1. FORMER DES ADULTES AU DEVELOPPEMENT DURABLE:
QUELLES SPECIFICITES? QUELS EFFETS DERIVES ?
Valérie Guillemot, Formatrice Conseil-afpa
Doctorante Université de Provence Aix-Marseille 1- UMR ADEF P3
valerie.guillemot-nicolas@afpa.fr
Michel Vial
Maître de Conférences HDR Université de Provence Aix-Marseille 1- UMR ADEF P3
michel.vial@univ-provence.fr
Equipe 3 : Education, formation et évaluation. Groupe de Recherche sur l’étayage en éducation : accompagnement,
évaluation et professionnalisation
I. INTRODUCTION
Le métier de commercial s’exerce à partir de niveaux de formation et dans des conditions
d’emploi particulièrement diversifiées. De nombreux organismes tout aussi divers par leur ancienneté,
leur taille, leurs positionnements, leurs options pédagogiques forment des hommes et des femmes
désireux de devenir commercial ou de se perfectionner en tant que commercial. Parmi ces
organismes, l’afpa (association pour la formation professionnelle des adultes) forme chaque année
environ 800 conseiller(e)s commerciaux(ales) de niveau V, attaché(e)s commerciaux(ales) de niveau
IV et négociateurs(trices) technico-commerciaux(ales) de niveau III. Ces formations comportent une
alternance de périodes l’organisme de formation et en entreprise. La mise en œuvre s’appuie sur des
référentiels produits selon une approche de didactique professionnelle. Ils sont actualisés tous les cinq
ans. A ce jour, la prise en compte du développement durable dans l’activité commerciale n’est pas
une compétence évaluée pour l’obtention des titres professionnels délivré par le Ministère chargé de
l’Emploi. L’hypothèse formulée est que la formation au développement durable dans des formations
qualifiantes aux métiers commerciaux a des effets sur l’identité professionnelle à la fois des
commerciaux formés (individus) et sur le groupe social des commerciaux. Cet article présente des
points d’attention pour un formateur en situation de former des adultes au développement durable
C’est un milieu professionnel qui est ici étudié. Ce n’est pas le commun, le majoritaire, le
fréquent, le récurrent, qui est recherché pour généraliser, et à partir du général, étudier les individus
qui composent le groupe social. C’est ici à partir du cas de sujets que sont dégagés des éléments
singuliers, remarquables et signifiants pour le groupe social. Les références théoriques sur le plan
méthodologique sont la sociologie compréhensive de Kaufmann et la socio clinique de de Gaulejac
Les donnés ont été recueillies dans un dispositif d’entretien enregistré puis retranscrit, de type
compréhensif (Kaufmann, 1996). Le traitement, sous forme d’analyse sémantique, syntaxique et
pragmatique, repère dans les données à propos du développement durable les termes relatifs aux
valeurs, à l’évaluation, à l’identité professionnelle. L’interprétation fait appel aux théories de
l’évaluation (Vial, 2001), aux modèles du sujet (Giust-Deprairies, 2003) et aux théories de l’identité de
Dubar (2000). Les résultats provisoires de travaux de recherches en cours à visée de didactique
professionnelle (Pastré) relatifs à l’usage du référentiel sont également convoqués (Guillemot, Vial,
2010, 2011).
