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Parti de Québec en septembre 2005, l’équipage du Sedna IV a entrepris un long
voyage d’une année vers l’Antarctique dans le but de documenter les effets des
changements climatiques sur le pôle Sud. Palpitante aventure humaine, dont on
peut suivre le déroulement via l’Internet, mission scientifique de premier ordre, en
collaboration avec la NASA et de nombreux chercheurs de plusieurs pays, et projet
cinématographique dont on attend déjà la sortie avec anticipation, cette équipée se
présente comme une des plus grandes expéditions contemporaines. C’est aussi une
importante campagne de sensibilisation sur les changements climatiques et les
grands enjeux environnementaux de la planète. À la veille de son retour, au sortir
d’un hiver antarctique qui aura été décevant et inquiétant parce que trop doux,
Jean Lemire, chef de mission à bord du Sedna IV, nous écrit « du plus bel endroit de
la Terre » et nous raconte comment et à quel point nos comportements locaux
prennent des dimensions planétaires. « Il n’y a pas meilleur endroit sur cette
planète, écrit-il, pour visualiser les effets catastrophiques des bouleversements
climatiques que nos activités engendrent. »
In September 2005 the Sedna IV sailed from Quebec City for a year-long journey to
Antarctica to document the impact of climate change on the South Pole. An
exciting human adventure that can be followed on the Internet, a high-level
scientific mission carried out in cooperation with NASA and several researchers from
around the world, and a film-making project whose result is eagerly awaited, this
journey has been dubbed one of the greatest expeditions of modern times. It is also
a major campaign to increase public awareness about climate change and other
major environmental issues facing our planet. On the eve of Sedna IV’s return, just
out of a disquieting Antarctic winter that was too mild, the head of the mission,
Jean Lemire, writes to us from “the most beautiful place on Earth.” He describes
how, and how much, our behaviour locally is reverberating globally. “There is no
better place on the planet in which to witness the catastrophic effect of climatic
upheavals brought about by human activity.”
POLICY OPTIONS
OCTOBER 2006
11
J
e vous écris du plus bel endroit de la Terre. Je vous écris
de l’Antarctique, le dernier continent vierge de la planète.
Un continent qui n’a pas encore été conquis, que
l’Homme n’a pas encore réussi à contrôler. Est-ce pour cette
raison qu’il est aussi beau ? J’aurais préféré vous envoyer une
simple carte postale, avec des mots simples et joyeux. J’aurais
aimé vous dire simplement que mon voyage de plus d’une
année se passe bien, que je pense à vous et que je serai de
retour bientôt. Mais je passerais à côté de l’essentiel.
Mon retour est pourtant prévu pour bientôt, mais je ne
serai plus le même. Mon voyage se déroule à merveille, mais
mon regard sur la vie sera transformé. Mes pensées sont
pour vous, mais je me questionne sur ce que nous sommes
et sur ce que nous pourrions être.
Embarqué sur le voilier océanographique Sedna IV en
septembre 2005, j’ai parcouru avec mon équipage une bonne
partie de la planète pour arriver ici, pour atteindre le bout du
monde. Je rêvais de ce monde de glace infini, de cette terre
sauvage que l’humanité a décidé de protéger. Les gouverne-
ments du monde ont décidé de signer un traité qui protège
l’Antarctique de toute exploitation commerciale. Les
dirigeants des grands pays ont signé un accord qui interdit
toute guerre en Antarctique, un continent entièrement dédié
à la paix et à la science. Ici, la collaboration entre les scien-
tifiques est essentielle, obligatoire et imposée. Tous ces ingré-
dients forment en soi un formidable bouclier pour la
protection du dernier continent vierge de la planète. Mais
toutes ces mesures de protection cachent malgré tout un mal
QUAND LA BEAUTÉ DU MONDE
NE SUFFIT PLUS
Jean Lemire
L
ETTER FRO
M
L
ETTRE D
’
ANTARCTIQUE
pernicieux : l’action de l’homme me-
nace aujourd’hui ce continent qu’il
tente de si bien protéger. Les intentions
sont sincères, les moyens aussi, mais il
est utopique de penser que notre
absence de ce continent équivaut à une
mesure de protection efficace.
Depuis que je vis ici, je ne peux
que constater à quel point nos
comportements locaux prennent des
dimensions planétaires. Nous avons
amarré notre voilier dans le secteur
ouest de la péninsule antarctique, l’en-
droit sur la planète qui s’est le plus
réchauffé au cours des dernières
décennies. Pourtant, il n’y a pas
de voitures, pas d’usines, pas
même de maisons ou d’hu-
mains qui carburent à la sur-
consommation d’énergie. À
peine retrouve-t-on quelque
centaines de chercheurs répartis
entre les différentes stations
scientifiques, dispersés sur des
milliers de kilomètres. La pro-
blématique des changements
climatiques ne tire pas son ori-
gine d’ici et pourtant, il n’y a
pas meilleur endroit sur cette
planète pour visualiser les effets
catastrophiques des bouleverse-
ments climatiques que nos
activités engendrent.
Les glaciers reculent à la
vitesse grand V. Les langues
glaciaires millénaires se fracturent,
se désagrègent dans la mer. Les
températures moyennes ne
cessent d’augmenter et la grande
banquise se réduit davantage à
chaque année. Tout l’écosystème
de la péninsule antarctique est en
train de se transformer à une vitesse telle,
qu’elle ne permet pas l’adaptation des
espèces qui occupent ce territoire depuis
toujours. Pourtant, la production de gaz à
effet de serre est négligeable sur tout le
continent. Le problème ne vient pas d’ici,
mais d’ailleurs, de nos villes, nos usines,
nos maisons, nos voitures.
