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Là où on ne nous attend pas...
CANEBIERE
• Paroles de• Paroles de
fumeursfumeurs
• Trafics• Trafics
• Douanes
•• PressePresse
• Histoire
FUMéES 
TUES
• Règlements• Règlements
de comptesde comptes
• Santé• Santé
• Conso• Conso
• Economie• Economie
• Légalisation• Légalisation
• Reportages• Reportages
•• LivresLivres
2
L’ÉDITO
Pétard de sort !
Marseille se calcine…
Monte une envie de s’en prendre au destin.
Pétard de sort, d’en finir vraiment avec ces pétards
rebaptisés Kalach pour faire genre, ces règlements
de compte à dix balles, ces palmarès hebdo-
madaires, mensuels, annuels, compta morts vio-
lentes.
Monte une envie de se mettre en pétard, de parler
fort, de dire assez !
Monte une envie de s’étonner. Tout ça pour ça, pour
ce produit interdit en vente partout et qui lui aussi
fini par se mettre en boule, se rouler en pétard.
Monte une envie de le dire autrement, de revenir au
bon français. Alors va pour “putain de destin !”, ou
alors pourquoi pas, et sans trop y croire, s’en remet-
tre au catalan, puisque dans cette langue “sort” veut
dire enfin “bonne chance”.
Monte une envie… de parler d’autre chose.
Tiens, pourquoi pas de poésie avec Rimbaud mort
en 1891, lui aussi anonyme, dans la belle Phocée.
Qu’Arthur nous pardonne, mais aujourd’hui son
“dormeur” ne serait plus du “val” mais bel et bien
citadin et du “van”. Par contre il serait toujours…
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue.
Les pieds dans sa bagnole, il fait un somme… Les
embruns ne font pas frissonner sa narine. Il dort
dans le soleil, la main sur la poitrine. Tranquille !
Il a entre deux et vingt trous noirs au coté droit.
Olivier VERgniOT
Journaliste, chargé de cours
à L’IEJ Marseille et les “journalistes en herbe” en 2e
année Mag/IEJ
03
Histoires
Etymologie et histoire de la Canebière, com-
merce de chanvre
05
Livres
Michel Henry, François Missen, Elina Feriel... Ils
écrivent sur le cannabis
08
Presse
Presse nationale/Presse régionale : Comment
traitent-ils le sujet du cannabis à Marseille ?
09
Police/Douanes
Traque aux stupéfiants
12
Conso
Portraits de consommateurs
16
Médecine
Le cannabis thérapeutique
18
International/Economie
Un marché complexe
20
Roman Génération H
Alexandre Grondeau : analyse et interview
21
Immersion
Plongée dans les cités
22
Portrait
Entretien avec Cédric Fabre,
auteur de Marseille’s burning
L’équipe
Rédactrices en chef : Andréa Dubois et Tiffanie Bonneau
Equipe de rédaction : Thomas Acariès, Emy Assouline, Estelle Bar-
lot, Estelle Cantone, Iris Cazaubon, Loic Chalvet, Steve Claude, Loise
Delassus, Kevin Derveaux, William Goutard, Elise Lasry, Guillaume
Lopez, Manon Mathieu, Thomas Maroto, Marion Monaque, Sandra
Moutoussamy, Elisa Philippot, Florian Saintilan, Younes Tigheght,
Romain Truchet, Alexis Verdet, Simon Viens.
N
3
HISTOIRES
Can ebière - Cannabis
Canebière, véritable symbole marseillais. “Elle est née, a grandi, s’est transformée”,
comme le dit Adrien Blès, la rue la plus célèbre de Marseille n’a pas toujours été l’artère
touristique et culturelle qu’elle est aujourd’hui. 400 ans plus tôt, celle qui se jette
sur le Vieux Port était réputée pour être l'un des plus grands comptoirs de chanvre au monde.
T
out comme Rome, La Canebière ne s’est pas faite en
un jour. Aujourd’hui, longue d’un kilomètre, elle part
de l’église des Réformés pour se déverser dans le
Vieux Port. C’est au Xe
siècle que l’on retrouve les premières
traces écrites du lieu. L’endroit était tout d’abord connu sous
le nom de plan Fourmiguier, une zone marécageuse à l’em-
placement de l’actuel “Quai des Belges”. C’est en 1672 que
le nom de Canebière apparait pour la première fois dans les
archives, (juste après la destruction des remparts de la cité).
En fait c’est quelques années plus tôt, qu’un plan d’urban-
isme, relatifs à l’agrandissement de la ville, prévoit la créa-
tion d’une promenade publique, que l’on connaît
aujourd’hui sous le nom de Canebière.
Une artère connue
dans chaque hémisphère
A cette époque la future célèbre avenue, ne fait que 250
mètres de long et 11 mètres de large. Elle prend fin au
niveau du cours Belsunce. Au delà, l’avenue est alors divisée
en une multitude de petites rues. “Cours Saint Louis”, “Les
allées de Meilhan” et “rue Noailles”. Cette dernière, subsiste
jusqu’en 1861, avant d’être englobée par l’artère
phocéenne, afin de la faire communiquer avec les allées de
Meilhan (Allées Gambetta).
le cours Saint Louis a eu une très grande importance, dans
l’histoire de la Canebière. En effet, c’est à son croisement
avec le Cours Belsunce et l’avenue, que se situe le point zéro
(calcul des distances) de Marseille et le commencement de
l’artère. Jusqu’en 1927 la numérotation de l’avenue se faisait
du cours et non du quai des Belges comme aujourd’hui. Plus
tard, c’est dans un soucis d’élargissement de la rue, que les
allées de Meilhan sont devenues parties intégrantes de La
Canebière.
En effet d’importants travaux d’élargissement ont lieu à par-
tir de 1857. Le Conseil municipal adopte le projet “à 30
mètres” et décide que la nouvelle artère sera dans l’axe du
boulevard de la Madeleine, aujourd’hui boulevard de la
Libération. Pour ceci, des démolitions sont effectuées au
niveau du cours Saint Louis, la première maison est touchée
en 1860.
De nombreuses modifications ont ensuite lieu au fil des an-
nées, pour une rue toujours plus grande et imposante. Enfin,
c’est en 1927, que La Canebière prend la forme qu’on lui
connaît aujourd’hui, 30 mètres de large, plus d’un kilomètre
de long . C’est également à ce moment, que le conseil mu-
nicipal décide de supprimer le mot “rue”, à l’instar de la cap-
itale. Si depuis les évolutions n’ont été que mineures, les
Champs Elysées marseillais n’ont peut être pas fini de se
transformer, d’évoluer au rythme de la ville.
guillaume LOPEZ
4
Alors La Canebière, véritable terre mère de la culture et du com-
merce du chanvre ? Pour s’en assurer il est naturel et évident de
s’intéresser à l’origine du nom de l’artère marseillaise. Bien des
chercheurs d’étymologie se sont exercés sur ce nom. L’orthographe de
la célèbre rue marseillaise a connu quelques modifications entre le XVI-
Ième et le XIXème
siècle pour des conflits de racine latine et provençale.
Ainsi, En 1784, le nom de la rue, qui ne porte qu’un “n” est gravé aux an-
gles des rues. C’est en 1857 qu’on découvre sur les plaques de porcelaine
le toponyme “Cannebière” avec deux “n”, les édiles ayant voulu reprendre
la racine latine de “Cannabis”. Finalement, la première orthographe est
rétablie en 1927 afin de respecter l’origine provençale “Canebe” du chan-
vre. Le toponyme “Canebière” est également l’équivalent du français
“chènevière”, à savoir un champ de chènevis, nom donné à la graine de
chanvre, de la famille du cannabis.
Qu’elle prenne un ou deux “n” La Canebière rappellera toujours le lieu
où l’on entreposait le chanvre pour la fabrication des élingues et autres
cordages, fabriqués sur place par les cordiers.
Tiffanie BOnnEAU
Quand Marseille tirait sur la corde
Jusqu'au XIXème
siècle, les corderies occupaient
une place importante dans l'économie marseil-
laise. Rechercher le lien historique entre le nom
de la célèbre Canebière et le chanvre mène di-
rectement à cet artisanat.
C'est à partir du XIIIème
siècle que les archives de
la chambre de commerce révèlent une activité in-
tense des corderies. La clientèle des cordiers
marseillais va alors, du simple pêcheur à la ma-
rine royale, en passant par les navires de com-
merce. Les cordes en chanvre tressées à
Marseille avaient très bonne réputation. Et qui
dit production haut de gamme dit matière pre-
mière de qualité. Les cordiers importaient donc
d'Italie et d'Autriche le meilleur chanvre de
l'époque. Un document des archives de la cham-
bre de commerce atteste que 600 balles de chan-
vre (environ 50 tonnes), sont importées du
Piemont au cours de l'année 1543. A la fin du
XVIIème
, suite à l'agrandissement de la ville, les
cordiers s'installent sur l'espace laissé libre par
la destruction des remparts (le bas de l'actuelle
Canebière). Comment justifier ce déménage-
ment?
Difficile de recueillir un témoignage d'époque.
Certes... En revanche la proximité de l'arsenal des
galères, un gros client des corderies, peut justi-
fier le choix du nouvel emplacement. Mais Pierre
Echinard, historien et membre de l'Académie de
Marseille, souffle une autre hypothèse...
Selon lui, l'humidité du lieu serait respons-
able de la décision des cordiers. Le bas de La
Canebière (l'actuel Quai des Belges) était à
l'époque une zone marécageuse alimentée
par des ruisseaux qui descendaient de
Longchamps et formaient des flaques d'eau
stagnante le long de la rue. Or, dans le travail
du chanvre, une étape consiste à faire
macérer les tiges pour en faciliter la sépara-
tion des fibres sur toute la longueur (le rouis-
sage). Les cordiers utilisaient l'eau qui
stagnait sur La Canebière pour réaliser cette
opération. Pour Pierre Echinard, c'est donc
la proximité de l'eau qui a motivé les cordiers
à s’installer sur La Canebière.
Juste un instant, tentons d'imaginer cette
fameuse artère sans voiture ni métro, deux
fois moins large... Au loin l'arsenal des
Galères qui résonne dans le port. De part et
d'autre de la rue, des quantités as-
tronomiques de tiges de chanvre jonchent le
sol et macèrent dans l'eau stagnante. Une
odeur forte s'en dégage. Et au premier plan,
un cordier qui s'échinent à tresser les fibres...
Le lien historique entre le nom de La
Canebière et le Cannabis est sous nos yeux.
Kevin DERVEAUX
- Du chanvre “made in Marseille” ?
Il est certain qu’on importait de grosses quantités de chanvre sur La
Canebière au XVIIème
siècle, mais l’artère marseillaise avait-elle ses
propres champs de chanvre ? Nous avons posé la question à Pierre
Echinard, historien et membre de l’Académie de Marseille, et Jean
Contrucci ancien journaliste de La Provence.
“Je ne pense pas qu’il y ait eu à Marseille même une culture du chanvre
[…] En tous cas, s’il y a eu du chanvre cultivé en Provence, ce n’est cer-
tainement pas sur la Canebière”, déclare Jean Contrucci. Pierre Echi-
nard reste, lui, très évasif sur le sujet : “Je ne pense pas que ce soit allé
jusqu’à la culture de chanvre sur La Canebière, cependant rien ne le
prouve, et rien ne le réfute.” L’énigme de possibles cultures de chanvre
aux alentours La Canebière reste donc intacte, pour le moment…
T.B.
- Entre chanvre et chanvre.
Bien qu'il existe aujourd'hui une mul-
titude de variété de chanvre, naturelles
ou hybrides, on peut les classer en
deux grandes familles : le chanvre dit
“agricole”, plus riche en fibre ; et le
chanvre dit “indien” à haute teneur en
tétrahydrocannabinol (THC). Depuis le
XXème
siècle lorsque l'on parle de
cannabis, on fait souvent référence au
chanvre indien, utilisé pour ses pro-
priétés psychotropes. Mais depuis l'an-
tiquité, la fibre du chanvre agricole est
exploitée dans deux nombreux do-
maines comme la fabrication du papier,
de cordage, de vêtement, d'huiles et
même de billet de banque. Toujours
cultivée en France, le chanvre agricole
est aujourd'hui utilisé notamment dans
l'industrie textile ou dans la construc-
tion, comme isolant.
K.D.
HISTOIRES
- 22 livres le quintal !
En 1756, selon un arrêt du Roi, le chanvre importé du Royaume, no-
tamment de Bresse, Auvergne ou encore de Bourgogne était au prix
de 22 livres le quintal. Il est aujourd’hui très compliqué de retrouver
la valeur précise de la livre de France en euros. Mais une chose est
sûre, le prix du chanvre a quelque peu augmenté aux alentours de La
Canebière.
g.L
- Pousse-toi que je m’y mette
Avec le développement de l’arsenal des galères à la fin du XVIIème
siècle, les cordiers sont contraints de déménager de leur emplace-
ment (actuel Quai des Belges et Quai de Rive-Neuve). Pour les arti-
sans du chanvre il était impensable de quitter la Canebière et ses
ruisseaux si propices à la macération des tiges de la plante. Pour se
faire entendre, les fabricants cordiers se sont unis et ont mené une
longue bataille épistolaire (comme en témoigne la lettre d’époque,
ci-jointe) avec la chambre des Commerces de Marseille pour
récupérer un emplacement digne de ce nom. Finalement, les cordiers
seront déplacés au sud de l'arsenal, où fut construite une nouvelle
corderie qui donna son nom au boulevard de la Corderie.
T.B
- “Cane…Cane…Caneb”
Tellement chère au peuple phocéen, l’artère
principale de la ville est très présente dans
la culture populaire du midi. Avec notam-
ment une désormais célèbre chanson. Ecrite
par Servil et composée par Vincent Scotto
en 1935, la simple ”Canebière” est un véri-
table honneur fait à l’incontournable av-
enue. Interprétée par Alibert, “Elle est la
capitale des marins de l'univers” et le restera
sans doute encore longtemps dans l’âme des
marseillais. Elle résonne encore dans les
tribunes du stade Vélodrome, scandée
comme chant d’encouragement.
g.L.
5
LE H AU PIED DE LA LETTRE
“Savoir relativiser
le danger des drogues”
Michel Henry est journaliste à Libéra-
tion depuis 1985 et s’intéresse de
près aux faits de société. En 2011, le
reporter a écrit “Drogues pourquoi la légalisa-
tion est inévitable”, un essai dans lequel il
dénonce la prohibition du cannabis appliquée
en France…
Avec la légalisation du cannabis, ne craignez-vous pas une
explosion de la consommation?
C'est possible. Mais on ne sait pas tant qu'on ne l'a pas fait. On
a des exemples étrangers: le Portugal a dépénalisé l'usage en
2001 sans constater d'augmentation de la consommation. Aux
Pays-Bas, la vente de cannabis est tolérée dans les coffee-shops
depuis presque 40 ans, et en proportion de la population, il y
a moitié moins de fumeurs qu'en France, où c'est interdit.
L'idée, c'est que si on légalise, on récupère l'argent auparavant
dépensé en vain pour la répression et on l'utilise pour des cam-
pagnes de prévention, actuellement inexistantes en France.
Le cannabis doit-il être différencié des drogues dures ?
Bien sûr. Il n'y a pas d'accoutumance autre que psychologique,
pas d'overdose possible. Certaines personnes fument du
cannabis pendant des années sans que cela leur cause de prob-
lème sérieux. Cela ne signifie pas que c'est sans danger mais il
faut savoir relativiser les dangers des drogues.
Qu'apporterait la légalisation du cannabis au point de vue
économique en France ?
L'Etat économiserait des centaines de millions d'euros dépen-
sés en pure perte chaque année dans la répression. Le système
judiciaire serait désengorgé de toutes les petites affaires de
stupéfiants qui l'encombrent quotidiennement. Policiers et
gendarmes pourraient se consacrer à des taches plus impor-
tantes que la chasse au fumeur de joints. Les règlements de
compte mortels autour du trafic diminueraient. La vie dans
certaines cités rendue impossible par le deal pourrait changer.
Economiquement, un nouveau secteur productif serait en
place, avec des emplois créés.
Si on ne légalise pas le cannabis, est-ce avant tout une
question de morale?
De préjugés. Beaucoup d'élus savent que l'attitude actuelle est
idiote et hypocrite (ne serait-ce que parce que beaucoup ont
certainement eu une expérience avec le cannabis par exemple)
mais ils pensent que l'opinion publique serait défavorable à
toute avancée. Ils ont tort. En fait, ils devraient faire un effort
d'explications vis-à-vis du public. En Suisse, les citoyens ont
voté à 66% pour la distribution gratuite d'héroïne à certains
toxicomanes, une fois qu'on leur a expliqué l'intérêt de la chose.
Durant la dernière campagne, la légalisation du cannabis n'a
pas été au centre des débats, comment l'expliquez-vous ?
Parce que tout le monde a peur de ce sujet. La gauche a peur
de passer pour laxiste. La droite pense qu'il faut se montrer
dur. En fait, la question des drogues permet aux politiques de
rouler des mécaniques et de faire croire qu'ils peuvent encore
jouer aux durs: ils n'ont plus d'influence sur la vie économique,
sur la finance internationale, ne peuvent pas grand-chose con-
tre le chômage, mais dans toute cette impuissance ils peuvent
grâce à une politique répressive sur les drogues illégales pré-
tendre qu'ils sont en mesure d'exercer leur pouvoir.
“Avec la légalistation, l’état économiserait
des centaines de millions d’Euros”
La légalisation du cannabis serait-elle un moyen de mettre
fin au trafic ?
Bien sûr ce serait une manière d'améliorer la situation même
si tout ne serait pas réglé, puisque même dans un système lé-
galisé, il reste un trafic. Aux Pays-Bas, où l’on vit sous un régime
de tolérance, la moitié du marché du cannabis passe encore par
le trafic illégal, selon les estimations. Ce qui veut dire aussi
qu'on a au moins réussi à faire passer l'autre moitié dans le sys-
tème "légal".
La France doit-elle prendre exemple sur les Pays-Bas et le
système des coffee-shop ?
Peut-être. C'est une voie. Mais les Pays Bas sont dans un sys-
tème hybride: si tout majeur a le droit de s'acheter jusque 5
grammes de cannabis, le coffee shop qui le lui vend n'a lui pas
le droit de s'approvisionner. Ce qui signifie que ce cannabis
qu'il vend légalement, il l'achète illégalement. Une hypocrisie
qui s'explique par le fait que le pays n'a pas voulu légaliser la
production. Même si le Parlement avait par deux fois voté cette
mesure, le gouvernement a refusé de la mettre en place de peur
d'une réprobation internationale qui aurait été néfaste à ses
intérêts commerciaux.
MICHEL HENRY - JOURNALISTE À LIBÉRATION
6
Certains états des Etats-Unis ont légalisé le cannabis,
d'autres ont une politique très stricte à ce sujet, le pays
peut-il être le premier à faire bouger les choses à travers
le monde?
Bien sûr, les Etats-Unis sont les gendarmes du monde en la
matière sur la planète, qui vit depuis les années 1970 sous le
régime de la "guerre à la drogue" introduite par Nixon. Donc,
s'ils bougent, ça aura forcément un impact énorme partout.
Mais leur situation est paradoxale: d'un côté, certains Etats lé-
galisent, de l'autre, les prisons sont pleines de gens poursuivis
pour trafic de stups (au moins 500 000 personnes). Le système
le plus répressif cohabite avec des situations très contrastées:
notamment avec la légalisation du cannabis thérapeutique, un
énorme "cannabizness" s'est mis en place dans certains Etats.
Dans quel but avez-vous écrit ce livre? Avez-vous eu des
réactions de politiques depuis?
Pour combattre l'hypocrisie générale et donner les bases
factuelles d'un débat. Des réactions? Peu. Les positions restent
malheureusement figées. Mais on ne perd pas espoir…
Propos recueillis par Estelle BARLOT
(*) Michel Henry – Drogues : Pourquoi la légalisation est in-
évitable- Editions Denoël
LE LiVRE
De son propre aveu, Michel Henry n’a “jamais consommé
de stupéfiants”. Un détail qui n’a cependant pas empêché
ce journaliste à Libération d’écrire en 2011 un essai inti-
tulé Drogues : pourquoi la légalisation est inévitable. En
quatre grands chapitres, il y dresse le bilan d’un échec de
40 ans de guerre contre la drogue, dénonce les dangers
de la prohibition, l’inaction des politiques français mais
aussi l’irrationalité qui consiste à autoriser l’alcool et le
tabac tout en interdisant le cannabis, pourtant bien moins
nocif.
L’auteur fait également le tour d’horizon des pays
étrangers sans oublier d’appuyer ses propos à l’aide de
différents intervenants tels que policiers, médecins ou en-
core politiciens. Et même si le titre de son livre peut
laisser penser le contraire, dans sa conclusion, Michel
Henry reste lucide quant aux chances de voir une légali-
sation prochaine du cannabis “Tous ceux que cette per-
spective effraye peuvent malgré tout se rassurer : ce n’est
pas pour demain”.
LégALiSATiOn ET DéPénALiSATiOn :
QUELLE DiFFéREnCE ?
Légaliser, consiste à organiser un marché régulé d'une
drogue, comme l'est le tabac par exemple: on autorise la
vente, sous certaines conditions (pas de vente aux
mineurs, une quantité maximale par personne, pas de
publicité, des points de vente contrôlés et réglementés en
dehors desquels le commerce est interdit, etc).
Dépénaliser, c'est ne plus poursuivre pour usage de
drogues. Le consommateur a droit à une quantité mini-
male légale pour laquelle il ne sera pas poursuivi. Mais la
vente des drogues reste interdite.
E.B.
Marseille capitale européenne de la
culture. La cité phocéenne met la barre
haute pour satisfaire touristes
et habitants venant profiter de son
soleil et de sa chaleur sous le regard
bienveillant de la Bonne-Mère. Mais
derrière le sea, sex and sun se cache un
côté sex (surtout) drug and rock n’ roll.
L
a drogue, une thématique dans les médias souvent
présentée de manière identique. Règlements de
comptes, violence, trafics en tous genre, tirs de
Kalachnikov, caïds abattus… Toute une mayonnaise qui a
tendance à agacer Philippe Pujol, journaliste à La Marseil-
laise. “On parle autant de Marseille parce que tout a été fait
pour. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, certains élus
PS locaux ont volontairement dramatisé la situation pour
remettre en question sa politique sur l’insécurité”. Denis
Trossero, à la tête du service faits-divers de La Provence
voit cela de manière différente. “Il y a beaucoup de journal-
istes à Marseille, donc une caisse de résonance supérieure à
d’autres villes, un pouvoir d’attraction inégalé également”.
En dehors du “mythe” construit et adopté par les médias,
l’approche du fait-diversier de La Marseillaise se veut dif-
férente. “Contrairement aux journalistes de La Provence, je
ne pars pas sur le terrain pour servir aux lecteurs ce qu’ils
souhaitent entendre”. Explique Pujol. Un sujet connu et mé-
connu à la fois, composé de beaucoup d’idées reçues. “On
Marseille vue
Trafic de drogue et règlements de compte, Marseille
fait couler beaucoup d’encre. Mais qu’en dit la presse
nationale ? Envoyés spéciaux, correspondants, re-
porters ; nous avons cherché à rencontrer ceux qui,
depuis Paris, traitent « notre » actualité brulante.
Paris Match, le Nouvel Obs, ou encore Libération, possèdent des
journalistes « affectés » à une ville précise. Pour Paris Match, à Mar-
seille, il s’agit d’Emilie Blachère. Une journaliste reporter qui vit à
Paris mais « descend » de temps en temps, pour des enquêtes.
Libération a mis toutes les chances de son côté. Olivier Bertrand,
correspondant à Marseille pour Libé, est un habitué des grandes
villes. Plus facile à localiser, il a bien voulu nous rencontrer…
Journaliste à Paris puis correspondant à Lyon, Olivier Bertrand est
arrivé à Marseille en 2011. Il avoue privilégier les longues enquêtes
aux réactions à chaud : « j’essaie autant que je peux de prendre du
recul, de mettre les choses en perspective, de ne pas coller trop le
nez dans le guidon de l’actualité ». L’intérêt pour le journaliste étant
d’amener une information supplémentaire, contrairement à la PQR,
LE H AU PIED DE LA LETTRE
7
peut traiter cette thématique de mille façons différentes. La
drogue et le trafic…un vieux sujet marseillais”. Expose le jour-
naliste de La Provence.