II. SE FORMER A LA PRISE EN COMPTE DU DEVELOPPEMENT DURABLE
DANS L’ACTIVITÉ COMMERCIALE : REPRESENTATIONS ET CONTRADICTIONS
II.1 Etat des lieux
L’introduction du développement durable dans les préoccupations quotidiennes des
professionnels, en particulier des commerciaux, est en passe de devenir un fait social. « Un fait social
se reconnaît au pouvoir de coercition externe qu’il exerce ou est susceptible d’exercer sur les
individus » écrivait Durkheim (1985, p.5). A l’issue de sa formation, un commercial qui s’est formé
intègre le groupe social des commerciaux, qui préexiste à son arrivée, et s’impose à lui, mais que par
2. sa pratique, il contribuera à faire évoluer, à transformer. « Comment l’individu peut-il influencer ce qui
l’entoure, les institutions la société dont il fait partie, alors que celles-ci, en même temps, le
conditionnent ? » (Grawitz, 2001, p.211). Cette question générale prend une acuité particulière pour
les commerciaux itinérants, dont l’activité a pour particularité de comporter une importante
d’autonomie, mais où le résultat, l’efficacité, la rentabilité de chaque action est une préoccupation
constante. Ni les fiches métiers publiées par Pôle Emploi ni les référentiel emploi activités
compétences des conseiller(e) commerciaux(ales), des attaché(e) commerciaux(ales) et des
négociateurs(trices) technico-commerciaux(ales) ne font référence au développement durable. Ces
référentiels présentent « le contour de l’emploi ». D’autres référentiels, dits de certification, rappellent
« la définition et la description de l’emploi type visé », précisent les « compétences par activité type »,
« les critères d’appréciation et seuils requis pour la tenue de l’emploi », ainsi que les « modalités pour
la mise en œuvre de l’évaluation et le « dispositif d’évaluation ». Une analyse sémantique de ces
référentiels permet de préciser qu’aucune mention directe au développement durable, à l’écologie, à
l’environnent –au sens du développement durable- n’y figure. En revanche, autour du mot
« responsabilité » y est indiqué que le professionnel « a la responsabilité de remonter les informations
du marché auprès de son entreprise pour contribuer aux évolutions de l'offre commerciale », (REAC
NTC1
), qu’il « recueille les informations concernant le terrain […] est responsable de la construction de
l'offre au sein de son entreprise qui doit prendre en compte les besoins du prospect/client et il vend la
solution en défendant les intérêts de son entreprise […] (doit) prendre en compte les besoins du
client/prospect ». Un référentiel indique aussi que le commercial « doit appliquer la politique
commerciale de son entreprise » (REAC AC2
) Il est même indiqué qu’il adopte une « éthique
comportementale correspondant aux valeurs de son entreprise». (Ibid.). Enfin il est précisé dans le
REAC CC3
que « le Conseiller Commercial prospecte et visite […] pour leur vendre des produits et
des services sur catalogue, dans le respect des méthodes et de consignes de l'entreprise ».
Ainsi, bien que la prise en compte du développement durable ne soit pas directement
présente dans la description des emplois ni évaluée parmi les compétences-clés pour l’obtention du
titre professionnel, on repère dans les extraits ci-dessus que cette dimension est potentiellement
englobée dans les informations du marché, l’évolution de l’offre commerciale, la prise en compte des
besoins du client, les intérêts de l’entreprise, sa politique commerciale, ses procédures, ses méthodes
et consignes, l’amélioration, les valeurs, etc. Dans l’évolution de l’ingénierie de ces formations qui
prend en compte les apports récents de la didactique professionnelle, l’approche par situations
professionnelles de référence permet depuis environ deux ans d’intégrer la dimension développement
durable de ces situations et de ce fait d’intégrer dans des séances de formation à la prise en compte
du développement durable dans l’activité commerciale. Notamment en début de formation à l’occasion
de la formation autour de la première situation professionnelle de référence, qui consiste pour « le
professionnel dans l’entreprise et en formation (à) se fixer des objectifs professionnels et appréhender
un métier ». Cette première séance « développement durable » intervient chronologiquement juste
après la séance qui vise à « confronter sa représentation du métier à l’environnement professionnel ».
La deuxième séance formalisée consacrée à « prendre en compte la dimension du développement
durable dans l’activité commerciale » se situe beaucoup plus tard, lorsqu’il s’agit en situation de
prospection d’optimiser ses déplacements.
II.2 Présentation du cas de F.
