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Le statut de la préposition dans les mots composés
1.
LE STATUT DE
LA PRÉPOSITION DANS LES MOTS COMPOSÉS Brigitte Kampers-Manhe De Boeck Université | Travaux de linguistique 2001/1 - no42-43 pages 97 à 109 ISSN 0082-6049 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2001-1-page-97.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Kampers-Manhe Brigitte , « Le statut de la préposition dans les mots composés » , Travaux de linguistique, 2001/1 no42-43, p. 97-109. DOI : 10.3917/tl.042.097 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Université. © De Boeck Université. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
2.
Le statut de
la préposition dans les mots composés LE STATUT DE LA PRÉPOSITION DANS LES MOTS COMPOSÉS Brigitte KAMPERS-MANHE* Université de Groningen 0. Introduction Le rôle de la préposition dans les mots composés du type sans-abri, par opposition à contre-culture, a été examiné par le passé (cf., notamment, Zwanenburg, 1990), tandis que celui qu’elle assume dans les déverbaux du Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université type gardien de prison ou les simples synapsies (Benveniste, 1974) du type Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université pommes de terre, robe à fleurs, n’a pas reçu l’attention qu’il mérite. La plupart des morphologues (générativistes) considèrent même que ces derniers mots ne sont pas de véritables composés parce qu’ils ne sont pas conformes aux règles de réécriture morphologiques. Cet article vise à montrer que ce sont bien des composés réguliers, dans lesquels la préposition est insérée, contrairement à celle des mots considérés comme de véritables composés, dans le but de légitimer le complément qui la suit. Après avoir présenté, dans la section 1, notre cadre théorique (Bok- Bennema & Kampers-Manhe, 2000), nous montrerons comment il permet de rendre compte de la structure des mots du type sans-abri et contre-culture et du statut de leur préposition respective (section 2). Nous en dériverons ensuite, dans la section 3, celle des composés du type gardien de prison, en l’opposant à celle des composés germaniques correspondants du type can- opener. Nous montrerons que l’analyse présentée permet de généraliser le rôle de la préposition dans les binominaux où elle figure et d’expliquer l’existence de contre-exemples apparents du type robe-fleurs. 1. Le cadre théorique Selon Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000), la composante morphologique suit les mêmes principes que la composante syntaxique. * Département des Langues et Cultures Romanes/Centre for Language and Cognition Groningen – Université de Groningen – Adresse: RTC Faculteit der Letteren Oude Kijk in’t Jatstraat 26, Postbus 716 – 9700AS Groningen (Pays-Bas) – Tél. : 31503637537 – Tél. pers. : 01512383266 – e-mail : Kampers@let.rug.nl 97
3.
Brigitte KAMPERS -MANHE
Nous envisageons cette dernière comme conforme au modèle développé par Kayne (1995). Selon lui, toute structure syntaxique comporte une position de spécificateur/adjoint, de tête et de complément, dans cet ordre fixe et universel. Tout ordre de surface déviant de cet ordre de base est dû à l’application de déplacements : ainsi, dans cette optique, la structure de base de la phrase d’une langue SVO (français) ne diffère pas de celle de la phrase d’une langue SOV par exemple (néerlandais). La différence entre les deux langues résulte d’un déplacement de l’objet vers la gauche pour les langues SOV, et non plus d’ un ordre de base différent. Pour nous, la structure morphologique comporte donc, tout comme la structure syntaxique, une position de spécificateur/d’adjoint et une position de complément, à côté de celle de la tête. Tout comme dans la phrase, l’ordre universel des constituants morphologiques est l’ordre Spécificateur/Adjoint- Tête-Complément. Les différences visibles dans l’ordre linéaire de ces constituants sont dues au déplacement de certains d’entre eux, tout comme en syntaxe. Ainsi, les composés endocentriques dont la tête est modifiée par un substantif, comme homme-grenouille ou frogman ou un adjectif, comme bleu ciel ou sky blue, présentent une structure d’adjonction, et ont Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université la même structure dans les langues romanes que dans les langues germaniques : [1] (a) (b) NP AP NP NP NP AP N A frog/grenouille man/homme sky/ciel blue/bleu Cette structure de base reflète les relations sémantiques entre les constituants, tandis que la structure dérivée peut en être différente, certains constituants devant être déplacés pour des raisons phonologiques. Pour obtenir l’ordre correct des constituants dans les langues romanes, et en français en particulier, il faut supposer qu’un déplacement a lieu, ce qui fait qu’on obtient respectivement homme-grenouille et bleu ciel. Comme les déplacements se font à gauche en Grammaire Générative, c’est la tête qui se déplace. Nous reviendrons sur ce déplacement. La structure des composés apparemment exocentriques du type coupe- pluie ou scarecrow est celle de la complémentation, comme [3], dans laquelle le substantif est le complément du verbe : 98
4.