Tout commence par les femmes
A la Marseillaise, “le but est d’aller chercher ce qui n’est pas vis-
ible et de faire avec ce qu’on veut bien nous donner”. Ces
quelques “fuites” qui ne risqueront jamais de mettre en péril
les concernés et leurs affaires. “Tout se base sur une relation de
confiance entre le journaliste et son contact”. Sur ce point, les
deux journalistes s’entendent. Une fois acquise, hors de ques-
tion de la trahir, sous peine de se discréditer, non pas auprès
d’une personne, mais avec tous. Une relation solide ne se con-
struit pas en un jour, plusieurs années sont parfois nécessaires.
Tout commence par les femmes. Ce sont elles qui, en temps que
spectatrices au premier rang, détiennent toutes les informa-
tions sur le réseau. Comment vont les enfants, où en est la
grossesse… des discussions bien loin des trafics et du deal. “Il
faut parler avec elles et s’intéresser sincèrement aux probléma-
tiques et aux sujets qui animent leur quotidien”, raconte Pujol.
Créer une complicité. Si elles ne prennent pas part au com-
merce de drogue, elles-en connaissent les principaux protago-
nistes et les protègent. De fil en aiguille, des confidences et des
recommandations. Alors on modifie, on camoufle, un 30 ans
qui devient 26, un Toufik qui se change en Christophe…
Autant de stratagèmes littéraires nécessaire à la préservation
du lien entre le journaliste et ses sources, sans jamais mentir
sur le fond. A l’évocation de la fameuse “loi du silence”, les faits-
diversiers sont tous deux d’accord. “Bien sûr qu’il y en a une. Je
te raconte ça mais tu dis rien, je t’en parle mais je n’existe pas…
C’est comme ça”. Autre élément avec lequel jongler, le contact
avec la police. Les approches diffèrent. Philippe Pujol ne se
”contente pas des informations que les policiers donnent”. Et
privilégie le contact avec les personnes concernées. “A la dif-
férence de Denis Trossero, je ne me rapproche pas vraiment des
préfets de police et tout le ramdam. Serrer des mains, ce n’est pas
mon truc”
Le spectre de Tony Montana
Entre ombre et paillettes, la question est de trouver un juste
milieu. Il n’est pas question de descendre en flèche le trafic
dans les cités ni de le changer en un petit monde tout doux. La
problématique existe et les règlements de comptes sont eux
aussi présents. Mais encore une fois, où est le mythe, où est la
‘réalité’ aussi impossible soit elle à donner. « Les règlements
de comptes, c’est compliqué. Souvent ce sont des guerres de
territoires et des histoires d’argent. » Eclaire Philippe Pujol.
Denis Trossero complète, “Aujourd’hui il n’y a plus vraiment de
grosses pointures. Ce sont des jeunes qui aspirent à grimper dans
le réseau avec des rêves de réussite, qui hélas s’achèveront sou-
vent par la prison, ou ce que j’appelle, l’accident du travail”.
Car c’est bien des jeunes dont il est question. “Ces règlements
de comptes faits à coups de ‘Kalach’, ce ne sont pas les gros qui
s’entretuent. Ceux-là sont plus réfléchis et n’auront aucun
scrupules à approcher leur cible, suffisamment pour leur tirer
dessus avec un 9 mm”. Ici, les caïds ne se donnent que l’illusion
d’être forts et tout puissants en maintenant la gâchette à bonne
distance tandis que leur fusil vomit des rafales de balles.
Le paraître. Un cercle vicieux au sein des cités où le spectre de
Tony Montana plane au dessus de ces ados pour la plupart un
peu perdus. “Ils ne connaissent que ça, le deal et les coups”. Ter-
mine Pujol. “Pour sûr ça fait rêver de mener la belle vie entouré
de belles filles… Mais ce mythe reprit par la presse pour rassurer
les lecteurs est très loin des véritables problématiques qui en-
tourent le sujet”.
Elisa PHiLiPPOT
Zoom sur... La presse régionale
par la presse nationale
qui apporte « des éléments de compréhension du jour au lendemain».
Libération semble avoir pris le parti d’analyser plutôt que de réagir :
« En règle générale j’essaie de prendre un petit peu plus de temps.
Quelques jours, quelques semaines s’il le faut même des fois quelques
mois, cela arrive ; pour essayer de comprendre un petit peu mieux les
choses ».
Olivier Bertrand explique pourtant : « Il peut arriver que dans la nuit
nous apprenions la mort d’un jeune, et que le lendemain, voire le
surlendemain, je publie un papier d’une page. Cela m’est arrivé il n’y
a pas très longtemps. Dans ce papier j’ai essayé d’expliquer les causes
des rajeunissements des jeunes hommes impliqués dans des réseaux
de stups. »
Ce « parigot » comme on dit à Marseille, semble s’être bien intégré à
sa ville d’adoption. Né en banlieue Parisienne, il n’a pas eu de mal à
comprendre le fonctionnement d’une ville gangrénée par le trafic de
cannabis. Pour lui « ce n’est pas plus compliqué pour un Marseillais
que pour un non Marseillais, d’obtenir des informations, parce qu’un
journaliste qui commence à Marseille aura rarement des sources plus
« utiles » dans les cités ». Il suffit simplement, pour Olivier Bertrand,
de se construire un réseau solide dans la ville. Un bon réseau passe,
selon lui, par une « relation de confiance ». Avec les trafiquants qui
ouvrent leur porte pour des enquêtes. Mais surtout avec la police : «
Au fur et à mesure, on rencontre des policiers plus intéressants. Des
relations se nouent avec certains d’entre eux, surtout lorsqu’ils
s’aperçoivent que l’on retranscrit fidèlement ce qu’ils nous divulguent
et que l’on garde les offs pour nous. ». Il en va de même pour les mag-
istrats et les travailleurs sociaux. L’important étant de « respecter les
règles ».Marseille ville de la drogue ? plus que Lyon en tout cas : « Ces
villes sont extrêmement différentes ! D’abord sur le plan des règle-
ments de compte parce que je n’ai quasiment aucun souvenir d’en
avoir connu à Lyon. » il ajoute « Notamment parce que dans les ban-
lieues Lyonnaises, ce sont de très grosses cités et non pas pleins de
petites cités comme à Marseille. Elles sont très structurées et très
tenues par les réseaux de drogue. Les rivalités sont gérées par les
grands voyous, sans que ça tire à la Kalachnikov. »
D’une manière générale, Olivier Bertrand et ses collègues déplorent
une certaine difficulté de se rendre dans les cités pour des enquêtes
de terrains.
Andréa DUBOiS
LE H AU PIED DE LA LETTRE
8
Marseille et ses TRAFICS
feuille à feuille…
Marseille, La Canebière, son cannabis, ses
quartiers, ses complexités… Cette année encore
la cité phocéenne a inspiré tout un lot d’au-
teurs. Sélection de trois livres enquêtes/té-
moignages sur la drogue et les mafias. Marseille
Mafias, Marseille Connection, Au bout de la vio-
lence (respectivement de José d’Arrigo,
François Missen et Elina Feriel). Les titres
claquent mais les histoires racontées sont
moins brillantes. Ecrits de journalistes du cru
et d’une ancienne fille des quartiers, Marseille
sans éclat, mise à nu.
M
arseille, la drogue, un problème qui ne date pas d’hier. Dans
Marseille Connection le journaliste François Missen se rep-
longe quarante ans en arrière, époque où déjà il avait suivi
le combat des autorités contre “l’hydre mafieuse de l’héroïne locale”.
L’auteure d’ Au bout de la violence Elina Feriel se rappelle aussi de ces
années 80 comme l’ “âge d’or” de l’héro. Originaire du “terre-terre”
expression qui signifie que l’on est né ou que l’on vit dans les quartiers
Nord, elle livre sans détour le témoignage poignant de son parcours
dans la cité, émaillé de souffrances et de deuils. La “cité” lui a pris les
trois “hommes de sa vie”. Tous sont morts sous les balles, victimes des
violences liées de près ou de loin aux trafics. Elina s’est retrouvée
veuve à 27 ans. Son mari, Sabri, épousé à la sortie du lycée, avait
monté un important trafic de cannabis. Elle raconte l’ascension de
Sabri, l’argent de la drogue, les combines pour le blanchir. Elle ex-
plique les territoires, l’entrée dans la cours des grands, avec les “amis”
de la mafia, les services à rendre, la peur pour son mari. Un récit qui
met une réalité, un quotidien derrière les chiffres de la drogue, ceux
en euros ou en tombeaux.
Ces chiffres ont les retrouves dans Marseille Mafias signé de José d’
Arrigo. Le journaliste livre un ouvrage clair et bien documenté sur la
situation actuelle des trafics à Marseille. De nombreuses interviews
appuient un regard sans concession et un bilan sombre porté sur la
cité phocéenne. L’état déplorable de Marseille “part du sommet, le
scandale du conseil général, les subventions factices du conseil régional
aux associations de quartier, en passant par tout le reste : trafic de
drogue […]” constate José d’Arrigo. Une toile de mafia étouffe la belle
Massilia jusque dans ses associations censées relever la “misère so-
ciale”, ce dont témoigne aussi Elina Feriel dans Au bout de la violence.
La mise en place de nouveaux équipements stades etc dans les cités
ne suffit pas à faire changer les mentalités. Paradoxalement “dans la
plupart des secteurs, la drogue et le commerce de la drogue sont de-
venus le seul tissu social et de solidarité” affirme José d’Arrigo. Elina
Feriel fait le même constat. Dans la tête des jeunes des cités entre le
décrochage scolaire, le racisme à l’embauche et la crise, “la drogue
c’est LE moyen de s’en sortir”.
Et la police dans tout ça ? Pour nos auteurs l’échec est flagrant sur
tous les tableaux et sans être manichéen “il y a des policiers qui font
leur boulot” concède Elina Feriel. Cependant les “flics ripoux” courent
aussi les rues de la cité. José d’Arrigo pointe le manque de moyens. Ce
qui ressort c’est que les policiers sont au courant et dépassés quand
ils ne sont pas hypocrites et complices. Alors que faire ? Le souvenir
du “héros” s’impose comme l’exemple à suivre. Celui du commissaire
divisionnaire Marcel Morin : l’homme qui a éradiqué la “french con-
nection” dans les années 70. “Il suffisait de vouloir” écrit José d’Arrigo.
François Missen retrace la croisade du policier, l’homme phare de son
livre, les moyens policiers et judiciaires mis en places à l’époque. Elina
Feriel évoque d’autres solutions légalisation, intervention de l’armée.
Le sale bilan posé, pour ces auteurs une question reste : l’Etat tient
il réellement à régler le problème. Pour Elina Feriel et José d’Arrigo
l’insécurité semble toujours bonne à exploiter en politique. En atten-
dant on continuer d’aller “toucher”, tranquille, sous les yeux de la
bonne mère. On y vient prier pour les morts et remercier pour le busi-
ness.
Marion MOnAQUE
LE H AU PIED DE LA LETTRE
9
Mais que fait la Douane?
E
xiste-t-il aujourd’hui une redondance quant au rôle des
douanes face aux brigades de police et de gendarmerie,
d'ores et déjà spécialisées dans la lutte contre le trafic
de stupéfiants ?
Avec l’apparition de la douane “volante”, particulièrement ac-
tive sur nos autoroutes et dans les zones frontalières, il est dif-
ficile d’appréhender dans le tentaculaire système administratif
français la place des douaniers dans les opérations an-
tidrogues. “Mais il ne faut pas voir la multiplication des services
comme un mauvais dispatche”, explique Sophie Hocquerelle, re-
sponsable du service presse pour les Douanes françaises. “Il
existe en matière de lutte contre le trafic (de cannabis, ndlr) une
véritable complémentarité entre les ‘stups', la gendarmerie et la
volante.”
à chacun ses trafiquants
Une complémentarité exemplaire… en théorie. En pratique, si
policiers, gendarmes et douaniers coopèrent plus ou moins de
bon cœur, il n'en demeure pas moins un clivage sectoriel sur le
terrain, parfois sur fond de “guerre” – auquel chacun préfère
le terme “challenge” – pour rapporter la plus belle prise.
Chaque service a son rôle à jouer et ses cibles préférées : la BAC
(Brigade Anti Criminalité), dealers des grandes villes et des
cités, les “stups'” (brigade des stupéfiants), démantèlements
de trafics en place, et la Douane aux “livraisons”.
Qu'elles soient maritimes, par l'acheminement clandestin de
containers remplis de drogue, aériennes, via le système de fret
ou routières, par le très en vogue système des “go-fast”, les en-
trées de feuilles, plans ou résine de cannabis sur le sol français
restent la priorité des services de Douanes. “Les méthodes ont
changées, les équipements ont changés, les trafiquants aussi ont
changés, plus armés et beaucoup plus dangereux... Mais frontal-
ière ou volante, la douane était et reste aujourd'hui encore le
premier rempart contre les trafics”, insiste Sophie Hocquerelle.
De nouvelles méthodes qui ont permis aux douanes de saisir
en 2012 près de 20 tonnes de cannabis, pour un total de 48
millions d’euros de marchandise.
Un mauvais ordre des priorités ?
Si le cannabis est devenu presque monnaie courante dans les
grandes villes (escalade de la violence, guerres de territoire et
règlements de comptes entre dealers en prime), il est essentiel
de mettre en perspective ces réseaux clandestins avec ceux
d’autres types de trafics, bien plus mortels encore. Comme le
soulignent eux-mêmes les douaniers rencontrés, “le cannabis,
c’est 75% des saisies de stupéfiants, mais même pas un quart des
recettes pour les trafiquants”. Là où politiques et citoyens ré-
clament toujours plus de résultats dans la lutte contre le
cannabis, peut-être serait-il donc aujourd'hui plus constructif
de prendre conscience de l'ampleur de la tâche que représente
pour tous les services de douanes et de police confondus la
lutte contre la multitude de réseaux de contrebandes en tous
genres. Armes, drogues dures et même trafic d’êtres humains,
les douaniers avouent sans complexe prioriser ces combats
“plus urgents et bien plus importants sur le plan sécuritaire”.
Steve CLAUDE
Depuis l'ouverture des frontières
et la libre circulation au sein de l'UE,
les services des Douanes ont vu leur
organisation et leurs méthodes de
travail radicalement changer. Mais
quel est concrètement aujourd'hui
le rôle des Douanes françaises dans la
lutte contre le trafic de cannabis ?
Des postes frontières à la volante
Deux dates clés sont à citer dans l'évolution des Douanes : le 1er
janvier 1993 et le 26 mars 1995. Correspondant respective-
ment à l'ouverture des frontières puis à la libre circulation au sein de l'espace Schengen, ces deux événements – qui divisent
aujourd'hui encore la classe politique – ont entraîné dans leur sillage la disparition du métier de douanier que chacun con-
naissait jusqu'à lors. Fini les interminables files de voitures aux frontières et les fouilles systématiques à la recherche de
marchandises de contrefaçon ou de contrebande. Mais pas question pour autant de licencier les centaines d'agents à l'époque
en poste aux abords du pays. Sécurité oblige, l’État français décide dès 1994 de lutter contre les trafics en tous genres, dont
le très lucratif trafic de cannabis, par la création d'une Douane mobile, dite “volante”. Très présente sur les autoroutes, cette
brigade aux moyens considérables se veut le nouveau fer de lance des autorités, en réponse à la forte recrudescence des con-
trebandiers suite à la suppression des postes de contrôle frontaliers. S.C.
HALTE DOUANES
10
D
epuis 2001, dans le cadre du plan Vigipirate les con-
trôles douaniers dans la darse conteneur de Mar-
seille-Fos se sont intensifiés. Certes il est difficile de
déceler toutes les cargaisons douteuses étant donné le faible
effectif d’officiers en comparaison du nombre de con-
teneurs, mais leurs contrôles se veulent efficaces. Lorsque
les douaniers ouvrent un conteneur, ils décèlent une fraude
dans 50% des cas. “Tout est informatisé depuis 25 ans. Toutes
les donnés des conteneurs sont entrés dans le logiciel Delta. Il
fait une analyse du type de marchandise, de sa provenance,
du pays et de la fiabilité de l’opérateur chargé du fret. En fonc-
tion de ces mots clés, il nous signale une éventuelle fraude.
Après on contrôle les documents pour vérifier si tout est en
règle”, explique Frédéric Eymard, Inspecteur Régional ad-
joint du bureau de Fos/ Port Saint Louis du Rhône. “Bien en-
tendu, on est plus vigilant sur certaines filières comme
l’Amérique du Sud.” Ce ciblage est fait par la brigade de Mar-
seille, en cas de suspicion sur la marchandise, ils demandent
par exemple aux brigadiers de Port Saint Louis du Rhône de
fouiller le conteneur.
“On le positionne dans un hangar et on camion le passe au
camion-scanner. En fonction des images, on ouvre, on dépote
quelques cartons pour vérifier s’il y a fraude. Si l’on trouve
quelque chose, le conteneur est entièrement dépoté pour
répertorier la saisie”, témoigne Sébastien Pons, Adjoint de
la Brigade de surveillance externe de Port Saint Louis. Le
port est une entrée sur Marseille, mais il n’est pas le point
stratégique du trafic de cannabis. “Nos saisies ne sont pas
énormes, le vecteur routier est privilégié. La résine remonte
du Maroc par l’Espagne et elle est acheminée dans la région
par les “Go-fast”.
Cannabis en baisse, cocaïne en hausse
Coté port, les saisies de cannabis sont en baisse, celles de
cocaïne en hausse. En revanche les conteneurs sont de plus
en plus utilisés comme test par les trafiquant en matière
d’innovation de camouflage de marchandise illicite.
Deux techniques sont employées : Le “Rip-off” qui consiste
à dissimuler la came dans le fret, par exemple en Amérique
du Sud ils mettent des carottes de cocaïnes à l’intérieur des
trous de rondelles d’ananas, mises en conserves puis
soudées.
La seconde consiste à placer le paquet à l’entrée du con-
teneur, les trafiquants n’ont plus qu’à ouvrir la porte et se
servir. “Cette méthode implique un lien de connivence avec
des personnes du site, mais aucune enquête n’a réussi à le dé-
montrer pour l’instant (…) les dockers et la douane ne tra-
vaillent pas en collaboration, eux se chargent de la
manutention et nous de la surveillance des fraudes”, confie
Frédéric Eymard.
La dernière “grosse” saisie dans le port de Marseille re-
monte à décembre 2012 : 74kg de résine de cannabis con-
fisqués à l’arrivée d’un ferry en provenance d’Alger.
Loïc CHALVET
Port sous contrôle
Chaque année, près d’un million de conteneurs transitent par le port de Marseille-Fos
et… 180 douaniers sont mobilisés pour empêcher au mieux la circulation de la drogue
dans le bassin méditerranéen.
HALTE DOUANES
11
E
n 2011, Manuel Valls lance sa réforme majeure les ZSP,
Zones de Sécurité Prioritaire. “Des territoires ciblés dans
lesquels des actes de délinquance ou d'incivilité sont struc-
turellement enracinés” comme l’a défini le ministre de l’in-
térieur. Dans la cité phocéenne, 6 arrondissements, qui
contiennent les cités les plus sensibles, ont été classées ZSP. On
en compte déjà une quinzaine en France, (une cinquantaine
d’ici septembre 2013). Des zones où près de 2 millions de
français vivent. Pour le Gouvernement, les ZSP c'est une autre
manière de traiter la délinquance. “On cible un secteur, on
analyse le type d'infractions qu'on y commet et on y met les
moyens”. Justement, 3 millions d’euros ont été alloués à ces
zones de sécurité prioritaire. Un apport qui a permis le dé-
ploiement de plus de 200 policiers et gendarmes à Marseille,
ainsi qu’un renfort de 240 CRS.
Grâce à cette aide, Manuel Valls a mis en place une nouvelle
stratégie d'occupation du terrain. Elle consiste à “bloquer les
cités” avec des opérations “coup de poing”. Les forces de police
se mettent en place dans les quartiers et montent la garde du-
rant plusieurs jours, voir plusieurs semaines. Une présence qui
permet d’endiguer le trafic de drogue sur du moyen terme. Une
manière de faire plus dissuasive, en comparaison avec les
opérations menées les années précédentes où les forces de
l’ordre investissaient les caves et les halls de cité, le temps
d’une journée.
L’affaire de la Bac Nord a elle aussi poussé Manuel Valls à un
remaniement en profondeur. Une affaire de corruption et de
chantage dans laquelle 17 policiers se sont retrouvés im-
pliqués. En réponse à ce marasme, Manuel Valls a dissout cette
brigade.
Mais le ministre de l’intérieur ne s’arrête pas la, il a aussi in-
auguré en février le centre de supervision urbain (CSU) d’où
l’on contrôle plus de 200 caméras qui scrutent les faits et
gestes des habitants. Vols, dégradations, agressions, on en at-
tend plus d’un millier d’ici la fin 2014.
T.A. et F.S.
Manuel Valls
contre-attaque
Le Gouvernement a lancé de nombreuses
mesures pour combattre la violence à Marseille.
Objectif principal : éradiquer les règlements de
comptes, dans les cités, liés au trafic de drogue.
Retour sur 8 mois de lutte.
Parole aux habitants
P
our endiguer le trafic de cannabis qui gangrène certaines cités
de Marseille, Manuel Valls s’essaye à une stratégie novatrice.
Bloquer l’entrée de ces quartiers avec des unités de CRS. Les
policiers occupent la zone avec des camions pendant plusieurs se-
maines ce qui est censé empêcher clients et dealers d’opérer leurs
transactions.
A la cité de la Sauvagère, dans les quartiers Sud, les forces de l’ordre
ont employé cette technique coup de poing durant deux semaines.
Trois mois plus tard, on peut toujours se procurer de la résine ou
même de l’herbe sans difficulté. Les “choufs” ont repris leur place,
prêt à sonner l’alerte dès qu’un véhicule de la police est en approche.
Tahagan habite au premier étage d’un des blocs situé à deux pas du
point de vente. Il vit dans un trois pièces où il élève son fils de deux
ans avec sa femme. Pour lui “la police n’a rien changé et ne changera
jamais rien. Ils ont peut être arrêter la vente pendant deux semaines
mais ça a repris de plus belle. Ce trafic est trop lucratif ils n’arrêteront
jamais”. Ce qui inquiète le plus ce trentenaire, c’est l’éducation de
son enfant. “Comment voulez vous que j’explique à mon fils qu’il faut
aller à l’école alors qu’il pourrait faire de l’argent facilement avec eux.
Ils emploient les jeunes très tôt dès dix ans parfois”. Une situation qui
ne cesse d’empirer. Hélène réside dans le quartier depuis une ving-
taine d’années. “Avant ce n’était pas comme ça”, se souvient-elle. “Ils
ont commencé leur trafic il y a une dizaine d’année. Depuis tout a
changé, ils dégradent et salissent tout. On ne se sent plus en sécurité
surtout depuis la dernière fois”.
“La dernière fois” dont Hélène parle, c’était le 14 Janvier. A une
heure du matin, cinq coups de feu ont retenti visant un jeune homme
de 24 ans. Tête présumée du réseau de la cité il a été touché à la
nuque. Il s’en est sorti et a été écroué. “J’ai eu la peur de ma vie, je ne
comprenais pas ce qui se passait. Depuis je pense parfois à déménager
mais je suis trop attaché à mon quartier”, soupire t-elle.
Pour ce qui est du blocage de l’entrée de la citée son avis est mitigé.
“ça me rassurait de voir les policiers veiller sur nous mais d’un autre
côté je me sentait encerclé presque en guerre avec toutes les armes
qu’ils portaient. Et puis cela n’a pas changé grand chose, le trafic a
repris et nous sommes confrontés aux mêmes problèmes”.
Le 1er
juin une manifestation sera organisée par un collectif des cités
des quartiers Nord. Ils veulent mobiliser les Marseillais pour lutter
contre toutes les formes de violences existantes dans ces cités et
Hélène compte bien y participer.
Florian SAinTiLAn
KIF ET KEUFS
12
CULTURES ET CANNABIS...BILLES
Silence… ça tourne !
ADRIEn*, 22 AnS
"J'ai construit ma personnalité
en fumant"
Premier joint à 14 ans. Deux ans après il fumait tous les jours. "J’ai l’im-
pression d’avoir toujours fumé, ça fait partie de moi." Aujourd'hui il
dépense entre de 150 à 200 euros par mois pour sa consommation
"C'est une somme, mais j'ai décidé de ne fumer que de la qualité. Pour ça
il faut mettre le prix." Les effets ont changé avec le temps. "En tant que
consommateur quotidien je ne ressens plus ce que peuvent ressentir des
consommateurs occasionnels. Avec un joint ou deux je ne suis pas défoncé,
je suis simplement détendu. Avec les années tu cherches juste une décon-
traction… Quand je m'ennuie je roule car quand je fume le temps fuit. J’ai
commencé à l’époque où c’était invivable chez moi. Mes parents n’étaient
jamais là, j’avais envie de combler leur absence. Avec le temps ils l’ont re-
marqué, ils n’ont jamais été d’accord mais cela m’est égal. Ce n’est pas
parce qu’on fume qu’on rate sa vie. Mon frère fume une dizaine de joints
par jours depuis qu’il a 15 ans. Cela ne l’empêche pas d’être en master 2
et d’être un élève brillant… Avec le joint tu as parfois des trous de mémoire
mais cela reste momentané. Le plus mauvais dans la fumette c'est le tabac
pour les poumons. Maintenant quand je monte les escaliers je suis essouf-
flé direct."
