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CARNET DE ROUTE
Il en rêvait et il l'a fait. Jeune pilote hélicoptère mais
armé d'une solide expérience professionnelle sur
avion, Olivier Jouis a entrepris de voler solo vers
le point le plus septentrional de l'Europe occidentale.
Un voyage où tourisme et culture n'ont pas eu de
place tellement l'aventure mécanique a été intense.
Notre auteur est revenu enthousiaste et totalement
convaincu de la fiabilité du petit Robinson R22.
433 - Février 2010 - Aviation & Pilote 4948 Aviation & Pilote - 433 - Février 2010
PAR OLIVIER JOUIS
PHOTOGRAPHIES DE L'AUTEUR
T
armac de l’aéroport d’Arvids-
jaur, Suède, le 18 août 2008, le
soutier s’approche pour ravi-
tailler mon hélicoptère R22. «
Where are you flying to?» Je
lui réponds : «I am heading up North».
Le petit aérodrome, siège de l’école
des pilotes cadets de la SAS, baigne
dans le soleil de cette belle fin journée
du mois d’août. Je viens de franchir
les limites géographiques du cercle
polaire arctique. Il est 22h00 et après
6 heures de vol en 3 étapes, mon corps
courbaturé me rappelle que le R22 est
une petite machine qui n’est pas faite
pour le grand gabarit qui est le mien.
Je viens de passer le 65e
parallèle et le
soleil ne se couchera pas avant 23h30
pour se lever 4 heures plus tard. Le
soutier semble dubitatif, mi-étonné,
mi-goguenard: « Vous venez de Paris
dans ce jouet et vous voulez voler jus-
qu’au Cap Nord ? » Pari fou et chal-
tournantes sur la gamme Eurocopter et
premier breveté sur le Cabri de Guim-
bal, j’abordais le petit Robinson avec
beaucoup de « retenue » si ce n’est de
scepticisme vis-à-vis de la fiabilité de
cette machine conçue il y a plus de 25
ans. Arrivé en Suède sans aucun pro-
blème, mon scepticisme s’est progressi-
vement converti en enthousiasme. Mis
en confiance, je me surprends à vanter
ses qualités et sa fiabilité à mes amis de
l’Aéro-Club de Hogonas, premier aéro-
drome suédois où je pose mes patins.
Je décide alors de poursuivre jusqu’à
Linkoping où un ami me pressait de
le visiter.
Réveillé à 6 heures du matin par le
bruit du vent, je me précipite dehors
pour surveiller mon hélico. Inquiet, je
réalise que j’ai omis la veille d’atta-
cher les pales de la machine. Dehors,
la manche à air est à l’horizontale. Un
vent établi à 25 kt, laminaire mais sans
rafales susceptibles de faire battre les
pales. Mon petit R22 semble ne pas
avoir souffert de cette nuit mouvemen-
tée. Condamné au sol à l’inactivité
par cette météo un peu trop « virile »
pour mon insecte d’hélicoptère, j’en
profite pour relire le manuel de vol.
Celui-ci me confirme que tout décol-
lage par vent supérieur à 15 nœuds est
interdit. Le R22 est un bipale, et les
démarrages sont toujours délicats par
grand vent avec le risque de heurter la
poutre de queue. Suivant l’adage des
pilotes « l’aviation légère est un moyen
LE CAP NORD EN R22
HEADING UP NORTH
de déplacement rapide pour gens pas
pressés», je décide de remettre mon
départ au début d’après-midi.
Linkoping est un terrain qui mérite
le détour : c’est le siège du constructeur
national Saab, qui y assemble, dans
une usine enterrée, le fameux chas-
seur Gripen, challenger monomoteur
du Rafale de Dassault. Héritage de la
guerre froide, cette usine qui emploie
5000 personnes est à 80% sous terre.
En hiver, pendant les longues nuits
polaires, les gens qui y travaillent ne
voient donc pas la lueur du soleil de
toute la journée.Arrivée en finale der-
rière deux chasseurs en formation, la
tour m’annonce des rafales à 27 nœuds,
bien au-delà de ce que préconise le
manuel de vol. Un rapide coup d’œil
à la jauge carburant m’indique que les
alternatives offertes sont réduites : soit
se poser avec un fort vent soit attendre
en vol au-dessus du terrain une baisse
hypothétique de la force du vent, au ris-
que d’entamer mes réserves. La finale
ne pose pas de problème. En revanche,
ma translation entre les bâtiments pour
rejoindre le parking se révèle plutôt
sportive à cause des turbulences géné-
rées par ces obstacles. Je me remémore
les paroles d’Aymeric, mon instructeur
sur R22 chez Helioxygène : « le vent
qui vient de la gauche est ton ami»,
à l’inverse des machines Eurocopter
dont les pales tournent dans le sens
inverse, dextrogyre. « Posé pas cassé »,
je suis soulagé de baisser le pas géné-
ral, après cette petite navigation de
deux heures dans les turbulences. Le
comportement très sain du R22 dans
ces conditions limites me rassure. Nul
besoin de surcontrôle dans les rafales,
signe d’une bonne stabilité dynamique.
Il subit l’accélération verticale ou hori-
zontale mais revient assez rapidement
dans sa position et son attitude initiales
sans intervention excessive de la part
du pilote. Ce hors-d’œuvre se révèlera
fort utile pour m’aider à affronter avec
sérénité les conditions météo sévères
qui m’attendent quelques jours plus
tard, plus haut, à des latitudes plus
élevées...
Je suis accueilli à Linkoping par
mon ami Michael, agent Eurocopter
pour la Suède. Habitué à convoyer les
appareils de ses clients depuis l’usine
de Marignane, il n’est visiblement pas
étonné de mon périple en R22. Au fil
de la conversation, où il me relate ses
expériences de vol à travers la Suède,
il réussit à me convaincre de pous-
ser mon périple plus au nord, cartes
et fiches terrains à l’appui. La Suède
est un pays très bien doté en matière
d’infrastructures aéroportuaires, avec
un terrain en moyenne tous les 200 km,
chacun pourvu d’une approche aux
instruments. De surcroît, l’excellente
couverture en moyens de radionaviga-
tion me permettra également d’écono-
miser les piles de mon GPS. Je prépare
néanmoins toutes mes navigations en
appelant le terrain pour m’assurer de
la disponibilité du carburant et des
horaires d’ouverture. Si le plan de vol
est obligatoire pour tous les aéronefs
étrangers, cette formalité, effectuée
par téléphone, permet d’avoir égale-
lenge personnel. 10 jours de vacances
à consommer et 60 heures de vol de
« mûrissement » à effectuer avant de
poursuivre vers la licence de pilote
professionnel hélicoptère. Plutôt que
d’acquérir cette expérience en faisant
voler les amis ou la famille autour de
Paris, j’ai décidé de joindre l’utile à
l’agréableenm’offrantcetétémapetite
aventure en Scandinavie.
