3.
Résumé
En France, deux kilogrammes de déchets radioactifs1
sont produits par personne et par an. Parmi ces
déchets, certains resteront nocifs pour l’homme et l’environnement pendant un million d’années.
Ces déchets à vie longue sont actuellement entreposés dans des installations de surface conçues
pour durer une cinquantaine d’années.
En 1991, le législateur créé l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’Andra. L’une
de ses missions est de conduire les recherches visant à stocker les déchets radioactifs à vie longue en
couche géologique profonde. En 2006, la loi confirme le stockage réversible profond étudié par
l’Andra comme la solution de référence pour la gestion durable des déchets de haute et de moyenne
activité à vie longue (HA‐MAVL).
Notre travail de fin d’études a porté sur l’étude de scénarios d’acheminement des colis de déchets
HA et MAVL depuis les entrepôts de surface jusqu’au futur stockage profond, dont la mise en service
est prévue pour 2025. Ces scénarios incluent des étapes de manutention, de conditionnement, de
contrôle et de transport des colis, le tout s’intégrant dans une véritable chaîne logistique de gestion
des colis de déchets.
La première complexité de cette problématique est de type combinatoire : une centaine de colis HA
et MAVL différents entreposés sur quatre sites de production sont destinés à un stockage unique.
L’ordonnancement du stockage a donc été un élément central de nos travaux. Les scénarios sur
lesquels nous avons planchés précisent en outre pour chaque famille de déchets les flux de colis, les
dates et les lieux associés à chacune des étapes de la chaîne logistique.
D’autre part, l’élaboration des scénarios de gestion des colis est une étude multicritères à part
entière. En effet, le projet de stockage réversible profond s’appuie sur les plans :
• Scientifiques et techniques : Des équipements de haute technologie sont nécessaires à la
gestion des colis de haute et de moyenne activité, pour assurer la protection des travailleurs
et du public durant toute la durée de vie des radionucléides présents dans les déchets.
• Politiques : Expression d’une politique publique, le projet de stockage réversible profond est
encadré, évalué et contrôlé par plusieurs institutions représentant la nation. L’implantation
du futur stockage est également un enjeu de politique locale très sensible.
• Economiques : La conception, l’exploitation et la fermeture d’installations d’entreposage et
de stockage ont un coût élevé supportés en intégralité par les producteurs de déchets
radioactifs (CEA, EDF, Areva).
Enfin, l’élaboration des scénarios de gestion des colis de déchets HA et MAVL s’inscrit dans un
environnement multi‐acteurs, et conditionne à la fois la conception du futur stockage ainsi que les
opérations de gestion des colis sur les sites de production. Pour comprendre les responsabilités et le
point de vue de chacune des parties prenantes, nous avons rencontré des représentants du CEA,
d’EDF, d’Areva et de l’Autorité de sûreté nucléaire.
1
Site de l’Andra : www.andra.fr
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 3 sur 109
4. Résumé
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 4 sur 109
Pour répondre à la problématique, nous avons commencé par rencontrer les ingénieurs de l’Andra
pour recueillir l’ensemble des données nécessaires à l’élaboration des scénarios de gestion des colis
et pour définir les critères d’optimisation associés à chaque étape de la chaîne logistique.
Nous avons ensuite modélisé mathématiquement les scénarios d’entreposage et de stockage des
colis de déchets comme des déplacements élémentaires d’un lieu initial à un lieu final, pouvant
inclure une étape de transport et/ou de conditionnement. Dans la logique de l’ordonnancement, des
dates et des flux sont associés à chaque déplacement élémentaire.
Une première étude a alors été menée sur les colis de déchets vitrifiés de haute activité produits à la
Hague. Bien que ne prenant en compte qu’un seul type de déchets, cette étude nous a conduits à
élaborer trois scénarios différents, que nous avons comparés sur un plan économique grâce aux
données récupérées à l’Andra. Les enjeux sociopolitiques et de sûreté liés à cette étude sont
toutefois encore à approfondir, notamment en intégrant des critères issus de la concertation avec les
élus locaux et les associations.
Nous avons ensuite mis en place une méthodologie pour réaliser des scénarios comportant plusieurs
familles de déchets et plusieurs entrepôts initiaux. Cela nous a conduits à développer un logiciel de
simulation et d’analyse des scénarios vis‐à‐vis des différents critères techniques, économiques ou de
sûreté que nous avions définis. Cette méthodologie a alors été appliquée pour obtenir deux
scénarios répondant à des critères différents : limiter la création de nouveaux entrepôts ou réduire
les risques sur la mise en route du stockage.
Devant la difficulté de comparer des critères de natures différentes, nous nous sommes appliqués à
décortiquer le processus décisionnel qui permettra d’aboutir au scénario retenu pour les premières
années de l’exploitation du stockage réversible profond. Nous avons mis en exergue le caractère
collectif de l’élaboration des scénarios d’entreposage et de stockage, impliquant à la fois l’Andra et
les producteurs de déchets.
Notre exposé final s’est attaché à montrer la précocité (inattendue) des échéances liées à la décision
des premiers colis à stocker dès 2025. Nous avons émis deux hypothèses permettant d’aboutir
rapidement à une décision en cas de retard dans la concertation entre l’Andra et les producteurs de
déchets :
• La mise en place d’un arbitre, qui reste encore à définir.
• La prise de conscience collective de l’urgence des échéances, qui permettrait alors
d’accélérer le processus en réduisant la complexité du problème.
10.
Introduction
Il y a 1,5 million d’années, l’Homo Habilis inventait la technique en créant les premiers outils. Il y a
500 000 ans, l’Homo Erectus réussissait à maîtriser le feu. Telles sont les échelles de temps de
l’évolution humaine. Il y a 50 ans, l’Homo Sapiens Sapiens français créait son premier déchet
nucléaire à vie longue, dont la radioactivité restera dangereuse pendant au moins un million
d’années.
De nos jours, les déchets de haute et de moyenne activité à vie longue (HA‐MAVL) sont entreposés
dans des installations de surface conçues pour durer une cinquantaine d’années. Devant la nécessité
de « limiter les charges qui seront supportées par les générations futures »2
, il est apparu
indispensable de rechercher des solutions de gestion à long terme pour les déchets radioactifs à vie
longue.
L’Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs (Andra) est chargée de concevoir un
centre de stockage en couche géologique profonde pour isoler les déchets HA et MAVL de la
biosphère pendant le million d’années nécessaires à la décroissance de leur radioactivité. Notre
travail de fin d’études aux Mines de Paris s’est inscrit dans ce projet à forts enjeux.