II.2.1 Des représentations produites par un contexte social et une expérience
personnelle
Après une scolarité en lycée professionnel puis une expérience de près de trente ans,
notamment logistique, F. a choisi de se former au métier de technico-commercial à l’occasion d’une
sortie de l’emploi pour motifs économiques. Son expérience antérieure s’est déroulée aussi bien dans
une entreprise multinationale qu’en PME (Petites et Moyennes Entreprise), jamais dans des fonctions
commerciales. L’entretien apportera l’information que F. s’est forgé une représentation de ce métier
au travers d’échanges avec un membre de sa famille qui exerce le métier de technico-commercial.
L’entretien avec F. s’est déroulé un mois et demi après l’entrée en formation, au retour d’une première
1 Référentiel Emploi Activités Compétences « Négociateur (trice) Technico-Commercial(e) »
2 Référentiel Emploi Activités Compétences « Attaché(e)-Commercial(e) »
3 Référentiel Emploi Activités Compétences « Conseiller(e)-Commercial(e) »
3. période en entreprise et plusieurs semaines après la première séance de formation formalisée
consacrée au développement durable, qui porte notamment sur le recyclage, la rationalisation de
l’utilisation des consommables et des énergies au quotidien, et la conduite éco-citoyenne. La première
période en entreprise vise à permettre au commercial en formation de « découvrir et comprendre le
fonctionnement d’une entreprise et son organisation commerciale ». En l’occurrence, l’entreprise est
ici une agence immobilière, affiliée à un réseau international, et la gérante a été la tutrice de F.
En parlant de situations qu’il vit, F. donne à voir ses représentations. « Résultat d’une activité
mentale qui fonde en partie les positions et les conduites, les représentations permettent d’interpréter
le monde et renvoient simultanément à différentes sources de signification […] l’appréhension
pragmatique de la réalité, […] la personne elle-même » (Giust-Deprairies, 2003, p.15). Les
représentations sont inobservables, mais se communiquent à autrui notamment par des mots. Ainsi, le
traitement de l’entretien avec F. permet de repérer dans ses propos quatre critères qu’il pose pour la
prise en compte du développement durable dans l’activité commerciale. Un critère est la dimension et
structure de l’entreprise : à propos du tri des déchets F. dit que « dans les PME ils ont du mal parce
qu’il y a un coût, dans les multinationales c’est déjà plus rentré dans les mœurs » et plus loin « les
gens ont du mal à changer, surtout dans les PME ». F. argumente ce critère à partir de son vécu
professionnel : « j’étais dans l’industrie automobile, je sais que ans l’industrie automobile à part les
grosses concessions, mais là ils sont vraiment dans l’écologie, on prend le petit garage du coin il est
pas encore très au point parce que c’est l‘inconnu, personne ne va leur expliquer qu’est ce que ça va
leur coûter et qu’est ce que ça va leur rapporter ». Un autre critère selon F. est l’âge : « plus jeunes, il
sont peut être moins intéressés par ce côté-là pour l’instant. Quand on vieillit je pense on prend plus
de recul et on regarde un peu plus les choses je pense qu’il y a une question d’âge de ce qu’on vit, ils
sont moins sensibilisés je pense que déjà y a ça ». L’ancienneté dans la profession est un troisième
critère « les anciens commerciaux, qui sont déjà depuis plusieurs années, ne savent plus, ont perdu,
ou ne sont pas au courant, ou ça ne les intéresse pas […] ils s’en moquent un petit peu ». Enfin, un
quatrième critère est l’intérêt économique : « on est tous pareils au niveau du portefeuille, dès que ça
touche au portefeuille on est tous un peu plus ouverts d’esprit, on tend plus l’oreille sur la chose.[…] le
portefeuille tout le monde en a un et on est tous sensibilisés quand c’est ça ». Les représentations de
F. sont le produit de sa propre expérience et des représentations sociales des groupes auxquels il se
réfère. Elles « ne constituent pas un reflet du réel mais un discours porteur de significations qui traduit
une vision du groupe ou de l’organisation permettant à ses membres de s’y reconnaître. Un étayage à
la fois individuel et social ». (Vial).