Ambitieux défi, mon expérience
sur le petit R22 est très mince : seu-
lement 15 heures après la qualifica-
tion de type. Malgré mon expérience
avion, je suis un jeune pilote hélico
avec seulement 80 heures « au comp-
teur ». Pari risqué et assumé seul, car
l’autonomie réduite de l’appareil m’in-
terdit de toute manière d’emmener un
quelconque « accompagnant ». Tous
les pleins faits (110 litres), j’emmène
également un équipement de survie,
un gilet de sauvetage, du matériel de
camping de type polaire, un téléphone
satellite, des réserves d’huiles et des
bidons d’essence pour « allonger les
pattes » de ma machine.Au final, il ne
reste que 30 kg pour atteindre la masse
maxi décollage de 622 kg.
Initialement, ma destination finale
était Stockholm. Je n’avais d’ailleurs
pas emmené avec moi la documenta-
tion aéronautique pour poursuivre mon
voyage au delà. Après 12 heures de
vol effectuées en 2 jours, atteindre la
Suède était déjà pour moi un véritable
accomplissement. Initié aux voilures
Posé à
4000 ft, au
bord de la
mer, sur
la calotte
d’un glacier.
Bien que
néophyte,
l’auteur a
bénéficié
de son
expérience
de pilote
de ligne
avion, avec
2500 hdv,
dont 500 sur
A320.
Posé près
d’une
ferme au
milieu de
nulle part,
l’hélico est
l’ami de la
vessie du
pilote...
Passé le
cercle
polaire,
la forte
déclinaison
magnéti-
que rend
le compas
inexploitable
et le GPS
bien utile!
Duissent adio
digna conum
ing eu feu feu
facillam eugiam
ea feu feugue
eummolut
aut nos enim
vullutp atuercilit
praesse quipit
lute del utpat,
qui eum dolore
moloborper
acincilit euipit
alit in henismo
loborer ostrud
ming et, sequipit
amcon hendigna
am volorem
quatem zzrit ip
aussi le point de départ des groupes
de chasseurs qui viennent traquer les
ours, nombreux dans cette partie du
pays à ce que l’on me dit.Au nord et à
l’ouest de la Suède, le pays est entouré
de montagnes qui forment une frontière
naturelle avec le riche voisin norvégien.
La nature change, les hauts sapins ont
désormais cédé la place aux arbustes où
se nourrissent les troupeaux de rennes
que je survole régulièrement.
Le terrain prend de l’altitude, et les
premières neiges apparaissent suivies
de glaciers. Je quitte la Suède pour une
brève incursion en Finlande jusqu’à
Enontekio, le pays du Père Noël. Ter-
rain fermé, carburant indisponible. Il
est 21h00, et la nuit ne tombera pas
avant trois heures. Bilan carburant
fait, je décide de poursuivre mon vol
vers la Norvège jusqu’à Kutokeino,
la « capitale » des Lapons. La Lapo-
nie, également dénommée Sumiland,
n’est pas un état à proprement parler,
mais le peuple lapon est une réalité
dans cette partie de la Scandinavie.
Peuple migrant, vivant principalement
de l’élevage de rennes, ses membres
sont établis sur les trois pays, Finlande,
Suède et Norvège, à travers lesquels ils
bénéficient d’une liberté de circulation
totale. L’un de mes hôtes lapons en Nor-
vège,quim’achaleureusementaccueilli
chez lui après que la visibilité dégra-
dée m’ait « intimé l’ordre imminent »
de me poser, me racontait qu’il était
l’heureux et modeste propriétaire d’un
troupeau de... sept mille têtes. Consi-
dérés comme une minorité longtemps
opprimée, les parlements des trois états
leur ont accordé des droits spéciaux,
notamment fonciers, afin de réparer les
erreurs du passé. Je rejoins l’aéroport
d’Alta, mais trop tard pour pouvoir
être ravitaillé à temps et profiter de la
fenêtre météo fantastique qui m’aurait
permis d’atteindre le Cap Nord le soir
même. Il est vrai qu’en route, je me suis
attardé à me poser près d’un troupeau
de rennes en pleine montagne pour
tenter de réaliser quelques photos.
La rupture est totale avec les
paysages relativement plats de la
Suède et de la Finlande. Je passe sans
transition du survol d’un haut plateau
à une falaise qui tombe à pic sur un
immense fjord au fond duquel est niché
le petit port d’Alta. Une violente rafale
de vent me surprend au passage d’un
col. Sueur froide, regard circulaire sur
tous les instruments moteurs, j’ajuste
mon gilet de sauvetage à la vue de l’eau
glacée 1000 mètres plus bas.
6h00 du matin, impossible de refer-
433 - Février 2010 - Aviation & Pilote 5150 Aviation & Pilote - 433 - Février 2010
ment accès à une prévision météo très
détaillée avec en prime, un exposé sur
les Notams en vigueur.
Envie de voir la planète de plus
près, besoin de chasser la monotonie
de ces longues heures au-dessus de
paysages de forêts et de lacs, je me
surprends à voler de plus en plus bas.
Absenced’obstacles,notammentdeces
grandes lignes électriques qui sont le
cauchemar du pilote d’hélicoptère en
France, très peu de trafic, une météo
clémente qui me permet de me faufiler
entre deux fronts, la surconfiance me
guette. En volant à quelques mètres au-
dessus de la cime des arbres, façon vol
tactique, quelle garantie ai-je de réussir
une autorotation dans la plus proche
clairière ? En pratiquant le vol de pente
aux heures chaudes de la journée pour
économiser de la puissance, et donc
du carburant, j’oublie que ma vie est
accrochée à ce petit rotor à deux pales
qui ne m’offre que quelques secondes
de réaction en cas de panne moteur.