Comme le précise son intitulé3
, notre étude concernait en effet la gestion opérationnelle des colis de
déchets HA et MAVL depuis leur production jusqu’à leur stockage, avec l’objectif de « proposer des
méthodes de modélisation et d’analyse des scénarios possibles de gestion des déchets et colis de
déchets, et à en tester l’application sur des cas concrets. »
La première partie de ce rapport présente l’ensemble du contexte concernant la gestion des déchets
de haute et moyenne activité à vie longue (parties A et B). Nous présentons ensuite le cœur de notre
travail sur les chroniques d’entreposage et de stockage (parties C et D) qui nous a amené à nous
interroger sur le processus décisionnel de la chronique finale dans un environnement multi‐acteurs
(partie E).
2
Voir Annexe 4 : Code de l’Environnement
3
Voir Annexe 1 : Intitulé du travail d’option
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 10 sur 109
11.
A/ Petite histoire de la gestion des déchets nucléaires4
1. L’héritage de la politique énergétique française
L’époque des pionniers
Les premiers déchets radioactifs apparaissent en France dans les années 1930. Ce sont les sources de
radium utilisées dans les hôpitaux pour soigner le cancer. Les premiers déchets nucléaires
apparaissent quant à eux après la seconde guerre mondiale, avec la création du Commissariat à
l’Energie Atomique (CEA), qui entame les premières recherches nucléaires françaises.
La quantité de déchets radioactifs devient significative en France au cours des années 1950 et 1960,
avec la fabrication d’armes atomiques et la construction des réacteurs électronucléaires de première
génération, fonctionnant à l’uranium naturel. Le premier essai nucléaire est organisé en Algérie en
1960 et la force de dissuasion nucléaire française devient opérationnelle en 1964, avec la première
prise d’alerte d’un Mirage IV armé d’une bombe à fission. La première bombe à fusion explose en
1968 et la flotte de sous‐marins nucléaires lanceurs d’engins est constituée à partir de 1971.
A cette époque, le CEA dispose de plusieurs sites dédiés à la conception de la bombe atomique
française. Les sites de Pierrelatte (26) et de Marcoule (30) produisent respectivement l’uranium
hautement enrichi et le plutonium, qui servent à la fabrication des têtes nucléaires, assemblées sur le
site de Valduc (21). Le site de Marcoule, avec ses trois réacteurs et son usine de traitement des
combustibles usés, est le premier à produire des déchets nucléaires. Les premières installations
militaires de Pierrelatte et de Marcoule sont aujourd’hui en cours de démantèlement, car les stocks
de matières fissiles à usage militaires sont considérés comme suffisants pour les besoins de la
Défense Nationale.
Au début des années 1960, le stockage des déchets radioactifs n’est pas encore une solution
éprouvée. Les déchets font néanmoins l’objet d’un conditionnement solide assurant le confinement
des radionucléides et sont entreposés sur site, dans l’attente d’une solution satisfaisante. En 1967 et
en 1969, la France participe toutefois à deux campagnes internationales d’immersion en Atlantique.
Au total, 46 396 fûts de déchets de faible activité sont immergés à 4 000 mètres de profondeur. Cette
pratique, initiée à titre expérimental par la France, a été arrêtée définitivement depuis la Convention
de Londres (1982).
Fig. 1 : Immersion de déchets radioactifs dans l’Atlantique (Andra, 2009)
4
D’après l’ouvrage de cours Introduction au génie atomique, de Jacques Bouchard, Jean‐Paul Deffain et Alain
Gouchet (Les Presses Mines ParisTech)
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 11 sur 109
12. Petite histoire de la gestion des déchets nucléaires
Dans le civil, sept réacteurs de puissance fonctionnant à l’uranium naturel sont mis en service de
1963 à 1972. Ils sont implantés sur les premières centrales nucléaires EDF à Chinon, Chooz, Saint‐
Laurent et Bugey. Cette première génération de réacteurs électronucléaires affiche des puissances
comprises entre 70 et 540 MW, à comparer aux 900 MW, 1300 MW puis 1500 MW de la seconde
génération de réacteurs.
L’âge d’or
En 1974, le premier choc pétrolier conduit le gouvernement français à lancer un ambitieux
programme électronucléaire. Le constructeur américain Westinghouse cède la licence de ses
Réacteurs à Eau Pressurisée (REP) au français Framatome. Eurodif, la première usine civile
d’enrichissement est créée à Pierrelatte pour alimenter la seconde génération de réacteurs,
fonctionnant à l’uranium légèrement enrichi. En 20 ans seulement, 58 réacteurs sont construits sur
19 centrales nucléaires. La France acquiert alors un taux d’indépendance énergétique proche de 50%
et se positionne comme le second producteur mondial d’électricité d’origine nucléaire, derrière les
Etats‐Unis. La filière connaît un essor remarquable et permet à EDF de se développer en Europe.
Fig. 2 : Production d’électricité en France (RTE, 2009)
En 1976, l’Etat crée la Compagnie générale des matières nucléaires, la Cogema, spécialisée dans
l’approvisionnement en uranium et dans le traitement des combustibles usés. La Cogema exploite
alors l’usine de La Hague, où sont traités les combustibles usés des réacteurs français et étrangers à
une échelle industrielle. Deux nouvelles lignes de séparation des matières valorisables et de
conditionnement des déchets ultimes y sont créées au début des années 1990 pour répondre à
l’explosion de la demande.
L’avantage du traitement est de permettre le recyclage des combustibles usés. Toutes les puissances
nucléaires n’ont pas fait ce choix : aux Etats‐Unis par exemple, le combustible usé n’est pas valorisé,
c’est un déchet ultime destiné au stockage. L’usine de La Hague permet de récupérer l’uranium
restant dans le combustible ainsi que le plutonium apparu au cours de l’irradiation en réacteur.
L’uranium de retraitement peut être ré‐enrichi pour former du combustible neuf. Le plutonium est
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 12 sur 109
13. Petite histoire de la gestion des déchets nucléaires
envoyé à l’usine MELOX de Marcoule pour y être mélangé avec de l’uranium appauvri et donner du
combustible recyclé MOX (Mixed OXydes). Aujourd’hui, l’uranium de retraitement enrichi et le MOX
alimentent respectivement 4 et 21 réacteurs nucléaires EDF, ce qui porte à 17% la part de
combustible électronucléaire français provenant du recyclage.
Le choix du traitement et du recyclage justifie le concept de « cycle du combustible nucléaire ». Cette
politique conditionne également la définition légale des déchets radioactifs. Selon le Code de
l’Environnement, les déchets radioactifs ultimes sont ceux qui « ne peuvent plus être traités dans les
conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de leur part valorisable
ou par réduction de leur caractère polluant ou dangereux »5
. La sémantique distingue donc les
matières radioactives, l’uranium et le plutonium, des déchets radioactifs.