Le statut de
la préposition dans les mots composés [3] VP V NP Scare/coupe crow/pluie De même, il est couramment admis que la structure des mots dérivés relève de la complémentation, les suffixes sélectionnant leur complément. Ainsi -ier en français et -ian en anglais sont des suffixes nominaux qui sélectionnent un radical substantival. Ce dernier doit être incorporé à ce suffixe par mouvement de tête à tête (par adjonction d’une tête à gauche d’une autre), comme l’illustre (4) : [4] NP NP NP N NP N Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université N N N -ier pomm- pomm- i -ier ti En effet, un affixe étant un morphème lié, il doit se fondre avec un radical. Pour expliquer ceci formellement, on peut attribuer ce déplacement au fait que l’affixe possède un trait fort (Chomsky, 1995) [+i], qui doit être vérifié visiblement par déplacement de son complément, le radical, lui-même porteur du trait [-i] (pour une analyse détaillée, voir Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000)). Reste à préciser ce qui déclenche le déplacement de la tête des composés présentant la structure de [1] dans les langues romanes. Pour ce faire, il convient d’examiner la structure des mots simples dans ces langues. Lorsqu’un mot est utilisé comme base pour former un dérivé, il prend une forme différente de celle qu’il a lorsqu’il fonctionne dans une phrase. Cette différence est visible à l’écrit et à l’oral dans les langues romanes, en particulier en espagnol. Comparez ainsi niño ‘enfant’ à niñ-ería ‘enfantillage’. Considérant cette alternance, à l’instar de Harris (1991), nous admettons qu’un mot n’est qu’un radical qui ne peut fonctionner comme unité prosodique que si on y ajoute un suffixe flexionnel, un ensemble de traits [+/- masc], [+/-sing], par exemple, qui sera phonétiquement réalisé ou non. Seul le radical est utilisé en combinaison avec un suffixe dérivationnel, comme le montre le contraste entre niñ-o et niñ-eria. 99
5.
Brigitte KAMPERS -MANHE
En français, la présence de ces suffixes flexionnels est visible à l’écrit, mais peu à l’oral. Le seul marqueur phonétiquement réalisé est le schwa. On relève ainsi le même contraste qu’en espagnol entre dout-e et dout-eux. C’est la présence du schwa qui empêche le [t] de tomber dans la prononciation de doute. Cet affixe flexionnel ne diffère en rien de l’affixe dérivationnel : il sélectionne un radical et doit se fondre avec lui. La structure d’un mot complet est donc la même que celle d’un dérivé, comme l’illustre [5a]. L’affixe flexionnel est la tête d’une projection flexionnelle (= un mot complet). Le complément est incorporé à l’affixe flexionnel, comme à l’affixe dérivationnel et pour les mêmes raisons, avec cette différence que les traits catégoriels du complément percolent vers la projection maximale, la flexion n’ayant pas de statut catégoriel : on obtient un substantif fléchi, complet. [5b] représente la structure dérivée du mot grenouille : [5] (a) (b) InflP/NP InflP Infl NP Infl/N NP Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université N N Infl N e/o grenouill-/niñ- grenouill-/niñ-i e/o ti Ce mot est alors utilisable en syntaxe, comme une nouvelle tête substantivale : nous dirons qu’il est recyclé. Notons que les mots ont la même structure de base dans les langues germaniques, bien que l’affixe flexionnel ne soit pas visible. Nous attribuons l’ordre différent des constituants des mots composés du type homme-grenouille au déplacement de la tête déclenché par le fait qu’en matière de composition l’unité de base est le radical dans les langues romanes. D’après cette hypothèse, un mot comme sac-poubelle en français, hombre rana ‘homme grenouille’ en espagnol, aura la structure de (6a) : le radical nominal, l’unité de base sac et hombr-, respectivement, est modifié par un substantif complet poubelle, rana, respectivement. La projection nominale ainsi formée est sélectionnée par un affixe flexionnel lui permettant de fonctionner comme mot. La tête nominale est ensuite incorporée à l’affixe flexionnel, son trait catégoriel percole et on obtient un substantif complet. Ce déplacement rend compte de la position linéaire de la tête, à gauche du modificateur. Ceci est illustré dans [6b] : 100
6.
