Dans notre époque qualifiée de « dream society » par Rolf Jansen, le storytelling arrive à point nommé. En effet, notre quotidien est alimenté par un flot de messages variés et continus alors que notre capacité à les mémoriser est elle, limitée. Dans ces circonstances, il est de plus en plus difficile pour les organisations de captiver leurs publics. Or, le storytelling semble apporter une clé de lecture différente des vecteurs de communication. Son objectif principal consiste à susciter l’émotion en racontant une histoire. Ainsi, il parvient à séduire les différentes parties prenantes de l’entreprise en remplaçant la diffusion d’informations strictement techniques. Omniprésent dans les stratégies de communication des grandes marques, son appropriation par les entreprises du B to B semble moins évidente. Mais bien que moins familières, ces dernières n’échappent pas à cette technique.
Similar a Il était une fois l'entreprise: le storytelling, un enjeu stratégique de la communication des organisations - Mémoire M2 CELSA - Flore Bretonnière
Similar a Il était une fois l'entreprise: le storytelling, un enjeu stratégique de la communication des organisations - Mémoire M2 CELSA - Flore Bretonnière (20)
Il était une fois l'entreprise: le storytelling, un enjeu stratégique de la communication des organisations - Mémoire M2 CELSA - Flore Bretonnière
1. École
des
hautes
études
en
sciences
de
l'information
et
de
la
communication
Université
de
Paris-‐Sorbonne
(Paris
IV)
MASTER
PROFESSIONNEL
Mention
:
Information
et
Communication
Spécialité
:
Communication
des
Entreprises
et
des
Institutions
Option
:
Communication
des
Entreprises
et
des
Organisations
Internationales
«
Il
était
une
fois
l’entreprise
:
le
storytelling,
un
enjeu
stratégique
de
la
communication
des
organisations
»
préparé
sous
la
direction
du
Professeur
Véronique
RICHARD
à
la
suite
du
stage
effectué
au
sein
du
Service
Média
de
SUEZ
ENVIRONNEMENT
Nom
et
prénom
BRETONNIERE
Flore
Promotion
:
2013-‐14
Soutenu
le
:
13
Novembre
2014
Note
au
mémoire
:
16/20
École des hautes études en sciences de l'information et de la communication - Université Paris-Sorbonne
77, rue de Villiers 92200 Neuilly-sur-Seine tél. : +33 (0)1 46 43 76 76 fax : +33 (0)1 47 45 66 04 www.celsa.fr
2. Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
1
REMERCIEMENTS
Avant
tout,
je
souhaite
remercier
toutes
les
personnes
qui
ont,
de
près
ou
de
loin,
contribué
à
l’élaboration
de
ce
mémoire
professionnel.
Merci
à
Laurent
Gaudichaud
d’avoir
accepté,
avec
grand
enthousiasme,
d’être
mon
rapporteur
professionnel.
Je
remercie
par
la
même
occasion
l’ensemble
du
service
Médias
de
SUEZ
ENVIRONNEMENT
au
sein
duquel
j’ai
réalisé
mon
stage.
Je
n’oublie
pas
non
plus
les
nombreux
encouragements
et
la
curiosité
de
mes
camarades
stagiaires
pour
ce
mémoire
:
Camille,
Fanny,
Véronique,
Lara
et
Chloé.
Je
remercie
François
Allard-‐Huver,
mon
rapporteur
universitaire,
pour
son
aide
et
sa
disponibilité
lors
de
ces
dernier
mois.
Je
remercie
également
Sébastien
Durand,
consultant
en
storytelling
et
Céline
Hervé
Bazin,
spécialiste
de
la
communication
sur
l’eau,
pour
leur
accessibilité
et
leur
spontanéité
lors
de
mes
sollicitations.
Leur
expertise
et
leurs
remarques
ont
été
précieuses
dans
l’avancement
de
ce
travail.
Enfin,
ces
remerciements
ne
seraient
pas
complets
sans
mentionner
le
soutien
de
mes
proches
dans
la
conduite
de
ce
projet
de
fin
d’études.
Je
remercie
tout
spécialement
Grégoire
Sélégny
pour
sa
patience
-‐
presque
sans
faille
-‐
et
ses
conseils
si
judicieusement
prodigués.
3. Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
2
Table
des
matières
REMERCIEMENTS
...................................................................................................................
1
INTRODUCTION
......................................................................................................................
4
I.
LE
STORYTELLING,
UNE
NOTION
ÉVOLUTIVE
AU
CARREFOUR
DES
ENJEUX
CONTEMPORAINS
DE
LA
COMMUNICATION
........................................................................................................
9
A.
Le
storytelling
:
une
notion
complexe
et
protéiforme
..........................................................
9
1.
L’art
de
raconter
des
histoires
...................................................................................................................
9
2.
Un
concept
«
couteau-‐suisse
»
:
gestion,
analyse,
management.
..............................................
13
B.
Des
facteurs
facilitant
l’émergence
de
ce
nouveau
mode
de
communication
.........
14
1.
La
nécessité
d’exister
dans
l’abondance
de
contenus
...................................................................
15
2.
Une
réponse
au
scepticisme
ambiant
...................................................................................................
18
C.
Un
mode
de
communication
paradoxalement
ancien
et
approprié
à
l’homme
......
22
1.
La
narratologie
:
le
récit
élevé
au
niveau
de
science
......................................................................
22
2.
De
la
communication
à
l’influence
.........................................................................................................
23
II.
UNE
DIVERSITE
D’APPLICATIONS,
UNE
APPROPRIATION
PROGRESSIVE
DANS
LE
SECTEUR
DU
B
TO
B
..............................................................................................................................
26
A.
Un
recours
désormais
étendu
aux
entreprises
du
B
to
B
.................................................
27
1.
Des
freins
à
l’utilisation
du
storytelling
dans
le
B
to
B
.................................................................
27
2.
La
reconnaissance
de
la
dimension
émotionnelle
dans
le
B
to
B
............................................
28
B.
Contribuer
à
fédérer
les
collaborateurs
autour
d’une
histoire
commune
................
30
1.
L’Intranet
..........................................................................................................................................................
30
2.
La
presse
interne
...........................................................................................................................................
32
C.
Appuyer
le
triptyque
«
légitimité,
notoriété
et
visibilité
»
en
externe
.......................
35
1.
Les
publications
externes
:
magazines,
blogs
ou
encore
native
advertising
assurant
la
légitimité
de
l’entreprise
....................................................................................................................................
35
2.
Les
récits
de
dirigeants
et
légendes
patronales
:
des
mythologies
contemporaines
.......
38
3.
Publications
institutionnelles,
du
contenu
froid
au
support
du
storytelling
......................
40
D.
Des
supports
du
storytelling
tous
publics
:
hors
les
limites
de
l’interne
et
de
l’externe
..........................................................................................................................................................
45
1.
Les
musées
d’entreprise
............................................................................................................................
45
2.
La
vague
des
«
serious
game
»
:
vers
un
«
interactive
storytelling
»
?
.....................................
48
3.
Le
storytelling
du
développement
durable
et
des
démarches
RSE
........................................
51
III.
LE
STORYTELLING,
UNE
TECHNIQUE
DE
COMMUNICATION
IMPARABLE
MAIS
A
LA
MISE
EN
OEUVRE
DIFFICILE
..................................................................................................................
55
A.
L’instauration
d’un
«
baby
storytelling
»
chez
SUEZ
ENVIRONNEMENT
..................
55
1.
Une
démarche
originale
construite
de
l’externe
à
l’interne
.......................................................
56
2.
Un
premier
essai
positif
mais
porteur
de
questionnements
......................................................
58
4. B.
La
nécessité
d’adopter
une
stratégie
en
cohérence
avec
son
identité
et
ses
cibles
...
............................................................................................................
59
1.
Connaître
son
histoire
afin
de
la
mettre
efficacement
en
valeur
.............................................
60
2.
Impliquer
les
collaborateurs
dans
la
construction
du
storytelling
.........................................
63
3.
Adapter
son
récit
en
fonction
des
cibles
visées
...............................................................................
67
C.
Redonner
du
contenu
à
la
communication
:
réincarner
son
entreprise
grâce
au
storytelling
.....................................................................................................................................................
71
1.
Accorder
plus
de
place
aux
storytellers
..............................................................................................
71
2.
Permettre
à
la
cible
de
s’approprier
la
marque
...............................................................................
72
CONCLUSION
........................................................................................................................
74
BIBLIOGRAPHIE
....................................................................................................................
78
ANNEXES
..............................................................................................................................
82
Annexe
1
:
Les
trois
composantes
nécessaires
du
statut
de
marque
..............................................
82
Annexe
2
:
Image
du
blog
«
Bien
au
quotidien
de
Danone
»
...............................................................
82
Annexe
3
:
L’eMag,
le
magazine
externe
de
SUEZ
ENVIRONNEMENT
...........................................
83
Annexe
4:
le
blog
living
circular
de
veolia
et
sa
rubrique
galerie
des
héros
................................
84
Annexe
5
:
Interview
croisée
entre
le
PDG
et
la
directrice
de
la
communication
dans
le
RADD
2011
...............................................................................................................................................................
85
Annexe
6
:
Illustration
du
Rapport
annuel
2011
de
SUEZ
ENVIRONNEMENT
...........................
86
Annexe
7
:
Illustrations
Rapport
annuel
2013
de
SUEZ
ENVIRONNEMENT
...............................
87
Annexe
8
:
Le
17,
musée
d’entreprise
de
SUEZ
ENVIRONNEMENT
................................................
88
Annexe
9:
Mise
en
place
d’un
dispositif
en
cascade
pour
la
diffusion
des
dossiers
de
presse
storytelling
en
interne
.........................................................................................................................................
89
Annexe
10:
Prototypes
d’affiches
pour
la
diffusion
des
success
stories
storytelling
en
interne
...............................................................................................................................................................
90
Annexe
11
:
Btwin,
l’intranet
de
SUEZ
ENVIRONNEMENT
.................................................................
90
Annexe
12
:
Mr
Propre
dans
la
campagne
Real
Business
de
Xerox
.................................................
91
Annexe
13
:
Campagne
«
Ouvrir
un
grand
cru
»
d’Eau
de
Paris
.......................................................
92
Annexe
14:
Entretien
téléphonique
avec
Sébastien
Durand
..............................................................
93
Annexe
15
:
Entretien
avec
Céline
Hervé
Bazin
.......................................................................................
96
RESUME
...............................................................................................................................
99
INDEX
.............................................................................................................................
100
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
3
5. Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
4
INTRODUCTION
«
Le
récit
commence
avec
l’histoire
même
de
l’humanité
;
il
n’y
a
pas,
il
n’y
a
jamais
eu
nulle
part
aucun
peuple
sans
récit
»1
expliquait
Roland
Barthes.
Ne
pourrait-‐on
pas
dire
par
analogie,
qu’il
n
‘y
a
pas
d’entreprise
sans
récit
?
Que
l’entreprise
commence
par
le
récit
?
L’entreprise,
personnalité
morale,
se
dote
d’une
histoire
sans
cesse
renouvelée:
depuis
sa
création,
dans
la
définition
de
son
objet
social,
à
travers
les
hommes
qui
la
composent,
dans
ses
choix
et
dans
ses
crises.
Les
plus
grandes
entreprises
ont
su
faire
de
leur
passé
et
de
leurs
valeurs
des
atouts
incontestables
de
leur
communication.
Qu’il
s’agisse
de
Michelin
avec
son
célèbre
bonhomme,
ou
encore
de
Louis
Vuitton
et
son
«
invitation
au
voyage
»,
ces
entreprises
sont
parvenues
à
s’ancrer
dans
l’imaginaire
collectif.
Appartenant
à
des
univers
distincts,
elles
ont
cependant
un
point
commun
:
avoir
utilisé
les
formes
narratives
au
service
de
leur
communication.
Plus
précisément,
le
storytelling
ou
la
communication
narrative
est
devenu
un
moteur
déterminant
de
leur
stratégie.
Cet
«
art
de
raconter
les
histoires
» 2
semble
en
effet
être
devenu
incontournable
peu
importe
le
domaine
:
management,
marketing
et
jusque
dans
le
domaine
politique.
Ce
mémoire
ne
traitera
toutefois
pas
de
ces
autres
dimensions
qui
méritent
une
réflexion
à
part
entière.
C’est
donc
à
l’appropriation
du
storytelling
par
les
entreprises
et
au
sein
de
leur
communication
que
cette
étude
sera
consacrée.
Avant
de
poursuivre
ces
développements,
une
définition
s’impose.
Selon
la
proposition
de
Jeanne
Bordeau3,
créatrice
de
l'Institut
de
la
qualité
et
de
l’expression,
le
storytelling
est
«
l’art
de
raconter
des
histoires
pour
faire
passer
ou
transmettre
des
idées,
des
valeurs,
des
messages
».
Nous
pouvons,
à
notre
tour,
tenter
de
définir
le
storytelling
comme
une
méthode
de
communication
qui
permet
d’influencer
et
de
remporter
l’adhésion
de
son
auditoire
grâce
aux
mécanismes
de
la
narration.
