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Patricia De Aquino
La mort défaite. Rites funéraires du candomblé
In: L'Homme, 1998, tome 38 n°147. pp. 81-104.
Citer ce document / Cite this document :
Aquino Patricia De. La mort défaite. Rites funéraires du candomblé. In: L'Homme, 1998, tome 38 n°147. pp. 81-104.
doi : 10.3406/hom.1998.370506
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1998_num_38_147_370506
La mort défaite
Rites funéraires du candomblé
Patricia de Aquino
Juin 1988. Xangrilá Rosa, bourgade semi-rurale de la grande banlieue de
Rio de Janeiro, ignorée des cartes officielles et prétendue dangereuse pour
sa misère endémique, son lot commun de banditisme et l'insalubrité des
lieux où sévit la dengue, illumine la nuit de montgolfières sur lesquelles on
peut lire « Odun Xangô », carton d'invitation à la fête donnée en l'hon
neurde Xangô1, divinité de la foudre, originaire d'Afrique.
La moiteur qui se dégage des pluies sporadiques et torrentielles, drainées
avec une constance têtue par l'hiver carioca, infiltre les murs de la maison
de notre hôte qui s'affaire autour de la gazinière pour nous réchauffer de
ce cozido — sorte de pot-au-feu - succulent dont il a le secret, avant de se
rendre à la cérémonie où, « protégé » de Xangô et Maître des tambours, il
conduira les festivités.
Il y a plus d'un demi-siècle, Luiz Bangbala Angelo da Silva était instruit
dans les traditions afro-brésiliennes, à l'art de moduler la voix des tam
bours sacrés qui convient les dieux à danser parmi les hommes en « mont
ant à la tête » de leurs élus.
Bangbala, je l'avais rencontré trois ans plus tôt « caressant le cuir » des
tambours de la « maison de candomblé » dirigée par ma tante, initiée à des
pratiques sacerdotales fort peu catholiques qui lui avaient valu sa mise au S2
ban de la famille. Ce « jeune » mulâtre impénitent, de soixante-dix ans, 5)
v>ÜJJe remercie Bruno Latour pour ses commentaires et son soutien sans réserve. Que soient aussi qm
remerciés Anne Christine Taylor pour ses conseils judicieux, et l'équipe du séminaire des américanistes qui a
accueilli une première version de ce texte, ainsi que Philippe Descola pour sa relecture patiente et systématique. î^
1 . La transcription des termes en langue liturgique respecte l'usage orthographique du portugais brési- Q
lien. En revanche, nous signalons l'étymologie des expressions originaires de langues africaines (yoruba, ^kikongo, kimbundo) quand elle est connue, explicitée par la population étudiée, et/ou fournit des infor- m,
mations pertinentes pour éclairer certaines pratiques. KUJ
L'HOMME 147/ 1998, pp. 81 à 104
au regard espiègle et à la truculente érudition, est ainsi qu'avec humour
il aime à se présenter une des « archives vivantes » du patrimoine musi-
cal de ces cultes.
Notre soirée prit une tournure inattendue lorsque Oiá Ina « Mère
de feu » — nom initiatique — appela au portail la voix entrecoupée de
sanglots : sa sœur, initiée depuis plus de soixante-six ans, venait de
décéder. J'allais me retirer pour les laisser préparer les rites funéraires,
lorsque Bangbala m'apostropha: «cette jeunesse doit apprendre...»
Quinze jours plus tard je participais à mon premier axexê. J'ignorais
alors que d'autres suivraient.
Candomblé : atelier de fabrication de la vie
Le candomblé2 intègre le vaste champ défini par la notion de « cultes
de possession afro-brésiliens ». Au sein de la multiplicité des formes d'ex
pression religieuse brésilienne, le « peuple du candomblé » se démarque
des catholiques et de l'univers afro-brésilien des umbandistas, des espiritas,
des crentes respectivement affiliés à l'Umbanda (où les médiums, lors de
transes, incorporent des esprits d'Indiens, d'anciens esclaves, d'enfants...),
aux cultes kardécistes (fondés sur la doctrine de Kardec et prônant
l'évolution spirituelle) et aux sectes d'origine protestante (où les pasteurs
procèdent à l'exorcisme des « esprits du Mal », de toutes les « forces »
distinctes du Saint-Esprit).
Les temples de candomblé (terreiros)5 se différencient selon leur appar
tenance à des « nations » (ketu, angola, jeje...) se référant à des spécifi
citésrituelles et idiomatiques. En raison de la pluralité de langues
liturgiques déclinées dans les cérémonies mortuaires, ainsi que du déploi
ementd'énoncés interdits qui les émaillent, je m'attacherai moins à l'étude
comparative susceptible de réifier des traits particuliers en les dissociant de
leurs relations mutuelles qu'à établir la dynamique interne d'un rituel. La
logique qui s'y déploie relève cependant d'un scheme régulateur partagé
par toutes les « nations » : la fabrication rituelle est le gage de la perpé
tuation de la vie. Un initié aux divinités d'origine africaine est un être
« fait » (feito), un « fait de dieu »4.
2. L'origine du terme candomblé renvoie au bantou : « ka-n-dómb-íd-é>ká-ú-dómb-éd-é > ka-ú-
él-é, dérivé de kù-lomb-à > kù-dômb-d, louer, prier, invoquer, analysable à partir du protobantou ko-
dbmb-éd-â, solliciter l'intercession de. Ainsi, candomblé est égal à culte, louange, prière, invocation, le
groupe consonantal -bl- étant une forme brésilienne » (Castro 1983 : 83).
3. Mot portugais : « terrain », « espace défriché », désignant les lieux de culte du candomblé. Chaque
« maison de candomblé », placée sous la responsabilité d'un ancien initié constitue une communauté
autonome bien que les liens avec la maison où a été initié son fondateur soient entretenus (participation
réciproque aux rituels, fréquentation des fêtes...).
4. Les initiés sont les feitos ; entre membres de communautés distinctes qui font connaissance une ques
tion est récurrente : voce éfeito de que santo ? « de quelle divinité es-tu fait ? » Notons que l'usage du
Patricia de Aquino
L'ensemble des séquences rituelles liées à la mort d'un initié du can-
domblé a pour finalité première de séparer le défunt du monde des vivants
initiés, puis des morts ordinaires, avant de l'intégrer à la catégorie d'an- *"
cêtre au terme d'une série de procédures complexes et discontinues de
destruction de l'identité initiatique, c'est-à-dire de restitution de ses
composantes à leur matière générique originaire — la boue, constitutive de
tous les êtres humains, mais aussi, l'eau, le feu, le fer, les plantes...
À la différence des rites de passage, le rituel funéraire, axexê, ne se limite
pas à corroborer une transformation physiologique — la mort — et à mar
quer un changement de statut — le passage à l'ancestralité ; il consiste à
« défaire » l'identité sociale de l'être qui avait été « fait » par l'initiation,
sans l'intention de « refaire » une identité singulière. En effet, l'ancêtre
fabriqué, installé, ne sera pas le symbole du mort - image de sa forme
vivante - mais, à l'opposé, un ensemble d'objets vides, non iconiques.
Le dispositif structurant le cycle de la mort, des funérailles et de l'an-
cestralisation s'ordonne autour du paradoxe de la désarticulation de l'in
itiation. À une mort aléatoire, la transformation initiatique substitue une
mort reçue du dieu, suivie de la naissance d'un être nouveau dégagé de
la parturition biologique. Or, bien qu'il s'agisse d'un événement à la fois
singulier et récurrent, le décès de l'initié est toujours vécu comme une
contingence advenant d'un extérieur non signifiant, réinvolution dans une
nature jamais nommée.
L'inversion qui opère par des actes focalisateurs contraignants — bris d'obj
ets sacrés, élimination des biens liturgiques ayant appartenu au mort —
ne constitue cependant qu'un moment des rites. laxexê n'est pas le
« symétrique inverse » de l'initiation ; sa logique rituelle correspond plutôt
au schéma de 1'« englobement des contraires ». Le rôle de la mort biolo
gique reçue de l'extérieur est dénié par la mise à mort, à l'intérieur de l'e
space sacré, de la décomposition reçue du dehors. Le mouvement instauré
par X axexê s'achèvera par l'expulsion de l'extérieur intériorisé pour enfin
réinstaller, dans un espace intérieur mais spécifique, l'initié ancestralisé.
Au-delà d'une opposition binaire entre « extérieur » et « intérieur », entre
biologique et rituel ou entre nature et culture, la dynamique ainsi dégagée
permet de repenser la validité et la pertinence de ces catégories. Il s'agira
d'élucider les modalités par lesquelles les funérailles font jouer la trans
gression rituelle contre la transgression biologique qui dé-compose ce qui ^
a été construit, dé-socialise ceux qui participent de l'échange social et 55
dé-limite ce qui opère la continuité entre les vivants et les morts. w
lumot brésilien santo unifie le « peuple de saint », sans désigner les divinités par leurs noms liturgiques qui Q
varient suivant les « nations » ; la fixité des panthéons du candomblé permet d'établir des correspon- ^
dances entre les orixâ « ketu », les vnkise « angola » et les vodun « jeje ». kUJ
Rites funéraires du candomblé
Le cycle funéraire comprend deux cérémonies, médiatisées par le temps
tierce de la décomposition du corps au cimetière : la première, accomplie
immédiatement après le décès est de nature prophylactique et conjura-
toire, neutralisant les effets de contamination par des manipulations du
cadavre qui éliminent la dissémination entropique de sa « puissance de
vie » (axé). La seconde, Y axexê, stricto sensu, d'une durée habituelle de
sept jours5, séparée de l'inhumation par un laps de temps variable6, de
nature cathartique et transmutative, consacre la conversion et l'accès du
défunt dépersonnalisé à Tancestralité. L'absence des dieux — « ancêtres
divins » — dans le processus d'ancestralisation des humains ponctuera leur
rôle de médiateurs de vie, explicite dans leur nature d'objets composites.
De la désarticulation "délibérée" à la dissolution "spontanée"
La mort d'un initié impose une période de fermeture du temple aux
étrangers à la communauté et de « mise entre parenthèses » radicale
des activités rituelles régulières : suspension des cérémonies collectives
dédiées aux divinités qui rythment l'année liturgique, interruption de
l'exercice de la divination par le jet de cauris, prohibition de toute initia
tion. Le caractère dangereux, voire mortifère, de cette situation procède de
la contiguïté du défunt avec les vivants marquée par un régime de silence
qui souligne en creux le retrait des divinités dans F« ailleurs ». Les divi
nités désertent « notre monde » souillé, ne traversent plus le corps déjà
impur de leurs initiés : il est sans cesse répété que le « candomblé est une
religion de la vie », gagée sur la réciprocité entre les hommes et les dieux
dans le cycle des offrandes et la contrepartie bénéfique de celles-ci mesur
éeà l'aune de la venue des divinités incorporées sur terre.
À l'opposé du dynamisme des vivants, l'inertie du mort (egun)7 annule
tout échange : la disparition du souffle, l'arrêt de la respiration marquent
l'impossibilité de communication entre deux mondes. La communauté est
exposée au redoutable paradoxe que celui qui meurt n'est plus le même que
celui qui est né lors de l'initiation : la durée biologique semble rattraper la
temporalité sociale de l'ensemble de la communauté qui l'a enfanté.
5- S'il s'agit d'un mort « jeune initié » — de moins de sept ans — la durée des cérémonies variera de un à
trois jours ; la séquence demeurera cependant la même.
6. Cette période correspond au temps nécessaire à la préparation de la cérémonie, notamment à la col
lecte de fonds en vue de l'achat des animaux qui seront sacrifiés.
7- Les egun désignent tantôt les « morts errants », tantôt les défunts qui n'ont pas traversé les secondes
funérailles, espèce de fantômes sans ressemblance à leur forme vivante, spectres de l'inter-monde, tou
jours susceptibles de nuire aux humains en s' emparant de leur « puissance de vie », de les rendre malades,
de les affaiblir, de les frapper d'infortune. . . Les egungun en revanche, appelés aussi Baba Egun ou Baba,
« Père », se réfèrent aux ancêtres localisables dans la généalogie de la famille biologique qui reviennent en
ce monde couverts de pagnes richement brodés de cauris et décorés de miroirs. Le culte des Baba se
Patricia de Aquino
Premier rituel funéraire et inhumation
Genèse I : naissance à la vie
Le panthéon du candomblé est constitué d'une divinité initiale dont se
sont progressivement dégagés les « dieux de la blancheur »8. Le terme
orixd, qui englobe tous les dieux-créatures responsables des domaines de
ce monde, devrait stricto sensu être réservé — et l'est effectivement lors de
certains rituels — à ces divinités de la création : « Oxalá [dieu par excel
lence du blanc] est le seul Orixá à ne pas être né d'un père et d'une mère,
il est né de l'interaction d'Olorum [le dieu initial] avec lui-même » (Rocha
1994 : 59).
Dans 1'« ailleurs », le futur être humain s'adresse à l'un des dieux blancs,
plus démiurge que créateur, pour choisir une Tête (Ori). La divinité
initiale lui insuffle le « souffle vital » (emi). En modelant la Tête, ce
démiurge, connu sous le nom de « Propriétaire de la bonne argile », utilise
des portions d'éléments (sperme, sang) des ascendants immédiats, père et
mère inclus, et de la nature (pierre de foudre, calcaire, eau douce, eau de
mer, pluie, fer, feu, plantes, écorce, sève d'arbres...). La combinaison
quantitative et qualitative des substances qui composent la Tête de chaque
personne est unique, spécifique, non reproductible. La Tête est par excel
lence l'individualisateur : elle « est la partie personnelle de l'existence de
chacun » {ibid. : 70).
L'individu n'est pas issu d'une création ex nihilo, mais du façonnement
d'une matière preexistente ; il ne résulte pas plus d'une unité divisée, c'est-
à-dire seconde et dérivée, qu'il ne figure le simple croisement binaire
d'identité et d'altérité. C'est pourquoi la représentation de la Tête est la
pierre angulaire de la conception de la personne, à égale distance de la
séparation autonome et de la dérivation hétéronomique. La différence est
fondatrice, susceptible de réversibilité selon les aléas, qui dévoileront a pos
teriori d'autres éléments : la construction de l'identité s'accompagne tout
au long de la vie de réaménagements du corps, d'édifications d'autels...
Lors de l'initiation, la Tête reçoit les sacrifices de consécration afin de
se transformer en « résidence du dieu » : elle devient le réceptacle perma
nentde la « puissance de vie » de la divinité à la suite de F« implantation »
concentre dans les terreiros de egungun : sociétés masculines où retournent les seuls ancêtres, ascendants
des membres de la communauté. Alors que le contact d'un vivant avec le pagne des Baba est mortel, la S2
poussière soulevée par leurs danses est hautement bénéfique. Les maisons de candomblé et d' egungun t/i
peuvent entretenir des rapports étroits : il est possible qu'une même personne occupe des charges sacer- j
dotales dans l'un et l'autre lieu ; les rituels cependant demeurent distincts. ^J
8. Ce sont les dieux funfun « blancs ». L'omniprésence de la couleur blanche dans tous les rituels initia- JO
tiques et funéraires est révélatrice de l'ambivalence de la relation établie par les dieux de la création avec Q
la vie et la mort : si la couleur renvoie à l'immaculée renaissance initiatique, elle rappelle aussi le néant j^
de l'indifférenciation originelle. vlij
Rites funéraires du candomblé
de Y oxu là où fut incisé le crâne de l'initié, M oxu est un agglomérat de
feuilles liturgiques propres au dieu du novice et d'éléments porteurs de la
« puissance de vie » du temple où il est initié. Ces substances sont pétries
dans le sang des animaux sacrifiés à la divinité et modelées en forme de
cône ou d'œuf. La composition de Y oxu est un « secret » de chaque mai
son de culte. Pierre Verger en fournit les ingrédients pour F« Afrique
yoruba » : « rats (eku) et poissons (eja) qui symbolisent des notions comp
lémentaires terre-eau, masculinité-féminité, gauche-droite ; des plumes
de coq des bois (àluko), coucou (àgbe), perroquet (odide), aigrette (léke-
léke) dont le symbolisme est plus difficile à dégager » (Verger 1981 : 40).
La première manipulation rituelle du cadavre, appelée « retirer X oxu »,
sera strictement privée, effectuée en secret par des prêtres habilités afin
d'annihiler le caractère divin de la Tête9 . Le sommet du crâne du défunt
sera rasé, lavé, et ses cheveux, enveloppés dans du coton, seront déposés
dans le lieu prescrit par la réponse divinatoire de la noix de kola, les seize
cauris supports de la voix des divinités restant muets en période de deuil.
L'enterrement a lieu peu après afin d'éviter la propagation de la « puis
sance de vie » immaîtrisée pour sa connotation de contamination. Cette
« puissance », qui avait été accumulée, canalisée, orientée lors de l'initia
tion,et renouvelée, entretenue lors des rituels, est susceptible, en se diss
éminant au hasard, de phagocyter la communauté. Le cercueil est porté par
des initiés, ogan10, qui par trois fois le soulèvent et le posent à terre en ren
dant un dernier hommage au fils du temple, avant de le hisser sur leurs
épaules, donnant ainsi le signal du départ du cortège vers le cimetière.
Scandée par un chant funéraire, la marche prend un rythme de plus en
plus accéléré à l'approche de la sépulture, les porteurs esquissant trois pas
en avant et trois petits pas en arrière afin de s'incliner devant la Mort,
marque ostentatoire de la crainte suscitée.