Le statut de
la préposition dans les mots composés [6] (a) (b) InflP/NP InflP Infl NP Infl/N NP NP NP N Infl NP NP N N 0 poubelle sac sac-i 0 poubelle ti Quant aux langues germaniques, nous supposons que leurs composés ont pour tête un mot. La structure de base d’un mot comme frogman sera donc celle de [7] : le substantif complet est modifié par un autre qui lui est adjoint. Aucun mouvement de tête n’est déclenché, ce qui explique que l’ordre de base soit conservé. [7] InflP/NP NP InflP/NP Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université frog man Pour plus de détails sur les prédictions qui découlent de cette hypothèse, en particulier les différences entre les composés français et néerlandais, voir Kampers-Manhe (2000). Nous allons considérer comment le modèle ainsi présenté dans ses grandes lignes permet de rendre compte de la structure des composés comportant une préposition. Nous commencerons par les composés les plus étudiés par le passé. 2. Les composés du type Préposition + substantif Considérons les mots suivants [8] Sans-papier, sans-cervelle, contre-poison, après-communisme, pour- compte La relation entre la préposition et le substantif dans les mots de [8] est celle de la complémentation, la même que dans la structure syntaxique correspondante : un sans-papier est un homme qui n’a pas de papiers. La préposition a donc une valeur référentielle, celle qu’elle a dans les syntagmes prépositionnels en syntaxe. Cette construction modifie une tête substantivale non réalisée phonétiquement, mais comportant des traits syntaxiques et sémantiques : ces traits rendent compte du genre du mot (masculin), de sa catégorie (substantif), et de son sens, ‘personne sans cervelle’, par exemple, 101
7.
Brigitte KAMPERS -MANHE
pour sans-cervelle. L’idée de la présence d’un élément nominal zéro n’est pas nouvelle : elle est déjà suggérée dans Rohrer (1977) pour les composés apparemment exocentriques du type coupe-pluie et elle a été souvent reprise, notamment par Zwanenburg (1990). Cette projection nominale est elle-même le complément d’une projection flexionnelle, qui lui permet de fonctionner comme mot ; on obtient ainsi [9] : [9] InflP Infl NP NP PP N P NP 0 sans cervelle 0 Comme dans la structure [6b], la tête nominale non réalisée phonétiquement est ensuite incorporée à l’affixe flexionnel. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université Les prépositions référentielles que l’on trouve dans les composés du type [10] : [10] contre-culture, sous-consommation, surhomme, avant-pont, arrière- pays n’ont pas le statut de tête puisque le composé désigne une sous-classe des référents de l’élément de droite : une contre-culture est une sorte de culture ; nous les considérons comme des modificateurs, suivant Zwanenburg (1990), qui oppose les mots du type sous-bois à ceux du type avant-bras, et nous envisageons la structure de ces mots comme une structure d’adjonction. Cependant, dans ces mots, la préposition a également son sens plein. Le statut de la préposition est donc le même que dans les composés précédents, seule la relation sémantique avec la tête nominale change. Adaptant selon notre théorie la structure proposée par Zwanenburg (1990), nous accordons à ces mots la structure de base [11a], qui reflète bien cette relation : [11] (a) (b) InflP InflP InflP P Infl NP Infl NP P NP contre j N Infl P NP -e contre cultur- cultur i - e tj ti 102
8.
