2. Je vous invite à pénétrer délicatement dans le monde mystérieux et énigmatique des lagopèdes. Vous allez découvrir un des royaumes les plus sauvages de mon jardin secret. Laissez-vous envahir par ces lumières et ces ambiances qui vont magnifier le spectacle de la nature .
3. Tout débute par un sentier étroit qui longe une arête effilée dans des paysages verdoyants. Puis les pierriers d’ardoise, garnis de fleurs alpines d'une étonnante variété de couleurs, font place aux premiers névés encore gelés par la froidure nocturne. Les petits ruisseaux, légers de n'être pas encore gonflés par la fonte des neiges, s'écoulent tranquillement dans un doux frémissement qui tinte de manière unique aux oreilles.
4. Enfin c'est l'arrivée au petit lac et en franchissant la Porte de ce Paradis, le sanctuaire est à vos pieds. C’est dans ce décor sublime que le bleu du ciel, la blancheur des neiges éternelles et le vert des prairies alpines parsemées de joyaux colorés se mêlent en une subtile palette de couleurs. Les reflets du soleil dans le petit lac alpin font apparaître à sa surface des myriades d'étoiles qui scintillent comme des diamants vibrant de tout leur éclat.
5. Tout à coup, le piaillement des accenteurs alpins se bécotant inlassablement d'amour et les cris rauques des lagopèdes se font entendre au loin. Ils vous signalent que ce lieu apparemment inhabité est bien rempli de vie, mais ce n’est pas n’importe quelle vie !..., c’est une vie secrète qui ouvre seulement son cœur à ceux qui l’aiment.
6. Dans ces sanctuaires retirés de toute trace de civilisation, seuls les cris caverneux des lagopèdes permettent de localiser cet incroyable oiseau. Pour le découvrir, il faut s’armer de patience et de très nombreuses visites de ces lieux sauvages seront nécessaires pour espérer parfois le rencontrer au hasard de son territoire.
7. Tout là-haut la fascinante beauté des fleurs de la montagne est comme un réconfortant sourire et personne ne peut rester insensible à cette extraordinaire luminosité et à cette délicatesse. Les étoiles des gentianes printanières donnent l’impression d’être un peu de ciel bleu qui s’est émietté sur le sol.
8. Lorsque l'on s'assied sur une pierre pour se reposer un peu et que l'on aperçoit a portée de main une touffe de pensées qui jaillit presque miraculeusement d’un rocher, on peut mieux ressentir l'attirance pour ces petits bijoux. Ce paradis floral éclate de beauté et au moindre rayon de soleil il arbore des couleurs voyantes et dégage des senteurs capiteuses.
9. Dans ce monde de douceur apparente, les lagopèdes sont attentifs car l’hermine rode dans les parages. C’est un véritable fauve en miniature ou alors parfois un éphémère morceau de porcelaine. La tueuse va bientôt reprendre sa course fiévreuse, disparition, apparition, départ et retour foudroyants et se faufiler entre les pierres avec une habileté diabolique.
10. Durant l’été, le lagopède semble garder la nostalgie de son ancienne patrie. Pour le trouver, il faut grimper, grimper encore. Pour le découvrir, il faut s’armer de patience, traverser des régions désolées, vagabonder longuement parmi les éboulis et la rocaille fissurée par le gel.
11. Il faut chercher sa trace dans des terrains désertiques recouverts d’une mince végétation ou encore fouiller les pierriers chauffés par le soleil. Il faut deviner son mimétisme et s’imaginer que derrière chaque pierre se cache le bel oiseau.
12. Tout à coup, le miracle se produit et l’oiseau invisible couleur de roche, véritable relique de l’époque glaciaire, animal mythique dont on a rêvé durant des années, déploie soudain ses deux ailes blanches et tout devient magie !...
13. C’est le miracle de la nature, le petit caillou devient magique. La petite boule grise montre qu’elle est bien vivante cachée parmi les autres cailloux. Le magnifique oiseau resplendit alors de toute sa beauté et tous les détails de son plumage apparaissent dans des couleurs et dans des finesses des plus subtiles.
14. Vers la mi-juin, la femelle pond ses œufs à même le sol dans un nid rudimentaire tapissé de quelques brindilles et d’herbes sèches. Lorsqu’elle couve, la confiance en son camouflage est telle qu’elle reste parfaitement immobile à l’approche d’un prédateur même si, ce dernier se rapproche à moins d'un mètre !
15. Mais à cette saison, les chutes de neige tardives ou simplement le mauvais temps prolongé font prendre le plus grand risque à toutes la nichée et il n’est pas rare que toute la couvaison soit détruite par un brusque changement climatique.
16. Celui-ci a, pour le moment, réussi de survivre mais les prédateurs sont nombreux et deux semaines après l’éclosion des poussins, ils n’en reste cette fois déjà plus que trois !... Les chocards qui rodaient souvent dans les parages ont certainement prélevés leur part ? Combien en restera-t-il l’année prochaine ?
17. Couleur de pierre et de roche, les accenteurs alpins sont si bien adaptés à leur milieu qu’ils en prennent les teintes de leur décor quotidien. Et on peut observer les couples parcourir inlassablement leur territoire allant de pierres en pierres dans un gazouillis mélodieux qui enchantent les oreilles.