L’émotion
suscitée,
en
inspirant,
en
faisant
rêver
ou
encore
rire,
est
un
vecteur
qui
va
contribuer
à
persuader
les
cibles
visées.
A
cet
égard,
la
particularité
du
storytelling
est
qu’il
ne
se
limite
pas
à
rendre
hommage
à
celui
qui
le
diffuse,
mais
à
cerner
et
engager
l’audience
qui
y
tient
une
place
privilégiée.
1
BARTHES
Roland,
Introduction
à
l’analyse
structurale
du
récit,
Communications,
1966.
2
BORDEAU
Jeanne,
Storytelling
et
Contenu
de
marque
:
La
puissance
du
langage
à
l’ère
du
numérique,
Edition
Ellipses,
2012.
3
Ibid
6. Elevé
au
rang
de
concept
par
les
universitaires
anglo-‐saxons,
son
émergence
en
France
est
assez
récente.
Il
est
pourtant
rapidement
devenu
l’une
des
clés
du
succès
dans
la
communication
des
entreprises
qui
doivent
être
de
plus
en
plus
innovantes
et
performantes
pour
séduire
leurs
parties-‐prenantes.
Ainsi,
en
racontant
chaque
soir
une
histoire
palpitante
au
calife,
Shéhérazade,
menacée
de
mort
dans
les
Contes
des
Mille
et
Une
Nuits,
a
préservé
sa
vie
car
elle
a
su
captiver
son
interlocuteur.
Tout
comme
cette
dernière,
les
organisations
doivent,
plus
que
jamais,
tenir
leurs
publics
en
haleine
pour
garantir
leur
pérennité.
Cet
intérêt
pour
le
storytelling
s’est
manifesté
lors
de
mon
stage
au
sein
de
SUEZ
ENVIRONNEMENT.
En
effet,
la
notion
a
été
abordée
à
travers
l’évocation
de
dossiers
de
presse
«
storytelling
»
au
sein
du
service
Média.
Celui-‐ci
a
initié
et
alimenté
ce
projet
qui
fera
par
ailleurs
l’objet
d’une
sous-‐partie
dans
ce
mémoire.
Durant
les
six
derniers
mois,
j’ai
évolué
dans
un
service
qui
ne
vivait,
pour
ainsi
dire,
que
par
et
pour
ce
projet,
ce
qui
a
indéniablement
suscité
ma
curiosité.
Le
travail
considérable
déjà
effectué
et
qui
restait
à
faire
m’a
rapidement
confrontée
à
considérer
les
enjeux
du
storytelling
dans
une
entreprise
d’envergure
comme
SUEZ
ENVIRONNEMENT,
spécialiste
dans
la
gestion
de
l’eau
et
des
déchets,
puis
dans
les
entreprises
en
général.
Plusieurs
questionnements
se
sont
d’emblée
présentés.
Le
premier
était
celui
des
contours
et
du
champ
d’application
de
cette
notion,
à
savoir
ce
qu’elle
englobe,
et
à
partir
de
quand
considère
t-‐on
qu’il
s’agit
de
storytelling.
Un
constat
récurrent
était
que
ce
concept
n’était
pas
clairement
défini
que
ce
soit
personnellement,
ou
par
les
gens
qui
m’entouraient
;
ce
qui
peut
conduire
à
un
malentendu
sur
son
utilisation
ou
sur
l’appropriation
de
cette
dénomination.
Le
deuxième
était
de
comprendre
pour
quelles
raisons
une
entreprise
appartenant
au
secteur
B
to
B
(
Business
to
Business),
qui
n’est
pas
en
relation
directe
avec
les
consommateurs
ou
usagers,
avait
recours
au
storytelling
et
comment
elle
devait
s’y
prendre.
De
toute
évidence,
SUEZ
ENVIRONNEMENT
poursuit
des
activités
qui
restent
méconnues
du
grand
public
notamment
en
raison
de
leur
technicité.
Le
storytelling
est
donc
un
moyen
de
croître
en
notoriété
auprès
des
journalistes,
des
spécialistes
mais
également
des
consommateurs
finaux.
De
plus,
cette
entreprise
est,
malgré
elle,
très
fréquemment
associée
au
groupe
GDF
SUEZ.
Or
depuis
la
fin
du
pacte
d’actionnaires
en
Juillet
2013,
SUEZ
ENVIRONNEMENT
n’est
plus
une
filiale
de
GDF
SUEZ
bien
que
ce
dernier
soit
resté
son
actionnaire
principal.
Autant
de
raisons
qui
laissent
supposer
que
le
storytelling
porté
par
SUEZ
ENVIRONNEMENT
s’insère
dans
une
stratégie
de
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
5
7. différenciation
en
tant
qu’entreprise
environnementale
à
part
entière
plutôt
que
d’être
affiliée
à
une
entreprise
liée
aux
métiers
de
l’énergie.
Après
plusieurs
hésitations,
ma
recherche
s’est
orientée
vers
la
démonstration
du
poids
de
ce
concept
et
de
cette
méthode
dans
la
stratégie
de
communication
des
entreprises.
Il
faut
rappeler
que,
de
nos
jours,
les
individus
n’ont
jamais
été
autant
sollicités
par
l’abondance
d’informations.
Sous
l’impulsion
des
nouvelles
technologies
de
l’information
et
de
la
communication
(NTIC),
la
multiplicité
des
écrits
a
presque
rendu
illisible
la
portée
des
messages
diffusés.
Ainsi
comme
le
souligne
Jeanne
Bordeau,
«
la
profusion
des
messages
dilue
la
clarté
du
sens
»4.
Ce
postulat
s’applique
aux
organisations
qui,
plus
encore
qu’hier,
doivent
apprendre
à
se
différencier
et
à
surprendre
pour
gagner
en
visibilité.
Or,
bien
communiquer
demande
de
savoir
«
maîtriser
les
écrits
pour
gagner
en
différentiation
et
en
compétitivité
»5.
Dans
cette
mesure,
l’usage
du
storytelling
peut
se
révéler
un
avantage
compétitif
pertinent
et
croissant
dans
les
entreprises
de
services.
En
effet,
en
raison
de
leurs
relations
interentreprises,
elles
sont
par
nature
beaucoup
moins
visibles
que
les
entreprises
B
to
C
(Business
to
Consumer).
Or
en
France,
il
y
a
plus
d’un
million
de
salariés
dans
le
B
to
B
et
120
000
entreprises
qui
représentent
50%
du
commerce
français
en
valeur6.
Elles
ont
donc
tout
intérêt
à
intégrer
une
«
dimension
émotionnelle
»7
à
leur
marque
qui
contribuera
au
rayonnement
de
l’entreprise.
Comme
mentionné
dans
le
Livre
Blanc
sur
la
marque
B2B
&
le
Digital,
on
observe
«
une
prise
de
conscience
progressive
des
leaders
que
la
marque
B2B
est
un
atout
pour
continuer
à
exister
sur
un
marché
mondialisé
»8 .
Cela
signifie
qu’une
entreprise
de
services,
pour
être
plus
compétitive,
doit
développer
un
statut
de
marque
B
to
B.
En
s’aidant
du
storytelling,
elles
pourront
par
corrélation
développer
une
meilleure
notoriété,
implantation
ainsi
qu’un
univers
de
marque
et
une
influence
renforcés.
Dans
le
cadre
de
SUEZ
ENVIRONNEMENT,
l’un
des
enjeux
principaux
est
de
fédérer
son
ensemble
de
filiales
pour
constituer
un
groupe
en
tant
que
tel.
L’intérêt
initialement
prévu
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
6
4
BORDEAU
Jeanne,
«
La
véritable
histoire
du
storytelling
»,
L’expansion
Management
Review,
2008/2
N°129,
p
93-‐99
5
Ibid
6
Source
MyBtoB
-‐
http://www.mybtob.fr
7
KAPFERER
Jean-‐Noël,
Ré-‐inventer
les
marques,
2013
8
Livre
Blanc
Marque
B2B
&
le
Digital,
Agence
le
Fil,
2014
8. de
cette
étude
était
donc
de
mesurer
l’impact
de
la
diffusion
de
procédés
utilisant
les
storytelling,
pour
véhiculer
des
messages
à
fort
impact
pour
l’entreprise.
Il
fallait
déterminer
quelle
était
la
plus-‐value
de
l’instauration
de
ce
storytelling
naissant
et
de
quelle
manière
on
pouvait
évaluer
ses
effets.
Ces
questionnements
m’ont
amené
à
la
problématique
suivante
:
Dans
quelle
mesure
le
storytelling
est-‐il
devenu
un
mode
de
communication
déterminant
de
la
stratégie
et
de
l’identité
des
entreprises,
notamment
celles
du
secteur
B
to
B?
SUEZ
ENVIRONNEMENT
et
son
projet
de
storytelling
ont
bien
entendu
apporté
des
pistes
de
réflexion
et
ont
servi
de
base
à
la
formulation
d’hypothèses.
La
première
suppose
qu’en
facilitant
l’assimilation
de
l’information,
le
storytelling
permet
de
fédérer
une
organisation
et
par
conséquent
de
transformer
ses
collaborateurs
en
ambassadeurs.
Si
l’on
applique
cette
hypothèse
au
cadre
de
SUEZ
ENVIRONNEMENT,
il
s’agit
d’un
enjeu
de
taille.
En
effet,
les
différentes
filiales
du
groupe
racontent
déjà
leur
propre
histoire,
à
leur
manière
et
indépendamment.
Notre
hypothèse
se
concentre
sur
le
bénéfice
d’instaurer
une
communauté
unifiée
via
le
storytelling,
de
lisser
le
discours
en
interne
sur
la
marque
et
son
univers
ainsi
que
de
valoriser
les
collaborateurs.
La
deuxième
hypothèse
se
construit
autour
de
l’influence
du
storytelling
sur
les
relais
d’information
et
à
terme,
les
différentes
parties
prenantes
de
l’entreprise
en
apportant
visibilité
et
notoriété.
En
engageant
des
actions
pédagogiques
auprès
du
grand
public
et
des
institutions,
en
misant
sur
le
langage,
il
met
en
avant
l’entreprise
et
ses
savoir-‐faire,
vis
à
vis
de
la
concurrence.
Il
contribue
à
entretenir
des
liens
positifs
et
durables
avec
ses
cibles
(presse,
professionnels,
autres
parties
prenantes)
grâce
aux
ressorts
émotionnels,
à
les
imprégner
du
discours
de
la
marque
et
de
son
univers.
Enfin,
la
troisième
hypothèse
s’attèle
à
démontrer
que
le
storytelling
concourt
à
une
meilleure
gestion
des
crises
et
des
atteintes
à
la
réputation
en
véhiculant
une
image
positive
de
l’entreprise.
En
effet,
il
peut,
notamment
à
travers
les
enjeux
de
Responsabilité
Sociétale
et
Environnementale
du
groupe
(RSE),
appuyer
la
construction
d’un
argumentaire
lors
des
phases
de
crise
et
d’exposition
du
groupe
décuplées
par
les
évolutions
du
web
2
.0.
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
7
9. A
la
suite
d’un
travail
de
recherche
et
d’analyse
documentaire,
ces
raisonnements
ont
été
étayés
par
des
entretiens
accordés
par
deux
professionnels
:
Sébastien
Durand,
consultant
en
storytelling
et
auteur
du
livre
«
Storytelling,
Réenchantez
votre
communication
».
Céline
Hervé
Bazin,
docteure
en
sciences
de
l’information
et
de
la
communication
spécialisée
dans
l’eau
a
également
appuyé
cette
réflexion.
L’analyse
de
divers
supports
communicationnels,
notamment
ceux
du
groupe
SUEZ
ENVIRONNEMENT
ont
participé
à
ce
cheminement.
Outre
quelques
difficultés
logistiques,
c’est
surtout
celle
à
définir
et
préciser
le
sujet
de
mémoire
qui
a
été
la
plus
importante.
En
effet,
l’ampleur
de
la
notion
de
storytelling
fait
qu’il
était
difficile
d’appréhender
tout
son
potentiel
et
de
le
limiter
précisément.
Dans
une
première
partie,
on
s’attachera
à
définir
le
storytelling
et
ses
différentes
facettes,
ainsi
que
les
phénomènes
qui
en
font
un
outil
de
communication
indispensable
de
nos
jours.
Dans
un
deuxième
temps,
nous
nous
efforcerons
de
déterminer
et
d’analyser
les
vecteurs
du
storytelling
au
sein
des
entreprises
B
to
B
et
B
to
C,
leur
efficacité
comme
leurs
limites.
Dans
la
dernière
étape,
nous
proposerons
des
recommandations
pour
mettre
en
place
un
storytelling
plus
efficient
au
sein
des
organisations.
