Comment le décrirais-tu ? – Si j'ai bien compris, il est à la fois le fils de Dieu et Dieu lui- même, c'est bien ça ? Thomas hocha la tête. – Ça reste difficilement compréhensible pour un esprit cartésien comme le mien. Le Jésus de cet évangile est un Jésus très humain, avec des sentiments. Il est pourtant beaucoup plus : il accomplit des miracles, il a un discours révolutionnaire plein d'amour et il ne connait pas le mal, il résiste à la tentation. C'est un surhomme, donc un dieu. – Un dieu humain ? Le fou et le sage 24
  • 25. – Je crois qu'il n'y a aucun autre mot pour décrire ce personnage que son propre nom : Jésus. Thomas avait l'air impressionné et touché par les propos de Tim. – Tu as bien raison. Jésus veut dire « Dieu sauve ». En sachant que Dieu s'est présenté à Moïse en lui disant « je suis celui qui est », et donc que dans le nom de Jésus il y a aussi celui de Dieu, et en se rappelant que dans la culture hébraïque le nom sert à désigner le profil de la personne, ce nom résume en effet qui est Jésus-Christ. Le nom a une grande importance et le nom de Jésus est celui qui a été donné aux hommes pour obtenir le salut. Après avoir marqué une pause, Thomas regarda Tim droit dans les yeux : – Es-tu prêt à obtenir ce salut ? Tim baissa le regard et semblait réfléchir à la proposition de son ami. – Tu as compris ce que veux dire accepter le sacrifice de Jésus, lui dit Thomas. Tu es prêt à prendre ta décision. C'est à toi de choisir, mais tu sais que tu dois en prendre une et en assumer les conséquences. – Je sais. – Alors pourquoi hésiter ? Tu n'as qu'à accepter le plus merveilleux cadeau que l'on t'ait jamais fait ! – Je… Je ne suis pas sûr d'être à la hauteur. Il y a tant de choses que je dois régler dans ma vie… – C'est normal, nous avons tous notre ardoise. Et ce que Jésus te propose c'est de l'effacer pour toi, d'échanger la sienne contre la tienne. – C'est juste que je n'arrive pas à comprendre comment quelqu'un pourrait m'aimer au point de donner sa vie pour moi. – Dieu n'avait pas besoin de nous créer. Il nous a créé par amour. Nous lui avons désobéi. Si nous ne l'avions pas fait, nous serions encore auprès de lui, à bénéficier de son amour inconditionnel, comme un père aime ses enfants. La bonne nouvelle c'est qu'un jour nous pourrons connaître à nouveau cette relation parfaite avec Dieu. Et tu peux dès aujourd'hui accéder à ce privilège. Dieu t'aime comme tu es et, si tu le lui demandes, il pardonnera toutes les erreurs que tu as commises dans ta vie. Tim était au clair dans sa tête. Il savait qu'il y avait deux chemins qui s'offraient à lui. Son choix serait le plus important de sa vie. Et au final, quoi de plus normal que de réfléchir longuement pour prendre une décision de cette envergure. – Je dois encore y réfléchir, annonça-t-il à Thomas. – Très bien. Me permettrais-tu de prier pour toi avant que tu t'en ailles ? Tim acquiesça. Thomas posa une main sur son épaule et demanda à Dieu sa sagesse et son discernement dans ce choix existentiel. Il le remit dans la paix du Seigneur et pria encore pour que le Saint-Esprit se révèle à lui. Encore une étrangeté chrétienne, pensa Tim. Il repartit chez lui, bien qu'incapable de chasser Jésus de ses pensées. Il s'endormit agité, après avoir parcouru distraitement sa Bible. Il venait de commencer un nouveau livre, les Psaumes. C'était une sorte de recueil de poèmes, à la profondeur et à la pertinence spirituelle déconcertantes. Les mots apaisants ne suffirent pourtant pas à le bercer calmement et il se réveilla en sursaut, au milieu de la nuit, en sueur. Il alla jusqu'à la cuisine pour boire de l'eau et tenta de se calmer. Assis contre le bar de la salle à manger, il constata qu'il tremblait. L'horloge du four indiquait deux heures du matin. Un étrange sentiment s'empara de lui. Il ressentait à la fois de la crainte et du réconfort. Il se sentait seul et perdu, voué aux ténèbres et à la peur. D'un autre côté, il pouvait apercevoir comme une lueur dans cette obscurité. Il ressentait un amour immense, dénué de tout ressentiment, un amour tel qu'il en Le fou et le sage 25