Au moment de la descente dans le caveau, Iansa, unique divinité tenue
de comparaître à la mise en terre pour chasser les morts (egun) et préser
verla vie, se manifeste à travers ses initiés. En effet, l'étymologie yoruba
connue au Brésil indique le lien particulier de Iansa avec la mort et
F« ailleurs ». Iansa, la « mère de neuf» enfants dont le neuvième est egun,
arpente l'axe du monde dont certains mythes décrivent l'architecture qui
9. Pierre Verger signale que le corps des initiés défunts étaient lavés avec « de l'eau utilisée dans une forge
pour refroidir les fers du forgeron [...] effaçant ainsi symboliquement tatouages, scarifications diverses,
coupes de cheveux et blessures reçues à la guerre. Toutes ces actions sont dues à l'action [du] dieu des
forgerons, des guerriers, des barbiers, des agriculteurs et de tous ceux dont les activités les amènent à
employer du fer » (Verger 1973 : 64).
10. Les ogan sont des membres de la communauté, initiés, qui ne connaissent pas l'état de transe. Ce
titre, réservé aux hommes, se double de celui de leur fonction : ogan alabê, chargé de battre les tambours,
axogun, d'effectuer les sacrifices. . .
Patricia de Aquino
superpose neuf espaces reliés par un arbre11. Le cinquième espace de ce
monde unitaire et segmenté est celui dans lequel vivent les humains.
Munie d'une branche d'arbre12, Iansa permet aux participants de rendre
un dernier hommage à l'ancien initié, tout en demeurant protégés.
La branche, comme tous les bâtons ou chaînes rituels, figure l'arbre
reliant ces neuf régions topographiques. Sacralisée, elle est propitiatoire
« à l'égard de la vie » quand elle permet d'invoquer l'influence bénéfique
des ancêtres, comminatoire « à l'égard de la mort » lorsqu'elle écarte la
proximité maléfique de 1'« au-delà » par le tracé sur le sol d'une limite
infranchissable. Cette branche sacrée est à la fois auguste, commandant
aux morts, et maudite, remémoration du bâton meurtrier dérobé par ruse
aux ancêtres et retourné contre eux, ainsi que l'attestent certains récits
mythiques, itan15.
De retour, les adeptes ne pourront pénétrer à l'intérieur du temple
qu'après avoir jeté par-dessus la tête l'eau fraîche puisée à l'aide d'une cale
basse dans un pot en terre cuite déposé sur le seuil.
La dissolution « spontanée » et l'intolérable autononnie du double
Genèse II : naissance à la mort
Le cadavre rigidifié rejoint la boue primordiale dont sont issus les
êtres humains ; la réciprocité des vivants et des morts est médiatisée par
la Mort (Ikú) : quand le dieu initial décida de créer l'être humain, il
lui fut difficile de choisir entre les divers matériaux dont il disposait.
Après plusieurs essais, il choisit la boue ; et la Mort, seule divinité à ne
pas s'être émue de ses pleurs, présenta une portion de boue au dieu ini
tial qui lui insuffla son haleine, après avoir demandé à Oxalá de la
modeler. La Mort fut cependant chargée de rendre à la boue la part qui
lui avait été retirée.
Le « détenteur du secret », Agenor Miranda Rocha, insiste sur le rôle
joué par Nana, déesse de la boue, des marécages et de la terre humide
où notre corps, temporairement individualisé, se dissoudra. Il écrit :
« Quand quelqu'un lui est confié [à la Mort], elle vient chercher la
personne pour la restituer au sein de la terre, au ventre de Nana »
(Rocha 1994: 117).
S2
11. Il s'agit de Vakokô : Newbouldia ¿aevisSeem., BIGNONIACEAE (Barros 1993 : 100). 5>
12. Ixâ ou atori quand il est consacré à Oxoguiä, une des divinités de la création — Psidium goiava Rad., J2
MYRTACEAE (Barros 1993 : 100). <$
13. Les itan forment le corpus mythique de la divination : à chaque configuration donnée par les eau- </>
ris correspond un Odú — un chemin, une destinée — regroupant un nombre variable à1 itan qui narrent Q
l'histoire des dieux, leurs relations mutuelles, leurs rapports avec les hommes, avec les animaux, Torga- 3
nisation des êtres, du corps... hjj
Rites funéraires du candomblé
À l'instant de la mort, le « souffle vital » (emi), trait distinctif des êtres
de ce monde, rejoint dans son dernier soupir la masse d'air (ofurufu).
L'enveloppe corporelle (ara), « assise de la Tête », et l'ombre portée (ojiji),
condensation matérielle du souffle, tombent en poussière.
Le défunt, qui est mort partiellement à son identité particulière, n'est
pas totalement mort à son identité initiatique. Revenant maléfique cher
chant à échapper au froid de la mort, appartenant à l'ordre de l'exté
rieur, cet extérieur surgit toujours de l'intérieur de la communauté qui,
lestée d'une place vide, est entamée dans son intégrité. Se profile le
risque d'un empiétement des morts sur les vivants découlant du
brouillage des espaces respectifs (lèse egun/lése orixâ). Il arrive qu'il soit
prohibé à certains initiés, voire à l'ensemble de la communauté, de par
ticiper aux premières funérailles.
Dépourvu de son dieu, de son principe organisateur, Yegun apparaît
comme double prédateur, présence du non-vivant, non encore véritabl
ementmort, modalité d'être oscillant entre le cadavre décomposé des pre
mières funérailles et l'ancêtre en voie de construction. Véritable errance en
déshérence, il faudra l'incorporer à travers sa destruction et sa mise à mort,
l'instaurant comme héritage effectif.
La monstruosité de la mort réside dans le fait que l'enveloppe rigidi-
fiée du cadavre à l'apparence d'une chose inerte dégage des substances
organiques délétères que le rituel aura pour objectif d'éliminer. La mort
comme événement ponctuel daté et localisé tend à inscrire l'exception
de la suspension du temps vécu dans la continuité cosmologique,
mécanisme d'une horloge arrêtée. Aussi Y axexê devra-t-il dénouer, en
piégeant ces substances, ce double dérèglement — une dissémination
qui se fixe, une rigidification qui se propage - et opérer la conversion
dans l'échange de ce symptôme figé d'un instant qui ne passe plus.
L'essentiel n'est pas le daté, le localisé, le ponctuel, mais le processus,
l'ensemble relationnel. Les ancêtres résidant dans les orteils, il faudra
leur faire des sacrifices afin de pouvoir marcher et conjurer la « vie qui
s'attarde et n'avance pas ».
Axexê : les deuxièmes funérailles
L axexê est une opération de transformation sociale et de régénération
cosmique au terme de laquelle Yegun, ancestralisé, sera rendu à la matière géné
rique par la dislocation de la pluralité des éléments de sa combinaison singulière.
llegun, double prédateur menaçant, investit indistinctement tous les
lieux. L'espace réservé du temple — auquel s'oppose l'espace public de la
salle où dansent les dieux — est lui-même divisé en deux domaines
Patricia de Aquino
tincts : les « chambres » attribuées aux différentes divinités et l'enclos de
réclusion initiatique qui sont éloignés de l'endroit où, isolé, se dresse le
lieu de culte des ancêtres, ilê ibó aku « forêt du dedans », bénéfique, par "'
opposition au « dehors » de la brousse sauvage et hostile du cimetière.
C'est à côté, mais à l'extérieur de cette « maison des ancêtres » qu'est dressé
un autel provisoire où seront temporairement abrités tous les éléments
liturgiques définissant le défunt comme un être initié et singulier.
Sous un tissu blanc et des feuilles de palmier14 soutenues par quatre tiges de
bambou, seront placés : le Bára15 - récipient en terre cuite recelant vingt et un
cauris qui constituent une divinité dont le rôle est de garantir le principe dyna
mique de l'individu en tant que « corps de ce monde » ; les poteries contenant
les dieux, accompagnées de leurs vases respectifs en terre cuite, à couvercle, ren
versés et vidés de leur contenu (eau fraîche) ; les habits et colliers rituels.
Le rite se déroule en trois phases : la première correspond aux six pre
miers jours, où il s'agit de préparer la rupture des liens existant entre les
membres de la communauté et le défunt par une étroite association de
l'ensemble des initiés à la mort (la présence aux cérémonies du premier
jour astreint à la réclusion dans l'enceinte de la maison de culte jusqu'à la
fin de Yaxexe) ; la deuxième, entre le sixième et le septième jour, est celle
qui sépare les vivants du mort par la destruction des éléments individuali-
sateurs (Bára, objets-dieux, biens liturgiques personnels), le sacrifice d'an
imaux, et le « renvoi » de l'ensemble à l'extérieur du temple ; la dernière
— septième jour — est celle de la purification et de la levée de deuil.
Honorer et conjurer : inversions et paradoxes
Le dispositif funéraire met en œuvre un ensemble de conduites, de
danses, d'idiomes, d'instruments musicaux, de chants liturgiques qui se
distinguent voire s'opposent aux cérémonies des divinités.
À la tombée de la nuit, après avoir effectué les rites d'ouverture, ipadê16'
les initiés, la tête enveloppée dans une étroite pièce d'étoffe blanche et dra-
14. Il s'agit de ïigui opê. Elaeis guineensis A. Cheval, PALMAE (Barros 1993 : 101).
15. L'origine de Bára renvoie à Elegbara - « maître du contenant du corps », nom de la divinité Exii —
et à Obá Ara — le « roi du corps ». Dans le panthéon du candomblé, Exú est la divinité qui assure le mouv
ement, perpétue l'échange, maintient les êtres en vie : chaque être humain possède un Bára qu'il doit
nourrir en faisant des sacrifices et qui est par excellence son principe dynamique de « corps individuel de
ce monde ». De même, à chaque dieu, à chaque maison de culte, à chaque condensation d'éléments por
teurs de « puissance de vie » correspond un Exú. S£2
16. L'ipadê « réunion » est une cérémonie d'une grande complexité rituelle qui, en temps habituel, clôt 3»
le cycle des sacrifices de chaque divinité en déterminant le début des célébrations publiques. La partici- yj
pation à l' ipadê est restreinte à la communauté des initiés. Il s'agit d'un rituel propitiatoire, accompli dans ^J
la salle des fêtes, où sont convoqués à recevoir les offrandes au milieu de chants et de danses, Exú (res- {/>
ponsable de la circulation des sacrifices), les Essa (fondateurs des temples), et les « Mères ancestrales », Q
propriétaires de la « grande calebasse », le « ventre de la terre ». Toutesles divinités féminines, dont Nana, -3
déesse de la boue, sont des « Mères » qui détiennent le pouvoir générateur féminin. KUI
Rites funéraires du candomblé
pés dans un pagne blanc, se réunissent dans la salle de fêtes autour d'une
demi-calebasse (cuia) posée à terre, où se trouve la « puissance de vie » du
temple17. Les tambours rituels ont été remplacés par deux calebasses ; des
musiciens18 appartenant à une autre maison de culte marquent le rythme
en frappant la partie inférieure de l'une à l'aide de deux baguettes, et des
mains, la partie supérieure de l'autre dont le col a été tranché19. Le sixième
jour, avant la reprise des mêmes séquences, la responsable des peintures
rituelles20 marque de craie les points vitaux des participants : deux traits
horizontaux sur les paupières (afin de protéger les yeux et de voir les enne
mis), trois traits verticaux sur les joues (rappel des marques tribales), et une
croix sur le front (marque du futur), les mains (pulsation du sang) et les
pieds (résidence des ancêtres). Une fibre de feuille de palmier est attachée
au poignet gauche, signalant les « enfants du temple ».
À côté de la demi-calebasse se trouvent un monticule de terre, une poter
ieà couvercle remplie d'eau et une bougie qu'allumera la prêtresse détent
ricedu plus haut grade hiérarchique présentifiant le mort et marquant le
début du rituel. Une pièce de monnaie dans chaque main, elle entonne le
premier cantique qui convoque les morts à se joindre à la communauté.
La porte d'entrée de la maison est maintenue ouverte, afin que tous les
morts, y compris les errants, puissent se joindre à la cérémonie ; après
avoir salué la porte ainsi que la demi-calebasse et les membres de la com
munauté d'une légère flexion du genou, la prêtresse se met à danser : les
bras tendus d'un côté, puis de l'autre, esquissant un mouvement pendul
aireentre l'intérieur et l'extérieur du cercle décrit par son trajet autour du
centre de la salle.
Les participants lui remettront chacun deux pièces de monnaie après les
avoir fait tourner trois fois de chaque côté de la tête et, à la fin du can
tique, elle effectuera le même geste avant de déposer la presque totalité des
pièces dans la demi-calebassse et de les recouvrir de trois pincées de terre.
17. C'est au centre de la salle des fêtes que sont enfouis sous terre, lors de la construction du temple, les
éléments porteurs de la « puissance de vie » de la communauté. Très souvent, à cet endroit, désigné
comme axé do terreiro, se dresse le « poteau central » reliant le sol à la toiture du bâtiment.
18. Ogan alabê est le titre des initiés chargés de battre les tambours qui invitent les orixâ à comparaître
aux cérémonies.
19. Dans les temples de « nation angola », les calebasses sans col, au nombre de deux, sont renversées
dans des bassines remplies d'eau - le son ainsi obtenu à l'aide des baguettes est plus sourd. Dans les
temples de « nation jeje », une des calebasses — ou les deux — sont remplacées par deux grandes jarres,
parfois quatre, et le son est obtenu au moyen d'éventails en feuilles de palme tressées dont on frappe le
goulot et les flancs de la poterie.
20. Au sommet de la hiérarchie de chaque maison de candomblé se trouve la Ialorixá « celle qui a un
orixâ » qui, en général, cumule les fonctions d'Ialaxé « celle qui a la puissance de vie », responsable de la
préparation des rituels initiatiques et d'Iá Egbé « mère de la communauté » ; là Efun, sa suivante, titre
lié à Oxalá, divinité du blanc de la création, est chargée de manipuler la craie, substance indispensable à
tout rituel initiatique.
Patricia de Aquino
Elle en conservera deux pour les remettre à son successeur selon l'ordre
hiérarchique sacerdotal et qui, à son tour, dansera en recevant des pièces
des participants. Par intermittence, chacun s'approche de la demi-cale- "
basse afin d'échanger un billet contre les pièces qui seront remises en cir
culation. Quand la chaîne de tous les initiés, individuellement ou par
groupe d'initiation, aura accompli ces gestes, des assiettes de nourriture et
une noix de kola rejoindront les autres objets au centre de la salle. Une
ronde clôturera cette phase.
Pendant les cinq premiers jours, les mêmes actes achèveront la cérémon
ie: la bougie sera éteinte et l'ensemble des objets rapportés dans l'enclos
provisoire. Après s'être ceints la poitrine du pagne, selon le mode coutumier,
les initiés se livreront de nouveau à un parcours circulaire, cette fois en l'hon
neurdes divinités, mais dans l'ordre inversé des salutations et des danses.
Des modalités d'inversion du contexte rituel interviennent pour pro
duire une modification tant de relation entre les officiants que du com
portement habituel. L'inversion de l'ordre rituel concerne aussi bien les
participants - les dieux sont partis, le public est absent — que la musique
— les cantiques sont spécifiques aux cérémonies funéraires et rendent floue
la distinction entre « nations », les divinités sont saluées à rebours, les trois
tambours sont silencieux et remplacés par un nombre pair de calebasses —
et les danses - les chorégraphies individuelles et homogènes sont privilé
giées.Les comportements alimentaires sont également inversés car l'a
bsorption d'alcool est obligatoire. Il en est de même pour les usages
vestimentaires qui sont marqués par la simplicité - pagne sur les épaules,
absence de couleurs, de jupes « gonflées » à l'amidon — et pour les « règles
de politesse » rituelles : il est interdit de prononcer le nom initiatique et
un ton de voix étouffé est de rigueur.
L'inversion caractérise également l'occupation de l'espace suivant deux
axes directionnels : le premier change les rapports entre l'extérieur et l'in
térieur du temple — les morts sont invités à franchir le seuil du lieu de
culte, la demi-calebasse figurant le défunt est posée à l'endroit où se trouve
enfouie la « puissance de vie » de la maison, les objets-dieux sont mainte
nusdans une installation précaire en dehors de leurs chambres respectives
et l'enceinte du lieu de culte n'est plus conçue comme un lieu protégé car
il est dangereux de s'y promener seul ; le second axe d'orientation inverse
le haut et le bas : le contact avec la terre est proscrit et les calebasses musi- „,
cales ainsi que les récipients contenant l'eau sont renversés. 55
L'inversion régit aussi l'ordre de la temporalité : le sacrifice est posté- w
rieur aux activités accomplies dans la salle des fêtes, les « cérémonies d'où- </i
verture » sont accomplies avant le sacrifice, et si le temps post-sacrificiel est §
contracté, le temps pré-sacrificiel est, au contraire, dilaté. £¡
Rites funéraires du candomblé
Cette première phase de Y axexê est marquée d'ambivalence : il s'agit à
la fois de rendre hommage au défunt en tant que souvenir de frère et « fils
du temple » partageant une « puissance de vie » et d'oblitérer la rupture
introduite par sa présence menaçante. La communauté recourt à une
forme relationnelle paradoxale qui l'honore pour le conjurer et se protég
er,le leurre pour le piéger et se l'approprier.
Les déplacements incessants de la demi-calebasse (entre la salle des fêtes
et l'autel provisoire) disséminent l'impureté d'une « puissance de vie » de
corps éclaté. La place qui lui est assignée — le lieu où est condensée la
« force de vie » du temple — signale un mouvement hyperbolique à la fois
de reconnaissance de l'appartenance de celui qui fut initié à la « puis
sance » de la maison et de défi — c'est aussi par l'intermédiaire de cette
« puissance » qui le fit naître qu'il pourra mourir.
Cette ubiquité se redouble de l'appel et de la venue de tous les morts
anonymes qui furent privés d' axexê, généralement parce que leur dispari
tionétait restée inconnue ou qu'ils avaient quitté la maison depuis long
temps. Les responsables des hommages musicaux n'oublieront pas de
se rappeler à la mémoire de tous les défunts par l'appel modulé dans les
différents idiomes liturgiques de chaque « nation » du candomblé. Ce
moment atteint son paroxysme lorsque le maître des tambours prononce
la phrase imprescriptible « les morts n'ont pas de nation », célébrant les
identités ethniques mêlées et les dénominateurs rituels communs du can
domblé qui rassemble le « peuple de saint » ; expression générique histor
iquement calquée sur l'idiome catholique hégémonique, tissant, par-delà la
disparité des origines géographiques et l'hétérogénéité des « ethnies », la
mémoire qui engendre les réseaux d'appartenance à une communauté
— une identité plus de reconnaissance que de ressemblance.