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
8
10. I. LE
STORYTELLING,
UNE
NOTION
EVOLUTIVE
AU
CARREFOUR
DES
ENJEUX
CONTEMPORAINS
DE
LA
COMMUNICATION
Cette
première
partie
a
pour
ambition
d’éclairer
le
concept
de
storytelling
ainsi
que
son
usage
dans
notre
société,
notamment
en
tant
que
technique
de
communication
privilégiée
des
entreprises.
En
effet,
cette
méthode
semble
être
un
moyen
utile
et
efficace
pour
créer
de
la
cohérence
et
fonder
une
identité
singulière
d’entreprise
au
service
de
sa
communication.
Cette
partie
s’attachera
également
à
déterminer
quels
sont
les
facteurs
actuels
qui
favorisent
le
développement
du
storytelling.
Dans
un
premier
temps,
il
convient
de
définir
cette
notion
et
ses
utilisations
(A)
puis
d’identifier
les
facteurs
qui
ont
contribué
à
l’avènement
du
storytelling
(B).
L
‘engouement
suscité
par
cette
notion
protéiforme
tient
principalement
aux
évolutions
de
la
société.
Dans
un
contexte
de
crise
et
sous
l’influence
de
la
société
de
l’information,
apparaissent
des
phénomènes
tels
que
l’
«
infobésité
»,
ou
encore
l’immédiateté,
qui
sont
autant
d’ingrédients
favorisant
son
succès.
Enfin,
ce
qu’on
a
pu
qualifier
de
concept
tendance
a
en
réalité
déjà
fait
ses
preuves
puisqu’il
est
paradoxalement
ancien
et
inhérent
à
l’homme
(C).
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
9
A. Le
storytelling
:
une
notion
complexe
et
protéiforme
Littéralement,
le
storytelling
traduit
de
l’anglais
signifie
«
raconter
des
histoires
».
Ce
qui,
au
sens
figuré,
pourrait
être
considéré
comme
péjoratif,
est
pourtant
efficace.
Raconter
des
histoires
à
l’ensemble
des
parties-‐prenantes
est
peu
à
peu
devenu
l’un
des
outils
de
communication
à
la
mode
dans
les
entreprises.
Cependant,
comme
tout
nouveau
concept,
les
sens
qui
lui
sont
prêtés
ne
manquent
pas
et
le
lecteur
peut
facilement
se
perdre
dans
cette
nébuleuse
de
définitions.
Il
convient
donc,
pour
une
meilleure
appréhension
du
sujet,
de
mettre
en
avant
les
différentes
caractéristiques
du
storytelling.
1. L’art
de
raconter
des
histoires
a) Définitions
Pour
Sébastien
Durand,
expert
en
storytelling,
il
se
définit
comme
une
«
technique
de
communication
qui
fait
appel
au
pouvoir
émotionnel
du
récit.
Plutôt
que
de
parler
de
11. produits
ou
de
services,
cette
technique
sert
à
capter
l’attention
en
créant
des
connexions
émotionnelles
entre
une
marque
émetteur,
et
le
récepteur,
son
client»9.
Cela
signifie
émettre
une
idée
sous
la
forme
particulière
d’une
histoire
qui
pourra
susciter
plus
qu’un
simple
message
et
faire
rêver.
En
revanche,
il
ne
doit
pas
s’agir
d’une
totale
fiction,
il
se
base
sur
des
faits
réels
solidement
ancrés
dans
l’entreprise.
Comme
le
précise
Jeanne
Bordeau
«
le
storytelling
n’invente
rien,
il
s’inspire
d’expériences
réelles,
qui
tissent
une
trame.
Le
vrai
storytelling,
c'est-‐à-‐dire
la
mise
en
récit,
part
d’un
zest
mêlé
de
légende
et
de
vérité
;
il
transfigure
mais
ne
défigure
pas
»10.
Ces
histoires,
qualifiées
de
«
success
stories
»
et
racontées
à
travers
les
médias
sont
le
point
de
départ
de
l’avènement
du
storytelling.
Tel
que
théorisé
par
l’expert
en
communication
des
organisations,
Steve
Denning11,
le
storytelling
consiste
à
faire
émerger,
au
sein
même
des
organisations,
une
ou
plusieurs
histoires
à
fort
pouvoir
de
séduction
et
de
conviction.
Et
ce
phénomène
s’est
développé
dès
les
années
1980
dans
les
entreprises
commerciales
qui
ont
pris
l’initiative
de
produire
des
marques
plutôt
que
de
simples
biens
de
consommation.
Dix
années
plus
tard,
les
théoriciens
de
la
communication
ont
scandé
la
nécessité
de
produire
des
histoires
et
non
plus
des
marques.
Dans
son
ouvrage,
Seth
Godin12
affirme
que
«
c’est
l’histoire,
et
non
le
produit
ou
le
service
que
vous
vendez,
qui
satisfait
le
consommateur
».
Ce
concept
consiste
donc
à
utiliser
une
histoire
plutôt
qu’à
mettre
classiquement
en
avant
des
arguments
de
marque
ou
du
produit.
La
technique
du
storytelling
permet
de
capter
l’attention
et
de
créer
une
connexion
émotionnelle
avec
la
marque.
Désormais,
pour
pouvoir
vendre,
il
faut
qu’il
y
ait
un
récit.
Comme
le
confirme
Nicole
d’Almeida,
Professeur
des
Universités,
«
L’activité
économique
ne
peut
plus
se
faire
sans
se
dire,
sans
s’expliquer
et
sans
se
conter
».13
9
Expert
en
storytelling
et
auteur
du
livre
«
Storytelling,
Réenchantez
votre
communication
»,
DURAND
Sébastien,
entretien
téléphonique
à
Paris,
le
28
Juillet
2014.
10
BORDEAU,
Jeanne,
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
10
Storytelling
et
Contenu
de
marque
:
La
puissance
du
langage
à
l’ère
du
numérique,
Edition
Ellipses,
2012.
11
DENNING,
Steve,
The
Leader’s
Guide
to
Storytelling,
San
Francisco,
2008
CA:
Jossey
Bass;
DENNING
Steve,
The
Secret
Language
of
Leadership,
San
Francisco,
2007,
CA:
Jossey
Bass
12
GODIN,
Seth,
Storytelling
et
marketing,
Edition
Maxima,
2011
13
D’ALMEIDA,
Nicole,
«
Des
comptes
aux
contes
»,
Media
et
Information,
2008,
n°29.
12. Si
l’on
se
penche
sur
les
propos
de
cette
dernière,
la
communication
narrative
permet
par
ailleurs
de
forger
des
«
légendes
organisationnelles
»14.
Ces
dernières
se
divisent
en
deux
catégories15:
les
récits
de
la
maisonnée
mettant
«
bien
souvent
en
scène
un
passé
rêvé
et
toujours
glorieux
»
et
les
récits
de
l’engagement
qui
«
réorientent
la
légitimité
de
l’action
».
Les
premiers
s’inspirent
des
valeurs
internes
issues
de
l’histoire
de
l’organisation
qui
tend
vers
l’exemplarité
et
la
pédagogie.
Ils
s’adressent
donc
à
un
public
essentiellement
interne
qu’il
convient
de
fédérer
autour
d’un
socle
commun.
Les
récits
de
l’engagement,
eux,
sont
tournés
vers
la
mise
en
scène
de
valeurs
universelles
au
service
des
évolutions
de
l’organisation.
Il
s’agit
de
s’adapter
aux
attentes
spécifiques
et
d’interagir
en
permanence
dans
un
«
environnement
mouvant
et
incertain
» 16 .
Ces
récits
sont
par
ailleurs
indispensables
puisqu’ils
permettent
à
l’entreprise
de
s’inscrire
dans
le
monde
et
dans
une
chronologie.
Plus
particulièrement
dans
les
périodes
de
crises
ou
de
changement,
comme
dans
une
grève,
ils
permettent
de
donner
du
sens
aux
actions
de
l’entreprise
et
à
lui
conférer
une
certaine
légitimité.
Reste
que
ces
définitions
quasi
«
canoniques
»
ne
nous
permettent
pas
de
visualiser
comment
s’applique
concrètement
cette
technique,
il
nous
apparaît
donc
essentiel
de
définir
sa
méthodologie.
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
11
b) La
méthode
Le
storytelling
se
construit
autour
du
schéma
narratif
traditionnel
décrit
par
Aristote
en
trois
temps
avec
un
début,
un
milieu
et
une
fin.
Cette
histoire
archétype
a
été
revisitée
par
l’écrivain
Allemand
Gustav
Freytag
qui
a
divisé
l’histoire
en
5
parties
cette
fois,
comme
dans
le
schéma
ci-‐
dessous:
une
situation
initiale,
un
élément
perturbateur,
une
péripétie
au
sommet
de
l’action,
des
éléments
de
résolutions
puis
une
solution
finale.
De
cette
manière,
le
storytelling
va
porter
à
notre
connaissance
un
héros
mais
surtout
une
mission,
un
combat
auquel
il
va
trouver
des
solutions
après
quelques
péripéties.
14
Ibid
15
D’ALMEIDA
Nicole,
Les
promesses
de
la
communication,
Paris,
PUF,
2006,
partie
2.
16
Ibid
13. Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
12
Figure
1
Pyramide
de
Freytag
Ce
héros
reste
dans
la
majorité
des
cas,
l’entreprise.
Elle
passera
dans
son
histoire
par
diverses
épreuves,
qu’elle
traversera
avec
succès.
Selon
Jean-‐François
Messier17,
bloggeur
en
communication,
cette
méthode
utilise
généralement
le
«
nous
»,
plus
modeste
que
le
«
je
»
et
inclut
le
consommateur,
autre
personnage
important
qui
fait
aussi
vivre
l’entreprise.
En
effet,
si
les
entreprises
ont
pendant
longtemps
incarné
ce
héros
presque
exclusivement,
elles
ne
peuvent
plus
aujourd’hui
se
contenter
d’un
discours
autocentré.
Avec
l’avènement
des
réseaux
sociaux
et
du
marketing
participatif,
il
leur
appartient
de
redistribuer
les
rôles.
Un
bon
exemple,
qui
utilise
par
ailleurs
l’intermédiaire
d’un
membre
de
l’entreprise
comme
explicité
par
Jean-‐François
Messier18,
est
la
publicité
Carglass.
Le
vendeur
se
présente
dans
un
premier
temps,
puis
partage
une
expérience
vécue
avec
un
client
auquel
le
public
peut
s’identifier.
Il
est
aimable
et
enjoué,
l’entreprise
cherche
à
véhiculer
une
image
positive
par
le
biais
d’un
collaborateur.
On
peut
également
citer
ce
que
Nicole
d’Almeida
qualifie
de
«
légende
organisationnelle
»
avec
le
pôle
des
produits
laitiers
frais
de
Danone.
L’entreprise
raconte
que
tout
a
commencé
en
1919
avec
le
fondateur
de
la
marque,
Isaac
Carasso.
Ce
dernier
se
serait
inspiré
des
travaux
de
l’Institut
Pasteur
et
du
prix
Nobel
Elie
Metchnikoff,
pour
créer
les
premiers
yaourts
Danone.
L’entreprise
explique
:
«
Alors
que
la
science
a,
de
tout
temps,
cherché
à
apporter
une
réponse
à
la
maladie,
Elie
Metchnikoff
a
tenté,
pour
sa
part,
de
comprendre
les
facteurs
qui
pouvaient
contribuer
à
la
santé».
Danone
prône
ainsi
la
philosophie
suivante
:
elle
est
une
entreprise
impliquée
dans
le
domaine
de
la
santé
et
recherche
en
permanence
des
solutions
pour
optimiser
la
qualité
nutritionnelle
de
ces
produits.
17MESSIER,
Jean-‐François,
«
présentation
de
vente
et
storytelling
:
quand
doit-‐on
oser
la
confrontation
?
»,
billet
de
blog,
novembre
2012.
18
Ibid
14. Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
13
2. Un
concept
«
couteau-‐suisse
»
:
gestion,
analyse,
management.
Le
storytelling
pourrait
être
qualifié
de
concept
«
couteau-‐suisse
»
en
ce
sens
que
la
variété
de
ses
applications
est
étonnante.
Appliqué
à
l’entreprise,
Il
revêt
de
multiples
dimensions
et
principalement
trois
applications
distinctes
d’après
le
chercheur
Eddie
Soulier19
:
• des
données
observables
:
les
récits
et
histoires
racontés
dans
les
organisations
;
• une
méthode
d’analyse
de
la
vie
organisationnelle
;
• une
démarche
de
gestion
en
lien
avec
la
question
de
l’innovation,
de
la
gestion
des
connaissances
et
de
l’apprentissage
organisationnel.
Cette
typologie
semble
recouper
les
analyses
déjà
opérées
par
divers
spécialistes.
Ainsi,
les
«
données
observables
»
qualifiées
par
Soulier
peuvent
être
assimilées
aux
«
récits
de
la
maisonnée
»
définis
par
Nicole
d’Almeida.
Pour
Eddie
Soulier,
ces
données
sont
des
preuves
que
l’organisation
ou
l’entreprise
devient
elle-‐même
un
lieu
de
production
de
récits.