LISA, 20 AnS
"il faut faire attention
à ne pas s'enfermer là dedans"
Au lycée Lisa fumait un joint de temps en temps avec les
copines. Après le bac elle a décidé de s'installer avec son co-
pain. Là les choses ont commencé à se gâter. "A nous deux on
fumait 15 à 20 joints par jour, j'avais besoin de trois pétards
pour démarrer la journée. Au bout d'un moment tu fumes un
bédo avant chaque chose que tu vas faire. Tu ne penses plus
qu'à ça, tu tournes en rond." Si Lisa et son copain pouvaient
se permettre une telle consommation c'est parce qu'ils cul-
tivaient leur propre cannabis. "Le matériel nous a coûté dans
les 800 euros mais avec ce qu'on fumait et ce qu'on vendait
tout à largement été remboursé. Je ne suis pas de ceux qui vous
dirons qu'on ne peut pas être dépendant au cannabis, je crois
à l'addiction. " Un jour Lisa en a eu marre. Elle a quitté co-
pain, appartement, plantes... est rentrée chez ses parents et
n’a plus rien touché pendant 8 mois. "J’ai réalisé que je fumais
pour combler un vide." Aujourd'hui étudiante en deuxième
année de licence elle refume, mais avec modération. "Il faut
avoir été accro pour savoir où sont tes limites. Aujourd'hui je
sais que je ne retomberai jamais dedans."
SAM, 24 AnS
"Je vois la fumette
comme une sorte de discipline"
Avant d’entrer dans les études supérieures Sam ne touchait
ni à l’alcool ni à la drogue. Après deux ans de prépa il entre
en école d’ingénieurs "J’ai tenu deux mois puis j’ai commencé.
Je suis curieux de base, j’ai essayé, j’ai kiffé, j’ai adopté. Fumer
m’a changé, j’ai découvert une nouvelle façon de penser.
Quand tu fumes tes neurones se connectent différemment, tu
te mets à penser à des choses auxquelles tu ne penserais pas
forcément en temps normal." Sam fait aussi de la musique.
"Quand je fume j’ai l’impression que ma créativité est décu-
plée. Ce n’est pas un hasard si beaucoup d’artistes et de gens
célèbres fument. Je suis sûr que Steeve Jobs fumait. J’ai eu une
éducation sévère, aujourd’hui si mes parents apprennent que
je fume et même que je cultive je me fais découper en rondelles.
Mais je suis bien comme je suis et je n’ai pas envie de changer.
Je dois donc vivre avec cette épée de Damoclès au dessus de la
tête." Sam compare la fumette à une discipline. "Dans ma tête
une personne qui fume et arrive à maitriser sa consommation
pourra, plus tard, faire ce qu’il veut dans sa vie. Personnelle-
ment ce qui me permet de me contrôler c’est le sport. Je pra-
tique un sport de combat à un niveau national. Si je n’avais
pas ça pour calmer ma conso, je pense que je partirais en cac-
ahuète."
iris CAZAUBOn
* Les prénoms ont été modifiés.
Un fumeur de cannabis est un jeune dépravé qui porte des dreadlocks `
et "squatte" le canapé toute la journée sans projet d'avenir… Un cliché parmi tant d’autres.
En réalité, il n'existe pas de "profil type" du fumeur. Chacun à un comportement,
une façon bien à lui d'appréhender le produit. Parole aux principaux intéressés...
SOPHIE, 50 AnS
"Je fume pour calmer mes douleurs"
A l’adolescence Sophie fumait quelques pétards "comme tous les
jeunes". Elle a ensuite arrêté de nombreuses années car elle n’en
voyait plus l’utilité. Aujourd’hui, maman d’un garçon de 13 ans elle
a quelques problèmes de santé. "J’ai des douleurs neuropathiques
(lésions au niveau des nerfs) qui me font beaucoup souffrir. Aucun
médicament n’arrivait à me soulager. Un jour j’ai fumé un pet pour
voir. Et ça m’a vraiment calmé. " Elle insiste sur le fait qu’elle n’est
pas "accro". "Je fume maximum deux joints dans la journée quand
la douleur est trop insupportable. Je trouve d’ailleurs que les
médecins sont beaucoup trop fermés sur le sujet." Avec un budget
de 50 euros par mois Sophie est une petite consommatrice. "Il y a
trois ans je plantais, mais j’ai eu des problèmes avec mes graines et
j’ai arrêté. Je fume pour la douleur mais aussi pour le fun, autant
profiter de tous les effets."
Photos Iris CAZAUBON
13
Quand les parents fument,
les enfants...
JULiE, 23 AnS, mère d’une fille de deux ans et demi consomme
depuis 10 ans de manière régulière. Elle confie qu’elle n’a réellement
arrêté que pendant sa grossesse et que l’arrivée de son enfant n’a rien
changé à son addiction. Pour l’éducation, elle n’y voit aucun problème.
Ce n’est pas parce qu’elle fume que sa fille sera mal élevée et qu’elle
sera pré-destinée à consommer elle aussi. Quand on lui demande ce
qu’elle pense d’un parent qui ne fume pas, elle répond : “Je pense
mieux aimer ma fille en étant maman et fumeuse que certains parents
non fumeurs”. La jeune maman fait tout pour que sa fille ne soit pas
exposée aux nuisances visibles de sa pratique, “Je vais me cacher le
plus longtemps possible“. Elle fait attention à ne pas “rouler” devant sa
fille et elle ne fume que lorsque celle-ci est couchée. La jeune maman
évite que l’enfant ait le moindre contact possible avec le cannabis.
Julie reconnait cependant que son addiction est un problème. Ne gag-
nant pas sa vie la drogue lui crée un réel problème financier. L’argent
qui part en cannabis pourrait evidemment lui servir à faire plus d ‘ac-
tivités avec sa fille ou alors à lui acheter plus de cadeaux. Ou encore
elle constate que par moment ses troubles de la concentration devi-
ennent récurrents et de plus en plus fréquents au quotidien. Malgré
quelques tentatives pour arrêter, elle continue, car le geste revient,
naturellement.
MATHiEU 24 AnS, papa d’un enfant de 4 ans explique par contre que,
lui, a décidé d’arrêter de fumer dès la naissance de son bébé. Addict
pendant 8 ans, le cannabis faisait totalement parti de son quotidien.
Conscient des problèmes de santé et financiers que lui apportait sa
dépendance, il s’est dit que c’était impossible de mêler majijuana et
enfant. “Le choix a été très rapide à faire, je n’ai eu aucune hésitation”.
Que pense–t–il alors de l’éducation donnée par des parents qui sont
restés dans cet engrenage? “Elever un enfant dans un milieu où la
drogue fait déjà parti du quotidien me parait compliqué et risqué, com-
ment par la suite lui expliquer que ce n’est pas bien, il deviendra lui aussi
forcément fumeur.” A propos des parents qui choisissent de rester con-
sommateurs, ses propos sont sans concessions: “ce sont des irrespon-
sables”. Alors être parent et fumer du cannabis, un bien ou un mal ?
Chacun voit midi à sa porte et l’éducation reste quelque chose de très
subjectif. Certains le voient comme un problème et d’autres trouvent
que si le juste milieu est appliqué aucun soucis ne devrait se passer.
Cependant, peu de médias, peu d’associations parlent de ce prob-
lème… La question que l’on peut alors se poser et pourquoi le gou-
vernement ou l’univers médical n’agit pas plus ? Le nombre des
parents consommateurs augmentent mais pas celui des solutions…
Loïse isabelle DELASSUS
Les adolescents et leurs problèmes avec le cannabis sont au coeur des priorités médicales et gouvernemen-
tales, leur comportement à risque inquiète. Mais comment cela se passe-t-il quand ce sont les parents eux
même qui fument? Si la consommation change les sensations, les perceptions, la capacite de mémoire immédi-
ate, la concentration, la vigilance et les réflexes, est il possible de “fumer” et d’élever un enfant? Des parents
fumeurs et non fumeurs nous expliquent leur quotidien.
Fumer fait un tabac !
L
e cannabis a beau être illégal, les accessoires pour le
fumer ne le sont pas… Et pullulent dans les tabacs. Des
magasins proposent même uniquement des articles
clairement liés à la “fumette”. Un business totalement légal
et qui marche plutôt bien.
Rue de la Palud dans le 1er
arrondissement de Marseille. Il y a plus de
15 ans maintenant Fred a installé son magasin “Goa”, du nom de la
ville indienne destination phare des routards des seventies. En vitrine
des vêtements hippies, des affiches, un étal de piercings. Mais à l'in-
térieur, bercé de musique reggae, on découvre tout un attirail de
"fumette". Pipes, bangs*, grinders* en métal ou en plastique, briquets
à l’effigie de Bob Marley ou ornés de feuilles de cannabis, papiers à
rouler, petites et longues feuilles, naturelles ou aromatisées, transpar-
entes, du carton*… Il y en a pour tous les goûts et de toutes les tailles.
Un pas de porte dédié à la culture hippie ou de ce qu’il en reste, milieu
qui ne se cache pas de fumer un bon "bédo" de temps en temps. “Je
viens d’acheter un grinder* et des feuilles à la pêche. C’est un cadeau
pour mon copain. Il ne reste plus qu’à aller chercher de quoi remplir
tout ça…”, rigole d’ailleurs une jeune femme en sortant de la boutique.
Mais il ne faut pas forcément aller dans un magasin spécialisé pour
trouver du papier à rouler, des pipes et autres accessoires. Dans les
tabacs classiques connus de tout le monde les buralistes voient passer
et servent aussi de nombreux “consommateurs”, tous différents. “Les
gens n’ont aucune honte à venir acheter des feuilles longues, que l’on
vend en grande quantité. Des jeunes ou moins jeunes, des hommes, des
femmes, même des enfants essaient” constate un buraliste du centre
ville. “On vend de tout, même des joints pré-roulés qu’il faut remplir” .
Tout ça dans une légalité un peu paradoxale, surtout lorsque l’on voit
toutes les interventions menées à Marseille par le gouvernement pour
arrêter la vente. “Les policiers ont beau venir de plus en plus nombreux
dans les cités, cela n’arrête pas le trafic, ou seulement pour quelques
heures. On trouve des feuilles, du carton, tout pour rouler, de partout,
alors autant légaliser et arrêter cette hypocrisie”, propose un consom-
mateur venu acheter son “matos” au tabac du coin. Hypocrisie : d’un
coté on aide et on pousse à la consommation, de l’autre on surveille
et on réprime… Cherchez la logique !
Estelle CAnTOnE
*Bang : pipes à eau qui permet d’aspirer une grande quantité de fumée d’un
coup.*Grinder : petite boîte ronde qui permet d’effriter l’herbe.*Carton : un
joint se roule, non avec un filtre mais avec un bout de carton. Les paquets de
feuilles sont tous munis de cartons à l’intérieur.
PhotoE.C.
CULTURES ET CANNABIS...BILLES
14
E
n 2001, le film Requiem For a dream change la vision de la
drogue et de ses consommateurs, les faisant passer de junkie
fun et populaires à des individus dépravés et complètement
déboussolés. Le réalisateur Darren Aronofsky avec ce film coup de
poing à marqué toute une génération.
Oubliez Dennis Hopper et Jack Nicholson de Easy Rider. Aujour-
d’hui ce sont plutôt les Jared Leto et Jennifer Connelly qui incar-
nent les junkies, fini aujourd‘hui l’identification aux personnages
et pour la génération de jeunes des années 2000, leur image par
rapport à la drogue traité dans le film est à des années lumières de
la réalité. L’histoire traite de la déchéance de quatre personnes
(dont trois jeunes) qui s’inventent un paradis artificiel en se
droguant (dans le film c’est l’héroïne qui est mise en avant).
Interrogés sur ce film, certains jeunes consommateurs de cannabis
à la vie active “normale” (lycée/ travail/logement) se montrent
unanimes ; pour eux la drogue et en particulier la consommation
de cannabis, n'a rien à voir avec Requiem for a dream :
“Je me suis vraiment ennuyée, ça dramatise trop et nous fait lâcher
dans le récit, nous dit Nathalie 20ans, “je n’ai pas besoin de voir un
film pour connaître les conséquences de l’héroïne ou autre drogue”
raconte, Sylvain, 18 ans, vivant en Nouvelle-Calédonie. Quant à
Pierre 23 ans, son avis est légèrement plus poussé “je ne vis pas du
tout dans l’univers du film, ce n’est pas parce que tu consommes que
tu es un junkie prêt à tout pour fumer, j’ai une famille stable et des
amis équilibrés, le contexte du film change tout donc je ne me sens
pas concerné”.
Delphine, étudiante en fac de psycho, a un avis plus nuancé ”je suis
d'accord que c'est exagéré mais dans tous les cas, le but principal du
film était de sensibiliser. D'autant que l'auteur du livre à partir
duquel le film a été adapté a souffert d'addictions également. C'est
un regard personnel d'un écrivain et d'un réalisateur, qui souhaite
servir une cause universelle”.
Malgré un succès critique et populaire indéniable, le film continue
de diviser et reste perçu négativement par la majorité des consom-
mateurs de stupéfiants. Pour eux l’œuvre de Darren Aronofsky ne
leur était pas adressé directement. Elle s’adresse plutôt à un autre
public dans une optique de prévention, d’où la dramatisation mise
en scène sur certaines drogues.
Thomas MAROTO
Requiem For a dream : Vérité ou Cliché ?
OMJe te kiffe
Le Vélodrome attire chaque week-end des dizaines de milliers
de spectateurs. Edifice à ciel ouvert, le stade n'est pas soumis
à la loi Evin. Chacun peut fumer librement sa cigarette, mais
pas seulement. Phénomène représentatif d'un usage de plus en
plus décomplexé, le cannabis est aussi consommé sans aucune
crainte. Le seul contrôle a lieu à l'entrée. Dans les tribunes,
le joint devient banal, toléré.
N
icolas, 27 ans, est un habitué du virage nord “je ne suis pas
abonné mais je dois assister à une dizaine de rencontres par sai-
son, j'y vais un peu à la carte”. Nicolas est également un fumeur
occasionnel “je ne suis pas un fumeur régulier dans le sens ou je fume
de temps en temps, en soirée, mais quand je vais au Vélodrome, on est
souvent trois ou quatre et on fait toujours tourner quelques bédos”.
Quand on lui demande la raison de ce rituel, il met en avant la con-
vivialité. Selon lui, le cannabis permet de mieux apprécier l'ambiance,
d'être vraiment attentif au jeu et, quand celui-ci ralentit, de participer
à des discussions passionnées “c'est vraiment pour ça que j'aime fumer
au stade, tu passes un moment de détente avec tes potes, tu passes le
joint tout en commentant la dernière passe manquée d'untel...”. Si on
fait abstraction de la substance illicite, le discours de Nicolas est celui
du supporter lambda.
Viviane a la cinquantaine. Elle est abonnée aux Yankees depuis une
quinzaine d'années. Elle ne fume pas de tabac, et encore moins du
cannabis. Pour elle, la tolérance doit être la règle “Je suis toujours assise
avec les mêmes personnes et autour de nous, ça fume constamment.
Honnêtement ça ne me dérange pas qu'on fume à quelques mètres de
moi, chacun fait ce qu'il veut du temps qu'il respecte l'autre. Le problème
c'est quand on prend tout dans la tête...”. D'autres habitués des gradins
phocéens sont plus véhéments, comme en témoignent les débats en-
flammés sur les forums de fans. Pour les détracteurs, la loi doit être
rigoureusement appliquée : le cannabis est illégal, il n'a pas sa place
dans une tribune.
Et comme Viviane, ils sont nombreux à se plaindre de la “fumée”.
Nicolas, quant à lui, défend une attitude responsable “Quand on est
trop serrés on se met à l'écart, il y a toujours de l'espace sur les côtés.
En tout cas, personne ne m'a jamais demandé de bouger ou d'éteindre
mon joint”.
La politique de l’interdit
Quelle serait la solution pour éradiquer la consommation dans les
stades ? Une fouille approfondie ? Cela prendrait trop de temps. Con-
trôler pendant la rencontre ? Il est impensable de faire du cas par cas
au regard du nombre de spectateurs...
Pourquoi cette tolérance tacite ? Un élément de réponse pourrait être
l'impact faible sur la sécurité. Il y a des fumeurs aux quatre coins du
Vélodrome, mais les échauffourées ont toujours lieu aux mêmes en-
droits, entre les mêmes personnes. Et le facteur récurent est l'alcool,
pas le cannabis.
Reste l’aspect sanitaire. Pour supprimer les volutes de fumée, des ini-
tiatives prennent forme. Ainsi, il est maintenant interdit d’allumer une
clope au Camp Nou, l’antre du prestigieux Barça. En France, c’est Lille
qui veut aérer son Grand Stade. Dans un rapport parlementaire rendu
public fin février, les membres du Comité d'évaluation et de contrôle
des politiques publiques préconisaient une interdiction complète.
Si la tendance persiste, et tout porte à le croire, la prohibition sera la
règle. Et tant pis pour la tolérance.
Romain TRUCHET
CULTURES ET CANNABIS...BILLES
15
Cannabis : IN ou OUT ?
C
hacun sa plantation. L’un est étudiant, l’autre scientifique, les
deux ont bien étudiés leur sujet avant de se lancer. Thomas sur
son ordinateur, Eric à travers ses voyages.
L’ “herbe”, ils connaissent. Thomas a beaucoup travaillé son dossier, il
a passé en revue tous les sites, livres, et autres guides permettant
d’effectuer une petite plantation. Il aurait pu produire à l’extérieur,
ses parents ont un grand jardin mais comme il habite maintenant seul
en ville il a préféré cultiver dans son appartement. Une plantation qui
ne dérange pas heureusement son colocataire lequel est “au parfum”
mais remarque, “c’est juste que ça sent fort”.
Du coup Thomas a acheté un filtre pour masquer l’odeur tenace de
ses petites plantes. Le coin de culture ? Une sorte d’armoire en toile
appelée “box”, Thomas y héberge quatre plants qui donneront chacun
prés de 250 grammes de “substances”. Deux semaines c’est le temps
qu’a mis Thomas pour réceptionner tout le nécessaire et l’installer.
Pour Eric, cela n’a pas été la même chose. Il est de la vielle école. “J’ai
planté pendant cinq ans au nez et à la barbe de tout le monde”, à la cam-
pagne, en périphérie d’une grande ville. Dans cette propriété, Eric
avait un terrain avec au fond une longue haie. Il a tout planté derrière
cette haie et s’est contenté d’arroser régulièrement. “Si vous aviez vu
ça pousse comme de la mauvaise herbe”. Il en fumait un peu et le reste
finissait en poussière séchée au soleil. “Je n’y passais pas trop de temps,
je surveillais à des périodes stratégiques”. Plusieurs fois des ra-
masseurs avisés ont tenté de lui chaparder son butin, sans succès.
Souvenirs, souvenirs “le matin quand je me réveillait, je sentais l’odeur
des plantes de mon lit”. Nostalgie… Avec la retraite qui arrive, il pense
reprendre la plantation.
A l’inverse Thomas commence à se lasser, il en est déjà à sa cinquième
récolte. Il lui faut trois mois pour récolter et entamer son petit rituel.
D’abord goûter aux fruits de ses efforts avec quelques amis “priv-
ilégiés” puis sortir les boites à chaussures pour ranger le trésor inter-
dit. “Dernière récolte et j’arrête, ça me prend trop de temps”. Du temps
mais aussi de l’argent. Sa “box” est gourmande en électricité, et puis
Thomas craint de se faire attraper. Maintenant trop de personnes
savent qu’il produit, il avoue même devenir quelque peu parano, “c’est
pour ça qu’à part les amis proches, je garde tout pour moi, pour éviter
que ça se sache”. Ne pas prendre de risques, un des maitres mots des
producteurs clandestins, sauf… pour Eric. Il n’a pas arrêté de cultiver
à cause des risques, et s’il reprend, il ne s’inquiètera pas trop. “C’est
difficile d’être discret, l’odeur est très forte.” De toute façon, selon lui,
“la police a d’autre chose à faire que d’’empêcher un vieux de fumer son
herbe”. Il en oublie quelques fois que l’usage seul du cannabis est pas-
sible d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.
Younes TigHEgHT
Produire chez soi ou dans la nature. Deux manières de faire : “inbox” chez soi, ou bien
“out” en extérieur. A l’heure où les Cannabis Social Club prônent la désobéissance civile,
nombre de “producteurs” de cannabis sont encore loin d’être prêt à témoigner à visage
découvert. Rencontre en toute discrétion avec Thomas 19 ans, et Eric 56 ans,
petits cultivateurs anonymes.
Photo Iris CAZAUBON
CULTURES ET CANNABIS...BILLES
“J’ai planté pendant cinq ans au nez et
à la barbe de tout le monde”
16
MÉDECINE DOUCE
A
rrivé en Europe au XVIIIème
siècle, le cannabis a joué un
rôle important dans la médecine. Utilisé contre la
douleur, il disparaît au XXème
siècle remplacé par
d’autres médicaments. La découverte de récepteurs cannabi-
noïdes a récemment relancé le débat. Considéré encore comme
une drogue, le cannabis médical se heurte à des législations re-
strictives. Malgré une utilisation divertissante, il semblerait
qu’il existe des vertus thérapeutiques dans sa consommation.
Pour aller au-delà du tabou, certaines associations luttent pour
la légalisation du cannabis médical. Franjo Grotenhermen, doc-
teur allemand, est responsable de l'association internationale
pour le cannabis médical. Il déclare dans son ouvrage, Cannabis
en médecine : “L’utilité médicale du cannabis, et des cannabi-
noïdes pris séparément, est maintenant très largement acceptée
par la communauté scientifique. Mais le climat et la situation lé-
gale restent difficiles pour les patients d’autres pays comme la
France, la Grèce ou la Suède. Des débats rationnels commencent
seulement dans ces pays qui accusent un retard de près de 15
ans par rapport aux autres pays”. La France ne semble pas
vouloir légaliser le cannabis, aussi bien pour des cas médicaux
que pour une consommation libre. Et même si ces derniers
mois, le débat s'est relancé, la question du cannabis médical
reste entière.
Le Docteur Grotenhermen défend le cannabis médical car il est
convaincu de ses bienfaits dans certaines maladies. “Pour
beaucoup de mes patients, le cannabis est un moyen de trouver
du réconfort et d’oublier la douleur”. La consommation peut
avoir un effet antidouleur pour les souffrances chroniques ré-
sistantes. Il peut même être excellent pour stimuler l'appétit
en cas d'anorexie. Ses propriétés anti-vomitives sont égale-
ment efficaces lors de chimiothérapie. Le cannabis médical
peut se considérer comme un médicament si ses effets
s'adaptent aux symptômes de certaines maladies. “Beaucoup
de patients ont un meilleur contrôle de leurs symptômes, ils
retrouvent souvent une vie normale grâce au cannabis”.
La consommation du cannabis, lors de traitement, peut être
envisagée de différentes façons. Elles sont même parfois
préférables à la fumette, car l’inhalation semble la plus risquée.
Tisanes, cachets, vapeurs, sprays, ces formes de prises seraient
moins nocives que le joint. De plus, les sites internet vendant
du cannabis se multipliant, on ne cesse d'innover. Selon le neu-
rochirurgien, Docteur Meyer, praticien à Grenoble : “La voie
orale serait plus efficace par rapport aux joints, et surtout il y
a moins d’accoutumance” . Si la prise de cannabis reste tout de
même dangereuse, c’est qu’elle peut entrainer un cancer du
poumon. Le risque est même plus élevé que pour le tabac.
Le cannabis provoque également certains effets qui peuvent
détraquer l’organisme. Le Docteur Meyer parle de troubles
psychiatriques avancés, comme la schizophrénie, ou de trou-
bles de la mémoire. Le cannabis, malgré un effet positif lors
d’un traitement symptomatique reste tout de même une
drogue. Mais parfois sur avis médical, il semble bien que l’on
peut traiter le mal par le mal.
