2. favorisé le soutien à domicile des personnes âgées vulné-
rables. De plus, il semble que le concept « d’intimité à dis-
tance » entre parents âgés et enfants-adultes, proposé au
cours des années 1960 par Shanas [1] et selon lequel les
personnes âgées veulent être à proximité de leurs enfants
tout en conservant leur intimité et leur vie personnelle, soit
toujours d’actualité.
En dépit de ces multiples facteurs socioculturels, la
famille demeure encore la principale source de soutien des
personnes âgées. En fait, plus d’enfants adultes fournissent
plus de soins, des soins plus difficiles et pendant de plus
longues périodes de temps, qu’ils ne le faisaient autrefois.
Parler de famille est toutefois bien souvent un euphémisme
pour parler d’une personne, majoritairement d’une femme,
qui occupe le rôle de proche aidant.
Qu’est-ce qu’un proche aidant ?
Les écrits des 25 dernières années font état d’une grande
confusion sur le plan lexical et sémantique quant au terme
proche aidant. Un néologisme a même fait émergence en
Europe pour désigner une aire de recherche, à la croisée de
nombreuses disciplines, centrée sur la relation entre la per-
sonne dépendante et ses proches : le concept de proximo-
logie [2]. En somme, il existe actuellement une multitude
de termes pour désigner l’entourage qui aide, soutient et
soigne les personnes âgées. Cette figure est nommée
souvent, indifféremment : aidant naturel, aidant informel,
aidant familial, personne soutien, accompagnant ou encore
soignant non professionnel. À l’instar de Joublin [2], le
choix du terme retenu est néanmoins loin d’être neutre ou
sans signification. Les qualificatifs « d’informels et de
naturels » expriment l’invisibilité et le caractère inné attri-
bué à l’aide offerte.
Quelque soit le terme retenu, un aidant est toutefois
encore défini de façon plutôt réductionniste comme étant
presque toujours uniquement un membre de la famille (donc
par des liens de consanguinité) qui offre du soutien, de l’aide
ou des soins, à titre non professionnel, à un parent en perte
d’autonomie physique ou cognitive. Dans le contexte actuel,
il y aurait certainement lieu d’élargir cette définition afin
d’y inclure les personnes qui n’ont pas de liens de consan-
guinité avec la personne aidée ou soignée. Compte tenu de la
réduction de la taille des familles et de l’éloignement géo-
graphique fréquent de leurs membres, de plus en plus de
personnes viennent en aide à autrui sans que des liens bio-
logiques n’entrent en jeu. Il peut s’agir d’amis, de voisins, de
collègues de travail ou de parents très éloignés.
Le proche aidant est aussi davantage définit par « ce
qu’il fait » que par ce qu’il « est », soit par les tâches qu’il
accomplit et par son rôle utilitaire dans le maintien de
l’autonomie de la personne âgée. Socialement, la définition
du proche aidant est conçue par « le faire » et par des
tâches instrumentales telles que : organisation du domicile
(sécurité, convivialité), planification et organisation des
services nécessaires au maintien à domicile, transport aux
rendez-vous, aide aux activités de la vie quotidienne et
domestique, soins, soutien affectif, mobilisation de l’entou-
rage, rôle de « représentation » lorsque le parent n’est plus
en mesure de décider (advocacy), participation aux prises
de décision, surveillance de la qualité des soins, soutien en
fin de vie… pour n’en nommer que quelques-unes [3].
Mais pourquoi définit-on l’aidant par ce qu’il fait ?
Parmi les explications potentielles à ce phénomène, il y a
bien sûr l’importance que l’on accorde présentement à la
responsabilisation des personnes face à leur propre santé et,
dans la situation qui nous intéresse où une personne est en
perte d’autonomie, à la responsabilisation de ses proches.
Des soins de plus en plus complexes sont aujourd’hui pro-
digués à domicile par des non professionnels qu’on appelle
proches aidants. Avec la crise des finances publiques,
notamment des systèmes de santé, une réelle déprofession-
nalisation des soins est en cours et, dans cette perspective,
il est pertinent de se demander si le soutien à domicile des
personnes âgées ne redevient pas, comme autrefois, une
responsabilité collective. Au Québec, par exemple, la loi
90 qui a modifié le code des professions il y a quelques
années, stipule clairement : « Malgré toute disposition
inconciliable, un parent, […] ou un aidant naturel peut
exercer des activités professionnelles réservées à un mem-
bre d’un Ordre ». Ces nouvelles réalités nous amènent à
nous interroger. Comme le disait Paquet [4], est-ce si natu-
rel de confier toutes ces tâches et responsabilités aux mem-
bres des familles ? Peut-on invoquer le « surnaturel » ? De
façon moins imagée, y a-t-il une liberté pour ces personnes
aidantes de suspendre cette relation de soin sans être
jugées ?
