1. J
DARNELLINDOR
anvier 2011. La loi
«Copé-Zimmermann»,
fraîchement adoptée,
instaure des quotas de
femmes au sein des
conseils d’administration (CA)
des groupes cotés en bourse.
Mais aussi dans les entreprises
comptant plus de 500 salariés
et celles dont le chiffre d’affaires
dépasse 50 millions d’euros (1).
Les grosses boîtes ont désormais
six ans pour nommer 40% de
femmes, au minimum, avec
un palier de 20% d’ici à 2014.
Un impératif non négociable,
sous peine de sanctions: nullité
des nominations et possibilité
de suspension temporaire
des «jetons de présence»
(rémunération pour participation
aux CA). Effet d’annonce
de la loi oblige, la part des
administratrices passe de 10 à
15% en septembre 2010.
Un chiffre qui tombe à 7%
dans les comités exécutifs (2).
Ce nouveau dispositif fait suite
au rapport de Brigitte Grésy
sur l’égalité professionnelle
entre hommes et femmes.
L’inspectrice générale des
affaires sociales dresse un
bilan alarmant: à poste égal, on
constate un tiers d’écart entre
salaires féminins et masculins,
des secteurs entiers occupés
par les hommes (industrie,
bâtiment, informatique), d’autres
majoritairement détenus par
les femmes (aide à la personne,
santé), une sur-représentation
de la gent féminine dans des
emplois non qualifiés (60%),
précaires et/ou à temps partiel…
Le tout, chapeauté par deux
constantes: le choc de l’arrivée
d’un enfant sur l’activité
féminine, et l’invisibilité des
femmes dans les instances
de décision (gouvernance
d’entreprises, organisations
syndicales et patronales).
«C'est le résultat d’une logique
de cooptation au plus haut
niveau, constate Brigitte Grésy.
L’instauration d’objectifs chiffrés
est devenue une nécessité. Il ne
s’agit pas de promouvoir une
incompétente au détriment
ENTREPRISES AU FÉMININ
LES FEMMES
ENCORE TRES LOIN
DE L'EGALITE!
Prenez les dirigeants des grandes entreprises françaises des trente dernières années…
À quelques détails près, la photo de famille reste similaire: des hommes,
rien que des hommes!
30 RESPECT MAG n°30
GRAND
ANGLE WOMEN
2. Photos:DARNELLINDOR
d’un homme excellent, mais de
promouvoir des compétences de
valeur comparable».
Objectif réaliste?
«Bien sûr! affirme Nicole
Notat, ex-secrétaire générale
de la CFDT, PDG de Vigeo,
agence de notation sociale et
environnementale. La France
a un vivier d’expertes. Je réfute
tous les arguments "alibis". Pour
trouver, il suffit de chercher».
«Cette loi est emblématique d’une
dynamique très positive en train
de se mettre en place, ajoute
Véronique Morali, présidente
du Women’s Forum, à la tête
de Fimalac Développement et
du site Internet Terra Femina.
On espère qu’elle engendrera
un effet cascade». Pour Cristina
Lunghi, présidente d’Arborus
et porte-parole du club
Label égalité, la loi n’est pas
mauvaise mais ne s’attaque
pas au «vrai» problème: «Les
CA sont des organes politiques,
pas opérationnels. Le sujet
fondamental, c’est le plafond
de verre». À savoir l’ensemble
des obstacles visibles ou
invisibles qui empêchent
les femmes d'accéder à des
fonctions dirigeantes. Si elles
représentent 60% des diplômés
de l’enseignement supérieur, et
34% des cadres, seulement 11%
occupent des postes à «fortes
responsabilités».
Une récente étude de l’Apec (3)
montre que le fossé se creuse
surtout à partir de 35 ans.
En cause, les interruptions de
carrière – principalement liées à
la parentalité – et une pratique
du temps partiel plus fréquente,
notamment chez les salariées
mères de plus de deux enfants.
Pour les hommes, c’est l’inverse!
La paternité accroît leur temps
de travail.
Vu de l’intérieur
À ce plafond bien épais s’ajoute
une paroi, plus vicieuse: même
à des postes clés, les femmes
occupent des fonctions de
moindre envergure et se
retrouvent souvent dans des
pôles moins stratégiques,
rarement opérationnels (RH,
administration…). Pourtant,
l’institut McKinsey (4) démontre
que les entreprises composées
de comités de direction plus
féminisés sont aussi plus
performantes financièrement.