  • 26. avait envie de se jeter aux pieds de la personne qui lui vouait un tel amour : Jésus-Christ. Il tomba de sa chaise et se mit à genoux, posa sa tête contre ses mains, paumes vers le ciel, et commença à pleurer. – Seigneur Jésus, pardonne-moi ! Pardonne-moi toutes les fois où je me suis moqué de toi, où j'ai mal agi, où j'ai fait de mauvais choix. Pardonne mon comportement envers les autres, mon égoïsme, ma haine, ma rancœur, mes mensonges, et les innombrables autres fautes que j'ai commises. Pardonne-moi d'avoir pensé à m'ôter la vie que tu m'as donnée. Je t'aime Seigneur, j'ai besoin de ton amour ! Merci pour ton amour et ton sacrifice à la croix, merci parce que tu m'offres une deuxième chance. Je t'accepte dans ma vie, je veux vivre conformément à tes enseignements. Permets-moi de recevoir le cadeau que tu m'as fait et de ne jamais te tourner le dos. Il continua longtemps à prier, à s'abandonner, au milieu de sa salle à manger, en pleine nuit. Il ressentit une paix incommensurable s'emparer de lui, encore plus forte que celle qu'il avait ressentie dans la salle d'attente avant son entretien d'embauche, la première fois qu'il avait prié. Il pleura et se sentit comme lavé. Il abandonnait son passé et débutait une nouvelle vie. Le fou et le sage 26
  • 27. Une nouvelle vie Lorsque Thomas reçut un coup de fil de Tim au milieu de la nuit, il craignait le pire. La première fois qu'il avait décroché, son ami était sur le point de se jeter dans le vide du haut du toit de son immeuble. Comme Tim sanglotait dans le combiné, cela n'arrangea en rien les inquiétudes de Thomas. Pourtant, ce qu'il avait à lui dire était radicalement différent de leur première conversation nocturne. Tim venait de donner sa vie à Jésus. Sur le coup, Thomas se mit à pleurer de joie lui aussi, ce qui alerta sa femme, Caroline, qui sortit du lit pour voir ce qui se passait. Thomas lui annonça avec émotion qu'il y avait un nouveau venu dans la famille céleste. – Tim ? demanda-t-elle à la fois étonnée et ravie. Thomas ne réussit pas à parler, il se contenta de lui faire un signe positif de la tête. Cette nuit était riche en émotions. Ce fut le cas également du lendemain, lorsque Tim alla chez Thomas et qu'ils s'enlacèrent longuement. Ils étaient comme des frères. Des frères en Christ, expliqua Thomas. Le dimanche suivant, Tim avait l'impression que sa nouvelle vie n'avait jamais eu autant de sens qu'en ce moment précis : il louait Dieu de tout son cœur, chantant des louanges et priant de toute son âme celui qui l'a sauvé de la mort, Jésus-Christ. Il faisait tout cela avec aisance au milieu des autres chrétiens, qui avaient le même amour que lui pour Jésus. Il eut l'occasion de donner son témoignage et ne put s'empêcher d'être à nouveau ému. Comment un pécheur tel que lui avait-il pu changer ainsi d'attitude de manière aussi radicale et aussi rapidement ? Lui-même n'en revenait pas. Il était heureux en permanence. Quoi qu'il fasse, il avait envie de le faire comme si c'était pour le Seigneur. Il savait que le plus important dans sa vie était sa relation avec Dieu, et tout le reste coulait de source. Bien sûr il n'était pas épargné par les difficultés de la vie. Son travail devenait de plus en plus difficile, mais au lieu de s'apitoyer sur son sort, il priait et adoptait