Il n’existe pas meilleur endroit
pour comprendre et visualiser la notion
de globalité qui contrôle la vie, car tout
est relié. Le geste posé chez nous aura
des répercussions ici, aux confins de la
planète. Quand les scientifiques ont
retrouvé le plomb de nos voitures dans
les excréments des manchots, ils se
sont questionnés. Quand la quantité de
rayons UV s’est mise à monter en
flèche, menaçant toutes les formes de
vie antarctique, les chercheurs ont
compris l’effet catastrophique des CFC
de nos frigos sur la couche d’ozone. Et
quand les particules polluantes des
Amériques et de l’Europe se sont
retrouvées dans les échantillons d’air
prélevés au pôle Sud, transportées par
les grands vents atmosphériques, les
scientifiques ont commencé à com-
prendre et à réaliser cette notion de
globalité qui gouverne notre planète.
Le climat de l’Antarctique dépend
de nos activités et de notre façon de
consommer les ressources fossiles de la
planète. Mais le climat des Amériques,
de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique et de
toute cette planète dépend directement
de l’Antarctique pour maintenir une
stabilité qui édifie la vie depuis tou-
jours. Les grands courants océaniques
et les grands vents atmosphériques de
la planète se partagent la tâche et agis-
sent en efficaces radiateurs planétaires
pour répartir, distribuer et régulariser le
climat de notre planète. Sur cette
planète, tout est relié, tout est toujours
relié. Dans ce contexte de globalité,
nous devons peut-être nous question-
ner sur l’utilisation que nous faisons
des ressources naturelles, celles qui
appartiennent à cette globalité, celles
qui devraient se partager, dans le
respect, entre tous les Hommes.
Sur notre petite planète, une
trentaine de pays dévelop-
pés se partagent 80 p. 100 de la
richesse mondiale. Vous en
faites partie, comme moi,
comme vos voisins. Nous ne
sommes que 20 p. 100 de la
population, mais nous pro-
duisons et consommons plus
de 80 p. 100 de l’énergie non
renouvelable de la planète. Par
habitant, nous rejetons dix fois
plus de gaz à effet de serre que
l’autre 80 p. 100 des humains
qui habitent cette planète.
Nous dépensons aussi 40 p. 100
de l’eau potable disponible et
consommons près de 90 p. 100
des produits chimiques synthé-
tiques que nous produisons.
Où allons-nous ? Que
restera-t-il aux générations
futures si nous conservons ce
rythme de consommation à ou-
trance qui influence maintenant
l’environnement, le climat de
notre planète, notre qualité de
vie et compromet même la
survie de certaines espèces ?
Entre 1 et 10 p. 100 des espèces sont
éliminées à chaque décennie, soit envi-
ron 27 000 espèces chaque année. Selon
l’ONU, près de 25 p. 100 des mam-
mifères et 12 p. 100 des oiseaux de la
planète sont menacés d’extinction.
Il y a les effets que l’on voit,
comme la pollution chimique, indus-
trielle et visuelle. Il y a aussi la pollu-
tion perverse, celle que l’on ne voit pas,
celle qui se manifeste en silence et qui
ne peut se résumer en une seule image.
OPTIONS POLITIQUES
OCTOBRE 2006
22
Jean Lemire
Nous avons amarré notre voilier
dans le secteur ouest de la péninsule
antarctique, l’endroit sur la planète
qui s’est le plus réchauffé au cours
des dernières décennies. Pourtant, il
n’y a pas de voitures, pas d’usines,
pas même de maisons ou d’humains
qui carburent à la surconsommation
d’énergie. À peine retrouve-t-on
quelque centaines de chercheurs
répartis entre les différentes stations
scientifiques, dispersés sur des
milliers de kilomètres. La
problématique des changements
climatiques ne tire pas son origine
d’ici et pourtant, il n’y a pas
meilleur endroit sur cette planète
pour visualiser les effets
catastrophiques des
bouleversements climatiques que
nos activités engendrent.
Vous déversez les huiles usées de votre
véhicule dans le ruisseau du voisin. On
vous accuse, vous traite de tous les
noms, vous n’avez aucun respect pour
l’environnement, pour les générations
futures. Normal, votre comportement
est visible, immédiatement répréhensi-
ble puisqu’il laisse des traces.
Mais qu’en est-il de toutes ces
actions qui ne laissent pas de marques
immédiates ou, pire encore, de preuves
de notre inaction ? L’ensemble de nos
inactions s’accumule au point où nous
nous infligeons les effets dévastateurs
de ces mêmes inactions.
Quand je vous écris de l’Antarctique
et que je vous raconte comment
les effets des changements climatiques
sont en train de transformer le dernier
continent vierge de la planète, vous
vous dites que c’est malheureux, que
l’Antarctique est plutôt joli sur les pho-
tos et qu’il serait dommage de perdre
tout cela. Notre équipage est loin, au
bout de la planète, et vous compatissez
peut-être pour nous. Pourtant, cette
compassion, vous devriez l’avoir aussi
pour vous, car nous sommes beaucoup
plus près que vous ne le pensez. Notre
ignorance, d’abord, puis nos inactions
ont entraîné une réaction en chaîne qui
touche maintenant toutes les régions
du monde.
Les effets des changements clima-
tiques sont souvent imperceptibles car
POLICY OPTIONS
OCTOBER 2006
33
Quand la beauté du monde ne suffit plus
Le Sedna IV sur son site d’hivernage, la baie Sedna. Malgré l’isolement et l’éloignement, les treize membres de l’équipage savent
s’amuser. Vélo, ski, plongée et même cinéma ! Ici, on les voit disputer leur premier match de hockey, le 14 août dernier, une fois que
l’hiver se fut enfin installé et la glace formée.
