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École des hautes études en sciences de l'information et de la communication
Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)

MASTER 1re année
Formation Initiale
Mention : Information et Communication
Spécialité : Communication des Entreprises et des Institutions

« Une redéfinition de l’espace culturel à Paris, l’exemple du
Centquatre »

Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD

Nom et prénom : HENQUET Violette
Promotion : 2009-2010
Soutenu le : 02/09/2011
Note au mémoire : 14/20
TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION

5

HYPOTHESE 1. La culture comme facteur de transformation sociale

13

I. Naissance et évolution des politiques culturelles

13

A/ La démocratisation culturelle, un objectif prioritaire des politiques culturelles

13

1) La création du ministère et la définition de ses objectifs

13

2) L’échec relatif de la démocratisation culturelle

14

3) La création de nouveaux espaces culturels

16

B/ Une recomposition du paysage culturel, vers une nouvelle approche de l’art et du
public

17

1) Une ouverture du champ culturel

17

2) D’une conception essentialiste à une conception sociale de l’art

18

II. De la démocratisation à la démocratie culturelle

20

A/ La culture comme facteur de cohésion nationale

20

1) Le « non public »
2) La culture comme vecteur d’intégration

21

B/ De l’intégration à la participation : la culture, manifestation de la diversité

23

1) L’importance du concept de médiation

23

2) La démocratie culturelle

24

3) La médiation culturelle, masque des problèmes sociaux ?

25

HYPOTHESE 2. L’architecture, vecteur de sens au service d’un projet inédit 27

I. Les travaux du Centquatre, entre contraintes techniques et artistiques

27

A/ Le Centquatre, lieu d’histoire et de mémoire

27

1) Des travaux de conservation du patrimoine

27

2) La mise en valeur artistique du patrimoine

28

a- Lieu de fabrication

28

b- Lieu de la mort et de sa mise en scène

29

2
B/ La transformation architecturale du Centquatre : une structure libre et flexible

30

1) Combler le vide : la rénovation d’une friche industrielle

31

2) Un espace modulable et adaptable

32

II. Un espace adapté pour une nouvelle approche de l’art

33

A / Le Centquatre, laboratoire de la création artistique (projet artistique et
économique)

33

1) L’importance du processus artistique

33

2) Une déhiérarchisation des pratiques artistiques

35

3) Un modèle d’économie mixte

36

B/ Faire du Centquatre un espace du quotidien (projet social et territorial)

38

1) Un passage urbain

38

2) Un équipement de proximité

39

HYPOTHESE 3. Définir les conditions du vivre ensemble : le Centquatre, un
espace public ?

42

I. Le Centquatre, un projet politique

42

A/ Qu’est-ce que l’espace public ?

42

1) Définition théorique

42

2) Un lieu de formation de l’identité

43

B/ Une revalorisation de l’espace périphérique

44

1) Le réaménagement de Paris Est

44

2) Favoriser la mixité sociale

45

II. Le Centquatre, emblème de la politique culturelle de Bertrand Delanoë

46

A/ La culture, un enjeu de communication politique

46

1) La culture instrumentalisée au service du pouvoir

46

2) Un projet défendu par la gauche

47

B/ Le Centquatre, une image de la politique culturelle mal maitrisée

49

1) L’échec du Centquatre, suivi d’une polémique très médiatisée

49

2) Vers une renaissance du Centquatre ?