La chute et la renaissance
L’accident de la centrale américaine de Three Mile Island le 28 mars 1979 et l’explosion de la centrale
ukrainienne de Tchernobyl le 26 avril 1986 portent un coup sévère au développement de la filière
électronucléaire durant les décennies 1980 et 1990. Les nombreuses analyses rétrospectives ont
toutefois montré que l’accident de Tchernobyl était imputable à l’incompétence flagrante du
personnel et à une série d’essais complètement hasardeux. Mais à l’époque, les 50 pertes directes,
auxquelles viennent s’ajouter au moins 4 000 décès causés par les radiations et la contamination de
l’environnement, traumatisent le monde entier. La plupart des pays, dont la France, gèlent leur
programme nucléaire et certains pays, comme l’Autriche et l’Italie, décident même de sortir du
nucléaire.
C’est l’imminence d’une autre catastrophe environnementale qui permet à l’industrie
électronucléaire de rebondir au début des années 2000. Le changement climatique vient apporter un
argument de poids aux « supporters du tout nucléaire » : c’est la seule source d’énergie sans carbone
qui soit capable de se substituer aux énergies fossiles ! En effet, les énergies renouvelables ne seront
pas suffisantes, car l’hydraulique est pratiquement exploitée au maximum de ses possibilités, tandis
que l’éolien et le solaire forment une offre peu compétitive, irrégulière et insuffisante.
En 2007, le chantier du premier réacteur de troisième génération, de technologie EPR (European
Pressurized Reactor), est finalement lancé à Flamanville. La conception de ces nouveaux réacteurs
n’est pas révolutionnaire, mais vise à capitaliser l’expérience acquise avec les réacteurs à eau
pressurisée, en vue d’assurer la relève d’un parc nucléaire vieillissant. Cependant, le programme EPR
ayant pris au moins deux décennies de retard avec l’effet Tchernobyl, EDF envisage de prolonger la
durée de vie des centrales actuelles au‐delà des quarante ans d’exploitation initialement prévus.
La génération suivante de réacteurs fait déjà l’objet d’intenses recherches, coordonnées au sein du
Forum International Génération IV. Un consensus semble s’établir autour des réacteurs à neutrons
rapides pour constituer cette quatrième génération. En tout état de cause, il est certain que la fusion
nucléaire ne pourra prendre la relève de la fission avant au moins un siècle, ce qui assure un bel
avenir à la production des déchets nucléaires tels qu’on les connaît.
5
Voir Annexe 4 : Code de l’Environnement
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 13 sur 109
14. Petite histoire de la gestion des déchets nucléaires
Fig. 3 : Les quatre générations de réacteurs nucléaires à l’uranium (EDF, 2009)
2. Le talon d’Achille de l’industrie nucléaire
Les filières de gestion françaises
La France a adopté une classification de ses déchets radioactifs basée sur deux paramètres : leur
activité et leur période radioactive. En se désintégrant, les éléments radioactifs contenus dans les
déchets émettent l’un des trois types de rayonnements dangereux, classés par pouvoir de
pénétration croissant : alpha (noyaux d’hélium), béta (électrons ou positons) et gamma (photons de
grande énergie). L’activité des éléments radioactifs s’exprime en becquerels (Bq), correspondant à
un nombre de désintégration par seconde. Les déchets sont considérés de faible activité jusqu’à
100 000 Bq par gramme, soit 10 000 fois la radioactivité naturelle du granite, mais seulement 10 fois
la radioactivité naturelle du minerai d’uranium.
La gravité de l’exposition humaine à la radioactivité s’exprime en débit de dose, dont l’unité est le
sievert (Sv). Pour un colis de déchets radioactifs, elle est non seulement fonction de l’activité du colis,
mais aussi de la capacité de confinement de son conditionnement, de la distance du sujet exposé et
de la durée de l’exposition. Les déchets de haute activité sont par exemple transportés dans des
emballages blindés qui abaissent le débit de dose au contact à un niveau très inférieur à celui de la
radioactivité naturelle, estimée à 2,4 mSv par an et par personne. La réglementation européenne fixe
la limite d’exposition artificielle du public à 1 mSv par an et celle des travailleurs du nucléaire à 20
mSv par an.
La période radioactive correspond au temps nécessaire pour que la quantité d’atomes radioactifs
présents dans un colis de déchets se soit désintégrée de moitié. La période varie avec les
caractéristiques de chaque élément radioactif, dont la durée de vie vaut une dizaine de période. Par
exemple, les déchets à vie courte ont une période radioactive inférieure à 31 ans et perdent toute
trace de radioactivité après 300 ans. Ils sont stockés par l’Andra dans les centres de stockage de
surface de l’Aube. A l’opposé, les déchets à vie longue peuvent rester dangereux pour l’homme et
son environnement pendant des centaines de milliers d’années. La période radioactive du neptunium
237 est ainsi supérieure à 2 millions d’années !
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 14 sur 109
15. Petite histoire de la gestion des déchets nucléaires
Vie très courte (VTC)
Vie Courte
(VC)
Vie Longue
(VL)
Très Faible
Activité (TFA)
Déchets VTC
(Entreposage de
décroissance sur site)
Déchets TFA
(Centre de stockage de Morvilliers)
Faible Activité
(FA) Déchets FMA‐VC
(Centre de stockage
de Soulaines)
Déchets FAVL
(Stockage en projet)
Moyenne Activité
(MA)
Déchets HA‐MAVL
(Stockage en projet)
Haute Activité
(HA)
3,8% des déchets en volume
99,9% de la radioactivité !
Fig. 4 : La classification française des déchets radioactifs (Andra, 2009)
Comme on peut le voir dans le tableau précédent, les deux paramètres physiques « activité » et
« durée de vie » délimitent plusieurs filières d’élimination des déchets dont la gestion est assurée par
l’Andra. Les filières pour les déchets à vie longue sont encore à l’état de projet, que ce soit le centre
de stockage à faible profondeur des déchets de faible activité à vie longue ou le centre de stockage
en couche géologique profonde des déchets de haute et moyenne activité à vie longue. A l’inverse,
les filières pour les déchets à vie courte sont d’ores‐et‐déjà opérationnelles.
Dans ce cadre, l’Andra est en charge de la surveillance du Centre de Stockage de la Manche (CSM),
qui a accueilli entre 1969 et 1994 plus de 500 000 m3
de déchets de (FMA‐VC). L’Andra exploite
désormais dans l’Aube le Centre de Stockage des déchets de Très Faible Activité (TFA), le CSTFA, et le
Centre de Stockage des déchets de Faible et Moyenne Activité à Vie Courte (FMA‐VC), le CSFMA,
dotés respectivement d’une capacité de 650 000 m3
et d’1 million de m3
.
