1. CARNET DE ROUTE
Il en rêvait et il l'a fait. Jeune pilote hélicoptère mais
armé d'une solide expérience professionnelle sur
avion, Olivier Jouis a entrepris de voler solo vers
le point le plus septentrional de l'Europe occidentale.
Un voyage où tourisme et culture n'ont pas eu de
place tellement l'aventure mécanique a été intense.
Notre auteur est revenu enthousiaste et totalement
convaincu de la fiabilité du petit Robinson R22.
433 - Février 2010 - Aviation & Pilote 4948 Aviation & Pilote - 433 - Février 2010
PAR OLIVIER JOUIS
PHOTOGRAPHIES DE L'AUTEUR
T
armac de l’aéroport d’Arvids-
jaur, Suède, le 18 août 2008, le
soutier s’approche pour ravi-
tailler mon hélicoptère R22. «
Where are you flying to?» Je
lui réponds : «I am heading up North».
Le petit aérodrome, siège de l’école
des pilotes cadets de la SAS, baigne
dans le soleil de cette belle fin journée
du mois d’août. Je viens de franchir
les limites géographiques du cercle
polaire arctique. Il est 22h00 et après
6 heures de vol en 3 étapes, mon corps
courbaturé me rappelle que le R22 est
une petite machine qui n’est pas faite
pour le grand gabarit qui est le mien.
Je viens de passer le 65e
parallèle et le
soleil ne se couchera pas avant 23h30
pour se lever 4 heures plus tard. Le
soutier semble dubitatif, mi-étonné,
mi-goguenard: « Vous venez de Paris
dans ce jouet et vous voulez voler jus-
qu’au Cap Nord ? » Pari fou et chal-
tournantes sur la gamme Eurocopter et
premier breveté sur le Cabri de Guim-
bal, j’abordais le petit Robinson avec
beaucoup de « retenue » si ce n’est de
scepticisme vis-à-vis de la fiabilité de
cette machine conçue il y a plus de 25
ans. Arrivé en Suède sans aucun pro-
blème, mon scepticisme s’est progressi-
vement converti en enthousiasme. Mis
en confiance, je me surprends à vanter
ses qualités et sa fiabilité à mes amis de
l’Aéro-Club de Hogonas, premier aéro-
drome suédois où je pose mes patins.
Je décide alors de poursuivre jusqu’à
Linkoping où un ami me pressait de
le visiter.
Réveillé à 6 heures du matin par le
bruit du vent, je me précipite dehors
pour surveiller mon hélico. Inquiet, je
réalise que j’ai omis la veille d’atta-
cher les pales de la machine. Dehors,
la manche à air est à l’horizontale. Un
vent établi à 25 kt, laminaire mais sans
rafales susceptibles de faire battre les
pales. Mon petit R22 semble ne pas
avoir souffert de cette nuit mouvemen-
tée. Condamné au sol à l’inactivité
par cette météo un peu trop « virile »
pour mon insecte d’hélicoptère, j’en
profite pour relire le manuel de vol.
Celui-ci me confirme que tout décol-
lage par vent supérieur à 15 nœuds est
interdit. Le R22 est un bipale, et les
démarrages sont toujours délicats par
grand vent avec le risque de heurter la
poutre de queue. Suivant l’adage des
pilotes « l’aviation légère est un moyen
LE CAP NORD EN R22
HEADING UP NORTH
de déplacement rapide pour gens pas
pressés», je décide de remettre mon
départ au début d’après-midi.
Linkoping est un terrain qui mérite
le détour : c’est le siège du constructeur
national Saab, qui y assemble, dans
une usine enterrée, le fameux chas-
seur Gripen, challenger monomoteur
du Rafale de Dassault. Héritage de la
guerre froide, cette usine qui emploie
5000 personnes est à 80% sous terre.