II.2.2 Quand l’alternance dévoile un écart entre les acquis de la formation au
développement durable et les pratiques en entreprise
Au-delà des acquisitions de compétences liées à la technicité du métier de négociateur
technico-commercial, F. va être amené, comme dans tout processus de formation, à remanier ses
représentations, à changer ses comportements et son regard sur les situations pour agir en pertinence
avec celles qu’il aura à rencontrer. F. déclare qu’avant d’entrer en formation, il s’était déjà posé la
question de l’impact des comportements sur le développement durable dans l’activité du commercial
et qu’il avait identifié la conduite routière du commercial comme occasion de vigilance sur ce point :
« y a la façon de conduire, ce qu’on met en place on essaie d’avoir un regard sur le compte tours ». Il
avait aussi anticipé la possibilité pour un commercial d’agir sur la réduction des consommables et le
recyclage : « y a des consommable des choses comme ça le papier qu’on récupère des choses
comme ça y a le recyclage » Mais il ajoute que « sur le phoning non, parce que le phoning c’est
vraiment un outil que j’apprends ». L’intérêt d’organiser une action de prospection en mettant en
œuvre une prospection est une découverte réalisée à l’occasion de la première séance de formation
au développement durable : « qu’est-ce que ça apporte, le phoning … le phoning, c’est pas juste
téléphoner […]Etre sûr déjà de se déplacer pour quelque chose, toute cette partie là non c’était
vraiment inconnu. »
La prospection téléphonique est repérée comme compétence-clé du commercial dans les
référentiels, et est évaluée en tant que telle pour l’obtention du titre d’Attaché(e) Commercial(e). Pour
le titre de Négociateur(trice) Technico-commercial(e), la prospection téléphonique est un des moyens
d’action inclus dans l’organisation de son plan d'actions commerciales, compétence évaluée pour
l’obtention du titre professionnel. Lorsqu’il se confronte pour la première fois à une activité
commerciale lors de la première période en entreprise, F. découvre l’écart entre l’activité à laquelle il
s’est formé et la pratique de l’activité dans cette entreprise là. Il. cherche à appliquer en entreprise ce
qu’il a découvert en formation : « Et c’est pour ça que je l’ai mis en perfectionnement durant la période
4. en entreprise, et j’ai essayé convaincre un petit peu la gérante de la société pour lui dire le coût quand
même d’un phoning, je veux dire y a pas photo quoi […] pour moi le phoning c’est vraiment la base ».
Ce d’autant plus volontiers que la séance de formation, travaillée individuellement sous forme de livret
d’apprentissage sur la plateforme numérique de formation (TSGP4
) puis objet d’un regroupement avec
les autres apprenants et le formateur, lui a démontré la plus value pour le développement durable
(réduction des trajets, limitation de la consommation de carburants, réduction des risques) et pour
l’économie (gain de temps, gain de rentabilité). Il est surpris que dans cette franchise d’une enseigne
à forte notoriété, «ils ne voulaient pas faire de phoning […] ils préfèrent faire du déplacement et le
phoning comme on l’a vu dans TSGP et par rapport aux chiffres y a pas photo je veux dire entre un
phoning et voir du prospect en voiture, donc là c’est extrêmement cher, faut être sûr de prendre sa
voiture pour avoir un résultat au bout ». L’étonnement de F. est accentué par la découverte d’un écart
entre les moyens d’action commerciale choisis dans cette entreprise et les prescriptions et moyens
mis à disposition par le franchiseur : « ils ont des bases, mais ils utilisent rien. […] ils ont un classeur
phoning, ils ont même les vidéos qui vont avec, comment on fait du phoning, mais ils ne s’en servent
pas. C’est quelque chose qu’ils ne veulent pas ils ont peur de l’outil »
III. SE DONNER DES CRITÈRES POUR ÉVALUER
III.1.1 Agir pour tenir son projet
Durant sa période en entreprise, F. se trouve dans une situation où il ne peut tenir à la fois
une conformité aux règles acquises en formation et aux règles propres à l’entreprise d’accueil. Cette
tension entre des règles contraires l’amène à évaluer la situation. Pour cela, il se donne des critères.