C’est
précisément
ce
que
Nicole
d’Almeida
rappelle
lorsqu’elle
nomme
les
entreprises
«
foyers
de
récits
»20.
De
plus,
dans
la
littérature
organisationnelle
ou
managériale,
le
storytelling
correspond
à
une
méthode
d’analyse
de
la
vie
organisationnelle,
issue
du
monde
académique.
Les
chercheurs
de
ce
domaine
recueillent
des
histoires
pour
analyser
et
mieux
comprendre
le
fonctionnement
organisationnel
dans
ses
différentes
dimensions,
notamment
symboliques.
C’est
bien
ce
que
Soulier
qualifie
lorsqu’il
parle
de
méthode
d’analyse
de
la
vie
organisationnelle.
Enfin,
le
storytelling
assimilé
à
une
pratique
de
management21
par
Johan
Petitjean,
renvoie
à
la
démarche
plus
volontariste
de
gestion
dans
l’organisation
identifiée
par
Soulier.
Récemment
les
récits
sont
devenus
une
figure
de
proue
du
«
Knowledge
Management
»,
autrement
nommé
«
gestion
des
connaissances
»,
à
l’image
d’autres
phénomènes
complémentaires
comme
les
communautés
de
pratique 22 .
Selon
le
spécialiste
du
19
SOULIER
Eddie,
«
Le
système
de
gestion
des
connaissances
pour
soutenir
le
storytelling
dans
l'entreprise
»,
Revue
française
de
gestion,
2005/6
no
159,
p.
247-‐264.
DOI
:
10.3166/rfg.159.247-‐266
20
D’ALMEIDA
Nicole,
«
Les
organisations
entre
récits
et
médias
»,
Canadian
Journal
of
Communication,
2004,
vol.29
n°1.
21
PETITJEAN
Johann,
«
Raconte-‐moi
une
histoire.
Enjeux
et
perspectives
(critiques)
du
narrativisme
»,
Tracés.
Revue
de
Sciences
humaines,
2007.
22
Formalisé
par
Wenger
en
1998,
la
théorie
des
communautés
de
pratique
prône
une
perspective
sociale
de
l’apprentissage,
insérée
dans
les
pratiques
collectives
au
sein
des
communautés
de
pratique.
Cette
position
offre
un
cadre
original
de
lecture
des
phénomènes
d’apprentissage
collectif
et
permet
d’envisager
celui-‐ci
sous
un
angle
différent.
15. management
Wenger23,
ces
communautés
de
pratique
correspondent
à
des
groupes
de
personnes
qui
travaillent
ensemble
et
trouvent
des
solutions
adaptées
aux
problèmes
rencontrés
dans
leurs
pratiques
professionnelles.
Après
un
certain
temps,
et
au
fur
et
à
mesure
que
ces
personnes
partagent
leurs
connaissances
et
leurs
expertises,
elles
apprennent
ensemble.
Enfin,
si
l’on
se
concentre
sur
l’analyse
de
Jean-‐François
Messier24,
il
y
aurait
quatre
manières
d’utiliser
le
storytelling.
D’une
part,
il
peut
permettre
de
raconter
l’histoire
du
client.
La
technique
consiste
à
réaliser
un
témoignage
de
l’efficacité
d’un
produit
par
un
tiers.
Le
produit
ou
service
a
été
la
solution
au
problème
de
ce
tiers.
Le
héros
est
souvent
charismatique,
avec
un
physique
assez
typique
et
reconnaissable
afin
que
le
client
puisse
s’y
identifier.
L’anecdote
racontée
est,
de
même,
simple
et
réaliste;
le
héros
informe
de
son
expérience
ou
qui
pourrait
arriver
à
n’importe
qui.
Le
storytelling
peut
aussi
raconter
l’histoire
des
clients
de
l’entreprise
cliente
ce
qu’on
qualifie
de
B
to
B
ou
B
to
R
(Business
to
Retailer).
Cette
méthode
reprend
le
même
principe
que
la
précédente,
on
raconte
l’avantage
produit
par
le
biais
d’un
tiers.
L’entreprise
raconte
donc
histoire
de
son
client,
qui
est
également
une
entreprise.
En
B
to
B
et
en
B
to
R,
c’est
le
client
qui
est
la
personne
la
plus
importante
et
fait
générer
des
profits.
Enfin,
il
peut
permettre
de
raconter
l’histoire
de
l’entreprise
du
point
de
vue
corporate
ou
du
point
de
vue
de
l’un
de
ses
membres.
Ces
différentes
définitions
et
premières
illustrations
du
storytelling
permettent
d’envisager
son
vaste
spectre
d’application
au
sein
des
organisations
aux
niveaux
interne
comme
externe.
Nous
verrons
ainsi
pour
quelles
raisons
le
storytelling
reste
une
méthode
de
communication
privilégiée
alors
que
les
parties
prenantes
évoluent
dans
un
contexte
social
et
économique
peu
dynamique.
En
effet,
ces
dernières
semblent
paradoxalement
plus
réceptives
aux
messages
lorsqu’ils
sont
portés
par
la
communication
narrative.
B. Des
facteurs
facilitant
l’émergence
de
ce
nouveau
mode
de
communication
Comment
le
storytelling
s’est-‐il
immiscé
dans
la
communication
des
entreprises
et
des
organisations?
Ce
sont
principalement
des
facteurs
liés
à
la
société
de
l’information,
à
savoir
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
14
23
WENGER
E,
Communities
of
Practice:
Learning,
Meaning,
and
Identity,
Cambridge
University
Press,
1998.
24
MESSIER
Jean-‐François,
extrait
du
blog
de
Jean-‐François
Messier
sur
les
présentations
de
vente
multimédia
«
Les
4
manières
d’utiliser
le
storytelling
»
,19
novembre
2012:
http://presentations-‐de-‐vente.com/tag/storytelling
16. la
surabondance
de
contenus
et
l’immédiateté
de
l’information,
qui
ont
accompagné
le
storytelling
comme
nouveau
moteur
de
la
communication
des
entreprises
auprès
des
parties
prenantes.
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
15
1. La
nécessité
d’exister
dans
l’abondance
de
contenus
Sous
l’impact
de
la
crise
économique
et
sociale,
les
différentes
parties
prenantes
sont
devenues
de
plus
en
plus
actives
et
exigeantes
vis-‐à-‐vis
des
entreprises
et
de
leur
responsabilité
sociale.
Celles-‐ci
doivent
montrer
une
plus
grande
transparence
de
leurs
processus
de
production,
mais
aussi
de
leur
organisation
interne.
Par
ailleurs,
Internet
a
donné
aux
individus
les
moyens
de
s’exprimer
instantanément.
Aucune
entreprise
ou
personnalité
publique
ne
peut
ignorer
ce
pouvoir
de
propagation
des
messages
et
des
idées.
La
problématique
qui
se
présente
aujourd’hui
aux
entreprises
n’est
autre
que
de
comprendre
comment
captiver
les
parties
prenantes
et
influencer
leur
perception
dans
un
contexte
de
crise
prolongée
où
règnent
un
scepticisme
ambiant
et
un
relativisme
des
valeurs.
a) Société
de
l’information
et
infobésité
Avec
l’arrivée
d’Internet
et
des
nouvelles
technologies,
la
décennie
1990
s’est
confrontée
à
la
grande
promesse
de
la
«
société
de
l’information
».
Qu’il
s’agisse
d’industriels,
de
politiques
ou
d’intellectuels,
tous
se
sont
accordés
pour
annoncer
l’imminence
d’une
véritable
révolution
dans
nos
sociétés.
Le
Professeur
Philippe
Breton25
soulignait
à
ce
titre
que
l’
«
information
est
devenue
un
enjeu
crucial
dans
nos
sociétés
modernes
».
Toutefois,
l’enthousiasme
suscité
par
les
NTIC
qui,
selon
l’expression
consacrée
de
McLuhan
devait
engendrer
un
«
village
planétaire
»
s’est
progressivement
amoindri.
L’opinion
vouait
un
culte
à
la
société
de
l’information
or
cette
dernière
nécessitait
un
temps
d’adaptation
:
si
certains
progrès
ont
amélioré
notre
quotidien,
d’autres
ont
pu
le
dégrader.
C’est
notamment
le
cas
de
«
l’infobésité
»,
phénomène
à
l’issue
duquel
l’excès
d’informations
peut
entraîner
une
perte
de
contrôle
de
l’information.
Pour
exemple,
il
a
été
25BRETON
Philippe,
«
La
société
de
l’information
:
de
l’utopie
au
désenchantement
»,
Revue
européenne
des
sciences
sociales.
17. estimé
en
2006
que
Google
recensait
plus
de
25
milliards
de
pages.
Face
à
ce
tsunami
informationnel,
afin
d’être
visible
sur
la
toile,
posséder
un
site
internet
ne
suffit
plus
et
il
faut
mettre
en
place
une
stratégie
de
communication
pour
exister
et
se
distinguer
au
milieu
du
«
bruit
médiatique
»26.
Caractérisé
par
l’abondance
d’informations,
généralement
de
piètre
qualité,
il
a
entrainé
une
perte
de
confiance
du
public
pour
l’information.
En
effet,
les
internautes
sont
sollicités
en
permanence
et
prêtent
de
moins
en
moins
d’attention
aux
messages
communicationnels27.
Comme
le
constate
Wilfrid
Gerber28,
il
y
a
une
:
«
croissance
exponentielle
des
offres
de
contenus
qu’ils
proviennent
des
médias,
des
marques
ou
des
particuliers
».
Il
ajoute
que
nous
sommes
dans
l’ère
de
l’«
économie
de
l’attention
».
Les
individus
sont
dans
l’incapacité
de
tout
assimiler,
ils
doivent
prioriser
et
sélectionner
l’information
qui
leur
est
délivrée
car
«
les
contenus
se
multiplient,
mais
l’attention
humaine
n’est
pas
extensible
à
l’infini,
couplée
à
une
fragmentation
de
l’audience
:
aujourd’hui,
les
individus
papillonnent
d’un
média
à
l’autre».
Ce
constat
nous
invite
à
prendre
en
considération
le
rôle
de
l’internaute
dans
la
société
de
l’information
et
dans
quelle
mesure
la
communication
narrative
est
un
outil
adéquat
pour
exister
dans
cette
abondance
de
contenus.
b) La
place
de
l’internaute,
nouvel
acteur
de
la
réputation
des
entreprises
La
communication
des
entreprises
est
une
des
premières
victimes
de
la
société
de
l’information.
L’image
institutionnelle
étant
un
des
facteurs
déterminants
du
succès
commercial
d’une
entreprise,
elle
est
aussi
devenue
un
aspect
hautement
stratégique
pour
les
entreprises.
En
effet,
comme
le
souligne
justement
Anthony
Poncier29,
«
le
web
2.0
a
largement
étendu
le
périmètre
informationnel,
mais
aussi
les
modes
de
production
de
l’information
».
La
richesse
des
plateformes
de
communication
dans
des
formats
aussi
divers
que
la
vidéo,
les
podcasts,
etc.,
a
massivement
contribué
à
l’expression
de
chaque
individu
sur
tous
les
sujets.
L’internaute
est
alors
devenu
un
«
consom’acteur
»
selon
l’expression
du
même
auteur.
Mais
cette
simplification
de
la
publication
de
contenus
sur
internet
a
surtout
mis
en
danger
les
grandes
entreprises.
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
16
26
Ibid
27
SAUVAJOL-‐RIALLAND
Caroline,
Infobésité
:
comprendre
et
maîtriser
la
déferlante
d'informations
28
Le
Storytelling
décrypté
par
Alina
Voicu
et
Wildrid
Gerber
dans
http://www.shakerdepixels.com/interview-‐storytelling
29
PONCIER
Anthony,
«
La
gestion
de
l'image
de
l'entreprise
à
l'ère
du
web
2.0
»,
Revue
internationale
d'intelligence
économique,
2009/1
Vol
1,
p.
81-‐91.
18. C’est
pourquoi,
utiliser
les
«
caisses
de
résonance
»30
,
connaître
et
surveiller
son
périmètre
informationnel
sur
le
web
devient
indispensable
dans
le
contexte
actuel.
En
effet,
la
gestion
de
l’image
est
de
plus
en
plus
complexe
car
la
masse
d’information
ne
cesse
d’augmenter
et
de
se
répandre
de
plus
en
plus
rapidement
grâce
à
la
viralité
du
média
.
Bien
que
la
plupart
des
gens
«
googlisent
»
simplement
une
entreprise,
un
individu
ou
un
produit,
il
faut
être
attentif
aux
risques
de
non
uniformisation
des
contenus
disponibles
sur
Internet
et
à
leur
référencement.
Généralement,
la
page
Wikipédia
apparaît
en
premier,
il
vaut
donc
mieux
créer
sa
page
et
mettre
en
scène
son
histoire,
avant
que
quelqu’un
d’autre
la
crée
pour
l’entreprise.