L'émotion qui va crescendo se teinte d'angoisse à l'idée que l'initié
défunt puisse côtoyer des disparus inconnus. La consommation cathar-
tique d'alcool21, boisson de l'oubli, de l'indistinction et de la communion
avec les morts, confine alors à la beuverie — offense suprême à Oxalá, divi
nité de la création, supplanté dans sa tâche de fondateur du monde pour
s'être endormi après avoir bu trop de vin de palme. Oxalá dut se content
erde faire les êtres humains et décida de créer un arbre pour chaque
homme fabriqué. L'excessive ingestion d'alcool constitue ainsi pour les
hommes identifiés aux palmiers, une transgression majeure qui porte
atteinte à leur vie d'êtres différenciés, de créatures. L' axexê est une période
blanche, au sens de voix blanche.
21. Il s'agit d'alcool de canne à sucre qui est très bon marché, la consommation d'autres boissons
alcoolisées n'étant pas exclue.
Patricia de Aquino
L'omniprésence du blanc uniformise la communauté et le mort ; en
contrepartie, elle assure la protection du marquage corporel qui effraie la
mort. Un mythe narre comment Oxalá, par un artifice, donna naissance à '■*
un animal inconnu — la pintade — et éloigna la Mort qui décimait un vil
lage : il s'empara d'une poule noire qu'il moucheta de craie et lâcha au
marché. À sa vue, la Mort saisie d'effroi s'enfuit : effroi contre effroi.
Oxalá est par ailleurs le dieu invoqué pour soustraire l'initié à la longue
agonie. Ainsi, ceux qui pressentent leur fin proche, prient Oxalá de les
emporter. Le caractère ambigu de cette divinité se double de sa proximité
aux ancêtres figurée par les branches d'arbre qui lui appartiennent et le
préfixe de tous les noms initiatiques de ses dévots, iwin « habitants des
arbres », où sont déposées les offrandes aux ancêtres.
Si les cantiques invitent les morts, la chorégraphie de la danse les éloigne :
le mouvement pendulaire, lui-même équivoque, a pour finalité de les empêc
herd'approcher la « puissance de vie » du temple. Mais l'ouverture de la
porte d'entrée induit le passage irréversible d'un être de l'entre-deux : le
mort récent qui disjoint la simple dualité des morts et des vivants.
L'envahissement par l'extérieur efface les seuils : les feuilles de palmier
suspendues à l'encadrement des portes pour écarter les menaces de l'exté
rieur deviennent inefficaces. Parallèlement, les fibres attachées aux poignets
protègent les participants qui se tiennent soigneusement serrés — personne
ne devant quitter un lieu sans être immédiatement remplacé. Cette pres
cription rétablit les relations de contiguïté entre les corps agencés de telle
sorte que la place inoccupée ne puisse permettre qu'existe ce qui n'a pas
d'existence22. Personne ne se déplace seul de peur d'être accosté, d'être en
contact avec l'errant qu'on prend soin d'éloigner par des cris, des hurle
ments, des bruits, des coups de branches sacralisées, et par le mouvement.
La frontière manifeste le croisement ambigu entre l'empiétement, le
mélange et l'indistinction. Le seuil crée un intervalle permettant non seu
lement la mise en place d'un système ordonnateur d'écarts réglés entre
l'intérieur et l'extérieur, le plein et le vide, mais aussi la présence simulta
néede la séparation et de la conjonction où se brouillent les oppositions
distinctives au principe de l'identification des initiés. Cette limite devient
alors une zone interstitielle qui tend à disloquer les pôles de l'identité et de
Fáltente dont chacun passe en l'autre sur fond d'homogénéité. Le rite éta
blit la frontière comme limite qui toujours reportée suivant les déplace- ^
ments des participants ouvre l'espace à l'altérité. 55
LU
m
22. Une expression récurrente, « corps ouvert », désigne les corps sans protection, soumis aux aléas de Q
l'infortune, et révèle le danger d'un espace qui n'étant pas saturé permet aux egun de s'immiscer et à la j^
« puissance de vie » de fuir. mai
Rites funéraires du candomblé
L'exécution solitaire de chaque danse (bien que les plus récents initiés
s'y livrent généralement par groupe d'initiation) manifeste à la fois l'ab-
' sence de crainte — sorte de témoignage d'affection — et la mystification par
le dispositif circulaire qui prévient toute rupture du défilé successif des
danseurs ; chacun d'eux remettant à celui qui lui succède deux des pièces
qu'il tenait dans les mains.
L'interdiction de prononcer les noms initiatiques masque les identi
tésindividuelles, figurant à la fois une extériorisation — les initiés sont
confondus avec le mort dont le nom est aussi imprononçable — et une
prévention — en désindividualisant les participants, ïegun ne peut les
investir. L'interpellation par des procédures détournées ou métaphor
iques— « fils de (tel orixâ) » — rappelle au mort la protection sous
laquelle se trouvent les participants, mais aussi leur vulnérabilité : les
dieux sont absents. Ce procédé est simultanément une identification
et une « désidentifïcation » des initiés : à la divinité générique et à
sa divinité particulière23.
L'expression « fils de (tel orixâ) » doit être envisagée dans la double
perspective qui la caractérise comme liaison et séparation : l'insistance
sur l'appartenance religieuse indique à première vue la rupture d'avec
la filiation et la consanguinité, mais elle connote de manière sous-
jacente un lien biologique pregnant entre les « frères » d'un même
groupe initiatique, ceux d'une même maison de culte, ceux d'une
même divinité, pour avoir incorporé la même « puissance de vie » de la
prêtresse responsable du temple. En effet, la « puissance de vie » de
l'initié unie à celle de son dieu et à celle du temple qui aimante les
maillons de la chaîne, a été « plantée » (introduite) et « insufflée » au
moment de l'initiation, et est périodiquement renouvelée. Cette tran
smission renvoie au traitement individualisé du corps du néophyte par
l'incorporation des substances corporelles de l'initiatrice qui « a la
main sur la tête de tous ses fils ». La transmission de « puissance de
vie » échappe à toute interprétation métaphorique : elle se transmet de
personne à personne dans une relation dynamique et vivante, dans
le contact des corps, leur température, la transpiration, la salive, le
souffle... Le défunt avait incorporé une part de substance des autres
initiés, mais à leur tour les vivants sont imprégnés d'un de ses éléments,
porteur d'une portion de mort.
23. Chaque divinité se manifeste sous plusieurs « qualités » (un même dieu « générique » possède diffé
rents « aspects » qui actualisent des rôles pluriels voire antithétiques : Iansa Onira, jeune et guerrière,
Iansa Igbale, vieille et associée aux morts...) et chaque « qualité d' orixâ» se singularise à travers les ini
tiés ; chaque dieu de chaque initié a un nom propre qui manifeste la composition unique de certains de
ses multiples attributs.
Patricia de Aquino
La chaîne de transmission des pièces de monnaie délie le mort des liens
communautaires : on dit que la communauté paie pour ne pas partir avec
le mort cependant que la dureté et l'artificialité du nickel manifestent une '*
résistance à la putréfaction naturelle. Un mythe raconte comment Argent,
fils d'Oxalá, se vante d'avoir réussi à piéger la Mort et à l'amener à son
père. Répudiant son fils et sa captive, Oxalá envoie Argent « circuler » de
par le monde, tout en reconnaissant à contre-cœur le pouvoir (faste et
néfaste) de celui-ci sur toutes choses. Si le mouvement des pièces mime
aussi la réciprocité avec le mort, leur accumulation qui met un terme à la
circulation, l'endette et le contraint de rester proche de la demi-calebasse,
cuia, épargnant les alentours. En même temps, le tintement des pièces,
redouté des morts, le tient à l'écart.
La présence de la bougie à l'intérieur de la salle des fêtes figure l'inclu
sionde la mort dans la vie avec le caractère dangereux de l'englobement
de l'intérieur par l'extérieur, en même temps qu'elle constitue un objet
focalisateur qui maîtrise la mort biologique non nommée avant de l'ex
pulser par la mise à mort par Ikú, la mort ritualisée, et la restitution aux
proto-matières génératrices de tous les êtres humains.
Transportée dans la salle des fêtes et rapportée tous les soirs sous l'autel
provisoire, la demi-calebasse traduit les deux mouvements antithétiques
entre l'extériorité, la nature sauvage, mortifère, redoublée par la précarité
de l'enclos provisoire, et l'intériorité de la vie communautaire. Ces allées
et venues articulent la logique de l'englobement qui met le défunt — inté
rieur devenu extérieur - à l'intérieur, avant de l'extérioriser définitivement
pour pouvoir l'intérioriser sous la forme de l'identité générique, désingul
ariséeet dissemblable de l'ancêtre.
Alors que l'initiation impliquait une naturalisation partielle de la vie par
la mise en œuvre de la mort pour construire la vie, la participation obligée
des initiés aux axexê signifie à nouveau leur incomplétude, leur manque
ontologique, évince le danger d'une auto-suffisance sociale, d'un monolit
hisme. À chaque axexê, l'initié meurt et se reconstruit, rejoue l'initiation,
se souvient d'avoir été étendu sous l'arche du rien, le grand aid — tissu
blanc tendu au-dessus de la tête des néophytes pendant la réclusion, posé
sur la tête des fils d'Oxalá. Et les initiés se rappellent qu'ils sont mortels,
abandonnés des dieux, cernés d'egun innommés ; ils se rappellent que leur
modalité d'être en vie est d'être mortels. ^
3
Séparation définitive des vivants et des morts : w
la destruction opératoire ^
UI
Outre la noix de kola et la nourriture sont placés dans la salle un ani-
§
mal à « quatre pieds », cinq poules, tous les objets du mort qui se trou- ¿
Rites funéraires du candomblé
vaient dans l'autel provisoire, ainsi que trois récipients neufs et en terre
cuite (une poterie évasée, une assiette plate et une creuse). À l'intérieur
d'un cercle tracé sur le sol avec de la terre et des poudres minérales et végét
ales blanche, bleue et rouge24, la prêtresse lance la noix de kola pour inter
roger Yegun et connaître le destin de chacun de ses objets personnels, ainsi
que l'endroit où devront être déposés les « bagages de la Mort » (erú ikú).
En effet, seul le Bára, présence de la vie individuelle en ce monde, devra être
détruit. Selon la volonté du mort exprimée par et dans la noix de kola, cer
tains objets — habits, colliers — et même la divinité d'un mort eminent
pourront être hérités par des membres de la communauté.
La volonté du mort ayant été exprimée, les objets sont transportés à l'ex
térieur de la salle après avoir circulé trois fois autour, et tout ce qui ne doit
pas rester sur terre sera violemment et bruyamment détruit — les objets-
dieux cassés, les colliers brisés, les vêtements déchirés... Le sang des an
imaux sacrifiés sera versé sur l'amoncellement des débris et des lambeaux
de tissus. Ce sacrifice disjoint Yegun de ce monde pour conjoindre F« ici »
et 1'« ailleurs » par la réintégration de l'initié à la matière générique. Il ne
s'agit pas d'un sacrifice introjectif mais d'expulsion — l'absence de dépe
çage rituel des animaux et l'interdiction de déposer les objets détruits à des
endroits où le mouvement pourrait réassembler les éléments déliés, corro
borent sa nature disjunctive.
Quand les « bagages de la Mort », contenant aussi les animaux immolés,
sont prêts à être déposés à l'endroit prescrit par la divination, toutes les
lumières s'éteignent et Iansa s'étant manifestée au cours de la cérémonie,
accompagnée des responsables des tambours et du sacrifice, traverse la salle
en frappant le sol avec des branches rituelles. Les participants, tournés vers le
mur, se gardent de lever les yeux. Le cortège ne sortira pas par l'entrée prin
cipale car les morts n'empruntent pas les mêmes chemins que les vivants.
L'ensemble des objets fracassés sera jeté dans la mer ou enfoui dans un
bois, mais en aucun cas abandonné à un carrefour ou sur une route où le pas
sage des humains réunirait à leur insu ce qui a été systématiquement disso
cié; il est dit que cela entraînerait la mort certaine d'un passant occasionnel.
Tous les participants à la cérémonie conservent une pièce de monnaie
dans la main, attendant en silence, dans la salle, le retour des officiants.
Purification et levée de deuil
À leur retour, on éclaire la maison ; la prêtresse dirigeant la commun
autémunie de feuilles de palmier « secoue » les participants afin de les
24. Efiin, poudre blanche, craie, ossun, poudre rouge, extraite du Pterocarpus Erinacesses, waji, poudre
bleue préparée avec de l'ilú - indigo - extrait de nombreux arbres.
Patricia de Aquino
débarrasser des résidus néfastes. Le lendemain, un grand repas, où sont
servis les plats favoris du défunt, réunit les gens autour de la table que nul
ne peut quitter sans être remplacé. Sous la table, le mort mange : des ''
assiettes contenant un peu de chacun des mets sont posées à terre. Le repas
terminé, les calebasses appellent les dieux, les invitant à « venir dans le
corps des initiés », à rétablir la vie dans la communauté.
Pendant que les divinités masculines balaient l'enceinte du temple avec
des monceaux de feuilles qu'ils auront eux-mêmes choisies, n'hésitant pas
à poursuivre et flageller les participants non possédés afin d'en expulser les
ultimes souillures, les divinités féminines remplissent de grandes jarres
d'eau destinées au lavage des sols, des murs et des personnes. Oxalá pré
side à ce grand remue-ménage. La communauté procédera ensuite au
rituel de ïossé « savon », qui consiste à laver tous les objets-dieux avec du
« savon de la Côte », importé d'Afrique et une macération de feuilles
fraîches calmantes, afin de nettoyer les divinités des impuretés assimilées
pendant la période du deuil. Un autre « bagage de la Mort » contenant les
pièces de monnaie qui avaient été conservées par les participants, les restes
du repas, les branches de palmier des encadrements des portes et fenêtres,
les rameaux de feuilles purificatoires, est préparé et placé à l'endroit pres
critpar la divination.
Le reste de la journée sera consacré à la préparation d'un sacrifice à Exú,
divinité chargée d'assurer la circulation des offrandes, de l'échange, à la suite
duquel les tambours rituels pourront enfin résonner, et les dieux danser.
Ancestral isation et régénération cosmologique
Des humains ancestralisés
La soustraction du mort à la communauté par la destruction des comp
osantes substantielles de son être et l'oblitération du lieu et du statut de
sa personne rouvre la réciprocité entre les vivants et l'échange entre les
hommes et les dieux. Au terme d'une mutation progressive et discontinue,
l'initié défunt, séparé des morts errants par l'opération de dépersonnalisat
ion,aura intégré la catégorie d'ancêtre, c'est-à-dire la masse générique ori
ginaire, devenant ainsi la propriété de toute la communauté, disponible
pour une nouvelle individualisation. ^
laxexe ne se réduit pas plus à une dimension eschatologique qui resti- 55
tue le mort à la matière primordiale qu'à une pratique visant son intégra- w
tion dans la réversibilité de l'échange communautaire : il n'est réductible </>
ni à l'expression d'une vision du monde, ni au rétablissement de l'ordre 9
social. Le rituel produit un scheme génétique qui, à partir du champ ^fcj
Rites funéraires du candomblé
d'interaction des vivants et du défunt, soustraira au devenir putrescible
son immaîtrisable nature pathogène par la multiplication de procédures
mimétiques en trompe-l'œil : la mimesis rituelle s'approprie Finattei-
gnable biologique par la désarticulation de la personne à travers la des
truction de ses objets cultuels — véritable mise à mort du mort qui
sanctionne son passage à la catégorie d'ancêtre.
Il egun est le résultat du rituel et en particulier de la logique sacrificielle.
En effet, asperger de sang des éléments brisés opère une transfusion qui
révèle le destin ancestral générique. Le geste sacrificiel s'accompagne de
paroles expliquant au mort qu'il va tremper les pieds dans le sang de l'an
imal afin d'intégrer définitivement F« ailleurs » — pied contre pied car c'est
dans les orteils que résident les ancêtres : le sang-enveloppe confère au
mort, déjà converti en egun, son énergie ancestrale. Une opposition réglée
commande la logique sacrificielle, qui rétablit la médiation, et la logique
de la métamorphose qui repose sur le double et l'ordre de la prédation : le
sacrifice relance l'échange et l'incarnation des divinités.
Cette ligne de clivage entre F« ici » et F« ailleurs » que franchit Y egun le
détache à jamais de la roue infernale de l'immortalité, une finitude qui
n'en finit pas de finir. La catégorie d'immortalité n'est pas thématisée dans
la mesure où elle mettrait un terme à la production des vivants25. Si pour
les Yoruba, comme le note Pierre Verger, la Tête (Ori) retourne en ce
monde dans la même famille, au Nouveau Monde, la mort désindividua-
lise pour éviter le retour du même, bien que l'identité ne recouvre pas
l'identité à soi, mais la différence du moi toujours altéré par une antérior
ité.Il n'existe pas de réincarnation stricto sensu, mais le retour de traces
ancestrales, de portions d'un aïeul qui lui-même était déjà composite, et
jamais d'un élément intangible reconducteur d'une permanence a-tempo-
relle. L'identité en tant que processus d'individualisation est toujours à ins
taurer, à construire, à « faire ».