Un critère explicite est de mettre en application son projet pour ce stage, « énoncé d’une intention
d’action sur le terrain en relation avec un projet de formation » (Donnadieu, 1998, p.28). F. explicite
son projet pour cette période en entreprise : « Le phoning c’est très important je pense. C’est ce que
vous m’avez fait découvrir et en fait c’est ce que je veux remettre en question […] en entreprise pour
améliorer justement cette partie là et pas perdre mon temps sur la route pour rien. Ah oui me déplacer
pour du concret » .C’est d’abord à partir de ce critère de fidélité à son projet de stage, conforme aux
objectifs de la formation, que F., en situation, choisit de mettre en place dans l’entreprise cette
technique de prospection téléphonique, pourtant contraire aux pratiques en place et aux souhaits de la
gérante : « Elle a pas aimé […] pour elle, elle y croit pas. Elle y croit pas, alors que les résultats que
j’ai eu en phoning étaient corrects ». Il interprète cette croyance de la gérante à partir de ses propres
croyances : « parce qu’ils sont habitués. Il y a les habitudes qu’il faut changer et le français il aime
pas changer ses habitudes comme ça ». Le vocabulaire ici employé par F. renvoie à l’affectif, à la
croyance plus proche d’un registre de pensée magique (Vial, 2001), que de la pensée par objectifs qui
prévaut dans le secteur commercial, où la recherche de marge, de rentabilité amène à faire appel à
des références polémologiques, et produit une figure guerrière du sujet, en guerre sinon pour la
conquête du monde, du moins pour celle de parts de marché gagnées aux concurrents, à vaincre
dans un combat sans merci. Pourtant, F. indique sans ambigüité que les valeurs d’efficacité et de
dynamisme, associées à la pensée par objectif (Ibid.) lui sont tout autant familières.
III.1.2 Agir rentablement
Pour produire un changement pour une prise en compte du développement durable, F.
préconise dans un premier temps de mettre en place les conditions d’accès aux connaissances : « ils
ont peur de beaucoup de choses en fait parce qu’on ne leur explique pas […]il faut y aller petit à petit
[…] c’est comme ça qu’on avance […] il faut au moins être au courant, mettre un bon accent dessus,
parce qu’il faut qu’on en prenne tous conscience, je veux dire c’est les petits gestes de tous les jours
qui font des grands gestes pour tout le monde. Donc je pense qu’il faut mettre le poing dessus parce
que […] c’est un nouveau une nouvelle méthode de travail […] mais y a beaucoup de choses que ici
vous nous apprenez ». Mais finalement, pour F, les principales connaissances à acquérir pour faire
évoluer les comportements des commerciaux pour une prise en compte du développement durables
ont trait à la rentabilité économique. Savoir que des comportements différents profiteraient aux
générations futures, notamment, n’est pas un argument pour F. Ce qui va motiver un commercial à
changer ses comportements, c’est le gain espéré. F. cite quatre actions concrètes travaillées en
formation et qui permettent une plus-value à la fois écologique et économique : La première est l’éco-
conduite : « Moi personnellement je fais de l’éco conduite avec ma voiture personnelle parce que ça
sort de ma poche et je le mets en place dans ma société parce que les deux vont ensemble ». La
4 TSGP : Tutorat Stagiaires et Gestion de Parcours
5. deuxième porte sur la réduction des impressions papier : « le papier imprimante qu’on fait beaucoup
parce qu’il y a les factures, les devis, alors maintenant on peut travailler avec les mails parce que […]
en faire vingt et qu’il y en a que deux qui reviennent je vois pas l’intérêt. ». La mise en veille des
appareils électriques consommateurs d’énergie est la troisième action concrète : on prend un
ordinateur on le laisse en vielle on dit ça nous coûte tant. […] Un ordinateur il se met pas en veille ça
coûte tant. Voilà ». Enfin, la prospection téléphonique pour une organisation des tournées optimale
reste une découverte importante : « Un commercial, il prend sa voiture une journée, il fait 10 rendez
vous, disons il en a trois qui sont concrets, et quelqu’un qui reste au bureau qui va peut être passer
vingt coups de fils, qui aura dix coups de téléphone […] un tableau, un petit stat, avec les coûts. Et là
déjà c’est parlant, et je sais que quand on parle d’argent, c’est celui là de l’entreprise ou celui là de la
personne, ça […] fait réfléchir plus facilement quand on […] montre les chiffres. Vous allez voir le coût
et vite. […] on aura plus de clients à aller voir mais plus de signatures à la fin […] on leur dit à la fin
j’ai gagné plus que toi qui as été en voiture mais ça m’a coûté moins cher». Cette prise en compte des
contraintes de rentabilité de l’action commerciale tient une place importante dans le référentiel, et fait
partie des critères d’évaluation pour l’obtention du titre professionnel. Ainsi, par la mise en avant du
critère économique comme motivation à adopter des comportements écologiques, F. affiche sa
conformité au référentiel métier et son appartenance au groupe social des commerciaux.
