1. LES BRÈVES
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LA RÉPONSE IMMUNITAIRE INNÉE
CHEZ DROSOPHILA MELANOGASTER
Par Indoumady Baskara
M1 Génétique GCDE, Paris 11
L’émergence de nouvelles maladies
infectieuses et la récente résurgence
d’anciens pathogènes humains ont
souligné l’importance d’une
compréhension accrue des mécanismes
d’interaction entre les bactéries et leurs
hôtes. En effet, certains micro-
organismes sont pathogènes et peuvent
induire des dysfonctionnements
importants chez l’hôte infecté allant
parfois jusqu’à provoquer la mort
(Beutler, 2004). Les étapes précoces de
l’interaction entre l’hôte et le pathogène
sont déterminantes pour la suite du
processus infectieux. L’immunité
adaptative n’est fonctionnelle que
quelques jours, voire quelques semaines
après l’infection. Entre temps,
l’infection a été combattue par
l’immunité innée qui, bien que moins
spécifique, est néanmoins très efficace
(Lemaitre, 1999).
Confrontés aux mêmes types de
micro-organismes (bactéries, virus,
champignons, levures…), les insectes
ont développé, au cours de l’évolution,
des systèmes de défense performants et
conservés. De nombreux outils généti-
ques et un système immunitaire simple
fondé uniquement sur la réponse innée
font de la drosophile un modèle idéal
pour disséquer les étapes de l’infection
in vivo (Lemaitre, 1999 ; Tzou et al.,
2002). Chez la drosophile, l’infection
induit l’expression de peptides anti-
microbiens (AMPs) présentant de fortes
activités antimicrobiennes, permettant
de protéger l’organisme des pathogènes.
Les gènes codant ces peptides sont
régulés par deux voies de signalisation,
les voies Toll et imd. Chacune active
des facteurs de transcription différents
appartenant à la famille Rel/NF-κB.
Chez les mammifères, ces facteurs
jouent un rôle important dans la
régulation de la réponse immunitaire
innée et de l’inflammation (Beutler,
2004). La conservation de mécanismes
de régulation chez des organismes aussi
distants a souligné l’existence de
mécanismes anti-infectieux ancestraux
communs à tout le règne animal.
Nos connaissances sur ces voies et
sur les mécanismes effecteurs de la
réponse immunitaire innée sont encore
incomplètes. Afin d’approfondir notre
connaissance de ce système, des études
de génomique ont été réalisées
(microarrays, séquençage des génomes
de l’hôte et des pathogènes) : elles
permettent maintenant de passer à l’ère
d’une analyse fonctionnelle post
génomique (crible par interférence ARN
inductible in vivo). Elle nous permettra
d’identifier de nouveaux gènes clés de
ce système immunitaire, et de
commencer à intégrer les mécanismes
moléculaires de l’interaction entre
l’hôte et le pathogène.
Les mécanismes de défense
antimicrobienne de la drosophile
Avant l’initiation d’une réponse
immunitaire innée, les microorganismes
doivent contourner un certain nombre
d’éléments de défense (Cf. figure 1).
Tout d’abord, ils doivent franchir des
barrières naturelles que constituent la
cuticule externe, la matrice péri-
trophique de l’intestin ou la membrane
chitineuse de la trachée (Beutler, 2004 ;
Lemaitre, 1999, Tzou et al., 2002).
Ensuite ils se heurtent à une barrière
chimique. En effet, en ce qui concerne
les muqueuses, l’organisme crée des
conditions non propices au dévelop-
pement du pathogène comme un pH bas
dans l’intestin ou encore des enzymes
digestifs comme les lysozymes…
Lorsqu’un micro-organisme con-
tourne ces barrières, tout un ensemble
de mécanismes de défense est stimulé.
