3. AU LENDEMAIN DE 14-18
Au lendemain de la guerre, la propagande française
et anglo-américaine sera perçue comme l’une des
raisons de la victoire.
La fin des hostilités marque une croyance durable
en l’efficacité d’une propagande qui ne cesse
d’être théorisée aux Etats-Unis, en Union soviétique
ou en Allemagne, appliquée à de nouvelles
techniques, utilisée pour l’accession au pouvoir puis
amplifiée dans le cadre de régimes totalitaires.
4. Les théories de la propagande:
Lasswell
Avec son ouvrage Propaganda techniques in the World War
(1927), Harold Lasswell ouvre la voie des «Mass
Communication Researches». Pour lui, les nouvelles
techniques de communication sont essentielles à la «gestion
gouvernementale des opinions»; la propagande constitue un
moyen pour les démocraties d’obtenir à coup sûr l’adhésion
des masses.
La métaphore célèbre qu’il utilise marque bien l’idée
d’omnipotence des médias: la seringue hypodermique,
symbolisant l’effet direct du message sur un récepteur sans
résistance et ne réagissant que selon le schéma
stimulus/réponse.
5. Les théories de la propagande:
Tchakhotine
Dans son livre Le Viol des foules par la propagande
politique (1927), Sergei Tchakhotine décrit, en
préambule, les expériences de Pavlov puis analyse
les effets de la propagande sur les foules. Il est
possible de modifier le comportement humain par le
conditionnement des réflexes; c’est ce qu’ont
effectué les nazis en semant la terreur et en
proposant un symbole (la croix gammée) renvoyant
à l’ordre et la hiérarchie. Ce n’est qu’en imposant
un autre symbole qu’il devient possible de
détourner le réflexe.
6. « Que faisait donc Hitler ? Par des discours enflammés, dégagés de toute entrave, il attirait sur lui l’attention ;
il attaquait violemment le gouvernement républicain, il critiquait, il injuriait, il proférait des menaces inouïes : « les têtes vont
tomber », « la nuit des longs couteaux », le document Boxheim, telles étaient les menaces de la propagande nazie qui avait, et
qui devait avoir, une énorme influence sur les masses ; cela pour deux raisons : en premier lieu, ces masses, rendues
facilement excitables par la misère matérielle, prêtaient volontiers l’oreille à toutes les critiques ; en second lieu, le fait que
cette propagande se faisait impunément éveillait la conviction que les pouvoirs répressifs et les moyens de défense de l’Etat
étaient entièrement paralysés, et qu’on ne pouvait plus espérer, de ce côté-là, l’heureux dénouement d’une situation
insupportable. Hitler et ses adeptes, rassemblés au son du tambour, faisaient encore une chose qui devait renforcer
énormément l’effet de ses paroles. Ils se servaient de la propagande symbolique et ils employaient dans ce but un symbole
très simple du point de vue graphique, la croix gammée, qu’ils dessinaient partout en grand nombre. Précisément parce
qu’elle était si aisément reproductible, elle fut reproduite à des millions d’exemplaires, et servit de signal excitant, faisant
naître dans les masses une certaine réaction nerveuse, qui nous est familière, maintenant que nous connaissons les
expériences et les conclusions de Pavlov, concernant la création des réflexes conditionnés. […] Le mécanisme en est le
suivant : toute parole violente, parlée ou écrite, de Hitler, toute menace, s’associait dans l’esprit de ses auditeurs à ses
symboles, qui devenaient peu à peu les signes évocateurs de ses paroles, de ses menaces ; rencontrés partout, ils agissaient
constamment sur les masses, ils ranimaient sans cesse l’inclination favorable à Hitler […], de la même manière que l’on
renforce le réflexe conditionné de Pavlov, en répétant de temps à autre la stimulation « absolue ». Le gouvernement allemand
d’alors avait deux possibilités de réduire à néant cette réaction d’association. On pouvait soit combattre les symboles, les
affaiblir, les tourner en ridicule par certaines actions ou contre-mesures, soit les interdire, empêcher le « tambour », les
injures, les cris, les menaces. On ne fit ni l’un ni l’autre, on laissa tranquillement les ennemis donner à leurs symboles une
vigueur toujours renouvelée.