III.1.3 . Agir pour se construire une identité professionnelle
Les valeurs d’efficacité et de dynamisme, prégnantes dans la culture commerciale, permettent
aux commerciaux de se reconnaître et de reconnaître autrui comme porteur d’une identité
professionnelle de commercial. « Les identités professionnelles sont des manières socialement
reconnues, pour les individus, de s’identifier les uns les autres, dans le champ du travail et de
l’emploi. » (Dubar, 2000, p.95). Dans la pensée par objectif à laquelle correspondent ces valeurs (Vial,
2001), l’atteinte d’un objectif commande l’action, programmée sous forme de trajectoire. Un
commercial « est capable d'analyser en permanence ses résultats commerciaux par rapport aux
objectifs fixés et apporter les correctifs nécessaires »(RC NTC5
), il « est capable d'analyser les
éventuels écarts entre les résultats et les objectifs sur une période de référence, ou sur une action
spécifique (ainsi que) de proposer des mesures de correction ».(RC AC6
). Ces critères d’évaluation de
compétences clé de métiers dans le champ commercial sont ceux qu’utilisent les professionnels,
évaluateurs lors des sessions d’examens pour l’obtention des titres professionnels, et qui, en
accordant le titre, vont permettre au candidat d’accéder à une reconnaissance comme membre de la
communauté professionnelle. Et de ce fait, d’y renforcer des représentations en phase avec celles du
groupe social ; mais aussi de faire évoluer les représentations sociales du groupes : « Contrairement
à la représentation courante qu’en ont les acteurs sociaux, les représentations ne se réduisent pas à
des réalités mentales qui seraient la contrepartie d’une réalité extérieure tangible dont elles rendraient
compte mais elles contribuent à leur constitution. Elles sont avant tout un discours porteur de
significations qui traduit une vision du groupe ou de l’organisation permettant à ses membres de s’y
reconnaître. » (Giust-Deprairies, 2003, p. 54).