En effet, les insectes, bien que
dépourvus de l’arsenal du système
adaptatif, présentent une grande
résistance aux microorganismes. Ils
disposent de mécanismes de défense
proches de ceux mis en jeu dans la
réponse innée des mammifères, qui sont
fondés sur des réactions cellulaires et
humorales (Beutler, 2004 ; Tzou et al.,
2002). La réponse cellulaire fait
intervenir des cellules équivalentes à
celles de la lignée myéloïde des
mammifères : les hémocytes (Cf. figure
1). De ces dernières dérivent des
cellules spécialisées dans la phago-
cytose (plasmatocytes), l’encapsulation
de corps étrangers (lamellocytes) et
dans la mélanisation (cellules à cristaux)
(Tzou et al., 2002).
Chez les mammifères, la réponse
humorale complète la réponse des
cellules du système immunitaire et
constitue la meilleure arme contre la
propagation des pathogènes. Elle
consiste en la synthèse de peptides
cationiques qui sont produits
essentiellement par le corps gras,
l’analogue fonctionnel du foie des
mammifères. Ces peptides sont ensuite
excrétés dans l’hémolymphe (le sang de
la drosophile) : c’est la réponse
systémique. Il existe une vingtaine de
ces peptides antimicrobiens (AMPs)
inductibles qui sont regroupés en sept
classes. La diptéricine, la défensine, la
drosocine, les cécropines (trois
isoformes) ainsi que les attacines ont
une action uniquement antibactérienne,
la drosomycine a un spectre d’action
antifongique, alors que la metchni-
kowine a une action mixte (Lemaitre et
Hoffmann, 2007).
Selon la voie d’entrée du pathogène,
les premiers tissus exposés seront les
épithélia de l’intestin, des trachées ou de
l’épiderme. Ces tissus développent
également une réponse immunitaire
fondée sur la production locale d’AMPs
et de réactifs oxygénés (Cf. figure 1).
Cet ensemble de mécanismes constitue
la réponse locale. Par exemple, lorsque
le pathogène atteint l’intestin, des
espèces oxygénées réactives (ROS) sont
synthétisées par l’enzyme dual Oxydase
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(duOX) pour l’éliminer (Tzou et al.,
2002 ; Bangham et al., 2006).
Les gènes codant les AMPs sont peu
transcrits normalement, mais sont
fortement induits trois à six heures après
une infection microbienne ou fongique
ou encore une blessure septique. Deux
voies de transduction sont mises en
évidence comme contrôlant cette
transcription, les voies Toll et imd
(Hultmark, 2003 ; Lemaitre, 2004). Ces
dernières sont activées par la
reconnaissance de motifs conservés
présents chez les bactéries ou
champignons, les PAMPs (Pathogen
Associated Molecular Patterns), par des
récepteurs spécialisés, les PRRs
(Pattern Recognition Receptors). La
cascade Toll présente de fortes
similarités avec la voie TLR/NFκB des
mammifères (Beutler, 2004 ; Lemaitre,
1999). Cette voie est activée
essentiellement par les bactéries à Gram
positif et les champignons (Cf. figure
2A). La reconnaissance des bactéries à
Gram positif se fait par détection de
fragments du peptidoglycane de type
lysine, caractéristique des bactéries à
Gram positif, par les récepteurs PGRP-
SA (Peptidoglycan Recognition protein
SA) et GNBP1 (Gram Negative Binding
Protein 1) qui activent une cascade de
clivages et d’activation de protéases à
sérine aboutissant à l’activation de
spätzle. Cette cytokine, présente dans
l’hémolymphe, est le ligand du
récepteur Toll et active notamment
l’expression de l’AMP drosomycine
(Lemaitre, 2004 ; Ferrandon et al.,
2004).
La voie imd présente des similarités
avec la partie intracellulaire de la voie
de signalisation du TNF-R (Tumor
Necrosis Factor Receptor). Cette voie
joue un rôle prédominant dans les
infections par des bactéries à Gram
négatif (Cf. figure 2A). Le récepteur de
la voie imd est une protéine
transmembranaire avec un domaine
PGRP (PeptidoGlycane Recognition
Protein) : PGRP-LC, qui est capable de
détecter les fragments de peptido-
glycane de type DAP (Diamino Pimelic
peptidoglycane), spécifiquement retrou-
vés dans l’enveloppe des bactéries à
Gram négatif. Cette cascade conduit par
exemple à l’induction de l’expression de
la diptéricine (Lemaitre et al., 1997).
