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1
SAMAHA Raphaël
QUAND UNE ARCHITECTURE
RACONTE L’HISTOIRE D’UNE
VILLE
« BEIRUT CITY CENTER » UNE ARCHITECTURE MODERNE D’AVANT-GUERRE
TRANSFORMÉE EN MONUMENT D’APRÈS-GUERRE
Mémoire de Master,
Séminaire Patrimoine et Projet, Année 2015,
Enseignants Encadrants : JACQUIN Laure.
ENSA Paris-Belleville, 60 Boulevard de la Villette, 75019, Paris
2
Sommaire
Remerciements.............................................................................................................................................3
Introduction ..................................................................................................................................................4
Visite du « Beirut City Center » le 20 Avril 2015...........................................................................................8
Partie 1 : Le « Beirut City Center » : un projet moderne d’avant-guerre ...................................................10
Partie 2 : Beyrouth en « re-destruction »...................................................................................................17
Chapitre 1 : La reconstruction en France après la deuxième guerre mondiale......................................18
Église Notre-Dame de Saint-Lô ...........................................................................................................18
Le village d’Oradour-sur-Glane...........................................................................................................19
Saint-Malo...........................................................................................................................................21
Chapitre 2 : La reconstruction à Beyrouth après la guerre de 1975.......................................................23
Chapitre 3 : Un patrimoine détruit (Etude de cas) .................................................................................30
Partie 3 : Une ruine monument d’après-guerre .........................................................................................32
Chapitre 1 : Les conflits qui tournent autour du dôme ..........................................................................34
Chapitre 2 : Les protestations pour la conservation du dôme ...............................................................38
Chapitre 3 : Les projets de réhabilitation ...............................................................................................40
1998 : Malek Mahmassani Architectural Practice (MMAP) – Ministère des Finances.......................41
2004: Proposition de Bernard Khoury ................................................................................................45
2009: Proposition de Christian de Portzamparc.................................................................................49
Conclusion...................................................................................................................................................51
Bibliographie...............................................................................................................................................53
Annexes.......................................................................................................................................................56
3
Remerciements
Je tiens à remercier mon encadrant Laure JACQUIN pour ses conseils et le temps qu’elle a
consacré au développement de mon article.
J’aimerais remercier aussi toute personne qui a aidé d’une façon ou d’une autre à la
préparation de ce document. Je pense notamment à George ARBID et Bernard KHOURY
pour les précieux plans fournis, Zouheir BERJAWI pour les informations offertes durant
l’entretien, André TRAD dont les conseils et les contacts étaient indispensables, et surtout
le directeur adjoint de mon école d’architecture au Liban (ALBA) Mazen HAIDAR qui
m’a donné la chance de vivre une telle expérience à Belleville et qui m’a surtout conseillé
de choisir ce séminaire.
Enfin, je tiens à remercier du fond du cœur tous mes proches et surtout mes parents et ma
sœur pour leur soutien, leur aide, et leur amour.
4
Introduction
Après la fin du mandat français (1918 – 1943), le Liban vit une période libérale et prospère
dans les années 60. Le « Paris du Moyen-Orient »1
constituait la plaque tournante,
commerciale, et financière de la région. La position géographique de la ville impliquait une
escale obligatoire des pays provenant des quatre extrémités du monde. Beyrouth était une
interface et un point de distribution entre le monde producteur et le monde consommateur.
Google Earth, Zoom in Liban/Beyrouth, 2015
Mais entre 1975 et 1990, et comme le décrit si bien l’architecte Belge Jacques Liger-Belair,
« Le Liban sombre dans une longue guerre civile, qui n'est pourtant pas tout à fait sa
guerre. La ville de Beyrouth s'embrase, se dresse contre elle-même quartiers Est contre
quartiers Ouest. C'est le temps de la violence aveugle. Hommes, femmes, enfants,
innocents, fuient, sont mutilés, meurent. La ville est ravagée. Son centre historique, lieu de
toutes les rencontres, de toutes les convivialités, devient terrain d'affrontement, lieu de
mort. Les murs de pierre et de béton, qui sont la chair de la ville, sont profondément
meurtris, comme le sont ses habitants, dans leurs chairs et leurs esprits. Lorsque cette folie
prendra fin, les Beyrouthins se retrouveront, ensemble, et découvriront, effarés, la longue
ligne de fractures, de démarcation entre les deux parties de Beyrouth... et son centre-ville
1
Sharp, D. (2010). The battle for Beirut's buildings | Deen Sharp. [online] the Guardian. Available at:
http://www.theguardian.com/commentisfree/2010/apr/01/beirut-buildings-dubai-skyscraper [Accessed 12 Dec.
2014].
5
ravagé. »2
. Beyrouth s’était ainsi vue divisée par une «ligne verte» délimitant la partie
entièrement chrétienne à l’est de la partie musulmane à l'ouest. D’après Ghassan Tueni
(journaliste et homme politique Libanais), « d’explosion en implosion, la Ville changeait
de visage comme elle changeait de nom, de maitre et de dieu. »3
Après ces 15 années de guerre, les quelques vies restantes espèrent récupérer ce qui reste
de la ville et reconstruire la capitale détruite. Elles se lancent donc dans un grand projet de
reconstruction et le centre-ville de la capitale est ainsi détenue par un investisseur privé
d’après-guerre « Solidere » : la Société Libanaise de Développement et de Reconstruction.
Mais pour la société Beyrouthine, ce sujet est très délicat. Effectivement, le fait qu’une
entreprise privée politisée soit chargée de reconstruire et de développer des espaces publics
pour tous les Libanais est difficilement accepté.
Le contraste entre l’ancien et le nouveau a impliqué de nombreuses polémiques. Pour les
habitants de Beyrouth, le passé ne doit être ni nié ni oublié car il fait partie de l’histoire et
permet d’évoluer. Ils insistent à conserver les monuments de guerre intacts pour rappeler
l’Histoire et considèrent que ces bâtiments sont des icônes du centre-ville de Beyrouth et
que leurs cicatrices servent de leçons pour les générations futures. Solidere et les
promoteurs, au contraire, préfèrent rénover et reconstruire au lieu de restaurer.
Aujourd’hui, ces monuments de guerre, entourés de tous les côtés d’architecture moderne,
font désormais partie du patrimoine de Beyrouth et 25 ans plus tard, alors que la ville a
largement eu le temps de se faire reconstruire, quelques ruines tiennent encore debout et
n’ont pas été démolies. Beyrouth se trouve ainsi parsemée de ruines de guerre délaissées
dont le destin reste jusqu’au jour d’aujourd’hui incertain. D’après Abdul-Halim Jabr
(architecte et ancien professeur à l’AUB) « Ces ruines sont dans des terrains contestées, et
font aussi partie d’une histoire contestée.»4
Le Holiday Inn, conçu par André Wogenscki,
en est un parfait exemple. Cet hôtel a vu le jour quelques jours seulement avant le début
des conflits et a été transformé pendant la guerre en site de bataille où les chrétiens et les
musulmans se tiraient dessus. Trois autres exemples connus sont la Tour Morr avec ses
quarante étages de béton gris transformée en repère urbain visible depuis toute la ville ; le
Grand Théâtre qui est l’un des joyaux cachés de Beyrouth ; et l'œuf.
Face au dilemme acharné entre la préservation et la démolition, « l’œuf », ou aussi le
« Dôme », est un bâtiment atypique brutaliste abandonné situé dans le centre de Beyrouth.
2
Liger-Belair, Jacques, Maalouf, Amine, Tuéni, Ghassan, (2002). Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de
Jacques Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ; Correspondance de Amin Maalouf ;
Postface de Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar.
3
Liger-Belair Jacques, Maalouf Amine, Tuéni Ghassan, (2002). Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de Jacques
Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ; Correspondance de Amin Maalouf ; Postface de
Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar.
4
News, L. and unclear, F. (2014). Fate of Beirut’s war ruins still unclear. [online] The Daily Star Newspaper -
Lebanon. Available at: http://www.dailystar.com.lb/News/Lebanon-News/2014/May-19/256931-fate-of-beiruts-
war-ruins-still-unclear.ashx [Accessed 16 Dec. 2014].
6
Il symbolisait, avant le début de la guerre, l’architecture moderne de la capitale.
Aujourd’hui marqué par les plaies de guerre, il prend une position rebelle dans le tissu
urbain existant. Amputé, il s’est incrusté dans la conscience de la ville et est devenu un
élément essentiel à son paysage, un véritable repère urbain.
SAMAHA Raphaël, « The Egg » aujourd’hui dans son contexte, 20 Avril 2015.
Les images et photographies du « Dôme » ne reflètent que le visuel et ne rendent pas au
bâtiment justice. En effet, visiter ce symbole de Beyrouth est une véritable expérience. Le
bâtiment parle aux passants, visiteurs, et touristes, et dialogue avec les bâtiments rénovés
qui l’entourent. C’est grâce à sa position au sein de l’architecture environnante que nous
réalisons que Beyrouth est une ville pleine de contrastes, que ce soit sur le plan culturel,
religieux, ou politique. Ces contrastes se reflètent dans l’architecture de la ville et créent de
sérieuses discussions entre les urbanistes, les architectes, les politiciens et les citoyens. La
question de l’héritage culturel de Beyrouth est un véritable enjeu et les opinions diffèrent à
ce sujet. Entre restauration, reprogrammation, réutilisation, ou même démolition, des
débats sans fin prennent place. L’œuf est au centre de cette bataille qui définira l’avenir
architectural de la ville.
En parcourant l’histoire du Dôme, nous réalisons que nous sommes capables de réécrire
l’histoire du pays. Chaque courbe du bâtiment, chaque morceau de matériau, et même le
nom originel qu’il portait raconte et reconstitue le passé, sa complexité, ses conflits et ses
contradictions. Beyrouth est l’une des villes les plus riches sur le plan historique ;
comprendre et raconter ce qu’elle endure ces 50 dernières années est extrêmement
7
difficile. « The Egg », toutefois, le fait parfaitement. Avec ses cicatrices, ses blessures, et
les traces d’obus, l’œuf renferme l’histoire de la ville et personnifie l’âme de Beyrouth. Si
l’âme de Beyrouth pouvait être perçue, elle aurait ressemblé à la ruine du « Beirut City
Center ».
Sur ce, comment « The Egg » passe-t-il d’un monument de l’architecture moderne d’avant-
guerre à un monument du patrimoine d’après-guerre?
Mon étude tente de répondre à cette problématique en se basant sur des articles publiés, des
documentaires, des discours de Libanais, des entretiens, et des ouvrages dont
principalement « Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de Jacques Liger-Belair » où cet
architecte Belge dessine la ville avant, pendant, et après la guerre en accompagnant ses
croquis de poèmes. Ainsi, je vais m’intéresser d’abord au « Beirut City Center » comme
projet moderne d’avant-guerre pour ensuite m’attarder sur la destruction des bâtiments
patrimoniaux de la capitale du Liban pendant mais surtout après la guerre, et enfin me
concentrer sur la ruine du « Beirut City Center » transformée en monument d’après-guerre.
8
Visite du « Beirut City Center » le 20 Avril 2015
5
5
SAMAHA Raphaël, Photos montrant l’état du “Beirut City Center” aujourd’hui, 20 Avril 2015
9
6
6
SAMAHA Raphaël, Photos montrant l’état du “Beirut City Center” aujourd’hui, 20 Avril 2015
10
Partie 1 : Le « Beirut City Center » : un projet moderne d’avant-guerre
Le « Beirut City Center », icône du modernisme libanais d’avant-garde, occupe l’un des
plus prestigieux endroits de Beyrouth. Il s’agit d’un repère urbain brutaliste construit en
1968 situé à la porte du centre-ville sur l’avenue Fouad Chehab. Formé au Liban, l’auteur
de ce projet aux multiples usages, Joseph Philippe Karam, est l’un des architectes
contemporains les plus remarquables de l’époque. Beaucoup de bâtiments construits par
Karam ont été détruits durant la guerre civile et les rares constructions restantes ont été
démolies pour faire place à des développements de grande hauteur, notamment le Bâtiment
Gondole, à Raouché, démoli en 2004.7
L’œuf, lui, tient toujours.
Dans le site internet dédié au travail du maitre d’œuvre (1923-1976), on associe son travail
à celui de grands architectes modernes : « On retrouve dans ses différentes œuvres la
créativité révolutionnaire de Le Corbusier, les formes fluides et raffinés d’Oscar Niemeyer,
et parfois la brutal puissance de Kenzo Tange. »8
. Toutefois, dans le cas de « The Egg »,
ceci est moins le résultat du travail de l’architecte Libanais que de l’impact de l’histoire et
de la guerre. En effet, la construction passe d’un projet moderniste à la manière de Le
Corbusier avant le début de la guerre, à un dôme sombre et brutaliste à la manière de Tange
après la fin de la guerre.
7
June 2009
EXECUTIVE Lebanon
P48-54
Real estate – Beirut in an eggshell
« Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centre-ville de Beyrouth, protégé des étudiants libanais
qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan de réhabilitation ?
8
(1923-1976), H. Joseph Philippe Karam. [online] Joseph-philippe-karam.com. Available at: http://www.joseph-
philippe-karam.com/ [Accessed 21 Nov. 2014].
11
9
SAMAHA Raphaël, Carte du centre-ville montrant en rouge l’emplacement du « Beirut City Center », 27 Avril
2015, Archide.files.wordpress.com, (2010). [online] Available at: https://archide.files.wordpress.com/2010/01/mds-beirut-
urban-scheme.jpg [Accessed 27 Apr. 2015]
9
Archide.files.wordpress.com, (2010). [online] Available at: https://archide.files.wordpress.com/2010/01/mds-
beirut-urban-scheme.jpg [Accessed 27 Apr. 2015].
12
Un dessin de l'un des plans originaux de Joseph Philippe Karam.
« The Egg » est en réalité un dôme de 24 mètres de large et de 11 mètres de haut abritant
une salle de projection de 1 000 places en lévitation au-dessus du bâtiment. Cet effet de
gravité est assuré grâce à un cinéma « réalisé suivant le principe de la double peau en
béton armé »10
reposant sur des rotules. L’espace intérieur de « l’œuf » est donc dépourvu
de piliers. Selon Georges Arbid (professeur à l’Université Américaine de Beyrouth), « il
s’agit d’une des rares structure en libre forme dans la ville, chose difficile à exécuter dans
le temps, d’où sa valeur architecturale »11
. Karam profite de l’espace inférieur de cette
forme libre pour placer un ensemble de magasins ; une solution qui découlait des
règlementations de l’époque, interdisant une élévation en hauteur du bâti au-dessus de salle
de spectacle. Au programme, vient s’ajouter un grand parking formé de six étages sous-
terrain de 22 000 mètres carrés et une station routière pour les taxi-services.
10
Yacoub, G. (2003). Dictionnaire de l'architecture au Liban au XXème / Gebran Yacoub. Beyrouth, Liban:
Alphamedia.
11
June 2009
EXECUTIVE Lebanon
P48-54
Real estate – Beirut in an eggshell
« Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centre-ville de Beyrouth, protégé des étudiants libanais
qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan de réhabilitation ?
13
Ensuite, l’architecte entoure « The Egg » de deux tours de bureaux. D’après le site dédié au
travail de l’architecte12
, le projet est un complexe polyvalent concentré principalement sur
l’hybridation de trois programmes : le commercial, le socio-culturel, et les espaces
bureautiques. Le projet se traduit donc par trois éléments liés au rez-de-chaussée par une
bande, formant ainsi un ensemble harmonieux.
Cette construction correspond à l’esprit de l’âge d’or de la modernité architecturale
libanaise. En 1965, durant l’année de sa construction, le « Beirut City Center » fait déjà
partie d’un ensemble de bâtiments modernistes. Avant le début de la guerre civile de 1975,
bien que le projet soit à moitié terminé, le « Beirut City Center » se vente par les
développeurs Samadi et Salha comme étant le plus grand centre commercial du Moyen-
Orient.
Ce complexe devait être construit par phases mais n’a jamais été totalement complété.
Effectivement, une des deux tours n’a jamais été construite à cause du déclenchement de la
guerre en 1975. Le projet a donc été interrompu par la guerre et endommagé avant même
d’être achevé.
12
(1923-1976), H. Joseph Philippe Karam. [online] Joseph-philippe-karam.com. Available at: http://www.joseph-
philippe-karam.com/ [Accessed 21 Nov. 2014].
14
Joseph Philippe KARAM, Plan du Rez-de -chaussé comportant un ensemble de magasin et les circulations verticales, George
ARBID (Arab Center for Architecture), 1965.
15
Joseph Philippe KARAM, Plan du premier étage comportant la salle de cinéma à l’intérieur du dôme, des commerces et les
circulations verticales, George ARBID (Arab Center for Architecture), 1965.
16
Joseph Philippe KARAM, Plan de l’étage courant comportant des bureaux, George ARBID (Arab Center for Architecture), 1965.
17
Partie 2 : Beyrouth en « re-destruction »
Entre 1975 et 1990, Beyrouth sombre dans une longue guerre violente et brutale qui cause
endormement de dégâts matériels en plus des pertes humaines. Aujourd’hui, la phase de
reconstruction est loin d’être terminée et les stigmates de guerre sont toujours visibles sur
quelques bâtiments dans la ville. Cette reconstruction succède souvent à la démolition
d’immeubles traditionnels et patrimoniaux pour maximiser les profits en construisant des
tours d’habitation ou de bureaux. Elle est équivalente à une seconde destruction, la
première ayant été causée par la guerre ; mais contrairement à la précédente, elle est cette
fois volontaire.
Dans cette partie, je vais d’abord m’attarder sur la reconstruction en France après la
deuxième guerre mondiale en me basant sur deux exemples (celui du village d’Oradour-
sur-Glane et de la cathédrale Saint-Lô), pour ensuite m’attarder sur la reconstruction qui a
lieu au Liban de 1990 à aujourd’hui.
Raphaël SAMAHA, Chargement en cours…, Avril 2015
18
Chapitre 1 : La reconstruction en France après la deuxième guerre mondiale
Après la deuxième guerre mondiale, malgré la destruction de près du quart de la France et
la mort de plus de 500 000 enfants, la victoire des alliés nourrit beaucoup d’espoir. Des
investissements soutenus par les aides américaines étaient consacrés à la reconstruction de
la France. Il fallait, comme à Marseille, respecter les données locales tout en prenant
compte des nécessités de l’urbanisme. Il fallait, comme à Toulon, rester dans l’esprit
français tout en adoptant des solutions novatrices, et il fallait prendre en compte les
quartiers détruits. En résumé, il fallait dépenser 2500 milliards pour restaurer ou édifier
2400 000 bâtiments.13
Je vais m’intéresser en particulier à 3 exemples de reconstruction en
France en relation avec mon sujet.
Église Notre-Dame de Saint-Lô et la restauration
Notre-Dame de Saint-Lô est une église gothique érigée à partir du treizième siècle14
. Après
les bombardements de Juillet 1944, l’édifice est amputé de sa façade ouest, privé de ses
voûtes et de sa tour Nord. Il n’en est resté que la tour Sud (sans sa flèche), le chœur et les
bas-côtés. Ce lieu est devenu une ruine de guerre.
En 1953, Yves-Marie Froidevaux (architecte en chef des monuments historiques), décide
d’en faire un mémorial contre la guerre. Après quatre années de travail, l’édifice conserve
dans sa restauration les stigmates de la guerre, la façade disparue ayant été remplacée par
un mur pignon aveugle.15
C’est ainsi que la ville, en situation de table rase, qu’on pensait abandonner a été
transformée en l’un des plus forts symboles de la reconstruction caractérisée par de riches
promenades architecturales. « Les architectes ont recréé […] une ville moyenne avec tous
les éléments d’un chef-lieu de département. »16
13
Logement, É. (2005). Film d'archive actualités de 1952 Reconstruction de la France sept ans après la fin
de la seconde guerre mondiale état des lieux de la crise du logement. [online] Dailymotion. Available at:
http://www.dailymotion.com/video/xk1g5j_film-d-archive-actualites-de-1952-reconstruction-de-la-
france-sept-ans-apres-la-fin-de-la-seconde-gu_shortfilms [Accessed 19 May 2015].
14
www.normandie-heritage.com, (n.d.). L’église Notre-Dame de Saint-Lô - Normandie Héritage. [online] Available
at: http://www.normandie-heritage.com/spip.php?article733 [Accessed 19 May 2015].
15
AM, I. (n.d.). Eglise Notre-Dame / Patrimoine / Histoire et patrimoine / Découvrir Saint-Lô / Accueil / Racine - Ville
de St-Lô. [online] Saint-lo.fr. Available at: http://www.saint-lo.fr/Decouvrir-Saint-Lo/Histoire-et-
patrimoine/Patrimoine/Eglise-Notre-Dame [Accessed 19 May 2015].
16
Paril.crdp.ac-caen.fr, (n.d.). [online] Available at: http://paril.crdp.ac-
caen.fr/_PRODUCTIONS/ressources_culturelles/parcours_patrimoine_stlo_.swf [Accessed 19 May 2015].