Tous les initiés ayant eu un axexê sont ancestralisés et vénérés dans
un autel collectif à l'intérieur de la « maison des ancêtres » mais seuls
quelques-uns seront intronisés « ancêtres éminents », au même titre que
les Essa, fondateurs des premières maisons de culte, célébrés au début de
chaque rituel. L'accès à la catégorie des Essa exige une fixation dans la
« maison des ancêtres » du composé individuel identitaire disparu, créant
une inversion génératrice d'autonomie : d'une part, l'ancêtre en tant que
25. Une exception est observée pour une catégorie d'êtres : les abikú. Ces individus « nés pour mourir »
forment une société constituée d'un nombre fixe d'esprits qui jouent à aller et venir entre 1'« ici » et
F« ailleurs ». Quand une mère perd successivement ses enfants en bas âge, la consultation divinatoire peut
révéler la présence d'un abikú. Sont alors entrepris des rituels pour F« attacher » à ce monde - change
mentde nom. . . - et/ou le contraindre à ne plus revenir — marquage corporel, incinération du cadavre. . .
Patricia de Aquino
conservatoire d'engendrement d'une nouvelle identité est dissocié de son
existence singulière, de l'autre, il est une effigie condensée de l'identité
particulière. Si la coïncidence de soi à soi procède de la désindividualisa- "
tion, l'individualisation produit l'hétéronomie. Le marquage des corps de
l'être individuel est par là même le marquage de la société, de l'être-
ensemble, et le dé-marquage des corps instaure une démarcation du
monde en tant que stock d'identités.
L'autel collectif se compose d'une poterie évasée vers le haut contenant
une assiette creuse coiffée d'une assiette plate retournée. Dissimulé der
rière un tissu blanc, l'ensemble est posé sur une macération de feuilles, à
même la terre. Les autels des grands ancêtres sont identiques, à l'exception
du tissu qui n'est pas suspendu mais recouvre les trois récipients. Pendant
Y axexê, après l'interrogation de la noix de kola, les récipients vierges sont
généralement placés à côté des objets-dieux du défunt, hormis ceux d'un
initié eminent qui ne seront pas promis à la destruction.
L'autel individuel des Essa (ibó), désigné d'ailleurs par un nom géné
rique, n'est pas le symbole de l'ancêtre au sens où il le représenterait ou en
serait l'intermédiaire. À l'opposé d'une représentation mimétique de l'ori
ginal, c'est la réalité matérielle qui constitue la présence effective de l'an
cêtre comme garant de la soudure de la communauté. La fabrication de cet
autel assure la pureté effective de ce corps qui peut rester à la surface de ce
monde sans nuire à l'existence. Un an après Y axexê aura lieu sa consécra
tionet l'on pourra appeler l'ancêtre de son nom d'initié.
Les ancêtres, les Essa, étayent la mémoire individuelle du groupe actuel sur
la mémoire collective historique, dont ils reconduisent le fil généalogique, et
permettent de rassurer les initiés quant à la permanence de leur communauté.
Des ancêtres humains divinisés : les objets-dieux
L'ancestralité dans le candomblé inclut à la fois les hommes et les
dieux - partage cependant non pertinent puisque les orixâ ont vécu en
ce monde ; leur mort, en revanche, de nature extraordinaire, les a trans
formés en pure « puissance » ou pur « acte », axé. « 1 orixâ serait en
principe un ancêtre divinisé [...] le passage de la vie terrestre à la condi
tiond' orixâ de ces êtres exceptionnels, doués d'un àse26 puissant, se pro
duit en général lors d'un moment de passion, dont les légendes ont
conservé le souvenir [. . .] Ögun serait devenu orixâ quand il comprit, en </,
le regrettant amèrement, qu'il venait de massacrer, en un moment de 3
colère irréfléchie, les habitants de la ville d'Ire dont il était le fondateur, ¡*JTB
<OLUQ26. La graphie des termes yoruba respecte les conventions internationales : en ce qui nous concerne ici, 3
s est sourd, i se prononce « ch » ; e se prononce « é » et e « è ». Hjj
Rites funéraires du candomblé
et qui ne l'ont plus reconnu quand il y retourna, après une longue
absence » (Verger 1981 : 18). L'exposition au choc d'émotions intenses
— passions exacerbées, colères exaspérées — transforme des êtres humains
en pure « force de vie », flux de vie à l'état brut. Le dieu est créature
vivante et craint l'anéantissement.
L'indétermination, le vide qui caractérisent les responsables de la péren
nitésociale contrastent avec l'accumulation des différenciations contribuant
à façonner les dieux — ancêtres humains divinisés. Les orixá sont des dieux
médiateurs qui définissent et aménagent les passages entre l'individualité de
la personne, les rapports aux autres et la relation à la nature. Ils ont une
fonction cosmologique pour ce qui est de leur identification aux éléments
naturels — Ossanha, les feuilles ; Oiá ou Iansa, le vent ; Xangô, la foudre ;
Ogun, le fer —, sociale en ce qu'ils régulent les pratiques de la vie collective
— Ogun, la guerre et l'agriculture ; Xangô, la justice — et personnelle car
l'initié actualise une combinaison particulière de ses multiples aspects.
Chaque divinité présente une dimension d'universalité — il est possible
de désigner son archétype - et une singularité radicale, car ce réfèrent, fac
ilement identifiable même par un profane, subsume une pluralité de qual
ités différentes, voire opposées, qui font l'objet de récits et d'exégèses
spécifiques de la part des initiés. Ainsi, chaque orixá est à la fois totalité du
divin qui regroupe la pluralité de ses caractéristiques, et partie qui se di
stingue de tous ses autres aspects.
Aucune définition n'épuise le réfèrent archetypal car il est impossible
d'énumérer un ensemble de traits, de formules, de la sphère d'action, pour
définir telle divinité ou l'inclure dans un panthéon. Une « qualité »
d'Ogun, par exemple Alagbedé — le forgeron qui participe à l'agriculture -
s'oppose à un Ogun, dit Ogunjá, le « mangeur de chiens », querelleur,
guerrier, associé à Exii. Une « qualité » d'Obaluaiê se « rapproche »
d'Oxalá — s'habille en blanc, est pacifique — alors que les autres entretien
nentavec le même Oxalá des relations tendues. Un mythe raconte
qu'Obaluaiê, dieu de la variole et des épidémies, lança un défi à Oxalá :
« je mangerai ta chair [tes enfants] et ne laisserai que les os », auquel ce der
nier répondit : « je mangerai ta chair [tes enfants] et tes [leurs] os ». Seuls
les gardiens du « secret » sont habilités à transmettre une connaissance
effective parce qu'elle aura été acquise dans l'initiation, à travers une expé
rience singulière, au moyen de présentations ostensibles de Y orixá. Très
souvent, les personnalités divines construites selon ces nuances apportées à
l'archétype contredisent les opinions courantes, générales et schématiques.
Chaque orixá médiatise un réseau de relations qui contribue à le définir :
• chacun dans son autel, ilê orixá, est entouré de son panthéon de rela
tions au monde : Oxóssi, dieu chasseur, corrélant le mouvement de ses
Patricia de Aquino
activités cynégétiques au retour à l'espace social, sera accompagné d'Ogun,
forgeron responsable de la confection des instruments agraires, et
d'Ossanha, maître de la forêt, des plantes et de leurs actions thérapeu- '*''
tiques. Ce réseau de dieux est son enredo — du portugais rede « filet » — qui
le contextualise et l'individualise dans un ensemble de légendes et d'asso
ciations d'éléments ;
• l'autel de X orixâ est redevable à l'Exii qui lui est associé et qui indivi
dualise son existence. Cet Exii, divinité à part entière, est purement for
mel — à chaque orixâ générique correspond un Exu générique : Exii Tiriri
pour Ogun, Exú Jelú pour Oxalá. . . — et rendu effectif par sa matériali
sationpossédant un nom spécifique, tel Exii Tiriri pour tel orixâ de tel
initié (le nom des Exii est strictement secret) ;
• chaque orixâ de chaque initié explicite sa double singularité par rapport
à X orixâ générique et particulier : Iemanjá — divinité des eaux, « mère des
enfants-poissons » — sera constituée d'une poterie à couvercle contenant
invariablement une ou des pierres, des cauris, des pièces de monnaie, des
bracelets, des coquillages. Seule Iemanjá Ogunté contiendra les sept in
struments d'Ogun — l'épée, la pelle, la pioche, le marteau, la lance, le râteau
et l'enclume ; les coquillages proviendront de la mer, là où se brisent les
vagues, alors que pour Iemanjá Assesii, ils seront recueillis là où les eaux
glauques se mélangent. Le nombre et l'addition d'autres objets seront aussi
variables selon les autres dieux associés à l'initié. Par ailleurs, l'initié y
incorporera des éléments personnels : il choisira les pièces qui auront été
« trouvées » au bord de la mer ou offertes par ceux qui lui sont chers, il
fera fondre de l'argent dans un moule en forme de poisson ou de
coquillage, il péchera du corail blanc ou rouge. . .
Les orixâ sont des puissances qui traversent le corps de l'homme dans la
possession, et des actualisations singulières dans un objet qui ne les représente
pas mais qui est le dieu lui-même. « Faits », « fabriqués », associés par la main
de l'homme, nourris de sang, de salive, de plantes, de paroles, l'assemblage
de matières inertes se transformera en une chose organique et vivante27. Le
corps de l'homme et le corps du dieu sont solidaires — chaque orixâ participe
de l'identité individuelle qui a une action en retour dans son actualisation -
mais ne se limitent pas l'un à l'autre. Les hommes et leurs dieux s'engendrent
réciproquement et sont toujours en procès de réaménagement ; l'objet-dieu
n'est ni substance absolue (totalité immanente et achevée, close sur elle- ^
même), ni attribut dérivé (fragment intermédiaire symbolisant le symbolisé 55
transcendant), mais entité relationnelle : objet médiateur effectif. w
MJ27. Cf. Michel Serres (1989 : 162) : « Comment l'objet advient-il à l'hominité ? Avant cette venue Q
régnait ce corps qui n'a reçu aucun nom en philosophie, nœud originaire, confluence ou confusion, ¡3
mélange du sujet avec l'objet, chair ou corps mêlé. » Hü
Rites funéraires du candomblé
Il serait possible de parler de « quasi-objets » fabriqués et « enduits »
d'éléments du « sujet » ou encore, à propos de l'initié, d'un « quasi-sujet »
dont le corps scarifié a été imprégné de substances propres à la divinité.
On ne peut y voir en revanche une dichotomie de l'objectivation de l'i
ndividu et de la subjectivation de l'objet fondue dans une unique réalité,
mais un processus où l'un et l'autre se façonnent, se contraignent jusque
dans leur incertitude, sont en changement constant ; l'identité du dieu
étant aussi incomplète et inachevée que celle de l'homme28.
À la mort, il faudra détruire les objets-dieux de même que le corps de
l'initié devra être « défait » des éléments qui incorporaient les substances
de la divinité. En tant que « quasi-sujet », le dieu pourra faire connaître à
travers la divination de la noix de kola sa volonté de rester en ce monde,
d'être hérité par un des membres de la communauté qui se chargera de le
« nourrir », d'assurer les sacrifices qui évitent l'anémie mortelle. La mort
de son héritier décidera de sa destruction. Il s'agit d'une reconduction de
sa durée de vie qui peut être mise en relation avec l'ancestralité des Essa.
En effet, les orixâ hérités sont ceux des initiés éminents dont la puissance
des dieux renforcera pour une grande part celle de la communauté. Les
objets-dieux seront lavés dans des macérations de feuilles destinées à les
dissocier des substances corporelles du défunt et imprégnées de celles de
l'héritier. Rappelons que la manipulation des éléments, accompagnée des
paroles adéquates, suffit à la transmission de la « puissance de vie ».
De la mort comme origine fabulée
à l'origine de la mort comme tradition fabriquée
Pierre Verger, après s'être longtemps penché sur le foyer sémantique
d'axexê, note ne pas en avoir trouvé trace dans le lexique yoruba et l'a rap
proché d'isese29 qui renvoie à àse, et condense à la fois la Tête (Ori), les
ancêtres et Ifa (système divinatoire). C'est à partir de ce terme qu'est
construit le concept d'ipelese, « ce que nous rencontrons, venant de nos
ancêtres, à notre arrivée au monde » (Verger 1973 : 64). lisese demeure
sur l'autel familial, c'est-à-dire Y asen des Fon. Yeda Pessoa de Castro, dans
ses recherches sur les interactions linguistiques, prend comme exemple
assento « siège », pour illustrer la façon dont le lexique de la langue litu
rgique s'approprie ses homologues phonétiques et ici, dans une certaine
mesure, sémantiques portugais (Castro 1983 : 100). Ainsi, le mot acquiert
28. Cf. la notion forgée par Bruno Latour de « Parlement des choses » en tant qu'association disparate
de pratiques qui créent un objet et qui, à leur tour, se trouvent reliées par celui-ci, permettant de dépas
serle problème de la simple inter-subjectivité (Latour 1994 : 197).
29. Cf. note 26.
Patricia de Aquino
des connotations en portugais : assentar « asseoir », signifie aussi « plant
er», « consacrer », dans le sens de « fixer ». Il axexê serait le métis brésilien
des itinéraires d'ipeleseet ó! asen, déport lexical de la déportation coloniale.
En effet, axexê synthétise une polysémie qui désigne à la fois les rituels
funéraires, le mort lui-même, l'ancêtre mythique fondateur de la ville de
Ketu et des temples de « nation ketu » — Odé Arole est le grand axexê,
salué dans le deuxième cantique de la cérémonie. « Bien qu'étant un rituel
de mort, Y axexê est aussi, d'une certaine manière, un rituel de vie. Le mot
axexê signifie commencement, origine » (Rocha 1994 : 120). Une origine
néanmoins à fabriquer, à continuer et à entretenir pour écarter l'inerte,
l'inanimé, l'indifférencié : la mort ne naît pas de la vie ou la vie de la
mort, ainsi que pourraient le suggérer les mythes de la genèse, mais
la mort, comme l'atteste le récit de fondation de Y axexê, requiert la vie
pour être pensée.
« Un Grand Chasseur, Olu Odé, du nom d'Oduléke, seigneur des terres Ketu,
adopta Oiá, petite orpheline originaire de la lointaine ville d'Ira aux confins
du pays Nupe. Oiá, dont la voix enchanteresse se mêlait à celle des oiseaux,
devint vite la fille préférée d'Oduléke qui lui enseigna l'art de la chasse et lui
transmit les secrets de la magie. Une mort soudaine emporta Oduléke au soir
de sa vie. Inconsolable, Oiá décida de rendre un hommage remarquable et
inédit à son père. De ses mains, elle prépara les mets préférés d'Oduléke et
broda un pagne blanc richement orné qu'elle posa sur sa tête après y avoir
enveloppé les instruments de chasse du grand Odé. Pendant sept jours et sept
nuits, le vent d'Oiá porta aux sept coins du monde les chants et les danses
qu'elle dédiait à Olu Odé. Des sept coins du monde, tous les Odé accoururent
pour célébrer la mémoire de leur chef. Le septième jour, Oiá entra dans la forêt
et déposa aux pieds de l'arbre Akokô, le précieux fardeau accompagné du repas
favori de son père. À cet instant, des sept coins du monde, on vit s'envoler le
plumage bleu turquoise de l'oiseau Agbé qui s'en allait conter la nouvelle à
Olorum, le dieu initial. Ému par une telle ferveur créatrice, Olorum méta
morphosa Oduléke en orixá et pria Oiá, dès lors appelée Iansa, de présider aux
cérémonies funéraires qu'elle venait d'inventer ; cérémonie de Y ajeje, la veillée
du chasseur, ou de Y axexê, le "commencement" grâce auquel une étrangère
permet à Odé de nous amener au monde. »
Ce récit, qui privilégie l'antériorité du rite par rapport au mythe, livre
la matrice générale d'intelligibilité de Y axexê qui, par le réengendrement „,
d'un contexte particulier, définit une fabrication de tradition passée au S5
tamis de la mémoire collective. Moins qu'une conservation de croyances w
stéréotypées, le scheme global de la fabrication se tisse à travers un pro- i/>
cessus continu, un accomplissement jamais achevé. Si tel est bien le cas, si §
la tradition est le résultat d'une élaboration hic et nunc, alors, Iá Odé vfcj
Rites funéraires du candomblé
104
Kayode, Maria Estella Azevedo dos Santos, prêtresse du temple Axé Opô
Afonjá, qui ne se lasse pas de raconter ce mythe, est bien fondée pour assu
reravec fierté : « Nos racines sont ici, ils ont planté Y axé ici. »
MOTS CLÉS : axexê — candomblé — rituel — funérailles — Brésil.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Barros, José Flávio Pessoa de
1993 O Segredo das Folhas, Sistema
de classificaçâo de vegetáis no Candomblé
Jêje-Nagô do Brasil. Rio de Janeiro, Pallas.
Castro, Yeda Pessoa de
1983 « Das línguas africanas ao Portugués
brasileiro », Afro-Ásia 14 : 81-106.
Salvador, Universidade federal da Bahia,
Centro de Estudos afro-orientais
(CEAO/UFBa).
Latour, Bruno
1994 Nous n'avons jamais été modernes.
Paris, La Découverte. (lre éd. 1991.)
Rocha, Agenor Miranda
1994 Os Candomblés antigos do Rio
de Janeiro. A naçao Ketu : origens, ritos
e crenças. Rio de Janeiro, Faculdade
da Cidade.
Santos, Maria Estella Azevedo
1993 Meu Tempo é agora. Sao Paulo,
Oduduwa.
Serres, Michel
1989 Statues. Paris, Flammarion.
(lreéd. 1987.)
Verger, Pierre
1973 « Notion de personne et lignée
familiale chez les Yoruba », in La notion
de personne en Afrique noire. Paris,
Éditions du CNRS : 61-71.
1981 Orixds. Deuses lorubás na África
e no Novo Mundo. Sao Paulo, Corrupio.