Emy ASSOULinE
Cannabis sur ordonnance
En Europe, seuls l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne le Royaume-Uni et les Pays-Bas autorisent
le cannabis médical. En France, la consommation du cannabis à usage thérapeutique reste
un sujet sensible. Un tabou qui commence à peine à bouger. Le cannabis entre aspects
positifs et risques sur l’organisme.
Elise LASRY, Sandra MOUTOUSSAMY, Estelle BARLOT
Les pays d'Europe ont des législations très disparates concernant l'usage du cannabis. Certains permettent également
l'usage médical. Voici une carte qui vous renseignera sur le sujet.
17
Fumer au travail
ATTEnTiOn DAngER !
De plus en plus d'entreprises, en
coordination avec la médecine du travail,
s'intéressent au test de dépistage du
cannabis. Des tests destinés aux postes dits à
risque et réalisés sous certaines conditions.
A
près les tests d'alcoolémie, voici les tests de dépistage
du cannabis ! Les chefs d'entreprise deviennent friands
de ce dispositif. Dans le code du travail il n'y a aucune
clause relative à l'usage de stupéfiant, mais en pratique les
tests sont autorisés. Les employeurs ont le droit d'en réclamer
si la personne concernée convoite ou détient un poste à re-
sponsabilité. Des postes qui nécessitent des exigences de sécu-
rité, de maîtrise du comportement, de conduite de véhicules
ou encore de manipulation de produits dangereux. Le
dépistage d’usage de stupéfiant et une procédure particulière
et très encadrée.
Le dépistage ne doit pas être effectué systématiquement et
doit apparaître dans le règlement intérieur de l'entreprise. De
plus, il faut respecter ce que l'on appelle “les règles d'informa-
tion individuelle”, c'est à dire expliquer le pourquoi du
dépistage et les conséquences d'un résultat positif. L'employé
doit également avoir un droit de refus. Par ailleurs “si la dépen-
dance est avérée et qu'elle met en péril le travail ou l'entreprise,
la médecine du travail aura pour mission d'orienter la personne
pour qu'elle se soigne” explique Nadia, membre du dispositif
d'Appui Drogues et Dépendances (DADD) en région PACA. A
noter que dans le cadre de l'examen, le secret médical joue. Car
le médecin ne doit prononcée qu'une inaptitude et non révéler
une quelconque autre information.
Toutefois aujourd’hui “les consommations excessives ponctuelles
ont tendance à augmenter au travail” constate Marie-Laure
Hémery, médecin du travail. Et c'est ce qui inquiète. La Mission
interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie
(MILDT) considère qu'un dixième des salariés se réfugient
dans la drogue pour faire face à leur travail. Un autre organ-
isme , l'institut national de prévention et d'éducation pour la
santé (INPES) diffuse lui tous les cinq ans un baromètre con-
sacré à l'usage de substances psychoactives dans le milieu pro-
fessionnel. D'après l'étude de 2010, la consommation de
cannabis varie en fonction des secteurs d'activités. Ainsi, les
plus touchés sont les arts et spectacles avec 16,6% de consom-
mateurs dans l'année, la construction, avec 13%, l'héberge-
ment et la restauration (pas de chiffres déterminés). Plus du
tiers des fumeurs de tabac et le quart des fumeurs de cannabis
ont affirmé avoir augmenté leur fréquence d'utilisation à cause
de la pression et de problèmes professionnels.
Pour essayer d’enrayer ce phénomène, la MILDT a publié un
guide pour conseiller les entreprises sur les techniques de
prévention contre la consommation et l'abus de substances
psychoactives telles que le cannabis. La sensibilisation est très
importante. En région PACA, un réseau informel de profession-
nels s'est constitué et en train de se former pour apprendre à
intervenir dans le milieu des entreprises dans le cadre de mis-
sion d'information/prévention.
Sandra MOUTOUSSAMY
information/formation avant tout
“On est une vigilance sanitaire”. Voilà comment Elisabeth Frauger,
responsable adjointe du Centre d'Evaluation et d'Information sur
la Pharmacodépendance (CEIP) – Addictovigilance décrit son serv-
ice. Son équipe recueille les cas de dépendance, d'abus ou encore
d'usage détourné de substances psychoactives et notamment de
cannabis. La collecte s'effectue auprès des professionnels de santé
(médecins, laborantins) ou encore des urgences médicojudiciaires,
les services de police et de gendarmerie. Il y a quelques années,
l'une de ces études a révélé plusieurs catégories de dépendants : les
consommateurs de cannabis pur, ceux qui le fument et boivent et
les jeunes qui sont plus concernés par l'abus et la dépendance. A la
suite de ces recherches ils identifient les risques et impacts psychi-
atriques pour en informer les professionnels de santé. Le centre agit
sur toute la région Provence Alpes Côte d'Azur ainsi que sur la
Corse.
Prévenir reste le maître mot du CEIP. Il n'est jamais confronté aux
patients mais interagit directement avec les médecins, urgences,
laboratoires de toxicologie etc... Ces derniers sont orientés et con-
seillés sur les cas de dépendance auxquels ils font face. Ils peuvent
eux-mêmes solliciter l'aide du CEIP ou c'est le centre qui vient à eux.
L'équipe d'Elisabeth Frauger se déplace régulièrement dans les
structures spécialisées des usagers de drogue. Elle diffuse alors
toutes les informations collectées sur la région et réponde aux ques-
tions. “Le plus souvent on intervient sur les nouvelles drogues de syn-
thèses”, déclare l'adjointe. Une mission d'information qu'elle juge
indispensable.
S.M.
MÉDECINE DOUCE
18
INTERNATIONAL
Cannabis connexion
Marseille capitale ?
E
n février 2013 Courrier International au travers d’une sélec-
tion d’articles internationaux avait dressé sur Marseille un
portrait pittoresque mais pessimiste. Ces articles anglo-sax-
ons se focalisaient sur les problèmes d’immigration et la présence
musulmane dans la ville. Mais également tous ces papiers
pointent du doigt un trafic de drogue gangrénant la ville.
Si l’on demande à un étranger ce qu’il sait de Marseille, un certain
nombre vous répondront qu’ils ont déjà entendu parler de la
French Connexion, rendu célèbre aux Etas Unis par le film
éponyme. Cette organisation contrôlait jadis l’approvisionnement
en héroïne du monde à travers un vaste réseau entre Marseille et
les USA. C’est malgré tout cette image dépassée de la ville que les
instances donnent à travers leurs rapports. L’INCB (bureau inter-
national de contrôle des narcotiques) fait référence à Marseille
comme ancienne plaque tournante du trafic d’opium mais guère
plus. Mais la réalité actuelle est tout autre. L’âge d’or des réseaux
de contrebande de drogue à structure pyramidale est révolu. Le
trafic de stupéfiant marseillais est maintenant dominé par des
réseaux plus petits et moins élaborés. Ces réseaux sont certes plus
faciles à fragiliser une fois les leaders localisés. Mais ces organi-
sations sont bien plus nombreuses et bien plus facile à mettre en
place.
Que fait l’OnUDC ?
Malgré cette situation préoccupante, les organisations interna-
tionales de luttes contre le trafic de stupéfiant ne semblent pas
s’intéresser au cas marseillais outre mesure. Le cas de l’ONUDC
(L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime) est révéla-
teur. La dernière mention de Marseille parmi les points de transit
principaux de la résine de cannabis dans un de ses rapports date
de 2008. Depuis plus de traces de la cité phocéenne sur la carte
de la drogue. Il faut dire que l’ONUDC, consacre la majorité de son
budget à la lutte contre le blanchiment d’argent. Si problèmes de
drogue il y a, l’agence se concentre d’avantage sur l’Afghanistan,
la frontière mexicaine et/ou l’Afrique de l’ouest.
Europol (agence de coopération des polices européennes) est la
seule organisation de lutte contre la criminalité à consacrer plus
d’un paragraphe au trafic de cannabis à Marseille dans son rap-
port de 2012. Pour Europol, Marseille est devenu un point de tran-
sit, de stockage et de réexpédition de la résine de cannabis en
provenance pour l’essentiel du Maroc. Pourtant Marseille ne
parait pas être la priorité d’Europol dont les budgets limités sont
consacrés à la collecte d’informations que les polices locales n’u-
tilisent que très peu. Pendant ce temps les médias français multi-
plient les unes. Fustigeant l’urgence de la problématique de la
drogue à Marseille. Cependant il semble que les vingtaines de
meurtres marseillais ne pèsent pas lourd face aux 3000 morts de
la guerre contre les cartels au Mexique.
Alexis VERDET
nos amis du Rif
Acheminé à travers l’Espagne par go Fast ou par mer le
cannabis se retrouve à Marseille. Mais d’où provient-il ?
Selon les chiffres publiés par l’OnUDC , 21% de la pro-
duction mondiale de cannabis provient de la région du
Rif au Maroc.
Pourtant les actions en vue de diminuer la production de
cette drogue sur le territoire chérifien manquent cruelle-
ment. il faut dire que le souverain Hassan ii et son suc-
cesseur Mohamed Vi sont tous deux des partenaires
privilégiés et des amis de longue date de nombreux pays
européens ainsi que des Etats Unis. On comprend donc
pourquoi on ne cherche pas à froisser le royaume. Occa-
sionnellement pour faire plaisir à leurs partenaires et à
seul but de détente diplomatique, le royaume du Maroc
lance des mesures symboliques comme la prohibition de
la vente de feuilles de tabac à rouler, ou l’interdiction des
vols hélicoptères civils dans le royaume. Chaque année
les autorités marocaines procèdent à une très média-
tique campagne d’éradication de champs de cannabis
pour prouver leur bonne volonté.
Dans son rapport annuel les drogues de 2013 L’inCB
félicite paradoxalement le Maroc pour sa coopération
dans la lutte contre l’économie de la drogue. Selon le
même rapport la culture de cannabis au Maroc s’est sta-
bilisée aux environs de 47 400 ha en 2013, ce qui est
légèrement en dessous des chiffres des années précé-
dentes. Mais la question à laquelle personne ne répond
est, comment éradiquer une culture qui est historique-
ment liée à la région du Rif surtout dans la partie centrale
entre Chefchaouen et Targuist, région dans laquelle la
pauvreté et l’analphabètisation est encore importante ?
Le pouvoir marocain y trouve-t-il son compte ? il faut tout
de même se remémorer l’histoire tumultueuse de cette
région frondeuse qui reste en dehors de circuits touris-
tiques. De ce fait la culture de cannabis et son trafic à par-
tir des enclaves espagnols de Ceuta et Melilla reste la
majeure source de revenu des habitants du Rif. De plus
comment obliger les paysans du Rif à changer le type de
culture de leurs champs quand le cannabis rapporte plus
que l’orge ou le blé ?
Le gouvernement Marocain se contente actuellement de
coopérer avec les instances internationales de lutte con-
tre les stupéfiants en apportant son aide contre le trafic
de drogue dures, et en renforçant les contrôles aux fron-
tières. Toutes ces actions contribuent à détourner le re-
gard des acteurs internationaux du vrai problème
marocain, la culture du cannabis. Pendant que le Maroc
multiplie les diversions, les organisations interna-
tionales préfèrent se concentrer sur des dossiers plus
brulants et médiatiques comme le Mexique et
l’Afghanistan laissant à l’Europe la question marocaine.
A.V.
- Rapport de l’ONUDC 2008 et 2012, Rapport de l’INCB 2013, Rapport Europol 2012
19
Le trafic du cannabis est un commerce risqué et peu lucratif.
Pourtant le cliché du dealer ayant fait fortune dans le négoce
de résine, au volant d’une berline, montre de luxe au poignet, a
la vie dure. En France une étude de l’OFDT( Observatoire français des
drogues et des toxicomanie) estime à 23 000 le nombre d’individus
impliqué dans le commerce de cannabis. La grande majorité d’entre
eux, environs 220 000, ne gagne pas plus de 580 euros par mois, soit
un peu plus du RSA (475 euros). Christian Ben Lakhdar, maître de con-
férences de l'Université Catholique de Lille Chargé d'études à l’OFDT
souligne “que ces chiffres sont beaucoup plus proche du chiffre d’affaires
que du revenu net”. En ce qui concerne Marseille Claire Duport, socio-
logue, indique “aucune recherche fiable ne permet actuellement de
quantifier avec précision et certitude les quantités de cannabis im-
portées, et donc de quantifier les revenus que le trafic génère”. Pour au-
tant, le journaliste à La Marseillaise, Philippe Pujol qui a beaucoup
enquêté sur le trafic de drogue dans les cités marseillaises est sans
équivoque, “dire que les dealers tirent d’importants profits du trafic est
un fantasme absolu, ce commerce génère des revenus que l’on peut
plutôt qualifier de rente de survie”.
Outre les faibles sommes que tire la majorité des dealers, ce com-
merce vu sous le prisme des risques qu’il comporte, devient défini-
tivement un emploi paupérisant. Le risque d’interpellation est
important, “et une condamnation par la justice représente une sortie
forcée du marché du travail illicite, et donc une perte de revenu” note
Christian Ben Lakhdar. Entre 2006 et 2012 le nombre d’interpella-
tions pour usage, revente et trafic de cannabis a doublé, selon les
chiffre de l’OFDT. En 2008 la durée moyenne de détention était de 8,8
mois selon le Ministère de la Justice. A cette peine de prison s’ajoute
une lourde amende et depuis 2008 la saisie des avoirs criminels ainsi
que les stocks de marchandise trouvés chez le dealer. Mais “les pertes
de revenus peuvent ne pas provenir seulement de la régulation policière
et juridique du marché du travail illégal”, comme le rappelle Christian
Ben Lahkdar, le monde du trafic de stupéfiant est un milieu violent,
où les conflits se règlent souvent dans le sang, et non devant un tri-
bunal. Qui peut bien vouloir dans de telle condition être carriériste
dans le commerce du cannabis ? Qui peut continuer à croire que ce
commerce fait recette facile ?
Pour Phillippe Pujo,l les dealers ne sont ni à plaindre, ni à blâmer. Ceci
dit il, continue de conter ses histoires, ces enfants martyrs shootés à
la came depuis leur plus jeune âge, qui finissent par travailler gratu-
itement, pour quelques grammes de résine et le repas du midi. Le
commerce du cannabis est un commerce de la dette, très vite une
bonne partie de ces travailleurs effectue leur besogne pour rem-
bourser la drogue ou l’argent que leur a prêté le chef de bande, si bien
qu’ils se trouvent forcés de dealer, pris au piège. “Le deal mène au chô-
mage ou à la mort” résume Philippe Pujol. Mais le chômage est de
toute façon une réalité pour la majorité de la population des quartiers
dits “sensibles”.
Dans les ZUS (zones urbaines sensibles), lieux de la majorité des
trafics, le chômage est en moyenne deux fois plus important
qu’ailleurs, et à diplôme égal, un individu résident d’une ZUS a deux
fois moins de chance de trouver un emploi. Christian Ben Lakhdar
conclu “si le marché du travail offre des opportunités lucratives, alors
les incitations à s’engager dans le trafic de drogue seront moins
élevées”. Philipe Pujol a même observé chez les dealeurs des qualités
recherchées dans le monde du travail, capacité d’adaptation, sens
inné du commerce, grande motivation…
« Les élus ne sont pas idiots »
Pour Philippe Pujol, des solutions institutionnelles existent, mais sur
le long terme, hors du temps politique calqué sur les échéances élec-
torales. Impossible dans cette situation de prendre des décisions
(dépénalisation, ect) susceptibles de choquer l’électorat. “Les intérêts
ne convergent pas, alors ils laissent faire” indique le journaliste, “c’est
une bonne façon d’acheter la paix sociale”.
Le deal est donc souvent un choix contraint qui permet un revenu de
subsistance. Il crée parfois du chômage en fauchant dés l’enfance les
travailleurs mineurs du cannabis. Mais pris dans la totalité, le com-
merce crée de la richesse, cette manne, même infime une fois dis-
séminée aux quatre coins des cités permet de vivre à bon nombre de
familles. Dés lors on peut se demander si l’Etat se donne tous les
moyens pour supprimer définitivement cette économie illégale ?
Simon ViEnS
N’en déplaise à l’imagination
populaire, les travaux de
chercheurs montrent
que le commerce du
cannabis crée peu de
richesse, bien qu’en période
de crise, il reste une source
de subsistance qui compte
pour les plus pauvres. À leur
risques et périls.
ÉCONOMIE
Mauvaise Fortune
20
Génération
Le héros du roman est très militant, est-ce que c’est aussi le but
du livre ?
Le héros n’est pas militant au sens où il n’est pas impliqué dans des
associations, il ne fait pas de politique. Il est plutôt dans une démarche
hédoniste, épicurienne. Par contre il a une analyse des problèmes de
la société, notamment au niveau des libertés. Si j’avais voulu faire un
livre militant j’aurais fait un essai, là j’ai écrit l’histoire de deux jeunes
qui voyagent, ça parle de liberté, de plaisir, de sexe et de musique. Mais
on peut y voir deux messages couplés et si vous me demandez si je
considère que consommer du cannabis est grave, la réponse est
évidemment non.
Dans une interview pour Libération vous disiez que vous aviez
fait de nombreux entretiens pour ce roman. Alors, plutôt soci-
ologique ou plutôt autobiographique comme vous le dites sur
votre site ?
C’est une sorte de littérature gonzo, comme Las Vegas Parano. Ce
roman raconte une histoire que j’ai vécue, mais romancée, notamment
pour préserver l’anonymat de certaines personnes. Comme c’était il
y a vingt ans j’ai pu la peaufiner, notamment en interrogeant des gens,
à cause de mes réflexes d’universitaire, mais ça reste une oeuvre lit-
téraire. Son but premier est de distraire les gens, ensuite de parler
d’une époque peu explorée par la littérature, enfin de faire passer un
bon moment.
Donc les années 90, c’est parce que c’était une période dont on
parlait peu ?
Oui, c’était peu traité. Il y a aussi cette notion d’être jeune, dont parle
le livre et qui était très forte dans les années 90. Il y avait plus de lib-
erté qu’aujourd’hui, l’impression que tout était possible, et c’était un
peu vrai. Beaucoup de choses étaient encore floues, échappaient en-
core à la police. C’était aussi une époque de révolutions musicales : la
techno avec les tecknivals qui fleurissaient un peu partout, le reggae
avec le renouveau du roots, l’explosion du rap...
Vous dites que les français fument un joint le soir, que beaucoup
de fumeurs sont avocats, cadres etc., mais à part quelques con-
ducteurs qui prennent les héros en stop le roman parle beaucoup
de “marginaux”, n’y a-t-il pas une contradiction ?
Génération H est le premier tome d’une trilogie où on va suivre les
mêmes héros pendant des années [ndlr : le prochain tome devrait sor-
tir fin 2014]. Là ils ont 17 ans donc ils sont plus trashs, c’est le principe
de la jeunesse de faire des excès. Notez cependant qu’ils ne sont pas
si marginaux que ça : ils sont scolarisés, ils ont la tête sur les épaules,
ils travaillent quand ils ont besoin d’argent... En tous cas les héros de
cette bande ont réellement existé et aujourd’hui certains sont avocats
ou commerciaux, ils sont mariés, ont des enfants, ils sont parfaitement
insérés dans la société. Je parle souvent de ces personnes-là parce
qu’on les oublie dans l’image du fumeur de cannabis.
Vous parlez aussi de “fumer un joint comme on boirait un verre
de vin”, or beaucoup de personnages et surtout les héros fument
en permanence... à ce niveau ce serait plus de l’alcoolisme non ?
Là-encore, les héros n’ont que 17 ans... on peut dire que la mesure naît
de l’excès. Il faut dissocier la quantité qu’ils consomment de leur
recherche de qualité : ils fument beaucoup, mais pas n’importe quoi,
ils sont dans une démarche gustative et esthète. Un œnologue aussi a
dû expérimenter l’ivresse au début. Il est toutefois vrai qu’il y a une
contradiction mais l’être humain est paradoxal. C’est aussi l’un des
avantages de l’oeuvre littéraire de ne pas être forcément cohérente,
de pouvoir comprendre les paradoxes de l’humain.
Comment ce roman a-t-il été reçu par vos collègues universi-
taires ?
Bien sûr en écrivant un tel livre je n’ai pas une image d’enfant sage,
mais quand tu es écrivain on n’a pas à te juger. J’ai eu des collègues
heureux de m’entendre dans les médias, peut-être des jalousies mais
ça s’est arrêté là. Le métier d’intellectuel est de créer et de réfléchir,
c’est ce que je fais. Elise LASRY
Une France qui a intégré le cannabis
dans sa culture, voilà le portrait que dresse
le livre Génération H. Rencontre avec son
auteur, Alexandre Grondeau, 35 ans,
également critique musical et géographe
à l’université d’Aix-Marseille.
É
té 1995, une petite bande de lycéens parcourt la France
pour les vacances, assoiffée de liberté mais surtout de
haschisch. Des festivals de country aux ferias en passant
par les free parties, ils vont rencontrer toute une génération qui
a fait du “joint” le nouveau verre de vin. Alexandre Grondeau s'est
inspiré de ses rencontres avec de nombreux amateurs de
cannabis, ce qui donne au roman une certaine valeur soci-
ologique, quoiqu'il soit surtout inspiré de la jeunesse de l'auteur.
Ce récit initiatique est aussi très pédagogique ; le néophyte
pourra découvrir les différences entre afghan, marocain ou
skunk, la définition d'un shilom ou le mode d'emploi d'un bang.
Le roman porté par la musique, dont l'auteur est passionné : reg-
gae ou techno, elle traverse le récit et accompagne partout les
héros et le lecteur – une playlist est d'ailleurs proposée à la fin
du livre. Sur le site (www.generation-h.com), vous pourrez retrou-
ver une compilation mais aussi d'autres bonus, comme des té-
moignages vidéos de consommateurs.
aschH
À L’OUVRAGE
21
Entre trouille et fouille
le business continue
D
ans la cité de La Sauvagère, deux personnes fouillent les
“clients” avant de les faire entrer dans le hall, où se
déroule la transaction. “Détends toi mon pote, y a pas
de problème” lance un des « gardes » à un client un peu stressé.
“On vérifie juste que personne n’ait d’arme” indique Sofiane,
membre du réseau de la cité. A la question “Avez-vous peur d’un
règlement de compte ? ”, Mehdi, de la cité Bassens, répond
“Franchement non, de toute façon on s’y attend même pas quand
ça arrive”.
Du côté du 15ème arrondissement de Marseille, à la cité Cam-
pagne-Levêque, la fouille est aussi de rigueur. Dans ce réseau
très bien organisé, rien n’est laissé au hasard. Aucun sac n’est
autorisé dans le hall, et le client doit le laisser au bas des es-
caliers. Un jeune homme armé est quelque fois présent devant
l’entrée. En une demie heure il fait deux-trois allers retours.
Mais il n’est pas menaçant. “On est obligé de se défendre au cas
où” précise Dylan. Quelques minutes après une demi douzaine
de transactions, un jeune homme arrive, 15 ans tout au plus,
sac McDonald’s dans les mains. “Tiens cousin”. Cet adolescent
est un “chouf”, un guetteur. En plus de surveiller une éventuelle
arrivée de la police, certains sont chargés d’apporter à manger
aux dealers, qui ne peuvent pas bouger pendant plusieurs
heures. Ici, le trafic a changé. Il y a un an, il était impossible de
voir le dealer, des caddies bloquaient les escaliers, et ce dernier
se trouvait juste derrière. Seulement son bras était visible lors
des transactions. Après plusieurs descentes de police, les trafi-
quants ont fait profil bas, et les escaliers ont été libérés. Même
les murs qui entourent ce point de vente ont été repeints. Le
client est même fidélisé, à partir de 30 euros d’achats, un pa-
quet de feuille est offert. Du côté de la Sauvagère, les “choufs”
sont en alertes. La police patrouille non loin d’ici. Le dealer
“porteur”, qui possède toute la marchandise sur lui, s’enfuit en
courant. “Attendez la 10 minutes, le temps qu’ils partent” lance
calmement Sofiane aux clients venu se ravitailler. Impassible
alors que leur vie se joue en ce moment même, l’un d’eux se
permet une petite plaisanterie “On va devoir sortir le Uzi” glisse
t-il avec le sourire.
Cette relation avec la police est toujours aussi étroite. Surtout
depuis que les cités ont été prises d’assaut par les CRS. “C’est
vrai, ca fait chier qu’ils bloquent les cités” explique Mehdi, avant
d’ajouter “ça dure 2-3 semaines, même pas, le ‘biz’ reprend
quand ils partent”. Une sorte de cercle vicieux du jeu du chat et
de la souris.