Courtoisie de l’auteur, photo Martin Leclerc
les fluctuations climatiques n’ont pas
besoin d’être extrêmes pour trans-
former la vie. Une différence de
quelques degrés suffit, peu importe où
l’on se trouve sur cette planète. Lors de
la dernière glaciation, une baisse de
seulement 5 °C avait entraîné une
diminution du niveau de la mer de 120
mètres, au moment où le Canada et
l’Europe du Nord étaient recouverts de
glaciers comparables à ceux que l’on
retrouve ici ou au Groenland.
Quand, dans les années 1980, les
premières études de la NASA ont
démontré le lien tangible entre les aug-
mentations de températures de notre
planète et les émissions de CO2 et
autres gaz de combustion du pétrole,
du charbon et du gaz, on a cru à une
erreur de parcours. Les grandes com-
pagnies pétrolières ont immédiatement
tout mis en œuvre pour essayer d’at-
tribuer ce réchauffement planétaire à
des causes naturelles. Elles n’ont réussi
qu’à ralentir le processus, qu’à gagner
du temps. Or le temps, c’est
sans doute ce dont nous
avons le plus besoin face au
grand défi climatique.
Devant cette nouvelle
menace environnementale,
les Nations Unies forment
une commission pour
étudier la question. Plus de
2 500 spécialistes du monde
entier concluent que le
réchauffement des cinquante dernières
années est dû à l’activité humaine.
Malgré les conclusions des
experts, certaines compagnies qui
contrôlent l’or noir débutent alors une
guerre silencieuse contre les scien-
tifiques, contre les écologistes, contre
l’ONU et les plus grands experts du cli-
mat de ce monde. Il faut gagner du
temps, car la gravité de la situation
environnementale demande une
mobilisation immédiate, mondiale, et
les solutions proposées ne font pas
l’affaire des grandes corporations et
des gouvernements. Malgré cette
querelle d’idéologies qui nous fait per-
dre un temps précieux, une évidence
demeure : il faut absolument trouver
des façons efficaces de réduire nos
rejets de gaz à effet de serre qui étouf-
fent notre planète.
Certaines grandes compagnies
pétrolières ont compris que l’avenir
sera différent, que le pillage incontrôlé
des ressources fossiles de la planète ne
pourra pas permettre cette consomma-
tion sans limites basée sur le pétrole.
Devant cette évidence, certaines
pétrolières ont décidé d’investir dans
les énergies nouvelles, les énergies
durables comme le solaire, l’éolien ou
la géothermie. Ce n’est peut-être pas
pour des raisons de conscience envi-
ronnementale soudainement révélée,
j’en conviens. La diminution des
réserves mondiales de pétrole stimule
sûrement davantage la réorientation
des compagnies qui contrôlent le
domaine énergétique mondial. Certes,
il importe davantage aux magnats du
pétrole d’investir dans les nouvelles
formes d’énergie pour des raisons
strictement économiques, en diversi-
fiant le portefeuille énergétique devant
l’épuisement des ressources premières.
Mais qu’importe. La solu-
tion, la seule, devra passer
par la collaboration entre
les scientifiques, les indus-
triels et les gouvernements
élus et donc choisis par
les citoyens. Le défi à
relever est trop grand pour
exclure certaines forces en
présence.
Des voix s’élèvent désormais pour
proposer des alternatives plus
respectueuses de la vie. Partout, sur la
planète, des minorités grandissantes
parlent de développement durable,
de respect de l’environnement, de
commerce équitable, de partage réel
des ressources, de nouvelles valeurs
sociétales qui, peut-être, redéfiniront
la vie en revalorisant les petits
groupes, les petites communautés
intégrées au sein d’une globalité plus
respectueuse de la vie. Qui sait ce que
nous réserve l’évolution ?
Un vent de changement souffle
désormais sur les générations de
demain. À partir de nos enseignements
théoriques, forgés à partir d’une série
d’exemples à ne pas suivre, nous
sommes peut-être en train de préparer
la solution pour demain. La méthode
d’apprentissage et de transmission des
connaissances aux générations futures
est plutôt honteuse, j’en conviens. Il
aurait été préférable de prêcher par
l’exemple pour inspirer une nouvelle
forme de progrès plus respectueuse de
la vie. Mais j’ai confiance en cette
OPTIONS POLITIQUES
OCTOBRE 2006
44
Jean Lemire
Certes, il importe davantage aux magnats du pétrole d’investir
dans les nouvelles formes d’énergie pour des raisons strictement
économiques, en diversifiant le portefeuille énergétique devant
l’épuisement des ressources premières. Mais qu’importe. La
solution, la seule, devra passer par la collaboration entre les
scientifiques, les industriels et les gouvernements élus et donc
choisis par les citoyens. Le défi à relever est trop grand pour
exclure certaines forces en présence.
Par cette distance que nous prenons face à la nature, nous
déracinons nos perceptions. Mais l’humanité ne peut
s’exclure de son environnement. Par les artifices de nos villes,
nous avons créé un modèle sociétal qui nous isole, en
apparence, de ce que nous sommes. Mais l’humanité risque
gros à renier ses origines. Parce que nous contrôlons tout,
dans le confort de ce que nous avons créé, nous croyons que
l’avenir dépendra de nous.
génération de demain. À force de pro-
mouvoir l’individualité, nos collecti-
vités de consommation ont endetté le
futur à un point tel que les générations
futures n’ont plus le choix : à leur tour,
elles doivent dorénavant réussir leur
survivance. Et quand viendra le temps
pour cette génération de choisir qui les
dirigera, elle portera son choix vers les
gouvernements qui sauront entendre
sa voix, qui sauront comprendre ce
vent de changement plus respectueux
de la vie. Ignorer ce fait aujourd’hui
représente un réel suicide politique
pour demain.
