1. Le risque souverain. Quels indicateurs ? Pertinence
et limites: les cas du Yémen et du Mexique
Julien Paolantoni
Simon Rechain
Master GEA
2. Plan:
Introduction : Définition du risque souverain et principales
relations macroéconomiques à l’œuvre
I) Les indicateurs traditionnels du risque souverain et leurs limites
A) Notation, spread et CDS: une mesure homogène du risque souverain ?
B) Critique technique et éthique de ces indicateurs
II) Etudes de cas: les indicateurs du risque souverain à l’épreuve des faits
A) Le Yémen
B) Le Mexique
3. Introduction :
- Définition : Le risque souverain renvoie à la probabilité qu’une ou
plusieurs administrations publiques d’un pays ne soient pas en mesure de
faire face à leurs engagements financiers à temps, quel que soit le mode
de financement choisi (emprunts ou bons du Trésor)
- Dynamique macroéconomique du risque souverain :
Contrainte budgétaire de l’Etat :
Gt + i. Dt-1 = Tt + (Dt – Dt-1) <=> Gt – Tt = Dt – (1 + i)Dt-1
Avec : Bt = Gt – Tt donc Dt = Bt + (1+i)Dt-1 (1)
4. Conséquence : Le niveau d’endettement d’un pays à
un moment donné est fonction du niveau du déficit
budgétaire à ce moment et du poids du « service de la
dette », c-à-d le paiement du montant nominal de la
dette contractée à la période précédente et des
intérêts associés.
Remarque : en pratique, dans la plupart des cas les Etats payent
uniquement les intérêts
Prise en compte de l’impact de l’inflation et de la croissance sur le
risque souverain :
On note : dt =
Dt
ptYt
; dt-1=
Dt−1
pt−1Yt−1
et bt =
Bt
ptYt
avec pt= (1 + p)pt-1
et Yt = (1 + g)Yt-1
Soit respectivement la part que représente la dette publique
par rapport au PIB nominal en t et t-1 ainsi que la part du
déficit budgétaire par rapport au PIB nominal en t.
5. On a donc : ptYt = (1 + p)pt-1 x (1 + g)Yt-1
Conséquence : Dt = dt(1 + p)pt-1. (1 + g)Yt-1 ;
Bt = bt(1 + p)pt-1. (1+ g)Yt-1 et Dt-1= dt-1(1 + p)pt-2 . (1 +
g)Yt-2
On a donc d’après (1) :
dt(1+p)pt-1(1+g)Yt-1 = bt(1+p)pt-1(1+g)Yt-1 + (1+i)[dt-
1(1+p)pt-2(1+g)Yt-2
D’où, (après développement et réaménagements des termes) :
dt = bt +
1+i
(1+p)(1+g)
dt-1 (2)
6. Conclusion : Plus un pays connaît une inflation et une
croissance élevées, plus le poids de la dette en
termes réels est faible.
Cependant, comme un taux d’inflation élevé n’est pas souhaitable
il faut avoir un taux de croissance supérieur au taux d’intérêt servi
sur la dette publique pour que celle-ci soit soutenable.
Pb : Comment mesurer concrètement le risque souverain
? Quelles sont les limites éventuelles de ces
indicateurs ?
7. I. LES INDICATEURS DU RISQUE
SOUVERAIN ET LEURS LIMITES
A. Notation, CDS et Spreads, une mesure homogène du risque souverain
?
1. Notation
o Par qui ?
o Banques, assurances, agences de notation
o Comment ?