Depuis 1972, six lois sur
l’égalité professionnelle ont été
adoptées. «Les entreprises ne les
appliquent pas et ne sont pas
sanctionnées», affirme Cristina
Lunghi. «L’engagement est très
divers d’une structure à l’autre,
précise Nicole Notat. Celles qui
s’emparent avec conviction du
sujet, et elles sont minoritaires,
progressent. A contrario, si
l’action est menée "un peu parce
qu’il le faut, sous la contrainte
ou pour être dans l’air du temps",
les résultats ne sont pas au
rendez-vous» Chez Orange,
objectif 35% de femmes
dans toutes les instances
dirigeantes et les réseaux de
management d’ici à 2015.
Chez Suez Environnement, 30%
de femmes au sein des équipes
de direction opérationnelle.
PSA entend doubler son taux de
cadres féminins d’ici à 5 ans.
Idem pour BNP Paribas.
«Tous ces affichages volontaristes
enclenchent une dynamique
jamais vue auparavant.
Celle-ci devrait se poursuivre,
à condition que les entreprises
mettent en place les actions
nécessaires. Les femmes, quant à
elles, doivent prendre davantage
de responsabilités et de risques.
Ce qui n’était pas tout à fait le
cas jusqu’à présent», affirme
Véronique Morali.
PPR fait partie des bons élèves
avec 58% de femmes dans ses
effectifs. Son projet Leadership
& Mixité fixe de nouveaux
objectifs ambitieux: la parité
au niveau du Top management
dans les cinq ans. «Avant de
lancer ce programme, nous
avons audité toutes nos branches
et enquêté auprès de 400 top
managers du Groupe, explique
Leslie Chaffot, responsable
projets développement RH.
Cette étude nous a permis de
prendre conscience du chemin
qu’il reste encore à parcourir, et
de la nécessité de faire évoluer
notre culture managériale».
AXA France se positionne
sur différents domaines:
communication, promotion,
Les entreprises dont la direction
est plus féminisée sont aussi
plus performantes.
Femme
+ minorité ethnique
= double peine
«Des cadres noires en France?
Bien que nombreuses, elles
sont invisibles dans l’espace
économique, personne ne sait où
les trouver et aucun réseau ne
s’attache à les valoriser! lâche
Carole Da Silva, présidente de
l’Association pour favoriser
l'intégration professionnelle
(AFIP). La discrimination ne
s’effectue pas tant à l’embauche
qu’à l’égard des postes proposés
aux femmes issues des minorités:
il s’agit souvent d’emplois en deçà
de leurs qualifications. Nous ne
disposons pas d’indicateurs. Aucun
programme concret n’a été mis en
place par le gouvernement ou les
entreprises pour lutter contre la
double discrimination». L’AFIP
encourage ces femmes à se diriger
vers des filières qui recrutent. Pas
question de brimer leurs envies,
mais d’être en phase avec la réalité
du marché de l’emploi. «Il faudrait
aussi que les entreprises élaborent
des programmes de gestion de
carrière spécifiques, à l’image des
politiques d’accompagnement déjà
initiées pour la gent féminine,
pense Carole Da Silva. Autoriser
la mise en place d’indicateurs
statistiques permettrait d’évaluer
les faiblesses des dispositifs en
cours et de les améliorer».
Fanny Fontan
www.afip-asso.org
De g. à d.: Leslie Chaffot, responsable développement RH chez PPR; Lydia Guirous, présidente du club Future, au féminin;
Carole Da Silva, présidente de l'AFIP; Cristina Lunghi, présidente d'Arborus, porte-parole du club Label égalité.
RESPECT MAG n°30 31
5. Sandra Legrand,
PDG de Canal CE
Les femmes ont des qualités
innées pour le management.
Polyvalentes, rigoureuses,
pragmatiques, courageuses
dans la prise de décision. Mon
style est ouvert, transparent,
convivial, mais très orienté
sur les résultats. J’ai toujours
été attentive aux ressources
humaines car la vraie valeur
d’une entreprise, ce sont ses
hommes et ses femmes.
J’essaye d’informer mes
collaborateurs au maximum
pour qu’ils comprennent toute
l’entreprise et pas seulement
leur secteur.
(Interview intégrale sur
respectmag.com)
Véronique Morali,
PDG de Terra Femina
Peut-être un peu moins
autoritaire dans l’expression
mais pas moins dans l’action.