RÉSUMÉ/ABSTRACT
Patricia de Aquino, La mort défaite. Rites
funéraires du candomblé (Brésil). — À partir
d'une approche ethnographique, cet article
analyse les inversions et paradoxes mis en
œuvre par les rites funéraires des initiés
aux divinités brésiliennes d'origine africaine.
Ces procédures de fabrication rituelle sont
bonnes non seulement à produire les rela
tions entre morts et vivants, mais aussi à
repenser la validité des catégories d'opposi
tionsbinaires qui traversent l'anthropologie,
telles nature/culture, tradition/modernité,
mythe/rite.
Patricia de Aquino, Death Undone :
Candomblé Funeral Rites (Brazil). — Based
on an ethnographic approach, an analysis is
made of the inversions and paradoxes used
in the funeral ceremonies for initiates to
Brazilian divinities of African origins. These
ritual procedures are good not only for pro
ducing relations between the dead and the
living, but also for reconsidering the validity
of the categories of binary opposition that
run through anthropology (e.g., nature/
culture, tradition/modernity, myth/rite).
Patricia de Aquino

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  • 1. Patricia De Aquino La mort défaite. Rites funéraires du candomblé In: L'Homme, 1998, tome 38 n°147. pp. 81-104. Citer ce document / Cite this document : Aquino Patricia De. La mort défaite. Rites funéraires du candomblé. In: L'Homme, 1998, tome 38 n°147. pp. 81-104. doi : 10.3406/hom.1998.370506 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1998_num_38_147_370506
  • 2. La mort défaite Rites funéraires du candomblé Patricia de Aquino Juin 1988. Xangrilá Rosa, bourgade semi-rurale de la grande banlieue de Rio de Janeiro, ignorée des cartes officielles et prétendue dangereuse pour sa misère endémique, son lot commun de banditisme et l'insalubrité des lieux où sévit la dengue, illumine la nuit de montgolfières sur lesquelles on peut lire « Odun Xangô », carton d'invitation à la fête donnée en l'hon neurde Xangô1, divinité de la foudre, originaire d'Afrique. La moiteur qui se dégage des pluies sporadiques et torrentielles, drainées avec une constance têtue par l'hiver carioca, infiltre les murs de la maison de notre hôte qui s'affaire autour de la gazinière pour nous réchauffer de ce cozido — sorte de pot-au-feu - succulent dont il a le secret, avant de se rendre à la cérémonie où, « protégé » de Xangô et Maître des tambours, il conduira les festivités. Il y a plus d'un demi-siècle, Luiz Bangbala Angelo da Silva était instruit dans les traditions afro-brésiliennes, à l'art de moduler la voix des tam bours sacrés qui convient les dieux à danser parmi les hommes en « mont ant à la tête » de leurs élus. Bangbala, je l'avais rencontré trois ans plus tôt « caressant le cuir » des tambours de la « maison de candomblé » dirigée par ma tante, initiée à des pratiques sacerdotales fort peu catholiques qui lui avaient valu sa mise au S2 ban de la famille. Ce « jeune » mulâtre impénitent, de soixante-dix ans, 5) v>ÜJJe remercie Bruno Latour pour ses commentaires et son soutien sans réserve. Que soient aussi qm remerciés Anne Christine Taylor pour ses conseils judicieux, et l'équipe du séminaire des américanistes qui a accueilli une première version de ce texte, ainsi que Philippe Descola pour sa relecture patiente et systématique. î^ 1 . La transcription des termes en langue liturgique respecte l'usage orthographique du portugais brési- Q lien. En revanche, nous signalons l'étymologie des expressions originaires de langues africaines (yoruba, ^kikongo, kimbundo) quand elle est connue, explicitée par la population étudiée, et/ou fournit des infor- m, mations pertinentes pour éclairer certaines pratiques. KUJ L'HOMME 147/ 1998, pp. 81 à 104
  • 3. au regard espiègle et à la truculente érudition, est ainsi qu'avec humour il aime à se présenter une des « archives vivantes » du patrimoine musi- cal de ces cultes. Notre soirée prit une tournure inattendue lorsque Oiá Ina « Mère de feu » — nom initiatique — appela au portail la voix entrecoupée de sanglots : sa sœur, initiée depuis plus de soixante-six ans, venait de décéder. J'allais me retirer pour les laisser préparer les rites funéraires, lorsque Bangbala m'apostropha: «cette jeunesse doit apprendre...» Quinze jours plus tard je participais à mon premier axexê. J'ignorais alors que d'autres suivraient. Candomblé : atelier de fabrication de la vie Le candomblé2 intègre le vaste champ défini par la notion de « cultes de possession afro-brésiliens ». Au sein de la multiplicité des formes d'ex pression religieuse brésilienne, le « peuple du candomblé » se démarque des catholiques et de l'univers afro-brésilien des umbandistas, des espiritas, des crentes respectivement affiliés à l'Umbanda (où les médiums, lors de transes, incorporent des esprits d'Indiens, d'anciens esclaves, d'enfants...), aux cultes kardécistes (fondés sur la doctrine de Kardec et prônant l'évolution spirituelle) et aux sectes d'origine protestante (où les pasteurs procèdent à l'exorcisme des « esprits du Mal », de toutes les « forces » distinctes du Saint-Esprit). Les temples de candomblé (terreiros)5 se différencient selon leur appar tenance à des « nations » (ketu, angola, jeje...) se référant à des spécifi citésrituelles et idiomatiques. En raison de la pluralité de langues liturgiques déclinées dans les cérémonies mortuaires, ainsi que du déploi ementd'énoncés interdits qui les émaillent, je m'attacherai moins à l'étude comparative susceptible de réifier des traits particuliers en les dissociant de leurs relations mutuelles qu'à établir la dynamique interne d'un rituel. La logique qui s'y déploie relève cependant d'un scheme régulateur partagé par toutes les « nations » : la fabrication rituelle est le gage de la perpé tuation de la vie. Un initié aux divinités d'origine africaine est un être « fait » (feito), un « fait de dieu »4. 2. L'origine du terme candomblé renvoie au bantou : « ka-n-dómb-íd-é>ká-ú-dómb-éd-é > ka-ú- él-é, dérivé de kù-lomb-à > kù-dômb-d, louer, prier, invoquer, analysable à partir du protobantou ko- dbmb-éd-â, solliciter l'intercession de. Ainsi, candomblé est égal à culte, louange, prière, invocation, le groupe consonantal -bl- étant une forme brésilienne » (Castro 1983 : 83). 3. Mot portugais : « terrain », « espace défriché », désignant les lieux de culte du candomblé. Chaque « maison de candomblé », placée sous la responsabilité d'un ancien initié constitue une communauté autonome bien que les liens avec la maison où a été initié son fondateur soient entretenus (participation réciproque aux rituels, fréquentation des fêtes...). 4. Les initiés sont les feitos ; entre membres de communautés distinctes qui font connaissance une ques tion est récurrente : voce éfeito de que santo ? « de quelle divinité es-tu fait ? » Notons que l'usage du Patricia de Aquino
  • 4. L'ensemble des séquences rituelles liées à la mort d'un initié du can- domblé a pour finalité première de séparer le défunt du monde des vivants initiés, puis des morts ordinaires, avant de l'intégrer à la catégorie d'an- *" cêtre au terme d'une série de procédures complexes et discontinues de destruction de l'identité initiatique, c'est-à-dire de restitution de ses composantes à leur matière générique originaire — la boue, constitutive de tous les êtres humains, mais aussi, l'eau, le feu, le fer, les plantes... À la différence des rites de passage, le rituel funéraire, axexê, ne se limite pas à corroborer une transformation physiologique — la mort — et à mar quer un changement de statut — le passage à l'ancestralité ; il consiste à « défaire » l'identité sociale de l'être qui avait été « fait » par l'initiation, sans l'intention de « refaire » une identité singulière. En effet, l'ancêtre fabriqué, installé, ne sera pas le symbole du mort - image de sa forme vivante - mais, à l'opposé, un ensemble d'objets vides, non iconiques. Le dispositif structurant le cycle de la mort, des funérailles et de l'an- cestralisation s'ordonne autour du paradoxe de la désarticulation de l'in itiation. À une mort aléatoire, la transformation initiatique substitue une mort reçue du dieu, suivie de la naissance d'un être nouveau dégagé de la parturition biologique. Or, bien qu'il s'agisse d'un événement à la fois singulier et récurrent, le décès de l'initié est toujours vécu comme une contingence advenant d'un extérieur non signifiant, réinvolution dans une nature jamais nommée. L'inversion qui opère par des actes focalisateurs contraignants — bris d'obj ets sacrés, élimination des biens liturgiques ayant appartenu au mort — ne constitue cependant qu'un moment des rites. laxexê n'est pas le « symétrique inverse » de l'initiation ; sa logique rituelle correspond plutôt au schéma de 1'« englobement des contraires ». Le rôle de la mort biolo gique reçue de l'extérieur est dénié par la mise à mort, à l'intérieur de l'e space sacré, de la décomposition reçue du dehors. Le mouvement instauré par X axexê s'achèvera par l'expulsion de l'extérieur intériorisé pour enfin réinstaller, dans un espace intérieur mais spécifique, l'initié ancestralisé. Au-delà d'une opposition binaire entre « extérieur » et « intérieur », entre biologique et rituel ou entre nature et culture, la dynamique ainsi dégagée permet de repenser la validité et la pertinence de ces catégories. Il s'agira d'élucider les modalités par lesquelles les funérailles font jouer la trans gression rituelle contre la transgression biologique qui dé-compose ce qui ^ a été construit, dé-socialise ceux qui participent de l'échange social et 55 dé-limite ce qui opère la continuité entre les vivants et les morts. w lumot brésilien santo unifie le « peuple de saint », sans désigner les divinités par leurs noms liturgiques qui Q varient suivant les « nations » ; la fixité des panthéons du candomblé permet d'établir des correspon- ^ dances entre les orixâ « ketu », les vnkise « angola » et les vodun « jeje ». kUJ Rites funéraires du candomblé
  • 5. Le cycle funéraire comprend deux cérémonies, médiatisées par le temps tierce de la décomposition du corps au cimetière : la première, accomplie immédiatement après le décès est de nature prophylactique et conjura- toire, neutralisant les effets de contamination par des manipulations du cadavre qui éliminent la dissémination entropique de sa « puissance de vie » (axé). La seconde, Y axexê, stricto sensu, d'une durée habituelle de sept jours5, séparée de l'inhumation par un laps de temps variable6, de nature cathartique et transmutative, consacre la conversion et l'accès du défunt dépersonnalisé à Tancestralité. L'absence des dieux — « ancêtres divins » — dans le processus d'ancestralisation des humains ponctuera leur rôle de médiateurs de vie, explicite dans leur nature d'objets composites. De la désarticulation "délibérée" à la dissolution "spontanée" La mort d'un initié impose une période de fermeture du temple aux étrangers à la communauté et de « mise entre parenthèses » radicale des activités rituelles régulières : suspension des cérémonies collectives dédiées aux divinités qui rythment l'année liturgique, interruption de l'exercice de la divination par le jet de cauris, prohibition de toute initia tion. Le caractère dangereux, voire mortifère, de cette situation procède de la contiguïté du défunt avec les vivants marquée par un régime de silence qui souligne en creux le retrait des divinités dans F« ailleurs ». Les divi nités désertent « notre monde » souillé, ne traversent plus le corps déjà impur de leurs initiés : il est sans cesse répété que le « candomblé est une religion de la vie », gagée sur la réciprocité entre les hommes et les dieux dans le cycle des offrandes et la contrepartie bénéfique de celles-ci mesur éeà l'aune de la venue des divinités incorporées sur terre. À l'opposé du dynamisme des vivants, l'inertie du mort (egun)7 annule tout échange : la disparition du souffle, l'arrêt de la respiration marquent l'impossibilité de communication entre deux mondes. La communauté est exposée au redoutable paradoxe que celui qui meurt n'est plus le même que celui qui est né lors de l'initiation : la durée biologique semble rattraper la temporalité sociale de l'ensemble de la communauté qui l'a enfanté. 5- S'il s'agit d'un mort « jeune initié » — de moins de sept ans — la durée des cérémonies variera de un à trois jours ; la séquence demeurera cependant la même. 6. Cette période correspond au temps nécessaire à la préparation de la cérémonie, notamment à la col lecte de fonds en vue de l'achat des animaux qui seront sacrifiés. 7- Les egun désignent tantôt les « morts errants », tantôt les défunts qui n'ont pas traversé les secondes funérailles, espèce de fantômes sans ressemblance à leur forme vivante, spectres de l'inter-monde, tou jours susceptibles de nuire aux humains en s' emparant de leur « puissance de vie », de les rendre malades, de les affaiblir, de les frapper d'infortune. . . Les egungun en revanche, appelés aussi Baba Egun ou Baba, « Père », se réfèrent aux ancêtres localisables dans la généalogie de la famille biologique qui reviennent en ce monde couverts de pagnes richement brodés de cauris et décorés de miroirs. Le culte des Baba se Patricia de Aquino
  • 6. Premier rituel funéraire et inhumation Genèse I : naissance à la vie Le panthéon du candomblé est constitué d'une divinité initiale dont se sont progressivement dégagés les « dieux de la blancheur »8. Le terme orixd, qui englobe tous les dieux-créatures responsables des domaines de ce monde, devrait stricto sensu être réservé — et l'est effectivement lors de certains rituels — à ces divinités de la création : « Oxalá [dieu par excel lence du blanc] est le seul Orixá à ne pas être né d'un père et d'une mère, il est né de l'interaction d'Olorum [le dieu initial] avec lui-même » (Rocha 1994 : 59). Dans 1'« ailleurs », le futur être humain s'adresse à l'un des dieux blancs, plus démiurge que créateur, pour choisir une Tête (Ori). La divinité initiale lui insuffle le « souffle vital » (emi). En modelant la Tête, ce démiurge, connu sous le nom de « Propriétaire de la bonne argile », utilise des portions d'éléments (sperme, sang) des ascendants immédiats, père et mère inclus, et de la nature (pierre de foudre, calcaire, eau douce, eau de mer, pluie, fer, feu, plantes, écorce, sève d'arbres...). La combinaison quantitative et qualitative des substances qui composent la Tête de chaque personne est unique, spécifique, non reproductible. La Tête est par excel lence l'individualisateur : elle « est la partie personnelle de l'existence de chacun » {ibid. : 70). L'individu n'est pas issu d'une création ex nihilo, mais du façonnement d'une matière preexistente ; il ne résulte pas plus d'une unité divisée, c'est- à-dire seconde et dérivée, qu'il ne figure le simple croisement binaire d'identité et d'altérité. C'est pourquoi la représentation de la Tête est la pierre angulaire de la conception de la personne, à égale distance de la séparation autonome et de la dérivation hétéronomique. La différence est fondatrice, susceptible de réversibilité selon les aléas, qui dévoileront a pos teriori d'autres éléments : la construction de l'identité s'accompagne tout au long de la vie de réaménagements du corps, d'édifications d'autels... Lors de l'initiation, la Tête reçoit les sacrifices de consécration afin de se transformer en « résidence du dieu » : elle devient le réceptacle perma nentde la « puissance de vie » de la divinité à la suite de F« implantation » concentre dans les terreiros de egungun : sociétés masculines où retournent les seuls ancêtres, ascendants des membres de la communauté. Alors que le contact d'un vivant avec le pagne des Baba est mortel, la S2 poussière soulevée par leurs danses est hautement bénéfique. Les maisons de candomblé et d' egungun t/i peuvent entretenir des rapports étroits : il est possible qu'une même personne occupe des charges sacer- j dotales dans l'un et l'autre lieu ; les rituels cependant demeurent distincts. ^J 8. Ce sont les dieux funfun « blancs ». L'omniprésence de la couleur blanche dans tous les rituels initia- JO tiques et funéraires est révélatrice de l'ambivalence de la relation établie par les dieux de la création avec Q la vie et la mort : si la couleur renvoie à l'immaculée renaissance initiatique, elle rappelle aussi le néant j^ de l'indifférenciation originelle. vlij Rites funéraires du candomblé
  • 7. de Y oxu là où fut incisé le crâne de l'initié, M oxu est un agglomérat de feuilles liturgiques propres au dieu du novice et d'éléments porteurs de la « puissance de vie » du temple où il est initié. Ces substances sont pétries dans le sang des animaux sacrifiés à la divinité et modelées en forme de cône ou d'œuf. La composition de Y oxu est un « secret » de chaque mai son de culte. Pierre Verger en fournit les ingrédients pour F« Afrique yoruba » : « rats (eku) et poissons (eja) qui symbolisent des notions comp lémentaires terre-eau, masculinité-féminité, gauche-droite ; des plumes de coq des bois (àluko), coucou (àgbe), perroquet (odide), aigrette (léke- léke) dont le symbolisme est plus difficile à dégager » (Verger 1981 : 40). La première manipulation rituelle du cadavre, appelée « retirer X oxu », sera strictement privée, effectuée en secret par des prêtres habilités afin d'annihiler le caractère divin de la Tête9 . Le sommet du crâne du défunt sera rasé, lavé, et ses cheveux, enveloppés dans du coton, seront déposés dans le lieu prescrit par la réponse divinatoire de la noix de kola, les seize cauris supports de la voix des divinités restant muets en période de deuil. L'enterrement a lieu peu après afin d'éviter la propagation de la « puis sance de vie » immaîtrisée pour sa connotation de contamination. Cette « puissance », qui avait été accumulée, canalisée, orientée lors de l'initia tion,et renouvelée, entretenue lors des rituels, est susceptible, en se diss éminant au hasard, de phagocyter la communauté. Le cercueil est porté par des initiés, ogan10, qui par trois fois le soulèvent et le posent à terre en ren dant un dernier hommage au fils du temple, avant de le hisser sur leurs épaules, donnant ainsi le signal du départ du cortège vers le cimetière. Scandée par un chant funéraire, la marche prend un rythme de plus en plus accéléré à l'approche de la sépulture, les porteurs esquissant trois pas en avant et trois petits pas en arrière afin de s'incliner devant la Mort, marque ostentatoire de la crainte suscitée. Au moment de la descente dans le caveau, Iansa, unique divinité tenue de comparaître à la mise en terre pour chasser les morts (egun) et préser verla vie, se manifeste à travers ses initiés. En effet, l'étymologie yoruba connue au Brésil indique le lien particulier de Iansa avec la mort et F« ailleurs ». Iansa, la « mère de neuf» enfants dont le neuvième est egun, arpente l'axe du monde dont certains mythes décrivent l'architecture qui 9. Pierre Verger signale que le corps des initiés défunts étaient lavés avec « de l'eau utilisée dans une forge pour refroidir les fers du forgeron [...] effaçant ainsi symboliquement tatouages, scarifications diverses, coupes de cheveux et blessures reçues à la guerre. Toutes ces actions sont dues à l'action [du] dieu des forgerons, des guerriers, des barbiers, des agriculteurs et de tous ceux dont les activités les amènent à employer du fer » (Verger 1973 : 64). 10. Les ogan sont des membres de la communauté, initiés, qui ne connaissent pas l'état de transe. Ce titre, réservé aux hommes, se double de celui de leur fonction : ogan alabê, chargé de battre les tambours, axogun, d'effectuer les sacrifices. . . Patricia de Aquino