Notre legs aux générations
futures peut encore changer,
s’améliorer. Soyons réalistes, nous ne
changerons pas nos sociétés de con-
sommation demain matin, même si
nous possédons le pouvoir du
changement. Mais il faut agir main-
tenant, localement, dans nos milieux
de vie si l’on veut enraciner les nou-
velles valeurs de respect de la vie que
nous espérons tous pour l’avenir.
Nous devons favoriser les petites
actions aux grands bouleversements
radicaux. Il n’y a pas de petites causes
et chaque petit geste compte.
Paradoxalement, c’est peut-être dans
l’individualité de ces petits gestes que
nous retrouverons une notion de col-
lectivité plus enrichissante, plus satis-
faisante. Dès lors, cette nouvelle
forme de solitude que nous avons
créée risque bien d’être soulagée par
ce sentiment de bien-être collectif qui
doit primer dans toute forme d’évolu-
tion de l’humanité.
J’aime à penser que la simple beauté
du monde sauvera la planète, mais
je suis un rêveur. Malheureusement,
toute cette beauté qui s’offre au regard
est aujourd’hui menacée. Peut-être par
inconscience, ou par cette trop grande
distance qui nous sépare d’elle. Ou
peut-être parce que nous avons forgé
de nouveaux standards de beauté.
Dans nos sociétés modernes, on
recherche souvent l’artifice pour com-
penser le naturel. Puis, convaincus par
nos propres créations, nous réinven-
tons le beau. Tout est relatif…
Par cette distance que nous prenons
face à la nature, nous déracinons nos
perceptions. Mais l’humanité ne peut
s’exclure de son environnement.
Par les artifices de nos villes, nous
avons créé un modèle sociétal qui nous
isole, en apparence, de ce que nous
sommes. Mais l’humanité risque gros à
renier ses origines.
Parce que nous contrôlons tout,
dans le confort de ce que nous avons
créé, nous croyons que l’avenir dépen-
dra de nous. Puis, dans cette bulle d’in-
conscience et d’ignorance, nous en
venons à croire que tout va bien, que
tout s’arrangera, se corrigera, que les
hommes trouveront les solutions à tous
nos problèmes. À chacun son rêve…
POLICY OPTIONS
OCTOBER 2006
55
Quand la beauté du monde ne suffit plus
22 septembre, jour d’équinoxe. Dernier continent vierge de la planète, l’Antarctique est
entièrement dédié à la paix et à la science, protégé par des traités qui interdisent toute
exploitation commerciale et toute guerre. « Mais toutes ces mesures de protection
cachent malgré tout un mal pernicieux, écrit Jean Lemire : l’action de l’homme menace
aujourd’hui ce continent qu’il tente de si bien protéger. Les intentions sont sincères, les
moyens aussi, mais il est utopique de penser que notre absence de ce continent équivaut
à une mesure de protection efficace. »
Courtoisie de l’auteur, photo Pascale Otis
J’aime à penser que la simple
beauté du monde sauvera la planète,
mais je suis un rêveur.
D’autres aiment à penser que l’hu-
manité s’élèvera au-dessus de tout, que
la solution à tous les maux se trouve
dans ce que nous allons créer. À mon
tour de les qualifier de rêveurs.
Deux rêves, deux philosophies.
Pourtant, la solution face aux pro-
blèmes environnementaux doit
s’élever au-delà des clans, des philoso-
phies de confrontation. Il faut unir les
forces pour relever l’un des plus impor-
tants défis de l’humanité. Pour nous,
pour vous, pour l’avenir de vos enfants
et celui des enfants de vos enfants.
Je vous écris de l’Antarctique, le plus
bel endroit de la planète. Le plus pur
aussi. J’étais venu chercher une certaine
virginité, un endroit où l’Homme n’avait
pas encore transformé la vie. Il n’en est
rien, car les apparences sont trompeuses.
Nous avons déjà transformé la vie, ici,
chez nous, ailleurs, partout…
Je vous écris de l’Antarctique, le
plus bel endroit de la planète. J’aurais
préféré vous envoyer une simple carte
postale, avec des mots simples et
joyeux. J’aurais aimé vous dire simple-
ment que mon voyage de plus d’une
année se passe bien, que je pense à
vous et que je serai de retour bientôt.
Mais je serais passé à côté de l’essentiel.
Mon retour est pourtant prévu pour
bientôt, mais je ne serai plus le même.
Mon voyage se déroule à merveille, mais
mon regard sur la vie sera transformé.
Mes pensées sont pour vous, mais je me
questionne, encore et encore, sur ce que
nous sommes et, surtout, sur ce que
nous pourrions être…
Jean Lemire, qui se présente comme « un
biologiste qui a mal tourné et est devenu
cinéaste », est le chef de mission à bord du
Sedna IV. Il compte plus de 15 années d’ex-
périence en recherche avec les mammifères
marins et il a réalisé ou produit près d’une
cinquantaine d’heures pour le cinéma ou la
télévision. En 2002, il a dirigé « Mission
Arctique », qui lui aura notamment permis
de manœuvrer le fameux passage du Nord-
Ouest, et, en 2003, « Mission Baleines » qui
l’a amené en Islande, au Groenland, dans le
golfe du Maine et du Saint-Laurent. On peut
suivre l’équipe du Sedna IV via Internet au
http://missionantarctique.ca/spip/
sommaire.php3?lang=fr
OPTIONS POLITIQUES
OCTOBRE 2006
66
Jean Lemire
Les signes du réchauffement climatique sont les plus évidents aux deux pôles. « Les glaciers reculent à la vitesse grand V. Les langues
glaciaires millénaires se fracturent, se désagrègent dans la mer. Les températures moyennes ne cessent d’augmenter et la grande
banquise se réduit davantage à chaque année », note le chef de mission.