une attitude exemplaire en toute circonstance. Un de ces collègues lui demanda même s'il se droguait. Il lui répondit que sa drogue était Jésus et son collègue ricana. Il comprit que ce n'était pas facile d'être chrétien en public. Il avait beaucoup à apprendre et cela commença par des visites pastorales, c'est-à-dire que le pasteur de, il pouvait le dire maintenant, son Eglise lui rendait visite, ou alors ils se voyaient à son bureau. Ils discutaient comme il l'avait fait avec Thomas, sauf que leurs conversations étaient plus portées sur la vie spirituelle, que Tim vivait désormais quotidiennement. Il comprit l'importance du Saint-Esprit dans la vie d'un chrétien : c'était Dieu aussi, qui vit en chacun de ceux qui l'ont reçu. Thomas lui avait expliqué que le Saint-Esprit était tellement important qu'il fallait que Jésus remonte au ciel afin que les hommes puissent le recevoir. Son rôle était de guider les croyants dans la vie de tous les jours, de les inspirer et de les conseiller. C'était plus qu'une présence, c'était véritablement une personne qui avait élu domicile en Tim. Il décida d'être baptisé, pour montrer à tous son engagement avec Jésus. Il fut ainsi baptisé dans le Lac Léman, par une belle journée d'automne. Ce fut un jour qu'il n'oublierait jamais. Il n'oublierait jamais non plus le jour où son patron l'avait convoqué dans son bureau. Craignant le pire, il s'était entièrement remis à Dieu pour cette épreuve et était prêt à accepter n'importe quel scénario. Et ce fut un scénario facile à accepter, car ce que son patron lui proposa, c'était un poste beaucoup plus important, qui le mettrait à l'abri du besoin, matériellement parlant. Il accepta bien sûr avec joie. Il n'oublierait pas aussi le jour où il a finalement eu le courage de demander à Julie de sortir avec lui. Et lorsqu'elle accepta, ce fut pour lui comme un cadeau supplémentaire du Seigneur, que de pouvoir apprendre à la connaître et devenir, d'abord son ami, ensuite son confident, et finalement son fiancé. Ils s'engagèrent pour la vie, dans Le fou et le sage 27
  • 28. une jolie petite Eglise de Lausanne, par un printemps florissant, et leur aventure ne s'arrêta pas là. Ils eurent trois enfants, une vie spirituelle active, elle dans la louange, et lui dans différents domaines administratifs et dans le conseil de l'Eglise. Il eut même une relation rétablie avec sa famille, avec laquelle il avait coupé les ponts. Sa vie était belle. Ce n'était pas pour autant un comte de fée. Il y avait des épreuves difficiles, comme la mort d'un proche, la maladie, le stress et parfois même de la colère. Il souffrait des fois de discrimination et subissait des épreuves dans sa foi. C'était un défi de tous les jours que de suivre le Christ. La Bible ne cachait pas la réalité : la souffrance existe. Ce sont dans ce genre de moments que la foi est mise à l'épreuve. Elle peut permettre de progresser dans la vie. Car être chrétien ne voulait pas dire ne jamais être triste ou ne plus jamais commettre d'erreurs, car il y a un temps pour tout. Être chrétien c'est la promesse d'être consolé, d'être pardonné et de connaître le but de la vie, qui est de persévérer dans la communion avec Dieu. Il y avait aussi des moments particuliers, comme lorsque Tim demanda à Thomas d'être son témoin de mariage, ou à chaque fois qu'il était inondé de l'amour de Jésus. Il vivait une vie somme toute assez normale, sauf qu'il avait l'essentiel. Cet essentiel c'est Jésus-Christ, son Sauveur et Seigneur, qui vit en lui et lui permet, quelles que soient les circonstances, de toujours surmonter les épreuves. Et en toute honnêteté, il l'a toujours couvert des cadeaux les plus incroyables. Le fou et le sage 28