  • 8. superpose neuf espaces reliés par un arbre11. Le cinquième espace de ce monde unitaire et segmenté est celui dans lequel vivent les humains. Munie d'une branche d'arbre12, Iansa permet aux participants de rendre un dernier hommage à l'ancien initié, tout en demeurant protégés. La branche, comme tous les bâtons ou chaînes rituels, figure l'arbre reliant ces neuf régions topographiques. Sacralisée, elle est propitiatoire « à l'égard de la vie » quand elle permet d'invoquer l'influence bénéfique des ancêtres, comminatoire « à l'égard de la mort » lorsqu'elle écarte la proximité maléfique de 1'« au-delà » par le tracé sur le sol d'une limite infranchissable. Cette branche sacrée est à la fois auguste, commandant aux morts, et maudite, remémoration du bâton meurtrier dérobé par ruse aux ancêtres et retourné contre eux, ainsi que l'attestent certains récits mythiques, itan15. De retour, les adeptes ne pourront pénétrer à l'intérieur du temple qu'après avoir jeté par-dessus la tête l'eau fraîche puisée à l'aide d'une cale basse dans un pot en terre cuite déposé sur le seuil. La dissolution « spontanée » et l'intolérable autononnie du double Genèse II : naissance à la mort Le cadavre rigidifié rejoint la boue primordiale dont sont issus les êtres humains ; la réciprocité des vivants et des morts est médiatisée par la Mort (Ikú) : quand le dieu initial décida de créer l'être humain, il lui fut difficile de choisir entre les divers matériaux dont il disposait. Après plusieurs essais, il choisit la boue ; et la Mort, seule divinité à ne pas s'être émue de ses pleurs, présenta une portion de boue au dieu ini tial qui lui insuffla son haleine, après avoir demandé à Oxalá de la modeler. La Mort fut cependant chargée de rendre à la boue la part qui lui avait été retirée. Le « détenteur du secret », Agenor Miranda Rocha, insiste sur le rôle joué par Nana, déesse de la boue, des marécages et de la terre humide où notre corps, temporairement individualisé, se dissoudra. Il écrit : « Quand quelqu'un lui est confié [à la Mort], elle vient chercher la personne pour la restituer au sein de la terre, au ventre de Nana » (Rocha 1994: 117). S2 11. Il s'agit de Vakokô : Newbouldia ¿aevisSeem., BIGNONIACEAE (Barros 1993 : 100). 5> 12. Ixâ ou atori quand il est consacré à Oxoguiä, une des divinités de la création — Psidium goiava Rad., J2 MYRTACEAE (Barros 1993 : 100). <$ 13. Les itan forment le corpus mythique de la divination : à chaque configuration donnée par les eau- </> ris correspond un Odú — un chemin, une destinée — regroupant un nombre variable à1 itan qui narrent Q l'histoire des dieux, leurs relations mutuelles, leurs rapports avec les hommes, avec les animaux, Torga- 3 nisation des êtres, du corps... hjj Rites funéraires du candomblé
  • 9. À l'instant de la mort, le « souffle vital » (emi), trait distinctif des êtres de ce monde, rejoint dans son dernier soupir la masse d'air (ofurufu). L'enveloppe corporelle (ara), « assise de la Tête », et l'ombre portée (ojiji), condensation matérielle du souffle, tombent en poussière. Le défunt, qui est mort partiellement à son identité particulière, n'est pas totalement mort à son identité initiatique. Revenant maléfique cher chant à échapper au froid de la mort, appartenant à l'ordre de l'exté rieur, cet extérieur surgit toujours de l'intérieur de la communauté qui, lestée d'une place vide, est entamée dans son intégrité. Se profile le risque d'un empiétement des morts sur les vivants découlant du brouillage des espaces respectifs (lèse egun/lése orixâ). Il arrive qu'il soit prohibé à certains initiés, voire à l'ensemble de la communauté, de par ticiper aux premières funérailles. Dépourvu de son dieu, de son principe organisateur, Yegun apparaît comme double prédateur, présence du non-vivant, non encore véritabl ementmort, modalité d'être oscillant entre le cadavre décomposé des pre mières funérailles et l'ancêtre en voie de construction. Véritable errance en déshérence, il faudra l'incorporer à travers sa destruction et sa mise à mort, l'instaurant comme héritage effectif. La monstruosité de la mort réside dans le fait que l'enveloppe rigidi- fiée du cadavre à l'apparence d'une chose inerte dégage des substances organiques délétères que le rituel aura pour objectif d'éliminer. La mort comme événement ponctuel daté et localisé tend à inscrire l'exception de la suspension du temps vécu dans la continuité cosmologique, mécanisme d'une horloge arrêtée. Aussi Y axexê devra-t-il dénouer, en piégeant ces substances, ce double dérèglement — une dissémination qui se fixe, une rigidification qui se propage - et opérer la conversion dans l'échange de ce symptôme figé d'un instant qui ne passe plus. L'essentiel n'est pas le daté, le localisé, le ponctuel, mais le processus, l'ensemble relationnel. Les ancêtres résidant dans les orteils, il faudra leur faire des sacrifices afin de pouvoir marcher et conjurer la « vie qui s'attarde et n'avance pas ». Axexê : les deuxièmes funérailles L axexê est une opération de transformation sociale et de régénération cosmique au terme de laquelle Yegun, ancestralisé, sera rendu à la matière géné rique par la dislocation de la pluralité des éléments de sa combinaison singulière. llegun, double prédateur menaçant, investit indistinctement tous les lieux. L'espace réservé du temple — auquel s'oppose l'espace public de la salle où dansent les dieux — est lui-même divisé en deux domaines Patricia de Aquino
  • 10. tincts : les « chambres » attribuées aux différentes divinités et l'enclos de réclusion initiatique qui sont éloignés de l'endroit où, isolé, se dresse le lieu de culte des ancêtres, ilê ibó aku « forêt du dedans », bénéfique, par "' opposition au « dehors » de la brousse sauvage et hostile du cimetière. C'est à côté, mais à l'extérieur de cette « maison des ancêtres » qu'est dressé un autel provisoire où seront temporairement abrités tous les éléments liturgiques définissant le défunt comme un être initié et singulier. Sous un tissu blanc et des feuilles de palmier14 soutenues par quatre tiges de bambou, seront placés : le Bára15 - récipient en terre cuite recelant vingt et un cauris qui constituent une divinité dont le rôle est de garantir le principe dyna mique de l'individu en tant que « corps de ce monde » ; les poteries contenant les dieux, accompagnées de leurs vases respectifs en terre cuite, à couvercle, ren versés et vidés de leur contenu (eau fraîche) ; les habits et colliers rituels. Le rite se déroule en trois phases : la première correspond aux six pre miers jours, où il s'agit de préparer la rupture des liens existant entre les membres de la communauté et le défunt par une étroite association de l'ensemble des initiés à la mort (la présence aux cérémonies du premier jour astreint à la réclusion dans l'enceinte de la maison de culte jusqu'à la fin de Yaxexe) ; la deuxième, entre le sixième et le septième jour, est celle qui sépare les vivants du mort par la destruction des éléments individuali- sateurs (Bára, objets-dieux, biens liturgiques personnels), le sacrifice d'an imaux, et le « renvoi » de l'ensemble à l'extérieur du temple ; la dernière — septième jour — est celle de la purification et de la levée de deuil. Honorer et conjurer : inversions et paradoxes Le dispositif funéraire met en œuvre un ensemble de conduites, de danses, d'idiomes, d'instruments musicaux, de chants liturgiques qui se distinguent voire s'opposent aux cérémonies des divinités. À la tombée de la nuit, après avoir effectué les rites d'ouverture, ipadê16' les initiés, la tête enveloppée dans une étroite pièce d'étoffe blanche et dra- 14. Il s'agit de ïigui opê. Elaeis guineensis A. Cheval, PALMAE (Barros 1993 : 101). 15. L'origine de Bára renvoie à Elegbara - « maître du contenant du corps », nom de la divinité Exii — et à Obá Ara — le « roi du corps ». Dans le panthéon du candomblé, Exú est la divinité qui assure le mouv ement, perpétue l'échange, maintient les êtres en vie : chaque être humain possède un Bára qu'il doit nourrir en faisant des sacrifices et qui est par excellence son principe dynamique de « corps individuel de ce monde ». De même, à chaque dieu, à chaque maison de culte, à chaque condensation d'éléments por teurs de « puissance de vie » correspond un Exú. S£2 16. L'ipadê « réunion » est une cérémonie d'une grande complexité rituelle qui, en temps habituel, clôt 3» le cycle des sacrifices de chaque divinité en déterminant le début des célébrations publiques. La partici- yj pation à l' ipadê est restreinte à la communauté des initiés. Il s'agit d'un rituel propitiatoire, accompli dans ^J la salle des fêtes, où sont convoqués à recevoir les offrandes au milieu de chants et de danses, Exú (res- {/> ponsable de la circulation des sacrifices), les Essa (fondateurs des temples), et les « Mères ancestrales », Q propriétaires de la « grande calebasse », le « ventre de la terre ». Toutesles divinités féminines, dont Nana, -3 déesse de la boue, sont des « Mères » qui détiennent le pouvoir générateur féminin. KUI Rites funéraires du candomblé
  • 11. pés dans un pagne blanc, se réunissent dans la salle de fêtes autour d'une demi-calebasse (cuia) posée à terre, où se trouve la « puissance de vie » du temple17. Les tambours rituels ont été remplacés par deux calebasses ; des musiciens18 appartenant à une autre maison de culte marquent le rythme en frappant la partie inférieure de l'une à l'aide de deux baguettes, et des mains, la partie supérieure de l'autre dont le col a été tranché19. Le sixième jour, avant la reprise des mêmes séquences, la responsable des peintures rituelles20 marque de craie les points vitaux des participants : deux traits horizontaux sur les paupières (afin de protéger les yeux et de voir les enne mis), trois traits verticaux sur les joues (rappel des marques tribales), et une croix sur le front (marque du futur), les mains (pulsation du sang) et les pieds (résidence des ancêtres). Une fibre de feuille de palmier est attachée au poignet gauche, signalant les « enfants du temple ». À côté de la demi-calebasse se trouvent un monticule de terre, une poter ieà couvercle remplie d'eau et une bougie qu'allumera la prêtresse détent ricedu plus haut grade hiérarchique présentifiant le mort et marquant le début du rituel. Une pièce de monnaie dans chaque main, elle entonne le premier cantique qui convoque les morts à se joindre à la communauté. La porte d'entrée de la maison est maintenue ouverte, afin que tous les morts, y compris les errants, puissent se joindre à la cérémonie ; après avoir salué la porte ainsi que la demi-calebasse et les membres de la com munauté d'une légère flexion du genou, la prêtresse se met à danser : les bras tendus d'un côté, puis de l'autre, esquissant un mouvement pendul aireentre l'intérieur et l'extérieur du cercle décrit par son trajet autour du centre de la salle. Les participants lui remettront chacun deux pièces de monnaie après les avoir fait tourner trois fois de chaque côté de la tête et, à la fin du can tique, elle effectuera le même geste avant de déposer la presque totalité des pièces dans la demi-calebassse et de les recouvrir de trois pincées de terre. 17. C'est au centre de la salle des fêtes que sont enfouis sous terre, lors de la construction du temple, les éléments porteurs de la « puissance de vie » de la communauté. Très souvent, à cet endroit, désigné comme axé do terreiro, se dresse le « poteau central » reliant le sol à la toiture du bâtiment. 18. Ogan alabê est le titre des initiés chargés de battre les tambours qui invitent les orixâ à comparaître aux cérémonies. 19. Dans les temples de « nation angola », les calebasses sans col, au nombre de deux, sont renversées dans des bassines remplies d'eau - le son ainsi obtenu à l'aide des baguettes est plus sourd. Dans les temples de « nation jeje », une des calebasses — ou les deux — sont remplacées par deux grandes jarres, parfois quatre, et le son est obtenu au moyen d'éventails en feuilles de palme tressées dont on frappe le goulot et les flancs de la poterie. 20. Au sommet de la hiérarchie de chaque maison de candomblé se trouve la Ialorixá « celle qui a un orixâ » qui, en général, cumule les fonctions d'Ialaxé « celle qui a la puissance de vie », responsable de la préparation des rituels initiatiques et d'Iá Egbé « mère de la communauté » ; là Efun, sa suivante, titre lié à Oxalá, divinité du blanc de la création, est chargée de manipuler la craie, substance indispensable à tout rituel initiatique. Patricia de Aquino
  • 12. Elle en conservera deux pour les remettre à son successeur selon l'ordre hiérarchique sacerdotal et qui, à son tour, dansera en recevant des pièces des participants. Par intermittence, chacun s'approche de la demi-cale- " basse afin d'échanger un billet contre les pièces qui seront remises en cir culation. Quand la chaîne de tous les initiés, individuellement ou par groupe d'initiation, aura accompli ces gestes, des assiettes de nourriture et une noix de kola rejoindront les autres objets au centre de la salle. Une ronde clôturera cette phase. Pendant les cinq premiers jours, les mêmes actes achèveront la cérémon ie: la bougie sera éteinte et l'ensemble des objets rapportés dans l'enclos provisoire. Après s'être ceints la poitrine du pagne, selon le mode coutumier, les initiés se livreront de nouveau à un parcours circulaire, cette fois en l'hon neurdes divinités, mais dans l'ordre inversé des salutations et des danses. Des modalités d'inversion du contexte rituel interviennent pour pro duire une modification tant de relation entre les officiants que du com portement habituel. L'inversion de l'ordre rituel concerne aussi bien les participants - les dieux sont partis, le public est absent — que la musique — les cantiques sont spécifiques aux cérémonies funéraires et rendent floue la distinction entre « nations », les divinités sont saluées à rebours, les trois tambours sont silencieux et remplacés par un nombre pair de calebasses — et les danses - les chorégraphies individuelles et homogènes sont privilé giées.Les comportements alimentaires sont également inversés car l'a bsorption d'alcool est obligatoire. Il en est de même pour les usages vestimentaires qui sont marqués par la simplicité - pagne sur les épaules, absence de couleurs, de jupes « gonflées » à l'amidon — et pour les « règles de politesse » rituelles : il est interdit de prononcer le nom initiatique et un ton de voix étouffé est de rigueur. L'inversion caractérise également l'occupation de l'espace suivant deux axes directionnels : le premier change les rapports entre l'extérieur et l'in térieur du temple — les morts sont invités à franchir le seuil du lieu de culte, la demi-calebasse figurant le défunt est posée à l'endroit où se trouve enfouie la « puissance de vie » de la maison, les objets-dieux sont mainte nusdans une installation précaire en dehors de leurs chambres respectives et l'enceinte du lieu de culte n'est plus conçue comme un lieu protégé car il est dangereux de s'y promener seul ; le second axe d'orientation inverse le haut et le bas : le contact avec la terre est proscrit et les calebasses musi- „, cales ainsi que les récipients contenant l'eau sont renversés. 55 L'inversion régit aussi l'ordre de la temporalité : le sacrifice est posté- w rieur aux activités accomplies dans la salle des fêtes, les « cérémonies d'où- </i verture » sont accomplies avant le sacrifice, et si le temps post-sacrificiel est § contracté, le temps pré-sacrificiel est, au contraire, dilaté. £¡ Rites funéraires du candomblé