Cette
gestion
de
l’image
est
d’autant
plus
efficace
qu’elle
peut
être
véhiculée
par
le
storytelling,
facilitant
la
mémorisation
à
travers
l’émotion.
Ces
explications
ont
mis
en
exergue
deux
tendances
:
la
surabondance
de
contenus
et
l’impossibilité
qui
en
découle
d’être
attentif
à
tous
les
messages.
De
facto,
les
contenus
sont
hiérarchisés
et
certains
laissés
à
la
marge
voir
ignorés.
Mais
cette
création
de
contenus
mettant
les
internautes
à
contribution
a
toutefois
ouvert
des
perspectives
nouvelles
pour
les
relations
publiques.
Ainsi,
contrairement
à
ce
que
Walter
Benjamin31
semblait
prévoir,
la
montée
en
puissance
de
l’information
n’a
pas
fait
reculer
le
besoin
de
récit,
il
a
peut-‐être
au
contraire
amplifié
voir
«
aiguisé
le
besoin
et
le
travail
de
récitation
inlassablement
opérée
par
des
acteurs
en
quête
d’identité
et
d’affirmation
de
soi
»32.
Des
stratégies
sont
mises
en
oeuvre
pour
engager
les
internautes
dans
la
co-‐création
de
contenu
et
dans
des
échanges
nourris,
destinés
à
susciter
la
confiance
et
ultimement
l’adhésion
des
publics
à
l’égard
des
orientations
ou
des
stratégies
d’affaires
des
organisations.
Elle
implique
toutefois
un«
lâcher
prise
»,
une
perte
de
contrôle
des
organisations
sur
leur
communication.
Parmi
les
techniques
et
stratégies
propres
aux
entreprises,
le
storytelling
trouve
donc
une
résonnance
particulière
et
peut
ainsi
être
un
moyen
de
gagner
en
visibilité.
Il
est
aussi
un
moyen
pour
véhiculer
et
contrôler
son
image
dans
une
société
à
la
recherche
d’émotions.
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
17
30
Ibid
31
BENJAMIN
Walter,
Le
narrateur,
Essais.
Paris,
1974
32D’ALMEIDA
Nicole,
«
Des
comptes
aux
contes
»,
Media
et
Information,
n°29,
2008.
19. Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
18
2. Une
réponse
au
scepticisme
ambiant
a) Relativisme
des
valeurs
dans
les
sociétés
occidentales
De
nombreux
auteurs
ont
mis
en
avant
le
relativisme
des
valeurs
dans
nos
sociétés
modernes.
Parmi
les
principaux,
on
ne
peut
omettre
le
sociologue
allemand
Max
Weber
qui
a
théorisé
la
notion
de
«
désenchantement
du
monde
» 33 .
Dans
son
livre
L'Éthique
protestante
et
l'esprit
du
capitalisme,
Max
Weber
définit
le
désenchantement
comme
le
déclin
de
la
magie
et
des
religions
en
tant
que
technique
de
salut
du
monde.
Ce
phénomène
social
dresse
le
constat
d’un
monde
dépourvu
de
sens
et
le
déclin
de
certaines
traditions.
Il
se
caractérise
par
un
relativisme
des
valeurs
et
des
croyances,
une
perte
de
confiance
dans
les
institutions
ainsi
qu’une
perte
de
repères.
Comme
le
souligne
Catherine
Colliot-‐
Thélène 34 ,
«
Le
désenchantement
du
monde,
ce
n'est
pas
seulement
la
négation
de
l'interférence
du
surnaturel
dans
l'ici-‐bas,
mais
aussi
:
la
vacance
du
sens
».
Cette
notion
va
par
la
suite
être
étayée
par
les
travaux
du
philosophe
et
historien
Français
Marcel
Gauchet35.
Il
rappelle
que
l’expression
de
désenchantement
renvoie
à
l’idée
d’un
monde
enchanté,
comme
dans
les
contes,
qui
a
petit
à
petit
disparu.
Par
ailleurs,
le
monde
postmoderne
est
«
incrédule
aux
métarécits
»
que
sont
les
fables.
Apparue
à
la
fin
du
XXe
siècle,
la
notion
de
postmodernité
s’inscrit
dans
la
perspective
de
surmonter
le
désenchantement
du
monde
auquel
les
sociétés
occidentales
font
face.
En
effet,
la
transmission
du
savoir
ne
fonctionne
plus
d’après
le
modèle
traditionnel
des
histoires.
Ce
qui
engendre
nécessairement
une
perte
des
héros
qui
avaient
pour
mission
de
nous
inculquer
des
valeurs.
On
peut
qualifier
ce
phénomène
d’effondrement
des
«
grands
récits
»
36
selon
l’expression
de
Jean-‐François
Lyotard.
Dans
ce
contexte
de
scepticisme
ambiant,
un
revirement
surgit
toutefois:
les
publics
sont
réceptifs
aux
messages
portés
sous
la
forme
de
récits
qui
répondent
adéquatement
à
leur
quête
de
sens.
33
WEBER
Max,
L’Ethique
protestante
et
l’esprit
du
capitalisme,
Librairie
Plon,
1964.
34
COLLIOT
-‐
THELENE
Catherine,
Trivium.
Revue
franco-‐allemande
de
sciences
humaines
et
sociales
-‐Fondation
Maison
des
sciences
de
l'Homme,
2009/04/15
35
GAUCHET
Marcel,
Le
Désenchantement
du
monde.
Une
histoire
politique
de
la
religion,
Gallimard,
Paris,
1985.
36
LYOTARD
Jean-‐François,
La
condition
postmoderne,
1979,
p
32
20. b) Retour
au
qualitatif
et
répondre
à
la
quête
de
sens
des
parties
prenantes
L’usage
du
récit
possède
des
caractéristiques
communicationnelles
et
cognitives
intéressantes
:
il
est
universel,
simple,
engageant.
C’est
pourquoi
la
multiplication
des
récits
économiques
peut
être
comprise
comme
une
«
réponse
unifiante,
réconciliatrice
de
la
dislocation
temporelle
qui
marque
le
capitalisme
désormais
soumis
à
la
pression
de
l'instant
»37.
En
effet,
le
récit
permet
de
synthétiser,
d’aller
au
coeur
du
sujet.
La
technique
du
storytelling
est
par
ailleurs
constructive
dans
la
mesure
où
elle
permet
de
structurer
les
échanges.
Selon
Jeanne
Bordeau,
les
entreprises
misent
de
plus
en
plus
sur
la
pédagogie
et
la
qualité
de
l’expression.
Les
contenus
soumis
par
les
entreprises
ont
pour
objectif
d’asseoir
l’identité
de
la
marque
et
de
gagner
en
visibilité.
En
parallèle
de
cette
indispensable
clarté
de
l’expression
pour
émerger
dans
la
masse
des
contenus,
l’entreprise
doit
innover
et
faire
preuve
de
créativité.
La
pyramide
des
besoins
de
Maslow
illustrée
dans
la
figure
ci-‐dessous
est
une
construction
hiérarchique
qui
classe
les
besoins
humains
en
5
grandes
catégories
:
besoins
physiologiques,
besoins
de
sécurité,
d’appartenance,
d’estime
et
besoin
de
s’accomplir.
Dans
une
société
où
les
besoins
physiologiques
et
de
sécurité
sont
dans
la
grande
majorité
des
cas
résolus,
on
pourrait
suggérer
que
ce
sont
essentiellement
les
trois
dernières
catégories
qui
prennent
à
présent
le
plus
d
‘espace.
Ainsi,
en
terme
de
communication,
un
discours
«
business
oriented
»,
qui
se
limite
à
une
information
purement
commerciale
et
d’expertise
aurait
peu
de
chance
de
fonctionner
en
ce
sens
qu’il
n’est
plus
percutant
à
lui
seul.
Si
la
satisfaction
des
besoins
primaires
doit
être
préservée
elle
doit
en
effet
être
complétée
par
des
besoins
plus
abstraits
mais
pas
moins
importants.
Appartenance,
estime
et
accomplissement
qu’on
peut
assimiler
au
besoin
social
de
quête
de
sens,
témoignent
d’une
demande
en
matière
de
storytelling.
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
19
37
D’ALMEIDA
Nicole,
«
Les
organisations
entre
récits
et
médias
»,
Canadian
Journal
of
Communication,
2004,
vol.29
n°1.
21. Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
20
Figure
2:
La
pyramide
des
besoins
de
Maslow
C’est
pourquoi,
varier
le
discours,
améliorer
le
style
et
ajuster
le
fond
ne
sont
pas
suffisants.
Pour
tempérer
la
«
froideur
»
des
contenus
corporate
et
conceptuels,
le
storytelling
apparaît
comme
une
solution.
Ce
retour
au
qualitatif
est
donc
une
stratégie
de
différenciation
à
part
entière
auprès
des
consommateurs
friands
d’histoires
et
d’inspiration
pour
vaincre
la
«
sécheresse
du
langage
technocratique
»
selon
l’expression
de
Jeanne
Bordeau38.
c) Des
facultés
de
séduction
et
d’émerveillement
Depuis
toujours,
certaines
marques
ont
su
captiver
leurs
cibles
en
misant
sur
le
storytelling.
Dans
ce
domaine,
les
grandes
marques
de
luxe
apparaissent
comme
des
précurseurs.
En
effet,
et
Sébastien
Durand
le
souligne
dans
notre
entretien39
«
Les
secteurs
du
luxe
ont
toujours
du
vendre
plus
qu’un
produit
».
On
peut
ainsi
citer
Chanel
qui
a
toujours
su
valoriser
l’histoire
de
sa
fondatrice
Coco
Chanel
ou
les
méthodes
de
production
unique
de
la
Maison
Louis
Vuitton
connue
pour
son
savoir-‐faire.
Comme
l’a
justement
analysé
Anny
Claude
Lemeunier40
:
«
Au
panthéon
des
grands
storytellers,
il
y
a
la
religion
et
juste
après,
le
luxe.
»
Dans
l’univers
du
luxe
on
peut
citer
Christian
Dior,
qui
avec
son
parfum
«
J’adore
»
a
su
capitaliser
sur
son
passé
et
a
été
l’un
des
parfums
le
plus
vendu
au
monde.
Dans
un
de
leurs
38
Ibid
39
Entretien
précité
40
CLAUDE
LEMEUNIER,
Anny,
Luxe
et
Internet
:
la
véritable
histoire
du
storytelling,
Strategies,
publié
le
17/11/2009
22. films
publicitaires,
on
suit
l’actrice
Charlize
Theron
défilant
dans
la
Galerie
des
Glaces
du
Château
de
Versailles
et
qui
croise
tour
à
tour
les
mythiques
actrices
Grace
Kelly,
Marylin
Monroe
et
Marlene
Dietrich
vêtues
de
modèles
Christian
Dior.
Guillaume
Pannaud,
président
de
TBWA/Paris
dont
l’agence
a
créé
le
spot
publicitaire
déclare41
«
on
revient
sur
les
racines
de
la
marque,
sa
francité
avec
les
grilles
du
château
de
Versailles,
les
dorures,
la
galerie
des
Glaces...
On
croise
l'univers
du
parfum
et
de
la
haute
couture,
et
ce
faisant,
on
revisite
les
valeurs
de
Dior.»
Pour
Bertille
Toledano42,
vice-‐présidente
de
BBDO
France,
«
On
assiste
à
un
véritable
mouvement
narratif,
correspondant
à
la
nécessité
qu'éprouvent
les
grandes
marques
de
luxe
de
renforcer
leur
légitimité
».
Parmi
les
autres
marques
mythiques
qui
ont
su
se
différencier
par
leur
histoire,
on
peut
citer
la
marque
Coca
Cola,
cas
d’école
en
la
matière.
Selon
Benoit
Heilbrunn,
Coca
Cola
a
«
inventé
le
storytelling
il
y
a
bien
longtemps
en
déposant
sa
recette
originale
dans
le
coffre
d’une
banque
»43.
Coca
Cola
jouit
en
effet,
à
l’instar
de
la
marque
Nutella,
du
statut
de
«
marque-‐doudou
»44
selon
l’expression
de
Sébastien
Durand.
Ce
sont
des
marques
auxquelles
les
consommateurs
sont
si
attachés
que
même
les
blind-‐tests
indiquant
une
préférence
gustative
pour
Pepsi
n’ont
aucune
répercussion
sur
les
ventes
de
coca
:
les
consommateurs
sont
attachés
au
coca
pour
tout
ce
qu’il
véhicule,
bien
au
delà
de
critères
rationnels.
De
la
même
façon,
la
boisson
énergisante
RedBull
s’est
très
tôt
saisie
du
concept.
Le
consommateur
a
été
séduit
par
cette
marque
dont
la
promesse
«
redbull
donne
des
ailes
»
est
gravée
dans
les
esprits.
Associé
aux
sensations
fortes,
au
sport
extrême
et
à
la
vitesse,
RedBull
a
su
convaincre
son
public
du
potentiel
de
sa
boisson.