Outre les représentations, c’est bien les pratiques que chaque professionnel fait évoluer par
sa propre pratique singulière. C’est sur le double versant de conformité et de singularité au métier que
le professionnel construit son identité professionnelle. La notion de soi professionnel implique une
culture professionnelle, une identité collective et en même temps une différence aux autres (Marta
Souto, 2010). Il s’agit pour chacun des praticiens de trouver ses « liens de continuité entre chacun et
l’ensemble, entre l’ensemble et chacun […] Ces liens de communauté d’appartenance,
d’interprétation, de représentation, de croyance, de certitude sont entretenus par les investissements
psychiques requis de ses sujets qui, en échange, y trouvent leurs repères identificatoires» (Kaës,
1993, p.112). ». F. trouve un objet d’investissement commun entre lui et l’ensemble des
commerciaux : « Je pense qu’on est tous pareils au niveau du portefeuille, dès que ça touche au
portefeuille, on est tous un peu plus ouverts d’esprit, on tend plus l’oreille sur la chose ». Pourtant, il
affiche sa singularité par une forme d’avance prise sur les « anciens » commerciaux, ceux qui sont
déjà en poste, ses futurs collègues, sur les questions de développement durable : ils ne voient pas
l’avantage que ça peut leur rapporter […]C’est à dire, ils n’ont pas de chiffres qui leur prouve, qui les
poussent à le faire. Ils ont pas de retour, ils sont pas assez statistique s[…] ils s’en moquent un petit
peu, je veux dire si il faut faire trente kilomètres pour dire bonjour au client, ils vont aller faire les trente
5 Référentiel de Certification Négociateur(trice) Technico-Commercial(e)
6 Référentiel de Certification Attaché(e)-Commercial(e)
6. kilomètres. C’est juste pour les voir ». Dans cet entretien, F. oppose ses propres comportements
« pour moi », celui qui a l’information, qui a appris à prendre en compte la rentabilité de son action
commerciale, aux comportements des commerciaux non formés au développement durable « ils ». Il
revient à plusieurs reprises sur cette contradiction entre les connaissances qu’il s’est appropriées en
formation et l’absence de ces connaissances ou de leur prise en compte dans ce qu’il a découvert de
l’environnement professionnel : « tout ce que vous nous apprenez ici, pour moi c’est ça, quand je vois
à l’extérieur, ça a rien à voir. […] mais y a beaucoup de choses que ici vous nous apprenez, que les
anciens commerciaux, qui sont déjà depuis plusieurs années, ne savent plus, ont perdu, ou ne sont
pas au courant, ou ça ne les intéresse pas». Même si sa singularité, c’est bien par sa conformité à la
rationalisation par les chiffres qu’il l’a acquise : « les statistiques sont là pour le dire » ou encore « des
chiffres comme j’ai vu dans TSGP, ça parle, on se dit y a quand même un coût ». F. dans ce premier
aller-retour entre l’organisme de formation et l’entreprise, travaille à s’identifier aux commerciaux en
exercice, investis dans la recherche de chiffre d’affaire, de marge, de rentabilité, et à se singulariser
comme commercial formé à la prise en compte du développement durable dans l’activité
commerciale, singularité qu’il cherche à son tour à partager en la mettant au service de l’entreprise.
« Le jeu des singularités individuelles dans un groupe, rend difficile la création d’un espace commun.
Les conflits et les confrontations ont précisément pour enjeu la création d’un lien social permettant
l’accès à des situations suffisamment communes. Cette création exige une reconnaissance de
l’autre ». (Giust-Deprairies, Ibid., p.115). On voit donc comment la pratique d’un seul peut contribuer à
faire évoluer la pratique de plusieurs, puis, progressivement, du groupe professionnel. C’est par ce va
et vient entre le milieu professionnel et le milieu de formation que les référentiels évoluent, pour une
prise en compte en formation des situations professionnelles, et par une prise en compte dans le
milieu des apports de la formation.
IV. CONCLUSION
Les formations à différents métiers de commerciaux à l’afpa constituent une réponse à des
projets individuels d’exercer une fonction de commercial et/ou d’obtenir une qualification reconnue.
Pour l’obtention du titre professionnel, ce sont des compétences qui sont évaluées. Les compétences
ne peuvent pas se réduire aux invariants opératoires et révèlent la relation dynamique d’une personne
avec des situations ou des classes de situations. (Mayen Métral, Tourmen, 2010). Progressivement,
des critères de pertinence aux situations, chacune d’elles singulière, se dessinent, évoluent. C’est
bien le professionnel seul, pris dans la situation, qui est à même, par une auto-évaluation située,
d’orienter son agir. Pour cela, il convoque en situation le référentiel métier, tel qu’il se l’est approprié,
et se donne aussi des critères pour agir, qu’il hiérarchise à partir de la valeur qu’il leur attribue.