  • 13. Cette première phase de Y axexê est marquée d'ambivalence : il s'agit à la fois de rendre hommage au défunt en tant que souvenir de frère et « fils du temple » partageant une « puissance de vie » et d'oblitérer la rupture introduite par sa présence menaçante. La communauté recourt à une forme relationnelle paradoxale qui l'honore pour le conjurer et se protég er,le leurre pour le piéger et se l'approprier. Les déplacements incessants de la demi-calebasse (entre la salle des fêtes et l'autel provisoire) disséminent l'impureté d'une « puissance de vie » de corps éclaté. La place qui lui est assignée — le lieu où est condensée la « force de vie » du temple — signale un mouvement hyperbolique à la fois de reconnaissance de l'appartenance de celui qui fut initié à la « puis sance » de la maison et de défi — c'est aussi par l'intermédiaire de cette « puissance » qui le fit naître qu'il pourra mourir. Cette ubiquité se redouble de l'appel et de la venue de tous les morts anonymes qui furent privés d' axexê, généralement parce que leur dispari tionétait restée inconnue ou qu'ils avaient quitté la maison depuis long temps. Les responsables des hommages musicaux n'oublieront pas de se rappeler à la mémoire de tous les défunts par l'appel modulé dans les différents idiomes liturgiques de chaque « nation » du candomblé. Ce moment atteint son paroxysme lorsque le maître des tambours prononce la phrase imprescriptible « les morts n'ont pas de nation », célébrant les identités ethniques mêlées et les dénominateurs rituels communs du can domblé qui rassemble le « peuple de saint » ; expression générique histor iquement calquée sur l'idiome catholique hégémonique, tissant, par-delà la disparité des origines géographiques et l'hétérogénéité des « ethnies », la mémoire qui engendre les réseaux d'appartenance à une communauté — une identité plus de reconnaissance que de ressemblance. L'émotion qui va crescendo se teinte d'angoisse à l'idée que l'initié défunt puisse côtoyer des disparus inconnus. La consommation cathar- tique d'alcool21, boisson de l'oubli, de l'indistinction et de la communion avec les morts, confine alors à la beuverie — offense suprême à Oxalá, divi nité de la création, supplanté dans sa tâche de fondateur du monde pour s'être endormi après avoir bu trop de vin de palme. Oxalá dut se content erde faire les êtres humains et décida de créer un arbre pour chaque homme fabriqué. L'excessive ingestion d'alcool constitue ainsi pour les hommes identifiés aux palmiers, une transgression majeure qui porte atteinte à leur vie d'êtres différenciés, de créatures. L' axexê est une période blanche, au sens de voix blanche. 21. Il s'agit d'alcool de canne à sucre qui est très bon marché, la consommation d'autres boissons alcoolisées n'étant pas exclue. Patricia de Aquino
  • 14. L'omniprésence du blanc uniformise la communauté et le mort ; en contrepartie, elle assure la protection du marquage corporel qui effraie la mort. Un mythe narre comment Oxalá, par un artifice, donna naissance à '■* un animal inconnu — la pintade — et éloigna la Mort qui décimait un vil lage : il s'empara d'une poule noire qu'il moucheta de craie et lâcha au marché. À sa vue, la Mort saisie d'effroi s'enfuit : effroi contre effroi. Oxalá est par ailleurs le dieu invoqué pour soustraire l'initié à la longue agonie. Ainsi, ceux qui pressentent leur fin proche, prient Oxalá de les emporter. Le caractère ambigu de cette divinité se double de sa proximité aux ancêtres figurée par les branches d'arbre qui lui appartiennent et le préfixe de tous les noms initiatiques de ses dévots, iwin « habitants des arbres », où sont déposées les offrandes aux ancêtres. Si les cantiques invitent les morts, la chorégraphie de la danse les éloigne : le mouvement pendulaire, lui-même équivoque, a pour finalité de les empêc herd'approcher la « puissance de vie » du temple. Mais l'ouverture de la porte d'entrée induit le passage irréversible d'un être de l'entre-deux : le mort récent qui disjoint la simple dualité des morts et des vivants. L'envahissement par l'extérieur efface les seuils : les feuilles de palmier suspendues à l'encadrement des portes pour écarter les menaces de l'exté rieur deviennent inefficaces. Parallèlement, les fibres attachées aux poignets protègent les participants qui se tiennent soigneusement serrés — personne ne devant quitter un lieu sans être immédiatement remplacé. Cette pres cription rétablit les relations de contiguïté entre les corps agencés de telle sorte que la place inoccupée ne puisse permettre qu'existe ce qui n'a pas d'existence22. Personne ne se déplace seul de peur d'être accosté, d'être en contact avec l'errant qu'on prend soin d'éloigner par des cris, des hurle ments, des bruits, des coups de branches sacralisées, et par le mouvement. La frontière manifeste le croisement ambigu entre l'empiétement, le mélange et l'indistinction. Le seuil crée un intervalle permettant non seu lement la mise en place d'un système ordonnateur d'écarts réglés entre l'intérieur et l'extérieur, le plein et le vide, mais aussi la présence simulta néede la séparation et de la conjonction où se brouillent les oppositions distinctives au principe de l'identification des initiés. Cette limite devient alors une zone interstitielle qui tend à disloquer les pôles de l'identité et de Fáltente dont chacun passe en l'autre sur fond d'homogénéité. Le rite éta blit la frontière comme limite qui toujours reportée suivant les déplace- ^ ments des participants ouvre l'espace à l'altérité. 55 LU m 22. Une expression récurrente, « corps ouvert », désigne les corps sans protection, soumis aux aléas de Q l'infortune, et révèle le danger d'un espace qui n'étant pas saturé permet aux egun de s'immiscer et à la j^ « puissance de vie » de fuir. mai Rites funéraires du candomblé
  • 15. L'exécution solitaire de chaque danse (bien que les plus récents initiés s'y livrent généralement par groupe d'initiation) manifeste à la fois l'ab- ' sence de crainte — sorte de témoignage d'affection — et la mystification par le dispositif circulaire qui prévient toute rupture du défilé successif des danseurs ; chacun d'eux remettant à celui qui lui succède deux des pièces qu'il tenait dans les mains. L'interdiction de prononcer les noms initiatiques masque les identi tésindividuelles, figurant à la fois une extériorisation — les initiés sont confondus avec le mort dont le nom est aussi imprononçable — et une prévention — en désindividualisant les participants, ïegun ne peut les investir. L'interpellation par des procédures détournées ou métaphor iques— « fils de (tel orixâ) » — rappelle au mort la protection sous laquelle se trouvent les participants, mais aussi leur vulnérabilité : les dieux sont absents. Ce procédé est simultanément une identification et une « désidentifïcation » des initiés : à la divinité générique et à sa divinité particulière23. L'expression « fils de (tel orixâ) » doit être envisagée dans la double perspective qui la caractérise comme liaison et séparation : l'insistance sur l'appartenance religieuse indique à première vue la rupture d'avec la filiation et la consanguinité, mais elle connote de manière sous- jacente un lien biologique pregnant entre les « frères » d'un même groupe initiatique, ceux d'une même maison de culte, ceux d'une même divinité, pour avoir incorporé la même « puissance de vie » de la prêtresse responsable du temple. En effet, la « puissance de vie » de l'initié unie à celle de son dieu et à celle du temple qui aimante les maillons de la chaîne, a été « plantée » (introduite) et « insufflée » au moment de l'initiation, et est périodiquement renouvelée. Cette tran smission renvoie au traitement individualisé du corps du néophyte par l'incorporation des substances corporelles de l'initiatrice qui « a la main sur la tête de tous ses fils ». La transmission de « puissance de vie » échappe à toute interprétation métaphorique : elle se transmet de personne à personne dans une relation dynamique et vivante, dans le contact des corps, leur température, la transpiration, la salive, le souffle... Le défunt avait incorporé une part de substance des autres initiés, mais à leur tour les vivants sont imprégnés d'un de ses éléments, porteur d'une portion de mort. 23. Chaque divinité se manifeste sous plusieurs « qualités » (un même dieu « générique » possède diffé rents « aspects » qui actualisent des rôles pluriels voire antithétiques : Iansa Onira, jeune et guerrière, Iansa Igbale, vieille et associée aux morts...) et chaque « qualité d' orixâ» se singularise à travers les ini tiés ; chaque dieu de chaque initié a un nom propre qui manifeste la composition unique de certains de ses multiples attributs. Patricia de Aquino
  • 16. La chaîne de transmission des pièces de monnaie délie le mort des liens communautaires : on dit que la communauté paie pour ne pas partir avec le mort cependant que la dureté et l'artificialité du nickel manifestent une '* résistance à la putréfaction naturelle. Un mythe raconte comment Argent, fils d'Oxalá, se vante d'avoir réussi à piéger la Mort et à l'amener à son père. Répudiant son fils et sa captive, Oxalá envoie Argent « circuler » de par le monde, tout en reconnaissant à contre-cœur le pouvoir (faste et néfaste) de celui-ci sur toutes choses. Si le mouvement des pièces mime aussi la réciprocité avec le mort, leur accumulation qui met un terme à la circulation, l'endette et le contraint de rester proche de la demi-calebasse, cuia, épargnant les alentours. En même temps, le tintement des pièces, redouté des morts, le tient à l'écart. La présence de la bougie à l'intérieur de la salle des fêtes figure l'inclu sionde la mort dans la vie avec le caractère dangereux de l'englobement de l'intérieur par l'extérieur, en même temps qu'elle constitue un objet focalisateur qui maîtrise la mort biologique non nommée avant de l'ex pulser par la mise à mort par Ikú, la mort ritualisée, et la restitution aux proto-matières génératrices de tous les êtres humains. Transportée dans la salle des fêtes et rapportée tous les soirs sous l'autel provisoire, la demi-calebasse traduit les deux mouvements antithétiques entre l'extériorité, la nature sauvage, mortifère, redoublée par la précarité de l'enclos provisoire, et l'intériorité de la vie communautaire. Ces allées et venues articulent la logique de l'englobement qui met le défunt — inté rieur devenu extérieur - à l'intérieur, avant de l'extérioriser définitivement pour pouvoir l'intérioriser sous la forme de l'identité générique, désingul ariséeet dissemblable de l'ancêtre. Alors que l'initiation impliquait une naturalisation partielle de la vie par la mise en œuvre de la mort pour construire la vie, la participation obligée des initiés aux axexê signifie à nouveau leur incomplétude, leur manque ontologique, évince le danger d'une auto-suffisance sociale, d'un monolit hisme. À chaque axexê, l'initié meurt et se reconstruit, rejoue l'initiation, se souvient d'avoir été étendu sous l'arche du rien, le grand aid — tissu blanc tendu au-dessus de la tête des néophytes pendant la réclusion, posé sur la tête des fils d'Oxalá. Et les initiés se rappellent qu'ils sont mortels, abandonnés des dieux, cernés d'egun innommés ; ils se rappellent que leur modalité d'être en vie est d'être mortels. ^ 3 Séparation définitive des vivants et des morts : w la destruction opératoire ^ UI Outre la noix de kola et la nourriture sont placés dans la salle un ani- § mal à « quatre pieds », cinq poules, tous les objets du mort qui se trou- ¿ Rites funéraires du candomblé
  • 17. vaient dans l'autel provisoire, ainsi que trois récipients neufs et en terre cuite (une poterie évasée, une assiette plate et une creuse). À l'intérieur d'un cercle tracé sur le sol avec de la terre et des poudres minérales et végét ales blanche, bleue et rouge24, la prêtresse lance la noix de kola pour inter roger Yegun et connaître le destin de chacun de ses objets personnels, ainsi que l'endroit où devront être déposés les « bagages de la Mort » (erú ikú). En effet, seul le Bára, présence de la vie individuelle en ce monde, devra être détruit. Selon la volonté du mort exprimée par et dans la noix de kola, cer tains objets — habits, colliers — et même la divinité d'un mort eminent pourront être hérités par des membres de la communauté. La volonté du mort ayant été exprimée, les objets sont transportés à l'ex térieur de la salle après avoir circulé trois fois autour, et tout ce qui ne doit pas rester sur terre sera violemment et bruyamment détruit — les objets- dieux cassés, les colliers brisés, les vêtements déchirés... Le sang des an imaux sacrifiés sera versé sur l'amoncellement des débris et des lambeaux de tissus. Ce sacrifice disjoint Yegun de ce monde pour conjoindre F« ici » et 1'« ailleurs » par la réintégration de l'initié à la matière générique. Il ne s'agit pas d'un sacrifice introjectif mais d'expulsion — l'absence de dépe çage rituel des animaux et l'interdiction de déposer les objets détruits à des endroits où le mouvement pourrait réassembler les éléments déliés, corro borent sa nature disjunctive. Quand les « bagages de la Mort », contenant aussi les animaux immolés, sont prêts à être déposés à l'endroit prescrit par la divination, toutes les lumières s'éteignent et Iansa s'étant manifestée au cours de la cérémonie, accompagnée des responsables des tambours et du sacrifice, traverse la salle en frappant le sol avec des branches rituelles. Les participants, tournés vers le mur, se gardent de lever les yeux. Le cortège ne sortira pas par l'entrée prin cipale car les morts n'empruntent pas les mêmes chemins que les vivants. L'ensemble des objets fracassés sera jeté dans la mer ou enfoui dans un bois, mais en aucun cas abandonné à un carrefour ou sur une route où le pas sage des humains réunirait à leur insu ce qui a été systématiquement disso cié; il est dit que cela entraînerait la mort certaine d'un passant occasionnel. Tous les participants à la cérémonie conservent une pièce de monnaie dans la main, attendant en silence, dans la salle, le retour des officiants. Purification et levée de deuil À leur retour, on éclaire la maison ; la prêtresse dirigeant la commun autémunie de feuilles de palmier « secoue » les participants afin de les 24. Efiin, poudre blanche, craie, ossun, poudre rouge, extraite du Pterocarpus Erinacesses, waji, poudre bleue préparée avec de l'ilú - indigo - extrait de nombreux arbres. Patricia de Aquino
  • 18. débarrasser des résidus néfastes. Le lendemain, un grand repas, où sont servis les plats favoris du défunt, réunit les gens autour de la table que nul ne peut quitter sans être remplacé. Sous la table, le mort mange : des '' assiettes contenant un peu de chacun des mets sont posées à terre. Le repas terminé, les calebasses appellent les dieux, les invitant à « venir dans le corps des initiés », à rétablir la vie dans la communauté. Pendant que les divinités masculines balaient l'enceinte du temple avec des monceaux de feuilles qu'ils auront eux-mêmes choisies, n'hésitant pas à poursuivre et flageller les participants non possédés afin d'en expulser les ultimes souillures, les divinités féminines remplissent de grandes jarres d'eau destinées au lavage des sols, des murs et des personnes. Oxalá pré side à ce grand remue-ménage. La communauté procédera ensuite au rituel de ïossé « savon », qui consiste à laver tous les objets-dieux avec du « savon de la Côte », importé d'Afrique et une macération de feuilles fraîches calmantes, afin de nettoyer les divinités des impuretés assimilées pendant la période du deuil. Un autre « bagage de la Mort » contenant les pièces de monnaie qui avaient été conservées par les participants, les restes du repas, les branches de palmier des encadrements des portes et fenêtres, les rameaux de feuilles purificatoires, est préparé et placé à l'endroit pres critpar la divination. Le reste de la journée sera consacré à la préparation d'un sacrifice à Exú, divinité chargée d'assurer la circulation des offrandes, de l'échange, à la suite duquel les tambours rituels pourront enfin résonner, et les dieux danser. Ancestral isation et régénération cosmologique Des humains ancestralisés La soustraction du mort à la communauté par la destruction des comp osantes substantielles de son être et l'oblitération du lieu et du statut de sa personne rouvre la réciprocité entre les vivants et l'échange entre les hommes et les dieux. Au terme d'une mutation progressive et discontinue, l'initié défunt, séparé des morts errants par l'opération de dépersonnalisat ion,aura intégré la catégorie d'ancêtre, c'est-à-dire la masse générique ori ginaire, devenant ainsi la propriété de toute la communauté, disponible pour une nouvelle individualisation. ^ laxexe ne se réduit pas plus à une dimension eschatologique qui resti- 55 tue le mort à la matière primordiale qu'à une pratique visant son intégra- w tion dans la réversibilité de l'échange communautaire : il n'est réductible </> ni à l'expression d'une vision du monde, ni au rétablissement de l'ordre 9 social. Le rituel produit un scheme génétique qui, à partir du champ ^fcj Rites funéraires du candomblé
  • 19. d'interaction des vivants et du défunt, soustraira au devenir putrescible son immaîtrisable nature pathogène par la multiplication de procédures mimétiques en trompe-l'œil : la mimesis rituelle s'approprie Finattei- gnable biologique par la désarticulation de la personne à travers la des truction de ses objets cultuels — véritable mise à mort du mort qui sanctionne son passage à la catégorie d'ancêtre. Il egun est le résultat du rituel et en particulier de la logique sacrificielle. En effet, asperger de sang des éléments brisés opère une transfusion qui révèle le destin ancestral générique. Le geste sacrificiel s'accompagne de paroles expliquant au mort qu'il va tremper les pieds dans le sang de l'an imal afin d'intégrer définitivement F« ailleurs » — pied contre pied car c'est dans les orteils que résident les ancêtres : le sang-enveloppe confère au mort, déjà converti en egun, son énergie ancestrale. Une opposition réglée commande la logique sacrificielle, qui rétablit la médiation, et la logique de la métamorphose qui repose sur le double et l'ordre de la prédation : le sacrifice relance l'échange et l'incarnation des divinités. Cette ligne de clivage entre F« ici » et F« ailleurs » que franchit Y egun le détache à jamais de la roue infernale de l'immortalité, une finitude qui n'en finit pas de finir. La catégorie d'immortalité n'est pas thématisée dans la mesure où elle mettrait un terme à la production des vivants25. Si pour les Yoruba, comme le note Pierre Verger, la Tête (Ori) retourne en ce monde dans la même famille, au Nouveau Monde, la mort désindividua- lise pour éviter le retour du même, bien que l'identité ne recouvre pas l'identité à soi, mais la différence du moi toujours altéré par une antérior ité.Il n'existe pas de réincarnation stricto sensu, mais le retour de traces ancestrales, de portions d'un aïeul qui lui-même était déjà composite, et jamais d'un élément intangible reconducteur d'une permanence a-tempo- relle. L'identité en tant que processus d'individualisation est toujours à ins taurer, à construire, à « faire ». Tous les initiés ayant eu un axexê sont ancestralisés et vénérés dans un autel collectif à l'intérieur de la « maison des ancêtres » mais seuls quelques-uns seront intronisés « ancêtres éminents », au même titre que les Essa, fondateurs des premières maisons de culte, célébrés au début de chaque rituel. L'accès à la catégorie des Essa exige une fixation dans la « maison des ancêtres » du composé individuel identitaire disparu, créant une inversion génératrice d'autonomie : d'une part, l'ancêtre en tant que 25. Une exception est observée pour une catégorie d'êtres : les abikú. Ces individus « nés pour mourir » forment une société constituée d'un nombre fixe d'esprits qui jouent à aller et venir entre 1'« ici » et F« ailleurs ». Quand une mère perd successivement ses enfants en bas âge, la consultation divinatoire peut révéler la présence d'un abikú. Sont alors entrepris des rituels pour F« attacher » à ce monde - change mentde nom. . . - et/ou le contraindre à ne plus revenir — marquage corporel, incinération du cadavre. . . Patricia de Aquino