La
marque
a
même
créé
son
propre
sport
;
en
parlant
de
tout
un
univers
qui
ne
correspond
en
rien
au
produit
de
base
RedBull.
En
2013,
l’expérience
de
Felix
Baumgartner
sautant
depuis
l’espace
a
été
une
expérience
clé
dans
le
storytelling
de
la
marque.
Les
spectateurs
ont
été
immergés
dans
l’histoire
fascinante
d’un
homme
dans
l’espace.
Non
seulement
l’expérience
a
été
vécue
en
direct
mais
elle
bénéficiait
également
des
échanges
des
internautes
sur
les
réseaux
sociaux
et
notamment
avec
le
#JumpLive
hashtag.
C’était
un
évènement
hors
du
commun
qui
ne
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
21
41RICHEBOIS
Veronique,
«
Les
spots
de
luxe
à
l'heure
du
«
storytelling
»,
Les
Echos,
26/03/2012
42Ibid
43
Métro
France,
interview
de
Benoit
Heilbrunn,
«
Comment
Coca-‐Cola
a
conquis
le
monde
?
».
44
DURAND
Sébastien,
Storytelling-‐
Réenchantez
votre
communication,
Editions
Dunod,
2011.
23. pouvait
que
susciter
des
émotions
fortes
et
qui
correspondait
parfaitement
aux
valeurs
et
notamment
à
la
baseline
de
la
marque
RedBull.
Cette
action
a
légitimé
leur
storytelling
et
a
permis
à
leurs
parties
prenantes
d’imprimer
tout
le
potentiel
de
la
marque.
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
22
C. Un
mode
de
communication
paradoxalement
ancien
et
approprié
à
l’homme
Discipline
consacrée
il
y
a
peu
de
temps,
le
storytelling
s’est
aujourd’hui
installé
dans
le
paysage
des
sciences
sociales
et
de
la
communication.
Comme
expliqué
précédemment,
notre
quotidien
est
fourni
de
narrations
portées
par
les
médias
les
plus
divers
;
les
livres,
la
télé,
le
cinéma,
les
jeux
vidéo
et
la
publicité
sont
autant
de
vecteurs
portant
les
histoires.
En
effet,
selon
Bruner45,
la
narration
est
le
«
mode
privilégié
de
création
de
sens
des
gens
ordinaires.
»
et
c’est
pourquoi
ses
formes
d’expression
se
retrouvent
très
fréquemment.
Mais
il
s’agit
surtout
d’un
mode
de
communication
qui
est
inhérent
à
l’homme.
1. La
narratologie
:
le
récit
élevé
au
niveau
de
science
Le
storytelling
appliqué
à
l’entreprise
prend
racine
dans
une
discipline
née
dans
les
années
1910
en
Russie,
et
développée
à
partir
des
années
1960
en
Occident
:
la
narratologie.
Celle-‐
ci
étudie
les
techniques
et
les
structures
narratives
présentes
dans
les
récits.
Ainsi,
le
storytelling
appliqué
à
l’univers
de
l’entreprise
repose
sur
le
récit,
mais
nécessite
d’avoir
des
objectifs
de
communication,
une
analyse
du
contexte
et
des
publics
auxquels
on
s’adresse,
une
stratégie,
des
outils
d’évaluation.
La
fin
des
années
1970
voit
s’opérer
un
changement
de
perspective
:
la
narratologie
contemporaine
s’intéresse
au
récepteur,
à
son
rôle
dans
l’interprétation
du
sens
du
récit.
Le
philosophe
Paul
Ricoeur
compte
parmi
les
grandes
figures
de
la
narratologie
contemporaine.
Il
met
en
avant
le
fait
que
la
narration
apparaît
comme
le
moyen
le
plus
simple
de
transmettre
l’information.
Ce
constat
s’applique
de
la
même
façon
dans
les
organisations.
Vers
la
fin
des
années
1980,
une
série
d’articles
scientifiques
dans
les
revues
de
gestion
et
de
sociologie
anglaise
mettent
à
jour
la
portée
communicationnelle
du
modèle
narratif.
C’est
ainsi
que,
redéfini
il
y
a
peu
de
temps
par
les
entreprises
américaines,
le
storytelling
est
ensuite
apparu
en
France.
45
BRUNER
Jérome,
L’éducation
entrée
dans
la
culture,
Paris,
1996.
24. D’après
le
scénariste
Robert
McKee
«
Les
histoires
sont
la
monnaie
qui
régit
les
relations
humaines»46.
Ainsi,
le
storytelling
«
à
la
mode
»
est
paradoxalement
l’un
des
plus
anciens
procédés
de
transmission
de
l’information.
On
peut
en
effet
parler
des
légendes
et
des
contes
d’enfance
nous
transmettant
des
valeurs,
un
état
d’esprit,
et
notamment
une
mémoire
collective
puissante.
En
effet,
l’histoire
est
un
moyen
extrêmement
facile
de
mémoriser
et
de
captiver
une
audience.
A
partir
de
1980,
Fisher
propose
la
narration
comme
paradigme
de
la
communication
humaine.
Ainsi
il
suggère
que
l’Homme
n’est
pas
seulement
un
«
homo
sapiens
»
mais
un
«
homo
narrans
»,
la
narration
est
inhérente
à
l’Homme.
De
plus,
il
s’agit
d’un
puissant
instrument
de
connaissance
puisqu’elle
permet
de
partager,
de
traiter
et
d’organiser
les
données
entre
les
hommes
selon
Brown
et
Duguid47.
Turner
va
encore
plus
loin
et
proposant
que
la
narration
soit
le
principe
de
base
de
l’esprit
humain,
considéré
comme
étant
«
littéraire
».
Tous
ces
auteurs
placent
donc
la
narration
comme
un
élément
central
de
la
pensée
humaine.
C’est
ce
que
Randall 48
souligne
avec
l’expression
d’«
intelligence
narrative
»
qui
signifie
que
la
capacité
à
comprendre
et
produire
des
histoires
serait
inscrite
dans
le
cerveau
humain.
Par
ailleurs,
cette
structure
inhérente
à
l’homme
semble
favoriser
une
communication
bénéficiant
d’une
influence
plus
importante.
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
23
2. De
la
communication
à
l’influence
D’après
le
spécialiste
américain
Steve
Denning,
le
monde
de
l’entreprise
est
un
espace
favorable
pour
l’approche
liée
au
storytelling.
En
effet,
«Le
Storytelling,
c’est
ce
qui
fait
la
différence
entre
un
leader
et
un
manager.
Le
leader
a
une
vision
enthousiasmante
qu’il
est
capable
de
raconter
et
de
communiquer.
Alors
que
le
manager,
lui,
ne
fait
que
gérer
le
quotidien»49.
Mais
le
storytelling
ne
s’applique
pas
qu’au
seul
management,
il
concerne
aussi
la
conduite
du
changement,
la
relation
client
et
la
vente.
Car
autant
les
marques
célèbres
46DANGEL
Stéphane,
«
Enquête
sur
le
storytelling
»,
Paperblog,
publié
le
26/04/2009
47
BROWN
John
Seely,
DUGUID
Paul,
The
Social
life
of
Information,
Harvard
Business
School
Press,
2000,
p199
48
RANDALL,
W.
L.
«
Narrative
intelligence
and
the
novelty
of
our
lives
».
Journal
of
Aging
Studies,
v.
13,
1999
49
DENNING,
Steve,
The
Leader's
Guide
to
Storytelling,
Jossey-‐Bass,
2005
25. rivalisent
de
virtuosité
pour
raconter
leur
histoire
aux
consommateurs,
autant
les
collaborateurs
et
cadres
de
ces
mêmes
entreprises
sont
parfois
démunis
pour
raconter
à
leur
tour
une
histoire.
Ainsi
le
storytelling
permet
aussi
dans
une
entreprise
d’assurer
un
lien
de
communication
entre
l’institutionnel
et
l’opérationnel
et
à
ce
titre
opérer
une
influence.
En
s’inspirant
du
récit
de
la
marque
ou
de
l’entreprise,
il
va
s’agir
de
développer
une
histoire
plus
spécifique
et
personnelle.
En
conclusion,
le
storytelling
s’affirme
comme
un
puissant
outil
de
communication
applicable
au
monde
de
l’entreprise,
et
qui
permet
à
l’émetteur
de
se
différencier
et
d’obtenir
des
résultats
concrets.
Il
permet
de
convaincre
en
élaborant
un
récit
en
lien
direct
avec
son
histoire
et
permet
d’influencer
la
multiplicité
des
parties
prenantes.
En
effet,
selon
le
spécialiste
des
marques
Georges
Lewi,
le
«
sentiment
d’insécurité
mondialisée
stimule
notre
recherche
de
vérité,
de
sens
à
la
vie
ainsi
que
notre
soif
de
magie
et
de
mystère»50 .
Or
cette
quête
de
sens
à
travers
les
récits
a
offert
de
nouvelles
perspectives
de
développement
à
la
communication.
La
maîtrise
des
outils
écrits
comme
oraux
constitue
un
enjeu
majeur
dans
la
relation
des
entreprises
et
des
marques
à
leurs
parties
prenantes.
De
plus,
cette
mise
en
récit
permet
aux
parties
prenantes
de
comprendre
le
sens
général
du
ou
des
messages,
de
mieux
les
retenir
et
de
s’en
faire
les
porte-‐parole
vis-‐
à-‐vis
de
leur
entourage.
En
effet,
d’après
Johan
Petitjean51,
le
«
récit
serait
au
coeur
même
de
la
pédagogie
».
C’est
une
communication
incarnée
qui
s’oppose
à
une
communication
purement
descriptive
et
rationnelle.
C’est
pourquoi
on
peut
concevoir
le
storytelling
comme
une
méthode
de
communication
réunissant
une
multitude
de
facettes
et
de
possibilités
qui,
conjuguées,
participent
à
une
démarche
d’influence.
«
Certaines
entreprises
ont
compris
la
nécessité
de
parler
avec
émotion
et
justesse
à
leurs
publics.
Et
s’appliquent
à
mettre
en
pratique
cette
nouvelle
relation
au
client
»52.
Ainsi,
ces
définitions
nous
permettent
d’affirmer
que
le
storytelling
reste
d’actualité,
qu’il
50
LEWI
Georges
cité
par
Nolwenn
P.
dans
«
Le
storytelling
ou
l’art
de
la
guerre
par
les
mots
»
publié
le
28
novembre
2008
sur
le
site
Internet
Verbe
:
www.verbe.fr.
51
PETIT
JEAN
Johann,
«
Raconte-‐moi
une
histoire.
Enjeux
et
perspectives
(critiques)
du
narrativisme
»,
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
24
Tracés.
Revue
de
Sciences
humaines
[En
ligne],
13
|
2007,
mis
en
ligne
le
22
janvier
2009,
consulté
le
10
octobre
2012.
URL
:
http://
traces.revues.org/321
;
DOI
:
10.4000/traces.321
52
BORDEAU
Jeanne,
Storytelling
et
Contenu
de
marque
:
La
puissance
du
langage
à
l’ère
du
numérique,
Edition
Ellipses,
2012.
26. s’agit
d’une
notion
«
bien
dans
son
époque
»53.
Sa
capacité
à
évoluer
fait
qu’il
est
utilisé
par
une
multitude
d’entreprises
dans
les
secteurs
les
plus
différents.
Il
faut
toutefois
prendre
en
considération
que
cette
technique
n’a
jamais
cessé
d’exister
puisqu’elle
est
de
facto
inhérente
à
l’Homme.
Par
ailleurs,
cette
première
partie
a
permis
de
rappeler
que
les
organisations
sont
des
lieux
de
production
de
biens
et
de
services,
mais
également
des
lieux
de
production
de
récits
à
part
entière.
Ces
récits,
outre
l’ambition
de
forger
une
«
culture
d’entreprise
»,
permettent
de
communiquer
des
messages
clés,
l’identité
et
la
stratégie
de
l’entreprise
par
le
biais
du
storytelling.
Cette
mise
en
scène
des
vérités
propres
à
l’entreprise
est
ainsi
un
moyen
de
persuasion
dans
la
«
dream
society
»54
de
Rolf
Jansen
:
un
modèle
sociétal
gravitant
autour
des
émotions
plutôt
que
de
l’information
strictement
technique.
Mais
qu’en
est-‐il
concrètement
de
sa
pratique
dans
les
entreprises
?
Les
vecteurs
communicationnels
et
le
brand
content
qui
peuvent
réciproquement
diffuser
le
storytelling
et
être
enrichis
par
cette
technique
seront
étudiés
dans
la
deuxième
partie.
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
25
53
CLODONG
Olivier,
CHETOCHINE
Georges,
Le
Storytelling
en
action,
2009,
Editions
Eyrolles.
54
JANSEN
Rolf,
«
The
Dream
Society:
How
the
Coming
Shift
from
Information
to
Imagination
Will
Transform
Your
Business
»,
2001
27. II. UNE
DIVERSITE
D’APPLICATIONS,
UNE
APPROPRIATION
PROGRESSIVE
DANS
LE
SECTEUR
DU
B
TO
B
Raconter
une
histoire
se
révèle
un
argument
vital
pour
les
organisations.