o Selon Bâle II, technique Standard ou IRB (ou notations internes)
Source : Le risque souverain est-il correctement traité par la
réglementation financière ? Danièle NOUY, Banque de France
8. o Les critères de S&P
oFacteur économique
oPIB/hab ; croissance
oFacteur institutionnel et
politique
oEfficacité institutions ;
tensions sociales /
ethniques
oFacteur extérieur
oBalance courante,
commerciale ; besoin de
financements ext
oFacteur budgétaire
oSolde budg ; évolution
dette
oFacteur monétaire
oCrédibilité banques ;
inflation ; efficacité
politique monétaireSource : Le risque souverain est-il correctement traité par la
réglementation financière ? Danièle NOUY, Banque de France
9. 2. Les CDS (Credit Default Swaps)
Contrats d’assurance
Source : Sovereign default probabilities online,
Deutsche Bank Research
Source : Deutsche Bank
S = Premium
p = Proba de défaut
R = Taux de retour
S = (1-R)p
p = S/(1-R)
10. 3. Les Spreads
o « Pour un pays émergent, le spread souverain correspond à l'écart entre
la rémunération des obligations en euros (ou en dollar) émises sur le
marché international par cet État et celle offerte par les obligations de la
zone euro (dollar). Cet écart rémunère le risque politique du pays
émergent. » (Vernimmen)
o Supplément de rendement demandé par les investisseurs
o Plus le spread est élevé, plus le risque l’est aussi
11. B. Critique technique et éthique de ces indicateurs
1. Méthodologie et conflits d’intérêts des agences de notation :
Mesure des risques: comment déterminer la loi de probabilité suivie
par chaque élément considéré ? Peut-on tout mesurer ? Problème
de la mesure des évènements extrêmes (Mandelbrot, Taleb)
Problème des évènements contingents : l’Etat se porte garant d’un
certain nombre d’opérations de crédit privé (ex : dépôts bancaires
en France, emprunts hypothécaires des agents à faible revenu aux
Etats-Unis) l’Etat se trouve exposé au risque de crédit seulement
si ces agents font défaut
Déontologie: difficulté d’accès à l’information produite par les
agences de notation, problème de leurs rémunération (elles sont
financées par les institutions évaluées !)
12. 2. Marché des CDS :
Forte opacité : instruments négociés de gré-à-gré donc pas de
régulation (pas de compensation, pas de standardisation des
produits, problème de la structuration), données de marché très
difficiles d’accès
Un indicateur intéressant mais à double tranchant :
si l’évolution du marché des CDS est un indicateur important sur la
façon dont les acteurs des marchés analysent le risque souverain il
ne faut pas oublier que ces produits peuvent être utilisés à des fins
spéculatives.
Raisons : pas de flux monétaires en dehors du paiement de la
prime par l’acheteur de protection sauf en cas d’évènement de
crédit précisé dans le contrat (restructuration, cessation de
paiement, etc), pas nécessaire d’être effectivement exposé au
risque de crédit de l’entité de référence pour être partie à un
CDS.
13. Problème de la comptabilisation des CDS : ils sont enregistrés hors-bilan énorme
problème par rapport à l’évaluation du risque systémique (d’autant plus que le
marché des CDS représente près de 2 fois le PIB américain. Voir tableau ci
dessous. Source : OTC Derivatives Market analysis Year-end 2011, ISDA, June 2012
ADJUSTED CDS MARKET DATA
(Based on data from the BIS Semiannual Review)
Notional outstanding,
US$ trillions Dec. 2010 June 2011 Dec. 2011
Total Market 29.9 32.4 28.6
Adjustment for Clearing 2.2 2.8 2.7
Adjusted Total 27.7 29.6 25.9
% Cleared 7.9% 9.5% 10.6
Single Name 18.1 18.1 16.9
Adjustment for Clearing 0.8 1.1 1.3
Adjusted Total 17.3 17.0 15.6
% Cleared 4.6% 6.5% 8.0%
Multiple Names 11.8 14.3 11.8
Adjustment for Clearing 1.4 1.6 1.5
Adjusted Total 10.4 12.7 10.3
% Cleared 13.5% 12.6% 14.5%
14. Paradoxe : l’un des principaux indicateurs du risque
souverain est lui-même un des produits financiers les plus
risqués disponibles sur le marché ...