Sueur froide dans les mains, réaction
saine et salutaire, je me fixe désormais
unehauteurminiau-dessousdelaquelle
je ne descendrai plus. Deux heures de
vol depuis ce matin, je suis à la recher-
che d’une aire où me poser. Premier
passage au-dessus des rives de ce petit
lac, un deuxième passage pour évaluer
la puissance disponible en stationnaire,
et je suis en finale sur ce bout de terre
pour une petite pause bien méritée. A
un mètre de hauteur, en stationnaire, le
sol que j’imaginais assez solide pour
accueillir nos 600 kg m’apparaît tout
d’un coup très meuble. Je réalise que
je suis en train de me poser dans un
marécage où mes chances de redécol-
ler seraient nulles. Adieu la pause, je
remets les gaz.
Quelques minutes plus loin, la
chance me sourit et j’aperçois une
ferme au milieu de nulle part. De la
fumée sort de la cheminée : un café
en perspective. Posé dans la cour de la
ferme, le terrain accuse un fort dévers
que j’avais mal apprécié lors des sur-
vols de reconnaissance. Les occupants,
intimidés par cette visite inopinée, se
sont réfugiés à l’intérieur de la bâtisse
en bois, mi-cabane au Canada, mi-isba
russe. Après quelques minutes, deux
jeunes garçons sortent et m’invitent
à venir partager le café tant espéré.
J’ai le sentiment d’être un extra- ter-
restre. Seul l’adolescent de la famille
parle un anglais scolaire. Les échanges
sont limités. En revanche, les regards
s’éclairent quand mes interlocuteurs
comprennent, incrédules, que je viens
de Paris dans mon petit oiseau à voilure
tournante.
Kiruna, dernière ville importante
du nord de la Suède, cité minière et
industrielle, est connue du monde
entier pour son hôtel entièrement
construit en glace, rendu célèbre
par le célèbre agent de sa Gracieuse
Majesté dans le dernier opus « Demain
ne meurt jamais ».A la recherche d’un
havre pour m’y reposer, je suis déçu
d’apprendre que la température estivale
trop élevée depuis quelques années
fait disparaître l’hôtel et qu’il faut le
reconstruire régulièrement pour l’hi-
ver suivant. Preuve, s’il en est encore
besoin, de la réalité du phénomène de
réchauffement climatique. Kiruna est
CARNET DE ROUTE
mer l’œil depuis que le soleil s’est levé
ilyadeuxheures.Unrapidecoupd’œil
par la fenêtre me confirme que la fenê-
tremétéoquim’apermisdevolerd’une
seule traite jusqu’à ces latitudes est
en train de se refermer. Je descends
jusqu’à l’aéroport pour discuter avec
le prévisionniste de mes chances de
voler aujourd’hui jusqu’au Cap nord.
La visibilité se réduit localement au
passage des averses mais cela reste
jouable. Seule ombre au tableau : le
petitaérodromed’Honningsvag,leplus
au nord de l’Europe après celui des îles
Svalbard, est fermé pour entretien de
la piste. Mais mon petit hélicoptère
n’a pas besoin de toute la piste pour se
poser ! Discussion, négociation avec la
tour qui m’interdit de venir m’y poser.
De surcroît, j’apprends que l’atterris-
sage au Cap Nord n’est pas autorisé.
Je suis découragé, voilà que la
météo et l’administration se liguent
pour me faire échouer si près du but.
Je décide néanmoins de me rapprocher
du port de Hammerfest, où j’atterris
sous une pluie battante. Le Super Puma
des garde-côtes norvégiens vient se
poser quelques instants plus tard et ses
pilotes confirment que « ce n’est pas un
temps à mettre ses pales en l’air ».
Je me réfugie dans l’unique restau-
rant du village où ma déception fait
peine à la serveuse. Elle m’apprend
que sa sœur travaille à la base météo
installée sur le rocher du Cap Nord.
Lueur d’espoir. Elle l’appelle sur le
champ pour s’enquérir des possibilités
d’atterrirenhélico.Quelquesmotsavec
son chef qui me confirme par email
l’autorisation d’atterrir. Je fonce à l’aé-
roport où entretemps, visibilité et vent
se sont améliorés.
Je dépose un plan de vol : destina-
tion Cap Nord. Mon interlocuteur me
gratifie d’un « have a safe flight ! » un
peu inquiétant. Je survole les derniers
fjords et après une heure de vol, un
rocher immense semble marquer la
fin du continent. Le vent s’est levé et
un front barre l’horizon sur la mer.
Dans cinq minutes, il sera sur moi et
je serai prisonnier, à sa merci. Déci-
sion : il faut se poser dans les trois
minutes. Repérage, finale, stationnaire
à 3 mètres au-dessus du sol. Le vent
a nettement forci, et mon hélicoptère
fait des embardées impressionnantes.
Pas besoin de manche à air : à vitesse
nulle, mon anémomètre indique une
valeur que je qualifierai d’indécente.
En étant trop proche de la falaise, je
réalise que je suis dans la turbulence
du vent qui vient la frapper 300 mètres
plus bas. Je recule de 200 mètres où je
rencontre un vent beaucoup plus faible
et plus laminaire. A l’image des sur-
feurs qui attendent la bonne vague pour
se lever, je reste quelques instants à me
faire secouer en espérant une accalmie.
Décision : je me pose maintenant, ou
retour à la case départ ! Petit dévers, sol
lunaire constitué de grosses pierres où
j’identifie une petite zone qui semble
Autoportrait
bien mérité
à l’arrivée:
« Le Cap
Nord, j’y
suis! »
Cosmos
1999? Non,
juste la station
météo du Cap
Nord. Notez la
cale sous le
patin gauche
pour éviter
l’entrée en
résonance
avec le sol
inégal.
Le R22 et
son « grand »
cousin le
Super Puma à
Hammerfest.
Visibilité
et plafond
« nominaux »
pour la région.
© Jeppesen 2010. Do not use for navigation.
convenir. Kiss landing de précision. Je
freine le rotor. Mes jambes tremblent.
Un coup d’œil au badin. Le vent a été
généreux avec moi en me ménageant
une période d’accalmie. 71° 10'6'' :
les coordonnées du bout de l’Europe.
Impression de bout du monde.
En face de moi, de l’autre côté
du pôle Nord, c’est le Canada et la
Russie.A ces latitudes, la déclinaison
magnétique couplée à la forte inclinai-
son rendent mon compas totalement
inexploitable. Je vérifie les piles de
mon GPS et m’extrais de la machine
pour aller me réfugier au centre météo.