51

CONCLUSION

54
3
BIBLIOGRAPHIE

58

ANNEXES

62

Résumé

Mots clés

4
INTRODUCTION

Le Centquatre a eu une grande place dans l’actualité médiatique au cours des
deux dernières années. D’abord « cas d’école »1 révélateur des erreurs de la
politique

culturelle,

accusant

le

manque

de

cohérence

du

projet,

des

investissements publics démesurés et une fréquentation trop faible, on célèbre la
« renaissance du Centquatre »2 depuis l’arrivée du nouveau directeur, José-Manuel
Gonçalvès, en octobre 2009. Ce changement de tonalité dans les polémiques
véhiculées par la presse constitue une tendance assez uniforme selon les différents
médias. L’observation de ce traitement médiatique a constitué, dans mon étude, un
point de départ pour comprendre les changements dans le projet artistique et culturel
qui ont permis au Centquatre de rebondir, et en tirer des conséquences plus
générales sur la politique culturelle actuelle de la Mairie de Paris.
Les analyses de Bourdieu sur l’échec de la démocratisation culturelle sont
déjà anciennes et pourtant elles restent très présentes dans les discours
institutionnels. Or, l’Etat a bien compris le rôle que pouvait jouer la culture en faveur
de la cohésion nationale. Les pratiques culturelles produisent en effet du lien social
et créent des pôles d’identification. L’attente des politiques n’est pas d’effacer les
différents points de vue ou les intérêts contradictoires, mais de produire un sentiment
d’appartenance à une communauté nationale. Dans une perspective démocratique,
les politiques culturelles cherchent donc une solution devant cette inégalité d’accès à
la culture.
Par ailleurs, la médiatisation de masse semble laisser place à une parole
uniforme provenant des mêmes instances d’énonciation : les médias, les institutions,
les politiques, etc. L’individu, caché dans une masse anonyme n’aurait plus la
possibilité d’être entendu. Serait-on arrivé à creuser un fossé entre deux nouvelles
classes d’individus, ceux dont la parole serait légitime dans l’espace public et ceux
qui se cantonnerait à l’écoute ? Si cette interrogation parait simpliste, elle permet
néanmoins de se poser la question de la présence de lieux de parole, ou de leur
absence, pour le citoyen d’aujourd’hui. Dans cette optique, la politique de médiation
1
2

Anne-Marie FEVRE. « Le Centquatre : un cas d’école ». Libération, le 2 avril 2010.
Yan RODRIGUEZ. « La renaissance du Centquatre ». A Nous Paris, 504, le 20 décembre 2010
5
culturelle semble vouloir palier à un problème de « fracture sociale ». La médiation,
opposée à la médiatisation, aurait pour objectif de faire émerger des subjectivités et
de les faire dialoguer afin de retisser ce lien social. Au delà des relations
interpersonnelles qu’elle construit dans l’immédiat, la médiation culturelle vise à
inscrire les individus dans un projet collectif, c’est-à-dire partagé et vécu en commun.

Culture et communication

On voit un peu partout en Europe une tendance à vouloir réaménager
d’anciennes friches industrielles en centre culturel. Le Matadero à Madrid, le Radial
System à Berlin ou encore Zone Attive à Rome, pour ne donner que quelques
exemples, proposent de nouveaux modèles d’exploitation de la culture. Ces espaces
vides, souvent très vastes, qu’ils se réapproprient, regroupent des activités de
production et de diffusion. Ils cherchent ainsi à créer de nouvelles expériences
artistiques et culturelles, et notamment à développer un lien de proximité avec le
public.
C’est aussi une façon de rompre avec une conception plus classique de la
culture. En effet, il ne s’agit plus de distinguer culture légitime, c’est-à-dire partant de
l’élite intellectuelle et reconnue officiellement par les institutions, et culture illégitime.
La culture est ici envisagée dans un sens plus anthropologique comme expérience
humaine, individuelle ou collective, construisant des modèles sociaux de
comportement et des interactions entre les individus. Le Centquatre partage avec
ces différents espaces culturels un certain nombre de réflexions sur l’approche
culturelle. Cette volonté de supprimer toute hiérarchie entre les différentes pratiques
artistiques, mais aussi de rendre les frontières entre conception et diffusion plus
poreuses, participe à l’invention d’un nouveau rapport à l’art et à la culture. Le
Centquatre est d’ailleurs très révélateur des nouvelles politiques culturelles qui
cherchent à impliquer davantage le public dans les pratiques artistiques et à
diversifier les formes de fréquentation de ces espaces.
Il s’agit de faire évoluer le schéma traditionnel de la communication culturelle :
institution (émetteur) – message artistique ou patrimonial – public (destinataire) et
d’approcher un schéma qui ressemblerait davantage à un réseau de relations
intersubjectives où le public trouverait un lieu pour s’exprimer. Inscrite dans un

6
espace, la culture deviendrait alors un vecteur de communication, ou au moins
prétexte à la rencontre et à l’échange.