18. Le chocard, virtuose du vol acrobatique apparaît et disparaît en un étourdissant carrousel. Au moindre sifflement, les jeunes poussins restent cloîtrés au sol. Ce n’est que lorsque les chocards sont repartis vers d’autres cieux, que leur mère pousse une sorte de doux miaulement à peine audible qui est un signe pour eux de pouvoir ressortir sans risque de leur cachette.
19. Lorsque l’on croise de si belles fleurs sur son chemin, on les imagine se tenir par la main avec leurs tiges et leurs pétales comme pour nous offrir une haie d’honneur. Si on observe plus attentivement ces joyaux de la nature, on les trouve si belles que l’on ressent cette impression étrange d’imaginer qu’elles ne demandent qu’un peu de tendresse pour pouvoir s’épanouir entièrement.
20. Peut-être, qu’elles attendent notre présence pour partager un peu de leur richesse et nous raconter un peu de leur vie. Ce matin là, plutôt que de simplement croiser leur chemin, j’ai eu ce pressentiment qu’elles n’attendaient peut-être que moi pour être complice de tout leur éclat. Inconsciemment, c’est peut-être moi qui ce jour-là, leur a donné ma main pour les apprivoiser un peu avec mon coeur.
21. Les fréquents passages de l’aigle royal sont autant de danger pour les lagopèdes, mais les coups de sifflets stridents des marmottes les avertissent du danger. Et dès que l’ombre du puissant rapace se déplace sur le sol, la marmotte se met à lancer des cris rageurs qui déchirent le silence.
22. Finalement, la montagne retrouve le calme et la solitude et plus personne ne vient déranger les amoureux qui peuvent à nouveau reprendre leurs débordements d’affection par des baisers remplis d’une grande tendresse. Fatigués, par ces échanges passionnels, ils finiront par s’assoupir l’un contre l’autre pour apprécier la douce chaleur de leur fourrure.
23. Lorsque l’on a la chance de découvrir le lagopède, il s’agit de s’en approcher en essayant de garder tout son calme et ne pas perdre tout le bénéfice du travail d’approche. Il est tellement confiant dans son mimétisme qu’il se laisse approcher relativement facilement à une dizaine de mètres pour autant que l’on fasse attention de prendre son temps.
24. Rencontrer un lagopède c’est toujours quelque chose de captivant car chaque fois que l’animal a été repéré, on a l’impression qu’il cherche à se cacher de celui qui veut essayer de le débusquer. Et parfois c’est à peine si on peut le deviner tant son mimétisme se confond avec le milieu.
25. Marcher dans les pierriers avec tous les sens en éveil, savoir retrouver un caillou vivant parmi les autres cailloux. C’est vraiment un jeu passionnant d’être à l’écoute du moindre indice qui peut nous aider à déceler sa présence pour rechercher une pierre parmi les autres pierres.
26. L’observation des caroncules situées au-dessus des yeux permet de juger de son état d’excitation. Ainsi, pas à pas, on peut espérer s’en approcher d’assez près pour essayer de réaliser une belle image. Si le danger devient trop grand, il prend alors son envol pour se poser une centaine de mètres plus loin.
27. On le voit se faufiler entre les roches et ressortir quelques mètres plus loin avec toujours un œil fixé sur l’intrus et recommencer son petit manège pour des parties de cache-cache sans fin. Parfois, on le voit trottiner à toute vitesse sur quelques dizaines de mètres pour le voir réapparaître sur une proéminence rocheuse à la recherche de l’imposteur.
28. Après des centaines d’heures passées à la recherche de ce bel oiseau et à espérer une hypothétique rencontre, il me semble maintenant le connaître un peu mieux pour réussir de m’en approcher et vivre un peu avec lui pour autant que je respecte son intimité.
29. Et si le plus souvent, il cherche à passer inaperçu, de temps en temps, on peut croire qu’il essaie de montrer sa magnificence comme une statue emplumée sur son socle de granit.
30. Dans ce havre de paix, aucun bruit ne vient troubler la quiétude des lieux si ce n'est une pierre qui se décroche de temps à autre des faces rocheuses réchauffées par le soleil. Dans cette cathédrale de la Nature, le bonheur intérieur et la plénitude de l'esprit s'imposent comme des certitudes.
31. Les Pointes des Dents-du-Midi, clochers de cette église, en assurent la pérennité pour l'éternité. Une fois de plus c'est grâce à la Nature que j’ai pu recevoir de si beaux cadeaux et c’est toujours elle qui a décidé de me les offrir, je n’étais là-haut qu’avec mon cœur pour les recueillir.
32. La nature humaine est parfois étonnante et la passion qui l’anime la pousse toujours à revivre ces ambiances et ces émotions comme une drogue qui envahit le corps et l’esprit, pour ressentir dans ces décors exceptionnels un très grand bien-être intérieur.
33. Dans ces ambiances de rêve, le photographe naturaliste est transporté au paroxysme du bonheur dans des rêves qu’ils croyaient pourtant inaccessibles. Mais ces rêves sont bien présents et même si j'ai déjà vécu tout là-haut tant de bons moments, ceux-ci m’ont procuré tellement de joies que je sais déjà que j’y retournerai encore et encore !