Thomas ACARiES
Quartiers nord, quartiers Sud,
le trafic de drogue sévit sur l’ensemble
du territoire marseillais. Sur les pas
de trois dealers, au cœur de la cité
phocéenne.
Cannabis Social Clubs : alternative au marché noir ?
Pour se procurer du cannabis en France, les dealers sont presque
le passage obligé, ce qui implique trafic et risques sanitaires
(mélange avec des produits chimiques). Contre ces problèmes, des
usagers ont créé les Cannabis Social Clubs (CSC). Le principe est de
cultiver du cannabis pour une vingtaine de membres maximum,
avec interdiction de revendre ou de faire consommer à des
mineurs. Près de 500 existeraient en France, avec une volonté de
créer un débat et de faire changer les mentalités. Dominique Broc,
44 ans, est le chef de file des cannabis social clubs. Il y a 1 mois, il
a crée officiellement l’association des cannabis social clubs français
(CSCF). Dans les colonnes de Libération, il estime qu’ “une action
répressive du gouvernement serait intenable politiquement”, il a
pourtant était condamné a 8 mois de prison avec sursis pour pos-
session de cannabis. A Marseille, un CSC a déclaré son existence en
préfecture il y a quelques semaines. Comme les vingt autres en
France qui ont pris ce risque, ils sont suspendus aux différentes dé-
cisions de justice.
Damien est un jeune marseillais de 22 ans. Il a décidé de se mettre
en danger pour faire avancer le débat. “Pour l’instant il s’agit d’un
petit groupe de trois. Mais nous n’avons pas comme certains pris le
risque de commencer à cultiver. Mais on essaye de faire avancer les
choses, de créer un débat au niveau national et local”. Pour ces mem-
bres, la solidarité est quelque chose d’essentiel dans le mouvement
: “le principe c’est qu’on est tous ensemble, si on tombe, on le fait en-
semble”. Damien espère aussi pouvoir échapper comme beaucoup
au marché noir du cannabis et ses réseaux mafieux.
William gOUTARD
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Canebière Cannabis

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Canebière Cannabis

  • 1. C A N A B S I Là où on ne nous attend pas... CANEBIERE • Paroles de• Paroles de fumeursfumeurs • Trafics• Trafics • Douanes •• PressePresse • Histoire FUMéES  TUES • Règlements• Règlements de comptesde comptes • Santé• Santé • Conso• Conso • Economie• Economie • Légalisation• Légalisation • Reportages• Reportages •• LivresLivres
  • 2. 2 L’ÉDITO Pétard de sort ! Marseille se calcine… Monte une envie de s’en prendre au destin. Pétard de sort, d’en finir vraiment avec ces pétards rebaptisés Kalach pour faire genre, ces règlements de compte à dix balles, ces palmarès hebdo- madaires, mensuels, annuels, compta morts vio- lentes. Monte une envie de se mettre en pétard, de parler fort, de dire assez ! Monte une envie de s’étonner. Tout ça pour ça, pour ce produit interdit en vente partout et qui lui aussi fini par se mettre en boule, se rouler en pétard. Monte une envie de le dire autrement, de revenir au bon français. Alors va pour “putain de destin !”, ou alors pourquoi pas, et sans trop y croire, s’en remet- tre au catalan, puisque dans cette langue “sort” veut dire enfin “bonne chance”. Monte une envie… de parler d’autre chose. Tiens, pourquoi pas de poésie avec Rimbaud mort en 1891, lui aussi anonyme, dans la belle Phocée. Qu’Arthur nous pardonne, mais aujourd’hui son “dormeur” ne serait plus du “val” mais bel et bien citadin et du “van”. Par contre il serait toujours… Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue. Les pieds dans sa bagnole, il fait un somme… Les embruns ne font pas frissonner sa narine. Il dort dans le soleil, la main sur la poitrine. Tranquille ! Il a entre deux et vingt trous noirs au coté droit. Olivier VERgniOT Journaliste, chargé de cours à L’IEJ Marseille et les “journalistes en herbe” en 2e année Mag/IEJ 03 Histoires Etymologie et histoire de la Canebière, com- merce de chanvre 05 Livres Michel Henry, François Missen, Elina Feriel... Ils écrivent sur le cannabis 08 Presse Presse nationale/Presse régionale : Comment traitent-ils le sujet du cannabis à Marseille ? 09 Police/Douanes Traque aux stupéfiants 12 Conso Portraits de consommateurs 16 Médecine Le cannabis thérapeutique 18 International/Economie Un marché complexe 20 Roman Génération H Alexandre Grondeau : analyse et interview 21 Immersion Plongée dans les cités 22 Portrait Entretien avec Cédric Fabre, auteur de Marseille’s burning L’équipe Rédactrices en chef : Andréa Dubois et Tiffanie Bonneau Equipe de rédaction : Thomas Acariès, Emy Assouline, Estelle Bar- lot, Estelle Cantone, Iris Cazaubon, Loic Chalvet, Steve Claude, Loise Delassus, Kevin Derveaux, William Goutard, Elise Lasry, Guillaume Lopez, Manon Mathieu, Thomas Maroto, Marion Monaque, Sandra Moutoussamy, Elisa Philippot, Florian Saintilan, Younes Tigheght, Romain Truchet, Alexis Verdet, Simon Viens.
  • 3. N 3 HISTOIRES Can ebière - Cannabis Canebière, véritable symbole marseillais. “Elle est née, a grandi, s’est transformée”, comme le dit Adrien Blès, la rue la plus célèbre de Marseille n’a pas toujours été l’artère touristique et culturelle qu’elle est aujourd’hui. 400 ans plus tôt, celle qui se jette sur le Vieux Port était réputée pour être l'un des plus grands comptoirs de chanvre au monde. T out comme Rome, La Canebière ne s’est pas faite en un jour. Aujourd’hui, longue d’un kilomètre, elle part de l’église des Réformés pour se déverser dans le Vieux Port. C’est au Xe siècle que l’on retrouve les premières traces écrites du lieu. L’endroit était tout d’abord connu sous le nom de plan Fourmiguier, une zone marécageuse à l’em- placement de l’actuel “Quai des Belges”. C’est en 1672 que le nom de Canebière apparait pour la première fois dans les archives, (juste après la destruction des remparts de la cité). En fait c’est quelques années plus tôt, qu’un plan d’urban- isme, relatifs à l’agrandissement de la ville, prévoit la créa- tion d’une promenade publique, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Canebière. Une artère connue dans chaque hémisphère A cette époque la future célèbre avenue, ne fait que 250 mètres de long et 11 mètres de large. Elle prend fin au niveau du cours Belsunce. Au delà, l’avenue est alors divisée en une multitude de petites rues. “Cours Saint Louis”, “Les allées de Meilhan” et “rue Noailles”. Cette dernière, subsiste jusqu’en 1861, avant d’être englobée par l’artère phocéenne, afin de la faire communiquer avec les allées de Meilhan (Allées Gambetta). le cours Saint Louis a eu une très grande importance, dans l’histoire de la Canebière. En effet, c’est à son croisement avec le Cours Belsunce et l’avenue, que se situe le point zéro (calcul des distances) de Marseille et le commencement de l’artère. Jusqu’en 1927 la numérotation de l’avenue se faisait du cours et non du quai des Belges comme aujourd’hui. Plus tard, c’est dans un soucis d’élargissement de la rue, que les allées de Meilhan sont devenues parties intégrantes de La Canebière. En effet d’importants travaux d’élargissement ont lieu à par- tir de 1857. Le Conseil municipal adopte le projet “à 30 mètres” et décide que la nouvelle artère sera dans l’axe du boulevard de la Madeleine, aujourd’hui boulevard de la Libération. Pour ceci, des démolitions sont effectuées au niveau du cours Saint Louis, la première maison est touchée en 1860. De nombreuses modifications ont ensuite lieu au fil des an- nées, pour une rue toujours plus grande et imposante. Enfin, c’est en 1927, que La Canebière prend la forme qu’on lui connaît aujourd’hui, 30 mètres de large, plus d’un kilomètre de long . C’est également à ce moment, que le conseil mu- nicipal décide de supprimer le mot “rue”, à l’instar de la cap- itale. Si depuis les évolutions n’ont été que mineures, les Champs Elysées marseillais n’ont peut être pas fini de se transformer, d’évoluer au rythme de la ville. guillaume LOPEZ
  • 4. 4 Alors La Canebière, véritable terre mère de la culture et du com- merce du chanvre ? Pour s’en assurer il est naturel et évident de s’intéresser à l’origine du nom de l’artère marseillaise. Bien des chercheurs d’étymologie se sont exercés sur ce nom. L’orthographe de la célèbre rue marseillaise a connu quelques modifications entre le XVI- Ième et le XIXème siècle pour des conflits de racine latine et provençale. Ainsi, En 1784, le nom de la rue, qui ne porte qu’un “n” est gravé aux an- gles des rues. C’est en 1857 qu’on découvre sur les plaques de porcelaine le toponyme “Cannebière” avec deux “n”, les édiles ayant voulu reprendre la racine latine de “Cannabis”. Finalement, la première orthographe est rétablie en 1927 afin de respecter l’origine provençale “Canebe” du chan- vre. Le toponyme “Canebière” est également l’équivalent du français “chènevière”, à savoir un champ de chènevis, nom donné à la graine de chanvre, de la famille du cannabis. Qu’elle prenne un ou deux “n” La Canebière rappellera toujours le lieu où l’on entreposait le chanvre pour la fabrication des élingues et autres cordages, fabriqués sur place par les cordiers. Tiffanie BOnnEAU Quand Marseille tirait sur la corde Jusqu'au XIXème siècle, les corderies occupaient une place importante dans l'économie marseil- laise. Rechercher le lien historique entre le nom de la célèbre Canebière et le chanvre mène di- rectement à cet artisanat. C'est à partir du XIIIème siècle que les archives de la chambre de commerce révèlent une activité in- tense des corderies. La clientèle des cordiers marseillais va alors, du simple pêcheur à la ma- rine royale, en passant par les navires de com- merce. Les cordes en chanvre tressées à Marseille avaient très bonne réputation. Et qui dit production haut de gamme dit matière pre- mière de qualité. Les cordiers importaient donc d'Italie et d'Autriche le meilleur chanvre de l'époque. Un document des archives de la cham- bre de commerce atteste que 600 balles de chan- vre (environ 50 tonnes), sont importées du Piemont au cours de l'année 1543. A la fin du XVIIème , suite à l'agrandissement de la ville, les cordiers s'installent sur l'espace laissé libre par la destruction des remparts (le bas de l'actuelle Canebière). Comment justifier ce déménage- ment? Difficile de recueillir un témoignage d'époque. Certes... En revanche la proximité de l'arsenal des galères, un gros client des corderies, peut justi- fier le choix du nouvel emplacement. Mais Pierre Echinard, historien et membre de l'Académie de Marseille, souffle une autre hypothèse... Selon lui, l'humidité du lieu serait respons- able de la décision des cordiers. Le bas de La Canebière (l'actuel Quai des Belges) était à l'époque une zone marécageuse alimentée par des ruisseaux qui descendaient de Longchamps et formaient des flaques d'eau stagnante le long de la rue. Or, dans le travail du chanvre, une étape consiste à faire macérer les tiges pour en faciliter la sépara- tion des fibres sur toute la longueur (le rouis- sage). Les cordiers utilisaient l'eau qui stagnait sur La Canebière pour réaliser cette opération. Pour Pierre Echinard, c'est donc la proximité de l'eau qui a motivé les cordiers à s’installer sur La Canebière. Juste un instant, tentons d'imaginer cette fameuse artère sans voiture ni métro, deux fois moins large... Au loin l'arsenal des Galères qui résonne dans le port. De part et d'autre de la rue, des quantités as- tronomiques de tiges de chanvre jonchent le sol et macèrent dans l'eau stagnante. Une odeur forte s'en dégage. Et au premier plan, un cordier qui s'échinent à tresser les fibres... Le lien historique entre le nom de La Canebière et le Cannabis est sous nos yeux. Kevin DERVEAUX - Du chanvre “made in Marseille” ? Il est certain qu’on importait de grosses quantités de chanvre sur La Canebière au XVIIème siècle, mais l’artère marseillaise avait-elle ses propres champs de chanvre ? Nous avons posé la question à Pierre Echinard, historien et membre de l’Académie de Marseille, et Jean Contrucci ancien journaliste de La Provence. “Je ne pense pas qu’il y ait eu à Marseille même une culture du chanvre […] En tous cas, s’il y a eu du chanvre cultivé en Provence, ce n’est cer- tainement pas sur la Canebière”, déclare Jean Contrucci. Pierre Echi- nard reste, lui, très évasif sur le sujet : “Je ne pense pas que ce soit allé jusqu’à la culture de chanvre sur La Canebière, cependant rien ne le prouve, et rien ne le réfute.” L’énigme de possibles cultures de chanvre aux alentours La Canebière reste donc intacte, pour le moment… T.B. - Entre chanvre et chanvre. Bien qu'il existe aujourd'hui une mul- titude de variété de chanvre, naturelles ou hybrides, on peut les classer en deux grandes familles : le chanvre dit “agricole”, plus riche en fibre ; et le chanvre dit “indien” à haute teneur en tétrahydrocannabinol (THC). Depuis le XXème siècle lorsque l'on parle de cannabis, on fait souvent référence au chanvre indien, utilisé pour ses pro- priétés psychotropes. Mais depuis l'an- tiquité, la fibre du chanvre agricole est exploitée dans deux nombreux do- maines comme la fabrication du papier, de cordage, de vêtement, d'huiles et même de billet de banque. Toujours cultivée en France, le chanvre agricole est aujourd'hui utilisé notamment dans l'industrie textile ou dans la construc- tion, comme isolant. K.D. HISTOIRES - 22 livres le quintal ! En 1756, selon un arrêt du Roi, le chanvre importé du Royaume, no- tamment de Bresse, Auvergne ou encore de Bourgogne était au prix de 22 livres le quintal. Il est aujourd’hui très compliqué de retrouver la valeur précise de la livre de France en euros. Mais une chose est sûre, le prix du chanvre a quelque peu augmenté aux alentours de La Canebière. g.L - Pousse-toi que je m’y mette Avec le développement de l’arsenal des galères à la fin du XVIIème siècle, les cordiers sont contraints de déménager de leur emplace- ment (actuel Quai des Belges et Quai de Rive-Neuve). Pour les arti- sans du chanvre il était impensable de quitter la Canebière et ses ruisseaux si propices à la macération des tiges de la plante. Pour se faire entendre, les fabricants cordiers se sont unis et ont mené une longue bataille épistolaire (comme en témoigne la lettre d’époque, ci-jointe) avec la chambre des Commerces de Marseille pour récupérer un emplacement digne de ce nom. Finalement, les cordiers seront déplacés au sud de l'arsenal, où fut construite une nouvelle corderie qui donna son nom au boulevard de la Corderie. T.B - “Cane…Cane…Caneb” Tellement chère au peuple phocéen, l’artère principale de la ville est très présente dans la culture populaire du midi. Avec notam- ment une désormais célèbre chanson. Ecrite par Servil et composée par Vincent Scotto en 1935, la simple ”Canebière” est un véri- table honneur fait à l’incontournable av- enue. Interprétée par Alibert, “Elle est la capitale des marins de l'univers” et le restera sans doute encore longtemps dans l’âme des marseillais. Elle résonne encore dans les tribunes du stade Vélodrome, scandée comme chant d’encouragement. g.L.
  • 5. 5 LE H AU PIED DE LA LETTRE “Savoir relativiser le danger des drogues” Michel Henry est journaliste à Libéra- tion depuis 1985 et s’intéresse de près aux faits de société. En 2011, le reporter a écrit “Drogues pourquoi la légalisa- tion est inévitable”, un essai dans lequel il dénonce la prohibition du cannabis appliquée en France… Avec la légalisation du cannabis, ne craignez-vous pas une explosion de la consommation? C'est possible. Mais on ne sait pas tant qu'on ne l'a pas fait. On a des exemples étrangers: le Portugal a dépénalisé l'usage en 2001 sans constater d'augmentation de la consommation. Aux Pays-Bas, la vente de cannabis est tolérée dans les coffee-shops depuis presque 40 ans, et en proportion de la population, il y a moitié moins de fumeurs qu'en France, où c'est interdit. L'idée, c'est que si on légalise, on récupère l'argent auparavant dépensé en vain pour la répression et on l'utilise pour des cam- pagnes de prévention, actuellement inexistantes en France. Le cannabis doit-il être différencié des drogues dures ? Bien sûr. Il n'y a pas d'accoutumance autre que psychologique, pas d'overdose possible. Certaines personnes fument du cannabis pendant des années sans que cela leur cause de prob- lème sérieux. Cela ne signifie pas que c'est sans danger mais il faut savoir relativiser les dangers des drogues. Qu'apporterait la légalisation du cannabis au point de vue économique en France ? L'Etat économiserait des centaines de millions d'euros dépen- sés en pure perte chaque année dans la répression. Le système judiciaire serait désengorgé de toutes les petites affaires de stupéfiants qui l'encombrent quotidiennement. Policiers et gendarmes pourraient se consacrer à des taches plus impor- tantes que la chasse au fumeur de joints. Les règlements de compte mortels autour du trafic diminueraient. La vie dans certaines cités rendue impossible par le deal pourrait changer. Economiquement, un nouveau secteur productif serait en place, avec des emplois créés. Si on ne légalise pas le cannabis, est-ce avant tout une question de morale? De préjugés. Beaucoup d'élus savent que l'attitude actuelle est idiote et hypocrite (ne serait-ce que parce que beaucoup ont certainement eu une expérience avec le cannabis par exemple) mais ils pensent que l'opinion publique serait défavorable à toute avancée. Ils ont tort. En fait, ils devraient faire un effort d'explications vis-à-vis du public. En Suisse, les citoyens ont voté à 66% pour la distribution gratuite d'héroïne à certains toxicomanes, une fois qu'on leur a expliqué l'intérêt de la chose. Durant la dernière campagne, la légalisation du cannabis n'a pas été au centre des débats, comment l'expliquez-vous ? Parce que tout le monde a peur de ce sujet. La gauche a peur de passer pour laxiste. La droite pense qu'il faut se montrer dur. En fait, la question des drogues permet aux politiques de rouler des mécaniques et de faire croire qu'ils peuvent encore jouer aux durs: ils n'ont plus d'influence sur la vie économique, sur la finance internationale, ne peuvent pas grand-chose con- tre le chômage, mais dans toute cette impuissance ils peuvent grâce à une politique répressive sur les drogues illégales pré- tendre qu'ils sont en mesure d'exercer leur pouvoir. “Avec la légalistation, l’état économiserait des centaines de millions d’Euros” La légalisation du cannabis serait-elle un moyen de mettre fin au trafic ? Bien sûr ce serait une manière d'améliorer la situation même si tout ne serait pas réglé, puisque même dans un système lé- galisé, il reste un trafic. Aux Pays-Bas, où l’on vit sous un régime de tolérance, la moitié du marché du cannabis passe encore par le trafic illégal, selon les estimations. Ce qui veut dire aussi qu'on a au moins réussi à faire passer l'autre moitié dans le sys- tème "légal". La France doit-elle prendre exemple sur les Pays-Bas et le système des coffee-shop ? Peut-être. C'est une voie. Mais les Pays Bas sont dans un sys- tème hybride: si tout majeur a le droit de s'acheter jusque 5 grammes de cannabis, le coffee shop qui le lui vend n'a lui pas le droit de s'approvisionner. Ce qui signifie que ce cannabis qu'il vend légalement, il l'achète illégalement. Une hypocrisie qui s'explique par le fait que le pays n'a pas voulu légaliser la production. Même si le Parlement avait par deux fois voté cette mesure, le gouvernement a refusé de la mettre en place de peur d'une réprobation internationale qui aurait été néfaste à ses intérêts commerciaux. MICHEL HENRY - JOURNALISTE À LIBÉRATION
  • 6. 6 Certains états des Etats-Unis ont légalisé le cannabis, d'autres ont une politique très stricte à ce sujet, le pays peut-il être le premier à faire bouger les choses à travers le monde? Bien sûr, les Etats-Unis sont les gendarmes du monde en la matière sur la planète, qui vit depuis les années 1970 sous le régime de la "guerre à la drogue" introduite par Nixon. Donc, s'ils bougent, ça aura forcément un impact énorme partout. Mais leur situation est paradoxale: d'un côté, certains Etats lé- galisent, de l'autre, les prisons sont pleines de gens poursuivis pour trafic de stups (au moins 500 000 personnes). Le système le plus répressif cohabite avec des situations très contrastées: notamment avec la légalisation du cannabis thérapeutique, un énorme "cannabizness" s'est mis en place dans certains Etats. Dans quel but avez-vous écrit ce livre? Avez-vous eu des réactions de politiques depuis? Pour combattre l'hypocrisie générale et donner les bases factuelles d'un débat. Des réactions? Peu. Les positions restent malheureusement figées. Mais on ne perd pas espoir… Propos recueillis par Estelle BARLOT (*) Michel Henry – Drogues : Pourquoi la légalisation est in- évitable- Editions Denoël LE LiVRE De son propre aveu, Michel Henry n’a “jamais consommé de stupéfiants”. Un détail qui n’a cependant pas empêché ce journaliste à Libération d’écrire en 2011 un essai inti- tulé Drogues : pourquoi la légalisation est inévitable. En quatre grands chapitres, il y dresse le bilan d’un échec de 40 ans de guerre contre la drogue, dénonce les dangers de la prohibition, l’inaction des politiques français mais aussi l’irrationalité qui consiste à autoriser l’alcool et le tabac tout en interdisant le cannabis, pourtant bien moins nocif. L’auteur fait également le tour d’horizon des pays étrangers sans oublier d’appuyer ses propos à l’aide de différents intervenants tels que policiers, médecins ou en- core politiciens. Et même si le titre de son livre peut laisser penser le contraire, dans sa conclusion, Michel Henry reste lucide quant aux chances de voir une légali- sation prochaine du cannabis “Tous ceux que cette per- spective effraye peuvent malgré tout se rassurer : ce n’est pas pour demain”. LégALiSATiOn ET DéPénALiSATiOn : QUELLE DiFFéREnCE ? Légaliser, consiste à organiser un marché régulé d'une drogue, comme l'est le tabac par exemple: on autorise la vente, sous certaines conditions (pas de vente aux mineurs, une quantité maximale par personne, pas de publicité, des points de vente contrôlés et réglementés en dehors desquels le commerce est interdit, etc). Dépénaliser, c'est ne plus poursuivre pour usage de drogues. Le consommateur a droit à une quantité mini- male légale pour laquelle il ne sera pas poursuivi. Mais la vente des drogues reste interdite. E.B. Marseille capitale européenne de la culture. La cité phocéenne met la barre haute pour satisfaire touristes et habitants venant profiter de son soleil et de sa chaleur sous le regard bienveillant de la Bonne-Mère. Mais derrière le sea, sex and sun se cache un côté sex (surtout) drug and rock n’ roll. L a drogue, une thématique dans les médias souvent présentée de manière identique. Règlements de comptes, violence, trafics en tous genre, tirs de Kalachnikov, caïds abattus… Toute une mayonnaise qui a tendance à agacer Philippe Pujol, journaliste à La Marseil- laise. “On parle autant de Marseille parce que tout a été fait pour. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, certains élus PS locaux ont volontairement dramatisé la situation pour remettre en question sa politique sur l’insécurité”. Denis Trossero, à la tête du service faits-divers de La Provence voit cela de manière différente. “Il y a beaucoup de journal- istes à Marseille, donc une caisse de résonance supérieure à d’autres villes, un pouvoir d’attraction inégalé également”. En dehors du “mythe” construit et adopté par les médias, l’approche du fait-diversier de La Marseillaise se veut dif- férente. “Contrairement aux journalistes de La Provence, je ne pars pas sur le terrain pour servir aux lecteurs ce qu’ils souhaitent entendre”. Explique Pujol. Un sujet connu et mé- connu à la fois, composé de beaucoup d’idées reçues. “On Marseille vue Trafic de drogue et règlements de compte, Marseille fait couler beaucoup d’encre. Mais qu’en dit la presse nationale ? Envoyés spéciaux, correspondants, re- porters ; nous avons cherché à rencontrer ceux qui, depuis Paris, traitent « notre » actualité brulante. Paris Match, le Nouvel Obs, ou encore Libération, possèdent des journalistes « affectés » à une ville précise. Pour Paris Match, à Mar- seille, il s’agit d’Emilie Blachère. Une journaliste reporter qui vit à Paris mais « descend » de temps en temps, pour des enquêtes. Libération a mis toutes les chances de son côté. Olivier Bertrand, correspondant à Marseille pour Libé, est un habitué des grandes villes. Plus facile à localiser, il a bien voulu nous rencontrer… Journaliste à Paris puis correspondant à Lyon, Olivier Bertrand est arrivé à Marseille en 2011. Il avoue privilégier les longues enquêtes aux réactions à chaud : « j’essaie autant que je peux de prendre du recul, de mettre les choses en perspective, de ne pas coller trop le nez dans le guidon de l’actualité ». L’intérêt pour le journaliste étant d’amener une information supplémentaire, contrairement à la PQR, LE H AU PIED DE LA LETTRE