19
Ikmo-ned, Saint-Lô (Normandie, France). L'église Notre-Dame, 200717
Oradour-sur-Glane, et la « non-architecture »
Le 10 juin 1944, au village d’Oradour-sur-Glane, 642 personnes, dont 247 femmes et 205
enfants de moins de 15 ans, ont été fusillées ou brûlées par une unité de la deuxième
division SS Das Reich.18
Ce village situé à 22Km au nord-ouest de Limoges, connu pour avoir conservé les traces de
la seconde guerre mondiale19
, a été classé monument historique en 1946. Devenu
17
Fr.wikipedia.org, (2007). Église Notre-Dame de Saint-Lô. [online] Available at:
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Notre-Dame_de_Saint-
L%C3%B4#/media/File:FranceNormandieSaintLoEgliseNotreDame.jpg [Accessed 19 May 2015].
18
AFP, and AFP, (2013). Oradour-sur-Glane, village martyr de la barbarie nazie. [online] Libération.fr. Available at:
http://www.liberation.fr/societe/2013/09/04/oradour-sur-glane-village-martyr-de-la-barbarie-nazie_929293
[Accessed 19 May 2015].
19
Oradour.org, (n.d.). Histoire du centre | Centre de la mémoire d'Oradour. [online] Available at:
http://www.oradour.org/fr/content/histoire-du-centre [Accessed 19 May 2015].
20
rapidement le symbole de la barbarie nazie20
, ce lieu de mémoire invite près de 300 000
visiteurs par an à plonger dans un flashback qui montre de manière claire et concrète les
dégâts causés par la guerre. La mise en scène pédagogique, émotionnelle, et mémorielle
dans ce village impose le silence aux passants.
Le village, où le choix de réaliser une « non-architecture »21
a été adopté, nécessite un
entretien régulier afin de maintenir les bâtiments restants dans leurs états de ruine.
Un centre de la mémoire y a été inauguré en juillet 1999 par le président Jacques Chirac.
Guillaume BONNAUD, Le village d’Oradour-sur-Glane, 201422
20
AFP, and AFP, (2013). Oradour-sur-Glane, village martyr de la barbarie nazie. [online] Libération.fr. Available at:
http://www.liberation.fr/societe/2013/09/04/oradour-sur-glane-village-martyr-de-la-barbarie-nazie_929293
[Accessed 19 May 2015].
21
Oradour.org, (n.d.). Histoire du centre | Centre de la mémoire d'Oradour. [online] Available at:
http://www.oradour.org/fr/content/histoire-du-centre [Accessed 19 May 2015].
22
Cottin, S. (2014). Massacre d'Oradour-sur-Glane en 1944 : un octogénaire inculpé pour meurtre. [online]
SudOuest.fr. Available at: http://www.sudouest.fr/2014/01/08/massacre-d-oradour-sur-glane-en-1944-un-
octogenaire-inculpe-pour-meurtre-1423080-7.php [Accessed 19 May 2015].
21
Saint-Malo, et la restitution à l’identique
En Août 1944, les troupes américaines bombardent brutalement la vieille ville de Saint-
Malo afin d’effacer toute poche de résistance allemande. La région est ainsi détruite à 80%
après avoir brulé pendant plus de 10 jours23
. Sur 854 édifices, 700 sont détruits et près de
6500 personnes sont sans abri24
.
Après de longs débats entre reconstruction à l’identique (processus long et coûteux) et
reconstruction à la manière de Brest ou du Havre suivant des formes plus géométriques
pour une réalisation plus rapide25
, Raymond Cornon, architecte en chef des monuments
historiques de Saint-Malo, relève le défi de faire renaître la ville de ses centres en
remontant pierre par pierre et durant 22 ans la cité corsaire.26
Toutefois, la restitution à l’identique présente des inconvénients. Par exemple, le port de
Saint-Malo accueillait, en 1939, 90 voiliers traditionnels pratiquant la pêche à la morue ; ils
ne sont plus qu’une quinzaine en 1950. D’après Erwan Le Gall27
, « en se focalisant trop sur
son passé détruit par les bombes, Saint-Malo en a presque hypothéqué son avenir. »
Saint-Malo en 1944 - Quartier Saint-Vincent Saint-Malo aujourd'hui - Quartier Saint-Vincent28
23
Saint-Malo (1944-1966) - La cité corsaire - Une reconstruction unique au monde. (2012). [video] Available at:
https://www.youtube.com/watch?v=NKS-TsV1fjg [Accessed 19 May 2015].
24
GALL, E. (2013). 1950 : La renaissance malouine. [online] Enenvor.fr. Available at:
http://enenvor.fr/eeo_actu/apresW/1950_la_renaissance_malouine.html [Accessed 19 May 2015].
25
GALL, E. (2013). 1950 : La renaissance malouine. [online] Enenvor.fr. Available at:
http://enenvor.fr/eeo_actu/apresW/1950_la_renaissance_malouine.html [Accessed 19 May 2015].
26
Utilisateur, S. (2013). Saint-Malo en 1944, images d'une ville fantôme - Partie 1 - Saint-Malo-Rama. [online]
Saint-Malo-Rama. Available at: http://www.saint-malo-rama.com/2013/05/10/saint-malo-en-1944-images-d-une-
ville-fantome-partie-1.html [Accessed 19 May 2015].
27
GALL, E. (2013). 1950 : La renaissance malouine. [online] Enenvor.fr. Available at:
http://enenvor.fr/eeo_actu/apresW/1950_la_renaissance_malouine.html [Accessed 19 May 2015].
28
Utilisateur, S. (2013). Saint-Malo en 1944, images d'une ville fantôme - Partie 1 - Saint-Malo-Rama. [online]
Saint-Malo-Rama. Available at: http://www.saint-malo-rama.com/2013/05/10/saint-malo-en-1944-images-d-une-
ville-fantome-partie-1.html [Accessed 19 May 2015]
22
Saint-Malo en 1944 - Façade d'immeuble, place Chateaubriand Saint-Malo aujourd'hui - La place Guy La Chambre29
Saint-Malo en 1944 - Le Grand Donjon Saint-Malo aujourd'hui - Le Grand Donjon30
29
Utilisateur, S. (2013). Saint-Malo en 1944, images d'une ville fantôme - Partie 1 - Saint-Malo-Rama. [online]
Saint-Malo-Rama. Available at: http://www.saint-malo-rama.com/2013/05/10/saint-malo-en-1944-images-d-une-
ville-fantome-partie-1.html [Accessed 19 May 2015]
30
Utilisateur, S. (2013). Saint-Malo en 1944, images d'une ville fantôme - Partie 1 - Saint-Malo-Rama. [online]
Saint-Malo-Rama. Available at: http://www.saint-malo-rama.com/2013/05/10/saint-malo-en-1944-images-d-une-
ville-fantome-partie-1.html [Accessed 19 May 2015]
23
Chapitre 2 : La reconstruction à Beyrouth après la guerre de 1975
1991 :
La ville est enfin apaisée,
Libérée des hommes et engins de guerre.
Ses architectures, ravagées et béantes,
Sont débarrassées des enseignes, néons, devantures
Et autres décors dérisoires qui s'étaient accumulés aux façades.
Elles sont réduites à l'essentiel,
Comme ces architectures antiques, décapées,
Érodées par mille ans de vents et de désert,
Tragiques sans doute,
Mais parfois plus belles qu'elles ne furent jamais.
Les eaux, ruisselant des réservoirs crevés en terrasses,
Et suintant des égouts disloques...
Et les pluies des hivers de la guerre
Ont fertilisé les sols, les éboulis des voûtes et des murs effondrés.
Une végétation exubérante a envahi ruines et ruelles, trottoirs défoncés,
Et s'accroche aux terrasses et balcons.
Les arbres ont grandi libres, sauvages, échevelés.
La ville est devenue verte, et fleurit au printemps 1991...
Seuls les chants d'oiseaux magnifient
Le grand silence des lieux.31
Jacques Liger-Belair, « Beyrouth, ville ravagée », 1991/1992, Liger-Belair, Jacques, Maalouf, Amine, Tuéni, Ghassan, (2002).
Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de Jacques Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ;
Correspondance de Amin Maalouf ; Postface de Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar.
31
Liger-Belair, Jacques, Maalouf, Amine, Tuéni, Ghassan, (2002). Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de
Jacques Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ; Correspondance de Amin Maalouf ; Postface
de Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar.
24
1997 :
« La ville se voile
De bâches et de toiles,
D’ocre, de vert, de bleu...
Derrière ses oripeaux
Accrochés aux façades,
Et qui se balancent au vent.
Elle se répare,
Elle se remet à neuf,
Maison par maison,
Immeuble par immeuble.
Et lorsque tombent les voiles,
Réapparaissent alors
Les couleurs de toujours,
De calcaire clair, blond,
De pierre de sable, rougeâtre,
Et de tous les ocres jaunes... »32
Jacques Liger-Belair, « Beyrouth, ville ravagée », 1991/1992, Liger-Belair, Jacques, Maalouf, Amine, Tuéni, Ghassan, (2002).
Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de Jacques Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ;
Correspondance de Amin Maalouf ; Postface de Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar.
32
Liger-Belair, Jacques, Maalouf, Amine, Tuéni, Ghassan, (2002). Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de
Jacques Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ; Correspondance de Amin Maalouf ; Postface
de Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar.
25
Le Centre de Beyrouth a subi de nombreuses destructions durant sa riche histoire de 4 000
ans. La capitale renferme dans ses sous-sols des vestiges phéniciens, romains et ottomans.
On dit que l’école romaine de droit est située à l’est de la place de l’étoile (principale
construction durant le mandat français). Mais malheureusement, Beyrouth n’a jamais été
fouillée de façon systématique. Il existe aujourd’hui une autre ville enterrée sous Beyrouth.
La capitale a subit une dernière destruction durant les 15 années de guerre civile entre 1975
et 1990 et depuis la ville est méconnaissable. Les dégâts sont grands, et « 80% du
patrimoine de Beyrouth a été soit détruit, soit endommagé par les combats […]. Plus de
530 immeubles ont été détruits ou sont irrécupérables et près de 850 sont à réhabiliter.
Plus de 2 600 logements sont vacants.»33
.
Même pendant la guerre, la préoccupation majeure des Libanais était la reconstruction de la
ville. En effet, chaque accalmie s’accompagnait d’un plan de reconstruction : en 1977 avec
l’atelier parisien d’urbanisme (Apur), en 1982 avec la société Oger, et en 1986 l’état fait
appel à l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Ile-de-France (IAURIF)
afin d’aboutir à un plan de reconstruction de Beyrouth dès la fin de la guerre.
Malheureusement, aucun des points cités par l’IAURIF n’a été respecté.
Finalement, en 1991, le plan adopté pour la reconstruction est signé par le plus gros bureau
d’étude du Moyen-Orient de l’époque : Dar al-Handasah. Mais lorsque le plan du bureau
d’étude est publié, il inquiète déjà. Effectivement, Nabil Beyhum (sociologue) renchérit : «
La rocade fera du centre-ville une véritable forteresse, un ghetto de luxe difficilement
accessible aux habitants des quartiers périphériques. » Il ajoute que Beyrouth sera
transformée en « prétentieuse futuropole, banale et décervelée, lamentablement
occidentalisée avec ses tours de fer et de verre »34
. Le journaliste Joseph Tarrab trouve que
le schéma directeur est obsolète, basé sur une réflexion urbanistique dépassée et surtout très
formelle pour une ville comme Beyrouth, à la vitalité si frappante. L’architecte Jad Tabet
trouve même que ce plan est « plus destructeur que la guerre elle-même »35
.
33
Beyrouth, l’ancienne ligne de combats a la veille de la reconstruction [texte imprimé]
Lié à : Les cahiers de l’institut d’aménagement et d’urbanisme de la région ile de France, no 104-105, aout 1993
(0153-6184)
Auteurs : Huybrechts, E
Type de documents : Article de revue – Description matérielle :p. 219-229 : photogr. ; Plan
34
Guerre de tranchées pour une reconstruction [texte imprimé]
Lié à : Urbanisme, no265-265, juin/juillet 1993 (1240-0874)
Auteurs : Lagrande, Claire
Type de document : Article de revue-Description materielle : p87-89 : ill., plan ; carte
35
Guerre de tranchées pour une reconstruction [texte imprimé]
Lié à : Urbanisme, no265-265, juin/juillet 1993 (1240-0874)
Auteurs : Lagrande, Claire
Type de document : Article de revue-Description materielle : p87-89 : ill., plan ; carte
26
Le 15 Octobre 1992, le plan directeur du centre-ville a été adopté au Conseil des ministres
dans le but de permettre le montage financier du projet. Ce dernier « est présenté sous la
forme d’un plan masse. Ce projet privé est ambitieux puisqu’il propose de reconstruire
près de 4 440 000 m2
de planchers sur l’ancien centre-ville et sur des extensions sur la
mer. »36
. Parmi ces 444ha, « 61ha de bâtiments anciens seraient conservés et réhabilités
pour un patrimoine évalué avant la guerre à 140ha »37
. 80ha du patrimoine sont donc
irrécupérables et nous assistons toujours en 2015 à la destruction de ces quelques morceaux
de pierre qui restent. Dans ce même plan, des projets « modernes », formés en partie de
tours de 40 étages posées sur un urbanisme de dalle et desservies par des voies rapides, sont
mis en place.
Le projet est finalement financé par un investisseur privé d’après-guerre « Solidere » : la
Société Libanaise de Développement et de Reconstruction.
Durant cette époque, Solidere a fait face à de nombreux problèmes juridiques et
économiques insolvables à cause de la guerre et des lois sur les loyers. Les émigrés et les
portés disparus ne facilitaient pas non plus l’affaire puisqu’il est difficile d’obtenir leurs
accords. La société décide donc d’exproprier le territoire par décret et d’effacer le
parcellaire, qui est l’ADN de la ville ; une démarche audacieuse mais qui allait changer tout
le plan urbain du centre-ville d’un coup : une table rase.
36,19
Sharp, D. (2010). The battle for Beirut's buildings | Deen Sharp. [online] the Guardian. Available at:
http://www.theguardian.com/commentisfree/2010/apr/01/beirut-buildings-dubai-skyscraper [Accessed 12 Dec.
2014].
27
D.R, « L'état du du centre-ville d'après-guerre (en noir: les zones préservées;
en blanc: les routes et espaces libres; en hachuré: les zones détruites), 1991. 38
Google Earth, Le Beyrouth d'aujourd'hui (2015), où on ne reconnait que la place de l'étoile, Mai 2015.
38
Guerre de tranchées pour une reconstruction [texte imprimé]
Lié à : Urbanisme, no265-265, juin/juillet 1993 (1240-0874)
Auteurs : Lagrande, Claire
Type de document : Article de revue-Description materielle : p87-89 : ill., plan ; carte
28
Solidere se charge de la reconstruction rapide du centre-ville détruit par la guerre civile.
Elle commence par les bâtiments de styles coloniaux ottomans et français qui avaient été
transformés en ruines. La reconstruction totale de l'âme historique du centre-ville de
Beyrouth était une déclaration politique puissante mais architecturalement faible. La
communauté architecturale libanaise n’est pas très fière de ce que la compagnie a
reconstruit. Le projet est souvent décrit comme un « Disney Downtown ». La société se
préoccupait de reconstruire des bâtiments ottomans et français détruits pendant la guerre
alors qu’un peu plus loin dans la ville, les vrais constructions ottomanes et françaises
étaient détruites pour être remplacées par des grattes ciels.39
La préoccupation majeure lors de la reconstruction était la récupération des couches les
plus anciennes de la ville comme les thermes romains, les églises byzantines, les
monuments ottomans et ceux du mandat français. Toutefois, l’architecte Libanais Bernard
Khoury40
trouve qu’une impasse sur la période post-1943 (après la fin du mandat français)
a été faite et qu’un énorme bond de près de 50 ans a été réalisé. Pourtant, il existe un tas
d’architectes modernes de cette époque dont le travail n’a pas été reconnu comme Raoul
Verney, Maurice Hindié, Khalil Khoury, et bien d’autres hommes qui ont changé
l’architecture de Beyrouth par leur modernité. Ce courant moderniste persiste dans les
années 1960, et Beyrouth, dès la fin de cette décennie, offre déjà une importante sélection
internationale et unique de l'architecture moderne. Cependant, ce riche patrimoine,
construit principalement par des constructeurs et architectes libanais, disparait jour après
jour : à titre d’exemple, les Grands Magasins Byblos conçus par Pierre El Khoury au
centre-ville de Beyrouth en 1960 et démolis par Solidere, ou encore l’Hotel Carlton conçu
par Karol Schayer en 1957 et démoli en 2008.
39
Sharp, D. (2010). The battle for Beirut's buildings | Deen Sharp. [online] the Guardian. Available at:
http://www.theguardian.com/commentisfree/2010/apr/01/beirut-buildings-dubai-skyscraper [Accessed 12 Dec.
2014].
40
RUKH L'esprit du nouveau monde arabe, (2012). Les Rebelles ne sont pas ceux que l'on croit.
29
41
Les grands magasins Byblos, Pierre Naltchayan photographe, l’hôtel Carlton, Karol Schayer,
El Khoury architectes, 1960 Wassek Adib, Bahij Maksidi architectes, 1957.
Beyrouth a du mal à incorporer la « modernité » des architectes stars étrangers comme
Zaha Hadid, Jean Nouvel, Herzog et De Meuron, Norman Foster et bien d’autres. La
capitale accueille aujourd’hui des projets qui viennent d’ailleurs et qui ont du mal à
s’intégrer et à se marier à la vie et au contexte urbain. Le centre-ville n’appartient
désormais plus au Libanais, mais au privé, à l’étranger. Des architectes libanais qui ont
longuement vécu et compris la ville auraient-ils conçu Beyrouth de la même manière ?
Comme l’a si bien dit Khoury: « Nous ne sommes pas Dubaï - nous avons une âme. ».
Beyrouth cherche à désertifier ses terrains plein d’histoire alors que Dubaï construit ses
déserts pour marquer l’histoire. La capitale du Liban subit une destruction des quelques
bâtiments patrimoniaux restants dans la ville. Malheureusement, Beyrouth perd son identité
jour après jour. En effet, avec le temps, cette âme disparait et fait du centre-ville une belle
zone urbaine, certes, mais uniquement dans les cartes postales. Le « Paris du Moyen-
Orient » se transforme très vite en «Dubaï du Levant »42
. Les architectes et la société civile
ont beau protesté contre ce changement, mais en vain.
41
Archipostalecarte.blogspot.fr, (2014). Architectures de Cartes Postales 2: La Modernité sous le soleil. [online]
Available at: http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/11/la-modernite-sous-le-soleil.html [Accessed 20 Apr.
2015].
42
Sharp, D. (2010). The battle for Beirut's buildings | Deen Sharp. [online] the Guardian. Available at:
http://www.theguardian.com/commentisfree/2010/apr/01/beirut-buildings-dubai-skyscraper [Accessed 12 Dec.
2014].
30
Chapitre 3 : Un patrimoine détruit (Etude de cas)
A Beyrouth, les constructions se multiplient et la ligne d’horizon change de jour en jour
laissant place à des tours de plus en plus hautes. Ces constructions sont souvent rendues
possibles par des lois de planification obsolètes. Ces lois déclarent que plus les bâtiments
sont en retrait par rapport à la rue, plus les limites maximales de hauteurs grandissent. Les
promoteurs profitent donc de la situation pour acheter plusieurs terrains et agrandir leurs
sites de sorte que les bâtiments s’éloignent des rues et montent en hauteur.
En réalité, ces grands sites comportent souvent un ou plusieurs bâtiments historiques et
patrimoniaux que l’on démolit pour permettre la construction. « Sama Beirut » (le Ciel de
Beyrouth), par exemple, a causé la destruction d’immeubles Art Déco datant du mandat
Français.
Ce chapitre détaille un autre exemple illustrant aussi la situation.
Anonyme, Destruction d’une ancienne bâtisse, 201543
En 2015, la maison Houssami à Aïn Mreissé, datant de la seconde moitié du XIXe siècle, a
été démolie par un promoteur immobilier. Du jour au lendemain, les habitants du quartier
se réveillèrent avec un bâtiment qui manque à leur cadre de fenêtre. Cet immeuble avait été
détruit sous prétexte qu’il s’agissait d’un « danger public », un argument qui suffit pour que
les acteurs obtiennent le permis de démolition. Comme le dit si bien May Makarem, « le
43
MAKAREM, M. (2015). Une bâtisse vieille de 150 ans ? Hop, on démolit ! - May MAKAREM.
[online] L'Orient-Le Jour. Available at: http://www.lorientlejour.com/article/914557/une-batisse-
vieille-de-150-ans-hop-on-demolit-.html [Accessed 10 May 2015].