Fig. 5 : Vue aérienne du CSM Fig. 6 : Vue intérieure du CSTFA Fig. 7 : Vue intérieure du CSFMA
Les déchets de haute et de moyenne activité à vie longue
En 2007, l’Inventaire National a recensé 3 000 m3
de déchets de Haute Activité (HA) et 40 000 m3
de
déchets de Moyenne Activité à Vie Longue (MAVL) français. En 2030, on estime que l’inventaire sera
porté à 5 000 m3
pour les déchets HA et 50 000 m3
pour les déchets MAVL. La filière électronucléaire
est responsable à elle seule de la production de 80% des déchets HA et de 60% des déchets MAVL.
S’ils ne représentent en volume que 0,2% du total des déchets radioactifs français, les déchets HA
concentrent à eux seuls 95% de la radioactivité !
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 15 sur 109
16. Petite histoire de la gestion des déchets nucléaires
Déchets HA Déchets MAVL
Fig. 8 : Répartition en volume des déchets HA et MAVL à fin 2007 (Inventaire National, 2009)
Les déchets HA et MAVL français sont principalement issus du traitement des combustibles usés,
actuellement réalisé par Areva à La Hague grâce à deux usines de capacité annuelle de 800 tonnes de
combustible chacune. Une fois déchargé du réacteur, le combustible usé contient 96% de matières
valorisables (95% d’Uranium et 1% de Plutonium) et 4% de déchets radioactifs. Le traitement
consiste à séparer les matières valorisables des déchets, à les purifier et à les conditionner sous une
forme qui permette de les expédier en toute sécurité vers les usines de fabrication du combustible
recyclé.
Les 4% d’éléments non‐valorisables présents dans le combustible usé sont constitués :
• de produits de fission (Césium 134, Strontium 90), éléments radioactifs à vie courte, et
• d’actinides mineurs (Curium 244, Américium 241), éléments radioactifs à vie longue.
Ces déchets sont concentrés dans une solution de haute activité et mélangés à de la fritte
de verre dans un four de fusion pour former un verre homogène emprisonnant les
éléments radioactifs. C’est le procédé de vitrification, élaboré dans l’Atelier Pilote de
Marcoule, puis mis en service à une échelle industrielle dans l’Atelier de Vitrification de
Marcoule et les ateliers R7 et T7 de La Hague. 98% du volume des déchets HA français
destinés au stockage profond se présente sous forme de colis de déchets vitrifiés. Le
reste est composé de quelques combustibles usés expérimentaux et issus de la propulsion
navale, qui seront sans doute stockés en l’état. Traiter 800 tonnes de combustible usé
génère environ 500 Colis Standards de Déchets Vitrifiés (CSD‐V) de 400 kg.
Fig. 9 : CSD‐V
Le traitement des combustibles usés produit également de nombreux déchets MAVL et
en premier lieu, les déchets de structure des assemblages combustibles, qui contiennent
des produits d’activation à vie longue. Areva a mis au point à La Hague un procédé de
compactage des coques et embouts qui permet de diviser le volume de ce type de
déchets par un facteur cinq. La France applique en effet une stratégie de concentration
de la radioactivité qui passe par la réduction du volume des déchets ultimes. Les galettes
obtenues sont ensuite conditionnées dans des Conteneurs Standards de Déchets
Compactés (CSD‐C) de 175L, géométriquement semblables aux conteneurs de déchets
vitrifiés. Fig. 10 : CSD‐C
Comme tout procédé industriel, le traitement génère également des déchets technologiques qui lui
sont propres : matériels usés, gants, filtres, résines. Ces déchets sont conditionnés en colis cimentés.
Enfin, les effluents radioactifs issus notamment des opérations de rinçage sont ordinairement
conditionnés en colis de déchets bitumés. Un conditionnement des déchets sous forme solide est en
effet une spécification d’acceptation au stockage indispensable.
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 16 sur 109
17. Petite histoire de la gestion des déchets nucléaires
Fig. 11 : Colis de déchets cimentés Fig. 12 : Colis de déchets bitumés
Outre les déchets issus directement du traitement des combustibles usés, certaines structures
activées par les flux de neutrons présents dans les réacteurs nucléaires conduisent à des déchets
MAVL en faible quantité, par exemple, les grappes de contrôles ou les structures récupérées après
démantèlement. Par ailleurs, les installations de recherche du CEA et le programme de la défense
nationale produisent également des déchets MAVL. Les déchets MAVL, contenant moins de
radionucléides à vie courte que les déchets HA, émettent peu de chaleur mais nécessitent un
isolement de longue durée à cause de leur contenu en éléments radioactifs à vie longue.
L’épineuse question des déchets à vie longue
Les déchets nucléaires, et tout particulièrement les déchets à vie longue, alimentent
traditionnellement l’argumentaire des opposants à l’énergie atomique. Au‐delà du danger lié à
l’exposition directe, ils représentent une menace à très long terme pour l’environnement. La durée
de leur nocivité est un argument qui défie la raison. Comment s’assurer que les radionucléides ne se
répandront pas dans la nature, qu’ils ne pollueront pas les sols et les nappes phréatiques, qu’ils ne
passeront pas dans la chaîne alimentaire ? Qui les surveillera pendant un million d’années ?
Lorsque l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs est créée en 1979, sa mission est
limpide : régler le problème des déchets nucléaires qui menace l’avenir de la filière électronucléaire
française. Pour des raisons de sûreté et de radioprotection, les déchets HA et MAVL ne peuvent être
stockés en surface, comme c’est déjà le cas pour les déchets à vie courte. Depuis les années 60, un
concept fait consensus au sein de la communauté scientifique internationale : le stockage en
profondeur. L’idée est de disposer les déchets dans une formation géologique assurant le
confinement des radionucléides durant les centaines de milliers d’années nécessaires.
Pour explorer cette voie, l’Andra s’associe en 1982 avec la Belgique, la Suisse et l’Allemagne, qui
possèdent déjà des laboratoires souterrains destinés à l’exploration de formations argileuses,
granitiques et salines. A la fin des années 1980, l’agence prospecte les campagnes françaises en
quête d’une formation géologique adéquate. Quatre départements sont retenus pour faire l’objet
d’un examen approfondi de leur sous‐sol : les Deux Sèvres (granite), le Maine et Loire (ardoise), l’Ain
(formations salines) et l’Aisne (argile).
Sur place, les techniciens entament des études géologiques et sismiques, mais se heurtent
rapidement à des réactions violentes, relayées par un puissant écho médiatique stigmatisant les
« poubelles nucléaires » de l’Andra. C’est le début d’un bras de fer entre l’intérêt général et l’intérêt
particulier. Investis d’une mission stratégique pour l’avenir de la politique énergétique française, les
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 17 sur 109
18. Petite histoire de la gestion des déchets nucléaires
ingénieurs négligent de consulter les élus locaux et les associations. Soucieux de l’impact négatif que
pourrait avoir un stockage sur l’image de leur région et son économie, certains riverains se
mobilisent contre le projet.