»
7. Les théories de la propagande: Hitler,
Mein Kampf
« À qui la propagande doit-elle s’adresser ? A l’intelligentsia scientifique ou à la masse la moins
cultivée ? Elle ne doit s’adresser qu’à la masse ! […] Car toute la propagande doit être populaire,
elle doit ajuster son niveau intellectuel en fonction de la capacité d’absorption des plus bornés de
ceux qu’elle veut toucher. Aussi, plus grande sera la masse des gens à atteindre, plus bas devra être
son niveau intellectuel. Mais lorsque l’on veut, comme, par exemple, pour soutenir le moral en
temps de guerre, que la propagande agisse sur tout un peuple, on ne veillera jamais assez à ne pas
présumer de capacités intellectuelles trop élevées. […] Une fois bien comprise la nécessité
d’orienter vers les masses l’art de la propagande, on en arrive à la doctrine suivante : il est erroné
de vouloir donner à la propagande la portée d’un enseignement scientifique par exemple. Les
masses ont une capacité d’absorption très limitée, elles comprennent peu et oublient beaucoup. Il
résulte de tout cela qu’une propagande efficace devra se limiter à un très petit nombre de points et
les exploiter sous forme de slogans jusqu’à ce que tout le monde, jusqu’au dernier, réussisse à voir
derrière le mot ce qu’on veut lui faire comprendre. Si l’on sacrifie ce principe et que l’on veut
couvrir un champ plus large, l’effet sera dispersé, car la masse ne pourra ni digérer ni conserver la
substance qu’on lui propose. Et le résultat s’en trouvera affaibli d’autant et finira par disparaître
complètement.
»
8. Un espace de propagande:
les régimes totalitaires
Dans les régimes totalitaires, la propagande est
centrale: la concentration de tous les moyens de
communication aux mains de l’Etat débouche sur
un véritable contrôle de l’imaginaire.
L’emblème du parti, les uniformes, les
manifestations de masse, les drapeaux sur les
bâtiments publics, les sculptures ou les reliefs, le
marquage des documents officiels, les timbres et
tampons signent la transformation de l’espace
symbolique.
9. Un espace de propagande:
les régimes totalitaires
L’image du chef y est
omniprésente: centrale
dans les grands
rassemblements,
extrêmement fréquente
dans les affiches, actualités
cinématographiques,
statues, médailles, bustes,
voire totalement
incontournable (objets de la
vie courante: cendriers,
lampes…)
11. Les régimes totalitaires
Hitler, dans le studio de son photographe Heinrich
Hoffman en 1925. Les poses d’orateur renvoient
nettement à l’esthétique du cinéma muet.
Soulignons aussi les nombreuses retouches: l’accès
au pouvoir passe par la maîtrise des codes des
nouveaux langages.
12. De nouvelles méthodes et techniques
La montée des régimes totalitaires est
parallèle (?) au développement de nouveaux
médias:
- la publicité moderne (influençant très
nettement l’ensemble des pratiques de
propagande)
- les comic books
- le magazine photo
- les informations cinématographiques
- la radio
13. Les comic strips
Développée dans la presse aux Etats-Unis,
réutilisée par la publicité, la bande dessinée
bien installée en Europe devient dès le début
de la guerre un support de propagande en
Allemagne.
14. Les comic strips
Aux États-Unis, les comic
books représentent un
mode privilégié de
propagande à destination
des enfants et des jeunes
adultes.
17. Les comic strips
Les nazis sont
conscients de la force
de ce média; ils
s’opposent
violemment dans un
article de 1940 à
Jerry Siegel, créateur
de Superman.
18. Das Schwarze Korps, p. 8 of the 25 April 1940
issue.
• « A triumphant final frame shows Superman, the conquerer of death, dropping in at the
headquarters of the chatterboxes at the League of Nations in Geneva. Although the rules of the
establishment probably prohibit people in bathing suits from participating in their deliberations,
Superman ignores them as well as the other laws of physics, logic, and life in general. He brings
with him the evil German enemy along with Soviet Russia.
• Well, we really ought to ignore these fantasies of Jerry Israel Siegel, but there is a catch. The daring
deeds of Superman are those of a Colorado beetle. He works in the dark, in incomprehensible
ways. He cries “Strength! Courage! Justice!” to the noble yearnings of American children. Instead of
using the chance to encourage really useful virtues, he sows hate, suspicion, evil, laziness, and
criminality in their young hearts.
• Jerry Siegellack stinks. Woe to the American youth, who must live in such a poisoned atmosphere
and don’t even notice the poison they swallow daily.
»
http://research.calvin.edu/german-propaganda-
archive/superman.htm
22. La photo
Depuis le développement de magazines comme Life, Vu
ou Berliner Illustrierte, l’information ne semble plus
pouvoir se passer de la photographie, supposée
reproduire fidèlement la réalité.
S’appuyant sur l’habitude de marquer les contours pour
accentuer les contrastes de la gravure, les régimes
totalitaires ne tardent pas à appliquer les retouches
jusque-là purement techniques à des enjeux politiques. La
photographie devient un moyen privilégié de déformer la
réalité.