  • 20. conservatoire d'engendrement d'une nouvelle identité est dissocié de son existence singulière, de l'autre, il est une effigie condensée de l'identité particulière. Si la coïncidence de soi à soi procède de la désindividualisa- " tion, l'individualisation produit l'hétéronomie. Le marquage des corps de l'être individuel est par là même le marquage de la société, de l'être- ensemble, et le dé-marquage des corps instaure une démarcation du monde en tant que stock d'identités. L'autel collectif se compose d'une poterie évasée vers le haut contenant une assiette creuse coiffée d'une assiette plate retournée. Dissimulé der rière un tissu blanc, l'ensemble est posé sur une macération de feuilles, à même la terre. Les autels des grands ancêtres sont identiques, à l'exception du tissu qui n'est pas suspendu mais recouvre les trois récipients. Pendant Y axexê, après l'interrogation de la noix de kola, les récipients vierges sont généralement placés à côté des objets-dieux du défunt, hormis ceux d'un initié eminent qui ne seront pas promis à la destruction. L'autel individuel des Essa (ibó), désigné d'ailleurs par un nom géné rique, n'est pas le symbole de l'ancêtre au sens où il le représenterait ou en serait l'intermédiaire. À l'opposé d'une représentation mimétique de l'ori ginal, c'est la réalité matérielle qui constitue la présence effective de l'an cêtre comme garant de la soudure de la communauté. La fabrication de cet autel assure la pureté effective de ce corps qui peut rester à la surface de ce monde sans nuire à l'existence. Un an après Y axexê aura lieu sa consécra tionet l'on pourra appeler l'ancêtre de son nom d'initié. Les ancêtres, les Essa, étayent la mémoire individuelle du groupe actuel sur la mémoire collective historique, dont ils reconduisent le fil généalogique, et permettent de rassurer les initiés quant à la permanence de leur communauté. Des ancêtres humains divinisés : les objets-dieux L'ancestralité dans le candomblé inclut à la fois les hommes et les dieux - partage cependant non pertinent puisque les orixâ ont vécu en ce monde ; leur mort, en revanche, de nature extraordinaire, les a trans formés en pure « puissance » ou pur « acte », axé. « 1 orixâ serait en principe un ancêtre divinisé [...] le passage de la vie terrestre à la condi tiond' orixâ de ces êtres exceptionnels, doués d'un àse26 puissant, se pro duit en général lors d'un moment de passion, dont les légendes ont conservé le souvenir [. . .] Ögun serait devenu orixâ quand il comprit, en </, le regrettant amèrement, qu'il venait de massacrer, en un moment de 3 colère irréfléchie, les habitants de la ville d'Ire dont il était le fondateur, ¡*JTB <OLUQ26. La graphie des termes yoruba respecte les conventions internationales : en ce qui nous concerne ici, 3 s est sourd, i se prononce « ch » ; e se prononce « é » et e « è ». Hjj Rites funéraires du candomblé
  • 21. et qui ne l'ont plus reconnu quand il y retourna, après une longue absence » (Verger 1981 : 18). L'exposition au choc d'émotions intenses — passions exacerbées, colères exaspérées — transforme des êtres humains en pure « force de vie », flux de vie à l'état brut. Le dieu est créature vivante et craint l'anéantissement. L'indétermination, le vide qui caractérisent les responsables de la péren nitésociale contrastent avec l'accumulation des différenciations contribuant à façonner les dieux — ancêtres humains divinisés. Les orixá sont des dieux médiateurs qui définissent et aménagent les passages entre l'individualité de la personne, les rapports aux autres et la relation à la nature. Ils ont une fonction cosmologique pour ce qui est de leur identification aux éléments naturels — Ossanha, les feuilles ; Oiá ou Iansa, le vent ; Xangô, la foudre ; Ogun, le fer —, sociale en ce qu'ils régulent les pratiques de la vie collective — Ogun, la guerre et l'agriculture ; Xangô, la justice — et personnelle car l'initié actualise une combinaison particulière de ses multiples aspects. Chaque divinité présente une dimension d'universalité — il est possible de désigner son archétype - et une singularité radicale, car ce réfèrent, fac ilement identifiable même par un profane, subsume une pluralité de qual ités différentes, voire opposées, qui font l'objet de récits et d'exégèses spécifiques de la part des initiés. Ainsi, chaque orixá est à la fois totalité du divin qui regroupe la pluralité de ses caractéristiques, et partie qui se di stingue de tous ses autres aspects. Aucune définition n'épuise le réfèrent archetypal car il est impossible d'énumérer un ensemble de traits, de formules, de la sphère d'action, pour définir telle divinité ou l'inclure dans un panthéon. Une « qualité » d'Ogun, par exemple Alagbedé — le forgeron qui participe à l'agriculture - s'oppose à un Ogun, dit Ogunjá, le « mangeur de chiens », querelleur, guerrier, associé à Exii. Une « qualité » d'Obaluaiê se « rapproche » d'Oxalá — s'habille en blanc, est pacifique — alors que les autres entretien nentavec le même Oxalá des relations tendues. Un mythe raconte qu'Obaluaiê, dieu de la variole et des épidémies, lança un défi à Oxalá : « je mangerai ta chair [tes enfants] et ne laisserai que les os », auquel ce der nier répondit : « je mangerai ta chair [tes enfants] et tes [leurs] os ». Seuls les gardiens du « secret » sont habilités à transmettre une connaissance effective parce qu'elle aura été acquise dans l'initiation, à travers une expé rience singulière, au moyen de présentations ostensibles de Y orixá. Très souvent, les personnalités divines construites selon ces nuances apportées à l'archétype contredisent les opinions courantes, générales et schématiques. Chaque orixá médiatise un réseau de relations qui contribue à le définir : • chacun dans son autel, ilê orixá, est entouré de son panthéon de rela tions au monde : Oxóssi, dieu chasseur, corrélant le mouvement de ses Patricia de Aquino
  • 22. activités cynégétiques au retour à l'espace social, sera accompagné d'Ogun, forgeron responsable de la confection des instruments agraires, et d'Ossanha, maître de la forêt, des plantes et de leurs actions thérapeu- '*'' tiques. Ce réseau de dieux est son enredo — du portugais rede « filet » — qui le contextualise et l'individualise dans un ensemble de légendes et d'asso ciations d'éléments ; • l'autel de X orixâ est redevable à l'Exii qui lui est associé et qui indivi dualise son existence. Cet Exii, divinité à part entière, est purement for mel — à chaque orixâ générique correspond un Exu générique : Exii Tiriri pour Ogun, Exú Jelú pour Oxalá. . . — et rendu effectif par sa matériali sationpossédant un nom spécifique, tel Exii Tiriri pour tel orixâ de tel initié (le nom des Exii est strictement secret) ; • chaque orixâ de chaque initié explicite sa double singularité par rapport à X orixâ générique et particulier : Iemanjá — divinité des eaux, « mère des enfants-poissons » — sera constituée d'une poterie à couvercle contenant invariablement une ou des pierres, des cauris, des pièces de monnaie, des bracelets, des coquillages. Seule Iemanjá Ogunté contiendra les sept in struments d'Ogun — l'épée, la pelle, la pioche, le marteau, la lance, le râteau et l'enclume ; les coquillages proviendront de la mer, là où se brisent les vagues, alors que pour Iemanjá Assesii, ils seront recueillis là où les eaux glauques se mélangent. Le nombre et l'addition d'autres objets seront aussi variables selon les autres dieux associés à l'initié. Par ailleurs, l'initié y incorporera des éléments personnels : il choisira les pièces qui auront été « trouvées » au bord de la mer ou offertes par ceux qui lui sont chers, il fera fondre de l'argent dans un moule en forme de poisson ou de coquillage, il péchera du corail blanc ou rouge. . . Les orixâ sont des puissances qui traversent le corps de l'homme dans la possession, et des actualisations singulières dans un objet qui ne les représente pas mais qui est le dieu lui-même. « Faits », « fabriqués », associés par la main de l'homme, nourris de sang, de salive, de plantes, de paroles, l'assemblage de matières inertes se transformera en une chose organique et vivante27. Le corps de l'homme et le corps du dieu sont solidaires — chaque orixâ participe de l'identité individuelle qui a une action en retour dans son actualisation - mais ne se limitent pas l'un à l'autre. Les hommes et leurs dieux s'engendrent réciproquement et sont toujours en procès de réaménagement ; l'objet-dieu n'est ni substance absolue (totalité immanente et achevée, close sur elle- ^ même), ni attribut dérivé (fragment intermédiaire symbolisant le symbolisé 55 transcendant), mais entité relationnelle : objet médiateur effectif. w MJ27. Cf. Michel Serres (1989 : 162) : « Comment l'objet advient-il à l'hominité ? Avant cette venue Q régnait ce corps qui n'a reçu aucun nom en philosophie, nœud originaire, confluence ou confusion, ¡3 mélange du sujet avec l'objet, chair ou corps mêlé. » Hü Rites funéraires du candomblé
  • 23. Il serait possible de parler de « quasi-objets » fabriqués et « enduits » d'éléments du « sujet » ou encore, à propos de l'initié, d'un « quasi-sujet » dont le corps scarifié a été imprégné de substances propres à la divinité. On ne peut y voir en revanche une dichotomie de l'objectivation de l'i ndividu et de la subjectivation de l'objet fondue dans une unique réalité, mais un processus où l'un et l'autre se façonnent, se contraignent jusque dans leur incertitude, sont en changement constant ; l'identité du dieu étant aussi incomplète et inachevée que celle de l'homme28. À la mort, il faudra détruire les objets-dieux de même que le corps de l'initié devra être « défait » des éléments qui incorporaient les substances de la divinité. En tant que « quasi-sujet », le dieu pourra faire connaître à travers la divination de la noix de kola sa volonté de rester en ce monde, d'être hérité par un des membres de la communauté qui se chargera de le « nourrir », d'assurer les sacrifices qui évitent l'anémie mortelle. La mort de son héritier décidera de sa destruction. Il s'agit d'une reconduction de sa durée de vie qui peut être mise en relation avec l'ancestralité des Essa. En effet, les orixâ hérités sont ceux des initiés éminents dont la puissance des dieux renforcera pour une grande part celle de la communauté. Les objets-dieux seront lavés dans des macérations de feuilles destinées à les dissocier des substances corporelles du défunt et imprégnées de celles de l'héritier. Rappelons que la manipulation des éléments, accompagnée des paroles adéquates, suffit à la transmission de la « puissance de vie ». De la mort comme origine fabulée à l'origine de la mort comme tradition fabriquée Pierre Verger, après s'être longtemps penché sur le foyer sémantique d'axexê, note ne pas en avoir trouvé trace dans le lexique yoruba et l'a rap proché d'isese29 qui renvoie à àse, et condense à la fois la Tête (Ori), les ancêtres et Ifa (système divinatoire). C'est à partir de ce terme qu'est construit le concept d'ipelese, « ce que nous rencontrons, venant de nos ancêtres, à notre arrivée au monde » (Verger 1973 : 64). lisese demeure sur l'autel familial, c'est-à-dire Y asen des Fon. Yeda Pessoa de Castro, dans ses recherches sur les interactions linguistiques, prend comme exemple assento « siège », pour illustrer la façon dont le lexique de la langue litu rgique s'approprie ses homologues phonétiques et ici, dans une certaine mesure, sémantiques portugais (Castro 1983 : 100). Ainsi, le mot acquiert 28. Cf. la notion forgée par Bruno Latour de « Parlement des choses » en tant qu'association disparate de pratiques qui créent un objet et qui, à leur tour, se trouvent reliées par celui-ci, permettant de dépas serle problème de la simple inter-subjectivité (Latour 1994 : 197). 29. Cf. note 26. Patricia de Aquino
  • 24. des connotations en portugais : assentar « asseoir », signifie aussi « plant er», « consacrer », dans le sens de « fixer ». Il axexê serait le métis brésilien des itinéraires d'ipeleseet ó! asen, déport lexical de la déportation coloniale. En effet, axexê synthétise une polysémie qui désigne à la fois les rituels funéraires, le mort lui-même, l'ancêtre mythique fondateur de la ville de Ketu et des temples de « nation ketu » — Odé Arole est le grand axexê, salué dans le deuxième cantique de la cérémonie. « Bien qu'étant un rituel de mort, Y axexê est aussi, d'une certaine manière, un rituel de vie. Le mot axexê signifie commencement, origine » (Rocha 1994 : 120). Une origine néanmoins à fabriquer, à continuer et à entretenir pour écarter l'inerte, l'inanimé, l'indifférencié : la mort ne naît pas de la vie ou la vie de la mort, ainsi que pourraient le suggérer les mythes de la genèse, mais la mort, comme l'atteste le récit de fondation de Y axexê, requiert la vie pour être pensée. « Un Grand Chasseur, Olu Odé, du nom d'Oduléke, seigneur des terres Ketu, adopta Oiá, petite orpheline originaire de la lointaine ville d'Ira aux confins du pays Nupe. Oiá, dont la voix enchanteresse se mêlait à celle des oiseaux, devint vite la fille préférée d'Oduléke qui lui enseigna l'art de la chasse et lui transmit les secrets de la magie. Une mort soudaine emporta Oduléke au soir de sa vie. Inconsolable, Oiá décida de rendre un hommage remarquable et inédit à son père. De ses mains, elle prépara les mets préférés d'Oduléke et broda un pagne blanc richement orné qu'elle posa sur sa tête après y avoir enveloppé les instruments de chasse du grand Odé. Pendant sept jours et sept nuits, le vent d'Oiá porta aux sept coins du monde les chants et les danses qu'elle dédiait à Olu Odé. Des sept coins du monde, tous les Odé accoururent pour célébrer la mémoire de leur chef. Le septième jour, Oiá entra dans la forêt et déposa aux pieds de l'arbre Akokô, le précieux fardeau accompagné du repas favori de son père. À cet instant, des sept coins du monde, on vit s'envoler le plumage bleu turquoise de l'oiseau Agbé qui s'en allait conter la nouvelle à Olorum, le dieu initial. Ému par une telle ferveur créatrice, Olorum méta morphosa Oduléke en orixá et pria Oiá, dès lors appelée Iansa, de présider aux cérémonies funéraires qu'elle venait d'inventer ; cérémonie de Y ajeje, la veillée du chasseur, ou de Y axexê, le "commencement" grâce auquel une étrangère permet à Odé de nous amener au monde. » Ce récit, qui privilégie l'antériorité du rite par rapport au mythe, livre la matrice générale d'intelligibilité de Y axexê qui, par le réengendrement „, d'un contexte particulier, définit une fabrication de tradition passée au S5 tamis de la mémoire collective. Moins qu'une conservation de croyances w stéréotypées, le scheme global de la fabrication se tisse à travers un pro- i/> cessus continu, un accomplissement jamais achevé. Si tel est bien le cas, si § la tradition est le résultat d'une élaboration hic et nunc, alors, Iá Odé vfcj Rites funéraires du candomblé
  • 25. 104 Kayode, Maria Estella Azevedo dos Santos, prêtresse du temple Axé Opô Afonjá, qui ne se lasse pas de raconter ce mythe, est bien fondée pour assu reravec fierté : « Nos racines sont ici, ils ont planté Y axé ici. » MOTS CLÉS : axexê — candomblé — rituel — funérailles — Brésil. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Barros, José Flávio Pessoa de 1993 O Segredo das Folhas, Sistema de classificaçâo de vegetáis no Candomblé Jêje-Nagô do Brasil. Rio de Janeiro, Pallas. Castro, Yeda Pessoa de 1983 « Das línguas africanas ao Portugués brasileiro », Afro-Ásia 14 : 81-106. Salvador, Universidade federal da Bahia, Centro de Estudos afro-orientais (CEAO/UFBa). Latour, Bruno 1994 Nous n'avons jamais été modernes. Paris, La Découverte. (lre éd. 1991.) Rocha, Agenor Miranda 1994 Os Candomblés antigos do Rio de Janeiro. A naçao Ketu : origens, ritos e crenças. Rio de Janeiro, Faculdade da Cidade. Santos, Maria Estella Azevedo 1993 Meu Tempo é agora. Sao Paulo, Oduduwa. Serres, Michel 1989 Statues. Paris, Flammarion. (lreéd. 1987.) Verger, Pierre 1973 « Notion de personne et lignée familiale chez les Yoruba », in La notion de personne en Afrique noire. Paris, Éditions du CNRS : 61-71. 1981 Orixds. Deuses lorubás na África e no Novo Mundo. Sao Paulo, Corrupio. RÉSUMÉ/ABSTRACT Patricia de Aquino, La mort défaite. Rites funéraires du candomblé (Brésil). — À partir d'une approche ethnographique, cet article analyse les inversions et paradoxes mis en œuvre par les rites funéraires des initiés aux divinités brésiliennes d'origine africaine. Ces procédures de fabrication rituelle sont bonnes non seulement à produire les rela tions entre morts et vivants, mais aussi à repenser la validité des catégories d'opposi tionsbinaires qui traversent l'anthropologie, telles nature/culture, tradition/modernité, mythe/rite. Patricia de Aquino, Death Undone : Candomblé Funeral Rites (Brazil). — Based on an ethnographic approach, an analysis is made of the inversions and paradoxes used in the funeral ceremonies for initiates to Brazilian divinities of African origins. These ritual procedures are good not only for pro ducing relations between the dead and the living, but also for reconsidering the validity of the categories of binary opposition that run through anthropology (e.g., nature/ culture, tradition/modernity, myth/rite). Patricia de Aquino