C’est à cette condition, celle d’un usage du référentiel comme étayage, repère pour s’orienter,
plus qu’un usage du référentiel comme objet de conformisation limitante, que cette dynamique est
féconde, à la fois pour le praticien et pour le groupe social des praticiens auquel il appartient. « On ne
part pas d’une norme dont il faudrait se rapprocher pour être conforme à un modèle préalable, on
identifie et hiérarchise des critères pour se repérer dans la pratique, des ‘critères situationnels’. »
(Guillemot, Vial, 2010, p.101). Ainsi F. prend en compte la dimension économique, les impératifs de
rentabilité et d’efficacité. Pourtant il parvient à relier cette dimension à celle du développement durable
et s’épargne de ce fait que « l’efficacité comme valeur introduit un rapport au temps dans une urgence
qui annule et attaque le travail de la pensée et de l’élaboration et conduit à l‘exclusive des logiques
opératoires » (Giust-Deprairies, 2003, p.233). C’est bien le privilège de la formation que de pouvoir se
déprendre de cette urgence par la constitution de dispositifs où la pratique s’analyse, où le travail sur
le projet de chacun répond à d’autres logiques que celle de l’atteinte d’un objectif programmé, et où la
réflexivité est une valeur, permet à l’individu de « se situer dans ce monde et dans ses relations avec
autrui » (de Gaulejac, 2009, p.177). Selon Dubar (2000, p.5), « c’est la croyance dans l’identité
personnelle qui conditionne les formes d’identification sociétaire aux divers groupes (familiaux,
professionnels, religieux, politiques) considérées comme des résultantes de choix personnels et non
comme des assignations héritées ». Se reconnaître comme commercial, et (ou mais) comme
commercial qui prend en compte le développement durable dans son activité commerciale est un
moyen pour F. de se définir semblable et singulier, dans ce groupe des commerciaux.
Travailler sur les représentations déjà là, obstacles ou supports d’apprentissage, prendre en
compte les valeurs et les référentiels du métier, tout en portant attention aux effets sur le processus
identitaire, tels pourraient être les points d’attention d’un formateur en situation de former des adultes
au développement durable. C’est ce que nous indique le cas de F, en formation commerciale à l’afpa.
Avec un risque de dérive : celle que le développement durable ne devienne pour les commerciaux le
7. nouvel objectif, la cible à atteindre, et que les moyens, l’énergie déployée pour atteindre cet objectif,
ne détournent de la visée du développement durable : celle de construire un monde durable, vivable,
viable, et équitable.
Bibliographie
Donnadieu, B. 1998. « La formation par alternance, coopération herméneutique ». In En question
Titres n°2. Aix en Provence, Université de Provence.
Dubar, C. 2000. La crise des identités, l’interprétation d’une mutation. Paris, PUF
Durkheim, E.1995 1ère
ed.1894. Les règles de la méthode sociologique. Paris, PUF
de Gaulejac, V. 2009. Qui est «je » ?. Paris, Seuil
Giust Deprairies, F. 2003. L’imaginaire collectif. Toulouse, Eres
Grawitz, M. 2001. Méthodes des sciences sociales. Paris, Dalloz
Guillemot, V. 2010. « Quelle évaluation des stages dans les formations en alternance ? Le cas d’un
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l’AREF Actualités de la Recherche en Education et Formation. Genève (2010). Récupéré sur internet
le 27 avril 2011 du site https://plone2.unige.ch/aref2010/communications-orales/premiers-auteurs-en-
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Guillemot, V., Vial, M. 2010. « De l’usage du référentiel d’activités pour s’autoriser à devenir formateur
donc guide et accompagnateur ». In Questions Vives v.6 n°12, Evaluer les enseignants et les
formateurs : comment ? pourquoi ? pour quoi ?. (Coord. Abernot, Y.)
Guillemot, V., Vial, M. 2011, à paraître. Pour une formation à l’Université à un usage systémique du
référentiel. Colloque RUMEF Université d’Avignon.
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