Courtoisie de l’auteur, photo Jean Lemire

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Jean Lemire-oct. 2006

  • 1. Parti de Québec en septembre 2005, l’équipage du Sedna IV a entrepris un long voyage d’une année vers l’Antarctique dans le but de documenter les effets des changements climatiques sur le pôle Sud. Palpitante aventure humaine, dont on peut suivre le déroulement via l’Internet, mission scientifique de premier ordre, en collaboration avec la NASA et de nombreux chercheurs de plusieurs pays, et projet cinématographique dont on attend déjà la sortie avec anticipation, cette équipée se présente comme une des plus grandes expéditions contemporaines. C’est aussi une importante campagne de sensibilisation sur les changements climatiques et les grands enjeux environnementaux de la planète. À la veille de son retour, au sortir d’un hiver antarctique qui aura été décevant et inquiétant parce que trop doux, Jean Lemire, chef de mission à bord du Sedna IV, nous écrit « du plus bel endroit de la Terre » et nous raconte comment et à quel point nos comportements locaux prennent des dimensions planétaires. « Il n’y a pas meilleur endroit sur cette planète, écrit-il, pour visualiser les effets catastrophiques des bouleversements climatiques que nos activités engendrent. » In September 2005 the Sedna IV sailed from Quebec City for a year-long journey to Antarctica to document the impact of climate change on the South Pole. An exciting human adventure that can be followed on the Internet, a high-level scientific mission carried out in cooperation with NASA and several researchers from around the world, and a film-making project whose result is eagerly awaited, this journey has been dubbed one of the greatest expeditions of modern times. It is also a major campaign to increase public awareness about climate change and other major environmental issues facing our planet. On the eve of Sedna IV’s return, just out of a disquieting Antarctic winter that was too mild, the head of the mission, Jean Lemire, writes to us from “the most beautiful place on Earth.” He describes how, and how much, our behaviour locally is reverberating globally. “There is no better place on the planet in which to witness the catastrophic effect of climatic upheavals brought about by human activity.” POLICY OPTIONS OCTOBER 2006 11 J e vous écris du plus bel endroit de la Terre. Je vous écris de l’Antarctique, le dernier continent vierge de la planète. Un continent qui n’a pas encore été conquis, que l’Homme n’a pas encore réussi à contrôler. Est-ce pour cette raison qu’il est aussi beau ? J’aurais préféré vous envoyer une simple carte postale, avec des mots simples et joyeux. J’aurais aimé vous dire simplement que mon voyage de plus d’une année se passe bien, que je pense à vous et que je serai de retour bientôt. Mais je passerais à côté de l’essentiel. Mon retour est pourtant prévu pour bientôt, mais je ne serai plus le même. Mon voyage se déroule à merveille, mais mon regard sur la vie sera transformé. Mes pensées sont pour vous, mais je me questionne sur ce que nous sommes et sur ce que nous pourrions être. Embarqué sur le voilier océanographique Sedna IV en septembre 2005, j’ai parcouru avec mon équipage une bonne partie de la planète pour arriver ici, pour atteindre le bout du monde. Je rêvais de ce monde de glace infini, de cette terre sauvage que l’humanité a décidé de protéger. Les gouverne- ments du monde ont décidé de signer un traité qui protège l’Antarctique de toute exploitation commerciale. Les dirigeants des grands pays ont signé un accord qui interdit toute guerre en Antarctique, un continent entièrement dédié à la paix et à la science. Ici, la collaboration entre les scien- tifiques est essentielle, obligatoire et imposée. Tous ces ingré- dients forment en soi un formidable bouclier pour la protection du dernier continent vierge de la planète. Mais toutes ces mesures de protection cachent malgré tout un mal QUAND LA BEAUTÉ DU MONDE NE SUFFIT PLUS Jean Lemire L ETTER FRO M L ETTRE D ’ ANTARCTIQUE