D’autres PGRP (PGRP-LB, PGRP-
SC) ont une activité catalytique qui
clive le peptidoglycane, générant des
fragments non immuno-réactifs. Ils
permettent de définir un seuil
d’activation du système immunitaire et
régulent négativement ce système pour
limiter la durée de la réponse (Cf. figure
2A). Ce système de régulation permet
ainsi d’empêcher une activation des
défenses contre des bactéries
commensales, mais également permet
d’éviter d’éventuels dommages aux
tissus de l’hôte consécutifs à une
Figure 1 : la réponse immunitaire chez la drosophile : effecteurs et régulation
Avant l’initiation d’une réponse immunitaire, l’agent infectieux contourne des barrières physiques (cuticule, mem-
brane chitineuse, trachées…) et des barrières chimiques (pH bas, lysozymes...). Puis il initie une réponse immuni-
taire comprenant une réponse humorale et cellulaire. La réponse cellulaire fait intervenir les hémocytes (plasmato-
cytes, lamellocytes et cellules à cristaux) qui permettent la phagocytose, l’encapsulation et la mélanisation du pa-
thogène. La réponse humorale consiste essentiellement en la synthèse de peptides antimicrobiens par le corps gras
(réponse systémique) et par les muqueuses (réponse locale).
PAMPs
+
Réponse immunitaire
humorale cellulaire
plasmatocytes
lamellocytes
Cellules à cristaux
Régulation
par
Toll
IMD
Barrières physiques
Bactérie gram + ou – et champignons
Phagocytose
Encapsulation
mélanisation
Barrières chimiques
Synthèse AMPs
Autres effecteurs ?
Réponse systémique
CORPS GRAS
Réponse locale
INTESTIN
TRACHEES
pH, lysozymes, ROS…
Cuticule externe
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activation trop importante ou trop
longue du système immunitaire
(Lemaitre et Hoffmann, 2007).
Étude post-génomique
de la réponse immunitaire
La majorité des expériences
d'infection chez la drosophile ont été
réalisées soit par injection des
microorganismes directement dans
l'hémocœle, soit à l’aide d’une aiguille
ou d’un injecteur (Cf. figure 2B). Cette
méthode a été utilisée avec succès pour
disséquer les mécanismes régulant la
réponse immunitaire systémique ou la
pathogénie bactérienne (Tzou et al.,
2002). Malheureusement, ce type
d'infection ne permet pas d'étudier les
premières étapes d'une infection
naturelle, notamment la colonisation et
la persistance de la bactérie dans le
tractus digestif. Pour aller au-delà de ces
limites, une méthode d'infection orale a
été mise au point afin d'étudier la
physiologie des interactions entre l’hôte
et les pathogènes (Cf. figure 2B) (Tzou
et al., 2002 ; Lemaitre et Hoffmann,
2007). Ainsi on a pu isoler la souche
Erwinia carotovora spp. carotovora 15
(Ecc15), un phytopathogène qui utilise
la drosophile comme vecteur (Basset et
al., 2000).
Récemment, il a été également isolé
une bactérie, Pseudomonas entomophila
(Pe), qui est capable d'infecter et de tuer
les drosophiles. Il s’agit d’une nouvelle
espèce de bactérie entomopathogène qui
possède un large spectre d’hôte (Liehl et
al., 2006).