Cela dit, je suis sceptique sur
l’approche strictement féminine
du management. Le mien est
très hands on, je mets la main
à la pâte. Je suis dans l’action,
avec mes équipes. Au sein de
Terra Femina, nous ne sommes
quasiment que des femmes.
Par choix et parce que le sujet
s’y prête!
Nicole Notat,
PDG de Vigeo
Attention à l’illusion selon
laquelle les femmes s’ouvriraient
plus spontanément aux autres,
proposeraient de nouvelles
manières d’être et de fonctionner.
Cela reviendrait à une conception
essentialiste de la femme. Mais
elles sont tellement neuves
dans les postes à responsabilités
qu’elles n’en ont pas encore pris
les mauvaises habitudes! Rien
d’étonnant à ce que, souvent, les
femmes aient plus de capacités
d’organisation: dans une journée,
elles doivent mener à bien
plusieurs vies. Il vaut mieux
être organisée!
Mercedes Erra,
PDG d'Euro RSCG
Quand je suis arrivée dans la
com’, je ne savais pas si ça allait
être pour moi. J'avais une envie
de travailler un peu hors normes:
je trouvais ça sympa, gai, ça ne
me prenait pas la tête. J'étais
en forme et j'avais le sens des
responsabilités: s’il y avait un
souci, même aucunement lié à
moi (j'étais stagiaire), je me disais:
«Il faut régler ce problème». Et à
force de régler les problèmes, on
avance. Aujourd'hui, les femmes
sont fatiguées: elles se retrouvent
dans la vie d'entreprise et n’ont
rien lâché de la vie familiale. Il
faut se battre: lorsque je me suis
aperçue que je n'étais pas payée
comme les garçons, j'ai hurlé.
C'est encore un combat, pas un
acquis. Beaucoup de femmes
travaillent dans la com’, mais
c’est régi par des hommes. Nous
sommes la seule agence mixte du
secteur. C'est pour ça qu'elle est
la meilleure!
Marie-Laure Sauty
de Chalon, PDG
d’Auféminin.com
Les valeurs féminines sont, par
essence, celles de l'ouverture.
Les femmes sont le maillon de la
transmission, de la construction
des valeurs. Mes responsabilités
sont multiples: être une femme,
diriger un site féminin, et être à la
tête du seul portail français ayant
réussi au plan international. Je
ressens à la fois une trouille très
stimulante, et une très grande
énergie. Je suis assez positive
sur l'ouverture des Français à la
diversité. Ceux qui sont en retard?
Les décideurs. Quand j'ai débuté,
on me disait toujours: «Il faut
convaincre les leaders d'opinion».
Je pense que, maintenant, ce sont
des freineurs d'opinion.
Recueilli par Maral Amiri, Bams
et Marc Cheb Sun
UN MANAGEMENT AU FÉMININ?
PDG VOX POP
PAROLES
Mercedes Erra M.-L. Sauty de ChalonVéronique Morali Nicole NotatSandra Legrand
PHOTOS:BELKA/DARNELLINDOR/TERRAFEMINA/HOMARDPAYETTE
Grosse boîte
cherche ingénieures
désespérément
Aérospatial, automobile,
ferroviaire, maritime, énergie,
informatique… Ces secteurs
cherchent à féminiser leurs
effectifs. La demande est telle
qu’à l’initiative de grands groupes,
l’association Elles bougent est
née pour susciter des vocations.
Mission? Informer les lycéennes
sur les carrières d’ingénieur,
organiser des rencontres avec des
«marraines» en poste, bousculer
les stéréotypes. «Nous souhaitons
embaucher au moins 25% de
diplômées chaque année, explique
Jacques Massot, DRH d’EADS
France. Nos attentes s’adaptent au
marché de l’emploi». Chez Total,
même objectif. Selon Laurence
Reckford, chef de projet diversité,
«un poste d’ingénieur représente
un sésame dans les entreprises
industrielles. À partir d’un même
diplôme, il est possible d’occuper
des fonctions très diverses».
Argument confirmé par Jean-
Michel Nicolle, directeur de l'EPF
(ancienne École polytechnique
féminine), qui milite pour des
formations plus généralistes:
«95% trouvent un emploi dans les
trois mois suivant l’obtention de
leur diplôme».
M.A.
www.ellesbougent.com
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GRAND
ANGLE WOMEN