Au‐delà de la réticence des populations locales, le projet de stockage profond rencontre également
l’opposition frontale des militants anti‐nucléaires. Des rassemblements fortement médiatisés sont
organisées sur les sites qui retiennent l’attention de l’Andra. En mettant en échec toute solution de
gestion à long terme des déchets, les opposants entendent démontrer que l’industrie nucléaire toute
entière est dans une impasse. Cette résistance idéologique n’a qu’un seul but : alarmer l’opinion
publique pour que la France sorte du nucléaire.
Sous l’effet de la vive opposition suscitée par les investigations sur le terrain, le Premier Ministre
Michel Rocard décrète en 1989 un moratoire qui gèle les recherches menées dans le cadre du projet
de stockage profond. Pour sortir de cette impasse et redonner une légitimité au projet, le
gouvernement décide de transmettre le dossier au législateur au début des années 1990.
3. Un enjeu de politique nationale et locale
L’encadrement législatif des trois axes de recherche
Le 30 décembre 1991, le parlement vote sans opposition une loi sur la gestion durable des déchets
radioactifs. On la nomme aussi « loi Bataille », du nom de son rapporteur, le député du Nord,
Christian Bataille, également membre de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques
et Technologiques (OPECST). Cette loi est historique à double titre. Elle marque d’abord la prise en
main du problème de la gestion des déchets HA et MAVL par les parlementaires. C’est également la
première fois qu’une loi française fixe avec précision le contenu d’un programme de recherche.
La loi définit en effet trois axes de recherches pour la gestion des déchets de haute activité. Le
stockage en couche géologique profonde reste une solution privilégiée, dont l’étude est confiée à
l’Andra. A cette occasion, l’agence se voit attribuer le statut d’Etablissement Public Industriel et
Commercial (EPIC). L’objectif est de lui conférer une véritable indépendance vis‐à‐vis du CEA (dont
elle était précédemment un département), et plus largement des producteurs de déchets.
Le CEA hérite des deux autres axes de recherche : l’entreposage de longue durée en surface et la
séparation‐transmutation. L’entreposage n’est pas une solution définitive car les installations de
surface ont des durées de vie limitées. Cette solution fait donc supporter la charge des déchets
radioactifs sur les générations futures. Elle nécessite en effet de reconstruire périodiquement de
nouveaux entrepôts et d’y transférer les déchets qui s’accumulent, tout en sachant que leur
conditionnement se dégrade avec le temps. L’entreposage permet cependant de regrouper les
déchets afin d’en faciliter l’accès et la surveillance, dans l’attente de progrès scientifiques permettant
l’émergence de nouvelles solutions. Aujourd’hui, l’entreposage de longue durée comme solution de
gestion à long terme des déchets a été abandonné par la loi. Toutefois, l’entreposage préalable des
déchets reste une étape nécessaire, pour assurer notamment la décroissance thermique des déchets
dont la température est incompatible avec le stockage en couche géologique profonde.
L’entreposage est par ailleurs la seule solution disponible à l’heure actuelle pour gérer les déchets HA
et MAVL.
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19. Petite histoire de la gestion des déchets nucléaires
Le dernier axe, celui de la séparation‐transmutation, est de loin le plus prospectif. Dans un contexte
industriel, la séparation poussée interviendrait dans le cadre du traitement du combustible usé,
après que la solution de haute activité ait été épurée des matières valorisables (uranium et
plutonium). Plutôt que de vitrifier cette solution en vue de l’entreposer puis de la stocker, l’idée de la
séparation poussée est d’en extraire sélectivement les radionucléides : neptunium, puis iode, puis
américium, puis curium, etc. La faisabilité de ce procédé a été démontrée dans l’installation Atalante
du CEA à Marcoule.
La transmutation vise à diminuer la durée de vie des radioéléments à vie longue isolés par séparation
poussée. Un tel miracle pourrait être obtenu par bombardement neutronique dans un réacteur à
neutrons rapides (RNR). C’est la raison pour laquelle le CEA privilégie les RNR comme solution de
référence pour la quatrième génération de réacteurs électronucléaires. Le réacteur expérimental à
neutrons rapides Phénix a démontré la faisabilité de la transmutation de certains actinides mineurs
comme l’américium et le neptunium. Cependant, les recherches menées par le CEA ont conclu à
l’infaisabilité industrielle de la transmutation des produits de fission comme l’iode 129 et le césium
135. La transmutation ne pourra donc pas se substituer au stockage profond des déchets ultimes de
haute activité. A terme, elle pourra toutefois en réduire la nocivité.
La réconciliation des intérêts locaux et nationaux
En 1993, le député Christian Bataille prend en charge une mission de médiation pour trouver de
nouveaux sites susceptibles d’accueillir un laboratoire souterrain. Après l’échec des investigations
menées sans concertation à la fin des années 1980, le processus intègre dorénavant un dialogue
direct avec les élus locaux. Un appel à candidature est lancé auprès des Conseils Généraux de toute
la France, et quatre départements sont finalement retenus pour l’intérêt de leur sous‐sol : la Vienne,
la Meuse, la Haute‐Marne et le Gard.
En 1994, les géologues de l’Andra peuvent retourner sereinement sur le terrain. Leurs investigations
sont désormais encadrées par une loi, et soutenues sur place par des élus qui trouvent un véritable
intérêt dans le projet. Le stockage en couche géologique profonde représente en effet une source
importante d’emplois directs et indirects sur une durée d’exploitation qui dépassera certainement le
siècle. En plus des emplois créés, un laboratoire souterrain génère également des revenus directs
pour les communes et les départements sur lesquels il est implanté, via un fonds d’accompagnement
financé directement par une taxe payée par les producteurs de déchets radioactifs.
L’Andra dépose en 1996 trois demandes de création pour des laboratoires souterrains dans la
Vienne, dans le Gard et sur la commune de Bure (85 habitants), située à la frontière entre la Meuse
et la Haute‐Marne. Cependant, le site granitique de la Vienne est écarté pour des raisons
scientifiques. Le site du Gard rencontre sur place la vive opposition de certains vignerons qui
craignent que le projet porte atteinte à l’image de leur vignoble. Un unique laboratoire voit donc le
jour à Bure, pour y étudier une couche d’argile datant du Callovo‐Oxfordien (‐160 Millions d’années).
Le but est de recueillir des données sur le comportement mécanique, thermique et chimique de la
roche à 500 mètres de profondeur, afin de tester ses capacités de confinement, son imperméabilité
et sa stabilité.
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 19 sur 109
20. Petite hiistoire de la ggestion des ddéchets nuclléaires
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21. Petite histoire de la gestion des déchets nucléaires
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 21 sur 109
pendant une durée d’au moins cent ans, notamment dans le cas d’une évolution des connaissances
scientifiques qui permettrait de valoriser les déchets autrement. Sur le plan décisionnel, l’Andra
envisage actuellement la réversibilité par le pilotage progressif du processus de stockage, qui
pourrait s’étaler sur une centaine d’années. La fermeture du site pourra être effectuée par étapes
intermédiaires, tout en sachant que les opérations de retrait des colis deviendraient progressivement
plus complexes.