  • 2. pernicieux : l’action de l’homme me- nace aujourd’hui ce continent qu’il tente de si bien protéger. Les intentions sont sincères, les moyens aussi, mais il est utopique de penser que notre absence de ce continent équivaut à une mesure de protection efficace. Depuis que je vis ici, je ne peux que constater à quel point nos comportements locaux prennent des dimensions planétaires. Nous avons amarré notre voilier dans le secteur ouest de la péninsule antarctique, l’en- droit sur la planète qui s’est le plus réchauffé au cours des dernières décennies. Pourtant, il n’y a pas de voitures, pas d’usines, pas même de maisons ou d’hu- mains qui carburent à la sur- consommation d’énergie. À peine retrouve-t-on quelque centaines de chercheurs répartis entre les différentes stations scientifiques, dispersés sur des milliers de kilomètres. La pro- blématique des changements climatiques ne tire pas son ori- gine d’ici et pourtant, il n’y a pas meilleur endroit sur cette planète pour visualiser les effets catastrophiques des bouleverse- ments climatiques que nos activités engendrent. Les glaciers reculent à la vitesse grand V. Les langues glaciaires millénaires se fracturent, se désagrègent dans la mer. Les températures moyennes ne cessent d’augmenter et la grande banquise se réduit davantage à chaque année. Tout l’écosystème de la péninsule antarctique est en train de se transformer à une vitesse telle, qu’elle ne permet pas l’adaptation des espèces qui occupent ce territoire depuis toujours. Pourtant, la production de gaz à effet de serre est négligeable sur tout le continent. Le problème ne vient pas d’ici, mais d’ailleurs, de nos villes, nos usines, nos maisons, nos voitures. Il n’existe pas meilleur endroit pour comprendre et visualiser la notion de globalité qui contrôle la vie, car tout est relié. Le geste posé chez nous aura des répercussions ici, aux confins de la planète. Quand les scientifiques ont retrouvé le plomb de nos voitures dans les excréments des manchots, ils se sont questionnés. Quand la quantité de rayons UV s’est mise à monter en flèche, menaçant toutes les formes de vie antarctique, les chercheurs ont compris l’effet catastrophique des CFC de nos frigos sur la couche d’ozone. Et quand les particules polluantes des Amériques et de l’Europe se sont retrouvées dans les échantillons d’air prélevés au pôle Sud, transportées par les grands vents atmosphériques, les scientifiques ont commencé à com- prendre et à réaliser cette notion de globalité qui gouverne notre planète. Le climat de l’Antarctique dépend de nos activités et de notre façon de consommer les ressources fossiles de la planète. Mais le climat des Amériques, de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique et de toute cette planète dépend directement de l’Antarctique pour maintenir une stabilité qui édifie la vie depuis tou- jours. Les grands courants océaniques et les grands vents atmosphériques de la planète se partagent la tâche et agis- sent en efficaces radiateurs planétaires pour répartir, distribuer et régulariser le climat de notre planète. Sur cette planète, tout est relié, tout est toujours relié. Dans ce contexte de globalité, nous devons peut-être nous question- ner sur l’utilisation que nous faisons des ressources naturelles, celles qui appartiennent à cette globalité, celles qui devraient se partager, dans le respect, entre tous les Hommes. Sur notre petite planète, une trentaine de pays dévelop- pés se partagent 80 p. 100 de la richesse mondiale. Vous en faites partie, comme moi, comme vos voisins. Nous ne sommes que 20 p. 100 de la population, mais nous pro- duisons et consommons plus de 80 p. 100 de l’énergie non renouvelable de la planète. Par habitant, nous rejetons dix fois plus de gaz à effet de serre que l’autre 80 p. 100 des humains qui habitent cette planète. Nous dépensons aussi 40 p. 100 de l’eau potable disponible et consommons près de 90 p. 100 des produits chimiques synthé- tiques que nous produisons. Où allons-nous ? Que restera-t-il aux générations futures si nous conservons ce rythme de consommation à ou- trance qui influence maintenant l’environnement, le climat de notre planète, notre qualité de vie et compromet même la survie de certaines espèces ? Entre 1 et 10 p. 100 des espèces sont éliminées à chaque décennie, soit envi- ron 27 000 espèces chaque année. Selon l’ONU, près de 25 p. 100 des mam- mifères et 12 p. 100 des oiseaux de la planète sont menacés d’extinction. Il y a les effets que l’on voit, comme la pollution chimique, indus- trielle et visuelle. Il y a aussi la pollu- tion perverse, celle que l’on ne voit pas, celle qui se manifeste en silence et qui ne peut se résumer en une seule image. OPTIONS POLITIQUES OCTOBRE 2006 22 Jean Lemire Nous avons amarré notre voilier dans le secteur ouest de la péninsule antarctique, l’endroit sur la planète qui s’est le plus réchauffé au cours des dernières décennies. Pourtant, il n’y a pas de voitures, pas d’usines, pas même de maisons ou d’humains qui carburent à la surconsommation d’énergie. À peine retrouve-t-on quelque centaines de chercheurs répartis entre les différentes stations scientifiques, dispersés sur des milliers de kilomètres. La problématique des changements climatiques ne tire pas son origine d’ici et pourtant, il n’y a pas meilleur endroit sur cette planète pour visualiser les effets catastrophiques des bouleversements climatiques que nos activités engendrent.