3. Le spread de crédit : un indicateur à utiliser avec précaution
Choix du pays de référence : comparer des pays comparables
Ex : Allemagne considérée comme l’exemple mondial en terme de
stabilité financière mais calculer le spread d’un PED avec ce pays
n’aurait pas beaucoup de sens
Récupération idéologique: prolifération des discours justifiant les
politiques d’austérité, mais le principe de base de la gestion de
portefeuille est la diversification des risques il faut regarder le
couple rendement/risque plutôt que le risque seul tant qu’il y
aura une demande pour les obligations risquée, pas de pb.
Un indicateur incomplet: si le taux d’intérêt est un
déterminant essentiel du risque souverain, il ne faut pas
oublier de le comparer avec le taux de croissance de
l’économie (cf intro)
15. II. Etudes de cas : les indicateurs de risque
souverain à l’épreuve des faits
A. Le cas du Yémen
Etudier le risque souverain à travers les critères de
S&P
18. o Composition de l’économie en 2010
Agriculture = 36% des emplois
Industrie = 12%
Services = 52%
Agriculture = 12% du PIB (en 2009 $308 millions d’exportations pour
$2256 millions d’importations)
Industries d’extraction = 19% du PIB pour plus de
90% des exportations de marchandises
o Besoin de financement important
2012 prêt ordinaire du FMA et prêt compensatoire pour un total
de 208 millions de dollars
Entre 1990 et 2009 le Yémen est le 7ème pays Arabe à recevoir des
fonds du FMA (sur 15 pays)
Prêt du FMI de 94 millions de dollars en 2012
20. o Facteurs monétaires
En 2010
Dépôts bancaires =
23,6% du PIB, soit 3è
taux Arabe le plus
faible derrière
Soudan et
Mauritanie
21. o Facteurs institutionnels et politiques
o Présence d’Al Qaida depuis 2009, intervention US en 2013
o Printemps Arabe en 2011
Attentat contre le président
Destitution du président
« To that effect, a Fund mission visited Yemen during May 12-17, 2012, to assess the
extent of the difficulties facing the Republic of Yemen in the aftermath of the political
and security developments during 2011. These have resulted in a deterioration of
economic performance and the decline of a large part of financial resources due to
a fall in oil revenues as a result of the damage witnessed by the major oil pipelines
(the ma’arib line) ». Annual Report 2012, Arab Monetary Fund
23. B. Le cas du Mexique
1. Résumé des notations par les agences du Big 3
Notation S&P Notation Moody’s Notation Fitch
Brésil BBB BAA2 BBB
Mexique BBB BAA1 BBB+
Argentine B- CAA1 CC
Venezuela B B2 B+
Colombie BBB BAA3 BBB-
Chili AA- AA3 A+
Construit à partir du tableau récapitulatif des notations de l’ensemble des pays du monde proposé sur
http://www.tradingeconomics.com
24. Mexique Brésil Argentine Venezuela
Population 114,872 millions 196,526 millions 41,028 millions 30,362 millions
PIB 1 162,891 milliards $US 2 425,052 milliards $US 474,812 milliards $US 337,979 milliards $US
Evaluation Pays A4 A3 C C
Evaluation
Environnement des
affaires
A4 A4 C C
POINTS FORTS
- Vaste marché (112
millions d’habitants)
- Appartenance à
l’ALENA, à l’OCDE ainsi
qu’au G20
- Ligne de crédit du FMI
jusqu’en janvier 2015
- Proximité
géographique avec les
Etats-Unis
- Importante base
industrielle
- Acteurs mondiaux
dans le ciment, la bière,
la téléphonie
- Finances publiques
maîtrisées
- Dette extérieure faible
- Marché à la taille et
au potentiel attractifs
- Ressources
minérales et agricoles
Importante industrie
manufacturière
- Capacité de
résistance aux chocs
exogènes : réserves
de change
considérables
- Politique offensive
en matière
d’infrastructures
- Abondantes