Le Centquatre

Anciennes pompes funèbres municipales de Paris, le Centquatre a été
réaménagé en centre culturel regroupant des activités de production et de diffusion
artistique. Lieu de mémoire d’un service public, il reflète également les
caractéristiques architecturales de l’époque industrielle. Envisagé comme un
passage, le Centquatre se compose en premier lieu de deux allées principales, la
« halle Curial » et la « halle Aubervilliers » séparées par une cour. Ces halles ouvrent
sur des ateliers de toutes les tailles, adaptés à la diversité des activités culturelles
qu’ils exploitent, des salles de diffusion et des commerces. Les usagers peuvent
ainsi s’entrainer à diverses pratiques artistiques, se promener, voir les installations
exposées ou simplement s’asseoir sur des bancs publics pour se reposer. « C’est un
lieu comme il n’en existe pas. Ce n’est pas un musée et en même temps on peut
venir voir des expositions, ce n’est pas une salle de concert et en même temps on
peut venir y voir des concerts et des spectacles, ce n’est pas une galerie marchande
et en même temps on peut venir y faire des achats culturels »3.
« Montrer l’art en train de se faire », tel est son objectif présenté lors du projet
initial des deux premiers directeurs Frédéric Fisbach et Robert Cantarella. Il s’agit en
effet de ne plus séparer l’acte de production artistique de sa diffusion et d’impliquer
le public dans le processus de création. L’importance accordée à la relation usager /
artiste donne au Centquatre une dimension sociale et novatrice. Espace
pluridisciplinaire, il regroupe toutes les pratiques artistiques. De la BD à l’art
plastique, en passant par le théâtre, la musique ou la danse, il est difficile de trouver
une discipline qui ne soit pas représentée au Centquatre. Parallèlement, le Cinq est
un espace spécialement destiné aux habitants des 18 ème et 19ème arrondissements
qui développent des pratiques artistiques en amateur. Il œuvre, à son niveau, à la
mise en réseau des initiatives créatives et artistiques locales.
C’est un défi pour la Mairie de Paris d’implanter un lieu culturel dans un
quartier défavorisé de Paris. Le 19ème arrondissement connait en effet de multiples
problèmes sur le plan économique et social. Le quartier Curial, surnommé « cité du
3

Chargé de communication au sein de l’agence du 2
7

ème

bureau, HOBENICHE Martial
crack », est un quartier composé pour 60% de logements sociaux4 et avec un taux
de chômage très élevé. Il s’agit à la fois de renouer avec un public a priori non
concerné directement par la culture et de revaloriser le quartier en installant un pôle
d’attraction pour diversifier sa fréquentation. C’est dans un projet plus global de
« Grand Paris » et surtout de réaménagement de l’est parisien que s’inscrit la
création du Centquatre.
Son système de financement, lui aussi, est unique, car s’il vit principalement
des subventions de la Mairie de Paris et du département, il doit trouver 30% de son
budget dans ses propres fonds en passant par des privatisations d’espaces. Vient
s’ajouter le fond de mécénat, créé par les deux anciens directeurs, qui permet
d’intégrer des entreprises au projet culturel.
Le Centquatre comme nouvelle forme d’espace culturel