En
effet,
le
simple
discours
marketing
et
informatif
ne
suffit
plus
à
convaincre
les
cibles.
Par
conséquent,
les
contenus
directement
produits
par
une
marque
à
des
fins
publicitaires
s’imprègnent
de
plus
en
plus
de
cette
technique.
Nommés
«
brand
content
»,
il
s’agit
généralement
des
contenus
éditoriaux
(conseils,
articles
pratiques,
forums,
reportages)
proposés
sur
Internet,
supports
papier
ou
en
TV,
mais
qui
peuvent
aussi
prendre
la
forme
de
nombreux
autres
contenus
(vidéos,
jeux,
expositions,
livres,
etc.).
Selon
la
définition
récurrente
en
marketing,
cette
production
a
pour
«
ambition
d’affirmer
une
image
ou
un
positionnement,
de
démontrer
une
expertise
ou
de
créer
un
trafic
ou
une
audience
et
donc
une
exposition
publicitaire
plus
ou
moins
directe
pour
la
marque
»55
.
S’il
ne
faut
pas
confondre
cette
notion
avec
celle
de
storytelling,
il
est
indéniable
que
ces
deux
piliers
prépondérants
de
la
communication
interagissent,
et
viennent
au
soutien
l’un
de
l’autre.
En
effet,
c’est
l’opportunité
pour
le
storytelling
d’avoir
de
nouveaux
vecteurs
d’applications
et
réciproquement
d’enrichir
ces
supports
par
le
storytelling.
Par
ailleurs,
une
production
régulière
de
brand
content
va
permettre
d’entretenir
une
relation
long
terme
avec
ses
cibles.
L’usage
de
la
communication
narrative
va
permettre
d’enrichir
un
brand
content
dépourvu
d’histoire
pour
se
transformer
en
«
brand
storytelling
».
Cette
deuxième
partie
met
donc
en
exergue
la
multiplicité
des
supports
de
communication
disponibles
aux
entreprises,
qui
sont
autant
de
possibilités
d’appliquer
et
de
diffuser
le
storytelling.
Afin
d’exploiter
au
mieux
ces
derniers,
nous
cherchons
à
dresser
un
panorama
-‐
non
exhaustif
-‐
des
applications
possibles
du
storytelling
à
travers
des
exemples
recueillis
chez
SUEZ
ENVIRONNEMENT
mais
également
auprès
d’autres
entreprises.
Par
ailleurs,
il
s’agit
ici
de
mettre
en
lumière
l’usage
progressif
du
storytelling
dans
les
entreprises
B
to
B,
désormais
conscientes
de
cet
atout
pour
continuer
à
exister
dans
un
marché
mondialisé
(A).
En
effet,
le
storytelling
va
être
propice
à
l’instauration
de
«
collaborateurs
ambassadeurs
»
et
permettre
d’unifier
le
discours
de
l’entreprise
via
la
communication
interne
(B).
En
externe,
cette
diversité
d’applications
a
pour
ambition
de
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
26
55
Site
internet
:
http://www.definitions-‐marketing.com/Definition-‐Brand-‐content
28. faire
croître
l’entreprise
en
termes
de
«
visibilité,
notoriété
et
légitimité
»
(C).
Enfin
d’autres
supports
dépassent
cette
scission
interne/externe
et
peuvent
s’adresser
à
tous
les
publics
(D).
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
27
A. Un
recours
désormais
étendu
aux
entreprises
du
B
to
B
Les
marques
B
to
C
possèdent
un
marketing
très
développé
et
ont
su
saisir
les
opportunités
créatives
et
relationnelles
afin
de
donner
du
sens
à
leur
consommation.
En
effet,
ces
dernières
sont
habituées
à
une
relation
frontale
avec
le
consommateur
à
l’inverse
des
marques
B
to
B.
C’est
pourquoi,
le
storytelling
peut
se
révéler
un
véritable
atout
pour
aider
ces
entreprises
à
forger
une
identité,
à
soutenir
leur
stratégie
et
structurer
leur
organisation.
Pour
les
entreprises
de
services,
l’opportunité
du
storytelling
représente
désormais
un
enjeu
de
taille
qu’il
s’agit
pour
elles
d’exploiter.
1. Des
freins
à
l’utilisation
du
storytelling
dans
le
B
to
B
Plusieurs
freins
à
ce
développement
ou
du
moins
ce
retard
dans
les
entreprises
de
services
ont
pu
être
observés.
Premièrement,
le
marketing
et
la
communication
B
to
B
ont
été
assimilé
à
«
l’ensemble
des
relations
commerciales
entre
les
entreprises
et
professionnels
»56
ce
qui
a
délibérément
mis
en
avant
les
budgets
commerciaux
par
rapport
aux
budgets
marketing.
Comme
explicité
dans
le
Livre
Blanc
sur
la
marque
B2B
et
le
digital
«
Avec
des
moyens
bien
plus
limités
qu’en
B2C,
la
marque
B2B
n’a
donc
pas
pu
prendre
le
même
envol
».
Elle
a
même
été
qualifiée
de
«
parent
pauvre
du
marketing
»,
au
sens
où
les
entreprises
B
to
B
ont
déployé
moins
de
financements
pour
leur
communication.
La
directrice
Marketing
et
Communication
de
Siemens
building
Technologies,
Catherine
Thomas
Etienne
explique
très
bien
ce
phénomène
:
«Alors
que
la
fonction
marketing-‐
communication
est
depuis
longtemps
un
levier
indispensable
et
très
normé
dans
la
grande
consommation,
ce
n’est
pas
le
cas,
loin
de
là,
en
B2B.
La
communication
est
parfois
considérée
comme
un
centre
de
coût,
le
marketing
(hors
produits)
est
quasi
inexistant
et
la
fonction
encore
trop
peu
professionnelle.
A
l’heure
où
les
schémas
économiques
classiques
sont
remis
en
causes,
les
marques
B2B
doivent
impérativement
développer
des
outils
56
Définition
Wikipédia
:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Marketing_B2B
29. Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
28
performants
et
créatifs,
adaptés
et
mesurables».57
Par
ailleurs,
on
pourrait
également
souligner
que
le
secteur
des
services
et
des
marques
B
to
B
est
souvent
étroitement
lié
à
l’industrie.
Or,
on
peut
suggérer
que
la
culture
d’ingénieurs,
présente
dans
ce
type
de
structures,
a
pu
privilégier
la
production
ou
la
R&D
au
détriment
de
la
communication.
Outre
cette
perspective,
la
communication
B
to
B
a
surtout
pris
l’habitude
de
s’accommoder
d’un
point
de
vue
purement
technique
ou
expert.
Le
discours
s’inscrit
dans
un
dialogue
entre
professionnels
qui
pouvait
se
réduire
à
des
argumentaires
froids.
Même
si
ce
point
de
vue
tend
à
s’atténuer,
cette
image
reste
vérifiable
chez
une
grande
partie
de
ces
entreprises,
tout
comme
SUEZ
ENVIRONNEMENT
dont
l’angle
de
communication
semble
parfois
encore
trop
exclusivement
axé
sur
les
techniques
et
l’expertise
des
métiers.
Ce
retard
dans
l’appropriation
du
storytelling
peut
aussi
s’expliquer
par
la
nature
de
ces
entreprises
qui
n’ont
pas
directement
affaire
au
client
ou
usager
final
de
ces
services.
Ce
dernier
n’était
pas
auparavant
envisagé
comme
un
ayant
un
rôle
impactant
dans
les
processus
de
décisions
et
de
sélections
de
ces
entreprises.
Ce
regard
a
progressivement
changé,
et
a
enclenché
une
prise
de
conscience
de
leur
part
relative
à
la
nécessité
d’introduire
de
l’émotion
dans
leur
communication.
2. La
reconnaissance
de
la
dimension
émotionnelle
dans
le
B
to
B
C’est
Jean-‐Noël
Kapferer
qui
met
en
avant
la
«dimension
émotionnelle»
de
la
marque.
Presque
innée
pour
les
marques
B
to
C,
elle
semble
avoir
été
mise
de
côté
pendant
longtemps
dans
le
cadre
des
marques
B
to
B.
Il
introduit
l’aspect
tangible
et
l’aspect
intangible
qui
constituent
une
marque.
«Aujourd’hui,
chacun
reconnaît
que
la
marque
doit
être
une
proposition
de
valeur
remarquable
appuyée
sur
du
tangible
et
de
l’intangible.
[...]
Quand
l’intangible
fait
défaut,
ce
n’est
plus
une
marque
au
sens
strict,
mais
le
nom
d’un
produit.
La
dimension
émotionnelle
et
symbolique
permet
de
distinguer
le
produit
de
la
marque»58.
Ainsi,
l’univers
de
marque
et
l’identité
qui
contribuent
au
rayonnement
de
l’entreprise
seront
avantageusement
rehaussés
avec
le
storytellling.
En
effet,
comme
57
THOMAS
ETIENNE
Catherine,
Directrice
Marketing
et
Communication
de
Siemens
building
Technologies,
responsable
des
Rencontres
B2B
du
Club
des
Annonceurs
(dans
la
tribune
«
Injecter
de
la
créativité
dans
les
marques
B2B
»)
58
KAPFERER
Jean-‐Noel,
Réinventer
les
marques,
2013
30. explicité
dans
le
Livre
Blanc
sur
la
marque
B2B
&
le
digital,
une
entreprise
dont
la
marque
fonctionne
doit
posséder
une
offre,
une
dimension
relationnelle
ainsi
qu’une
dimension
symbolique
(voir
Annexe
1
:
Les
trois
composantes
nécessaires
du
statut
de
marque).
Cette
dimension
symbolique
peut
facilement
être
mise
en
valeur
par
le
storytelling.
Ces
éléments
nous
permettent
ainsi
d’affirmer
que
pour
gagner
en
efficacité,
l’entreprise
B
to
B
doit
elle
aussi
appréhender
les
démarches
propres
au
storytelling.
Il
peut,
dans
une
certaine
mesure,
être
le
point
de
départ
de
meilleures
relations
avec
ces
cibles.
En
effet,
derrière
chaque
professionnel
se
cache
une
facette
de
consommateur
à
la
recherche
d’histoire
et
de
sens.
De
plus,
dans
un
contexte
de
concurrence
internationale,
les
entreprises
doivent
soigner
leur
communication
et
l’emprise
émotionnelle
sur
les
cibles,
professionnelles
ou
non,
n’est
pas
à
nier.
Sébastien
Durand59,
explique
à
propos
des
entreprises
de
service
la
nécessité
de
«
prendre
en
compte
toutes
les
parties
prenantes
:
on
ne
s’adresse
pas
juste
à
notre
cible
directe
mais
à
des
gens
qui
peuvent
exercer
une
influence
sur
ceux
qui
vont
acheter
les
produits
:
c’est
le
storytelling
des
parties
prenantes
».
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
Il
cite
à
ce
29
propose
l’entreprise
de
Bâtiments
et
Travaux
Publics,
Bouygues
:
«
Si
on
prend
une
entreprise
de
BTP
comme
Bouygues,
à
la
base,
il
n’
y
a
pas
besoin
de
passer
à
la
télévision.
Mais
pour
que
le
maire
s’engage
auprès
de
Bouygues,
il
faut
que
les
administrés
l’acceptent
sans
problème
».
C’est
pourquoi
les
entreprises
de
services
doivent
également
entretenir
une
visibilité
auprès
de
ces
cibles
indirectes.
A
ce
titre,
le
storytelling
devient
un
élément
stratégique
de
leur
communication.
Jean
Noel
Kapferer
expose
qu’«En
Russie,
où
la
qualité
a
fait
défaut
pendant
cinquante
ans,
l’attrait
de
Michelin
chez
les
grands
transporteurs
camionneurs
tient
à
la
qualité
industrielle
exceptionnelle
que
la
marque
promet
enfin
à
tous,
mais
aussi
au
sentiment
de
se
hisser
enfin
dans
le
club
très
exclusifs
des
grands
transporteurs
qui
roulent
en
Michelin.
Cette
marque
va
au-‐delà
de
la
garantie
:
elle
est
un
badge»60.
Si
l’on
reprend
l’exemple
de
la
pyramide
des
besoins
de
Maslow
précité
dans
la
première
partie,
le
besoin
physiologique
ou
primaire
de
sécurité
est
assouvi
mais
d’autres
besoins,
assimilés
à
la
fierté
et
à
l’appartenance
ont
participé
à
cet
attrait
des
grands
transporteurs.
Cet
élément
non
rationnel
a
pu
être
apporté
en
partie
par
le
storytelling.
59
Entretien
précité
60
Ibid
31. Par
ailleurs,
dans
la
longue
chaîne
d’intervenants
du
processus
d’achat,
procédé
courant
dans
les
entreprises
de
service,
l’entreprise
doit
séduire
des
publics
différents,
réagissant
à
des
besoins
variés
et
non
stéréotypés.