Le statut de
la préposition dans les mots composés Le substantif est ensuite incorporé à l’affixe flexionnel et la préposition est adjointe à la position Spec-InflP (cf. [11b]). Pour une explication détaillée de ce déplacement des éléments « légers », voir Bok-Bennema & Kampers- Manhe (2000). Les deux structures présentées ici rendent bien compte du statut référentiel de la préposition : tête ou modificateur, elle a la même valeur référentielle que dans les syntagmes prépositionnels en syntaxe. Qu’en est- il de la préposition qui figure dans les composés binominaux déverbaux ? 3. Les binominaux déverbaux Les binominaux déverbaux du type gardien de prison ou gobeur d’huîtres s’opposent à leurs équivalents germaniques du type can-opener par la présence de la préposition et la place du complément du verbe dont est dérivé le substantif. Leur structure est cependant partiellement la même. En effet, un gardien de prison est une personne qui garde la prison, comme un can-opener est un instrument qui permet d’ouvrir les boîtes. Ainsi, on a affaire dans les deux cas à la combinaison d’un verbe et de son complément, Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université comme dans les composés apparemment exocentriques illustrés sous [12] : [12] coupe-vent , sèche-linge, taille-haie, essuie-tout, protège-nez, protège- slip Considérons la structure de ces composés. Ils se retrouvent dans les langues romanes, en particulier en italien et en espagnol (pour une liste des déverbaux dans ces langues, voir Bok-Bennema & Kampers-Manhe (2000)). La tête verbale est un mot complet, témoin le e final, que nous considérons comme un affixe flexionnel et qui a la même forme que la troisième personne du singulier de l’indicatif. Dans la structure de base de ces mots le radical verbal prend donc pour complément un NP pour former un VP, lui-même complément d’un affixe flexionnel. Le radical verbal est incorporé à l’affixe flexionnel, ce qui donne la structure [13] : [13] InflP/VP Infl VP V Infl V NP protèg- i -e ti slip Notons que cette structure est incomplète. Comme dans la structure [9], cette projection verbale fléchie modifie une tête nominale non réalisée 103
9.
Brigitte KAMPERS -MANHE
phonétiquement mais qui comporte le trait catégoriel nominal, des traits syntaxiques, parmi lesquels le genre du composé, et sémantiques, qui font qu’il fournit le référent de la classe entière dont fait partie le référent du mot entier, ici « objet hygiénique » ; il lie le rôle sémantique externe du verbe. Ce qui nous intéresse ici c’est la légitimation du complément slip après incorporation de la tête verbale à l’affixe flexionnel. En effet, si les principes qui valent pour la syntaxe valent aussi en morphologie, le complément doit être légitimé selon les mêmes conditions. En syntaxe, comme en morphologie, la condition suivante est valable : [14] YP est légitimé par X dans la configuration [XP X YP] si X= [-N] C’est ce principe qui rend compte de l’agrammaticalité de *La peur la mort, *un homme fier son fils, puisque ni le substantif peur ni l’adjectif fier ne possèdent le trait [-N], qui permet de légitimer un complément. Dans les deux cas, on peut « sauver » la structure en insérant une préposition, ce qui fait qu’on obtient la peur de la mort et un homme fier de son fils. Cela revient à dire qu’un complément doit être légitimé par une préposition ou un verbe, les seules catégories capables de le faire. Dans [13], le NP Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université complément se trouve légitimé par la trace verbale, puisque l’affixe flexionnel est transparent à la percolation des traits de la tête (ici la catégorie verbale). Que se passe-t-il si le suffixe nominal n’est plus le suffixe flexionnel, mais un suffixe dérivationnel comme -ien, qui, comme tous les suffixes français, sélectionne un radical ? Le radical verbal prend pour complément un NP, comme dans le cas de [13], la projection maximale est alors le complément d’un suffixe nominal, auquel sa tête s’incorpore. Cette fois, les traits de la tête verbale ne peuvent percoler vers la projection maximale, le verbe perd pour ainsi dire son statut de verbe, et il ne peut plus légitimer le complément par l’intermédiaire de sa trace. La structure est mal formée, le mot qui y correspond agrammatical, *gardien prison : [15] NP NP N VP N VP V NP V N V NP -ien gard - prison gard - i -ien ti prison Comme en syntaxe, la seule configuration possible pour sauver cette structure est d’insérer une préposition : gardien de prison. 104
10.
Le statut de
la préposition dans les mots composés En anglais, on peut avoir la même structure que dans [15] si on utilise le suffixe -er, qui sélectionne une racine verbale, cf. [16a]. Le résultat de l’incorporation de V au suffixe nominal est également agrammatical, *opener-can, le verbe perdant son statut de verbe. Pourtant, le complément peut être légitimé dans la position d’adjoint à la position maximale, ici NP. Cette position n’offre pas cette possibilité en français. Le déplacement du NP can sauve la structure, comme le montre [16b] : [16] 1] (a) (b) NP NP N VP NP NP V NP N VP V N V NP Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université -er open can can- j open- i -er ti tj Notons qu’en syntaxe également, la position Spec-NP est une position légitime pour un syntagme nominal complément d’un nom dérivé d’un verbe en anglais. Comparez ainsi the city’s destruction «la destruction de la ville » à *the destruction city. L’anglais dispose également de la possibilité de légitimer le complément par une préposition, comme les langues romanes, en syntaxe comme en morphologie. En effet, un mot comme opener of can n’est pas exclu, même s’il est moins naturel que can-opener. On peut donc conclure que la préposition de est un simple moyen de légitimer un complément et qu’elle est donc insérée à un stade ultérieur de la dérivation, comme en syntaxe, ce qui rend aussi compte de son manque de valeur référentielle. Qu’en est-il de la préposition insérée entre deux noms ? Est-ce le même cas, ou a-t-on affaire à un autre type de préposition ? 4. La structure des binominaux non déverbaux La principale différence entre les composés déverbaux et les composés du type [17] réside dans le fait que la préposition de alterne avec la préposition à dans les derniers : [17] a. pomme de terre, boîte de vitesse, gant de boxe, chaussures de marche b. sac à dos, verre à pied, robe à fleurs, coffre à jouets 105
11.