La réponse immunitaire de la
drosophile à l’infection naturelle par ces
pathogènes est complexe et met en jeu
de nombreux acteurs et effecteurs dont
certains encore inconnus, sans doute
différents de ceux impliqués dans la
réponse systémique. La plupart de ces
gènes participent à la réponse de l’hôte,
modulent la persistance des bactéries
dans l’intestin et représentent donc des
cibles d’études prometteuses pour la
compréhension du processus infectieux
(Tzou et al., 2002 ; Lemaitre et
Hoffmann, 2007). Une stratégie pour
identifier et caractériser ces gènes clés
est l’approche par génétique inverse
consistant à inhiber in vivo l’expression
d’un gène et à analyser le phénotype
associé (Bangham et al., 2006). Nous
avons donc débuté au laboratoire un
crible pan-génomique destiné à éteindre
in vivo, un par un, l’expression de
chaque gène du génome de la
drosophile par la technique
d’interférence ARN inductible in vivo.
Plusieurs groupes ont montré que la
présence d’ARN double brin (ARNdb)
induit la dégradation du transcrit du
gène endogène. Ainsi, l’injection d’un
Blessure septique Infection orale
ETAT D’ACTIVATION
DU SYSTÈME IMMUNITAIRE
SUSCEPTIBILITE
AU PATHOGENE
Bactéries Gram -
DAPPGRP- LB
PGRP-LC
relish
κB
Diptericin
κBκB
Voie Imd Voie Toll
Bactéries Gram + ou Champignons
Spaetzle
dorsal dif
Dorsal
κBκBκB
Drosomycin
Toll pathwayImd pathway
PGRP-SA
GNBP1
GNBP3
Serine proteases
Figure 2 : régulation de la synthèse des peptides antimicrobiens et étude de la réponse innée de la drosophile
A/ Les bactéries à Gram+ et les champignons activent la voie Toll alors que la voie imd est déclenchée par les bac-
téries à Gram-
. La reconnaissance des bactéries Gram+ par PGRP-SA et GNBP1 et des champignons par GNBP3
entraîne une cascade protéolytique aboutissant au clivage de la cytokine spätzle. Cette dernière est le ligand du
récepteur Toll, qui entraîne la translocation nucléaire des facteurs de transcription dorsale et dif conduisant ainsi à
l’expression de la drosomycine. La reconnaissance des bactéries à Gram-
par PGRP-LC conduit à l’activation de la
voie de signalisation Imd, aboutissant à la translocation nucléaire de relish et à l’expression de la diptericin.
B/ Afin d’étudier la réponse immunitaire chez la drosophile, différentes lignées sont infectées par blessure septique
ou par infection orale. La susceptibilité de ces lignées aux infections ainsi que l’état d’activation du système immuni-
taire sont étudiés.
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fragment d’ARNdb dans l’œuf de
drosophile peut mimer un phénotype
« perte de fonction du gène endogène »
au cours du développement. Pour
étudier la fonction d’un gène à un stade
plus tardif (larves, adultes), il suffit
d’induire l’expression d’ARNdb dans
des drosophiles génétiquement
modifiées.
Notre équipe a donc établi une
collaboration avec le laboratoire du Dr
Ryu Ueda du National Institute of
Genetic, Mishima, Japon. Il s’est lancé
dans la production de lignées UAS-IR à
grande échelle, capables de cibler plus
de 9000 gènes du génome de la
drosophile. Cette collaboration permet
pour la première fois d’envisager une
étude systématique pan-génomique des
gènes impliqués dans le système
immunitaire de la drosophile. Les
progrès réalisés en génomique et dans le
domaine de l’immunité innée
permettent de bien appréhender
aujourd’hui les mécanismes mis en
place par l’hôte dans la reconnaissance
et l’élimination d’agents infectieux dans
un environnement non septique. Un des
défis majeurs aujourd’hui est
d’identifier, au sein des muqueuses, les
mécanismes permettant l’élimination
spécifique d’un pathogène parmi la flore
microbienne. Ainsi on pourra mieux
comprendre l’articulation entre réponse
locale et systémique ainsi que la
physiologie du processus infectieux.
Cette approche post-génomique et
l’utilisation de pathogènes naturels
comme Ecc15 et Pe qui évoluent avec
l’insecte rendent possibles de tels
projets. ¦
Références :
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