  • 7. 7 peut traiter cette thématique de mille façons différentes. La drogue et le trafic…un vieux sujet marseillais”. Expose le jour- naliste de La Provence. Tout commence par les femmes A la Marseillaise, “le but est d’aller chercher ce qui n’est pas vis- ible et de faire avec ce qu’on veut bien nous donner”. Ces quelques “fuites” qui ne risqueront jamais de mettre en péril les concernés et leurs affaires. “Tout se base sur une relation de confiance entre le journaliste et son contact”. Sur ce point, les deux journalistes s’entendent. Une fois acquise, hors de ques- tion de la trahir, sous peine de se discréditer, non pas auprès d’une personne, mais avec tous. Une relation solide ne se con- struit pas en un jour, plusieurs années sont parfois nécessaires. Tout commence par les femmes. Ce sont elles qui, en temps que spectatrices au premier rang, détiennent toutes les informa- tions sur le réseau. Comment vont les enfants, où en est la grossesse… des discussions bien loin des trafics et du deal. “Il faut parler avec elles et s’intéresser sincèrement aux probléma- tiques et aux sujets qui animent leur quotidien”, raconte Pujol. Créer une complicité. Si elles ne prennent pas part au com- merce de drogue, elles-en connaissent les principaux protago- nistes et les protègent. De fil en aiguille, des confidences et des recommandations. Alors on modifie, on camoufle, un 30 ans qui devient 26, un Toufik qui se change en Christophe… Autant de stratagèmes littéraires nécessaire à la préservation du lien entre le journaliste et ses sources, sans jamais mentir sur le fond. A l’évocation de la fameuse “loi du silence”, les faits- diversiers sont tous deux d’accord. “Bien sûr qu’il y en a une. Je te raconte ça mais tu dis rien, je t’en parle mais je n’existe pas… C’est comme ça”. Autre élément avec lequel jongler, le contact avec la police. Les approches diffèrent. Philippe Pujol ne se ”contente pas des informations que les policiers donnent”. Et privilégie le contact avec les personnes concernées. “A la dif- férence de Denis Trossero, je ne me rapproche pas vraiment des préfets de police et tout le ramdam. Serrer des mains, ce n’est pas mon truc” Le spectre de Tony Montana Entre ombre et paillettes, la question est de trouver un juste milieu. Il n’est pas question de descendre en flèche le trafic dans les cités ni de le changer en un petit monde tout doux. La problématique existe et les règlements de comptes sont eux aussi présents. Mais encore une fois, où est le mythe, où est la ‘réalité’ aussi impossible soit elle à donner. « Les règlements de comptes, c’est compliqué. Souvent ce sont des guerres de territoires et des histoires d’argent. » Eclaire Philippe Pujol. Denis Trossero complète, “Aujourd’hui il n’y a plus vraiment de grosses pointures. Ce sont des jeunes qui aspirent à grimper dans le réseau avec des rêves de réussite, qui hélas s’achèveront sou- vent par la prison, ou ce que j’appelle, l’accident du travail”. Car c’est bien des jeunes dont il est question. “Ces règlements de comptes faits à coups de ‘Kalach’, ce ne sont pas les gros qui s’entretuent. Ceux-là sont plus réfléchis et n’auront aucun scrupules à approcher leur cible, suffisamment pour leur tirer dessus avec un 9 mm”. Ici, les caïds ne se donnent que l’illusion d’être forts et tout puissants en maintenant la gâchette à bonne distance tandis que leur fusil vomit des rafales de balles. Le paraître. Un cercle vicieux au sein des cités où le spectre de Tony Montana plane au dessus de ces ados pour la plupart un peu perdus. “Ils ne connaissent que ça, le deal et les coups”. Ter- mine Pujol. “Pour sûr ça fait rêver de mener la belle vie entouré de belles filles… Mais ce mythe reprit par la presse pour rassurer les lecteurs est très loin des véritables problématiques qui en- tourent le sujet”. Elisa PHiLiPPOT Zoom sur... La presse régionale par la presse nationale qui apporte « des éléments de compréhension du jour au lendemain». Libération semble avoir pris le parti d’analyser plutôt que de réagir : « En règle générale j’essaie de prendre un petit peu plus de temps. Quelques jours, quelques semaines s’il le faut même des fois quelques mois, cela arrive ; pour essayer de comprendre un petit peu mieux les choses ». Olivier Bertrand explique pourtant : « Il peut arriver que dans la nuit nous apprenions la mort d’un jeune, et que le lendemain, voire le surlendemain, je publie un papier d’une page. Cela m’est arrivé il n’y a pas très longtemps. Dans ce papier j’ai essayé d’expliquer les causes des rajeunissements des jeunes hommes impliqués dans des réseaux de stups. » Ce « parigot » comme on dit à Marseille, semble s’être bien intégré à sa ville d’adoption. Né en banlieue Parisienne, il n’a pas eu de mal à comprendre le fonctionnement d’une ville gangrénée par le trafic de cannabis. Pour lui « ce n’est pas plus compliqué pour un Marseillais que pour un non Marseillais, d’obtenir des informations, parce qu’un journaliste qui commence à Marseille aura rarement des sources plus « utiles » dans les cités ». Il suffit simplement, pour Olivier Bertrand, de se construire un réseau solide dans la ville. Un bon réseau passe, selon lui, par une « relation de confiance ». Avec les trafiquants qui ouvrent leur porte pour des enquêtes. Mais surtout avec la police : « Au fur et à mesure, on rencontre des policiers plus intéressants. Des relations se nouent avec certains d’entre eux, surtout lorsqu’ils s’aperçoivent que l’on retranscrit fidèlement ce qu’ils nous divulguent et que l’on garde les offs pour nous. ». Il en va de même pour les mag- istrats et les travailleurs sociaux. L’important étant de « respecter les règles ».Marseille ville de la drogue ? plus que Lyon en tout cas : « Ces villes sont extrêmement différentes ! D’abord sur le plan des règle- ments de compte parce que je n’ai quasiment aucun souvenir d’en avoir connu à Lyon. » il ajoute « Notamment parce que dans les ban- lieues Lyonnaises, ce sont de très grosses cités et non pas pleins de petites cités comme à Marseille. Elles sont très structurées et très tenues par les réseaux de drogue. Les rivalités sont gérées par les grands voyous, sans que ça tire à la Kalachnikov. » D’une manière générale, Olivier Bertrand et ses collègues déplorent une certaine difficulté de se rendre dans les cités pour des enquêtes de terrains. Andréa DUBOiS LE H AU PIED DE LA LETTRE
  • 8. 8 Marseille et ses TRAFICS feuille à feuille… Marseille, La Canebière, son cannabis, ses quartiers, ses complexités… Cette année encore la cité phocéenne a inspiré tout un lot d’au- teurs. Sélection de trois livres enquêtes/té- moignages sur la drogue et les mafias. Marseille Mafias, Marseille Connection, Au bout de la vio- lence (respectivement de José d’Arrigo, François Missen et Elina Feriel). Les titres claquent mais les histoires racontées sont moins brillantes. Ecrits de journalistes du cru et d’une ancienne fille des quartiers, Marseille sans éclat, mise à nu. M arseille, la drogue, un problème qui ne date pas d’hier. Dans Marseille Connection le journaliste François Missen se rep- longe quarante ans en arrière, époque où déjà il avait suivi le combat des autorités contre “l’hydre mafieuse de l’héroïne locale”. L’auteure d’ Au bout de la violence Elina Feriel se rappelle aussi de ces années 80 comme l’ “âge d’or” de l’héro. Originaire du “terre-terre” expression qui signifie que l’on est né ou que l’on vit dans les quartiers Nord, elle livre sans détour le témoignage poignant de son parcours dans la cité, émaillé de souffrances et de deuils. La “cité” lui a pris les trois “hommes de sa vie”. Tous sont morts sous les balles, victimes des violences liées de près ou de loin aux trafics. Elina s’est retrouvée veuve à 27 ans. Son mari, Sabri, épousé à la sortie du lycée, avait monté un important trafic de cannabis. Elle raconte l’ascension de Sabri, l’argent de la drogue, les combines pour le blanchir. Elle ex- plique les territoires, l’entrée dans la cours des grands, avec les “amis” de la mafia, les services à rendre, la peur pour son mari. Un récit qui met une réalité, un quotidien derrière les chiffres de la drogue, ceux en euros ou en tombeaux. Ces chiffres ont les retrouves dans Marseille Mafias signé de José d’ Arrigo. Le journaliste livre un ouvrage clair et bien documenté sur la situation actuelle des trafics à Marseille. De nombreuses interviews appuient un regard sans concession et un bilan sombre porté sur la cité phocéenne. L’état déplorable de Marseille “part du sommet, le scandale du conseil général, les subventions factices du conseil régional aux associations de quartier, en passant par tout le reste : trafic de drogue […]” constate José d’Arrigo. Une toile de mafia étouffe la belle Massilia jusque dans ses associations censées relever la “misère so- ciale”, ce dont témoigne aussi Elina Feriel dans Au bout de la violence. La mise en place de nouveaux équipements stades etc dans les cités ne suffit pas à faire changer les mentalités. Paradoxalement “dans la plupart des secteurs, la drogue et le commerce de la drogue sont de- venus le seul tissu social et de solidarité” affirme José d’Arrigo. Elina Feriel fait le même constat. Dans la tête des jeunes des cités entre le décrochage scolaire, le racisme à l’embauche et la crise, “la drogue c’est LE moyen de s’en sortir”. Et la police dans tout ça ? Pour nos auteurs l’échec est flagrant sur tous les tableaux et sans être manichéen “il y a des policiers qui font leur boulot” concède Elina Feriel. Cependant les “flics ripoux” courent aussi les rues de la cité. José d’Arrigo pointe le manque de moyens. Ce qui ressort c’est que les policiers sont au courant et dépassés quand ils ne sont pas hypocrites et complices. Alors que faire ? Le souvenir du “héros” s’impose comme l’exemple à suivre. Celui du commissaire divisionnaire Marcel Morin : l’homme qui a éradiqué la “french con- nection” dans les années 70. “Il suffisait de vouloir” écrit José d’Arrigo. François Missen retrace la croisade du policier, l’homme phare de son livre, les moyens policiers et judiciaires mis en places à l’époque. Elina Feriel évoque d’autres solutions légalisation, intervention de l’armée. Le sale bilan posé, pour ces auteurs une question reste : l’Etat tient il réellement à régler le problème. Pour Elina Feriel et José d’Arrigo l’insécurité semble toujours bonne à exploiter en politique. En atten- dant on continuer d’aller “toucher”, tranquille, sous les yeux de la bonne mère. On y vient prier pour les morts et remercier pour le busi- ness. Marion MOnAQUE LE H AU PIED DE LA LETTRE
  • 9. 9 Mais que fait la Douane? E xiste-t-il aujourd’hui une redondance quant au rôle des douanes face aux brigades de police et de gendarmerie, d'ores et déjà spécialisées dans la lutte contre le trafic de stupéfiants ? Avec l’apparition de la douane “volante”, particulièrement ac- tive sur nos autoroutes et dans les zones frontalières, il est dif- ficile d’appréhender dans le tentaculaire système administratif français la place des douaniers dans les opérations an- tidrogues. “Mais il ne faut pas voir la multiplication des services comme un mauvais dispatche”, explique Sophie Hocquerelle, re- sponsable du service presse pour les Douanes françaises. “Il existe en matière de lutte contre le trafic (de cannabis, ndlr) une véritable complémentarité entre les ‘stups', la gendarmerie et la volante.” à chacun ses trafiquants Une complémentarité exemplaire… en théorie. En pratique, si policiers, gendarmes et douaniers coopèrent plus ou moins de bon cœur, il n'en demeure pas moins un clivage sectoriel sur le terrain, parfois sur fond de “guerre” – auquel chacun préfère le terme “challenge” – pour rapporter la plus belle prise. Chaque service a son rôle à jouer et ses cibles préférées : la BAC (Brigade Anti Criminalité), dealers des grandes villes et des cités, les “stups'” (brigade des stupéfiants), démantèlements de trafics en place, et la Douane aux “livraisons”. Qu'elles soient maritimes, par l'acheminement clandestin de containers remplis de drogue, aériennes, via le système de fret ou routières, par le très en vogue système des “go-fast”, les en- trées de feuilles, plans ou résine de cannabis sur le sol français restent la priorité des services de Douanes. “Les méthodes ont changées, les équipements ont changés, les trafiquants aussi ont changés, plus armés et beaucoup plus dangereux... Mais frontal- ière ou volante, la douane était et reste aujourd'hui encore le premier rempart contre les trafics”, insiste Sophie Hocquerelle. De nouvelles méthodes qui ont permis aux douanes de saisir en 2012 près de 20 tonnes de cannabis, pour un total de 48 millions d’euros de marchandise. Un mauvais ordre des priorités ? Si le cannabis est devenu presque monnaie courante dans les grandes villes (escalade de la violence, guerres de territoire et règlements de comptes entre dealers en prime), il est essentiel de mettre en perspective ces réseaux clandestins avec ceux d’autres types de trafics, bien plus mortels encore. Comme le soulignent eux-mêmes les douaniers rencontrés, “le cannabis, c’est 75% des saisies de stupéfiants, mais même pas un quart des recettes pour les trafiquants”. Là où politiques et citoyens ré- clament toujours plus de résultats dans la lutte contre le cannabis, peut-être serait-il donc aujourd'hui plus constructif de prendre conscience de l'ampleur de la tâche que représente pour tous les services de douanes et de police confondus la lutte contre la multitude de réseaux de contrebandes en tous genres. Armes, drogues dures et même trafic d’êtres humains, les douaniers avouent sans complexe prioriser ces combats “plus urgents et bien plus importants sur le plan sécuritaire”. Steve CLAUDE Depuis l'ouverture des frontières et la libre circulation au sein de l'UE, les services des Douanes ont vu leur organisation et leurs méthodes de travail radicalement changer. Mais quel est concrètement aujourd'hui le rôle des Douanes françaises dans la lutte contre le trafic de cannabis ? Des postes frontières à la volante Deux dates clés sont à citer dans l'évolution des Douanes : le 1er janvier 1993 et le 26 mars 1995. Correspondant respective- ment à l'ouverture des frontières puis à la libre circulation au sein de l'espace Schengen, ces deux événements – qui divisent aujourd'hui encore la classe politique – ont entraîné dans leur sillage la disparition du métier de douanier que chacun con- naissait jusqu'à lors. Fini les interminables files de voitures aux frontières et les fouilles systématiques à la recherche de marchandises de contrefaçon ou de contrebande. Mais pas question pour autant de licencier les centaines d'agents à l'époque en poste aux abords du pays. Sécurité oblige, l’État français décide dès 1994 de lutter contre les trafics en tous genres, dont le très lucratif trafic de cannabis, par la création d'une Douane mobile, dite “volante”. Très présente sur les autoroutes, cette brigade aux moyens considérables se veut le nouveau fer de lance des autorités, en réponse à la forte recrudescence des con- trebandiers suite à la suppression des postes de contrôle frontaliers. S.C. HALTE DOUANES
  • 10. 10 D epuis 2001, dans le cadre du plan Vigipirate les con- trôles douaniers dans la darse conteneur de Mar- seille-Fos se sont intensifiés. Certes il est difficile de déceler toutes les cargaisons douteuses étant donné le faible effectif d’officiers en comparaison du nombre de con- teneurs, mais leurs contrôles se veulent efficaces. Lorsque les douaniers ouvrent un conteneur, ils décèlent une fraude dans 50% des cas. “Tout est informatisé depuis 25 ans. Toutes les donnés des conteneurs sont entrés dans le logiciel Delta. Il fait une analyse du type de marchandise, de sa provenance, du pays et de la fiabilité de l’opérateur chargé du fret. En fonc- tion de ces mots clés, il nous signale une éventuelle fraude. Après on contrôle les documents pour vérifier si tout est en règle”, explique Frédéric Eymard, Inspecteur Régional ad- joint du bureau de Fos/ Port Saint Louis du Rhône. “Bien en- tendu, on est plus vigilant sur certaines filières comme l’Amérique du Sud.” Ce ciblage est fait par la brigade de Mar- seille, en cas de suspicion sur la marchandise, ils demandent par exemple aux brigadiers de Port Saint Louis du Rhône de fouiller le conteneur. “On le positionne dans un hangar et on camion le passe au camion-scanner. En fonction des images, on ouvre, on dépote quelques cartons pour vérifier s’il y a fraude. Si l’on trouve quelque chose, le conteneur est entièrement dépoté pour répertorier la saisie”, témoigne Sébastien Pons, Adjoint de la Brigade de surveillance externe de Port Saint Louis. Le port est une entrée sur Marseille, mais il n’est pas le point stratégique du trafic de cannabis. “Nos saisies ne sont pas énormes, le vecteur routier est privilégié. La résine remonte du Maroc par l’Espagne et elle est acheminée dans la région par les “Go-fast”. Cannabis en baisse, cocaïne en hausse Coté port, les saisies de cannabis sont en baisse, celles de cocaïne en hausse. En revanche les conteneurs sont de plus en plus utilisés comme test par les trafiquant en matière d’innovation de camouflage de marchandise illicite. Deux techniques sont employées : Le “Rip-off” qui consiste à dissimuler la came dans le fret, par exemple en Amérique du Sud ils mettent des carottes de cocaïnes à l’intérieur des trous de rondelles d’ananas, mises en conserves puis soudées. La seconde consiste à placer le paquet à l’entrée du con- teneur, les trafiquants n’ont plus qu’à ouvrir la porte et se servir. “Cette méthode implique un lien de connivence avec des personnes du site, mais aucune enquête n’a réussi à le dé- montrer pour l’instant (…) les dockers et la douane ne tra- vaillent pas en collaboration, eux se chargent de la manutention et nous de la surveillance des fraudes”, confie Frédéric Eymard. La dernière “grosse” saisie dans le port de Marseille re- monte à décembre 2012 : 74kg de résine de cannabis con- fisqués à l’arrivée d’un ferry en provenance d’Alger. Loïc CHALVET Port sous contrôle Chaque année, près d’un million de conteneurs transitent par le port de Marseille-Fos et… 180 douaniers sont mobilisés pour empêcher au mieux la circulation de la drogue dans le bassin méditerranéen. HALTE DOUANES
  • 11. 11 E n 2011, Manuel Valls lance sa réforme majeure les ZSP, Zones de Sécurité Prioritaire. “Des territoires ciblés dans lesquels des actes de délinquance ou d'incivilité sont struc- turellement enracinés” comme l’a défini le ministre de l’in- térieur. Dans la cité phocéenne, 6 arrondissements, qui contiennent les cités les plus sensibles, ont été classées ZSP. On en compte déjà une quinzaine en France, (une cinquantaine d’ici septembre 2013). Des zones où près de 2 millions de français vivent. Pour le Gouvernement, les ZSP c'est une autre manière de traiter la délinquance. “On cible un secteur, on analyse le type d'infractions qu'on y commet et on y met les moyens”. Justement, 3 millions d’euros ont été alloués à ces zones de sécurité prioritaire. Un apport qui a permis le dé- ploiement de plus de 200 policiers et gendarmes à Marseille, ainsi qu’un renfort de 240 CRS. Grâce à cette aide, Manuel Valls a mis en place une nouvelle stratégie d'occupation du terrain. Elle consiste à “bloquer les cités” avec des opérations “coup de poing”. Les forces de police se mettent en place dans les quartiers et montent la garde du- rant plusieurs jours, voir plusieurs semaines. Une présence qui permet d’endiguer le trafic de drogue sur du moyen terme. Une manière de faire plus dissuasive, en comparaison avec les opérations menées les années précédentes où les forces de l’ordre investissaient les caves et les halls de cité, le temps d’une journée. L’affaire de la Bac Nord a elle aussi poussé Manuel Valls à un remaniement en profondeur. Une affaire de corruption et de chantage dans laquelle 17 policiers se sont retrouvés im- pliqués. En réponse à ce marasme, Manuel Valls a dissout cette brigade. Mais le ministre de l’intérieur ne s’arrête pas la, il a aussi in- auguré en février le centre de supervision urbain (CSU) d’où l’on contrôle plus de 200 caméras qui scrutent les faits et gestes des habitants. Vols, dégradations, agressions, on en at- tend plus d’un millier d’ici la fin 2014. T.A. et F.S. Manuel Valls contre-attaque Le Gouvernement a lancé de nombreuses mesures pour combattre la violence à Marseille. Objectif principal : éradiquer les règlements de comptes, dans les cités, liés au trafic de drogue. Retour sur 8 mois de lutte. Parole aux habitants P our endiguer le trafic de cannabis qui gangrène certaines cités de Marseille, Manuel Valls s’essaye à une stratégie novatrice. Bloquer l’entrée de ces quartiers avec des unités de CRS. Les policiers occupent la zone avec des camions pendant plusieurs se- maines ce qui est censé empêcher clients et dealers d’opérer leurs transactions. A la cité de la Sauvagère, dans les quartiers Sud, les forces de l’ordre ont employé cette technique coup de poing durant deux semaines. Trois mois plus tard, on peut toujours se procurer de la résine ou même de l’herbe sans difficulté. Les “choufs” ont repris leur place, prêt à sonner l’alerte dès qu’un véhicule de la police est en approche. Tahagan habite au premier étage d’un des blocs situé à deux pas du point de vente. Il vit dans un trois pièces où il élève son fils de deux ans avec sa femme. Pour lui “la police n’a rien changé et ne changera jamais rien. Ils ont peut être arrêter la vente pendant deux semaines mais ça a repris de plus belle. Ce trafic est trop lucratif ils n’arrêteront jamais”. Ce qui inquiète le plus ce trentenaire, c’est l’éducation de son enfant. “Comment voulez vous que j’explique à mon fils qu’il faut aller à l’école alors qu’il pourrait faire de l’argent facilement avec eux. Ils emploient les jeunes très tôt dès dix ans parfois”. Une situation qui ne cesse d’empirer. Hélène réside dans le quartier depuis une ving- taine d’années. “Avant ce n’était pas comme ça”, se souvient-elle. “Ils ont commencé leur trafic il y a une dizaine d’année. Depuis tout a changé, ils dégradent et salissent tout. On ne se sent plus en sécurité surtout depuis la dernière fois”. “La dernière fois” dont Hélène parle, c’était le 14 Janvier. A une heure du matin, cinq coups de feu ont retenti visant un jeune homme de 24 ans. Tête présumée du réseau de la cité il a été touché à la nuque. Il s’en est sorti et a été écroué. “J’ai eu la peur de ma vie, je ne comprenais pas ce qui se passait. Depuis je pense parfois à déménager mais je suis trop attaché à mon quartier”, soupire t-elle. Pour ce qui est du blocage de l’entrée de la citée son avis est mitigé. “ça me rassurait de voir les policiers veiller sur nous mais d’un autre côté je me sentait encerclé presque en guerre avec toutes les armes qu’ils portaient. Et puis cela n’a pas changé grand chose, le trafic a repris et nous sommes confrontés aux mêmes problèmes”. Le 1er juin une manifestation sera organisée par un collectif des cités des quartiers Nord. Ils veulent mobiliser les Marseillais pour lutter contre toutes les formes de violences existantes dans ces cités et Hélène compte bien y participer. Florian SAinTiLAn KIF ET KEUFS