«Le
fait
que
la
personnalité
des
membres
du
centre
d’achat
intervienne
également
dans
la
décision
finale
permet
d’imaginer
l’utilité
des
arguments
non
rationnels
en
complément
des
argumentations
fondées
sur
des
critères
cartésiens
comme
le
prix,
les
délais
de
livraison
et
les
coûts
de
mise
en
oeuvre»61.
Encore
une
fois,
le
storytelling
va
permettre
d’apporter
un
supplément
d’âme
à
cette
communication
jugée
trop
rigide,
aux
niveaux
interne
ou
externe.
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
30
B. Contribuer
à
fédérer
les
collaborateurs
autour
d’une
histoire
commune
Traditionnellement,
la
mise
en
oeuvre
d’une
action
de
communication
telle
que
le
storytelling
s’attache
d’abord
à
convaincre
les
publics
internes.
C’est
pourquoi
nous
débutons
cette
analyse
par
les
supports
interne
pouvant
véhiculer
le
storytelling.
Il
s’agit
de
démontrer
comment
ces
supports
peuvent
indéniablement
contribuer
à
propager
«
la
bonne
parole
»,
à
informer,
intégrer
et
encore
fédérer
l’ensemble
des
collaborateurs
dans
une
stratégie
de
communication.
Bien
qu’il
existe
une
multitude
d’autres
supports
spécifiques
à
l’interne,
comme
les
vidéos
d’entreprise
par
exemple,
ne
seront
uniquement
étudiés
que
l’intranet,
premier
outil
connu
des
collaborateurs,
puis
la
presse
interne,
dans
un
souci
de
priorisation.
1. L’Intranet
Techniquement,
l’intranet
est
une
cible
privilégiée
pour
diffuser
son
storytelling.
En
effet,
il
s’adresse
précisément
à
l’ensemble
des
collaborateurs.
Une
étude
relative
au
type
d’informations
publiées
sur
l’intranet
menée
en
201162
dans
le
diagramme
ci-‐dessous
révèle
qu’il
s’agit
presque
systématiquement
d’actualités
de
l’entreprise
(85%),
d’informations
sur
ses
procédures
(plus
de
80
%)
et
ses
pratiques
(80%),
ses
informations
institutionnelles
(70%),
projets
(65%)
ou
encore
métiers.
Il
s’agit
donc
d’informations
basiques
mais
primordiales
pour
le
quotidien
des
collaborateurs,
qu’ils
sont
amenés
à
consulter
fréquemment.
61
MALAVAL
Philippe,
BERANOYA
Christophe,
Marques
B
to
B
62
Observatoire
international
de
l’intranet
:
étude
menée
au
cours
du
premier
trimestre
2011
auprès
de
373
organisations
(dont
25
du
CAC
40).
Les
organisations
ciblées
sont
majoritairement
dans
le
secteur
tertiaire,
mais
des
industriels
et
des
administrations
ont
également
participé.
32. Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
31
Figure
3
Diagramme
des
informations
présentes
sur
un
intranet
Toutefois,
bien
que
consulté
jusqu’à
plusieurs
fois
par
jours
par
les
salariés,
l’intranet
manque
souvent
d’ergonomie
et
d’interactivité.
C’est
pourtant
un
outil
qui
revêt
des
opportunités
supplémentaires
de
mémorisation
des
messages
clés
et
des
valeurs
d’un
groupe
du
fait
de
sa
consultation
fréquente.
L’exemple
d’IBM
qui
fêtait
ses
90
ans
en
2004
semble
répondre
parfaitement
à
notre
première
hypothèse
relative
à
l’implication
des
salariés.
En
effet,
l’intranet
a
été
le
support
efficace
de
la
diffusion
du
storytelling
du
groupe.
Chaque
mois,
quatre
à
cinq
témoignages
de
salariés,
actuels
ou
anciens
étaient
diffusés
sur
l’intranet
d’IBM
France.
Evelyne
Gibert,
responsable
de
la
communication
interne
déclarait
à
ce
sujet
que
«
Chacun
revenait
sur
sa
vie
chez
IBM.
Une
retraitée
nantaise
nous
a
même
raconté
comment
elle
a
dû
cacher
en
vitesse
des
documents
stratégiques
pendant
la
seconde
guerre
mondiale.
Un
excellent
moyen
de
plonger
les
nouveaux
embauchés
dans
la
culture
d’entreprise»63.
Deux
rubriques
intranet
sont
par
ailleurs
exclusivement
consacrées
au
storytelling
d’IBM
:
l’une
relate
les
succès
du
groupe,
l’autre
mise
sur
le
parcours
exemplaire
d’un
salarié
au
sein
du
groupe.
Cette
illustration
montre
à
quel
point
les
salariés
peuvent
s’investir
lorsque
leur
entreprise
leur
permet
de
se
raconter
en
héro
et
de
développer
un
affect.
Les
rubriques
de
l’intranet
permettent
ainsi
de
personnaliser
ce
vecteur
de
communication
interne
tout
en
contextualisant
les
histoires
du
groupe.
Des
équipes
locales
du
groupe
sont
par
ailleurs
consacrées
à
la
collecte
des
histoires
et
des
succès
rencontrés
sur
le
terrain.
63
SALMON
Christian,
«
Storytelling,
la
machine
à
fabriquer
des
histoires
et
à
formater
les
esprits
»,
2001
33. Btwin,
l’intranet
du
groupe
SUEZ
ENVIRONNEMENT,
s’est
lui
aussi
attelé
à
la
diffusion
du
storytelling
du
groupe.
Une
rubrique
met
en
avant,
au
rythme
d’une
histoire
par
semaine,
les
différents
dossiers
de
presse
storytelling
dont
nous
parlerons
dans
la
dernière
partie.
Le
constat
est
cependant
catégorique
:
sur
un
groupe
de
80
000
collaborateurs,
il
y
a
environ
150
vues
par
semaine.
La
mise
en
avant
de
ces
histoires,
ou
du
moins
dans
ce
format
n’a
pas
suscité
l’intérêt
espéré.
Il
faut
donc
trouver
des
moyens
pour
stimuler
l’activité
et
la
navigation
sur
l’intranet
car
c’est
un
outil
qui
comme
nous
l’avons
vu,
touche
une
audience
large
et
de
façon
récurrente.
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
32
2. La
presse
interne
Interface
entre
l'extérieur
et
l'intérieur
de
l'entreprise,
entre
la
direction
et
les
salariés
d'une
entreprise,
la
presse
interne
a
une
visée
essentiellement
pédagogique.
Elle
encourage
l'apprentissage
de
métiers,
de
contextes,
de
marchés,
de
stratégies,
d'objectifs
et
de
résultats.
Le
but
du
magazine
interne
reste
toujours
le
même
:
informer
les
salariés
sur
les
actualités
du
groupe
ou
encore
du
secteur
pour
les
inclure
dans
un
projet
commun.
Pour
Lardellier64,
il
s’agit
d’un
«
Outil
de
motivation
du
personnel
l'incitant
à
participer
à
la
vie
de
l'entreprise,
il
encourage
les
contacts,
les
liens
entre
les
sites
délocalisés.
Porte-‐parole
de
la
culture
propre
à
l'entreprise,
le
journal
interne
se
montre
divertissant
tout
en
sensibilisant
le
personnel
aux
grands
problèmes
de
l'entreprise
par
l'explication
des
orientations
à
venir
»65.
Présent
dans
la
grande
majorité
des
entreprises,
il
peut
sensiblement
différer
en
raison
de
l’angle
sous
lequel
l’information
est
traitée
ou
en
raison
du
format
choisi,
contenu
digital
et
interactif
ou
version
papier.
Il
s’agit
donc
d’un
support
hautement
stratégique
qui
peut
par
bien
des
manières
diffuser
efficacement
le
storytelling
du
groupe
et
structurer
son
identité.
Mais
il
tend
surtout
à
regrouper
les
informations
susceptibles
de
susciter
l'intérêt
des
acteurs
de
l'entreprise.
A
ce
titre,
à
lignée
éditoriale
et
la
structure
narrative
du
journal,
par
exemple,
auront
un
impact
décisif
sur
«
l’esprit
d’entreprise
»66
qui
est
véhiculé.
On
pourra
vérifier
ces
hypothèses
sur
les
apports
réalisés
par
Louis
Vuitton
sur
son
journal
interne
ainsi
que
sur
la
base
du
magazine
interne
de
SUEZ
ENVIRONNEMENT.
64
LARDELLIER
Pascal,
Le
journal
d'entreprise.
Les
ficelles
du
métier,
Editions
d’organisations,
1998
65
GHERARDI
Lorrys
et
PARRINI-‐ALEMANO
Sylvie,
«
Communication
enchantée
de
l'idéologie
managériale
:
storytelling
et
journal
d'entreprise
»,
http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00854335
66
MARTI
Marc
et
PELISSIER
Nicolas,
Le
storytelling:
Succès
des
histoires,
histoire
d'un
succès,
p.156
34. Jusqu’à
récemment,
Louis
Vuitton
diffusait
de
manière
classique
une
newsletter,
ou
magazine
interne
à
l’ensemble
des
salariés
sous
un
format
papier,
qui
reste
non
disponible
à
l’externe.
L’objectif
était
le
suivant
:
promouvoir
la
marque
à
l’intérieur
même
de
la
société
en
mettant
en
avant
les
savoir-‐faire
et
succès
de
la
marque
Louis
Vuitton.
Relai
des
valeurs
clés
de
Louis
Vuitton,
à
savoir
l’excellence,
l’innovation
ou
encore
le
voyage,
La
Lettre
version
papier
au
format
traditionnel
semblait
toutefois
être
en
décalage
avec
l’accent
créatif
revendiqué
à
l’externe.
Ainsi,
il
a
été
décidé
une
déclinaison
numérique
de
La
Lettre,
enrichie
en
contenus
multimédia.
L’arrivée
de
la
tablette
numérique
a
en
effet
impacté
la
façon
dont
les
salariés
consomment
l’information.
Jérôme
Guillement,
chef
de
projet
en
charge
de
l’Innovation
Mobile
et
Publishing
au
sein
de
la
DSI
de
Louis
Vuitton
déclare
que
«
Louis
Vuitton
a
vu,
avec
l’arrivée
de
l’iPad
sur
le
marché,
une
opportunité
stratégique
pour
poursuivre
sa
politique
d’innovation
en
matière
de
publication
numérique
».
Il
ajoute
que
«
L’idée
de
transformer
cette
lettre
papier
en
une
édition
numérique
a
toujours
été
à
l’ordre
du
jour,
à
la
fois
pour
des
raisons
économiques
et
également
d’accroissement
de
la
diffusion
».67
En
choisissant
un
format
digital
et
plus
interactif,
le
magazine
interne
de
Louis
Vuitton
a
contribué
à
diffuser
auprès
des
salariés
l’image
d’une
entreprise
qui
se
soucie
de
vivre
avec
son
temps
et
d’être
à
la
pointe
en
matière
d’innovation.
L’organisation
des
rubriques
d’un
magazine
interne,
de
la
même
façon,
peut
largement
contribuer
à
«
l’édification
du
récit
»68.
Ainsi
dans
SUEZ
ENVIRONNEMENT
Magazine69,
on
peut
retrouver
dans
la
rubrique
«
initiatives
solidaires
»
un
article
faisant
état
du
partenariat
avec
les
banques
alimentaires
ou
encore
sur
«
la
Maison
pour
Rebondir
»70.
Ce
découpage
des
rubriques
avec
notamment
une
rubrique
spécifiquement
attribuée
aux
initiatives
solidaires
est
un
moyen
de
véhiculer
la
facette
développement
durable
du
groupe.
La
fréquence
de
certaines
thématiques
est
également
révélatrice
de
l’identité
que
cherche
à
se
donner
l’entreprise.
Ainsi
la
rubrique
TALENTS
est
mentionnée
à
3
reprises,
celle
INNOVATION
4
fois.
Ce
support
transmet
clairement
les
messages
suivants
:
l’innovation
est
au
coeur
des
préoccupations
du
groupe,
les
collaborateurs
sont
indispensables
au
succès
du
groupe
et
les
potentiels
ou
«
talents
»
se
distinguent
dans
toutes
les
activités.
Cette
prise
en
Flore
Bretonnière
–
CELSA-‐
Master
II
CEOI
–
Année
2013/2014
33
67
http://www.quark.com/pdfs/03621cs_louisvuitton_fr_web.p
68
Nicole
d’Almeida
dans
LARDELLIER
Pascal,
Le
journal
d'entreprise.
Les
ficelles
du
métier,
Editions
d’organisations,
1998
69
SUEZ
ENVIRONNEMENT
Magazine,
N°10,
Juin
2014
70
Structure
d’accompagnement
crée
par
SUEZ
ENVIRONNEMENT
pour
favoriser
l’insertion
professionnelle,
l’accès
à
l’emploi
et
la
création
d’activité
des
personnes
en
difficulté.