On y vend des cartes postales pour que
ceux qui ont atteint ce lieu puissent
témoigner qu’ils « y étaient ». Petit café
aveclacharmantebienfaitriceauxyeux
verts qui m’a donné le sésame pour
venir jusqu’ici en hélicoptère. Le front
passe et laisse place à une accalmie. La
chance est toujours avec moi.
Retourauterraind’Altaoùm’attend
le soutier, à l’heure convenue le matin.
Puis redécollage dans la foulée.Tout à
la satisfaction d’avoir réussi mon pari,
j’omets de vérifier la météo. Je laisse le
fjord derrière moi pour attaquer l’as-
cension d’une montagne en remontant
le lit d’un torrent. Le vent me pousse,
et je monte avec une puissance réduite
jusqu’au plateau sur lequel je suis un
sentier. Passage de col. J’évite des nua-
ges isolés mais de plus en plus rap-
prochés. Tout d’un coup, la visibilité
se réduit au passage d’un petit lac de
un papier où un ami lapon m’avait écrit
le numéro de téléphone à appeler en
cas de problème. Au bout du fil, Ulf
Grinda, pionnier de l’hélicoptère en
Suède, pilote aux vingt mille heures
de vol, propriétaire de la plus ancienne
compagnie d’aviation du pays. Client
de lancement de l’EC 120 d’Eurocop-
ter, il a participé à la mise au point de
l’appareil notamment pour les tests
grand froid. Il a introduit l’usage de
l’hélicoptère chez les Lapons pour
regrouper leurs immenses troupeaux
de rennes à l’occasion des transhu-
mances. Je lui expose mon cas et il
m’invite à venir me poser chez lui pour
ravitailler. Ce voyage est décidément
dirigé par une bonne fée. Dans ce pays
vaste au climat rude, il m’explique
que la solidarité entre pilotes est une
nécessité.
Cap sur la Norvège où la route du
retourdoitpasserparOslo;jeretrouve
les grandes étendues de forêt de pins
qui font la fortune d’Ikéa. Il est midi,
et la faim commence à me tirailler.Au
loin, une fumée. Je survole le camp.
Quelques passages afin de repérer une
large clairière pour un posé à proxi-
mité du camp. Collectif ramené vers
le bas progressivement. L’hélicoptère
se cabre. En mettant pied à terre, je
m’enfonce dans ce qui semble être de
la mousse. Je ne vois plus les patins
de l’hélicoptère. Il semble stable mais
je préfère le caler avec des pierres et
partir l’esprit tranquille en direction
du camp où les chasseurs m’invitent à
partager leur repas. Mais que chasse-
t-on par ici ? L’ours bien évidemment.
Pour me convaincre, ils me montrent le
trophée de la matinée. Un second est
blessé et tourne dans les environs du
camp. Pour repartir et franchir le bois
qui me sépare de ma machine, deux
hommes armés m’accompagnent ...
en cas de mauvaise rencontre. Quand
je pense aux bivouacs que j’ai fait seul
au milieu de nulle part ces derniers
jours, je crois que ma bonne étoile a
veillé sur moi.
Cette dernière ne me quittera pas
jusqu’à mon retour à Paris, après 57
heures de vol en 10 jours. Au final, le
R22 s’est admirablement comporté
mais à mon avis, ce n’est une machine
ni pour les grands pilotes ni pour les
longs trajets. La Scandinavie est une
destination idéale pour un voyage
aéronautique : infrastructures aéropor-
tuaire et de navigation de premier plan,
aviation civile compétente et aimable,
disponibilité de l’AVGAS satisfaisante.
Les taxes sont raisonnables et le coût
de l’hébergement est comparable à
celui de la France. Une destination
idéale pour une sortie aéroclub, hors
des sentiers battus. y
CARNET DE ROUTE
433 - Février 2010 - Aviation & Pilote 5352 Aviation & Pilote - 433 - Février 2010
équipes de sauvetage. Moteur coupé,
je profite de la beauté du paysage :
posé sur un glacier qui plonge dans la
mer, la visibilité est extraordinaire.
En reprenant l’air, je suis le parcours
du glacier. Passage des séracs. Puis un
immense fjord. Sur ma droite, l’ar-
chipel des Lofoten s’étend sur plus de
150 kilomètres. Je me suis assuré que
le propriétaire du camping situé sur la
dernière île peut accueillir mon héli-
coptère. Posé au milieu des rochers, au
pied d’immenses falaises, je bivouaque
dans le petit village de Å, première
lettre de l’alphabet, dernière île de cet
archipel irréel.
Sur le chemin du retour, je me pose
sur l’île qu’un ami s’est achetée pour
y restaurer une maison. Il m’assure
qu’il y a largement assez d’espace
pour y accueillir mon hélicoptère.
En fait d’île, c’est un caillou grand
comme un terrain de basket, donc posé
d’extrême précision requis. La plage
me semble plus accueillante mais je
dois redécoller 10 minutes plus tard,
mon hôte m’ayant averti que la marée
allait monter...
Je reprends mon vol vers la Suède
où, paradoxe, le carburant coûte moins
cher que chez le voisin norvégien, pays
pourtant producteur de pétrole.Arrivé
à Ostersund, je me retrouve piégé dans
un aéroport fermé où personne ne peut
me ravitailler.
En fouillant mes poches, je retrouve
montagne bordé de neige.Au bout, je
devine une cabane. Le plafond me
contraint à ne voler qu’à une dizaine
de mètres au-dessus du lac.
Cette cabane semble me ten-
dre les bras pour y passer la nuit.
Personne pour le comité d’accueil,
porte non close. A l’intérieur, du bois
pour le feu et des vivres de première
nécessité, et le livre d’or du refuge.
Après une nuit réparatrice, je m’offre
au petit matin un bain de... 10 secon-
des dans le lac au milieu des glaçons.
Tempête de ciel bleu, vol de rêve au
milieu des glaciers. Je ne résiste
pas au plaisir d’aller fouler ce blanc
immaculé. J’applique les règles du vol
montagne : évaluation du vent et de
la qualité de la neige avant le poser.
Elle a l’air plus dure dans la partie
plate du glacier, renforcée par l’effet
venturi du vent. Stationnaire, posé de
précaution, centimètre par centimètre
pour évaluer la densité de la neige.