  • 12. 12 CULTURES ET CANNABIS...BILLES Silence… ça tourne ! ADRIEn*, 22 AnS "J'ai construit ma personnalité en fumant" Premier joint à 14 ans. Deux ans après il fumait tous les jours. "J’ai l’im- pression d’avoir toujours fumé, ça fait partie de moi." Aujourd'hui il dépense entre de 150 à 200 euros par mois pour sa consommation "C'est une somme, mais j'ai décidé de ne fumer que de la qualité. Pour ça il faut mettre le prix." Les effets ont changé avec le temps. "En tant que consommateur quotidien je ne ressens plus ce que peuvent ressentir des consommateurs occasionnels. Avec un joint ou deux je ne suis pas défoncé, je suis simplement détendu. Avec les années tu cherches juste une décon- traction… Quand je m'ennuie je roule car quand je fume le temps fuit. J’ai commencé à l’époque où c’était invivable chez moi. Mes parents n’étaient jamais là, j’avais envie de combler leur absence. Avec le temps ils l’ont re- marqué, ils n’ont jamais été d’accord mais cela m’est égal. Ce n’est pas parce qu’on fume qu’on rate sa vie. Mon frère fume une dizaine de joints par jours depuis qu’il a 15 ans. Cela ne l’empêche pas d’être en master 2 et d’être un élève brillant… Avec le joint tu as parfois des trous de mémoire mais cela reste momentané. Le plus mauvais dans la fumette c'est le tabac pour les poumons. Maintenant quand je monte les escaliers je suis essouf- flé direct." LISA, 20 AnS "il faut faire attention à ne pas s'enfermer là dedans" Au lycée Lisa fumait un joint de temps en temps avec les copines. Après le bac elle a décidé de s'installer avec son co- pain. Là les choses ont commencé à se gâter. "A nous deux on fumait 15 à 20 joints par jour, j'avais besoin de trois pétards pour démarrer la journée. Au bout d'un moment tu fumes un bédo avant chaque chose que tu vas faire. Tu ne penses plus qu'à ça, tu tournes en rond." Si Lisa et son copain pouvaient se permettre une telle consommation c'est parce qu'ils cul- tivaient leur propre cannabis. "Le matériel nous a coûté dans les 800 euros mais avec ce qu'on fumait et ce qu'on vendait tout à largement été remboursé. Je ne suis pas de ceux qui vous dirons qu'on ne peut pas être dépendant au cannabis, je crois à l'addiction. " Un jour Lisa en a eu marre. Elle a quitté co- pain, appartement, plantes... est rentrée chez ses parents et n’a plus rien touché pendant 8 mois. "J’ai réalisé que je fumais pour combler un vide." Aujourd'hui étudiante en deuxième année de licence elle refume, mais avec modération. "Il faut avoir été accro pour savoir où sont tes limites. Aujourd'hui je sais que je ne retomberai jamais dedans." SAM, 24 AnS "Je vois la fumette comme une sorte de discipline" Avant d’entrer dans les études supérieures Sam ne touchait ni à l’alcool ni à la drogue. Après deux ans de prépa il entre en école d’ingénieurs "J’ai tenu deux mois puis j’ai commencé. Je suis curieux de base, j’ai essayé, j’ai kiffé, j’ai adopté. Fumer m’a changé, j’ai découvert une nouvelle façon de penser. Quand tu fumes tes neurones se connectent différemment, tu te mets à penser à des choses auxquelles tu ne penserais pas forcément en temps normal." Sam fait aussi de la musique. "Quand je fume j’ai l’impression que ma créativité est décu- plée. Ce n’est pas un hasard si beaucoup d’artistes et de gens célèbres fument. Je suis sûr que Steeve Jobs fumait. J’ai eu une éducation sévère, aujourd’hui si mes parents apprennent que je fume et même que je cultive je me fais découper en rondelles. Mais je suis bien comme je suis et je n’ai pas envie de changer. Je dois donc vivre avec cette épée de Damoclès au dessus de la tête." Sam compare la fumette à une discipline. "Dans ma tête une personne qui fume et arrive à maitriser sa consommation pourra, plus tard, faire ce qu’il veut dans sa vie. Personnelle- ment ce qui me permet de me contrôler c’est le sport. Je pra- tique un sport de combat à un niveau national. Si je n’avais pas ça pour calmer ma conso, je pense que je partirais en cac- ahuète." iris CAZAUBOn * Les prénoms ont été modifiés. Un fumeur de cannabis est un jeune dépravé qui porte des dreadlocks ` et "squatte" le canapé toute la journée sans projet d'avenir… Un cliché parmi tant d’autres. En réalité, il n'existe pas de "profil type" du fumeur. Chacun à un comportement, une façon bien à lui d'appréhender le produit. Parole aux principaux intéressés... SOPHIE, 50 AnS "Je fume pour calmer mes douleurs" A l’adolescence Sophie fumait quelques pétards "comme tous les jeunes". Elle a ensuite arrêté de nombreuses années car elle n’en voyait plus l’utilité. Aujourd’hui, maman d’un garçon de 13 ans elle a quelques problèmes de santé. "J’ai des douleurs neuropathiques (lésions au niveau des nerfs) qui me font beaucoup souffrir. Aucun médicament n’arrivait à me soulager. Un jour j’ai fumé un pet pour voir. Et ça m’a vraiment calmé. " Elle insiste sur le fait qu’elle n’est pas "accro". "Je fume maximum deux joints dans la journée quand la douleur est trop insupportable. Je trouve d’ailleurs que les médecins sont beaucoup trop fermés sur le sujet." Avec un budget de 50 euros par mois Sophie est une petite consommatrice. "Il y a trois ans je plantais, mais j’ai eu des problèmes avec mes graines et j’ai arrêté. Je fume pour la douleur mais aussi pour le fun, autant profiter de tous les effets." Photos Iris CAZAUBON
  • 13. 13 Quand les parents fument, les enfants... JULiE, 23 AnS, mère d’une fille de deux ans et demi consomme depuis 10 ans de manière régulière. Elle confie qu’elle n’a réellement arrêté que pendant sa grossesse et que l’arrivée de son enfant n’a rien changé à son addiction. Pour l’éducation, elle n’y voit aucun problème. Ce n’est pas parce qu’elle fume que sa fille sera mal élevée et qu’elle sera pré-destinée à consommer elle aussi. Quand on lui demande ce qu’elle pense d’un parent qui ne fume pas, elle répond : “Je pense mieux aimer ma fille en étant maman et fumeuse que certains parents non fumeurs”. La jeune maman fait tout pour que sa fille ne soit pas exposée aux nuisances visibles de sa pratique, “Je vais me cacher le plus longtemps possible“. Elle fait attention à ne pas “rouler” devant sa fille et elle ne fume que lorsque celle-ci est couchée. La jeune maman évite que l’enfant ait le moindre contact possible avec le cannabis. Julie reconnait cependant que son addiction est un problème. Ne gag- nant pas sa vie la drogue lui crée un réel problème financier. L’argent qui part en cannabis pourrait evidemment lui servir à faire plus d ‘ac- tivités avec sa fille ou alors à lui acheter plus de cadeaux. Ou encore elle constate que par moment ses troubles de la concentration devi- ennent récurrents et de plus en plus fréquents au quotidien. Malgré quelques tentatives pour arrêter, elle continue, car le geste revient, naturellement. MATHiEU 24 AnS, papa d’un enfant de 4 ans explique par contre que, lui, a décidé d’arrêter de fumer dès la naissance de son bébé. Addict pendant 8 ans, le cannabis faisait totalement parti de son quotidien. Conscient des problèmes de santé et financiers que lui apportait sa dépendance, il s’est dit que c’était impossible de mêler majijuana et enfant. “Le choix a été très rapide à faire, je n’ai eu aucune hésitation”. Que pense–t–il alors de l’éducation donnée par des parents qui sont restés dans cet engrenage? “Elever un enfant dans un milieu où la drogue fait déjà parti du quotidien me parait compliqué et risqué, com- ment par la suite lui expliquer que ce n’est pas bien, il deviendra lui aussi forcément fumeur.” A propos des parents qui choisissent de rester con- sommateurs, ses propos sont sans concessions: “ce sont des irrespon- sables”. Alors être parent et fumer du cannabis, un bien ou un mal ? Chacun voit midi à sa porte et l’éducation reste quelque chose de très subjectif. Certains le voient comme un problème et d’autres trouvent que si le juste milieu est appliqué aucun soucis ne devrait se passer. Cependant, peu de médias, peu d’associations parlent de ce prob- lème… La question que l’on peut alors se poser et pourquoi le gou- vernement ou l’univers médical n’agit pas plus ? Le nombre des parents consommateurs augmentent mais pas celui des solutions… Loïse isabelle DELASSUS Les adolescents et leurs problèmes avec le cannabis sont au coeur des priorités médicales et gouvernemen- tales, leur comportement à risque inquiète. Mais comment cela se passe-t-il quand ce sont les parents eux même qui fument? Si la consommation change les sensations, les perceptions, la capacite de mémoire immédi- ate, la concentration, la vigilance et les réflexes, est il possible de “fumer” et d’élever un enfant? Des parents fumeurs et non fumeurs nous expliquent leur quotidien. Fumer fait un tabac ! L e cannabis a beau être illégal, les accessoires pour le fumer ne le sont pas… Et pullulent dans les tabacs. Des magasins proposent même uniquement des articles clairement liés à la “fumette”. Un business totalement légal et qui marche plutôt bien. Rue de la Palud dans le 1er arrondissement de Marseille. Il y a plus de 15 ans maintenant Fred a installé son magasin “Goa”, du nom de la ville indienne destination phare des routards des seventies. En vitrine des vêtements hippies, des affiches, un étal de piercings. Mais à l'in- térieur, bercé de musique reggae, on découvre tout un attirail de "fumette". Pipes, bangs*, grinders* en métal ou en plastique, briquets à l’effigie de Bob Marley ou ornés de feuilles de cannabis, papiers à rouler, petites et longues feuilles, naturelles ou aromatisées, transpar- entes, du carton*… Il y en a pour tous les goûts et de toutes les tailles. Un pas de porte dédié à la culture hippie ou de ce qu’il en reste, milieu qui ne se cache pas de fumer un bon "bédo" de temps en temps. “Je viens d’acheter un grinder* et des feuilles à la pêche. C’est un cadeau pour mon copain. Il ne reste plus qu’à aller chercher de quoi remplir tout ça…”, rigole d’ailleurs une jeune femme en sortant de la boutique. Mais il ne faut pas forcément aller dans un magasin spécialisé pour trouver du papier à rouler, des pipes et autres accessoires. Dans les tabacs classiques connus de tout le monde les buralistes voient passer et servent aussi de nombreux “consommateurs”, tous différents. “Les gens n’ont aucune honte à venir acheter des feuilles longues, que l’on vend en grande quantité. Des jeunes ou moins jeunes, des hommes, des femmes, même des enfants essaient” constate un buraliste du centre ville. “On vend de tout, même des joints pré-roulés qu’il faut remplir” . Tout ça dans une légalité un peu paradoxale, surtout lorsque l’on voit toutes les interventions menées à Marseille par le gouvernement pour arrêter la vente. “Les policiers ont beau venir de plus en plus nombreux dans les cités, cela n’arrête pas le trafic, ou seulement pour quelques heures. On trouve des feuilles, du carton, tout pour rouler, de partout, alors autant légaliser et arrêter cette hypocrisie”, propose un consom- mateur venu acheter son “matos” au tabac du coin. Hypocrisie : d’un coté on aide et on pousse à la consommation, de l’autre on surveille et on réprime… Cherchez la logique ! Estelle CAnTOnE *Bang : pipes à eau qui permet d’aspirer une grande quantité de fumée d’un coup.*Grinder : petite boîte ronde qui permet d’effriter l’herbe.*Carton : un joint se roule, non avec un filtre mais avec un bout de carton. Les paquets de feuilles sont tous munis de cartons à l’intérieur. PhotoE.C. CULTURES ET CANNABIS...BILLES
  • 14. 14 E n 2001, le film Requiem For a dream change la vision de la drogue et de ses consommateurs, les faisant passer de junkie fun et populaires à des individus dépravés et complètement déboussolés. Le réalisateur Darren Aronofsky avec ce film coup de poing à marqué toute une génération. Oubliez Dennis Hopper et Jack Nicholson de Easy Rider. Aujour- d’hui ce sont plutôt les Jared Leto et Jennifer Connelly qui incar- nent les junkies, fini aujourd‘hui l’identification aux personnages et pour la génération de jeunes des années 2000, leur image par rapport à la drogue traité dans le film est à des années lumières de la réalité. L’histoire traite de la déchéance de quatre personnes (dont trois jeunes) qui s’inventent un paradis artificiel en se droguant (dans le film c’est l’héroïne qui est mise en avant). Interrogés sur ce film, certains jeunes consommateurs de cannabis à la vie active “normale” (lycée/ travail/logement) se montrent unanimes ; pour eux la drogue et en particulier la consommation de cannabis, n'a rien à voir avec Requiem for a dream : “Je me suis vraiment ennuyée, ça dramatise trop et nous fait lâcher dans le récit, nous dit Nathalie 20ans, “je n’ai pas besoin de voir un film pour connaître les conséquences de l’héroïne ou autre drogue” raconte, Sylvain, 18 ans, vivant en Nouvelle-Calédonie. Quant à Pierre 23 ans, son avis est légèrement plus poussé “je ne vis pas du tout dans l’univers du film, ce n’est pas parce que tu consommes que tu es un junkie prêt à tout pour fumer, j’ai une famille stable et des amis équilibrés, le contexte du film change tout donc je ne me sens pas concerné”. Delphine, étudiante en fac de psycho, a un avis plus nuancé ”je suis d'accord que c'est exagéré mais dans tous les cas, le but principal du film était de sensibiliser. D'autant que l'auteur du livre à partir duquel le film a été adapté a souffert d'addictions également. C'est un regard personnel d'un écrivain et d'un réalisateur, qui souhaite servir une cause universelle”. Malgré un succès critique et populaire indéniable, le film continue de diviser et reste perçu négativement par la majorité des consom- mateurs de stupéfiants. Pour eux l’œuvre de Darren Aronofsky ne leur était pas adressé directement. Elle s’adresse plutôt à un autre public dans une optique de prévention, d’où la dramatisation mise en scène sur certaines drogues. Thomas MAROTO Requiem For a dream : Vérité ou Cliché ? OMJe te kiffe Le Vélodrome attire chaque week-end des dizaines de milliers de spectateurs. Edifice à ciel ouvert, le stade n'est pas soumis à la loi Evin. Chacun peut fumer librement sa cigarette, mais pas seulement. Phénomène représentatif d'un usage de plus en plus décomplexé, le cannabis est aussi consommé sans aucune crainte. Le seul contrôle a lieu à l'entrée. Dans les tribunes, le joint devient banal, toléré. N icolas, 27 ans, est un habitué du virage nord “je ne suis pas abonné mais je dois assister à une dizaine de rencontres par sai- son, j'y vais un peu à la carte”. Nicolas est également un fumeur occasionnel “je ne suis pas un fumeur régulier dans le sens ou je fume de temps en temps, en soirée, mais quand je vais au Vélodrome, on est souvent trois ou quatre et on fait toujours tourner quelques bédos”. Quand on lui demande la raison de ce rituel, il met en avant la con- vivialité. Selon lui, le cannabis permet de mieux apprécier l'ambiance, d'être vraiment attentif au jeu et, quand celui-ci ralentit, de participer à des discussions passionnées “c'est vraiment pour ça que j'aime fumer au stade, tu passes un moment de détente avec tes potes, tu passes le joint tout en commentant la dernière passe manquée d'untel...”. Si on fait abstraction de la substance illicite, le discours de Nicolas est celui du supporter lambda. Viviane a la cinquantaine. Elle est abonnée aux Yankees depuis une quinzaine d'années. Elle ne fume pas de tabac, et encore moins du cannabis. Pour elle, la tolérance doit être la règle “Je suis toujours assise avec les mêmes personnes et autour de nous, ça fume constamment. Honnêtement ça ne me dérange pas qu'on fume à quelques mètres de moi, chacun fait ce qu'il veut du temps qu'il respecte l'autre. Le problème c'est quand on prend tout dans la tête...”. D'autres habitués des gradins phocéens sont plus véhéments, comme en témoignent les débats en- flammés sur les forums de fans. Pour les détracteurs, la loi doit être rigoureusement appliquée : le cannabis est illégal, il n'a pas sa place dans une tribune. Et comme Viviane, ils sont nombreux à se plaindre de la “fumée”. Nicolas, quant à lui, défend une attitude responsable “Quand on est trop serrés on se met à l'écart, il y a toujours de l'espace sur les côtés. En tout cas, personne ne m'a jamais demandé de bouger ou d'éteindre mon joint”. La politique de l’interdit Quelle serait la solution pour éradiquer la consommation dans les stades ? Une fouille approfondie ? Cela prendrait trop de temps. Con- trôler pendant la rencontre ? Il est impensable de faire du cas par cas au regard du nombre de spectateurs... Pourquoi cette tolérance tacite ? Un élément de réponse pourrait être l'impact faible sur la sécurité. Il y a des fumeurs aux quatre coins du Vélodrome, mais les échauffourées ont toujours lieu aux mêmes en- droits, entre les mêmes personnes. Et le facteur récurent est l'alcool, pas le cannabis. Reste l’aspect sanitaire. Pour supprimer les volutes de fumée, des ini- tiatives prennent forme. Ainsi, il est maintenant interdit d’allumer une clope au Camp Nou, l’antre du prestigieux Barça. En France, c’est Lille qui veut aérer son Grand Stade. Dans un rapport parlementaire rendu public fin février, les membres du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques préconisaient une interdiction complète. Si la tendance persiste, et tout porte à le croire, la prohibition sera la règle. Et tant pis pour la tolérance. Romain TRUCHET CULTURES ET CANNABIS...BILLES
  • 15. 15 Cannabis : IN ou OUT ? C hacun sa plantation. L’un est étudiant, l’autre scientifique, les deux ont bien étudiés leur sujet avant de se lancer. Thomas sur son ordinateur, Eric à travers ses voyages. L’ “herbe”, ils connaissent. Thomas a beaucoup travaillé son dossier, il a passé en revue tous les sites, livres, et autres guides permettant d’effectuer une petite plantation. Il aurait pu produire à l’extérieur, ses parents ont un grand jardin mais comme il habite maintenant seul en ville il a préféré cultiver dans son appartement. Une plantation qui ne dérange pas heureusement son colocataire lequel est “au parfum” mais remarque, “c’est juste que ça sent fort”. Du coup Thomas a acheté un filtre pour masquer l’odeur tenace de ses petites plantes. Le coin de culture ? Une sorte d’armoire en toile appelée “box”, Thomas y héberge quatre plants qui donneront chacun prés de 250 grammes de “substances”. Deux semaines c’est le temps qu’a mis Thomas pour réceptionner tout le nécessaire et l’installer. Pour Eric, cela n’a pas été la même chose. Il est de la vielle école. “J’ai planté pendant cinq ans au nez et à la barbe de tout le monde”, à la cam- pagne, en périphérie d’une grande ville. Dans cette propriété, Eric avait un terrain avec au fond une longue haie. Il a tout planté derrière cette haie et s’est contenté d’arroser régulièrement. “Si vous aviez vu ça pousse comme de la mauvaise herbe”. Il en fumait un peu et le reste finissait en poussière séchée au soleil. “Je n’y passais pas trop de temps, je surveillais à des périodes stratégiques”. Plusieurs fois des ra- masseurs avisés ont tenté de lui chaparder son butin, sans succès. Souvenirs, souvenirs “le matin quand je me réveillait, je sentais l’odeur des plantes de mon lit”. Nostalgie… Avec la retraite qui arrive, il pense reprendre la plantation. A l’inverse Thomas commence à se lasser, il en est déjà à sa cinquième récolte. Il lui faut trois mois pour récolter et entamer son petit rituel. D’abord goûter aux fruits de ses efforts avec quelques amis “priv- ilégiés” puis sortir les boites à chaussures pour ranger le trésor inter- dit. “Dernière récolte et j’arrête, ça me prend trop de temps”. Du temps mais aussi de l’argent. Sa “box” est gourmande en électricité, et puis Thomas craint de se faire attraper. Maintenant trop de personnes savent qu’il produit, il avoue même devenir quelque peu parano, “c’est pour ça qu’à part les amis proches, je garde tout pour moi, pour éviter que ça se sache”. Ne pas prendre de risques, un des maitres mots des producteurs clandestins, sauf… pour Eric. Il n’a pas arrêté de cultiver à cause des risques, et s’il reprend, il ne s’inquiètera pas trop. “C’est difficile d’être discret, l’odeur est très forte.” De toute façon, selon lui, “la police a d’autre chose à faire que d’’empêcher un vieux de fumer son herbe”. Il en oublie quelques fois que l’usage seul du cannabis est pas- sible d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Younes TigHEgHT Produire chez soi ou dans la nature. Deux manières de faire : “inbox” chez soi, ou bien “out” en extérieur. A l’heure où les Cannabis Social Club prônent la désobéissance civile, nombre de “producteurs” de cannabis sont encore loin d’être prêt à témoigner à visage découvert. Rencontre en toute discrétion avec Thomas 19 ans, et Eric 56 ans, petits cultivateurs anonymes. Photo Iris CAZAUBON CULTURES ET CANNABIS...BILLES “J’ai planté pendant cinq ans au nez et à la barbe de tout le monde”
  • 16. 16 MÉDECINE DOUCE A rrivé en Europe au XVIIIème siècle, le cannabis a joué un rôle important dans la médecine. Utilisé contre la douleur, il disparaît au XXème siècle remplacé par d’autres médicaments. La découverte de récepteurs cannabi- noïdes a récemment relancé le débat. Considéré encore comme une drogue, le cannabis médical se heurte à des législations re- strictives. Malgré une utilisation divertissante, il semblerait qu’il existe des vertus thérapeutiques dans sa consommation. Pour aller au-delà du tabou, certaines associations luttent pour la légalisation du cannabis médical. Franjo Grotenhermen, doc- teur allemand, est responsable de l'association internationale pour le cannabis médical. Il déclare dans son ouvrage, Cannabis en médecine : “L’utilité médicale du cannabis, et des cannabi- noïdes pris séparément, est maintenant très largement acceptée par la communauté scientifique. Mais le climat et la situation lé- gale restent difficiles pour les patients d’autres pays comme la France, la Grèce ou la Suède. Des débats rationnels commencent seulement dans ces pays qui accusent un retard de près de 15 ans par rapport aux autres pays”. La France ne semble pas vouloir légaliser le cannabis, aussi bien pour des cas médicaux que pour une consommation libre. Et même si ces derniers mois, le débat s'est relancé, la question du cannabis médical reste entière. Le Docteur Grotenhermen défend le cannabis médical car il est convaincu de ses bienfaits dans certaines maladies. “Pour beaucoup de mes patients, le cannabis est un moyen de trouver du réconfort et d’oublier la douleur”. La consommation peut avoir un effet antidouleur pour les souffrances chroniques ré- sistantes. Il peut même être excellent pour stimuler l'appétit en cas d'anorexie. Ses propriétés anti-vomitives sont égale- ment efficaces lors de chimiothérapie. Le cannabis médical peut se considérer comme un médicament si ses effets s'adaptent aux symptômes de certaines maladies. “Beaucoup de patients ont un meilleur contrôle de leurs symptômes, ils retrouvent souvent une vie normale grâce au cannabis”. La consommation du cannabis, lors de traitement, peut être envisagée de différentes façons. Elles sont même parfois préférables à la fumette, car l’inhalation semble la plus risquée. Tisanes, cachets, vapeurs, sprays, ces formes de prises seraient moins nocives que le joint. De plus, les sites internet vendant du cannabis se multipliant, on ne cesse d'innover. Selon le neu- rochirurgien, Docteur Meyer, praticien à Grenoble : “La voie orale serait plus efficace par rapport aux joints, et surtout il y a moins d’accoutumance” . Si la prise de cannabis reste tout de même dangereuse, c’est qu’elle peut entrainer un cancer du poumon. Le risque est même plus élevé que pour le tabac. Le cannabis provoque également certains effets qui peuvent détraquer l’organisme. Le Docteur Meyer parle de troubles psychiatriques avancés, comme la schizophrénie, ou de trou- bles de la mémoire. Le cannabis, malgré un effet positif lors d’un traitement symptomatique reste tout de même une drogue. Mais parfois sur avis médical, il semble bien que l’on peut traiter le mal par le mal. Emy ASSOULinE Cannabis sur ordonnance En Europe, seuls l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne le Royaume-Uni et les Pays-Bas autorisent le cannabis médical. En France, la consommation du cannabis à usage thérapeutique reste un sujet sensible. Un tabou qui commence à peine à bouger. Le cannabis entre aspects positifs et risques sur l’organisme. Elise LASRY, Sandra MOUTOUSSAMY, Estelle BARLOT Les pays d'Europe ont des législations très disparates concernant l'usage du cannabis. Certains permettent également l'usage médical. Voici une carte qui vous renseignera sur le sujet.