En outre, le stockage devra être modulaire, afin de permettre aux générations suivantes d’en faire
évoluer la conception en fonction du retour d’expérience acquis. Les décisions correspondant à la
construction, à la mise en exploitation, au remblaiement, puis au scellement de chaque module de
stockage seront prises par les parties prenantes à l’occasion de jalons intermédiaires, qui pourraient
être planifiés tous les dix ans par exemple.
22.
B/ Le projet de stockage réversible profond
1. Un objet scientifique et technologique
Un objectif de sûreté à long terme
L'objectif fondamental du stockage réversible profond est rappelé par le Guide de sûreté relatif au
stockage définitif des déchets radioactifs en formation géologique profonde (ASN, 2008) : « La
protection des personnes et de l'environnement constitue l'objectif fondamental assigné au stockage
des déchets en formation géologique profonde. Elle doit être assurée envers les risques liés à la
dissémination de substances radioactives et de toxiques chimiques ».
La protection de l’homme et de l’environnement repose sur le respect d’exigences de sûreté de
conception et d’exploitation qui garantissent leur maintien dans toutes les situations de
fonctionnement ou de configurations pour lesquelles elles sont requises. En exploitation, les
fonctions de sûreté d’un stockage de déchets radioactifs sont comparables à celles de toute autre
installation nucléaire, notamment protéger le personnel, le public et l’environnement des risques de
dissémination des substances radioactives et d’exposition externe aux rayonnements ionisants.
Les recherches sur le stockage réversible profond s’inscrivent dans l’objectif de « prévenir ou limiter
les charges qui seront supportées par les générations futures » (loi n° 2006‐739 du 28 juin 2008,
article 2). Aussi, le stockage est‐il conçu de manière à pouvoir être fermé. Après cette fermeture, la
protection de l’homme et de l’environnement sera assurée par la mise en œuvre de dispositions
passives. En effet, le Guide de sûreté précise : « Après la fermeture de l’installation, la protection de
la santé des personnes et de l’environnement ne doit pas dépendre d’une surveillance et d’un contrôle
institutionnel qui ne peuvent pas être maintenus de façon certaine au‐delà d’une période limitée ». La
passivité du stockage après la fermeture constitue la différence fondamentale de fonctionnement
avec un entreposage.
Pour obtenir l’autorisation de création du stockage réversible profond, l’Andra doit apporter à
l’Autorité de sûreté nucléaire la démonstration que les « barrières » mises en place pour isoler les
déchets de la biosphère assureront la sûreté après fermeture sur la durée nécessaire à la
décroissance radioactive des éléments à vie longue, soit un million d’années. La mise en œuvre d’une
telle démonstration est une première sur le plan scientifique. Pour y parvenir, l’Andra est associée à
plusieurs laboratoires de recherche, universités et prestataires spécialisés. Le CEA assure ainsi la
réalisation de plusieurs études qui nécessitent des moyens et des compétences très pointus.
Voici quelques exemples de fonctions de sûreté auxquelles contribuent les alvéoles de stockage :
• S’opposer aux circulations d’eau,
• Limiter le relâchement des radionucléides et les immobiliser,
• Retarder et atténuer la migration des radionucléides, grâce à une épaisseur d’argilite de 60
mètres au‐dessus et en dessous des alvéoles (barrière de diffusion),
• Protéger la roche hôte en limitant les perturbations mécaniques induites dans la roche au
voisinage.
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 22 sur 109
23. Le projet de stockage réversible profond
Une réflexion « à terminaison »
L’Andra a publié en 2009 un dossier qui propose une première description des futures infrastructures
du stockage réversible profond. En voici une brève présentation. Le centre de stockage comprendra
des installations de surface, des installations souterraines et des ouvrages reliant la surface et le
fond. En surface, un premier ensemble regroupera les bâtiments de soutien des activités de
construction du stockage, en prenant en compte la gestion des déblais issus du creusement. Un
second ensemble sera voué aux activités nucléaires du centre avec la réception des emballages de
transport, l’extraction et le contrôle des colis primaires de déchets radioactifs et leur
conditionnement dans des conteneurs de stockage.
Fig. 15 : Futures infrastructures du stockage réversible profond (Andra, 2009)
Les infrastructures souterraines du stockage seront implantées en position médiane dans la couche
d’argilites du Callovo‐Oxfordien. Pour répondre aux besoins de fractionnement liés à la sûreté à long
terme, et de modularité favorisant la flexibilité et la progressivité de la construction et de
l’exploitation du stockage, les zones de stockage seront subdivisées de façon arborescente en sous‐
zones, modules et alvéoles de stockage.
Comme le montre le plan qui suit, les études menées par l’Andra jusqu’en 2009 ont été engagées
avec le souci d’une optimisation globale du concept de stockage réversible profond. Les travaux
d’ingénierie ont donc porté sur la totalité des infrastructures à créer sur la période d’exploitation du
stockage. De la même façon, les travaux d’inventaire des déchets HA et MAVL ont porté sur
l’intégralité de la production engagée par le parc nucléaire actuel, y compris la production à venir.
Un premier scénario de mise en stockage des déchets HA‐MAVL à partir de la mise en service du
stockage a été proposé en 2009. Il intègre les 106 familles différentes de déchets à stocker sur une
période s’étalant de 2025 à 2150. Le projet entrant dans une phase plus industrielle, le besoin s’est
fait ressentir de recentrer l’ensemble des études sur une échelle de temps plus restreinte et plus
urgente : la première tranche du stockage, qui pourrait s’étendre de 2025 à 2040.
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 23 sur 109
24. Le projet de stockage réversible profond
Fig. 16 : Architecture souterraine du stockage à terminaison (Andra, 2009)
Des équipements de haute technologie
Nous présentons ici quelques équipements du futur stockage encore en cours de conception afin de
montrer le haut degré de technicité du projet, ce qui nous paraît nécessaire à une meilleure
compréhension du contexte de notre sujet.
Les ouvrages de liaison entre la surface et les installations souterraines du stockage sont constitués
de deux types d’ouvrage : les puits et les galeries inclinées (descenderies). Les puits verticaux, situés
à l’aplomb des ouvrages souterrains, servent à la ventilation, à l’extraction des déblais et au transfert
du matériel et du personnel. La descenderie comprendra un ouvrage dédié au transfert des colis de
stockage ainsi qu’un ouvrage de service permettant l’accès des personnes et des équipements.