Je sens que l’hélicoptère s’enfonce
tout en se cabrant. Nous sommes à
4000 pieds et ma marge de puissance
s’est réduite. J’ouvre la porte tout en
soutenant la machine au collectif et
je réalise que le patin a disparu sous
la neige. Je décide de poursuivre en
avant en glissant vers une zone de
rochers. La neige est plus dure et je
peux enfin me poser sans crainte de
voir ma machine s’enfoncer dans la
neige. J’imagine avec angoisse les
explications que j’aurai dû fournir aux
Une piste
avion coin-
cée entre
deux fjords
en Nor-
vège, arrêt
chez Eidar
et Brit,
8 enfants,
2 Piper
Cub: la
transmis-
sion de la
passion
de l’air est
assurée !
Posé dans
une Île de
l’archi-
pel des
Lofoten,
l’hélicoptère,
synonyme
de sauve-
tage, est le
bienvenu,
malgré les
apparen-
ces…
Même en été,
les glaciers
atteignent la
mer.
Pour les
longues
navigations, il
est préférable
d’être bidextre
pour éviter
l’engourdisse-
ment.
Retour à
l’héliport de
Paris, après
67 heures de
vol.

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  • 1. CARNET DE ROUTE Il en rêvait et il l'a fait. Jeune pilote hélicoptère mais armé d'une solide expérience professionnelle sur avion, Olivier Jouis a entrepris de voler solo vers le point le plus septentrional de l'Europe occidentale. Un voyage où tourisme et culture n'ont pas eu de place tellement l'aventure mécanique a été intense. Notre auteur est revenu enthousiaste et totalement convaincu de la fiabilité du petit Robinson R22. 433 - Février 2010 - Aviation & Pilote 4948 Aviation & Pilote - 433 - Février 2010 PAR OLIVIER JOUIS PHOTOGRAPHIES DE L'AUTEUR T armac de l’aéroport d’Arvids- jaur, Suède, le 18 août 2008, le soutier s’approche pour ravi- tailler mon hélicoptère R22. « Where are you flying to?» Je lui réponds : «I am heading up North». Le petit aérodrome, siège de l’école des pilotes cadets de la SAS, baigne dans le soleil de cette belle fin journée du mois d’août. Je viens de franchir les limites géographiques du cercle polaire arctique. Il est 22h00 et après 6 heures de vol en 3 étapes, mon corps courbaturé me rappelle que le R22 est une petite machine qui n’est pas faite pour le grand gabarit qui est le mien. Je viens de passer le 65e parallèle et le soleil ne se couchera pas avant 23h30 pour se lever 4 heures plus tard. Le soutier semble dubitatif, mi-étonné, mi-goguenard: « Vous venez de Paris dans ce jouet et vous voulez voler jus- qu’au Cap Nord ? » Pari fou et chal- tournantes sur la gamme Eurocopter et premier breveté sur le Cabri de Guim- bal, j’abordais le petit Robinson avec beaucoup de « retenue » si ce n’est de scepticisme vis-à-vis de la fiabilité de cette machine conçue il y a plus de 25 ans. Arrivé en Suède sans aucun pro- blème, mon scepticisme s’est progressi- vement converti en enthousiasme. Mis en confiance, je me surprends à vanter ses qualités et sa fiabilité à mes amis de l’Aéro-Club de Hogonas, premier aéro- drome suédois où je pose mes patins. Je décide alors de poursuivre jusqu’à Linkoping où un ami me pressait de le visiter. Réveillé à 6 heures du matin par le bruit du vent, je me précipite dehors pour surveiller mon hélico. Inquiet, je réalise que j’ai omis la veille d’atta- cher les pales de la machine. Dehors, la manche à air est à l’horizontale. Un vent établi à 25 kt, laminaire mais sans rafales susceptibles de faire battre les pales. Mon petit R22 semble ne pas avoir souffert de cette nuit mouvemen- tée. Condamné au sol à l’inactivité par cette météo un peu trop « virile » pour mon insecte d’hélicoptère, j’en profite pour relire le manuel de vol. Celui-ci me confirme que tout décol- lage par vent supérieur à 15 nœuds est interdit. Le R22 est un bipale, et les démarrages sont toujours délicats par grand vent avec le risque de heurter la poutre de queue. Suivant l’adage des pilotes « l’aviation légère est un moyen LE CAP NORD EN R22 HEADING UP NORTH de déplacement rapide pour gens pas pressés», je décide de remettre mon départ au début d’après-midi. Linkoping est un terrain qui mérite le détour : c’est le siège du constructeur national Saab, qui y assemble, dans une usine enterrée, le fameux chas- seur Gripen, challenger monomoteur du Rafale de Dassault. Héritage de la guerre froide, cette usine qui emploie 5000 personnes est à 80% sous terre. En hiver, pendant les longues nuits polaires, les gens qui y travaillent ne voient donc pas la lueur du soleil de toute la journée.Arrivée en finale der- rière deux chasseurs en formation, la tour m’annonce des rafales à 27 nœuds, bien au-delà de ce que préconise le manuel de vol. Un rapide coup d’œil à la jauge carburant m’indique que les alternatives offertes sont réduites : soit se poser avec un fort vent soit attendre en vol au-dessus du terrain une baisse hypothétique de la force du vent, au ris- que d’entamer mes réserves. La finale ne pose pas de problème. En revanche, ma translation entre les bâtiments pour rejoindre le parking se révèle plutôt sportive à cause des turbulences géné- rées par ces obstacles. Je me remémore les paroles d’Aymeric, mon instructeur sur R22 chez Helioxygène : « le vent qui vient de la gauche est ton ami», à l’inverse des machines Eurocopter dont les pales tournent dans le sens inverse, dextrogyre. « Posé pas cassé », je suis soulagé de baisser le pas géné- ral, après cette petite navigation de deux heures dans les turbulences. Le comportement très sain du R22 dans ces conditions limites me rassure. Nul besoin de surcontrôle dans les rafales, signe d’une bonne stabilité dynamique. Il subit l’accélération verticale ou hori- zontale mais revient assez rapidement dans sa position et son attitude initiales sans intervention excessive de la part du pilote. Ce hors-d’œuvre se révèlera fort utile pour m’aider à affronter avec sérénité les conditions météo sévères qui m’attendent quelques jours plus tard, plus haut, à des latitudes plus élevées... Je suis