En hiver, pendant les longues nuits
polaires, les gens qui y travaillent ne
voient donc pas la lueur du soleil de
toute la journée.Arrivée en finale der-
rière deux chasseurs en formation, la
tour m’annonce des rafales à 27 nœuds,
bien au-delà de ce que préconise le
manuel de vol. Un rapide coup d’œil
à la jauge carburant m’indique que les
alternatives offertes sont réduites : soit
se poser avec un fort vent soit attendre
en vol au-dessus du terrain une baisse
hypothétique de la force du vent, au ris-
que d’entamer mes réserves. La finale
ne pose pas de problème. En revanche,
ma translation entre les bâtiments pour
rejoindre le parking se révèle plutôt
sportive à cause des turbulences géné-
rées par ces obstacles. Je me remémore
les paroles d’Aymeric, mon instructeur
sur R22 chez Helioxygène : « le vent
qui vient de la gauche est ton ami»,
à l’inverse des machines Eurocopter
dont les pales tournent dans le sens
inverse, dextrogyre. « Posé pas cassé »,
je suis soulagé de baisser le pas géné-
ral, après cette petite navigation de
deux heures dans les turbulences. Le
comportement très sain du R22 dans
ces conditions limites me rassure. Nul
besoin de surcontrôle dans les rafales,
signe d’une bonne stabilité dynamique.
Il subit l’accélération verticale ou hori-
zontale mais revient assez rapidement
dans sa position et son attitude initiales
sans intervention excessive de la part
du pilote. Ce hors-d’œuvre se révèlera
fort utile pour m’aider à affronter avec
sérénité les conditions météo sévères
qui m’attendent quelques jours plus
tard, plus haut, à des latitudes plus
élevées...
Je suis accueilli à Linkoping par
mon ami Michael, agent Eurocopter
pour la Suède. Habitué à convoyer les
appareils de ses clients depuis l’usine
de Marignane, il n’est visiblement pas
étonné de mon périple en R22. Au fil
de la conversation, où il me relate ses
expériences de vol à travers la Suède,
il réussit à me convaincre de pous-
ser mon périple plus au nord, cartes
et fiches terrains à l’appui. La Suède
est un pays très bien doté en matière
d’infrastructures aéroportuaires, avec
un terrain en moyenne tous les 200 km,
chacun pourvu d’une approche aux
instruments. De surcroît, l’excellente
couverture en moyens de radionaviga-
tion me permettra également d’écono-
miser les piles de mon GPS. Je prépare
néanmoins toutes mes navigations en
appelant le terrain pour m’assurer de
la disponibilité du carburant et des
horaires d’ouverture. Si le plan de vol
est obligatoire pour tous les aéronefs
étrangers, cette formalité, effectuée
par téléphone, permet d’avoir égale-
lenge personnel. 10 jours de vacances
à consommer et 60 heures de vol de
« mûrissement » à effectuer avant de
poursuivre vers la licence de pilote
professionnel hélicoptère. Plutôt que
d’acquérir cette expérience en faisant
voler les amis ou la famille autour de
Paris, j’ai décidé de joindre l’utile à
l’agréableenm’offrantcetétémapetite
aventure en Scandinavie.
Ambitieux défi, mon expérience
sur le petit R22 est très mince : seu-
lement 15 heures après la qualifica-
tion de type. Malgré mon expérience
avion, je suis un jeune pilote hélico
avec seulement 80 heures « au comp-
teur ». Pari risqué et assumé seul, car
l’autonomie réduite de l’appareil m’in-
terdit de toute manière d’emmener un
quelconque « accompagnant ». Tous
les pleins faits (110 litres), j’emmène
également un équipement de survie,
un gilet de sauvetage, du matériel de
camping de type polaire, un téléphone
satellite, des réserves d’huiles et des
bidons d’essence pour « allonger les
pattes » de ma machine.Au final, il ne
reste que 30 kg pour atteindre la masse
maxi décollage de 622 kg.
Initialement, ma destination finale
était Stockholm. Je n’avais d’ailleurs
pas emmené avec moi la documenta-
tion aéronautique pour poursuivre mon
voyage au delà. Après 12 heures de
vol effectuées en 2 jours, atteindre la
Suède était déjà pour moi un véritable
accomplissement. Initié aux voilures
Posé à
4000 ft, au
bord de la
mer, sur
la calotte
d’un glacier.
Bien que
néophyte,
l’auteur a
bénéficié
de son
expérience
de pilote
de ligne
avion, avec
2500 hdv,
dont 500 sur
A320.