23. La photo
Après la prise de pouvoir de Staline, les photos de Lénine où
apparaissent des opposants politiques sont retouchées pour les faire
disparaître.
Par exemple, les photos de la harangue de Lénine du 5 mai 1920 où
étaient présents Trotski et Kamenev, membres du conseil des
commissaires du peuple.
24. Le photomontage
Le montage
photographique,
d’abord utilisé dans la
presse à grand tirage,
rapidement élevé à la
dignité de genre
artistique est utilisé par
les régimes totalitaires
et leurs opposants.
25. Le photomontage
John Heartfield, artiste
communiste, opposant
au nazisme dès 1928
est contraint à l’exil en
Grande-Bretagne dès
33. Par la dissonance
des associations, il lève
le rideau sur «le vrai
visage des nazis», la
violence et la mort.
28. La radio
Les partis fascistes ont su très bien utiliser la radio pour asseoir leur
domination à l’intérieur. En Allemagne, en 1934, le régime met en place
la vente du Volksempfänger à très bas prix: « toute l’Allemagne écoute
le Führer » dit le slogan. Avant la guerre, 10 millions d’exemplaires ont
été vendus (contre la moitié de postes en France).
29. La radio
Utile comme relais de la parole des chefs à l’intérieur; elle s’impose
vite comme une arme à destination des populations étrangères dans
les territoires non occupés.
Dès 1931, les Japonais développent la radio dans les zones occupées
en s’appuyant sur des haut-parleurs.
En préparation de l’Anschluss, l’Allemagne (depuis la Bavière) et
l’Autriche (depuis le plateau de Bissemberg) s’opposent par émetteurs
interposés. La prise de contrôle de la radio apparaît comme nécessaire
lors des tentatives de putsch (25 juillet 1934).
Après l’invasion de l’Ethiopie (35), l’Italie sous le coup d’un blocus
décidé par la SDN développe ses émissions en direction de l’Afrique
du Nord afin de déstabiliser les empires coloniaux français et anglais.
La guerre d’Espagne est aussi une guerre des ondes, où la supériorité
des émetteurs (Séville pour les nationalistes) et le contrôle des
émetteurs privés sont essentiels.
30. La radio
Dans la gestion des conquêtes nazies, la maîtrise des
émetteurs est clairement donnée comme une priorité pour
Goebbels. A partir de Hambourg, les émissions critiques de
«Lord Haw-Haw» (l’américain William Joyce) sont très
écoutées en Angleterre.
L’Angleterre est très en retard; en 39, la BBC ne parle que 6
langues contre 53 pour sa rivale allemande. Mais elle réagit
vite: en 40, elle émet vers l’étranger en 16 langues quelques
51 bulletins d’information. Elle donne la parole aux exilés des
pays vaincus. La ligne est claire: dire la vérité quelle qu’elle
soit.
A partir de 42, les Américains suivent les pas britanniques
avec Voice of America.
31. La radio
Dès septembre 40, une demi-heure
d’antenne de la BBC est
réservée aux «Français parlent
aux Français». La ligne est claire,
le parti de la vérité assuré, le
talent bien représenté.
La radio contribue à donner une
unité et une dynamique à la
France libre: le mouvement
gaulliste y prend sa réalité aux
yeux des Français. Elle devient
peu à peu une arme directe
(campagne des V en avril 41) et
particulièrement importante lors
des parachutages.
La radio, si elle n’a pas fait la
victoire, a eu un rôle important.
32. Le cinéma
Le potentiel du cinéma comme
arme de propagande est très
tôt perçu par les nazis.
En 1937, Fritz Hippler fait
paraître un article sur la force
de ce nouveau média.
Responsable de la production
cinématographique du
ministère allemand de la
propagande, il sera à l’origine
du film documentaire Le Péril
Juif (der ewige Jude) de 1940.
33. Le cinéma
L’une des plus
grandes «réussites»
de la propagande
cinématographique fut
Le Triomphe de la
Volonté de Leni
Riefenstahl.
Analyse de Shlomo
Sand, Le XXe s. à
l’écran, p. 244-247.
34. Au-delà…
La guerre froide signe la persistance de la propagande; elle
masque un phénomène de fond la globalisation.
La propagande pose très tôt la question toujours très vive des
rapports entre le message et le récepteur: effet de la publicité,
violence à la télévision ou dans les jeux-vidéo…
L’approche avant, durant et tout de suite après la seconde
guerre mondiale est naïve; elle voit des effets directs du
message sans questionner les conditions d’émission et de
réception, en particulier dans le cadre des régimes totalitaires.
C’est ce rapport qu’affinent les cultural studies.