accueilli à Linkoping par mon ami Michael, agent Eurocopter pour la Suède. Habitué à convoyer les appareils de ses clients depuis l’usine de Marignane, il n’est visiblement pas étonné de mon périple en R22. Au fil de la conversation, où il me relate ses expériences de vol à travers la Suède, il réussit à me convaincre de pous- ser mon périple plus au nord, cartes et fiches terrains à l’appui. La Suède est un pays très bien doté en matière d’infrastructures aéroportuaires, avec un terrain en moyenne tous les 200 km, chacun pourvu d’une approche aux instruments. De surcroît, l’excellente couverture en moyens de radionaviga- tion me permettra également d’écono- miser les piles de mon GPS. Je prépare néanmoins toutes mes navigations en appelant le terrain pour m’assurer de la disponibilité du carburant et des horaires d’ouverture. Si le plan de vol est obligatoire pour tous les aéronefs étrangers, cette formalité, effectuée par téléphone, permet d’avoir égale- lenge personnel. 10 jours de vacances à consommer et 60 heures de vol de « mûrissement » à effectuer avant de poursuivre vers la licence de pilote professionnel hélicoptère. Plutôt que d’acquérir cette expérience en faisant voler les amis ou la famille autour de Paris, j’ai décidé de joindre l’utile à l’agréableenm’offrantcetétémapetite aventure en Scandinavie. Ambitieux défi, mon expérience sur le petit R22 est très mince : seu- lement 15 heures après la qualifica- tion de type. Malgré mon expérience avion, je suis un jeune pilote hélico avec seulement 80 heures « au comp- teur ». Pari risqué et assumé seul, car l’autonomie réduite de l’appareil m’in- terdit de toute manière d’emmener un quelconque « accompagnant ». Tous les pleins faits (110 litres), j’emmène également un équipement de survie, un gilet de sauvetage, du matériel de camping de type polaire, un téléphone satellite, des réserves d’huiles et des bidons d’essence pour « allonger les pattes » de ma machine.Au final, il ne reste que 30 kg pour atteindre la masse maxi décollage de 622 kg. Initialement, ma destination finale était Stockholm. Je n’avais d’ailleurs pas emmené avec moi la documenta- tion aéronautique pour poursuivre mon voyage au delà. Après 12 heures de vol effectuées en 2 jours, atteindre la Suède était déjà pour moi un véritable accomplissement. Initié aux voilures Posé à 4000 ft, au bord de la mer, sur la calotte d’un glacier. Bien que néophyte, l’auteur a bénéficié de son expérience de pilote de ligne avion, avec 2500 hdv, dont 500 sur A320. Posé près d’une ferme au milieu de nulle part, l’hélico est l’ami de la vessie du pilote... Passé le cercle polaire, la forte déclinaison magnéti- que rend le compas inexploitable et le GPS bien utile!
  • 2. Duissent adio digna conum ing eu feu feu facillam eugiam ea feu feugue eummolut aut nos enim vullutp atuercilit praesse quipit lute del utpat, qui eum dolore moloborper acincilit euipit alit in henismo loborer ostrud ming et, sequipit amcon hendigna am volorem quatem zzrit ip aussi le point de départ des groupes de chasseurs qui viennent traquer les ours, nombreux dans cette partie du pays à ce que l’on me dit.Au nord et à l’ouest de la Suède, le pays est entouré de montagnes qui forment une frontière naturelle avec le riche voisin norvégien. La nature change, les hauts sapins ont désormais cédé la place aux arbustes où se nourrissent les troupeaux de rennes que je survole régulièrement. Le terrain prend de l’altitude, et les premières neiges apparaissent suivies de glaciers. Je quitte la Suède pour une brève incursion en Finlande jusqu’à Enontekio, le pays du Père Noël. Ter- rain fermé, carburant indisponible. Il est 21h00, et la nuit ne tombera pas avant trois heures. Bilan carburant fait, je décide de poursuivre mon vol vers la Norvège jusqu’à Kutokeino, la « capitale » des Lapons. La Lapo- nie, également dénommée Sumiland, n’est pas un état à proprement parler, mais le peuple lapon est une réalité dans cette partie de la Scandinavie. Peuple migrant, vivant principalement de l’élevage de rennes, ses membres sont établis sur les trois pays, Finlande, Suède et Norvège, à travers lesquels ils bénéficient d’une liberté de circulation totale. L’un de mes hôtes lapons en Nor- vège,quim’achaleureusementaccueilli chez lui après que la visibilité dégra- dée m’ait « intimé l’ordre imminent » de me poser, me racontait qu’il était l’heureux et modeste propriétaire d’un troupeau de... sept mille têtes. Consi- dérés comme une minorité longtemps opprimée, les parlements des trois états leur ont accordé des droits spéciaux, notamment fonciers, afin de réparer les erreurs du passé. Je rejoins l’aéroport d’Alta, mais trop tard pour pouvoir être ravitaillé à temps et profiter de la fenêtre météo fantastique qui m’aurait permis d’atteindre le Cap Nord le soir même. Il est vrai qu’en route, je me suis attardé à me poser près d’un troupeau de rennes en pleine montagne pour tenter de réaliser quelques photos. La rupture est totale avec les paysages relativement plats de la Suède et de la Finlande. Je passe sans transition du survol d’un haut plateau à une falaise qui tombe à pic sur un immense fjord au fond duquel est niché le petit port d’Alta. Une violente rafale de vent me surprend au passage d’un col. Sueur froide, regard circulaire sur tous les instruments moteurs, j’ajuste mon gilet de sauvetage à la vue de l’eau glacée 1000 mètres plus bas. 6h00 du matin, impossible de refer- 433 - Février 2010 - Aviation & Pilote 5150 Aviation & Pilote - 433 - Février 2010 ment accès à une prévision météo très détaillée avec en prime, un exposé sur les Notams en vigueur. Envie de voir la planète de plus près, besoin de chasser la monotonie de ces longues heures au-dessus de paysages de forêts et de lacs, je me surprends à voler de plus en plus bas. Absenced’obstacles,notammentdeces grandes lignes électriques qui sont le