Brigitte KAMPERS -MANHE
Pour une argumentation en faveur du statut de mots complexes pour ce type de mots, nous renvoyons, entre autres, à Bosredon & Tamba (1991). Le choix de la préposition semble être guidé par la relation à exprimer entre les deux substantifs : de pour l’origine (pomme de terre), à pour le but (sac à dos) ou les caractéristiques (robe à fleurs). De plus, la préposition à a des propriétés différentes selon qu’elle équivaut à avec ou à pour (cf. Cadiot 1993, qui met en évidence ces différences de comportement, notamment la plus grande autonomie de à = avec + N par rapport au N qui précède). Ceci pourrait nous inciter à admettre que la préposition des binominaux de ce type a un statut différent de celui qu’elle a dans les binominaux déverbaux, puisqu’elle semble avoir une valeur référentielle. Cependant, elle est différente des prépositions comme sans, qu’on rencontre dans les composés étudiés dans la section 2. En effet, comme le dit Cadiot (1991), la préposition à est une préposition « incolore » même dans les expressions comme nourrir au biberon. En effet, elle ne peut pas référer mais sert à obtenir des noms qui désignent une sous-classe du mot tête. Pour Bosredon & Tamba (1991 : 44), les mots formés à l’aide de à et de sont aussi des mots complexes sous-classifiants, et les prépositions des Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université « opérateurs de couplage ». Ces opérateurs sont les deux transcriptions graphiques de l’opérateur zéro qu’on trouve dans papier-calque. Ainsi, on a papier de verre, papier à dessin et papier-calque. On retrouve cette idée chez Bartning (1993), qui cite Cadiot (1989) : « Alors que les prépositions incolores ont pour fonction dominante de vectoriser une relation qu’elles ne codent pas (mais qu’elles empruntent au contexte linguistique ou dont elles héritent à partir de la représentation sémantique du référent), les prépositions « sémantiques » ont en principe une organisation argumentale qui leur est propre, qu’elles codent lexicalement… » (Barting, 1993 : 164). Le choix des prépositions est donc guidé par la relation sémantique à signifier ; fonctionnellement, elles sont équivalentes. Ceci explique les hésitations qu’on a à interpréter le sens des mots complexes ; ainsi, comme le disent Bosredon & Tamba (1991), si le sens est relativement motivé dans verre à pied, « qui a un pied », il n’est pas toujours facile à reconnaître dans poste à essence, « qui délivre, qui fournit, qui a » (cf. Anscombre, 1990 pour plus d’exemples.). Plusieurs arguments prouvent que ces prépositions ne sont pas porteuses de sens. Tout d’abord, en cas de troncation, la préposition disparaît, alors qu’elle est maintenue si elle est référentielle : ainsi, Bosredon & Tamba (1991) opposent mes chaussures à talons, qui devient mes talons, à téléphone sans fil, dont téléphone peut être supprimé, avec maintien de la préposition ; de même dans les sigles la préposition vectorielle disparaît : HLM, alors que la préposition référentielle est maintenue, comme dans TSF, avec le S de sans. De plus, on a souvent noté les hésitations à employer l’une ou l’autre des prépositions : 106
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Le statut de
la préposition dans les mots composés [18] Papier de/à musique, instrument de/à musique, épingle à/de nourrice L’idée que ces prépositions n’ont pas véritablement de contenu est soutenue par le fait qu’elles semblent pouvoir être supprimées sans que cela nuise à l’interprétation du mot composé. Ainsi, on trouve à côté des synapsies sous (19), des mots composés du type [20] : [19] stylo à plume, stylo à feutre, stylo à bille, robe à fleurs, sac de poubelle, sac à dos [20] stylo-plume, stylo-feutre, stylo-bille, robe-fleurs, sac-poubelle, étui- sac Ceci est aussi noté par Goosse (1975), qui signale que le complément de nom tend à se passer de préposition. Il oppose coin-couture à coin-bureau et coin-jardin, synthèmes formés de façon plus classique, selon lui. Ces arguments nous font opter pour une structure du type (21), dans laquelle le constituant de droite, que nous