31
génocide de l’héritage architectural continue. Bientôt, la maison traditionnelle qui raconte
150 ans de l’histoire sociale du pays sera bannie du vocabulaire beyrouthin. ».44
Une des raisons pour laquelle les destructions de vieilles bâtisses se multiplient est la
grande facilité d’obtenir le permis de détruire, comparée à l’immense difficulté d’obtenir
l’autorisation de restaurer. En effet, après avoir préparé le dossier comportant « l’acte de
propriété, l’attestation d’alignement, les plan de la maison, l’étude de la réflexion »45
et
bien d’autres documents qui ont besoin de près de 3 mois pour être fournis, l’architecte
présente sa demande au bureau technique de la municipalité avant de la soumettre au
ministère de la Culture et au gouvernorat. Quand le permis de réflexion est obtenu, il n’est
valable que pour 6 mois.
Jusqu'à la fin des travaux, ce permis doit donc être renouvelé tous les 6 mois en ré-
entamant les mêmes formalités auprès des mêmes administrations. Entre-temps, tous les
travaux doivent être suspendus, la maison étant à risque d’être mise sous scellés si les
ouvriers sont attrapés au travail par la police.
Dans l’intervalle, d’après un specialiste44
, il faut aussi renouveler l’acte de propriété et
l’attestation d’alignement (zone foncière du bâtiment et largeur des routes devant la
propriété).
Il est important de noter que les anciens bâtiments ne répondent souvent pas aux nouvelles
normes du XXIe siècle appliquées aux bâtiments (le chauffage, la climatisation, les salles
de bains, les cuisines). Les propriétaires des vieilles demeures sont donc découragés de
restaurer ou rénover. Pour les habitations non-rénovées depuis plus de 50 ans, la
destruction suivie d’une reconstruction est donc souvent plus facile et économique.
44
MAKAREM, M. (2015). Une bâtisse vieille de 150 ans ? Hop, on démolit ! - May MAKAREM.
[online] L'Orient-Le Jour. Available at: http://www.lorientlejour.com/article/914557/une-batisse-
vieille-de-150-ans-hop-on-demolit-.html [Accessed 10 May 2015].
45
MAKAREM, M. (2015). Une bâtisse vieille de 150 ans ? Hop, on démolit ! - May MAKAREM.
[online] L'Orient-Le Jour. Available at: http://www.lorientlejour.com/article/914557/une-batisse-
vieille-de-150-ans-hop-on-demolit-.html [Accessed 10 May 2015].
32
Partie 3 : Une ruine monument d’après-guerre
Gabriele BASILICO, Le "Beirut City Center" à la fin de la guerre civile, 1991.46
Lorsque les conflits commencent en 1975, la construction du «Beirut City Center », qui
avait pour vocation d’être le plus grand centre commercial du Moyen-Orient, est encore
inachevée. Une seule tour uniquement aura été construite avant le déclenchement de la
guerre.
Suite aux 15 années de guerre, le projet a en grande partie disparu. L'œuf et le grand vide
du parking souterrain sont les seuls fragments restants des plans originaux de Karam. Le
projet initial est maintenant amputé à cause de la guerre et il ne lui reste que son dôme. Les
passants ont du mal à deviner ce que ce bâtiment abrite de nos jours et surtout ce à quoi il
servait auparavant. Il est aujourd’hui un repère dans la ville, un monument, malgré tous les
46
Galerieannebarrault.com, (1991). Gabriele Basilico • Galerie Anne Barrault. [online] Available at:
http://www.galerieannebarrault.com/gabriele_basilico/photo_eng.html [Accessed 15 May 2015].
33
éléments qui lui manquent. Paul Virilo47
(urbaniste français né en 1932) le décrit de bunker
ou même de « Monolithe», faisant référence à sa structure massive qui est toujours debout
malgré les attaques subies.
Dans cette partie, je vais m’attarder sur ce à quoi ressemble le dôme aujourd’hui. Je vais
ensuite m’intéresser à l’avis des gens et à l’opinion publique quant à la conservation du
dôme, pour enfin m’attarder sur les différents projets prévus sur le site du « Beyrouth City
Center » dont celle de Malek Mahmassani, Bernard Khoury, et Christian de Portzamparc.
47
Failedarchitecture.com, (2013). The Value of a War-Scarred Ruin in Beirut — Failed Architecture. [online]
Available at: http://www.failedarchitecture.com/the-value-of-a-war-scarred-ruin-in-beirut [Accessed 17 Dec.
2014].
34
Chapitre 1 : Les conflits qui tournent autour du dôme
Depuis la fin de la guerre, une grande partie de la zone entourant le « Beirut City Center » a
été restaurée par une société de développement privée, Solidere, dont le fondateur est le
milliardaire Rafik Hariri, premier ministre de 1992 à 1998 et de 2000 à 2004. Elle poursuit
ses milliards de dollars d’investissement pour le développement du centre-ville et continue
à nommer des architectes stars étrangers pour la reconstruction de la ville. Elle envisageait
même la construction d’un circuit de formule 1 en pleine ville avant que Hariri ne soit
assassiné le 14 Février 2005 en plein centre-ville suite à une voiture piégée.
Au cours de l’histoire, le projet du «Beirut City Center » s’est vu transformé d’un ensemble
moderniste d’avant-guerre à un monument brutaliste d’après-guerre « The Egg » (en raison
de sa forme emblématique restante). Ce dôme aujourd’hui fait écho à l’architecture
brutaliste de Claude Parent, notamment l'église de Sainte Bernadette de Banlay à Nevers
(France), à laquelle on aurait rajouté des cicatrices, des trous, des stigmates de guerre et des
obus.
Sainte-Bernadette du Banlay, Nevers, 1963-196648 Raphaël SAMAHA, « The Egg » aujourd’hui, 2015
Prévu pour être démoli au début des années 2000, le « Beirut City Center » est parmi les
dernières structures à Beyrouth montrant les cicatrices de la guerre. Cependant, les dégâts
n’ont jamais empêché les libanais de faire la fête, même pendant la guerre, pour oublier les
ennuis, les problèmes, et la misère qu’ils vivent. D’ailleurs, ce même endroit, cette ruine de
guerre, abritait pendant les combats et les conflits des soirées folles où les jeunes
s’amusaient, oubliaient la réalité, dans l’une des parties de la ville les plus fragiles. Même
après la fin de la guerre, au début des années 2000, le « Beirut City Center » accueille
toujours des soirées dites « techno » alors que la ville est bondée de bars. Pourquoi les
Libanais cherchent-il à se rappeler et à évoquer la guerre même en faisant la fête (comme
dans le B018 conçu par Bernard Khoury en 1998 où les tables de la boîte de nuit
ressemblent à des cercueils)? Comment parvenir à dire le soir même d’un attentat que « la
vie continue » et danser jusqu’au lendemain?
48
Meonline.hu, (2010). Claude Parent. [online] Available at: http://meonline.hu/en/magyar-epitomuveszet-
hirek/claude-parent/ [Accessed 3 Feb. 2015].
35
En 2004, le Dôme était proche d’être démoli. En effet, le directeur général de Solidere à
l’époque, Nasser Chamma, déclare à « The Wall Street Journal »49
la volonté de la
compagnie de se débarrasser de cette ruine. Mais tout bascule lorsque cette même société
invite des architectes stars comme Jean Nouvel et Philippe Stark à Beyrouth pour entre
autre prendre leur avis sur ce qui reste du « Beirut City Center ». La démolition est ainsi
remise en question après avoir appris l’admiration des deux invités envers « The Egg ».
Quelques semaines plus tard, Solidere nomme Bernard Khoury afin de développer une
structure éphémère de 5 à 6 ans « le temps de trouver une solution à la parcelle
correspondante »50
. Mais suite à l’assassinat de Hariri le 14 Février 2005, le
développement de la ville de Beyrouth subit un grand changement et l’intérêt principal de
la société devient l’immobilier faisant abstraction de la proposition de Khoury.
En 2005, Solidere vend le terrain sur lequel se trouve l’œuf à une somme exorbitante à
ADIH (Abu Dhabi Investment House) dans le cadre du projet « Beirut Gate » avec un
souhait de maintenir le dôme dans la nouvelle conception en le « renouvelant ou en
concevant un bâtiment similaire »51
. Une fois encore, le dôme est à tout moment
susceptible d’être démoli n’étant pas protégé de manière juridique. De plus, comme
Georges Arbid l’explique, « la façon avec laquelle Solidere a vendu le terrain empêche la
sauvegarde de l'œuf. »52
. La zone constructible vendue comprend la zone où l'Œuf se
trouve, ne laisse aucune possibilité réelle pour sauver la structure. Pourtant, Solidere pense
que la structure va être préservée.
Sachant que le Dôme occupe 6 000 à 7 000 m2 de la surface du terrain de 39 000m2 (soit
plus de 15% de la superficie du site); ADIH aurait-elle été prête à minimiser ses gains et à
sacrifier une partie de la surface bâtie pour répondre aux souhaits de Solidere et celui des
Libanais?
C’est bizarrement la guerre de 30 jours en 2006 et la crise financière qui sauvent « The
Egg » et empêchent sa destruction. On ne comprend plus si la guerre est pour ou contre la
ville, si elle est destructrice ou sauveuse. C’est comme si elle essayait de rattraper l’erreur
que la guerre civile a commise en redonnant vie au bâtiment qu’elle a détruit.
49,27,28
primeconsult.net, (2009). Untitled Document. [online] Available at:
http://www.primeconsult.net/frpress.asp?id=80 [Accessed 7 Jan. 2015].
52
june 2009
EXECUTIVE Lebanon
P48-54
Real estate – Beirut in an eggshell
« Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centreville de Beyrouth, protégé des étudiants libanais
qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan de réhabilitation ?
36
Cependant, la guerre de 2006 a quand même mis fin à des expositions d’art contemporain
qui avaient lieu dans le Dôme. Les manifestations culturelles telles que les théâtres ou les
évènements commémorant les Libanais disparus pendant la guerre civile n’ont pu durer que
5 ans dans cette ruine de guerre. Depuis, le terrain du « Beirut City Center » est enveloppé
d’une clôture et des gardes de sécurité surveillent le terrain. L’accès au public y est donc
interdit pour des raisons de sécurité.
En 2009, le site est vendu à « Olyan Group » et c’est ensuite au tour de l’architecte
Français Christian de Portzamparc (en partenariat avec un bureau libanais) de dessiner un
projet dans le site où se trouve le « Dôme ». Deux modèles ont été proposé sur les lieux,
l’un conservant la salle de cinéma et l’autre la détruisant. Effectivement, d’après le maître
d’ouvrage53
, Solidere a donné la permission de détruire l’œuf. Le choix n’a toujours pas été
fait et le travail est dit « en cours ». D’après Zouheir Berjawi54
(EDMAX Manager à
Solidere), il existe aussi une nouvelle proposition d’un autre architecte qui est cependant
toujours confidentielle vu que la société travaille toujours sur l’avenir du « Beirut City
Center ».
Aujourd’hui les touristes remplissent les pavillons du centre-ville de Beyrouth qui sont
bordées par des cafés et des restaurants italien, français et méditerranéen. Le
redéveloppement du centre-ville a effacé presque tous les signes de la guerre. Toutefois,
cette rénovation prise en charge par Solidere est très souvent critiquée notamment par
Assem Salam, un architecte libanais qui trouve que Beyrouth « a été faite avec un mépris
total pour la mémoire de la ville. »55
Les activistes du « Save Beirut Heritage » se battent
en permanence pour avoir une loi de conservation qui protègerait tous les anciens bâtiments
à Beyrouth de leur démolition.
Comme la situation du pays, les avis et les décisions sur l’avenir de l’œuf changent du jour
au lendemain. En effet, l’état de la région et celui de la ruine évoluent parallèlement : d’une
part les arabes achètent le terrain où se trouve le dôme, d’autre part ils prennent les
décisions sur le Liban de demain. Quand l’avenir du « Beirut City Center » est incertain,
l’avenir du pays est inconnu. Lorsque les avis changent sur l’importance du dôme dans
l’héritage architectural Libanais, les partis-pris des politiciens changent aussi. Il existe un
lien fort, étroit et mystérieux entre la situation de la région et celle du dôme. Et pour
l’instant, tout comme Beyrouth, le Dôme résiste à tous ces conflits et se bat pour rester en
vie.
53
Now.mmedia.me, (2012). Beirut's Heritage to the Highest Bidder?. [online] Available at:
https://now.mmedia.me/lb/en/reportsfeatures/beiruts_heritage_to_the_highest_bidder [Accessed 22 Nov. 2014].
54
Voir Annexe
55
Journal, B. (2004). Returning to Beirut,An Architect HasDesigns on Its Future. [online] WSJ. Available at:
http://www.wsj.com/articles/SB108811743418347154 [Accessed 22 Nov. 2014].
37
Bernard KHOURY DW5, Plans existants de l’etat actuel, 2004.
38
Chapitre 2 : Les protestations pour la conservation du dôme
Les Libanais sont pessimistes. Ils ne croient plus à l’avenir du « Beirut City Center ». En
effet, les opinions publiques à travers les sites internet56
, montrent l’avis et le parti-pris que
les Libanais prennent face à ce dilemme acharné :
- «Je suis ici pour dire au revoirà l'œuf, je suis réaliste. Il va être
complètement changé. C’est triste ... Ce ne sera plus le nôtre.
Après Solidere tout le centre-ville n’est plus mon espace. »
Mira Minkara – l’une des organisatrice du Eggathering
- « On nous a volénotre patrimoine, ce n’est pas juste ... Nous
souhaitons que les libanais se mobilisent pour sauver ce qui
reste du patrimoine de Beyrouth. »
Joanna Hammour - membre du groupe « Save Beirut Heritage »
- «D'autres palais et bâtiments ont été détruits et les gens ne se sont
même pas révoltés »
Naji Raji – activiste Libanais
- « Avons-nous besoin de plus d'hôtels et de bureaux? Beyrouth manque
d'espaces culturels publics accessibles à tout le monde ... et l'œuf a un
charme unique. Le centre-ville est peu accueillant. Une grande partie est
fermée, et l’autre est uniquement consacrée aux hommes riches. Nous
avons besoin d'un lieu de rassemblement culturel. »
Pia Bou Khater – activiste Libanaise
56
Now.mmedia.me, (2012). Beirut's Heritage to the Highest Bidder?. [online] Available at:
https://now.mmedia.me/lb/en/reportsfeatures/beiruts_heritage_to_the_highest_bidder [Accessed 22 Nov. 2014].
39
Le débat sur la possibilité de démolir la structure ou non a suscité un intérêt public
important. Dania Bdeir, étudiante à l'AUB, lance un groupe Facebook « Save The Egg» en
2009. Quelques semaines plus tard, le groupe atteint 5000 membres et des débats se créent.
Une grande partie des discussions ne sont pas centrés sur l’architecture du bâtiment même,
mais plutôt sur le rôle que l'oeuf joue dans l'identité libanaise. Ce dôme devient un élément
moteur pour une nouvelle guerre, qui a est à la recherche de l'identité du centre-ville et du
Liban.57
Pour certain, ce lieu est indescriptible, c’est un endroit touchant qui les rend ému et qui agit
dans la ville comme un monument. Pour d’autres, au contraire, cette ruine est laide et le fait
de le garder est une absurdité en estimant que pas tous les bâtiments datant de plus de 50
ans et ayant résistés à la guerre doivent être préservés.
Les autorités quant à elles, ne veulent pas investir dans la conservation du patrimoine vu
que ça ne leur rapporte rien comparé à l’investissement immobilier
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Real estate – Beirut in an eggshell
« Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centreville de Beyrouth, protégé des étudiants libanais
qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan de réhabilitation ?
40
Chapitre 3 : Les projets de réhabilitation
Que faire du « Beirut City Center » ? Il est très difficile de décider si la ruine doit être
rénovée ou restaurée. Dans le cas d’une restauration, quel est le programme adéquat? Il est
indispensable de trouver une solution qui résout tous les problèmes que le Dôme
d’aujourd’hui présente. C’est là où le génie de l’architecte joue son jeu. Comment répondre
au désir de tous en conservant « The Egg » tout en rappelant que la guerre fait partie de
l’histoire de la ville et permet d’évoluer ? Comment présenter un projet visionnaire
s’inspirant de la situation Libanaise actuelle pour se projeter dans le futur sans oublier le
passé? Comment rendre le projet le plus rentable possible et satisfaire les objectifs de
Solidere quand le Dôme occupe prêt de 20% du terrain ? Des centaines de questions se
posent dans ce projet critique et sensible, et aucune solution ne peut être proposée sans une
analyse approfondie du site, du contexte, de la société, de l’histoire, des conflits et des
traditions.
Depuis la fin de la guerre civile, plusieurs projets ont été prévus pour remplacer le « Beirut
City Center ». En effet, en 1998, l’agence Malek Mahmassani Architectural Practice
(MMAP) a été nommée par Solidere pour concevoir le nouveau siège du Ministère des
Finances, mais le projet a été interrompu. En 2004, Bernard Khoury a été chargé de
concevoir une réhabilitation éphémère de l’Œuf ; cependant, la proposition de Khoury a été
abandonnée. Enfin, en 2009, Christian de Portzamparc a été choisi pour construire un hôtel
5 étoiles sur le terrain en ayant la possibilité de réhabiliter le dôme.
41
1998 : Malek Mahmassani Architectural Practice (MMAP) – Ministère des Finances
Comme après toute guerre, le but est de tout reconstruire le plus vite possible. En 1998,
l’agence Malek Mahmassani Architectural Practice (MMAP) a été nommée par Solidere
pour concevoir le nouveau siège du Ministère des Finances.
C’est lorsque les premiers travaux de construction commencent que l’on découvre qu’un
importateur de voitures avait reçu un stock neuf qu’il avait mis à l’abri pendant la guerre
aux deux niveaux les plus bas. Or ces niveaux étaient situés en dessous de la nappe
phréatique et des pompes d’eau assuraient l’étanchéité du bâtiment. L’électricité ayant été
coupée durant les bombardements, tout a été inondé et abandonné. Les travaux de
construction du ministère ont donc été inaugurés par la découverte des voitures rouillées et
leur repêchage.
Le projet consistait à remplacer la seule tour construite avant le déclenchement de la guerre
par une nouvelle tour à côté de l'œuf transformant le site en « Head Office » du ministère
des finances. Une fondation de quatre étages avait commencé à être réalisée en sous-sol
avant que le projet ne soit jeté à l’eau en raison de conflits politiques entre Rafik Hariri et
El Hoss (premier ministre de l’époque). En effet, Solidere voulait construire le projet et le
faire louer au ministère des finances.58
Raphaël SAMAHA, le « Beirut City Center » aujourd’hui, 20 Avril 2015
En visitant le site aujourd’hui, nous distinguons deux types de structure. En effet, au
complexe vient se greffer une structure en béton lisse de décoffrage dont les armatures
d’attentes rouillées sont perceptibles. Il s’agit de la structure du Ministère des Finances qui
devait être construit.
58
Voir Annexe.
42
Malek MAHMASSANIi, Plan du deuxième étage proposé montrant la conservation du dôme au nord et l’intégration d’une tour
de bureau au sud, 1998, Solidere
43
Malek MAHMASSANI,, Coupe proposée montrant la conservation du dôme et l’intégration d’une tour de bureau, 1998, Solidere
44
Photographies montrant les rajouts de la structure du ministère des finances :
59
60
59
Les 4 premières photographies sont prises personnellement lors de la visite du terrain le 20 Avril 2015
60
Les 2 dernières photographies sont prises par Edgard GHANIME lors de la même visite le 20 Avril 2015
45
2004: Proposition de Bernard Khoury
En 2004, après avoir décidé d'épargner le bâtiment, Solidere ne savait pas quoi en faire.
Khoury saute alors sur l'occasion. L'architecte Libanais formé à Harvard, présente une
solution avant-gardiste pour faire revivre la structure. Il propose d’envelopper le mortier et
le béton du dôme en ruine par des miroirs, le transformant en une surface réfléchissante. Le
projet devait avoir une durée de vie de 5 à 6 ans le temps de décider de l’avenir du terrain.
Cette ruine formée d’enchevêtrement de tiges d’acier tordues, de béton cassé et de poutres
rouillées fascinent Khoury. Toutefois, contrairement à Arbid, Khoury estime61
que l’œuf
n’a aucune valeur architecturale. Il considère que sa richesse provient de son histoire et
espère dans sa proposition croiser voire unir le passé et le future de Beyrouth dans son
présent.
D’après le site de l’architecte62
, le projet devrait être un remède à la ville cosmopolitaine en
absorbant l’environnement fluctuant et congestionné externe et en complétant l’action de la
ville à l’intérieur.
Khoury propose de démolir le premier étage et les vestiges de la seconde dalle pour effacer
la plateforme sur laquelle se dresse le théâtre et ainsi offrir une hauteur plus généreuse au
rez-de-chaussée. Un processus d'excavation permettrait d’exploiter la dalle inférieure pour
permettre à la lumière naturelle de pénétrer dans les espaces inférieurs. Ce line-up de
"vitrines" horizontales transformera la plate-forme en une interface perméable dont la
structure évoque celle des jardins français.