L’alvéole MAVL est une galerie horizontale de longueur 400 m et de section 50 m2
. Elle devra
disposer d’un revêtement en béton et de plusieurs portes blindées qui assureront la protection
radiologique du personnel tout en permettant la maintenance des équipements. Il est actuellement
prévu que l’alvéole permette l’empilement des colis de stockage sur deux ou trois niveaux et soit
aménagée de façon à limiter les vides résiduels autour des colis. Elle devra être équipée d’une cellule
de manutention télé‐opérée comprenant à minima un système de transfert et un système
d’empilement des colis, capable à la fois de stocker et de retirer des colis.
L’alvéole HA est un microtunnel borgne de longueur 40 m et de diamètre 0,7 m, qui correspond à
celui des colis de stockage, augmenté du jeu de manutention et de l’épaisseur du chemisage
métallique dont elle est recouverte. Elle devra être équipée d’une enceinte blindée assurant la
protection radiologique du personnel et d’un système avec chaîne pousseuse permettant
d’introduire les colis dans l’alvéole. On envisage équiper la chaîne pousseuse d’un grappin de
préhension, pour effectuer des opérations de retrait des colis dans le cadre de la réversibilité.
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 24 sur 109
25. Le projet de stockage réversible profond
Lorsque la fermeture sera décidée, elle sera mise en œuvre progressivement par un remblaiement
du réseau de galeries de liaison et la construction de scellements. Par ailleurs, des saignées
hydrauliques radiales remplies d’argile gonflante, disposées à intervalles réguliers, complèteront le
dispositif de fermeture. Elles interrompront le revêtement et la zone fracturée d’argilite.
Fig. 17 : Mise en sur‐conteneur MAVL (Andra, 2009) Fig. 18 : Alvéole de stockage MAVL (Andra, 2009)
Fig. 19 : Hotte de transfert HA (Andra, 2009) Fig. 20 : Scie pour saignées radiales (Andra,2009)
2. Un projet encadré, évalué et contrôlé
La tutelle administrative
La loi de 1991 a donné à l’Andra un statut d’Etablissement Public Industriel et Commercial (EPIC). Le
premier objectif était bien sûr de lui conférer une véritable indépendance vis‐à‐vis des producteurs
de déchets qui financent ses recherches. Le statut d’EPIC a également permis de rapprocher l’agence
des responsables politiques, qui se sont saisis de la gestion des déchets radioactifs depuis le début
des années 1990.
La présidence de l’Andra est assurée par un député, qui partage la gouvernance de l’agence avec la
Directrice Générale. Actuellement, le Président de l’Andra est M. François‐Michel Gonnot, député de
l’Oise. La stature publique du Président lui confère la légitimité nécessaire pour porter les projets de
l’agence devant les collectivités locales des sites retenus pour y implanter un stockage.
La loi de 1991 a placé l’agence sous la tutelle directe des ministères de l’industrie, de la recherche et
de l’environnement. Au sein du Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et
de la Mer, c’est la Direction Générale de l’Energie et du Climat (DGEC) qui suit au plus près l’avancée
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 25 sur 109
26. Le projett de stockage réversible profond
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27. Le projet de stockage réversible profond
La CNE est composée d’experts reconnus sur le plan international et nommés pour six ans par
l’Assemblée Nationale, le Sénat et le gouvernement. Elle passe au crible les dossiers de l’Andra dont
elle est un évaluateur privilégié. Au cours d’auditions publiques, elle interroge les différentes parties
prenantes sur les thèmes de son choix. Le premier scénario de mise en stockage des déchets HA‐
MAVL qui a été élaboré au cours de l’année 2009 par l’Andra a été présenté à la commission par le
Directeur des Projets en décembre 2009, devant un auditoire incluant notamment les producteurs de
déchets et l’autorité de sûreté.
Un rapport synthétisant les travaux de la CNE est transmis chaque année par le gouvernement à
l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), ce qui assure
notamment le suivi continu du projet de stockage réversible profond par les parlementaires. En sus
de l’évaluation des travaux effectués, la commission émet des recommandations pour la poursuite
des études à mener. Dans un souci de transparence vis‐à‐vis du public, ce rapport annuel est
disponible sur internet.
Le contrôle de l’Autorité de sûreté
L’Andra est également soumise au contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Ses installations
de stockage dans l’Aube sont régulièrement inspectées, de même que son laboratoire souterrain, qui
n’accueille pourtant aucun déchet radioactif, car l’ASN suit de près l’avancement des projets menés
par l’Andra. Grâce à son appui technique l’IRSN, l’autorité est en mesure de fournir des avis sur
chacun des dossiers émis par l’Andra. L’instruction par l’ASN de la Demande d’autorisation de
création (DAC) du stockage réversible profond, prévue à l’horizon 2015, sera un élément‐clef et un
jalon indispensable du processus d’autorisation du projet.
Créée par la loi n° 2006‐686 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (loi TSN),
l’Autorité de sûreté nucléaire est une institution indépendante. Comme l’Autorité des marchés
financiers, l’ASN dispose des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires dans son domaine de
compétence. Les règlements et les prescriptions établies par le Collège de l’ASN et publiés au Bulletin
Officiel de l’ASN s’imposent aux exploitants des installations nucléaires. L’ASN est obligatoirement
consultée pour tout projet de décret ministériel ayant trait à la sûreté nucléaire ou à la
radioprotection.
Le contrôle est par ailleurs le cœur de métier de l’ASN, qui réalise des inspections régulières des
installations nucléaires, dans le souci de protéger les travailleurs, le public, et l’environnement des
risques liés aux activités nucléaires. Dans ce cadre, les inspecteurs de l’ASN sont habilités à effectuer
des mises en demeures ou encore à infliger des amendes en cas d’infraction à la réglementation en
vigueur.
Néanmoins, la sûreté est un élément délicat à apprécier dans le cadre d’une étude multicritères. On
ne peut en effet rapporter sans équivoque une évaluation sur un plan économique. Les études de
sûreté sont menées pour démontrer que des objets techniques assurent la radioprotection de
l’homme et de l’environnement en conditions normales et dégradées de fonctionnement. Il est
cependant difficile de formuler un indicateur fiable pour évaluer la sûreté d’une installation
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 27 sur 109
28. Le projet de stockage réversible profond
nucléaire, d’une matrice de conditionnement ou d’un transport de déchets. Nous en avons fait
l’expérience au début de nos investigations, alors que le libellé de notre sujet demandait
explicitement de prendre en compte des critères à la fois techniques, économiques et de sûreté dans
la conception de la chaîne logistique des déchets de haute et de moyenne activité à vie longue. Toute
la difficulté d’une étude multicritères est de comparer sur un même plan des critères techniques,
économiques, politiques et de sûreté.