cauchemar du pilote d’hélicoptère en France, très peu de trafic, une météo clémente qui me permet de me faufiler entre deux fronts, la surconfiance me guette. En volant à quelques mètres au- dessus de la cime des arbres, façon vol tactique, quelle garantie ai-je de réussir une autorotation dans la plus proche clairière ? En pratiquant le vol de pente aux heures chaudes de la journée pour économiser de la puissance, et donc du carburant, j’oublie que ma vie est accrochée à ce petit rotor à deux pales qui ne m’offre que quelques secondes de réaction en cas de panne moteur. Sueur froide dans les mains, réaction saine et salutaire, je me fixe désormais unehauteurminiau-dessousdelaquelle je ne descendrai plus. Deux heures de vol depuis ce matin, je suis à la recher- che d’une aire où me poser. Premier passage au-dessus des rives de ce petit lac, un deuxième passage pour évaluer la puissance disponible en stationnaire, et je suis en finale sur ce bout de terre pour une petite pause bien méritée. A un mètre de hauteur, en stationnaire, le sol que j’imaginais assez solide pour accueillir nos 600 kg m’apparaît tout d’un coup très meuble. Je réalise que je suis en train de me poser dans un marécage où mes chances de redécol- ler seraient nulles. Adieu la pause, je remets les gaz. Quelques minutes plus loin, la chance me sourit et j’aperçois une ferme au milieu de nulle part. De la fumée sort de la cheminée : un café en perspective. Posé dans la cour de la ferme, le terrain accuse un fort dévers que j’avais mal apprécié lors des sur- vols de reconnaissance. Les occupants, intimidés par cette visite inopinée, se sont réfugiés à l’intérieur de la bâtisse en bois, mi-cabane au Canada, mi-isba russe. Après quelques minutes, deux jeunes garçons sortent et m’invitent à venir partager le café tant espéré. J’ai le sentiment d’être un extra- ter- restre. Seul l’adolescent de la famille parle un anglais scolaire. Les échanges sont limités. En revanche, les regards s’éclairent quand mes interlocuteurs comprennent, incrédules, que je viens de Paris dans mon petit oiseau à voilure tournante. Kiruna, dernière ville importante du nord de la Suède, cité minière et industrielle, est connue du monde entier pour son hôtel entièrement construit en glace, rendu célèbre par le célèbre agent de sa Gracieuse Majesté dans le dernier opus « Demain ne meurt jamais ».A la recherche d’un havre pour m’y reposer, je suis déçu d’apprendre que la température estivale trop élevée depuis quelques années fait disparaître l’hôtel et qu’il faut le reconstruire régulièrement pour l’hi- ver suivant. Preuve, s’il en est encore besoin, de la réalité du phénomène de réchauffement climatique. Kiruna est CARNET DE ROUTE mer l’œil depuis que le soleil s’est levé ilyadeuxheures.Unrapidecoupd’œil par la fenêtre me confirme que la fenê- tremétéoquim’apermisdevolerd’une seule traite jusqu’à ces latitudes est en train de se refermer. Je descends jusqu’à l’aéroport pour discuter avec le prévisionniste de mes chances de voler aujourd’hui jusqu’au Cap nord. La visibilité se réduit localement au passage des averses mais cela reste jouable. Seule ombre au tableau : le petitaérodromed’Honningsvag,leplus au nord de l’Europe après celui des îles Svalbard, est fermé pour entretien de la piste. Mais mon petit hélicoptère n’a pas besoin de toute la piste pour se poser ! Discussion, négociation avec la tour qui m’interdit de venir m’y poser. De surcroît, j’apprends que l’atterris- sage au Cap Nord n’est pas autorisé. Je suis découragé, voilà que la météo et l’administration se liguent pour me faire échouer si près du but. Je décide néanmoins de me rapprocher du port de Hammerfest, où j’atterris sous une pluie battante. Le Super Puma des garde-côtes norvégiens vient se poser quelques instants plus tard et ses pilotes confirment que « ce n’est pas un temps à mettre ses pales en l’air ». Je me réfugie dans l’unique restau- rant du village où ma déception fait peine à la serveuse. Elle m’apprend que sa sœur travaille à la base météo installée sur le rocher du Cap Nord. Lueur d’espoir. Elle l’appelle sur le champ pour s’enquérir des possibilités d’atterrirenhélico.Quelquesmotsavec son chef qui me confirme par email l’autorisation d’atterrir. Je fonce à l’aé- roport où entretemps, visibilité et vent se sont améliorés. Je dépose un plan de vol : destina- tion Cap Nord. Mon interlocuteur me gratifie d’un « have a safe flight ! » un peu inquiétant. Je survole les derniers fjords et après une heure de vol, un rocher immense semble marquer la fin du continent. Le vent s’est levé et un front barre l’horizon sur la mer. Dans cinq minutes, il sera sur moi et je serai prisonnier, à sa merci. Déci- sion : il faut se poser dans les trois minutes. Repérage, finale, stationnaire à 3 mètres au-dessus du sol. Le vent a nettement forci, et mon hélicoptère fait des embardées impressionnantes. Pas besoin de manche à air : à vitesse nulle, mon anémomètre indique une valeur que je qualifierai d’indécente. En étant trop proche de la falaise, je réalise que je suis dans la turbulence du vent qui vient la frapper 300 mètres plus bas. Je recule de 200 mètres où je rencontre un vent beaucoup plus faible et plus laminaire. A l’image des sur- feurs qui attendent la bonne vague pour se lever, je reste quelques instants à me faire secouer en espérant une accalmie. Décision : je me pose maintenant, ou retour à la case départ ! Petit dévers, sol lunaire constitué de grosses pierres où j’identifie une petite zone qui semble Autoportrait bien mérité à l’arrivée: « Le Cap Nord, j’y suis! » Cosmos 1999? Non, juste la station météo du Cap Nord. Notez la cale sous le patin gauche pour éviter l’entrée en résonance avec le sol inégal. Le R22 et son « grand » cousin le Super Puma à Hammerfest. Visibilité et plafond « nominaux » pour la région. © Jeppesen 2010. Do not use for navigation.