La coquille du théâtre serait enveloppée d’une mosaïque de miroirs. Ce traitement couvre
la peau de l’œuf déchirée et froissée par la guerre et permet surtout de transformer le dôme
en une surface réfléchissante. Cet effet aurait pour but d'alléger le volume du théâtre et de
refléter les images déformées et fragmentées de l’entourage actif.
Khoury parle de la création d’un « jardin électronique » situé dans le vide de 9 mètres qui
avait résulté de la démolition de la tour du « Beirut City Center » dans les années 90 et de
l’excavation débutée pour la construction du Ministère des Finances. Ce vide, couvert par
une toile pour projeter des vidéos, deviendrait un autre élément essentiel à l’intervention de
Khoury. « La prothèse », un écran de 16,8 mètres par 11,3, sera placée sur la façade sud du
61
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« Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centreville de Beyrouth, protégé des étudiants libanais
qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan de réhabilitation ?
62
Bernardkhoury.com, (2004). Bernard Khoury / DW5. [online] Available at:
http://www.bernardkhoury.com/projectDetails.aspx?ID=102 [Accessed 18 Mar. 2015].
46
nouveau « Beirut City Center » (où la coque avait été amputée) créant ainsi une nouvelle
interface cybernétique au projet.
Au-delà de son exposition physique spectaculaire au centre-ville de Beyrouth, le réseau de
l'espace électronique mettra en avant de nouveaux types d'expositions, des spectacles, des
concerts et des événements interactifs accessibles via le portail Internet « Beirut City
Center ». Khoury parle d’une adresse très visitée pouvant former un point de rencontre
important qui relierait la ville physique à la communauté virtuelle. La planification de
l’édifice aurait été développée en fonction des nouveaux espaces électroniques. Toutefois,
ce concept exige une mise à jour permanente sachant que la technologie et les accès aux
réseaux ne font qu’évoluer au fil des années. Mais la proposition avait une durée de vie
limitée à 5 ans ; donc l’obsolescence des équipements, et par suite du projet, aurait pu être
évitée.
Bernard Khoury DW5, Façade proposée pour la réhabilitation du dôme, 200463
Dans un dossier reçu par Solidere lors de l’entretien avec Zouheir BERJAWI64
, une
perspective indique la mise en place d’un immense échafaudage qui s’étend sur l’ensemble
de la parcelle, donnant ainsi l’impression qu’il s’agit d’un chantier permanant en
construction.
63
Bernardkhoury.com, (2004). Bernard Khoury / DW5. [online] Available at:
http://www.bernardkhoury.com/projectDetailsImages.aspx?ID=102 [Accessed 5 Dec. 2014].
64
Voir annexe
47
Bernard Khoury DW5, vue sur le dôme depuis la mosquée, 200465
En raison de la flexibilité nécessaire du programme, des boîtes autonomes qui seront
aménagées par les futurs opérateurs habiteront progressivement les surfaces ouvertes. Les
seuls éléments fixes du projet seront ses infrastructures. La ville contemporaine est en
pleine croissance. Le projet a donc un rôle symbolique d’évoluer avec le temps et de suivre
le rythme des habitants.
Il s’agit donc d’une proposition contemporaine qui marque son époque par la technologie,
et les réseaux. Elle évoque également le passé en conservant le dôme, l’enveloppant et le
protégeant de miroirs, mais elle est surtout projetée dans l’avenir par ce principe de « plug-
in » où des commerçants, des artisans, ou autres s’approprieront l’espace ouvert au rez-de-
chaussée en s’installant autour de la structure supportant « The Egg ».
65
Bernardkhoury.com, (2004). Bernard Khoury / DW5. [online] Available at:
http://www.bernardkhoury.com/projectDetailsImages.aspx?ID=102 [Accessed 5 Dec. 2014].
48
Bernard KHOURY DW5, Plan proposé pour le premier étage, 2004
Bernard KHOURY DW5, Coupe proposée, 2004
49
2009: Proposition de Christian de Portzamparc
En 2009, la famille Saoudienne Olayan choisit Christian de Portzamparc pour construire un
hôtel 5 étoiles sur le terrain avec une vue sur la mer. Le bureau propose le réaménagement
de l’espace en conservant l’œuf. Le projet (Beirut Gate) se développe sur 2 parcelles (75
650 m2 au total): la parcelle 987 qui comporte le dôme et occupe 40 650 m2 ; et la parcelle
qui se situe en face de l’église et de la mosquée, qui s’étend sur une surface de 35 000 m2.
L’idée était de concevoir des tours comportant 275 chambres tout en maintenant l’œuf, le
transformant en repère et icone pour l’hôtel. La salle de cinéma existante deviendrait un
restaurant ou une salle de spectacles et, pour compléter le programme du projet et
accompagner l’hôtel et l’œuf, des logements (sur une surface de 25 000 m2) et des bureaux
(sur une surface de 10 000 m2) occuperaient la parcelle qui se situe en face de la
mosquée.66
Christian de PORTZAMPARC, perspective du projet proposé, 2009
Christian de PORTZAMPARC, plan RDC du projet proposé, 2009
66
Christian de Portzamparc, (2011). BEYROUTH - OLAYAN - Christian de Portzamparc. [online] Available at:
http://www.portzamparc.com/fr/projects/beyrouth-olayan-2/ [Accessed 18 Mar. 2015].
50
Le bureau Français pense faire du dôme un repère pour son projet et faire du projet un
repère pour la ville, alors qu’aujourd’hui l’œuf est déjà une icône de Beyrouth et un
véritable repère urbain. Dévoré par les tours qui l’entourent, l’œuf perdrait de sa valeur et
passerait de dominant à dominé, de présent à masqué, de symbole de ville à symbole de
projet.
Pour la plupart des Libanais, la réalisation de ce projet serait une étape supplémentaire dans
la « Dubaisation » de Beyrouth. Le projet est aujourd’hui mis en suspens depuis Février
2013 et le client avoue qu’il est incapable de prendre le risque de se lancer dans un tel
projet avec la situation politique actuelle.
67
Christian de PORTZAMPARC, perpective et plan masse proposé, 2009
67
Les plans, et les perspectives sont tirés du site officiel de l’architecte français Christian de Portzamparc :
Christian de Portzamparc, (2011). BEYROUTH - OLAYAN - Christian de Portzamparc. [online] Available at:
http://www.portzamparc.com/fr/projects/beyrouth-olayan-2/ [Accessed 18 Mar. 2015].
51
Conclusion
Beyrouth n’est pas une métropole. Son centre-ville d’aujourd’hui n’occupe plus la place de
premier rang dans la région du Moyen-Orient. Aujourd’hui reconstruit, il a du mal à attirer
les touristes, les employés, les compagnies, les immigrants, les Libanais ou encore les
Beyrouthins même. Ses magnifiques bureaux et ses logements de millions de dollars sont
largement inhabités. Ses vestiges archéologiques sont peu visités et ses ruines de guerre
sont souvent rénovées ou reconstruites au lieu d’être restaurées. Jour après jour, Beyrouth
perd son identité et sa fortune patrimoniale.
L’espace urbain à Beyrouth est à la recherche d’une fonction. « Le luxe ostentatoire des
immeubles, les points forts de la ville conçus à la saoudienne, et les fonctions et services
urbains très limités [sont des] facteurs de ségrégation sociale, d’exclusion même pour
l’immense majorité des Libanais. »68
Le privé conçoit un centre-ville anarchique encerclé
des vrais quartiers de Beyrouth où l’on retrouve l’âme de la capitale. Avec le temps, ce
centre grandit et cette âme s’éloigne de plus en plus du centre-ville, de la capitale, des
banlieues voire du pays.
Les opinions et les partis-pris des Libanais sur l’avenir Beyrouth sont très radicaux et les
compromis n’existent quasiment pas. Michael F.Davie69
parle (en 1993 à l’aube de la
reconstruction) d’une ville entière à l’échelle levantine rêvée par les « nostalgiques », et
d’un centre-ville à l’échelle mondiale désiré par les « novateurs ». Or aucun des deux n’est
conscient que ces rêves sont presque irréalisables et que Beyrouth provient de conjonctures
historiques bien précises.
L’architecture étant la matière de la ville, son histoire et celle de la ville sont intimement
liées. En effet, l’état du « Beirut City Center » avant, pendant, et après la guerre résume
l’histoire complexe de la capitale durant les 50 dernières années. Le territoire de Beyrouth
est chargé d’histoire et est loin d’en faire une « ville banale ».
Ayant témoigné et résisté à tous les évènements de ce dernier demi-siècle, « The Egg » est
un monument de l’architecture moderne d’avant-guerre transformé en un monument du
patrimoine d’après-guerre. Lorsque Beyrouth était encore considérée comme le « Paris du
Moyen-Orient », le projet, destiné à être le plus grand centre commercial de la région
arabe, marque son époque et devient symbole du modernisme d’avant-guerre. Le dôme est
ensuite gravement endommagé durant la guerre civile de 15 ans et est aujourd’hui un
68,25
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« Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centreville de Beyrouth, protégé des étudiants libanais
qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan de réhabilitation ?
52
monument par sa présence rebelle et brutaliste formant l’une des rares ruines maintenues
intactes en plein centre-ville. Les libanais se battent pour garder l’œuf en vie et refusent
qu’il subisse le même sort que les anciennes bâtisses riches dans leur histoire qui ont été
détruites par des promoteurs.
Les conflits à Beyrouth sont tous représentés sous la forme architecturale de l’Œuf. Les
polémiques, les problèmes et les désaccords se sont tous concrétisés dans cette ruine de
guerre. Le message qui se cache derrière son architecture est un appel à tous les Libanais.
C’est lorsqu’ils réussiront tous à s’entendre sur le destin de cette ruine (et sur celui des
autres qui trainent dans la ville), que les conflits prendront fin au Liban. Amin Maalouf
parle d’une « époque qui mérite d'être dépassée, mais certainement pas oubliée; et qui
mérite d’être dépeinte avec passion, sans être pour autant ennoblie, ou "désenlaidie" ». Il
ajoute qu’il a même refusé depuis longtemps « d'apprendre les nouvelles routes, les
nouveaux noms, les nouveaux visages. Un jour, peut-être, son attitude changera. Lorsque le
pays qu’il aime, sans pour autant redevenir celui qu’il a connu, aura commencé à
ressembler à celui qu’il a toujours désiré: un pays capable d'assumer à la fois son héritage
et sa modernité. »
53
Bibliographie
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Ouvrages:
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Jacques Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ; Correspondance de Amin Maalouf ;
Postface de Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar.
 Yacoub, G. (2003). Dictionnaire de l'architecture au Liban au XXème / Gebran Yacoub. Beyrouth,
Liban: Alphamedia.
55
Article:
 Beyrouth, l’ancienne ligne de combats a la veille de la reconstruction [texte imprimé]
Lié à : Les cahiers de l’institut d’aménagement et d’urbanisme de la région ile de France, no 104-
105, aout 1993 (0153-6184)
Auteurs : Huybrechts, E
Type de documents : Article de revue – Description matérielle :p. 219-229 : photogr. ; Plan
 Guerre de tranchées pour une reconstruction [texte imprimé]
Lié à : Urbanisme, no265-265, juin/juillet 1993 (1240-0874)
Auteurs : Lagrande, Claire
Type de document : Article de revue-Description materielle : p87-89 : ill., plan ; carte
 June 2009
EXECUTIVE Lebanon
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Real estate – Beirut in an eggshell
« Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centre-ville de Beyrouth, protégé des
étudiants libanais qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan
de réhabilitation ?
 RUKH L'esprit du nouveau monde arabe, (2012). Les Rebelles ne sont pas ceux que l'on croit.
56
Annexes
1- Entretien avec Zouheir BERJAWI à Solidere le Mercredi 22 Avril 2015
- Que représente le « Beirut City Center » pour Solidere
Le « City Center » est formé d’immeubles de bureaux construits avant le début de la guerre mais il a été
sévèrement endommagé vu qu’il était situé sur la « ligne verte » qui divisait le pays entre est et ouest.
Le « City Center » représente un « landmark » par son dôme et par son « architecture lay-out ». Je peux
t’être très utile non pas en te donnant des détails de sièges, de hauteurs et de règlementations mais en
t’expliquant le principe du « Restoration Brief » à Solidere. En effet, tous les bâtiments classés « Not to
be fully demolished and to be redeemable or restored » ont un « restoration brief ». Il s’agit d’un détail
historique du bâtiment existant que voici (document donné). Je te donne un fichier copié contenant des
photos de l’état du bâtiment lorsqu’on a récupéré le bâtiment après la guerre, des images qui montrent
les dégâts présents, son histoire, les surfaces, les hauteurs, le programme, etc. Aujourd’hui, ce bâtiment
est en restauration et son design subit un changement. Mais nous conservons le dôme. Il est marqué
« not to be demolished ».
- Il s’agit d’un bureau d’architecture Français qui se charge de la restauration, n’est-ce pas ?
Oui en effet, c’est plutôt un « joint-venture » entre le Liban et la France
- C’est quelle bureau au Liban ?
MZ, c’est eux qui travaillent sur le design du dôme.
Plusieurs propositions ont déjà été faites dont celle de Malek Mahmasani.
- Et Bernard Khoury…
Bernard Khoury a travaillé uniquement sur le dôme
- Pouvez-vous me parler un peu plus de Mahmasani ?
Malek Mahmasani est un architecte libanais de renommée qui a déjà travaillé sur de nombreux projets
au Liban. Il a un très grand bureau. C’est lui qui avait conçu le ministère des finances.
- Oui, au début des années 90 si je ne me trompe pas…
Exactement. Mais une fois qu’il y a eu des conflits politiques entre Rafik Hariri et El Hoss, le projet a été
annulé car Solidere voulait construire le projet et le faire louer au ministère des finances. Le but était de
57
transformer le « Beirut City Center » en « Head Office » du ministère des finances mais le projet a été
mis en suspens depuis ces conflits.
- Avez-vous prévu des plans pour les autres ruines de guerre présentes à Beyrouth comme la
« tour morr » ou le « Holiday Inn » par exemple?
Bien sûr, tous les bâtiments situés au centre-ville ont un « restoration Brief » ou un « Development
Brief ». Le « Development Brief » est appliqué aux bâtiments classés que nous intégrons dans le planning
urbain de la ville. Il reste les bâtiments qui persistent qui n’ont toujours pas été restaurés et qui ne sont
pas nombreux comme le « Beirut City Center » ou le « Beirut Trade Center » connu sous le nom de
« Burj el Morr », 2 ou 3 immeubles à « Zaa el Blat » et 3 autres à « Mina el Hosn ».
- Parlant du « Burj el Morr », quel est le destin de cette ruine ?
Il y a plusieurs propositions qui ont été faites dont celle de « quipe zarafa design » (bureau canadien), où
on propose de transformer la ruine en un immeuble de bureaux tout en agrandissant le terrain et en
ajoutant 14 étages (aux 40 étages existants). Une autre proposition est de démolir la tour et de
reconstruire autre chose sur le terrain. Sinon, on propose de le conserver et de modifier quelques
choses. Le problème de cet immeuble est la hauteur sous plafond de 3m50. En effet, si nous voulons le
transformer en tour de bureaux, cette hauteur ne suffit pas.
- Pour revenir à notre sujet du « Beirut City Center », comment avez-vous décidé du programme
qui allait se faire pour la rénovation / restauration?
Tous les bâtiments autour sont bureautiques d’après le plan urbain conçu pour la ville de Beyrouth. En
principe, le bâtiment sera gouvernemental.
- Pourquoi est-il interdit de rentrer dans le « Beirut City Center » et de prendre des photos du
dôme?
Nous interdisons cela pour des raisons de sécurité.
- J’ai appris que des expositions ont été faites à l’intérieur du bâtiment en ruine. Est-ce toujours le
cas aujourd’hui ?
Oui, en effet, quelques expositions ont été réalisées au premier étage du dôme mais aujourd’hui la
situation du pays ne nous permet plus de faire d’autres évènements du genre.
- Est-il vrai que des voitures ont été trouvées dans les sous-sols du site ?
58
C’est vrai ! Il y avait 24 voitures. Et le kilométrage était encore nul. Elle venait tout juste d’arriver du
port. Si elles n’avaient pas été trempées et rouillées, chaque voiture aurait valu 1 million de dollars.
Mais malheureusement la guerre a tout emporté. Les voitures ont été cachées au 4ème sous-sol et
pendant la guerre l’eau avait atteint le deuxième sous-sol. Lorsque les voitures ont été retirées, elles
étaient toutes irrécupérables.
- Savez-vous quand les voitures ont été retirées?
Oui, en 1996/1997, après la reconstruction d’une grande partie de Beyrouth. Ce bâtiment a tardé à être
reconstruit vu qu’il est marqué dessus : « Not to be demolished »
En fin de compte on a décidé de ne conserver que le dôme.
- Est-ce que la fonction de cinéma sera conservée dans « The Egg » ?
Il y aura un auditorium dans le bâtiment.
- A qui appartient le terrain aujourd’hui ?
A Solidere.
- J’avais pourtant appris que le terrain a été acheté a maintes reprises, c’est vrai ?
Il y a eu pas mal de ventes du terrain mais aujourd’hui le terrain appartient à Solidere.
- Enfin si je comprends bien, vous avez reçu plusieurs propositions entre celle de Malek
Mahmassani, celle de Christian de Portzamparc…
Et il y a encore un nouveau mais c’est toujours confidentiel vu qu’on travaille toujours dessus.
- Vous n’avez donc toujours pas décidé quel est le destin du « Beirut City Center » ?
Non non non. Le travail est toujours en cours.
- Quels sont donc les critères sur lesquels vous allez vous baser pour le choix du bon projet ?
Il y a en fait un comité formé d’architectes locaux et internationaux qui prennent la décision.
59
Bernard KHOURY DW5, Plans existants de l’etat actuel, 2004.
60
Bernard KHOURY DW5, Plans existants de l’etat actuel, 2004.

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Samaha-Raphael_ENSAPB_Memoire-Echange_2015

  • 1. 1 SAMAHA Raphaël QUAND UNE ARCHITECTURE RACONTE L’HISTOIRE D’UNE VILLE « BEIRUT CITY CENTER » UNE ARCHITECTURE MODERNE D’AVANT-GUERRE TRANSFORMÉE EN MONUMENT D’APRÈS-GUERRE Mémoire de Master, Séminaire Patrimoine et Projet, Année 2015, Enseignants Encadrants : JACQUIN Laure. ENSA Paris-Belleville, 60 Boulevard de la Villette, 75019, Paris
  • 2. 2 Sommaire Remerciements.............................................................................................................................................3 Introduction ..................................................................................................................................................4 Visite du « Beirut City Center » le 20 Avril 2015...........................................................................................8 Partie 1 : Le « Beirut City Center » : un projet moderne d’avant-guerre ...................................................10 Partie 2 : Beyrouth en « re-destruction »...................................................................................................17 Chapitre 1 : La reconstruction en France après la deuxième guerre mondiale......................................18 Église Notre-Dame de Saint-Lô ...........................................................................................................18 Le village d’Oradour-sur-Glane...........................................................................................................19 Saint-Malo...........................................................................................................................................21 Chapitre 2 : La reconstruction à Beyrouth après la guerre de 1975.......................................................23 Chapitre 3 : Un patrimoine détruit (Etude de cas) .................................................................................30 Partie 3 : Une ruine monument d’après-guerre .........................................................................................32 Chapitre 1 : Les conflits qui tournent autour du dôme ..........................................................................34 Chapitre 2 : Les protestations pour la conservation du dôme ...............................................................38 Chapitre 3 : Les projets de réhabilitation ...............................................................................................40 1998 : Malek Mahmassani Architectural Practice (MMAP) – Ministère des Finances.......................41 2004: Proposition de Bernard Khoury ................................................................................................45 2009: Proposition de Christian de Portzamparc.................................................................................49 Conclusion...................................................................................................................................................51 Bibliographie...............................................................................................................................................53 Annexes.......................................................................................................................................................56
  • 3. 3 Remerciements Je tiens à remercier mon encadrant Laure JACQUIN pour ses conseils et le temps qu’elle a consacré au développement de mon article. J’aimerais remercier aussi toute personne qui a aidé d’une façon ou d’une autre à la préparation de ce document. Je pense notamment à George ARBID et Bernard KHOURY pour les précieux plans fournis, Zouheir BERJAWI pour les informations offertes durant l’entretien, André TRAD dont les conseils et les contacts étaient indispensables, et surtout le directeur adjoint de mon école d’architecture au Liban (ALBA) Mazen HAIDAR qui m’a donné la chance de vivre une telle expérience à Belleville et qui m’a surtout conseillé de choisir ce séminaire. Enfin, je tiens à remercier du fond du cœur tous mes proches et surtout mes parents et ma sœur pour leur soutien, leur aide, et leur amour.