  • 17. 17 Fumer au travail ATTEnTiOn DAngER ! De plus en plus d'entreprises, en coordination avec la médecine du travail, s'intéressent au test de dépistage du cannabis. Des tests destinés aux postes dits à risque et réalisés sous certaines conditions. A près les tests d'alcoolémie, voici les tests de dépistage du cannabis ! Les chefs d'entreprise deviennent friands de ce dispositif. Dans le code du travail il n'y a aucune clause relative à l'usage de stupéfiant, mais en pratique les tests sont autorisés. Les employeurs ont le droit d'en réclamer si la personne concernée convoite ou détient un poste à re- sponsabilité. Des postes qui nécessitent des exigences de sécu- rité, de maîtrise du comportement, de conduite de véhicules ou encore de manipulation de produits dangereux. Le dépistage d’usage de stupéfiant et une procédure particulière et très encadrée. Le dépistage ne doit pas être effectué systématiquement et doit apparaître dans le règlement intérieur de l'entreprise. De plus, il faut respecter ce que l'on appelle “les règles d'informa- tion individuelle”, c'est à dire expliquer le pourquoi du dépistage et les conséquences d'un résultat positif. L'employé doit également avoir un droit de refus. Par ailleurs “si la dépen- dance est avérée et qu'elle met en péril le travail ou l'entreprise, la médecine du travail aura pour mission d'orienter la personne pour qu'elle se soigne” explique Nadia, membre du dispositif d'Appui Drogues et Dépendances (DADD) en région PACA. A noter que dans le cadre de l'examen, le secret médical joue. Car le médecin ne doit prononcée qu'une inaptitude et non révéler une quelconque autre information. Toutefois aujourd’hui “les consommations excessives ponctuelles ont tendance à augmenter au travail” constate Marie-Laure Hémery, médecin du travail. Et c'est ce qui inquiète. La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) considère qu'un dixième des salariés se réfugient dans la drogue pour faire face à leur travail. Un autre organ- isme , l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) diffuse lui tous les cinq ans un baromètre con- sacré à l'usage de substances psychoactives dans le milieu pro- fessionnel. D'après l'étude de 2010, la consommation de cannabis varie en fonction des secteurs d'activités. Ainsi, les plus touchés sont les arts et spectacles avec 16,6% de consom- mateurs dans l'année, la construction, avec 13%, l'héberge- ment et la restauration (pas de chiffres déterminés). Plus du tiers des fumeurs de tabac et le quart des fumeurs de cannabis ont affirmé avoir augmenté leur fréquence d'utilisation à cause de la pression et de problèmes professionnels. Pour essayer d’enrayer ce phénomène, la MILDT a publié un guide pour conseiller les entreprises sur les techniques de prévention contre la consommation et l'abus de substances psychoactives telles que le cannabis. La sensibilisation est très importante. En région PACA, un réseau informel de profession- nels s'est constitué et en train de se former pour apprendre à intervenir dans le milieu des entreprises dans le cadre de mis- sion d'information/prévention. Sandra MOUTOUSSAMY information/formation avant tout “On est une vigilance sanitaire”. Voilà comment Elisabeth Frauger, responsable adjointe du Centre d'Evaluation et d'Information sur la Pharmacodépendance (CEIP) – Addictovigilance décrit son serv- ice. Son équipe recueille les cas de dépendance, d'abus ou encore d'usage détourné de substances psychoactives et notamment de cannabis. La collecte s'effectue auprès des professionnels de santé (médecins, laborantins) ou encore des urgences médicojudiciaires, les services de police et de gendarmerie. Il y a quelques années, l'une de ces études a révélé plusieurs catégories de dépendants : les consommateurs de cannabis pur, ceux qui le fument et boivent et les jeunes qui sont plus concernés par l'abus et la dépendance. A la suite de ces recherches ils identifient les risques et impacts psychi- atriques pour en informer les professionnels de santé. Le centre agit sur toute la région Provence Alpes Côte d'Azur ainsi que sur la Corse. Prévenir reste le maître mot du CEIP. Il n'est jamais confronté aux patients mais interagit directement avec les médecins, urgences, laboratoires de toxicologie etc... Ces derniers sont orientés et con- seillés sur les cas de dépendance auxquels ils font face. Ils peuvent eux-mêmes solliciter l'aide du CEIP ou c'est le centre qui vient à eux. L'équipe d'Elisabeth Frauger se déplace régulièrement dans les structures spécialisées des usagers de drogue. Elle diffuse alors toutes les informations collectées sur la région et réponde aux ques- tions. “Le plus souvent on intervient sur les nouvelles drogues de syn- thèses”, déclare l'adjointe. Une mission d'information qu'elle juge indispensable. S.M. MÉDECINE DOUCE
  • 18. 18 INTERNATIONAL Cannabis connexion Marseille capitale ? E n février 2013 Courrier International au travers d’une sélec- tion d’articles internationaux avait dressé sur Marseille un portrait pittoresque mais pessimiste. Ces articles anglo-sax- ons se focalisaient sur les problèmes d’immigration et la présence musulmane dans la ville. Mais également tous ces papiers pointent du doigt un trafic de drogue gangrénant la ville. Si l’on demande à un étranger ce qu’il sait de Marseille, un certain nombre vous répondront qu’ils ont déjà entendu parler de la French Connexion, rendu célèbre aux Etas Unis par le film éponyme. Cette organisation contrôlait jadis l’approvisionnement en héroïne du monde à travers un vaste réseau entre Marseille et les USA. C’est malgré tout cette image dépassée de la ville que les instances donnent à travers leurs rapports. L’INCB (bureau inter- national de contrôle des narcotiques) fait référence à Marseille comme ancienne plaque tournante du trafic d’opium mais guère plus. Mais la réalité actuelle est tout autre. L’âge d’or des réseaux de contrebande de drogue à structure pyramidale est révolu. Le trafic de stupéfiant marseillais est maintenant dominé par des réseaux plus petits et moins élaborés. Ces réseaux sont certes plus faciles à fragiliser une fois les leaders localisés. Mais ces organi- sations sont bien plus nombreuses et bien plus facile à mettre en place. Que fait l’OnUDC ? Malgré cette situation préoccupante, les organisations interna- tionales de luttes contre le trafic de stupéfiant ne semblent pas s’intéresser au cas marseillais outre mesure. Le cas de l’ONUDC (L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime) est révéla- teur. La dernière mention de Marseille parmi les points de transit principaux de la résine de cannabis dans un de ses rapports date de 2008. Depuis plus de traces de la cité phocéenne sur la carte de la drogue. Il faut dire que l’ONUDC, consacre la majorité de son budget à la lutte contre le blanchiment d’argent. Si problèmes de drogue il y a, l’agence se concentre d’avantage sur l’Afghanistan, la frontière mexicaine et/ou l’Afrique de l’ouest. Europol (agence de coopération des polices européennes) est la seule organisation de lutte contre la criminalité à consacrer plus d’un paragraphe au trafic de cannabis à Marseille dans son rap- port de 2012. Pour Europol, Marseille est devenu un point de tran- sit, de stockage et de réexpédition de la résine de cannabis en provenance pour l’essentiel du Maroc. Pourtant Marseille ne parait pas être la priorité d’Europol dont les budgets limités sont consacrés à la collecte d’informations que les polices locales n’u- tilisent que très peu. Pendant ce temps les médias français multi- plient les unes. Fustigeant l’urgence de la problématique de la drogue à Marseille. Cependant il semble que les vingtaines de meurtres marseillais ne pèsent pas lourd face aux 3000 morts de la guerre contre les cartels au Mexique. Alexis VERDET nos amis du Rif Acheminé à travers l’Espagne par go Fast ou par mer le cannabis se retrouve à Marseille. Mais d’où provient-il ? Selon les chiffres publiés par l’OnUDC , 21% de la pro- duction mondiale de cannabis provient de la région du Rif au Maroc. Pourtant les actions en vue de diminuer la production de cette drogue sur le territoire chérifien manquent cruelle- ment. il faut dire que le souverain Hassan ii et son suc- cesseur Mohamed Vi sont tous deux des partenaires privilégiés et des amis de longue date de nombreux pays européens ainsi que des Etats Unis. On comprend donc pourquoi on ne cherche pas à froisser le royaume. Occa- sionnellement pour faire plaisir à leurs partenaires et à seul but de détente diplomatique, le royaume du Maroc lance des mesures symboliques comme la prohibition de la vente de feuilles de tabac à rouler, ou l’interdiction des vols hélicoptères civils dans le royaume. Chaque année les autorités marocaines procèdent à une très média- tique campagne d’éradication de champs de cannabis pour prouver leur bonne volonté. Dans son rapport annuel les drogues de 2013 L’inCB félicite paradoxalement le Maroc pour sa coopération dans la lutte contre l’économie de la drogue. Selon le même rapport la culture de cannabis au Maroc s’est sta- bilisée aux environs de 47 400 ha en 2013, ce qui est légèrement en dessous des chiffres des années précé- dentes. Mais la question à laquelle personne ne répond est, comment éradiquer une culture qui est historique- ment liée à la région du Rif surtout dans la partie centrale entre Chefchaouen et Targuist, région dans laquelle la pauvreté et l’analphabètisation est encore importante ? Le pouvoir marocain y trouve-t-il son compte ? il faut tout de même se remémorer l’histoire tumultueuse de cette région frondeuse qui reste en dehors de circuits touris- tiques. De ce fait la culture de cannabis et son trafic à par- tir des enclaves espagnols de Ceuta et Melilla reste la majeure source de revenu des habitants du Rif. De plus comment obliger les paysans du Rif à changer le type de culture de leurs champs quand le cannabis rapporte plus que l’orge ou le blé ? Le gouvernement Marocain se contente actuellement de coopérer avec les instances internationales de lutte con- tre les stupéfiants en apportant son aide contre le trafic de drogue dures, et en renforçant les contrôles aux fron- tières. Toutes ces actions contribuent à détourner le re- gard des acteurs internationaux du vrai problème marocain, la culture du cannabis. Pendant que le Maroc multiplie les diversions, les organisations interna- tionales préfèrent se concentrer sur des dossiers plus brulants et médiatiques comme le Mexique et l’Afghanistan laissant à l’Europe la question marocaine. A.V. - Rapport de l’ONUDC 2008 et 2012, Rapport de l’INCB 2013, Rapport Europol 2012
  • 19. 19 Le trafic du cannabis est un commerce risqué et peu lucratif. Pourtant le cliché du dealer ayant fait fortune dans le négoce de résine, au volant d’une berline, montre de luxe au poignet, a la vie dure. En France une étude de l’OFDT( Observatoire français des drogues et des toxicomanie) estime à 23 000 le nombre d’individus impliqué dans le commerce de cannabis. La grande majorité d’entre eux, environs 220 000, ne gagne pas plus de 580 euros par mois, soit un peu plus du RSA (475 euros). Christian Ben Lakhdar, maître de con- férences de l'Université Catholique de Lille Chargé d'études à l’OFDT souligne “que ces chiffres sont beaucoup plus proche du chiffre d’affaires que du revenu net”. En ce qui concerne Marseille Claire Duport, socio- logue, indique “aucune recherche fiable ne permet actuellement de quantifier avec précision et certitude les quantités de cannabis im- portées, et donc de quantifier les revenus que le trafic génère”. Pour au- tant, le journaliste à La Marseillaise, Philippe Pujol qui a beaucoup enquêté sur le trafic de drogue dans les cités marseillaises est sans équivoque, “dire que les dealers tirent d’importants profits du trafic est un fantasme absolu, ce commerce génère des revenus que l’on peut plutôt qualifier de rente de survie”. Outre les faibles sommes que tire la majorité des dealers, ce com- merce vu sous le prisme des risques qu’il comporte, devient défini- tivement un emploi paupérisant. Le risque d’interpellation est important, “et une condamnation par la justice représente une sortie forcée du marché du travail illicite, et donc une perte de revenu” note Christian Ben Lakhdar. Entre 2006 et 2012 le nombre d’interpella- tions pour usage, revente et trafic de cannabis a doublé, selon les chiffre de l’OFDT. En 2008 la durée moyenne de détention était de 8,8 mois selon le Ministère de la Justice. A cette peine de prison s’ajoute une lourde amende et depuis 2008 la saisie des avoirs criminels ainsi que les stocks de marchandise trouvés chez le dealer. Mais “les pertes de revenus peuvent ne pas provenir seulement de la régulation policière et juridique du marché du travail illégal”, comme le rappelle Christian Ben Lahkdar, le monde du trafic de stupéfiant est un milieu violent, où les conflits se règlent souvent dans le sang, et non devant un tri- bunal. Qui peut bien vouloir dans de telle condition être carriériste dans le commerce du cannabis ? Qui peut continuer à croire que ce commerce fait recette facile ? Pour Phillippe Pujo,l les dealers ne sont ni à plaindre, ni à blâmer. Ceci dit il, continue de conter ses histoires, ces enfants martyrs shootés à la came depuis leur plus jeune âge, qui finissent par travailler gratu- itement, pour quelques grammes de résine et le repas du midi. Le commerce du cannabis est un commerce de la dette, très vite une bonne partie de ces travailleurs effectue leur besogne pour rem- bourser la drogue ou l’argent que leur a prêté le chef de bande, si bien qu’ils se trouvent forcés de dealer, pris au piège. “Le deal mène au chô- mage ou à la mort” résume Philippe Pujol. Mais le chômage est de toute façon une réalité pour la majorité de la population des quartiers dits “sensibles”. Dans les ZUS (zones urbaines sensibles), lieux de la majorité des trafics, le chômage est en moyenne deux fois plus important qu’ailleurs, et à diplôme égal, un individu résident d’une ZUS a deux fois moins de chance de trouver un emploi. Christian Ben Lakhdar conclu “si le marché du travail offre des opportunités lucratives, alors les incitations à s’engager dans le trafic de drogue seront moins élevées”. Philipe Pujol a même observé chez les dealeurs des qualités recherchées dans le monde du travail, capacité d’adaptation, sens inné du commerce, grande motivation… « Les élus ne sont pas idiots » Pour Philippe Pujol, des solutions institutionnelles existent, mais sur le long terme, hors du temps politique calqué sur les échéances élec- torales. Impossible dans cette situation de prendre des décisions (dépénalisation, ect) susceptibles de choquer l’électorat. “Les intérêts ne convergent pas, alors ils laissent faire” indique le journaliste, “c’est une bonne façon d’acheter la paix sociale”. Le deal est donc souvent un choix contraint qui permet un revenu de subsistance. Il crée parfois du chômage en fauchant dés l’enfance les travailleurs mineurs du cannabis. Mais pris dans la totalité, le com- merce crée de la richesse, cette manne, même infime une fois dis- séminée aux quatre coins des cités permet de vivre à bon nombre de familles. Dés lors on peut se demander si l’Etat se donne tous les moyens pour supprimer définitivement cette économie illégale ? Simon ViEnS N’en déplaise à l’imagination populaire, les travaux de chercheurs montrent que le commerce du cannabis crée peu de richesse, bien qu’en période de crise, il reste une source de subsistance qui compte pour les plus pauvres. À leur risques et périls. ÉCONOMIE Mauvaise Fortune
  • 20. 20 Génération Le héros du roman est très militant, est-ce que c’est aussi le but du livre ? Le héros n’est pas militant au sens où il n’est pas impliqué dans des associations, il ne fait pas de politique. Il est plutôt dans une démarche hédoniste, épicurienne. Par contre il a une analyse des problèmes de la société, notamment au niveau des libertés. Si j’avais voulu faire un livre militant j’aurais fait un essai, là j’ai écrit l’histoire de deux jeunes qui voyagent, ça parle de liberté, de plaisir, de sexe et de musique. Mais on peut y voir deux messages couplés et si vous me demandez si je considère que consommer du cannabis est grave, la réponse est évidemment non. Dans une interview pour Libération vous disiez que vous aviez fait de nombreux entretiens pour ce roman. Alors, plutôt soci- ologique ou plutôt autobiographique comme vous le dites sur votre site ? C’est une sorte de littérature gonzo, comme Las Vegas Parano. Ce roman raconte une histoire que j’ai vécue, mais romancée, notamment pour préserver l’anonymat de certaines personnes. Comme c’était il y a vingt ans j’ai pu la peaufiner, notamment en interrogeant des gens, à cause de mes réflexes d’universitaire, mais ça reste une oeuvre lit- téraire. Son but premier est de distraire les gens, ensuite de parler d’une époque peu explorée par la littérature, enfin de faire passer un bon moment. Donc les années 90, c’est parce que c’était une période dont on parlait peu ? Oui, c’était peu traité. Il y a aussi cette notion d’être jeune, dont parle le livre et qui était très forte dans les années 90. Il y avait plus de lib- erté qu’aujourd’hui, l’impression que tout était possible, et c’était un peu vrai. Beaucoup de choses étaient encore floues, échappaient en- core à la police. C’était aussi une époque de révolutions musicales : la techno avec les tecknivals qui fleurissaient un peu partout, le reggae avec le renouveau du roots, l’explosion du rap... Vous dites que les français fument un joint le soir, que beaucoup de fumeurs sont avocats, cadres etc., mais à part quelques con- ducteurs qui prennent les héros en stop le roman parle beaucoup de “marginaux”, n’y a-t-il pas une contradiction ? Génération H est le premier tome d’une trilogie où on va suivre les mêmes héros pendant des années [ndlr : le prochain tome devrait sor- tir fin 2014]. Là ils ont 17 ans donc ils sont plus trashs, c’est le principe de la jeunesse de faire des excès. Notez cependant qu’ils ne sont pas si marginaux que ça : ils sont scolarisés, ils ont la tête sur les épaules, ils travaillent quand ils ont besoin d’argent... En tous cas les héros de cette bande ont réellement existé et aujourd’hui certains sont avocats ou commerciaux, ils sont mariés, ont des enfants, ils sont parfaitement insérés dans la société. Je parle souvent de ces personnes-là parce qu’on les oublie dans l’image du fumeur de cannabis. Vous parlez aussi de “fumer un joint comme on boirait un verre de vin”, or beaucoup de personnages et surtout les héros fument en permanence... à ce niveau ce serait plus de l’alcoolisme non ? Là-encore, les héros n’ont que 17 ans... on peut dire que la mesure naît de l’excès. Il faut dissocier la quantité qu’ils consomment de leur recherche de qualité : ils fument beaucoup, mais pas n’importe quoi, ils sont dans une démarche gustative et esthète. Un œnologue aussi a dû expérimenter l’ivresse au début. Il est toutefois vrai qu’il y a une contradiction mais l’être humain est paradoxal. C’est aussi l’un des avantages de l’oeuvre littéraire de ne pas être forcément cohérente, de pouvoir comprendre les paradoxes de l’humain. Comment ce roman a-t-il été reçu par vos collègues universi- taires ? Bien sûr en écrivant un tel livre je n’ai pas une image d’enfant sage, mais quand tu es écrivain on n’a pas à te juger. J’ai eu des collègues heureux de m’entendre dans les médias, peut-être des jalousies mais ça s’est arrêté là. Le métier d’intellectuel est de créer et de réfléchir, c’est ce que je fais. Elise LASRY Une France qui a intégré le cannabis dans sa culture, voilà le portrait que dresse le livre Génération H. Rencontre avec son auteur, Alexandre Grondeau, 35 ans, également critique musical et géographe à l’université d’Aix-Marseille. É té 1995, une petite bande de lycéens parcourt la France pour les vacances, assoiffée de liberté mais surtout de haschisch. Des festivals de country aux ferias en passant par les free parties, ils vont rencontrer toute une génération qui a fait du “joint” le nouveau verre de vin. Alexandre Grondeau s'est inspiré de ses rencontres avec de nombreux amateurs de cannabis, ce qui donne au roman une certaine valeur soci- ologique, quoiqu'il soit surtout inspiré de la jeunesse de l'auteur. Ce récit initiatique est aussi très pédagogique ; le néophyte pourra découvrir les différences entre afghan, marocain ou skunk, la définition d'un shilom ou le mode d'emploi d'un bang. Le roman porté par la musique, dont l'auteur est passionné : reg- gae ou techno, elle traverse le récit et accompagne partout les héros et le lecteur – une playlist est d'ailleurs proposée à la fin du livre. Sur le site (www.generation-h.com), vous pourrez retrou- ver une compilation mais aussi d'autres bonus, comme des té- moignages vidéos de consommateurs. aschH À L’OUVRAGE
  • 21. 21 Entre trouille et fouille le business continue D ans la cité de La Sauvagère, deux personnes fouillent les “clients” avant de les faire entrer dans le hall, où se déroule la transaction. “Détends toi mon pote, y a pas de problème” lance un des « gardes » à un client un peu stressé. “On vérifie juste que personne n’ait d’arme” indique Sofiane, membre du réseau de la cité. A la question “Avez-vous peur d’un règlement de compte ? ”, Mehdi, de la cité Bassens, répond “Franchement non, de toute façon on s’y attend même pas quand ça arrive”. Du côté du 15ème arrondissement de Marseille, à la cité Cam- pagne-Levêque, la fouille est aussi de rigueur. Dans ce réseau très bien organisé, rien n’est laissé au hasard. Aucun sac n’est autorisé dans le hall, et le client doit le laisser au bas des es- caliers. Un jeune homme armé est quelque fois présent devant l’entrée. En une demie heure il fait deux-trois allers retours. Mais il n’est pas menaçant. “On est obligé de se défendre au cas où” précise Dylan. Quelques minutes après une demi douzaine de transactions, un jeune homme arrive, 15 ans tout au plus, sac McDonald’s dans les mains. “Tiens cousin”. Cet adolescent est un “chouf”, un guetteur. En plus de surveiller une éventuelle arrivée de la police, certains sont chargés d’apporter à manger aux dealers, qui ne peuvent pas bouger pendant plusieurs heures. Ici, le trafic a changé. Il y a un an, il était impossible de voir le dealer, des caddies bloquaient les escaliers, et ce dernier se trouvait juste derrière. Seulement son bras était visible lors des transactions. Après plusieurs descentes de police, les trafi- quants ont fait profil bas, et les escaliers ont été libérés. Même les murs qui entourent ce point de vente ont été repeints. Le client est même fidélisé, à partir de 30 euros d’achats, un pa- quet de feuille est offert. Du côté de la Sauvagère, les “choufs” sont en alertes. La police patrouille non loin d’ici. Le dealer “porteur”, qui possède toute la marchandise sur lui, s’enfuit en courant. “Attendez la 10 minutes, le temps qu’ils partent” lance calmement Sofiane aux clients venu se ravitailler. Impassible alors que leur vie se joue en ce moment même, l’un d’eux se permet une petite plaisanterie “On va devoir sortir le Uzi” glisse t-il avec le sourire. Cette relation avec la police est toujours aussi étroite. Surtout depuis que les cités ont été prises d’assaut par les CRS. “C’est vrai, ca fait chier qu’ils bloquent les cités” explique Mehdi, avant d’ajouter “ça dure 2-3 semaines, même pas, le ‘biz’ reprend quand ils partent”. Une sorte de cercle vicieux du jeu du chat et de la souris. Thomas ACARiES Quartiers nord, quartiers Sud, le trafic de drogue sévit sur l’ensemble du territoire marseillais. Sur les pas de trois dealers, au cœur de la cité phocéenne. Cannabis Social Clubs : alternative au marché noir ? Pour se procurer du cannabis en France, les dealers sont presque le passage obligé, ce qui implique trafic et risques sanitaires (mélange avec des produits chimiques). Contre ces problèmes, des usagers ont créé les Cannabis Social Clubs (CSC). Le principe est de cultiver du cannabis pour une vingtaine de membres maximum, avec interdiction de revendre ou de faire consommer à des mineurs. Près de 500 existeraient en France, avec une volonté de créer un débat et de faire changer les mentalités. Dominique Broc, 44 ans, est le chef de file des cannabis social clubs. Il y a 1 mois, il a crée officiellement l’association des cannabis social clubs français (CSCF). Dans les colonnes de Libération, il estime qu’ “une action répressive du gouvernement serait intenable politiquement”, il a pourtant était condamné a 8 mois de prison avec sursis pour pos- session de cannabis. A Marseille, un CSC a déclaré son existence en préfecture il y a quelques semaines. Comme les vingt autres en France qui ont pris ce risque, ils sont suspendus aux différentes dé- cisions de justice. Damien est un jeune marseillais de 22 ans. Il a décidé de se mettre en danger pour faire avancer le débat. “Pour l’instant il s’agit d’un petit groupe de trois. Mais nous n’avons pas comme certains pris le risque de commencer à cultiver. Mais on essaye de faire avancer les choses, de créer un débat au niveau national et local”. Pour ces mem- bres, la solidarité est quelque chose d’essentiel dans le mouvement : “le principe c’est qu’on est tous ensemble, si on tombe, on le fait en- semble”. Damien espère aussi pouvoir échapper comme beaucoup au marché noir du cannabis et ses réseaux mafieux. William gOUTARD SUR LE TERRAIN