Posé près
d’une
ferme au
milieu de
nulle part,
l’hélico est
l’ami de la
vessie du
pilote...
Passé le
cercle
polaire,
la forte
déclinaison
magnéti-
que rend
le compas
inexploitable
et le GPS
bien utile!
3. convenir. Kiss landing de précision. Je
freine le rotor. Mes jambes tremblent.
Un coup d’œil au badin. Le vent a été
généreux avec moi en me ménageant
une période d’accalmie. 71° 10'6'' :
les coordonnées du bout de l’Europe.
Impression de bout du monde.
En face de moi, de l’autre côté
du pôle Nord, c’est le Canada et la
Russie.A ces latitudes, la déclinaison
magnétique couplée à la forte inclinai-
son rendent mon compas totalement
inexploitable. Je vérifie les piles de
mon GPS et m’extrais de la machine
pour aller me réfugier au centre météo.
On y vend des cartes postales pour que
ceux qui ont atteint ce lieu puissent
témoigner qu’ils « y étaient ». Petit café
aveclacharmantebienfaitriceauxyeux
verts qui m’a donné le sésame pour
venir jusqu’ici en hélicoptère. Le front
passe et laisse place à une accalmie. La
chance est toujours avec moi.
Retourauterraind’Altaoùm’attend
le soutier, à l’heure convenue le matin.
Puis redécollage dans la foulée.Tout à
la satisfaction d’avoir réussi mon pari,
j’omets de vérifier la météo. Je laisse le
fjord derrière moi pour attaquer l’as-
cension d’une montagne en remontant
le lit d’un torrent. Le vent me pousse,
et je monte avec une puissance réduite
jusqu’au plateau sur lequel je suis un
sentier. Passage de col. J’évite des nua-
ges isolés mais de plus en plus rap-
prochés. Tout d’un coup, la visibilité
se réduit au passage d’un petit lac de
un papier où un ami lapon m’avait écrit
le numéro de téléphone à appeler en
cas de problème. Au bout du fil, Ulf
Grinda, pionnier de l’hélicoptère en
Suède, pilote aux vingt mille heures
de vol, propriétaire de la plus ancienne
compagnie d’aviation du pays. Client
de lancement de l’EC 120 d’Eurocop-
ter, il a participé à la mise au point de
l’appareil notamment pour les tests
grand froid. Il a introduit l’usage de
l’hélicoptère chez les Lapons pour
regrouper leurs immenses troupeaux
de rennes à l’occasion des transhu-
mances. Je lui expose mon cas et il
m’invite à venir me poser chez lui pour
ravitailler. Ce voyage est décidément
dirigé par une bonne fée. Dans ce pays
vaste au climat rude, il m’explique
que la solidarité entre pilotes est une
nécessité.
Cap sur la Norvège où la route du
retourdoitpasserparOslo;jeretrouve
les grandes étendues de forêt de pins
qui font la fortune d’Ikéa. Il est midi,
et la faim commence à me tirailler.Au
loin, une fumée. Je survole le camp.
Quelques passages afin de repérer une
large clairière pour un posé à proxi-
mité du camp. Collectif ramené vers
le bas progressivement. L’hélicoptère
se cabre. En mettant pied à terre, je
m’enfonce dans ce qui semble être de
la mousse. Je ne vois plus les patins
de l’hélicoptère. Il semble stable mais
je préfère le caler avec des pierres et
partir l’esprit tranquille en direction
du camp où les chasseurs m’invitent à
partager leur repas. Mais que chasse-
t-on par ici ? L’ours bien évidemment.
Pour me convaincre, ils me montrent le
trophée de la matinée. Un second est
blessé et tourne dans les environs du
camp. Pour repartir et franchir le bois
qui me sépare de ma machine, deux
hommes armés m’accompagnent ...
en cas de mauvaise rencontre. Quand
je pense aux bivouacs que j’ai fait seul
au milieu de nulle part ces derniers
jours, je crois que ma bonne étoile a
veillé sur moi.
Cette dernière ne me quittera pas
jusqu’à mon retour à Paris, après 57
heures de vol en 10 jours. Au final, le
R22 s’est admirablement comporté
mais à mon avis, ce n’est une machine
ni pour les grands pilotes ni pour les
longs trajets. La Scandinavie est une
destination idéale pour un voyage
aéronautique : infrastructures aéropor-
tuaire et de navigation de premier plan,
aviation civile compétente et aimable,
disponibilité de l’AVGAS satisfaisante.