  • 4. 4 Introduction Après la fin du mandat français (1918 – 1943), le Liban vit une période libérale et prospère dans les années 60. Le « Paris du Moyen-Orient »1 constituait la plaque tournante, commerciale, et financière de la région. La position géographique de la ville impliquait une escale obligatoire des pays provenant des quatre extrémités du monde. Beyrouth était une interface et un point de distribution entre le monde producteur et le monde consommateur. Google Earth, Zoom in Liban/Beyrouth, 2015 Mais entre 1975 et 1990, et comme le décrit si bien l’architecte Belge Jacques Liger-Belair, « Le Liban sombre dans une longue guerre civile, qui n'est pourtant pas tout à fait sa guerre. La ville de Beyrouth s'embrase, se dresse contre elle-même quartiers Est contre quartiers Ouest. C'est le temps de la violence aveugle. Hommes, femmes, enfants, innocents, fuient, sont mutilés, meurent. La ville est ravagée. Son centre historique, lieu de toutes les rencontres, de toutes les convivialités, devient terrain d'affrontement, lieu de mort. Les murs de pierre et de béton, qui sont la chair de la ville, sont profondément meurtris, comme le sont ses habitants, dans leurs chairs et leurs esprits. Lorsque cette folie prendra fin, les Beyrouthins se retrouveront, ensemble, et découvriront, effarés, la longue ligne de fractures, de démarcation entre les deux parties de Beyrouth... et son centre-ville 1 Sharp, D. (2010). The battle for Beirut's buildings | Deen Sharp. [online] the Guardian. Available at: http://www.theguardian.com/commentisfree/2010/apr/01/beirut-buildings-dubai-skyscraper [Accessed 12 Dec. 2014].
  • 5. 5 ravagé. »2 . Beyrouth s’était ainsi vue divisée par une «ligne verte» délimitant la partie entièrement chrétienne à l’est de la partie musulmane à l'ouest. D’après Ghassan Tueni (journaliste et homme politique Libanais), « d’explosion en implosion, la Ville changeait de visage comme elle changeait de nom, de maitre et de dieu. »3 Après ces 15 années de guerre, les quelques vies restantes espèrent récupérer ce qui reste de la ville et reconstruire la capitale détruite. Elles se lancent donc dans un grand projet de reconstruction et le centre-ville de la capitale est ainsi détenue par un investisseur privé d’après-guerre « Solidere » : la Société Libanaise de Développement et de Reconstruction. Mais pour la société Beyrouthine, ce sujet est très délicat. Effectivement, le fait qu’une entreprise privée politisée soit chargée de reconstruire et de développer des espaces publics pour tous les Libanais est difficilement accepté. Le contraste entre l’ancien et le nouveau a impliqué de nombreuses polémiques. Pour les habitants de Beyrouth, le passé ne doit être ni nié ni oublié car il fait partie de l’histoire et permet d’évoluer. Ils insistent à conserver les monuments de guerre intacts pour rappeler l’Histoire et considèrent que ces bâtiments sont des icônes du centre-ville de Beyrouth et que leurs cicatrices servent de leçons pour les générations futures. Solidere et les promoteurs, au contraire, préfèrent rénover et reconstruire au lieu de restaurer. Aujourd’hui, ces monuments de guerre, entourés de tous les côtés d’architecture moderne, font désormais partie du patrimoine de Beyrouth et 25 ans plus tard, alors que la ville a largement eu le temps de se faire reconstruire, quelques ruines tiennent encore debout et n’ont pas été démolies. Beyrouth se trouve ainsi parsemée de ruines de guerre délaissées dont le destin reste jusqu’au jour d’aujourd’hui incertain. D’après Abdul-Halim Jabr (architecte et ancien professeur à l’AUB) « Ces ruines sont dans des terrains contestées, et font aussi partie d’une histoire contestée.»4 Le Holiday Inn, conçu par André Wogenscki, en est un parfait exemple. Cet hôtel a vu le jour quelques jours seulement avant le début des conflits et a été transformé pendant la guerre en site de bataille où les chrétiens et les musulmans se tiraient dessus. Trois autres exemples connus sont la Tour Morr avec ses quarante étages de béton gris transformée en repère urbain visible depuis toute la ville ; le Grand Théâtre qui est l’un des joyaux cachés de Beyrouth ; et l'œuf. Face au dilemme acharné entre la préservation et la démolition, « l’œuf », ou aussi le « Dôme », est un bâtiment atypique brutaliste abandonné situé dans le centre de Beyrouth. 2 Liger-Belair, Jacques, Maalouf, Amine, Tuéni, Ghassan, (2002). Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de Jacques Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ; Correspondance de Amin Maalouf ; Postface de Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar. 3 Liger-Belair Jacques, Maalouf Amine, Tuéni Ghassan, (2002). Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de Jacques Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ; Correspondance de Amin Maalouf ; Postface de Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar. 4 News, L. and unclear, F. (2014). Fate of Beirut’s war ruins still unclear. [online] The Daily Star Newspaper - Lebanon. Available at: http://www.dailystar.com.lb/News/Lebanon-News/2014/May-19/256931-fate-of-beiruts- war-ruins-still-unclear.ashx [Accessed 16 Dec. 2014].
  • 6. 6 Il symbolisait, avant le début de la guerre, l’architecture moderne de la capitale. Aujourd’hui marqué par les plaies de guerre, il prend une position rebelle dans le tissu urbain existant. Amputé, il s’est incrusté dans la conscience de la ville et est devenu un élément essentiel à son paysage, un véritable repère urbain. SAMAHA Raphaël, « The Egg » aujourd’hui dans son contexte, 20 Avril 2015. Les images et photographies du « Dôme » ne reflètent que le visuel et ne rendent pas au bâtiment justice. En effet, visiter ce symbole de Beyrouth est une véritable expérience. Le bâtiment parle aux passants, visiteurs, et touristes, et dialogue avec les bâtiments rénovés qui l’entourent. C’est grâce à sa position au sein de l’architecture environnante que nous réalisons que Beyrouth est une ville pleine de contrastes, que ce soit sur le plan culturel, religieux, ou politique. Ces contrastes se reflètent dans l’architecture de la ville et créent de sérieuses discussions entre les urbanistes, les architectes, les politiciens et les citoyens. La question de l’héritage culturel de Beyrouth est un véritable enjeu et les opinions diffèrent à ce sujet. Entre restauration, reprogrammation, réutilisation, ou même démolition, des débats sans fin prennent place. L’œuf est au centre de cette bataille qui définira l’avenir architectural de la ville. En parcourant l’histoire du Dôme, nous réalisons que nous sommes capables de réécrire l’histoire du pays. Chaque courbe du bâtiment, chaque morceau de matériau, et même le nom originel qu’il portait raconte et reconstitue le passé, sa complexité, ses conflits et ses contradictions. Beyrouth est l’une des villes les plus riches sur le plan historique ; comprendre et raconter ce qu’elle endure ces 50 dernières années est extrêmement
  • 7. 7 difficile. « The Egg », toutefois, le fait parfaitement. Avec ses cicatrices, ses blessures, et les traces d’obus, l’œuf renferme l’histoire de la ville et personnifie l’âme de Beyrouth. Si l’âme de Beyrouth pouvait être perçue, elle aurait ressemblé à la ruine du « Beirut City Center ». Sur ce, comment « The Egg » passe-t-il d’un monument de l’architecture moderne d’avant- guerre à un monument du patrimoine d’après-guerre? Mon étude tente de répondre à cette problématique en se basant sur des articles publiés, des documentaires, des discours de Libanais, des entretiens, et des ouvrages dont principalement « Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de Jacques Liger-Belair » où cet architecte Belge dessine la ville avant, pendant, et après la guerre en accompagnant ses croquis de poèmes. Ainsi, je vais m’intéresser d’abord au « Beirut City Center » comme projet moderne d’avant-guerre pour ensuite m’attarder sur la destruction des bâtiments patrimoniaux de la capitale du Liban pendant mais surtout après la guerre, et enfin me concentrer sur la ruine du « Beirut City Center » transformée en monument d’après-guerre.
  • 8. 8 Visite du « Beirut City Center » le 20 Avril 2015 5 5 SAMAHA Raphaël, Photos montrant l’état du “Beirut City Center” aujourd’hui, 20 Avril 2015
  • 9. 9 6 6 SAMAHA Raphaël, Photos montrant l’état du “Beirut City Center” aujourd’hui, 20 Avril 2015
  • 10. 10 Partie 1 : Le « Beirut City Center » : un projet moderne d’avant-guerre Le « Beirut City Center », icône du modernisme libanais d’avant-garde, occupe l’un des plus prestigieux endroits de Beyrouth. Il s’agit d’un repère urbain brutaliste construit en 1968 situé à la porte du centre-ville sur l’avenue Fouad Chehab. Formé au Liban, l’auteur de ce projet aux multiples usages, Joseph Philippe Karam, est l’un des architectes contemporains les plus remarquables de l’époque. Beaucoup de bâtiments construits par Karam ont été détruits durant la guerre civile et les rares constructions restantes ont été démolies pour faire place à des développements de grande hauteur, notamment le Bâtiment Gondole, à Raouché, démoli en 2004.7 L’œuf, lui, tient toujours. Dans le site internet dédié au travail du maitre d’œuvre (1923-1976), on associe son travail à celui de grands architectes modernes : « On retrouve dans ses différentes œuvres la créativité révolutionnaire de Le Corbusier, les formes fluides et raffinés d’Oscar Niemeyer, et parfois la brutal puissance de Kenzo Tange. »8 . Toutefois, dans le cas de « The Egg », ceci est moins le résultat du travail de l’architecte Libanais que de l’impact de l’histoire et de la guerre. En effet, la construction passe d’un projet moderniste à la manière de Le Corbusier avant le début de la guerre, à un dôme sombre et brutaliste à la manière de Tange après la fin de la guerre. 7 June 2009 EXECUTIVE Lebanon P48-54 Real estate – Beirut in an eggshell « Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centre-ville de Beyrouth, protégé des étudiants libanais qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan de réhabilitation ? 8 (1923-1976), H. Joseph Philippe Karam. [online] Joseph-philippe-karam.com. Available at: http://www.joseph- philippe-karam.com/ [Accessed 21 Nov. 2014].
  • 11. 11 9 SAMAHA Raphaël, Carte du centre-ville montrant en rouge l’emplacement du « Beirut City Center », 27 Avril 2015, Archide.files.wordpress.com, (2010). [online] Available at: https://archide.files.wordpress.com/2010/01/mds-beirut- urban-scheme.jpg [Accessed 27 Apr. 2015] 9 Archide.files.wordpress.com, (2010). [online] Available at: https://archide.files.wordpress.com/2010/01/mds- beirut-urban-scheme.jpg [Accessed 27 Apr. 2015].
  • 12. 12 Un dessin de l'un des plans originaux de Joseph Philippe Karam. « The Egg » est en réalité un dôme de 24 mètres de large et de 11 mètres de haut abritant une salle de projection de 1 000 places en lévitation au-dessus du bâtiment. Cet effet de gravité est assuré grâce à un cinéma « réalisé suivant le principe de la double peau en béton armé »10 reposant sur des rotules. L’espace intérieur de « l’œuf » est donc dépourvu de piliers. Selon Georges Arbid (professeur à l’Université Américaine de Beyrouth), « il s’agit d’une des rares structure en libre forme dans la ville, chose difficile à exécuter dans le temps, d’où sa valeur architecturale »11 . Karam profite de l’espace inférieur de cette forme libre pour placer un ensemble de magasins ; une solution qui découlait des règlementations de l’époque, interdisant une élévation en hauteur du bâti au-dessus de salle de spectacle. Au programme, vient s’ajouter un grand parking formé de six étages sous- terrain de 22 000 mètres carrés et une station routière pour les taxi-services. 10 Yacoub, G. (2003). Dictionnaire de l'architecture au Liban au XXème / Gebran Yacoub. Beyrouth, Liban: Alphamedia. 11 June 2009 EXECUTIVE Lebanon P48-54 Real estate – Beirut in an eggshell « Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centre-ville de Beyrouth, protégé des étudiants libanais qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan de réhabilitation ?
  • 13. 13 Ensuite, l’architecte entoure « The Egg » de deux tours de bureaux. D’après le site dédié au travail de l’architecte12 , le projet est un complexe polyvalent concentré principalement sur l’hybridation de trois programmes : le commercial, le socio-culturel, et les espaces bureautiques. Le projet se traduit donc par trois éléments liés au rez-de-chaussée par une bande, formant ainsi un ensemble harmonieux. Cette construction correspond à l’esprit de l’âge d’or de la modernité architecturale libanaise. En 1965, durant l’année de sa construction, le « Beirut City Center » fait déjà partie d’un ensemble de bâtiments modernistes. Avant le début de la guerre civile de 1975, bien que le projet soit à moitié terminé, le « Beirut City Center » se vente par les développeurs Samadi et Salha comme étant le plus grand centre commercial du Moyen- Orient. Ce complexe devait être construit par phases mais n’a jamais été totalement complété. Effectivement, une des deux tours n’a jamais été construite à cause du déclenchement de la guerre en 1975. Le projet a donc été interrompu par la guerre et endommagé avant même d’être achevé. 12 (1923-1976), H. Joseph Philippe Karam. [online] Joseph-philippe-karam.com. Available at: http://www.joseph- philippe-karam.com/ [Accessed 21 Nov. 2014].
  • 14. 14 Joseph Philippe KARAM, Plan du Rez-de -chaussé comportant un ensemble de magasin et les circulations verticales, George ARBID (Arab Center for Architecture), 1965.
  • 15. 15 Joseph Philippe KARAM, Plan du premier étage comportant la salle de cinéma à l’intérieur du dôme, des commerces et les circulations verticales, George ARBID (Arab Center for Architecture), 1965.
  • 16. 16 Joseph Philippe KARAM, Plan de l’étage courant comportant des bureaux, George ARBID (Arab Center for Architecture), 1965.
  • 17. 17 Partie 2 : Beyrouth en « re-destruction » Entre 1975 et 1990, Beyrouth sombre dans une longue guerre violente et brutale qui cause endormement de dégâts matériels en plus des pertes humaines. Aujourd’hui, la phase de reconstruction est loin d’être terminée et les stigmates de guerre sont toujours visibles sur quelques bâtiments dans la ville. Cette reconstruction succède souvent à la démolition d’immeubles traditionnels et patrimoniaux pour maximiser les profits en construisant des tours d’habitation ou de bureaux. Elle est équivalente à une seconde destruction, la première ayant été causée par la guerre ; mais contrairement à la précédente, elle est cette fois volontaire. Dans cette partie, je vais d’abord m’attarder sur la reconstruction en France après la deuxième guerre mondiale en me basant sur deux exemples (celui du village d’Oradour- sur-Glane et de la cathédrale Saint-Lô), pour ensuite m’attarder sur la reconstruction qui a lieu au Liban de 1990 à aujourd’hui. Raphaël SAMAHA, Chargement en cours…, Avril 2015
  • 18. 18 Chapitre 1 : La reconstruction en France après la deuxième guerre mondiale Après la deuxième guerre mondiale, malgré la destruction de près du quart de la France et la mort de plus de 500 000 enfants, la victoire des alliés nourrit beaucoup d’espoir. Des investissements soutenus par les aides américaines étaient consacrés à la reconstruction de la France. Il fallait, comme à Marseille, respecter les données locales tout en prenant compte des nécessités de l’urbanisme. Il fallait, comme à Toulon, rester dans l’esprit français tout en adoptant des solutions novatrices, et il fallait prendre en compte les quartiers détruits. En résumé, il fallait dépenser 2500 milliards pour restaurer ou édifier 2400 000 bâtiments.13 Je vais m’intéresser en particulier à 3 exemples de reconstruction en France en relation avec mon sujet. Église Notre-Dame de Saint-Lô et la restauration Notre-Dame de Saint-Lô est une église gothique érigée à partir du treizième siècle14 . Après les bombardements de Juillet 1944, l’édifice est amputé de sa façade ouest, privé de ses voûtes et de sa tour Nord. Il n’en est resté que la tour Sud (sans sa flèche), le chœur et les bas-côtés. Ce lieu est devenu une ruine de guerre. En 1953, Yves-Marie Froidevaux (architecte en chef des monuments historiques), décide d’en faire un mémorial contre la guerre. Après quatre années de travail, l’édifice conserve dans sa restauration les stigmates de la guerre, la façade disparue ayant été remplacée par un mur pignon aveugle.15 C’est ainsi que la ville, en situation de table rase, qu’on pensait abandonner a été transformée en l’un des plus forts symboles de la reconstruction caractérisée par de riches promenades architecturales. « Les architectes ont recréé […] une ville moyenne avec tous les éléments d’un chef-lieu de département. »16 13 Logement, É. (2005). Film d'archive actualités de 1952 Reconstruction de la France sept ans après la fin de la seconde guerre mondiale état des lieux de la crise du logement. [online] Dailymotion. Available at: http://www.dailymotion.com/video/xk1g5j_film-d-archive-actualites-de-1952-reconstruction-de-la- france-sept-ans-apres-la-fin-de-la-seconde-gu_shortfilms [Accessed 19 May 2015]. 14 www.normandie-heritage.com, (n.d.). L’église Notre-Dame de Saint-Lô - Normandie Héritage. [online] Available at: http://www.normandie-heritage.com/spip.php?article733 [Accessed 19 May 2015]. 15 AM, I. (n.d.). Eglise Notre-Dame / Patrimoine / Histoire et patrimoine / Découvrir Saint-Lô / Accueil / Racine - Ville de St-Lô. [online] Saint-lo.fr. Available at: http://www.saint-lo.fr/Decouvrir-Saint-Lo/Histoire-et- patrimoine/Patrimoine/Eglise-Notre-Dame [Accessed 19 May 2015]. 16 Paril.crdp.ac-caen.fr, (n.d.). [online] Available at: http://paril.crdp.ac- caen.fr/_PRODUCTIONS/ressources_culturelles/parcours_patrimoine_stlo_.swf [Accessed 19 May 2015].
  • 19. 19 Ikmo-ned, Saint-Lô (Normandie, France). L'église Notre-Dame, 200717 Oradour-sur-Glane, et la « non-architecture » Le 10 juin 1944, au village d’Oradour-sur-Glane, 642 personnes, dont 247 femmes et 205 enfants de moins de 15 ans, ont été fusillées ou brûlées par une unité de la deuxième division SS Das Reich.18 Ce village situé à 22Km au nord-ouest de Limoges, connu pour avoir conservé les traces de la seconde guerre mondiale19 , a été classé monument historique en 1946. Devenu 17 Fr.wikipedia.org, (2007). Église Notre-Dame de Saint-Lô. [online] Available at: http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Notre-Dame_de_Saint- L%C3%B4#/media/File:FranceNormandieSaintLoEgliseNotreDame.jpg [Accessed 19 May 2015]. 18 AFP, and AFP, (2013). Oradour-sur-Glane, village martyr de la barbarie nazie. [online] Libération.fr. Available at: http://www.liberation.fr/societe/2013/09/04/oradour-sur-glane-village-martyr-de-la-barbarie-nazie_929293 [Accessed 19 May 2015]. 19 Oradour.org, (n.d.). Histoire du centre | Centre de la mémoire d'Oradour. [online] Available at: http://www.oradour.org/fr/content/histoire-du-centre [Accessed 19 May 2015].
  • 20. 20 rapidement le symbole de la barbarie nazie20 , ce lieu de mémoire invite près de 300 000 visiteurs par an à plonger dans un flashback qui montre de manière claire et concrète les dégâts causés par la guerre. La mise en scène pédagogique, émotionnelle, et mémorielle dans ce village impose le silence aux passants. Le village, où le choix de réaliser une « non-architecture »21 a été adopté, nécessite un entretien régulier afin de maintenir les bâtiments restants dans leurs états de ruine. Un centre de la mémoire y a été inauguré en juillet 1999 par le président Jacques Chirac. Guillaume BONNAUD, Le village d’Oradour-sur-Glane, 201422 20 AFP, and AFP, (2013). Oradour-sur-Glane, village martyr de la barbarie nazie. [online] Libération.fr. Available at: http://www.liberation.fr/societe/2013/09/04/oradour-sur-glane-village-martyr-de-la-barbarie-nazie_929293 [Accessed 19 May 2015]. 21 Oradour.org, (n.d.). Histoire du centre | Centre de la mémoire d'Oradour. [online] Available at: http://www.oradour.org/fr/content/histoire-du-centre [Accessed 19 May 2015]. 22 Cottin, S. (2014). Massacre d'Oradour-sur-Glane en 1944 : un octogénaire inculpé pour meurtre. [online] SudOuest.fr. Available at: http://www.sudouest.fr/2014/01/08/massacre-d-oradour-sur-glane-en-1944-un- octogenaire-inculpe-pour-meurtre-1423080-7.php [Accessed 19 May 2015].