En somme, l’aidant est encore peu définit par ce qu’il est,
soit par l’invisible, par son apport non mesurable et sa contri-
bution au bien-être émotif de la personne soignée. Même si
actuellement les proches aidants continuent à être considérés
moins comme des proches que comme des aidants [4], le
soutien offert par les aidants aux personnes âgées vulnéra-
bles est bien plus qu’une question d’actes et davantage une
question de liens et « d’être » avec la personne aidée.
Dans notre quête de définition du concept de proche
aidant, une autre distinction sémantique mérite notre atten-
tion : celle existant entre aider et accompagner. Aider
implique une relation hiérarchique, plutôt directionnelle et
non équilibrée, alors qu’accompagner fait appel à une
démarche plus égalitaire, coopérative et partenariale. Dans
cette perspective, la réciprocité des échanges entre les pro-
ches aidants et les personnes âgées est-elle considérée à sa
juste valeur ? Les forces et le potentiel de ces deux acteurs de
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3. la relation sont-elles prises en compte ? Et que dire du sens
accordé au soin ? De ses aspects positifs et gratifiants ?
Le phénomène du prendre soin,
une réalité complexe à saisir
Prenant en compte les considérations précédentes, le phéno-
mène du « prendre soin », lié à la notion même de proche
aidant, s’avère un concept particulièrement complexe à saisir.
Au cours des vingt dernières années, certains facteurs ont été
identifiés dans les écrits empiriques comme étant des facteurs
associés à ce phénomène du « prendre soin ». Il semble ainsi
qu’un des facteurs les plus importants qui permette de prédire
l’engagement des aidants aux soins de leurs parents vieillis-
sants touche la nature du lien émotif aidant-aidé [5]. Les
aidants qui prennent soin d’une personne de laquelle ils se
sentent proches sur le plan affectif, se consacrent davantage
aux soins. Ces résultats mettent en évidence la proximité du
lien en tant que dimension essentielle du caring et laisse
entendre que les données statistiques comptabilisant unique-
ment le nombre d’heures passées aux soins ou les nombreuses
tâches effectuées par les aidants, n’expliquent qu’une infime
partie de la complexe réalité du prendre soin familial. Les
éléments permettant une compréhension approfondie de ce
phénomène ne sont pas que quantitatifs, mais engagent des
composantes interpersonnelles difficiles à saisir.
Par ailleurs, définir l’accompagnement d’un parent âgé
signifie-t-il de considérer seulement les aspects négatifs de
cet accompagnement ? Les proches aidants ne vivent-ils que
des expériences pénibles ? Les nombreuses publications sur
le sujet et des expressions telles que « fardeau », utilisées
abondamment et reflétant toute la lourdeur associée au pren-
dre soin, peuvent facilement nous mener à des perceptions
biaisées qui ne considèrent qu’une facette de cette expé-
rience. Certains bienfaits psychologiques ou identitaires à
prendre soin ont été documentés. Prendre soin d’un parent
âgé peut être valorisant et comporter des dimensions positi-
ves : la création de nouveaux liens, le développement de
compétences, l’offre d’un sens à la vie, une occasion de ren-
dre à l’autre [3].
Ces nuances nous ramènent de nouveau à la complexité
du « prendre soin ». Mais pourquoi est-ce si complexe
d’accompagner une personne âgée ? Une des raisons en est
que la logique familiale est elle-même des plus complexes.
Elle habite le lieu des croyances, des valeurs et est source de
transmission de savoirs et de compétences. Elle constitue un
système de liens non marchands, un rapport de don et de
contre-don ou de réciprocité entre la personne vulnérable et
son aidant. Ces rapports de réciprocité touchent aussi un
autre type de relation qui mérite considération, celle s’éta-
blissant entre les aidants et les intervenants qui œuvrent dans
le domaine de la gérontologie.