  • 3. convenir. Kiss landing de précision. Je freine le rotor. Mes jambes tremblent. Un coup d’œil au badin. Le vent a été généreux avec moi en me ménageant une période d’accalmie. 71° 10'6'' : les coordonnées du bout de l’Europe. Impression de bout du monde. En face de moi, de l’autre côté du pôle Nord, c’est le Canada et la Russie.A ces latitudes, la déclinaison magnétique couplée à la forte inclinai- son rendent mon compas totalement inexploitable. Je vérifie les piles de mon GPS et m’extrais de la machine pour aller me réfugier au centre météo. On y vend des cartes postales pour que ceux qui ont atteint ce lieu puissent témoigner qu’ils « y étaient ». Petit café aveclacharmantebienfaitriceauxyeux verts qui m’a donné le sésame pour venir jusqu’ici en hélicoptère. Le front passe et laisse place à une accalmie. La chance est toujours avec moi. Retourauterraind’Altaoùm’attend le soutier, à l’heure convenue le matin. Puis redécollage dans la foulée.Tout à la satisfaction d’avoir réussi mon pari, j’omets de vérifier la météo. Je laisse le fjord derrière moi pour attaquer l’as- cension d’une montagne en remontant le lit d’un torrent. Le vent me pousse, et je monte avec une puissance réduite jusqu’au plateau sur lequel je suis un sentier. Passage de col. J’évite des nua- ges isolés mais de plus en plus rap- prochés. Tout d’un coup, la visibilité se réduit au passage d’un petit lac de un papier où un ami lapon m’avait écrit le numéro de téléphone à appeler en cas de problème. Au bout du fil, Ulf Grinda, pionnier de l’hélicoptère en Suède, pilote aux vingt mille heures de vol, propriétaire de la plus ancienne compagnie d’aviation du pays. Client de lancement de l’EC 120 d’Eurocop- ter, il a participé à la mise au point de l’appareil notamment pour les tests grand froid. Il a introduit l’usage de l’hélicoptère chez les Lapons pour regrouper leurs immenses troupeaux de rennes à l’occasion des transhu- mances. Je lui expose mon cas et il m’invite à venir me poser chez lui pour ravitailler. Ce voyage est décidément dirigé par une bonne fée. Dans ce pays vaste au climat rude, il m’explique que la solidarité entre pilotes est une nécessité. Cap sur la Norvège où la route du retourdoitpasserparOslo;jeretrouve les grandes étendues de forêt de pins qui font la fortune d’Ikéa. Il est midi, et la faim commence à me tirailler.Au loin, une fumée. Je survole le camp. Quelques passages afin de repérer une large clairière pour un posé à proxi- mité du camp. Collectif ramené vers le bas progressivement. L’hélicoptère se cabre. En mettant pied à terre, je m’enfonce dans ce qui semble être de la mousse. Je ne vois plus les patins de l’hélicoptère. Il semble stable mais je préfère le caler avec des pierres et partir l’esprit tranquille en direction du camp où les chasseurs m’invitent à partager leur repas. Mais que chasse- t-on par ici ? L’ours bien évidemment. Pour me convaincre, ils me montrent le trophée de la matinée. Un second est blessé et tourne dans les environs du camp. Pour repartir et franchir le bois qui me sépare de ma machine, deux hommes armés m’accompagnent ... en cas de mauvaise rencontre. Quand je pense aux bivouacs que j’ai fait seul au milieu de nulle part ces derniers jours, je crois que ma bonne étoile a veillé sur moi. Cette dernière ne me quittera pas jusqu’à mon retour à Paris, après 57 heures de vol en 10 jours. Au final, le R22 s’est admirablement comporté mais à mon avis, ce n’est une machine ni pour les grands pilotes ni pour les longs trajets. La Scandinavie est une destination idéale pour un voyage aéronautique : infrastructures aéropor- tuaire et de navigation de premier plan, aviation civile compétente et aimable, disponibilité de l’AVGAS satisfaisante. Les taxes sont raisonnables et le coût de l’hébergement est comparable à celui de la France. Une destination idéale pour une sortie aéroclub, hors des sentiers battus. y CARNET DE ROUTE 433 - Février 2010 - Aviation & Pilote 5352 Aviation & Pilote - 433 - Février 2010 équipes de sauvetage. Moteur coupé, je profite de la beauté du paysage : posé sur un glacier qui plonge dans la mer, la visibilité est extraordinaire. En reprenant l’air, je suis le parcours du glacier. Passage des séracs. Puis un immense fjord. Sur ma droite, l’ar- chipel des Lofoten s’étend sur plus de 150 kilomètres. Je me suis assuré que le propriétaire du camping situé sur la dernière île peut accueillir mon héli- coptère. Posé au milieu des rochers, au pied d’immenses falaises, je bivouaque dans le petit village de Å, première lettre de l’alphabet, dernière île de cet archipel irréel. Sur le chemin du retour, je me pose sur l’île qu’un ami s’est achetée pour y restaurer une maison. Il m’assure qu’il y a largement assez d’espace pour y accueillir mon hélicoptère. En fait d’île, c’est un caillou grand comme un terrain de basket, donc posé d’extrême précision requis. La plage me semble plus accueillante mais je dois redécoller 10 minutes plus tard, mon hôte m’ayant averti que la marée allait monter... Je reprends mon vol vers la Suède où, paradoxe, le carburant coûte moins cher que chez le voisin norvégien, pays pourtant producteur de pétrole.Arrivé à Ostersund, je me retrouve piégé dans un aéroport fermé où personne ne peut me ravitailler. En fouillant mes poches, je retrouve montagne bordé de neige.Au bout, je devine une cabane. Le plafond me contraint à ne voler qu’à une dizaine de mètres au-dessus du lac. Cette cabane semble me ten- dre les bras pour y passer la nuit. Personne pour le comité d’accueil, porte non close. A l’intérieur, du bois pour le feu et des vivres de première nécessité, et le livre d’or du refuge. Après une nuit réparatrice, je m’offre au petit matin un bain de... 10 secon- des dans le lac au milieu des glaçons. Tempête de ciel bleu, vol de rêve au milieu des glaciers. Je ne résiste pas au plaisir d’aller fouler ce blanc immaculé. J’applique les règles du vol montagne : évaluation du vent et de la qualité de la neige avant le poser. Elle a l’air plus dure dans la partie plate du glacier, renforcée par l’effet venturi du vent. Stationnaire, posé de précaution, centimètre par centimètre pour évaluer la densité de la neige. Je sens que l’hélicoptère s’enfonce tout en se cabrant. Nous sommes à 4000 pieds et ma marge de puissance s’est réduite. J’ouvre la porte tout en soutenant la machine au collectif et je réalise que le patin a disparu sous la neige. Je décide de poursuivre en avant en glissant vers une zone de rochers. La neige est plus dure et je peux enfin me poser sans crainte de voir ma machine s’enfoncer dans la neige. J’imagine avec angoisse les explications que j’aurai dû fournir aux Une piste avion coin- cée entre deux fjords en Nor- vège, arrêt chez Eidar et Brit, 8 enfants, 2 Piper Cub: la transmis- sion de la passion de l’air est assurée ! Posé dans une Île de l’archi- pel des Lofoten, l’hélicoptère, synonyme de sauve- tage, est le bienvenu, malgré les apparen- ces… Même en été, les glaciers atteignent la mer. Pour les longues navigations, il est préférable d’être bidextre pour éviter l’engourdisse- ment. Retour à l’héliport de Paris, après 67 heures de vol.