  • 21. 21 Saint-Malo, et la restitution à l’identique En Août 1944, les troupes américaines bombardent brutalement la vieille ville de Saint- Malo afin d’effacer toute poche de résistance allemande. La région est ainsi détruite à 80% après avoir brulé pendant plus de 10 jours23 . Sur 854 édifices, 700 sont détruits et près de 6500 personnes sont sans abri24 . Après de longs débats entre reconstruction à l’identique (processus long et coûteux) et reconstruction à la manière de Brest ou du Havre suivant des formes plus géométriques pour une réalisation plus rapide25 , Raymond Cornon, architecte en chef des monuments historiques de Saint-Malo, relève le défi de faire renaître la ville de ses centres en remontant pierre par pierre et durant 22 ans la cité corsaire.26 Toutefois, la restitution à l’identique présente des inconvénients. Par exemple, le port de Saint-Malo accueillait, en 1939, 90 voiliers traditionnels pratiquant la pêche à la morue ; ils ne sont plus qu’une quinzaine en 1950. D’après Erwan Le Gall27 , « en se focalisant trop sur son passé détruit par les bombes, Saint-Malo en a presque hypothéqué son avenir. » Saint-Malo en 1944 - Quartier Saint-Vincent Saint-Malo aujourd'hui - Quartier Saint-Vincent28 23 Saint-Malo (1944-1966) - La cité corsaire - Une reconstruction unique au monde. (2012). [video] Available at: https://www.youtube.com/watch?v=NKS-TsV1fjg [Accessed 19 May 2015]. 24 GALL, E. (2013). 1950 : La renaissance malouine. [online] Enenvor.fr. Available at: http://enenvor.fr/eeo_actu/apresW/1950_la_renaissance_malouine.html [Accessed 19 May 2015]. 25 GALL, E. (2013). 1950 : La renaissance malouine. [online] Enenvor.fr. Available at: http://enenvor.fr/eeo_actu/apresW/1950_la_renaissance_malouine.html [Accessed 19 May 2015]. 26 Utilisateur, S. (2013). Saint-Malo en 1944, images d'une ville fantôme - Partie 1 - Saint-Malo-Rama. [online] Saint-Malo-Rama. Available at: http://www.saint-malo-rama.com/2013/05/10/saint-malo-en-1944-images-d-une- ville-fantome-partie-1.html [Accessed 19 May 2015]. 27 GALL, E. (2013). 1950 : La renaissance malouine. [online] Enenvor.fr. Available at: http://enenvor.fr/eeo_actu/apresW/1950_la_renaissance_malouine.html [Accessed 19 May 2015]. 28 Utilisateur, S. (2013). Saint-Malo en 1944, images d'une ville fantôme - Partie 1 - Saint-Malo-Rama. [online] Saint-Malo-Rama. Available at: http://www.saint-malo-rama.com/2013/05/10/saint-malo-en-1944-images-d-une- ville-fantome-partie-1.html [Accessed 19 May 2015]
  • 22. 22 Saint-Malo en 1944 - Façade d'immeuble, place Chateaubriand Saint-Malo aujourd'hui - La place Guy La Chambre29 Saint-Malo en 1944 - Le Grand Donjon Saint-Malo aujourd'hui - Le Grand Donjon30 29 Utilisateur, S. (2013). Saint-Malo en 1944, images d'une ville fantôme - Partie 1 - Saint-Malo-Rama. [online] Saint-Malo-Rama. Available at: http://www.saint-malo-rama.com/2013/05/10/saint-malo-en-1944-images-d-une- ville-fantome-partie-1.html [Accessed 19 May 2015] 30 Utilisateur, S. (2013). Saint-Malo en 1944, images d'une ville fantôme - Partie 1 - Saint-Malo-Rama. [online] Saint-Malo-Rama. Available at: http://www.saint-malo-rama.com/2013/05/10/saint-malo-en-1944-images-d-une- ville-fantome-partie-1.html [Accessed 19 May 2015]
  • 23. 23 Chapitre 2 : La reconstruction à Beyrouth après la guerre de 1975 1991 : La ville est enfin apaisée, Libérée des hommes et engins de guerre. Ses architectures, ravagées et béantes, Sont débarrassées des enseignes, néons, devantures Et autres décors dérisoires qui s'étaient accumulés aux façades. Elles sont réduites à l'essentiel, Comme ces architectures antiques, décapées, Érodées par mille ans de vents et de désert, Tragiques sans doute, Mais parfois plus belles qu'elles ne furent jamais. Les eaux, ruisselant des réservoirs crevés en terrasses, Et suintant des égouts disloques... Et les pluies des hivers de la guerre Ont fertilisé les sols, les éboulis des voûtes et des murs effondrés. Une végétation exubérante a envahi ruines et ruelles, trottoirs défoncés, Et s'accroche aux terrasses et balcons. Les arbres ont grandi libres, sauvages, échevelés. La ville est devenue verte, et fleurit au printemps 1991... Seuls les chants d'oiseaux magnifient Le grand silence des lieux.31 Jacques Liger-Belair, « Beyrouth, ville ravagée », 1991/1992, Liger-Belair, Jacques, Maalouf, Amine, Tuéni, Ghassan, (2002). Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de Jacques Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ; Correspondance de Amin Maalouf ; Postface de Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar. 31 Liger-Belair, Jacques, Maalouf, Amine, Tuéni, Ghassan, (2002). Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de Jacques Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ; Correspondance de Amin Maalouf ; Postface de Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar.
  • 24. 24 1997 : « La ville se voile De bâches et de toiles, D’ocre, de vert, de bleu... Derrière ses oripeaux Accrochés aux façades, Et qui se balancent au vent. Elle se répare, Elle se remet à neuf, Maison par maison, Immeuble par immeuble. Et lorsque tombent les voiles, Réapparaissent alors Les couleurs de toujours, De calcaire clair, blond, De pierre de sable, rougeâtre, Et de tous les ocres jaunes... »32 Jacques Liger-Belair, « Beyrouth, ville ravagée », 1991/1992, Liger-Belair, Jacques, Maalouf, Amine, Tuéni, Ghassan, (2002). Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de Jacques Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ; Correspondance de Amin Maalouf ; Postface de Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar. 32 Liger-Belair, Jacques, Maalouf, Amine, Tuéni, Ghassan, (2002). Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de Jacques Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ; Correspondance de Amin Maalouf ; Postface de Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar.
  • 25. 25 Le Centre de Beyrouth a subi de nombreuses destructions durant sa riche histoire de 4 000 ans. La capitale renferme dans ses sous-sols des vestiges phéniciens, romains et ottomans. On dit que l’école romaine de droit est située à l’est de la place de l’étoile (principale construction durant le mandat français). Mais malheureusement, Beyrouth n’a jamais été fouillée de façon systématique. Il existe aujourd’hui une autre ville enterrée sous Beyrouth. La capitale a subit une dernière destruction durant les 15 années de guerre civile entre 1975 et 1990 et depuis la ville est méconnaissable. Les dégâts sont grands, et « 80% du patrimoine de Beyrouth a été soit détruit, soit endommagé par les combats […]. Plus de 530 immeubles ont été détruits ou sont irrécupérables et près de 850 sont à réhabiliter. Plus de 2 600 logements sont vacants.»33 . Même pendant la guerre, la préoccupation majeure des Libanais était la reconstruction de la ville. En effet, chaque accalmie s’accompagnait d’un plan de reconstruction : en 1977 avec l’atelier parisien d’urbanisme (Apur), en 1982 avec la société Oger, et en 1986 l’état fait appel à l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Ile-de-France (IAURIF) afin d’aboutir à un plan de reconstruction de Beyrouth dès la fin de la guerre. Malheureusement, aucun des points cités par l’IAURIF n’a été respecté. Finalement, en 1991, le plan adopté pour la reconstruction est signé par le plus gros bureau d’étude du Moyen-Orient de l’époque : Dar al-Handasah. Mais lorsque le plan du bureau d’étude est publié, il inquiète déjà. Effectivement, Nabil Beyhum (sociologue) renchérit : « La rocade fera du centre-ville une véritable forteresse, un ghetto de luxe difficilement accessible aux habitants des quartiers périphériques. » Il ajoute que Beyrouth sera transformée en « prétentieuse futuropole, banale et décervelée, lamentablement occidentalisée avec ses tours de fer et de verre »34 . Le journaliste Joseph Tarrab trouve que le schéma directeur est obsolète, basé sur une réflexion urbanistique dépassée et surtout très formelle pour une ville comme Beyrouth, à la vitalité si frappante. L’architecte Jad Tabet trouve même que ce plan est « plus destructeur que la guerre elle-même »35 . 33 Beyrouth, l’ancienne ligne de combats a la veille de la reconstruction [texte imprimé] Lié à : Les cahiers de l’institut d’aménagement et d’urbanisme de la région ile de France, no 104-105, aout 1993 (0153-6184) Auteurs : Huybrechts, E Type de documents : Article de revue – Description matérielle :p. 219-229 : photogr. ; Plan 34 Guerre de tranchées pour une reconstruction [texte imprimé] Lié à : Urbanisme, no265-265, juin/juillet 1993 (1240-0874) Auteurs : Lagrande, Claire Type de document : Article de revue-Description materielle : p87-89 : ill., plan ; carte 35 Guerre de tranchées pour une reconstruction [texte imprimé] Lié à : Urbanisme, no265-265, juin/juillet 1993 (1240-0874) Auteurs : Lagrande, Claire Type de document : Article de revue-Description materielle : p87-89 : ill., plan ; carte
  • 26. 26 Le 15 Octobre 1992, le plan directeur du centre-ville a été adopté au Conseil des ministres dans le but de permettre le montage financier du projet. Ce dernier « est présenté sous la forme d’un plan masse. Ce projet privé est ambitieux puisqu’il propose de reconstruire près de 4 440 000 m2 de planchers sur l’ancien centre-ville et sur des extensions sur la mer. »36 . Parmi ces 444ha, « 61ha de bâtiments anciens seraient conservés et réhabilités pour un patrimoine évalué avant la guerre à 140ha »37 . 80ha du patrimoine sont donc irrécupérables et nous assistons toujours en 2015 à la destruction de ces quelques morceaux de pierre qui restent. Dans ce même plan, des projets « modernes », formés en partie de tours de 40 étages posées sur un urbanisme de dalle et desservies par des voies rapides, sont mis en place. Le projet est finalement financé par un investisseur privé d’après-guerre « Solidere » : la Société Libanaise de Développement et de Reconstruction. Durant cette époque, Solidere a fait face à de nombreux problèmes juridiques et économiques insolvables à cause de la guerre et des lois sur les loyers. Les émigrés et les portés disparus ne facilitaient pas non plus l’affaire puisqu’il est difficile d’obtenir leurs accords. La société décide donc d’exproprier le territoire par décret et d’effacer le parcellaire, qui est l’ADN de la ville ; une démarche audacieuse mais qui allait changer tout le plan urbain du centre-ville d’un coup : une table rase. 36,19 Sharp, D. (2010). The battle for Beirut's buildings | Deen Sharp. [online] the Guardian. Available at: http://www.theguardian.com/commentisfree/2010/apr/01/beirut-buildings-dubai-skyscraper [Accessed 12 Dec. 2014].
  • 27. 27 D.R, « L'état du du centre-ville d'après-guerre (en noir: les zones préservées; en blanc: les routes et espaces libres; en hachuré: les zones détruites), 1991. 38 Google Earth, Le Beyrouth d'aujourd'hui (2015), où on ne reconnait que la place de l'étoile, Mai 2015. 38 Guerre de tranchées pour une reconstruction [texte imprimé] Lié à : Urbanisme, no265-265, juin/juillet 1993 (1240-0874) Auteurs : Lagrande, Claire Type de document : Article de revue-Description materielle : p87-89 : ill., plan ; carte
  • 28. 28 Solidere se charge de la reconstruction rapide du centre-ville détruit par la guerre civile. Elle commence par les bâtiments de styles coloniaux ottomans et français qui avaient été transformés en ruines. La reconstruction totale de l'âme historique du centre-ville de Beyrouth était une déclaration politique puissante mais architecturalement faible. La communauté architecturale libanaise n’est pas très fière de ce que la compagnie a reconstruit. Le projet est souvent décrit comme un « Disney Downtown ». La société se préoccupait de reconstruire des bâtiments ottomans et français détruits pendant la guerre alors qu’un peu plus loin dans la ville, les vrais constructions ottomanes et françaises étaient détruites pour être remplacées par des grattes ciels.39 La préoccupation majeure lors de la reconstruction était la récupération des couches les plus anciennes de la ville comme les thermes romains, les églises byzantines, les monuments ottomans et ceux du mandat français. Toutefois, l’architecte Libanais Bernard Khoury40 trouve qu’une impasse sur la période post-1943 (après la fin du mandat français) a été faite et qu’un énorme bond de près de 50 ans a été réalisé. Pourtant, il existe un tas d’architectes modernes de cette époque dont le travail n’a pas été reconnu comme Raoul Verney, Maurice Hindié, Khalil Khoury, et bien d’autres hommes qui ont changé l’architecture de Beyrouth par leur modernité. Ce courant moderniste persiste dans les années 1960, et Beyrouth, dès la fin de cette décennie, offre déjà une importante sélection internationale et unique de l'architecture moderne. Cependant, ce riche patrimoine, construit principalement par des constructeurs et architectes libanais, disparait jour après jour : à titre d’exemple, les Grands Magasins Byblos conçus par Pierre El Khoury au centre-ville de Beyrouth en 1960 et démolis par Solidere, ou encore l’Hotel Carlton conçu par Karol Schayer en 1957 et démoli en 2008. 39 Sharp, D. (2010). The battle for Beirut's buildings | Deen Sharp. [online] the Guardian. Available at: http://www.theguardian.com/commentisfree/2010/apr/01/beirut-buildings-dubai-skyscraper [Accessed 12 Dec. 2014]. 40 RUKH L'esprit du nouveau monde arabe, (2012). Les Rebelles ne sont pas ceux que l'on croit.
  • 29. 29 41 Les grands magasins Byblos, Pierre Naltchayan photographe, l’hôtel Carlton, Karol Schayer, El Khoury architectes, 1960 Wassek Adib, Bahij Maksidi architectes, 1957. Beyrouth a du mal à incorporer la « modernité » des architectes stars étrangers comme Zaha Hadid, Jean Nouvel, Herzog et De Meuron, Norman Foster et bien d’autres. La capitale accueille aujourd’hui des projets qui viennent d’ailleurs et qui ont du mal à s’intégrer et à se marier à la vie et au contexte urbain. Le centre-ville n’appartient désormais plus au Libanais, mais au privé, à l’étranger. Des architectes libanais qui ont longuement vécu et compris la ville auraient-ils conçu Beyrouth de la même manière ? Comme l’a si bien dit Khoury: « Nous ne sommes pas Dubaï - nous avons une âme. ». Beyrouth cherche à désertifier ses terrains plein d’histoire alors que Dubaï construit ses déserts pour marquer l’histoire. La capitale du Liban subit une destruction des quelques bâtiments patrimoniaux restants dans la ville. Malheureusement, Beyrouth perd son identité jour après jour. En effet, avec le temps, cette âme disparait et fait du centre-ville une belle zone urbaine, certes, mais uniquement dans les cartes postales. Le « Paris du Moyen- Orient » se transforme très vite en «Dubaï du Levant »42 . Les architectes et la société civile ont beau protesté contre ce changement, mais en vain. 41 Archipostalecarte.blogspot.fr, (2014). Architectures de Cartes Postales 2: La Modernité sous le soleil. [online] Available at: http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/11/la-modernite-sous-le-soleil.html [Accessed 20 Apr. 2015]. 42 Sharp, D. (2010). The battle for Beirut's buildings | Deen Sharp. [online] the Guardian. Available at: http://www.theguardian.com/commentisfree/2010/apr/01/beirut-buildings-dubai-skyscraper [Accessed 12 Dec. 2014].
  • 30. 30 Chapitre 3 : Un patrimoine détruit (Etude de cas) A Beyrouth, les constructions se multiplient et la ligne d’horizon change de jour en jour laissant place à des tours de plus en plus hautes. Ces constructions sont souvent rendues possibles par des lois de planification obsolètes. Ces lois déclarent que plus les bâtiments sont en retrait par rapport à la rue, plus les limites maximales de hauteurs grandissent. Les promoteurs profitent donc de la situation pour acheter plusieurs terrains et agrandir leurs sites de sorte que les bâtiments s’éloignent des rues et montent en hauteur. En réalité, ces grands sites comportent souvent un ou plusieurs bâtiments historiques et patrimoniaux que l’on démolit pour permettre la construction. « Sama Beirut » (le Ciel de Beyrouth), par exemple, a causé la destruction d’immeubles Art Déco datant du mandat Français. Ce chapitre détaille un autre exemple illustrant aussi la situation. Anonyme, Destruction d’une ancienne bâtisse, 201543 En 2015, la maison Houssami à Aïn Mreissé, datant de la seconde moitié du XIXe siècle, a été démolie par un promoteur immobilier. Du jour au lendemain, les habitants du quartier se réveillèrent avec un bâtiment qui manque à leur cadre de fenêtre. Cet immeuble avait été détruit sous prétexte qu’il s’agissait d’un « danger public », un argument qui suffit pour que les acteurs obtiennent le permis de démolition. Comme le dit si bien May Makarem, « le 43 MAKAREM, M. (2015). Une bâtisse vieille de 150 ans ? Hop, on démolit ! - May MAKAREM. [online] L'Orient-Le Jour. Available at: http://www.lorientlejour.com/article/914557/une-batisse- vieille-de-150-ans-hop-on-demolit-.html [Accessed 10 May 2015].
  • 31. 31 génocide de l’héritage architectural continue. Bientôt, la maison traditionnelle qui raconte 150 ans de l’histoire sociale du pays sera bannie du vocabulaire beyrouthin. ».44 Une des raisons pour laquelle les destructions de vieilles bâtisses se multiplient est la grande facilité d’obtenir le permis de détruire, comparée à l’immense difficulté d’obtenir l’autorisation de restaurer. En effet, après avoir préparé le dossier comportant « l’acte de propriété, l’attestation d’alignement, les plan de la maison, l’étude de la réflexion »45 et bien d’autres documents qui ont besoin de près de 3 mois pour être fournis, l’architecte présente sa demande au bureau technique de la municipalité avant de la soumettre au ministère de la Culture et au gouvernorat. Quand le permis de réflexion est obtenu, il n’est valable que pour 6 mois. Jusqu'à la fin des travaux, ce permis doit donc être renouvelé tous les 6 mois en ré- entamant les mêmes formalités auprès des mêmes administrations. Entre-temps, tous les travaux doivent être suspendus, la maison étant à risque d’être mise sous scellés si les ouvriers sont attrapés au travail par la police. Dans l’intervalle, d’après un specialiste44 , il faut aussi renouveler l’acte de propriété et l’attestation d’alignement (zone foncière du bâtiment et largeur des routes devant la propriété). Il est important de noter que les anciens bâtiments ne répondent souvent pas aux nouvelles normes du XXIe siècle appliquées aux bâtiments (le chauffage, la climatisation, les salles de bains, les cuisines). Les propriétaires des vieilles demeures sont donc découragés de restaurer ou rénover. Pour les habitations non-rénovées depuis plus de 50 ans, la destruction suivie d’une reconstruction est donc souvent plus facile et économique. 44 MAKAREM, M. (2015). Une bâtisse vieille de 150 ans ? Hop, on démolit ! - May MAKAREM. [online] L'Orient-Le Jour. Available at: http://www.lorientlejour.com/article/914557/une-batisse- vieille-de-150-ans-hop-on-demolit-.html [Accessed 10 May 2015]. 45 MAKAREM, M. (2015). Une bâtisse vieille de 150 ans ? Hop, on démolit ! - May MAKAREM. [online] L'Orient-Le Jour. Available at: http://www.lorientlejour.com/article/914557/une-batisse- vieille-de-150-ans-hop-on-demolit-.html [Accessed 10 May 2015].
  • 32. 32 Partie 3 : Une ruine monument d’après-guerre Gabriele BASILICO, Le "Beirut City Center" à la fin de la guerre civile, 1991.46 Lorsque les conflits commencent en 1975, la construction du «Beirut City Center », qui avait pour vocation d’être le plus grand centre commercial du Moyen-Orient, est encore inachevée. Une seule tour uniquement aura été construite avant le déclenchement de la guerre. Suite aux 15 années de guerre, le projet a en grande partie disparu. L'œuf et le grand vide du parking souterrain sont les seuls fragments restants des plans originaux de Karam. Le projet initial est maintenant amputé à cause de la guerre et il ne lui reste que son dôme. Les passants ont du mal à deviner ce que ce bâtiment abrite de nos jours et surtout ce à quoi il servait auparavant. Il est aujourd’hui un repère dans la ville, un monument, malgré tous les 46 Galerieannebarrault.com, (1991). Gabriele Basilico • Galerie Anne Barrault. [online] Available at: http://www.galerieannebarrault.com/gabriele_basilico/photo_eng.html [Accessed 15 May 2015].