La réciprocité aidant-intervenant
Longtemps considérés par les intervenants professionnels
dans une perspective utilitariste, pragmatique ou purement
économique, cette vision des proches aidants a évolué au
fil du temps. Il y a maintenant lieu de s’interroger sur les
modalités d’aide aux aidants selon une approche de partena-
riat et d’empowerment. Plus précisément, dès la fin des
années 1980, certaines conceptualisations de la relation entre
les aidants et les intervenants ont été proposées [6] : les
aidants considérés en tant que ressources pour le maintien
à domicile des personnes âgées, une perspective selon
laquelle peu de soutien leur est offert ; les aidants considérés
en tant que clients des services, selon laquelle les aidants ont
droit, compte tenu de leurs nombreux besoins, à des services
pour eux-mêmes et, enfin, les aidants considérés en tant que
partenaires, une perspective plus récente. On assiste ainsi à
une réelle évolution dans la conceptualisation de la notion
d’aidant. De nouveaux modes de collaboration deviennent
nécessaires entre les aidants et les intervenants, des modes
de collaboration moins hiérarchisés, où chaque acteur est
considéré comme expert et où le partenariat est valorisé.
Cette importance grandissante accordée au partenariat
découle probablement de deux phénomènes contemporains,
celui de la professionnalisation des soins familiaux, men-
tionné précédemment, et celui de la « familialisation » des
soins professionnels [7], issu d’un nouveau paradigme
d’intervention.
Quel nouveau paradigme ?
Dans plusieurs pays émerge un réel changement de para-
digme dans la pratique professionnelle. D’une perspective uti-
litariste du rôle d’aidant (encore prévalente), à « que faire pour
l’aidant en tant que partenaire ? », les intervenants sont de
plus en plus responsabilisés pour l’accompagnement à offrir
à ce nouveau groupe cible, à risque de présenter des pro-
blèmes de santé physique et mentale, que constitue le groupe
des proches aidants des personnes âgées. Cette responsabili-
sation se situe sur tout le continuum de soins et services et
nécessite une approche d’intervention plus compréhensive,
une approche écosystémique touchant non seulement les
aidants, mais également leur famille, leur réseau social, les
services et les politiques.
Quelques mesures d’accompagnement
des proches aidants
Sur le plan microsystémique ou sur celui des interventions
individuelles de soutien, le premier élément incontournable
d’une perspective de partenariat est certainement, pour les
intervenants, de considérer l’expertise des aidants dans la
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4. détermination de leurs propres besoins et attentes. Qui
d’autres qu’eux peuvent nous pister sur les besoins et les
mesures d’accompagnement pour les combler ? Des outils
d’évaluation des besoins des personnes âgées en perte
d’autonomie sont utilisés de façon routinière par les inter-
venants professionnels. Cependant, évalue-t-on aussi bien
et aussi souvent les besoins de soutien de leurs proches
aidants ? Afin de leur offrir des ressources qui correspon-
dent à leurs attentes, cette évaluation est indispensable et
des outils cliniques permettant cette évaluation, en partena-
riat avec les aidants, ont vu le jour récemment [8].
Une fois ces besoins évalués, il y a lieu d’offrir, en accord
avec les aidants, des interventions ciblées en fonction des
différentes étapes de leur longue trajectoire. Les besoins
des aidants varient avec le temps et seules des interventions
ajustées (tailored intervention) ont des effets significatifs sur
leur santé et leur qualité de vie [9]. Des programmes psy-
choéducatifs ont ainsi été développés pour répondre aux
besoins variés lors des différents moments-clés de leur par-
cours (ex. : lors de l’annonce d’un diagnostic tel celui de la
maladie d’Alzheimer du parent âgé, au moment du soutien à
domicile, lors d’une transition vers un autre milieu de vie et
de soins, etc.) et ont fait l’objet d’études évaluatives. Ces
programmes permettent aux aidants de faire l’apprentissage
de nouvelles habiletés afin de gérer les difficultés associées à
leur rôle, de prendre soin d’eux et de maintenir leur qualité
de vie [10].
Des interventions qui touchent plus largement l’environ-
nement social des aidants sont également essentielles,
notamment celles qui concernent le développement de
réseaux de proximité. Avec les changements démographi-
ques, la qualité des liens avec notre entourage deviendra sans
doute centrale et la proximité prendra une place plus impor-
tante. Il y aura lieu de se solidariser, de renforcer nos liens de
proximité et d’élargir, en dehors des liens familiaux, notre
réseau d’aide et d’entraide. Parmi les différentes formes de
solidarité, la solidarité intergénérationnelle figure au premier
plan. Les familles à multiples générations offrent un poten-
tiel de soutien et de réciprocité sur lequel il y aura lieu de
capitaliser davantage.
La croissance accélérée de systèmes de services intégrés,
destinés non seulement aux personnes âgées en perte d’auto-
nomie, mais également à leurs proches aidants, est aussi
nécessaire. Dans ces systèmes, les structures de soins sont
interreliées et en communication les unes avec les autres et
un intervenant est responsabilisé pour les besoins de la dyade
aidant-aidé. Il s’agit d’une réponse adaptée aux attentes
des familles qui désirent, tel qu’elles nous l’ont affirmé :
« pouvoir parler à un seul professionnel qui connaît notre
histoire… plutôt que de toujours recommencer et de chercher
à qui s’adresser… » [3].