Les taxes sont raisonnables et le coût
de l’hébergement est comparable à
celui de la France. Une destination
idéale pour une sortie aéroclub, hors
des sentiers battus. y
CARNET DE ROUTE
433 - Février 2010 - Aviation & Pilote 5352 Aviation & Pilote - 433 - Février 2010
équipes de sauvetage. Moteur coupé,
je profite de la beauté du paysage :
posé sur un glacier qui plonge dans la
mer, la visibilité est extraordinaire.
En reprenant l’air, je suis le parcours
du glacier. Passage des séracs. Puis un
immense fjord. Sur ma droite, l’ar-
chipel des Lofoten s’étend sur plus de
150 kilomètres. Je me suis assuré que
le propriétaire du camping situé sur la
dernière île peut accueillir mon héli-
coptère. Posé au milieu des rochers, au
pied d’immenses falaises, je bivouaque
dans le petit village de Å, première
lettre de l’alphabet, dernière île de cet
archipel irréel.
Sur le chemin du retour, je me pose
sur l’île qu’un ami s’est achetée pour
y restaurer une maison. Il m’assure
qu’il y a largement assez d’espace
pour y accueillir mon hélicoptère.
En fait d’île, c’est un caillou grand
comme un terrain de basket, donc posé
d’extrême précision requis. La plage
me semble plus accueillante mais je
dois redécoller 10 minutes plus tard,
mon hôte m’ayant averti que la marée
allait monter...
Je reprends mon vol vers la Suède
où, paradoxe, le carburant coûte moins
cher que chez le voisin norvégien, pays
pourtant producteur de pétrole.Arrivé
à Ostersund, je me retrouve piégé dans
un aéroport fermé où personne ne peut
me ravitailler.
En fouillant mes poches, je retrouve
montagne bordé de neige.Au bout, je
devine une cabane. Le plafond me
contraint à ne voler qu’à une dizaine
de mètres au-dessus du lac.
Cette cabane semble me ten-
dre les bras pour y passer la nuit.
Personne pour le comité d’accueil,
porte non close. A l’intérieur, du bois
pour le feu et des vivres de première
nécessité, et le livre d’or du refuge.
Après une nuit réparatrice, je m’offre
au petit matin un bain de... 10 secon-
des dans le lac au milieu des glaçons.
Tempête de ciel bleu, vol de rêve au
milieu des glaciers. Je ne résiste
pas au plaisir d’aller fouler ce blanc
immaculé. J’applique les règles du vol
montagne : évaluation du vent et de
la qualité de la neige avant le poser.
Elle a l’air plus dure dans la partie
plate du glacier, renforcée par l’effet
venturi du vent. Stationnaire, posé de
précaution, centimètre par centimètre
pour évaluer la densité de la neige.
Je sens que l’hélicoptère s’enfonce
tout en se cabrant. Nous sommes à
4000 pieds et ma marge de puissance
s’est réduite. J’ouvre la porte tout en
soutenant la machine au collectif et
je réalise que le patin a disparu sous
la neige. Je décide de poursuivre en
avant en glissant vers une zone de
rochers. La neige est plus dure et je
peux enfin me poser sans crainte de
voir ma machine s’enfoncer dans la
neige. J’imagine avec angoisse les
explications que j’aurai dû fournir aux
Une piste
avion coin-
cée entre
deux fjords
en Nor-
vège, arrêt
chez Eidar
et Brit,
8 enfants,
2 Piper
Cub: la
transmis-
sion de la
passion
de l’air est
assurée !
Posé dans
une Île de
l’archi-
pel des
Lofoten,
l’hélicoptère,
synonyme
de sauve-
tage, est le
bienvenu,
malgré les
apparen-
ces…
Même en été,
les glaciers
atteignent la
mer.
Pour les
longues
navigations, il
est préférable
d’être bidextre
pour éviter
l’engourdisse-
ment.
Retour à
l’héliport de
Paris, après
67 heures de
vol.