  • 33. 33 éléments qui lui manquent. Paul Virilo47 (urbaniste français né en 1932) le décrit de bunker ou même de « Monolithe», faisant référence à sa structure massive qui est toujours debout malgré les attaques subies. Dans cette partie, je vais m’attarder sur ce à quoi ressemble le dôme aujourd’hui. Je vais ensuite m’intéresser à l’avis des gens et à l’opinion publique quant à la conservation du dôme, pour enfin m’attarder sur les différents projets prévus sur le site du « Beyrouth City Center » dont celle de Malek Mahmassani, Bernard Khoury, et Christian de Portzamparc. 47 Failedarchitecture.com, (2013). The Value of a War-Scarred Ruin in Beirut — Failed Architecture. [online] Available at: http://www.failedarchitecture.com/the-value-of-a-war-scarred-ruin-in-beirut [Accessed 17 Dec. 2014].
  • 34. 34 Chapitre 1 : Les conflits qui tournent autour du dôme Depuis la fin de la guerre, une grande partie de la zone entourant le « Beirut City Center » a été restaurée par une société de développement privée, Solidere, dont le fondateur est le milliardaire Rafik Hariri, premier ministre de 1992 à 1998 et de 2000 à 2004. Elle poursuit ses milliards de dollars d’investissement pour le développement du centre-ville et continue à nommer des architectes stars étrangers pour la reconstruction de la ville. Elle envisageait même la construction d’un circuit de formule 1 en pleine ville avant que Hariri ne soit assassiné le 14 Février 2005 en plein centre-ville suite à une voiture piégée. Au cours de l’histoire, le projet du «Beirut City Center » s’est vu transformé d’un ensemble moderniste d’avant-guerre à un monument brutaliste d’après-guerre « The Egg » (en raison de sa forme emblématique restante). Ce dôme aujourd’hui fait écho à l’architecture brutaliste de Claude Parent, notamment l'église de Sainte Bernadette de Banlay à Nevers (France), à laquelle on aurait rajouté des cicatrices, des trous, des stigmates de guerre et des obus. Sainte-Bernadette du Banlay, Nevers, 1963-196648 Raphaël SAMAHA, « The Egg » aujourd’hui, 2015 Prévu pour être démoli au début des années 2000, le « Beirut City Center » est parmi les dernières structures à Beyrouth montrant les cicatrices de la guerre. Cependant, les dégâts n’ont jamais empêché les libanais de faire la fête, même pendant la guerre, pour oublier les ennuis, les problèmes, et la misère qu’ils vivent. D’ailleurs, ce même endroit, cette ruine de guerre, abritait pendant les combats et les conflits des soirées folles où les jeunes s’amusaient, oubliaient la réalité, dans l’une des parties de la ville les plus fragiles. Même après la fin de la guerre, au début des années 2000, le « Beirut City Center » accueille toujours des soirées dites « techno » alors que la ville est bondée de bars. Pourquoi les Libanais cherchent-il à se rappeler et à évoquer la guerre même en faisant la fête (comme dans le B018 conçu par Bernard Khoury en 1998 où les tables de la boîte de nuit ressemblent à des cercueils)? Comment parvenir à dire le soir même d’un attentat que « la vie continue » et danser jusqu’au lendemain? 48 Meonline.hu, (2010). Claude Parent. [online] Available at: http://meonline.hu/en/magyar-epitomuveszet- hirek/claude-parent/ [Accessed 3 Feb. 2015].
  • 35. 35 En 2004, le Dôme était proche d’être démoli. En effet, le directeur général de Solidere à l’époque, Nasser Chamma, déclare à « The Wall Street Journal »49 la volonté de la compagnie de se débarrasser de cette ruine. Mais tout bascule lorsque cette même société invite des architectes stars comme Jean Nouvel et Philippe Stark à Beyrouth pour entre autre prendre leur avis sur ce qui reste du « Beirut City Center ». La démolition est ainsi remise en question après avoir appris l’admiration des deux invités envers « The Egg ». Quelques semaines plus tard, Solidere nomme Bernard Khoury afin de développer une structure éphémère de 5 à 6 ans « le temps de trouver une solution à la parcelle correspondante »50 . Mais suite à l’assassinat de Hariri le 14 Février 2005, le développement de la ville de Beyrouth subit un grand changement et l’intérêt principal de la société devient l’immobilier faisant abstraction de la proposition de Khoury. En 2005, Solidere vend le terrain sur lequel se trouve l’œuf à une somme exorbitante à ADIH (Abu Dhabi Investment House) dans le cadre du projet « Beirut Gate » avec un souhait de maintenir le dôme dans la nouvelle conception en le « renouvelant ou en concevant un bâtiment similaire »51 . Une fois encore, le dôme est à tout moment susceptible d’être démoli n’étant pas protégé de manière juridique. De plus, comme Georges Arbid l’explique, « la façon avec laquelle Solidere a vendu le terrain empêche la sauvegarde de l'œuf. »52 . La zone constructible vendue comprend la zone où l'Œuf se trouve, ne laisse aucune possibilité réelle pour sauver la structure. Pourtant, Solidere pense que la structure va être préservée. Sachant que le Dôme occupe 6 000 à 7 000 m2 de la surface du terrain de 39 000m2 (soit plus de 15% de la superficie du site); ADIH aurait-elle été prête à minimiser ses gains et à sacrifier une partie de la surface bâtie pour répondre aux souhaits de Solidere et celui des Libanais? C’est bizarrement la guerre de 30 jours en 2006 et la crise financière qui sauvent « The Egg » et empêchent sa destruction. On ne comprend plus si la guerre est pour ou contre la ville, si elle est destructrice ou sauveuse. C’est comme si elle essayait de rattraper l’erreur que la guerre civile a commise en redonnant vie au bâtiment qu’elle a détruit. 49,27,28 primeconsult.net, (2009). Untitled Document. [online] Available at: http://www.primeconsult.net/frpress.asp?id=80 [Accessed 7 Jan. 2015]. 52 june 2009 EXECUTIVE Lebanon P48-54 Real estate – Beirut in an eggshell « Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centreville de Beyrouth, protégé des étudiants libanais qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan de réhabilitation ?
  • 36. 36 Cependant, la guerre de 2006 a quand même mis fin à des expositions d’art contemporain qui avaient lieu dans le Dôme. Les manifestations culturelles telles que les théâtres ou les évènements commémorant les Libanais disparus pendant la guerre civile n’ont pu durer que 5 ans dans cette ruine de guerre. Depuis, le terrain du « Beirut City Center » est enveloppé d’une clôture et des gardes de sécurité surveillent le terrain. L’accès au public y est donc interdit pour des raisons de sécurité. En 2009, le site est vendu à « Olyan Group » et c’est ensuite au tour de l’architecte Français Christian de Portzamparc (en partenariat avec un bureau libanais) de dessiner un projet dans le site où se trouve le « Dôme ». Deux modèles ont été proposé sur les lieux, l’un conservant la salle de cinéma et l’autre la détruisant. Effectivement, d’après le maître d’ouvrage53 , Solidere a donné la permission de détruire l’œuf. Le choix n’a toujours pas été fait et le travail est dit « en cours ». D’après Zouheir Berjawi54 (EDMAX Manager à Solidere), il existe aussi une nouvelle proposition d’un autre architecte qui est cependant toujours confidentielle vu que la société travaille toujours sur l’avenir du « Beirut City Center ». Aujourd’hui les touristes remplissent les pavillons du centre-ville de Beyrouth qui sont bordées par des cafés et des restaurants italien, français et méditerranéen. Le redéveloppement du centre-ville a effacé presque tous les signes de la guerre. Toutefois, cette rénovation prise en charge par Solidere est très souvent critiquée notamment par Assem Salam, un architecte libanais qui trouve que Beyrouth « a été faite avec un mépris total pour la mémoire de la ville. »55 Les activistes du « Save Beirut Heritage » se battent en permanence pour avoir une loi de conservation qui protègerait tous les anciens bâtiments à Beyrouth de leur démolition. Comme la situation du pays, les avis et les décisions sur l’avenir de l’œuf changent du jour au lendemain. En effet, l’état de la région et celui de la ruine évoluent parallèlement : d’une part les arabes achètent le terrain où se trouve le dôme, d’autre part ils prennent les décisions sur le Liban de demain. Quand l’avenir du « Beirut City Center » est incertain, l’avenir du pays est inconnu. Lorsque les avis changent sur l’importance du dôme dans l’héritage architectural Libanais, les partis-pris des politiciens changent aussi. Il existe un lien fort, étroit et mystérieux entre la situation de la région et celle du dôme. Et pour l’instant, tout comme Beyrouth, le Dôme résiste à tous ces conflits et se bat pour rester en vie. 53 Now.mmedia.me, (2012). Beirut's Heritage to the Highest Bidder?. [online] Available at: https://now.mmedia.me/lb/en/reportsfeatures/beiruts_heritage_to_the_highest_bidder [Accessed 22 Nov. 2014]. 54 Voir Annexe 55 Journal, B. (2004). Returning to Beirut,An Architect HasDesigns on Its Future. [online] WSJ. Available at: http://www.wsj.com/articles/SB108811743418347154 [Accessed 22 Nov. 2014].
  • 37. 37 Bernard KHOURY DW5, Plans existants de l’etat actuel, 2004.
  • 38. 38 Chapitre 2 : Les protestations pour la conservation du dôme Les Libanais sont pessimistes. Ils ne croient plus à l’avenir du « Beirut City Center ». En effet, les opinions publiques à travers les sites internet56 , montrent l’avis et le parti-pris que les Libanais prennent face à ce dilemme acharné : - «Je suis ici pour dire au revoirà l'œuf, je suis réaliste. Il va être complètement changé. C’est triste ... Ce ne sera plus le nôtre. Après Solidere tout le centre-ville n’est plus mon espace. » Mira Minkara – l’une des organisatrice du Eggathering - « On nous a volénotre patrimoine, ce n’est pas juste ... Nous souhaitons que les libanais se mobilisent pour sauver ce qui reste du patrimoine de Beyrouth. » Joanna Hammour - membre du groupe « Save Beirut Heritage » - «D'autres palais et bâtiments ont été détruits et les gens ne se sont même pas révoltés » Naji Raji – activiste Libanais - « Avons-nous besoin de plus d'hôtels et de bureaux? Beyrouth manque d'espaces culturels publics accessibles à tout le monde ... et l'œuf a un charme unique. Le centre-ville est peu accueillant. Une grande partie est fermée, et l’autre est uniquement consacrée aux hommes riches. Nous avons besoin d'un lieu de rassemblement culturel. » Pia Bou Khater – activiste Libanaise 56 Now.mmedia.me, (2012). Beirut's Heritage to the Highest Bidder?. [online] Available at: https://now.mmedia.me/lb/en/reportsfeatures/beiruts_heritage_to_the_highest_bidder [Accessed 22 Nov. 2014].
  • 39. 39 Le débat sur la possibilité de démolir la structure ou non a suscité un intérêt public important. Dania Bdeir, étudiante à l'AUB, lance un groupe Facebook « Save The Egg» en 2009. Quelques semaines plus tard, le groupe atteint 5000 membres et des débats se créent. Une grande partie des discussions ne sont pas centrés sur l’architecture du bâtiment même, mais plutôt sur le rôle que l'oeuf joue dans l'identité libanaise. Ce dôme devient un élément moteur pour une nouvelle guerre, qui a est à la recherche de l'identité du centre-ville et du Liban.57 Pour certain, ce lieu est indescriptible, c’est un endroit touchant qui les rend ému et qui agit dans la ville comme un monument. Pour d’autres, au contraire, cette ruine est laide et le fait de le garder est une absurdité en estimant que pas tous les bâtiments datant de plus de 50 ans et ayant résistés à la guerre doivent être préservés. Les autorités quant à elles, ne veulent pas investir dans la conservation du patrimoine vu que ça ne leur rapporte rien comparé à l’investissement immobilier 57 June 2009 EXECUTIVE Lebanon P48-54 Real estate – Beirut in an eggshell « Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centreville de Beyrouth, protégé des étudiants libanais qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan de réhabilitation ?
  • 40. 40 Chapitre 3 : Les projets de réhabilitation Que faire du « Beirut City Center » ? Il est très difficile de décider si la ruine doit être rénovée ou restaurée. Dans le cas d’une restauration, quel est le programme adéquat? Il est indispensable de trouver une solution qui résout tous les problèmes que le Dôme d’aujourd’hui présente. C’est là où le génie de l’architecte joue son jeu. Comment répondre au désir de tous en conservant « The Egg » tout en rappelant que la guerre fait partie de l’histoire de la ville et permet d’évoluer ? Comment présenter un projet visionnaire s’inspirant de la situation Libanaise actuelle pour se projeter dans le futur sans oublier le passé? Comment rendre le projet le plus rentable possible et satisfaire les objectifs de Solidere quand le Dôme occupe prêt de 20% du terrain ? Des centaines de questions se posent dans ce projet critique et sensible, et aucune solution ne peut être proposée sans une analyse approfondie du site, du contexte, de la société, de l’histoire, des conflits et des traditions. Depuis la fin de la guerre civile, plusieurs projets ont été prévus pour remplacer le « Beirut City Center ». En effet, en 1998, l’agence Malek Mahmassani Architectural Practice (MMAP) a été nommée par Solidere pour concevoir le nouveau siège du Ministère des Finances, mais le projet a été interrompu. En 2004, Bernard Khoury a été chargé de concevoir une réhabilitation éphémère de l’Œuf ; cependant, la proposition de Khoury a été abandonnée. Enfin, en 2009, Christian de Portzamparc a été choisi pour construire un hôtel 5 étoiles sur le terrain en ayant la possibilité de réhabiliter le dôme.
  • 41. 41 1998 : Malek Mahmassani Architectural Practice (MMAP) – Ministère des Finances Comme après toute guerre, le but est de tout reconstruire le plus vite possible. En 1998, l’agence Malek Mahmassani Architectural Practice (MMAP) a été nommée par Solidere pour concevoir le nouveau siège du Ministère des Finances. C’est lorsque les premiers travaux de construction commencent que l’on découvre qu’un importateur de voitures avait reçu un stock neuf qu’il avait mis à l’abri pendant la guerre aux deux niveaux les plus bas. Or ces niveaux étaient situés en dessous de la nappe phréatique et des pompes d’eau assuraient l’étanchéité du bâtiment. L’électricité ayant été coupée durant les bombardements, tout a été inondé et abandonné. Les travaux de construction du ministère ont donc été inaugurés par la découverte des voitures rouillées et leur repêchage. Le projet consistait à remplacer la seule tour construite avant le déclenchement de la guerre par une nouvelle tour à côté de l'œuf transformant le site en « Head Office » du ministère des finances. Une fondation de quatre étages avait commencé à être réalisée en sous-sol avant que le projet ne soit jeté à l’eau en raison de conflits politiques entre Rafik Hariri et El Hoss (premier ministre de l’époque). En effet, Solidere voulait construire le projet et le faire louer au ministère des finances.58 Raphaël SAMAHA, le « Beirut City Center » aujourd’hui, 20 Avril 2015 En visitant le site aujourd’hui, nous distinguons deux types de structure. En effet, au complexe vient se greffer une structure en béton lisse de décoffrage dont les armatures d’attentes rouillées sont perceptibles. Il s’agit de la structure du Ministère des Finances qui devait être construit. 58 Voir Annexe.
  • 42. 42 Malek MAHMASSANIi, Plan du deuxième étage proposé montrant la conservation du dôme au nord et l’intégration d’une tour de bureau au sud, 1998, Solidere
  • 43. 43 Malek MAHMASSANI,, Coupe proposée montrant la conservation du dôme et l’intégration d’une tour de bureau, 1998, Solidere
  • 44. 44 Photographies montrant les rajouts de la structure du ministère des finances : 59 60 59 Les 4 premières photographies sont prises personnellement lors de la visite du terrain le 20 Avril 2015 60 Les 2 dernières photographies sont prises par Edgard GHANIME lors de la même visite le 20 Avril 2015
  • 45. 45 2004: Proposition de Bernard Khoury En 2004, après avoir décidé d'épargner le bâtiment, Solidere ne savait pas quoi en faire. Khoury saute alors sur l'occasion. L'architecte Libanais formé à Harvard, présente une solution avant-gardiste pour faire revivre la structure. Il propose d’envelopper le mortier et le béton du dôme en ruine par des miroirs, le transformant en une surface réfléchissante. Le projet devait avoir une durée de vie de 5 à 6 ans le temps de décider de l’avenir du terrain. Cette ruine formée d’enchevêtrement de tiges d’acier tordues, de béton cassé et de poutres rouillées fascinent Khoury. Toutefois, contrairement à Arbid, Khoury estime61 que l’œuf n’a aucune valeur architecturale. Il considère que sa richesse provient de son histoire et espère dans sa proposition croiser voire unir le passé et le future de Beyrouth dans son présent. D’après le site de l’architecte62 , le projet devrait être un remède à la ville cosmopolitaine en absorbant l’environnement fluctuant et congestionné externe et en complétant l’action de la ville à l’intérieur. Khoury propose de démolir le premier étage et les vestiges de la seconde dalle pour effacer la plateforme sur laquelle se dresse le théâtre et ainsi offrir une hauteur plus généreuse au rez-de-chaussée. Un processus d'excavation permettrait d’exploiter la dalle inférieure pour permettre à la lumière naturelle de pénétrer dans les espaces inférieurs. Ce line-up de "vitrines" horizontales transformera la plate-forme en une interface perméable dont la structure évoque celle des jardins français. La coquille du théâtre serait enveloppée d’une mosaïque de miroirs. Ce traitement couvre la peau de l’œuf déchirée et froissée par la guerre et permet surtout de transformer le dôme en une surface réfléchissante. Cet effet aurait pour but d'alléger le volume du théâtre et de refléter les images déformées et fragmentées de l’entourage actif. Khoury parle de la création d’un « jardin électronique » situé dans le vide de 9 mètres qui avait résulté de la démolition de la tour du « Beirut City Center » dans les années 90 et de l’excavation débutée pour la construction du Ministère des Finances. Ce vide, couvert par une toile pour projeter des vidéos, deviendrait un autre élément essentiel à l’intervention de Khoury. « La prothèse », un écran de 16,8 mètres par 11,3, sera placée sur la façade sud du 61 June 2009 EXECUTIVE Lebanon P48-54 Real estate – Beirut in an eggshell « Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centreville de Beyrouth, protégé des étudiants libanais qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan de réhabilitation ? 62 Bernardkhoury.com, (2004). Bernard Khoury / DW5. [online] Available at: http://www.bernardkhoury.com/projectDetails.aspx?ID=102 [Accessed 18 Mar. 2015].
  • 46. 46 nouveau « Beirut City Center » (où la coque avait été amputée) créant ainsi une nouvelle interface cybernétique au projet. Au-delà de son exposition physique spectaculaire au centre-ville de Beyrouth, le réseau de l'espace électronique mettra en avant de nouveaux types d'expositions, des spectacles, des concerts et des événements interactifs accessibles via le portail Internet « Beirut City Center ». Khoury parle d’une adresse très visitée pouvant former un point de rencontre important qui relierait la ville physique à la communauté virtuelle. La planification de l’édifice aurait été développée en fonction des nouveaux espaces électroniques. Toutefois, ce concept exige une mise à jour permanente sachant que la technologie et les accès aux réseaux ne font qu’évoluer au fil des années. Mais la proposition avait une durée de vie limitée à 5 ans ; donc l’obsolescence des équipements, et par suite du projet, aurait pu être évitée. Bernard Khoury DW5, Façade proposée pour la réhabilitation du dôme, 200463 Dans un dossier reçu par Solidere lors de l’entretien avec Zouheir BERJAWI64 , une perspective indique la mise en place d’un immense échafaudage qui s’étend sur l’ensemble de la parcelle, donnant ainsi l’impression qu’il s’agit d’un chantier permanant en construction. 63 Bernardkhoury.com, (2004). Bernard Khoury / DW5. [online] Available at: http://www.bernardkhoury.com/projectDetailsImages.aspx?ID=102 [Accessed 5 Dec. 2014]. 64 Voir annexe
  • 47. 47 Bernard Khoury DW5, vue sur le dôme depuis la mosquée, 200465 En raison de la flexibilité nécessaire du programme, des boîtes autonomes qui seront aménagées par les futurs opérateurs habiteront progressivement les surfaces ouvertes. Les seuls éléments fixes du projet seront ses infrastructures. La ville contemporaine est en pleine croissance. Le projet a donc un rôle symbolique d’évoluer avec le temps et de suivre le rythme des habitants. Il s’agit donc d’une proposition contemporaine qui marque son époque par la technologie, et les réseaux. Elle évoque également le passé en conservant le dôme, l’enveloppant et le protégeant de miroirs, mais elle est surtout projetée dans l’avenir par ce principe de « plug- in » où des commerçants, des artisans, ou autres s’approprieront l’espace ouvert au rez-de- chaussée en s’installant autour de la structure supportant « The Egg ». 65 Bernardkhoury.com, (2004). Bernard Khoury / DW5. [online] Available at: http://www.bernardkhoury.com/projectDetailsImages.aspx?ID=102 [Accessed 5 Dec. 2014].