  • 3. Vous déversez les huiles usées de votre véhicule dans le ruisseau du voisin. On vous accuse, vous traite de tous les noms, vous n’avez aucun respect pour l’environnement, pour les générations futures. Normal, votre comportement est visible, immédiatement répréhensi- ble puisqu’il laisse des traces. Mais qu’en est-il de toutes ces actions qui ne laissent pas de marques immédiates ou, pire encore, de preuves de notre inaction ? L’ensemble de nos inactions s’accumule au point où nous nous infligeons les effets dévastateurs de ces mêmes inactions. Quand je vous écris de l’Antarctique et que je vous raconte comment les effets des changements climatiques sont en train de transformer le dernier continent vierge de la planète, vous vous dites que c’est malheureux, que l’Antarctique est plutôt joli sur les pho- tos et qu’il serait dommage de perdre tout cela. Notre équipage est loin, au bout de la planète, et vous compatissez peut-être pour nous. Pourtant, cette compassion, vous devriez l’avoir aussi pour vous, car nous sommes beaucoup plus près que vous ne le pensez. Notre ignorance, d’abord, puis nos inactions ont entraîné une réaction en chaîne qui touche maintenant toutes les régions du monde. Les effets des changements clima- tiques sont souvent imperceptibles car POLICY OPTIONS OCTOBER 2006 33 Quand la beauté du monde ne suffit plus Le Sedna IV sur son site d’hivernage, la baie Sedna. Malgré l’isolement et l’éloignement, les treize membres de l’équipage savent s’amuser. Vélo, ski, plongée et même cinéma ! Ici, on les voit disputer leur premier match de hockey, le 14 août dernier, une fois que l’hiver se fut enfin installé et la glace formée. Courtoisie de l’auteur, photo Martin Leclerc
  • 4. les fluctuations climatiques n’ont pas besoin d’être extrêmes pour trans- former la vie. Une différence de quelques degrés suffit, peu importe où l’on se trouve sur cette planète. Lors de la dernière glaciation, une baisse de seulement 5 °C avait entraîné une diminution du niveau de la mer de 120 mètres, au moment où le Canada et l’Europe du Nord étaient recouverts de glaciers comparables à ceux que l’on retrouve ici ou au Groenland. Quand, dans les années 1980, les premières études de la NASA ont démontré le lien tangible entre les aug- mentations de températures de notre planète et les émissions de CO2 et autres gaz de combustion du pétrole, du charbon et du gaz, on a cru à une erreur de parcours. Les grandes com- pagnies pétrolières ont immédiatement tout mis en œuvre pour essayer d’at- tribuer ce réchauffement planétaire à des causes naturelles. Elles n’ont réussi qu’à ralentir le processus, qu’à gagner du temps. Or le temps, c’est sans doute ce dont nous avons le plus besoin face au grand défi climatique. Devant cette nouvelle menace environnementale, les Nations Unies forment une commission pour étudier la question. Plus de 2 500 spécialistes du monde entier concluent que le réchauffement des cinquante dernières années est dû à l’activité humaine. Malgré les conclusions des experts, certaines compagnies qui contrôlent l’or noir débutent alors une guerre silencieuse contre les scien- tifiques, contre les écologistes, contre l’ONU et les plus grands experts du cli- mat de ce monde. Il faut gagner du temps, car la gravité de la situation environnementale demande une mobilisation immédiate, mondiale, et les solutions proposées ne font pas l’affaire des grandes corporations et des gouvernements. Malgré cette querelle d’idéologies qui nous fait per- dre un temps précieux, une évidence demeure : il faut absolument trouver des façons efficaces de réduire nos rejets de gaz à effet de serre qui étouf- fent notre planète. Certaines grandes compagnies pétrolières ont compris que l’avenir sera différent, que le pillage incontrôlé des ressources fossiles de la planète ne pourra pas permettre cette consomma- tion sans limites basée sur le pétrole. Devant cette évidence, certaines pétrolières ont décidé d’investir dans les énergies nouvelles, les énergies durables comme le solaire, l’éolien ou la géothermie. Ce n’est peut-être pas pour des raisons de conscience envi- ronnementale soudainement révélée, j’en conviens. La diminution des réserves mondiales de pétrole stimule sûrement davantage la réorientation des compagnies qui contrôlent le domaine énergétique mondial. Certes, il importe davantage aux magnats du pétrole d’investir dans les nouvelles formes d’énergie pour des raisons strictement économiques, en diversi- fiant le portefeuille énergétique devant l’épuisement des ressources premières. Mais qu’importe. La solu- tion, la seule, devra passer par la collaboration entre les scientifiques, les indus- triels et les gouvernements élus et donc choisis par les citoyens. Le défi à relever est trop grand pour exclure certaines forces en présence. Des voix s’élèvent désormais pour proposer des alternatives plus respectueuses de la vie. Partout, sur la planète, des minorités grandissantes parlent de développement durable, de respect de l’environnement, de commerce équitable, de partage réel des ressources, de nouvelles valeurs sociétales qui, peut-être, redéfiniront la vie en revalorisant les petits groupes, les petites communautés intégrées au sein d’une globalité plus respectueuse de la vie. Qui sait ce que nous réserve l’évolution ? Un vent de changement souffle désormais sur les générations de demain. À partir de nos enseignements théoriques, forgés à partir d’une série d’exemples à ne pas suivre, nous sommes peut-être en train de préparer la solution pour demain. La méthode d’apprentissage et de transmission des connaissances aux générations futures est plutôt honteuse, j’en conviens. Il aurait été préférable de prêcher par l’exemple pour inspirer une nouvelle forme de progrès plus respectueuse de la vie. Mais j’ai confiance en cette OPTIONS POLITIQUES OCTOBRE 2006 44 Jean Lemire Certes, il importe davantage aux magnats du pétrole d’investir dans les nouvelles formes d’énergie pour des raisons strictement économiques, en diversifiant le portefeuille énergétique devant l’épuisement des ressources premières. Mais qu’importe. La solution, la seule, devra passer par la collaboration entre les scientifiques, les industriels et les gouvernements élus et donc choisis par les citoyens. Le défi à relever est trop grand pour exclure certaines forces en présence. Par cette distance que nous prenons face à la nature, nous déracinons nos perceptions. Mais l’humanité ne peut s’exclure de son environnement. Par les artifices de nos villes, nous avons créé un modèle sociétal qui nous isole, en apparence, de ce que nous sommes. Mais l’humanité risque gros à renier ses origines. Parce que nous contrôlons tout, dans le confort de ce que nous avons créé, nous croyons que l’avenir dépendra de nous.