3. Un enjeu financier majeur
Une nécessité technique et commerciale pour l’industrie
Si la plupart des pays nucléarisés ont des projets de stockage en couche géologique profonde dans
leurs cartons, il n’existe à l’heure actuelle aucun stockage de déchets de haute activité en
exploitation dans le monde. En Allemagne, plusieurs projets de stockage sont à l’étude dans des
anciennes mines de sel, mais ils rencontrent des difficultés d’ordre politique ou technique. En effet,
un moratoire a gelé le projet de stockage des déchets de haute activité, et le stockage des déchets de
faible et de moyenne activité connaît des problèmes de stabilité qui perturbent son exploitation. Les
Etats‐Unis disposent d’un centre de stockage opérationnel pour les déchets MAVL militaires, mais
ont supprimé les crédits de recherche du laboratoire de Yucca Mountain, destiné à l’étude du
stockage des combustibles usés de l’électronucléaire civil.
Grâce à son laboratoire souterrain Hades, la Belgique mène depuis près de 30 ans des dizaines
d’expériences de thermique, de mécanique, de chimie et de radiation dans une couche géologique
d’argile. L’Andra participe à ces expériences menées en partenariat avec plusieurs pays européens.
La Suède, la Finlande et la Suisse disposent chacune d’un laboratoire pour l’étude du granite dans
lesquels sont menées des expériences de caractérisation, d’hydrogéologie et de modélisation dans
un cadre international. Avec une mise en service de son stockage prévue pour 2020, la Finlande
pourrait être le premier pays à stocker en profondeur des matières de haute activité. Cependant, il
ne s’agirait pas d’un stockage de « déchets » au sens où l’entend la loi française, car la Finlande a
choisi de stocker directement ses combustibles usés, conditionnés dans des conteneurs en cuivre
très performants.
La plupart des projets étrangers envisagent en effet le stockage direct des combustibles usés, après
une étape d’entreposage préalable. Le succès du stockage en profondeur des déchets vitrifiés de
haute activité pourrait conforter le choix du traitement des combustibles usés tel qu’il est pratiqué
en France. D’autres pays pourraient même imiter la France, à l’image du Japon qui a construit une
usine de traitement sur le modèle de l’usine de La Hague, après en avoir acquis la licence auprès
d’Areva. Parce qu’il apporterait une solution de gestion durable pour les déchets les plus nocifs, un
stockage réversible profond en exploitation pourrait également dynamiser la filière électronucléaire
française à l’export, et notamment la vente de réacteurs.
Un exutoire attendu pour les déchets anciens
Le 7 mai 2010, nous avons passé une journée sur le site de Marcoule organisée par le CEA. Nous
avons eu l’occasion de visiter plusieurs installations de conditionnement et d’entreposage de déchets
de haute et de moyenne activité à vie longue. Nous avons également pu nous entretenir avec les
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 28 sur 109
29. Le projet de stockage réversible profond
exploitants de ces installations, ce qui nous a notamment permis de cerner avec précision les enjeux
liés à deux déchets particuliers : les colis de déchets vitrifiés C0 et les fûts de bitume. Il s’agit de
déchets anciens produits et entreposés à Marcoule depuis la fin des années 1960 dans le cadre de la
production de plutonium militaire du CEA.
Les colis C0 sont des fûts en acier inoxydable de 175l qui contiennent les premiers déchets vitrifiés de
haute activité produits en France. Ils sont issus des solutions de produits de fission provenant de
l’usine de traitement UP1 de Marcoule, dont la vitrification a débuté en 1978 pour s’achever en
2012. Toutefois, depuis la mise à l’arrêt définitive de l’usine UP1 il y a une quinzaine d’années, la
production de colis C0 est résiduelle (vitrification d’effluents de rinçage des fonds de cuve). A
Marcoule, près de 3200 colis C0 sont déjà entreposés dans des puits ventilés, au sein d’une
installation attenante à l’atelier de vitrification. Ces colis anciens sont aujourd’hui nettement moins
exothermiques que les colis de déchets vitrifiés en cours de production à La Hague, ce qui rend leur
mise en stockage possible dès l’ouverture du centre.
L’Atelier de vitrification de Marcoule (AVM) et son entrepôt sont des installations vieillissantes, dont
les opérations de démantèlement et d’assainissement sont déjà programmées. Le démantèlement
de l’AVM pourra débuter dès 2012, lorsque le dernier colis C0 aura été conditionné. Celui de
l’entrepôt devra attendre l’expédition vers le centre de stockage en couche géologique profonde de
l’intégralité des colis entreposés. Cependant, l’agrément de l’Autorité de sûreté pour l’exploitation
pérenne de l’entrepôt expire en 2025, date à laquelle les opérations de désentreposage doivent
impérativement avoir débutées. Pour les exploitants de cette installation, la mise en stockage dès
2025 des colis C0 est donc une réelle nécessité.
Les fûts de bitume résultent du traitement des effluents radioactifs de Marcoule. Ce sont des fûts en
acier non allié de 200L dont la production a débuté en 1966 pour s’achever en 2013. A partir de
2015, la matrice de bitume sera remplacée par une matrice de ciment, qui paraît plus favorable au
stockage. A ce jour, 60 000 fûts de bitume ont déjà été conditionnés et entreposés dans 35 fosses de
la zone nord du site et dans 14 casemates en béton. Cependant, l’Autorité de sûreté impose la
reprise des fûts de bitume car elle considère que ces entrepôts anciens ont atteint leur limite
d’exploitation. De 2000 à 2006, l’intégralité des 6 000 fûts de bitume de la zone nord ont été extraits
des fosses, reconditionnés dans un surfût de 380L en acier inoxydable et entreposés dans l’Entrepôt
Intermédiaire Polyvalent (EIP). Construit en 2000 et conçu pour une durée d’exploitation de 50 ans,
l’EIP est une installation ultramoderne et téléopérée. Depuis 2007, l’EIP accueille les fûts de bitumes
extrait des deux premières casemates. Sa capacité de 12 000 colis pourrait être saturée dans les
années qui viennent.
La gestion des 50 000 fûts de bitume encore entreposés dans les casemates 3 à 14 fait l’objet d’une
discussion entre le CEA, l’Andra et l’Autorité de sûreté. Si le désentreposage de ces fûts reste
indispensable, la poursuite d’une mise en surfût suivie d’un entreposage dans l’EIP n’apparaît pas
être la meilleure solution. Tout d’abord, le surfût de 380l induit un taux de vide important qui
pourrait être rédhibitoire pour le stockage en couche géologique profonde. Ces déchets sont
pourtant destinés pour moitié à la filière MAVL, le reste étant destiné à un stockage en faible
profondeur. Ensuite, l’entreposage des 50 000 fûts nécessiterait que le CEA construise des extensions
extrêmement coûteuses à l’EIP. Dans son Etude Prospective des Déchets Nucléaires de Marcoule, le
Jérémy Di Zazzo/Michaël Fertin Page 29 sur 109