  • 48. 48 Bernard KHOURY DW5, Plan proposé pour le premier étage, 2004 Bernard KHOURY DW5, Coupe proposée, 2004
  • 49. 49 2009: Proposition de Christian de Portzamparc En 2009, la famille Saoudienne Olayan choisit Christian de Portzamparc pour construire un hôtel 5 étoiles sur le terrain avec une vue sur la mer. Le bureau propose le réaménagement de l’espace en conservant l’œuf. Le projet (Beirut Gate) se développe sur 2 parcelles (75 650 m2 au total): la parcelle 987 qui comporte le dôme et occupe 40 650 m2 ; et la parcelle qui se situe en face de l’église et de la mosquée, qui s’étend sur une surface de 35 000 m2. L’idée était de concevoir des tours comportant 275 chambres tout en maintenant l’œuf, le transformant en repère et icone pour l’hôtel. La salle de cinéma existante deviendrait un restaurant ou une salle de spectacles et, pour compléter le programme du projet et accompagner l’hôtel et l’œuf, des logements (sur une surface de 25 000 m2) et des bureaux (sur une surface de 10 000 m2) occuperaient la parcelle qui se situe en face de la mosquée.66 Christian de PORTZAMPARC, perspective du projet proposé, 2009 Christian de PORTZAMPARC, plan RDC du projet proposé, 2009 66 Christian de Portzamparc, (2011). BEYROUTH - OLAYAN - Christian de Portzamparc. [online] Available at: http://www.portzamparc.com/fr/projects/beyrouth-olayan-2/ [Accessed 18 Mar. 2015].
  • 50. 50 Le bureau Français pense faire du dôme un repère pour son projet et faire du projet un repère pour la ville, alors qu’aujourd’hui l’œuf est déjà une icône de Beyrouth et un véritable repère urbain. Dévoré par les tours qui l’entourent, l’œuf perdrait de sa valeur et passerait de dominant à dominé, de présent à masqué, de symbole de ville à symbole de projet. Pour la plupart des Libanais, la réalisation de ce projet serait une étape supplémentaire dans la « Dubaisation » de Beyrouth. Le projet est aujourd’hui mis en suspens depuis Février 2013 et le client avoue qu’il est incapable de prendre le risque de se lancer dans un tel projet avec la situation politique actuelle. 67 Christian de PORTZAMPARC, perpective et plan masse proposé, 2009 67 Les plans, et les perspectives sont tirés du site officiel de l’architecte français Christian de Portzamparc : Christian de Portzamparc, (2011). BEYROUTH - OLAYAN - Christian de Portzamparc. [online] Available at: http://www.portzamparc.com/fr/projects/beyrouth-olayan-2/ [Accessed 18 Mar. 2015].
  • 51. 51 Conclusion Beyrouth n’est pas une métropole. Son centre-ville d’aujourd’hui n’occupe plus la place de premier rang dans la région du Moyen-Orient. Aujourd’hui reconstruit, il a du mal à attirer les touristes, les employés, les compagnies, les immigrants, les Libanais ou encore les Beyrouthins même. Ses magnifiques bureaux et ses logements de millions de dollars sont largement inhabités. Ses vestiges archéologiques sont peu visités et ses ruines de guerre sont souvent rénovées ou reconstruites au lieu d’être restaurées. Jour après jour, Beyrouth perd son identité et sa fortune patrimoniale. L’espace urbain à Beyrouth est à la recherche d’une fonction. « Le luxe ostentatoire des immeubles, les points forts de la ville conçus à la saoudienne, et les fonctions et services urbains très limités [sont des] facteurs de ségrégation sociale, d’exclusion même pour l’immense majorité des Libanais. »68 Le privé conçoit un centre-ville anarchique encerclé des vrais quartiers de Beyrouth où l’on retrouve l’âme de la capitale. Avec le temps, ce centre grandit et cette âme s’éloigne de plus en plus du centre-ville, de la capitale, des banlieues voire du pays. Les opinions et les partis-pris des Libanais sur l’avenir Beyrouth sont très radicaux et les compromis n’existent quasiment pas. Michael F.Davie69 parle (en 1993 à l’aube de la reconstruction) d’une ville entière à l’échelle levantine rêvée par les « nostalgiques », et d’un centre-ville à l’échelle mondiale désiré par les « novateurs ». Or aucun des deux n’est conscient que ces rêves sont presque irréalisables et que Beyrouth provient de conjonctures historiques bien précises. L’architecture étant la matière de la ville, son histoire et celle de la ville sont intimement liées. En effet, l’état du « Beirut City Center » avant, pendant, et après la guerre résume l’histoire complexe de la capitale durant les 50 dernières années. Le territoire de Beyrouth est chargé d’histoire et est loin d’en faire une « ville banale ». Ayant témoigné et résisté à tous les évènements de ce dernier demi-siècle, « The Egg » est un monument de l’architecture moderne d’avant-guerre transformé en un monument du patrimoine d’après-guerre. Lorsque Beyrouth était encore considérée comme le « Paris du Moyen-Orient », le projet, destiné à être le plus grand centre commercial de la région arabe, marque son époque et devient symbole du modernisme d’avant-guerre. Le dôme est ensuite gravement endommagé durant la guerre civile de 15 ans et est aujourd’hui un 68,25 June 2009 EXECUTIVE Lebanon P48-54 Real estate – Beirut in an eggshell « Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centreville de Beyrouth, protégé des étudiants libanais qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan de réhabilitation ?
  • 52. 52 monument par sa présence rebelle et brutaliste formant l’une des rares ruines maintenues intactes en plein centre-ville. Les libanais se battent pour garder l’œuf en vie et refusent qu’il subisse le même sort que les anciennes bâtisses riches dans leur histoire qui ont été détruites par des promoteurs. Les conflits à Beyrouth sont tous représentés sous la forme architecturale de l’Œuf. Les polémiques, les problèmes et les désaccords se sont tous concrétisés dans cette ruine de guerre. Le message qui se cache derrière son architecture est un appel à tous les Libanais. C’est lorsqu’ils réussiront tous à s’entendre sur le destin de cette ruine (et sur celui des autres qui trainent dans la ville), que les conflits prendront fin au Liban. Amin Maalouf parle d’une « époque qui mérite d'être dépassée, mais certainement pas oubliée; et qui mérite d’être dépeinte avec passion, sans être pour autant ennoblie, ou "désenlaidie" ». Il ajoute qu’il a même refusé depuis longtemps « d'apprendre les nouvelles routes, les nouveaux noms, les nouveaux visages. Un jour, peut-être, son attitude changera. Lorsque le pays qu’il aime, sans pour autant redevenir celui qu’il a connu, aura commencé à ressembler à celui qu’il a toujours désiré: un pays capable d'assumer à la fois son héritage et sa modernité. »
  • 53. 53 Bibliographie Site web:  (1923-1976), H. Joseph Philippe Karam. [online] Joseph-philippe-karam.com. Available at: http://www.joseph-philippe-karam.com/ [Accessed 21 Nov. 2014].  AFP, and AFP, (2013). Oradour-sur-Glane, village martyr de la barbarie nazie. [online] Libération.fr. Available at: http://www.liberation.fr/societe/2013/09/04/oradour-sur-glane-village-martyr-de-la- barbarie-nazie_929293 [Accessed 19 May 2015].  AM, I. (n.d.). Eglise Notre-Dame / Patrimoine / Histoire et patrimoine / Découvrir Saint-Lô / Accueil / Racine - Ville de St-Lô. [online] Saint-lo.fr. Available at: http://www.saint-lo.fr/Decouvrir-Saint-Lo/Histoire- et-patrimoine/Patrimoine/Eglise-Notre-Dame [Accessed 19 May 2015].  Archide.files.wordpress.com, (2010). [online] Available at: https://archide.files.wordpress.com/2010/01/mds-beirut-urban-scheme.jpg [Accessed 27 Apr. 2015].  Archipostalecarte.blogspot.fr, (2014). Architectures de Cartes Postales 2: La Modernité sous le soleil. [online] Available at: http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/11/la-modernite-sous-le-soleil.html [Accessed 20 Apr. 2015].  Bernardkhoury.com, (2004). Bernard Khoury / DW5. [online] Available at: http://www.bernardkhoury.com/projectDetails.aspx?ID=102 [Accessed 18 Mar. 2015].  Christian de Portzamparc, (2011). BEYROUTH - OLAYAN - Christian de Portzamparc. [online] Available at: http://www.portzamparc.com/fr/projects/beyrouth-olayan-2/ [Accessed 18 Mar. 2015].  Cottin, S. (2014). Massacre d'Oradour-sur-Glane en 1944 : un octogénaire inculpé pour meurtre. [online] SudOuest.fr. Available at: http://www.sudouest.fr/2014/01/08/massacre-d-oradour-sur-glane-en-1944- un-octogenaire-inculpe-pour-meurtre-1423080-7.php [Accessed 19 May 2015].  Failedarchitecture.com, (2013). The Value of a War-Scarred Ruin in Beirut — Failed Architecture. [online] Available at: http://www.failedarchitecture.com/the-value-of-a-war-scarred-ruin-in-beirut [Accessed 17 Dec. 2014].  Fr.wikipedia.org, (2007). Église Notre-Dame de Saint-Lô. [online] Available at: http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Notre-Dame_de_Saint- L%C3%B4#/media/File:FranceNormandieSaintLoEgliseNotreDame.jpg [Accessed 19 May 2015].  Galerieannebarrault.com, (1991). Gabriele Basilico • Galerie Anne Barrault. [online] Available at: http://www.galerieannebarrault.com/gabriele_basilico/photo_eng.html [Accessed 15 May 2015].  GALL, E. (2013). 1950 : La renaissance malouine. [online] Enenvor.fr. Available at: http://enenvor.fr/eeo_actu/apresW/1950_la_renaissance_malouine.html [Accessed 19 May 2015].  Journal, B. (2004). Returning to Beirut,An Architect HasDesigns on Its Future. [online] WSJ. Available at: http://www.wsj.com/articles/SB108811743418347154 [Accessed 22 Nov. 2014].
  • 54. 54  Logement, É. (2005). Film d'archive actualités de 1952 Reconstruction de la France sept ans après la fin de la seconde guerre mondiale état des lieux de la crise du logement. [online] Dailymotion. Available at: http://www.dailymotion.com/video/xk1g5j_film-d-archive-actualites-de-1952-reconstruction-de-la- france-sept-ans-apres-la-fin-de-la-seconde-gu_shortfilms [Accessed 19 May 2015].  MAKAREM, M. (2015). Une bâtisse vieille de 150 ans ? Hop, on démolit ! - May MAKAREM. [online] L'Orient-Le Jour. Available at: http://www.lorientlejour.com/article/914557/une-batisse-vieille-de-150- ans-hop-on-demolit-.html [Accessed 10 May 2015].  News, L. and unclear, F. (2014). Fate of Beirut’s war ruins still unclear. [online] The Daily Star Newspaper - Lebanon. Available at: http://www.dailystar.com.lb/News/Lebanon-News/2014/May-19/256931-fate-of- beiruts-war-ruins-still-unclear.ashx [Accessed 16 Dec. 2014].  Now.mmedia.me, (2012). Beirut's Heritage to the Highest Bidder?. [online] Available at: https://now.mmedia.me/lb/en/reportsfeatures/beiruts_heritage_to_the_highest_bidder [Accessed 22 Nov. 2014].  Oradour.org, (n.d.). Histoire du centre | Centre de la mémoire d'Oradour. [online] Available at: http://www.oradour.org/fr/content/histoire-du-centre [Accessed 19 May 2015].  Paril.crdp.ac-caen.fr, (n.d.). [online] Available at: http://paril.crdp.ac- caen.fr/_PRODUCTIONS/ressources_culturelles/parcours_patrimoine_stlo_.swf [Accessed 19 May 2015].  Saint-Malo (1944-1966) - La cité corsaire - Une reconstruction unique au monde. (2012). [video] Available at: https://www.youtube.com/watch?v=NKS-TsV1fjg [Accessed 19 May 2015].  Sharp, D. (2010). The battle for Beirut's buildings | Deen Sharp. [online] the Guardian. Available at: http://www.theguardian.com/commentisfree/2010/apr/01/beirut-buildings-dubai-skyscraper [Accessed 12 Dec. 2014].  Utilisateur, S. (2013). Saint-Malo en 1944, images d'une ville fantôme - Partie 1 - Saint-Malo-Rama. [online] Saint-Malo-Rama. Available at: http://www.saint-malo-rama.com/2013/05/10/saint-malo-en- 1944-images-d-une-ville-fantome-partie-1.html [Accessed 19 May 2015].  www.normandie-heritage.com, (n.d.). L’église Notre-Dame de Saint-Lô - Normandie Héritage. [online] Available at: http://www.normandie-heritage.com/spip.php?article733 [Accessed 19 May 2015]. Ouvrages:  Liger-Belair, Jacques, Maalouf, Amine, Tuéni, Ghassan, (2002). Beyrouth 1965-2002 : carnet de croquis de Jacques Liger-Belair :architecte A A A / Texte de Jacques Liger-Belair ; Correspondance de Amin Maalouf ; Postface de Ghassan Tueni. Beyrouth, Liban: Dar An-Nahar.  Yacoub, G. (2003). Dictionnaire de l'architecture au Liban au XXème / Gebran Yacoub. Beyrouth, Liban: Alphamedia.
  • 55. 55 Article:  Beyrouth, l’ancienne ligne de combats a la veille de la reconstruction [texte imprimé] Lié à : Les cahiers de l’institut d’aménagement et d’urbanisme de la région ile de France, no 104- 105, aout 1993 (0153-6184) Auteurs : Huybrechts, E Type de documents : Article de revue – Description matérielle :p. 219-229 : photogr. ; Plan  Guerre de tranchées pour une reconstruction [texte imprimé] Lié à : Urbanisme, no265-265, juin/juillet 1993 (1240-0874) Auteurs : Lagrande, Claire Type de document : Article de revue-Description materielle : p87-89 : ill., plan ; carte  June 2009 EXECUTIVE Lebanon P48-54 Real estate – Beirut in an eggshell « Comment ignorer ce lieu improbable qui trône en plein centre-ville de Beyrouth, protégé des étudiants libanais qui pétitionnent pour sa survie et des architectes qui réfléchissent à un plan de réhabilitation ?  RUKH L'esprit du nouveau monde arabe, (2012). Les Rebelles ne sont pas ceux que l'on croit.
  • 56. 56 Annexes 1- Entretien avec Zouheir BERJAWI à Solidere le Mercredi 22 Avril 2015 - Que représente le « Beirut City Center » pour Solidere Le « City Center » est formé d’immeubles de bureaux construits avant le début de la guerre mais il a été sévèrement endommagé vu qu’il était situé sur la « ligne verte » qui divisait le pays entre est et ouest. Le « City Center » représente un « landmark » par son dôme et par son « architecture lay-out ». Je peux t’être très utile non pas en te donnant des détails de sièges, de hauteurs et de règlementations mais en t’expliquant le principe du « Restoration Brief » à Solidere. En effet, tous les bâtiments classés « Not to be fully demolished and to be redeemable or restored » ont un « restoration brief ». Il s’agit d’un détail historique du bâtiment existant que voici (document donné). Je te donne un fichier copié contenant des photos de l’état du bâtiment lorsqu’on a récupéré le bâtiment après la guerre, des images qui montrent les dégâts présents, son histoire, les surfaces, les hauteurs, le programme, etc. Aujourd’hui, ce bâtiment est en restauration et son design subit un changement. Mais nous conservons le dôme. Il est marqué « not to be demolished ». - Il s’agit d’un bureau d’architecture Français qui se charge de la restauration, n’est-ce pas ? Oui en effet, c’est plutôt un « joint-venture » entre le Liban et la France - C’est quelle bureau au Liban ? MZ, c’est eux qui travaillent sur le design du dôme. Plusieurs propositions ont déjà été faites dont celle de Malek Mahmasani. - Et Bernard Khoury… Bernard Khoury a travaillé uniquement sur le dôme - Pouvez-vous me parler un peu plus de Mahmasani ? Malek Mahmasani est un architecte libanais de renommée qui a déjà travaillé sur de nombreux projets au Liban. Il a un très grand bureau. C’est lui qui avait conçu le ministère des finances. - Oui, au début des années 90 si je ne me trompe pas… Exactement. Mais une fois qu’il y a eu des conflits politiques entre Rafik Hariri et El Hoss, le projet a été annulé car Solidere voulait construire le projet et le faire louer au ministère des finances. Le but était de
  • 57. 57 transformer le « Beirut City Center » en « Head Office » du ministère des finances mais le projet a été mis en suspens depuis ces conflits. - Avez-vous prévu des plans pour les autres ruines de guerre présentes à Beyrouth comme la « tour morr » ou le « Holiday Inn » par exemple? Bien sûr, tous les bâtiments situés au centre-ville ont un « restoration Brief » ou un « Development Brief ». Le « Development Brief » est appliqué aux bâtiments classés que nous intégrons dans le planning urbain de la ville. Il reste les bâtiments qui persistent qui n’ont toujours pas été restaurés et qui ne sont pas nombreux comme le « Beirut City Center » ou le « Beirut Trade Center » connu sous le nom de « Burj el Morr », 2 ou 3 immeubles à « Zaa el Blat » et 3 autres à « Mina el Hosn ». - Parlant du « Burj el Morr », quel est le destin de cette ruine ? Il y a plusieurs propositions qui ont été faites dont celle de « quipe zarafa design » (bureau canadien), où on propose de transformer la ruine en un immeuble de bureaux tout en agrandissant le terrain et en ajoutant 14 étages (aux 40 étages existants). Une autre proposition est de démolir la tour et de reconstruire autre chose sur le terrain. Sinon, on propose de le conserver et de modifier quelques choses. Le problème de cet immeuble est la hauteur sous plafond de 3m50. En effet, si nous voulons le transformer en tour de bureaux, cette hauteur ne suffit pas. - Pour revenir à notre sujet du « Beirut City Center », comment avez-vous décidé du programme qui allait se faire pour la rénovation / restauration? Tous les bâtiments autour sont bureautiques d’après le plan urbain conçu pour la ville de Beyrouth. En principe, le bâtiment sera gouvernemental. - Pourquoi est-il interdit de rentrer dans le « Beirut City Center » et de prendre des photos du dôme? Nous interdisons cela pour des raisons de sécurité. - J’ai appris que des expositions ont été faites à l’intérieur du bâtiment en ruine. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ? Oui, en effet, quelques expositions ont été réalisées au premier étage du dôme mais aujourd’hui la situation du pays ne nous permet plus de faire d’autres évènements du genre. - Est-il vrai que des voitures ont été trouvées dans les sous-sols du site ?
  • 58. 58 C’est vrai ! Il y avait 24 voitures. Et le kilométrage était encore nul. Elle venait tout juste d’arriver du port. Si elles n’avaient pas été trempées et rouillées, chaque voiture aurait valu 1 million de dollars. Mais malheureusement la guerre a tout emporté. Les voitures ont été cachées au 4ème sous-sol et pendant la guerre l’eau avait atteint le deuxième sous-sol. Lorsque les voitures ont été retirées, elles étaient toutes irrécupérables. - Savez-vous quand les voitures ont été retirées? Oui, en 1996/1997, après la reconstruction d’une grande partie de Beyrouth. Ce bâtiment a tardé à être reconstruit vu qu’il est marqué dessus : « Not to be demolished » En fin de compte on a décidé de ne conserver que le dôme. - Est-ce que la fonction de cinéma sera conservée dans « The Egg » ? Il y aura un auditorium dans le bâtiment. - A qui appartient le terrain aujourd’hui ? A Solidere. - J’avais pourtant appris que le terrain a été acheté a maintes reprises, c’est vrai ? Il y a eu pas mal de ventes du terrain mais aujourd’hui le terrain appartient à Solidere. - Enfin si je comprends bien, vous avez reçu plusieurs propositions entre celle de Malek Mahmassani, celle de Christian de Portzamparc… Et il y a encore un nouveau mais c’est toujours confidentiel vu qu’on travaille toujours dessus. - Vous n’avez donc toujours pas décidé quel est le destin du « Beirut City Center » ? Non non non. Le travail est toujours en cours. - Quels sont donc les critères sur lesquels vous allez vous baser pour le choix du bon projet ? Il y a en fait un comité formé d’architectes locaux et internationaux qui prennent la décision.
  • 59. 59 Bernard KHOURY DW5, Plans existants de l’etat actuel, 2004.
  • 60. 60 Bernard KHOURY DW5, Plans existants de l’etat actuel, 2004.