  • 5. génération de demain. À force de pro- mouvoir l’individualité, nos collecti- vités de consommation ont endetté le futur à un point tel que les générations futures n’ont plus le choix : à leur tour, elles doivent dorénavant réussir leur survivance. Et quand viendra le temps pour cette génération de choisir qui les dirigera, elle portera son choix vers les gouvernements qui sauront entendre sa voix, qui sauront comprendre ce vent de changement plus respectueux de la vie. Ignorer ce fait aujourd’hui représente un réel suicide politique pour demain. Notre legs aux générations futures peut encore changer, s’améliorer. Soyons réalistes, nous ne changerons pas nos sociétés de con- sommation demain matin, même si nous possédons le pouvoir du changement. Mais il faut agir main- tenant, localement, dans nos milieux de vie si l’on veut enraciner les nou- velles valeurs de respect de la vie que nous espérons tous pour l’avenir. Nous devons favoriser les petites actions aux grands bouleversements radicaux. Il n’y a pas de petites causes et chaque petit geste compte. Paradoxalement, c’est peut-être dans l’individualité de ces petits gestes que nous retrouverons une notion de col- lectivité plus enrichissante, plus satis- faisante. Dès lors, cette nouvelle forme de solitude que nous avons créée risque bien d’être soulagée par ce sentiment de bien-être collectif qui doit primer dans toute forme d’évolu- tion de l’humanité. J’aime à penser que la simple beauté du monde sauvera la planète, mais je suis un rêveur. Malheureusement, toute cette beauté qui s’offre au regard est aujourd’hui menacée. Peut-être par inconscience, ou par cette trop grande distance qui nous sépare d’elle. Ou peut-être parce que nous avons forgé de nouveaux standards de beauté. Dans nos sociétés modernes, on recherche souvent l’artifice pour com- penser le naturel. Puis, convaincus par nos propres créations, nous réinven- tons le beau. Tout est relatif… Par cette distance que nous prenons face à la nature, nous déracinons nos perceptions. Mais l’humanité ne peut s’exclure de son environnement. Par les artifices de nos villes, nous avons créé un modèle sociétal qui nous isole, en apparence, de ce que nous sommes. Mais l’humanité risque gros à renier ses origines. Parce que nous contrôlons tout, dans le confort de ce que nous avons créé, nous croyons que l’avenir dépen- dra de nous. Puis, dans cette bulle d’in- conscience et d’ignorance, nous en venons à croire que tout va bien, que tout s’arrangera, se corrigera, que les hommes trouveront les solutions à tous nos problèmes. À chacun son rêve… POLICY OPTIONS OCTOBER 2006 55 Quand la beauté du monde ne suffit plus 22 septembre, jour d’équinoxe. Dernier continent vierge de la planète, l’Antarctique est entièrement dédié à la paix et à la science, protégé par des traités qui interdisent toute exploitation commerciale et toute guerre. « Mais toutes ces mesures de protection cachent malgré tout un mal pernicieux, écrit Jean Lemire : l’action de l’homme menace aujourd’hui ce continent qu’il tente de si bien protéger. Les intentions sont sincères, les moyens aussi, mais il est utopique de penser que notre absence de ce continent équivaut à une mesure de protection efficace. » Courtoisie de l’auteur, photo Pascale Otis
  • 6. J’aime à penser que la simple beauté du monde sauvera la planète, mais je suis un rêveur. D’autres aiment à penser que l’hu- manité s’élèvera au-dessus de tout, que la solution à tous les maux se trouve dans ce que nous allons créer. À mon tour de les qualifier de rêveurs. Deux rêves, deux philosophies. Pourtant, la solution face aux pro- blèmes environnementaux doit s’élever au-delà des clans, des philoso- phies de confrontation. Il faut unir les forces pour relever l’un des plus impor- tants défis de l’humanité. Pour nous, pour vous, pour l’avenir de vos enfants et celui des enfants de vos enfants. Je vous écris de l’Antarctique, le plus bel endroit de la planète. Le plus pur aussi. J’étais venu chercher une certaine virginité, un endroit où l’Homme n’avait pas encore transformé la vie. Il n’en est rien, car les apparences sont trompeuses. Nous avons déjà transformé la vie, ici, chez nous, ailleurs, partout… Je vous écris de l’Antarctique, le plus bel endroit de la planète. J’aurais préféré vous envoyer une simple carte postale, avec des mots simples et joyeux. J’aurais aimé vous dire simple- ment que mon voyage de plus d’une année se passe bien, que je pense à vous et que je serai de retour bientôt. Mais je serais passé à côté de l’essentiel. Mon retour est pourtant prévu pour bientôt, mais je ne serai plus le même. Mon voyage se déroule à merveille, mais mon regard sur la vie sera transformé. Mes pensées sont pour vous, mais je me questionne, encore et encore, sur ce que nous sommes et, surtout, sur ce que nous pourrions être… Jean Lemire, qui se présente comme « un biologiste qui a mal tourné et est devenu cinéaste », est le chef de mission à bord du Sedna IV. Il compte plus de 15 années d’ex- périence en recherche avec les mammifères marins et il a réalisé ou produit près d’une cinquantaine d’heures pour le cinéma ou la télévision. En 2002, il a dirigé « Mission Arctique », qui lui aura notamment permis de manœuvrer le fameux passage du Nord- Ouest, et, en 2003, « Mission Baleines » qui l’a amené en Islande, au Groenland, dans le golfe du Maine et du Saint-Laurent. On peut suivre l’équipe du Sedna IV via Internet au http://missionantarctique.ca/spip/ sommaire.php3?lang=fr OPTIONS POLITIQUES OCTOBRE 2006 66 Jean Lemire Les signes du réchauffement climatique sont les plus évidents aux deux pôles. « Les glaciers reculent à la vitesse grand V. Les langues glaciaires millénaires se fracturent, se désagrègent dans la mer. Les températures moyennes ne cessent d’augmenter et la grande banquise se réduit davantage à chaque année », note le chef de mission. Courtoisie de l’auteur, photo Jean Lemire