considérons comme un complément modifiant, occupe la position de complément, suivant Larson (1988). La préposition est insérée, comme dans les déverbaux de la section Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université précédente, pour légitimer le complément, en fonction de la relation à Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université exprimer, mais n’a pas de véritable contenu référentiel. [21] InflP Infl NP N PP P N e pomm-/verr-de/à terre/pied Les mots du type [20] semblent constituer des contre-exemples à l’hypothèse avancée, vu le manque de préposition. Il n’en est rien cependant : ces mots présentent la structure d’adjonction donnée sous [6]. Contrairement à Goosse (1975), nous ne faisons pas de différence entre les nouvelles créations, comme sac-poubelle, et ce qu’il appelle les synthèmes formés de façon plus classique. Le français dispose donc des deux possibilités pour unir deux noms dans un composé : soit par la complémentation, avec emploi obligatoire d’une préposition, soit par adjonction d’un modificateur, avec une tendance actuelle à préférer cette solution. Ceci explique pourquoi on ne peut trouver, à côté de mots tels que machine à laver des mots comme *machine laver, le verbe fléchi ne pouvant s’employer comme adjoint. La solution possible est lave-linge, qui présente une structure identique à celle de coupe-pluie (cf. [3] et [13]). 107
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5. Conclusion Nous avons montré dans cette contribution que la préposition que l’on trouve dans les synapsies n’a pas de statut référentiel, qu’elle ne sert qu’à légitimer le complément d’un verbe dont la catégorie n’est plus visible par suite de son incorporation à un suffixe dérivationnel, ou d’un substantif, dont les traits catégoriels ne permettent pas de légitimer le complément. Nous avons également souligné que l’absence de préposition entre deux substantifs ne contredit pas cette hypothèse puisque dans ce cas on a affaire à une structure d’adjonction, dans laquelle le constituant de droite est un modificateur, selon la régularité de la composition dans les langues romanes. Nous avons ainsi pu rendre compte de la structure de ces mots composés et de la différence de statut entre les prépositions dites référentielles et les prépositions dites incolores dans la mesure où les premières ont un statut lexical, les secondes uniquement la fonction de légitimer le complément. RÉFÉRENCES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h28. © De Boeck Université ANSCOMBRE J.C., 1990, « Pourquoi un moulin à vent n’est pas un ventilateur », Langue française, 86, p. 103-125. B ENVENISTE E., 1974, Problèmes de linguistique générale II, Paris, Gallimard. B ARTNING I., 1993, « La préposition de, essai d’approche cognitive », Lexique, 11, p. 163-191. B OK-BENNEMA R. et B. KAMPERS-MANHE, 2000, Romance Compounding and the Theory of Morphology, manuscrit. B OSREDON B. et I. TAMBA , 1991, « Verre à pied et moule à gaufres, préposition et noms composés de sous-classe », Langue française, 91, p. 40-57. C ADIOT P., 1989, « La préposition : interprétation par codage et interprétation par inférence », Cahiers de Grammaire, 14, Université de Toulouse-Le Mirail, p. 25-50. CADIOT P., 1991, « À la hache ou avec la hache ? Représentation mentale, expérience située et donation du référent », Langue française, 91, p. 7-23. C ADIOT P., 1993, « À entre deux noms : vers la composition nominale », in A.-M. BERTHONNEAU et P. CADIOT Lexique, 11 : Les prépositions : méthodes d’analyse, p. 193- 240. C HOMSKY N., The Minimalist Program, Cambridge, MIT Press. GOOSSE A., 1975, La néologie française aujourd’hui, Paris, Conseil national de la langue française. KAMPERS-MANHE B., 2000, « La composition en français et en néerlandais », Leuvense Bijdragen, 89, Leuven, p. 157-172. KAYNE R., 1995, The Antisymmetry of Syntax, Cambridge, MIT Press. LARSON R., 1988, « On the Double Object construction », Linguistic Inquiry, 19, p. 335-391. 108
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Le statut de
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