Enfin, sur un plan macrosystémique, il ne faut pas négli-
ger les politiques. La clarté des orientations politiques eu
égard aux aidants laisse encore à désirer dans plusieurs pays.
Il y aura lieu d’intégrer plus clairement les aidants, non seu-
lement dans les politiques de santé, mais également au sein
d’autres politiques, telles que celles du travail et de la fisca-
lité. Il est toutefois fort probable que tant et autant que la
valeur économique des activités des aidants ne sera pas esti-
mée plus justement, leur légitimité à revendiquer un statut
politique ou toute l’aide dont ils ont besoin, sera compromise
[2]. Il est difficile, voire presqu’impossible, d’estimer les
coûts associés au rôle d’aidant. Il suffit de considérer les
absences au travail et revenus moindres en raison d’un tra-
vail à temps partiel ou d’une carrière stagnante, les avantages
sociaux réduits, les frais occasionnés par les soins, la vie
familiale perturbée et toutes les conséquences du rôle
d’aidant sur la santé, pour réaliser l’ampleur des calculs à
effectuer. Les rares études d’impact économique fournissent
des indicateurs d’une infime partie de la contribution des
aidants. Tout au plus, elles permettent d’attirer l’opinion
publique sur le soutien qu’il importe de leur offrir. Des poli-
tiques actives, ayant pour vision le développement des
potentiels et des compétences, sont encore à développer un
peu partout. Au Québec, on peut citer l’exemple de la loi
n° 6, votée à l’automne 2010, qui a permis la création de
carrefours de soutien aux proches aidants dans toutes les
régions, soit de carrefours communautaires où des services
intégrés seront offerts spécifiquement aux aidants considérés
comme partenaires et clients, un modèle qui s’inspire de
celui du Royaume-Uni.
Ainsi, une prise de conscience graduelle de l’existence
de cet acteur-clé de nos sociétés vieillissantes, le proche
aidant, se fait sentir, un acteur qui sort lentement du silence,
de l’oubli, de l’indifférence. Des mesures pour lui venir en
aide se développent peu à peu. Il est possible d’imaginer
que ces initiatives mèneront éventuellement à une recon-
naissance officielle, plutôt qu’officieuse, de son statut.
Néanmoins, une définition plus claire et transparente de la
notion d’aidant et de ses attributs, dans le contexte d’une
quête identitaire inachevée, est d’abord et avant tout essen-
tielle. Cet article a proposé une réflexion à ce sujet, une
réflexion que le lecteur est invité à poursuivre…
Références
1. Shanas E (1979) Social myth as hypothesis: the case of the
family relations of old people. The Gerontologist 19:3–9
2. Joublin H (2005) Réinventer la solidarité de proximité. Albin
Michel, Paris
3. Ducharme F (2006) Famille et soins aux personnes âgées :
enjeux, défis et stratégies. Beauchemin, Montréal
4. Paquet M (2008) Entretien avec une aidante « surnaturelle ».
Autonome s’démène pour prendre soin d’un proche à domicile.
Presses de l’Université Laval, Québec
Cah. Année Gérontol. (2012) 4:74-78 77
5. 5. Schulz R, Williamson G (1991) A 2-year longitudinal study of depres-
sion among Alzheimer’s caregivers. Psychology and Aging 6:569–78
6. Twigg J (1988) Models of carers: How do social care agencies
conceptualise their relationship with informal carers? Journal of
Social Policy 18:53–66
7. Clément S, Lavoie JP (2005) Prendre soin d’un proche âgé.
Éditions Érès, Ramonville St-Ange
8. Ducharme F, Lévesque L, Caron C, et al (2010) Mise à l’essai
d’un outil d’évaluation des besoins de soutien des proches-
aidants d’un parent âgé à domicile. Un outil ayant un potentiel
d’application en Europe francophone. Recherche en soins infir-
miers 101:67–80
9. Zarit S, Femia E (2008) A future for family care and dementia
intervention research? Challenges and strategies. Aging and Men-
tal Health 12:5–13
10. Ducharme F (2011) A research program on nursing interventions
for family caregivers of seniors: Development and evaluation
of psychoeducational interventions. In: Svavarsdottir, E. (ed),
Family Nursing in Action. University of Iceland Press, Iceland,
pp. 217-250
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