ressources agricoles
(blé, soja, bœuf, fruits),
énergétiques (gaz,
pétrole, hydraulique)
et minérales (or,
argent, cuivre)
- Atouts touristiques
- Niveau d’éducation
et indicateurs de
développement
humain supérieurs à la
moyenne régionale
- Main d’œuvre
qualifiée
- Système politique
démocratique
- Importantes
ressources pétrolières,
gazières et minières
- Réserves
considérables de
pétrole lourd dans la
ceinture du fleuve de
l’Orénoque
- Rente pétrolière, outil
pour étendre
l’influence politique
régionale du pays
- Forte popularité
d’Hugo Chavez
- Adhésion au
Mercosur
25. POINTS FAIBLES
- Dépendance vis-à-
vis des Etats-Unis
- Vulnérabilité des
finances publiques à
la ressource
pétrolière
- Déficiences en
infrastructures,
éducation,
recherche et justice
- Vaste économie
informelle : un tiers
de l’activité et 40%
des travailleurs
- Faible
développement du
crédit aux
entreprises
- Forte criminalité
liée au trafic de
drogue
- Pauvreté et
inégalités encore
importantes
- Manque de main
d’œuvre qualifiée
- Insuffisance de
l’épargne
domestique et forte
dépendance aux
capitaux étrangers
- Faiblesse de
l’investissement (19%
du PIB) et carences
dans les
infrastructures
- Exposition aux
fluctuations des cours
des matières
premières
- Importante dette
publique et taux
d’intérêt toujours
élevés
- Lourds prélèvements
fiscaux
- Corruption et
inégalités
- Environnement des
affaires imprévisible,
interventionnisme de
l’Etat, contrôle des prix
- Contrôle des
importations et des
mouvements de
capitaux
- Des relations non
normalisées avec les
pays créanciers
membres du Club de
Paris
- Dépendance à
l’égard des matières
premières agricoles et,
donc, des conditions
climatiques
- Insuffisance des
investissements dans
l’énergie et les
transports
- Inflation très
élevée Politique
budgétaire peu
rigoureuse
- Pauvreté, fortes
inégalités et tensions
sociales
- Economie
dépendante des
hydrocarbures, dont
50% sont exportés vers
les Etats-Unis
- Gestion opaque et
discrétionnaire des
revenus pétroliers
- Stagnation de la
production de la
compagnie publique
PDVSA par manque
d’investissement
- Interventionnisme
étatique et corruption
pesant sur
l’environnement des
affaires
- Incertitude sur l’état
de santé d’Hugo
Chavez
- Fourniture en
électricité défaillante
Source : Coface (comparaison des 4 principales économies d’Amérique latine)
26. 2. Spreads souverains
Taux d’intérêt sur les bons du Trésor à 10 ans:
Source : Construit à partir du tableau récapitulatif proposé sur
http://www.tradingeconomics.com
Spreads au 14/10/2013: iM/iB = - 5,84, iM/iV = - 4,33,
iM/iCo = -1,05 et iM/iCh = 0,5
Pays 14/10/20
13
Semaine
dernière
Mois dernier Année
précédente
Brésil 11.56 11.6700 11.97 9.65
Mexique 5.72 5.8200 5.99 5.33
Venezuela 10.05 10.0540 10.05 10.05
Colombie 6.77 6.8740 6.97 6.02
Chili 5.22 5.2300 5.28 5.38
27. Donc : Sur ce seul critère, le seul pays de la zone
considéré comme moins risqué que le Mexique est le Chili
Cependant, le plus important est de comparer taux de
croissance et taux d’intérêt sur les bons du Trésor :
Taux de croissance 2011/2012 des pays concernés:
Brésil: 0,9% ; Mexique: 3,9% ; Venezuela: 5,5%; Colombie: 4% ;
Chili: 5,5% Source: Coface
Pays i (en 2012) g I < g
?
Soutenabilité de la
dette publique
Brésil 9.65 0,9 Non Non
Mexique 5.33 3,9 Non Non
Venezuela 10.05 5,5 Non Non
Colombie 6.02 4 Non Non
Chili 5.38 5,5 Oui Oui
28. Conclusion:
Sur l’ensemble des pays étudiés seul le Chili a une dette
publique soutenable. Le Mexique présente toutefois un moindre
écart taux de croissance/taux d’intérêt que ses principaux
voisins