Michel de Certeau distingue le « lieu », représentant une configuration de
position, organisant un ordre et impliquant une stabilité, de « l’espace », animé par
les mouvements humains et envisagé comme un « lieu pratiqué »5. De par son
organisation spatiale et la place qu’il accorde aux différents usages du public, on
peut clairement qualifier le Centquatre d’ « espace ». Robert Cantarella le décrit
même comme un « lieu de vie »6, afin d’insister sur son aspect social et
communicationnel. En effet, le Centquatre serait le lieu idéal qui permettrait de tisser
des relations entre les usagers et les artistes et de favoriser le dialogue.
Si tous les porteurs du projet, qu’ils fassent partie de la direction du
Centquatre ou de la Mairie de Paris insistent sur son caractère inédit, on peut
pourtant le replacer dans une lignée de lieux artistiques et culturels qui réinvestissent
d’anciennes friches industrielles pour les transformer en lieu de transmission de la
culture comme nous l’avons vu précédemment. Leur objectif partagé de faire vivre la
culture plutôt que de l’exposer, d’accorder autant d’importance à la création qu’à la
réception, la tendance à revaloriser les arts vivants ou les arts de la rue dans des
quartiers difficiles sont autant d’indices qui inscrivent ces projets dans un objectif

4

Robert CANTARELLA et Frédéric FISBACH. L’anti Musée. Nouveau débats publics, 2009.
Jean CAUNE. Pour une éthique de la médiation, le sens des pratiques culturelles. Grenoble : PUG,
1999
6
Ancien directeur du Centquatre, CANTARELLA, Robert.
5

8
commun : créer du lien entre les habitants d’une ville ou d’un quartier, entre le public
et les artistes, entre les institutions et la société.
L’origine de ce questionnement sur les formes du vivre ensemble, à travers la
problématique de la médiation culturelle, est peut être à rechercher dans la crise
urbaine, de plus en plus visible, et dans la rupture consommée entre politique et
citoyen. En effet, les politiques publiques cherchent à élargir la base sociale de la
fréquentation des équipements culturels et, plus profondément, à reformer le
dialogue avec les populations.
A cette crise urbaine s’ajoute une crise de la culture qui se manifeste d’abord
par une baisse des subventions publiques, conséquence de la crise financière de
2007, et par un certain désengagement de l’Etat suite à la politique de
décentralisation. Paris semble avoir perdu son prestige de ruche artistique et c’est en
mettant en place de nouvelles formes de médiations et des lieux pour la création
qu’elle souhaite y remédier. « Paris est une ville très chère où les artistes ne restent
pas, ils vont à Berlin la plupart du temps »7 remarque Robert Cantarella. Le projet
initial des anciens directeurs accordait une grande importance aux résidences
d’artistes. En fournissant un atelier, une bourse et des moyens techniques, le
Centquatre devait permettre à des artistes de travailler dans de bonnes conditions.
Aujourd’hui et suite aux problèmes de fréquentation qu’a connu le Centquatre, le
budget semble être davantage investi dans l’évènementiel afin d’attirer un public plus
nombreux.
Les nombreux discours, aussi contradictoires soient-ils, dont il a fait l’objet
m’ont d’abord interpellé. Puis l’originalité du lieu et l’ambition du projet du Centquatre
m’ont séduit. Par ailleurs, son lien avec les politiques et les polémiques culturelles
actuelles entrait en totale cohérence avec mon projet professionnel qui est de
travailler dans le milieu culturel. Le Centquatre par son caractère récent et son
histoire particulière, par tous les débats qu’il a fait naître, m’est apparu comme un
objet intéressant à analyser.
Au-delà de la définition même du projet du Centquatre, qui n’a pas toujours
été très clair, il s’agit également de mesurer la cohérence entre ses ambitions, telles
qu’elles ont été présentées à sa création et sa mise en place effective. Dans une
perspective communicationnelle, il m’a également semblé pertinent de comparer
7

CANTARELLA Robert, entretien précité.
9
l’identité souhaitée et l’identité réelle du Centquatre, dont l’image reste encore
aujourd’hui assez floue et mal maitrisée.
Réinventer une politique culturelle qui intègre davantage une fonction sociale
et renouer avec la conception d’espace public sont les principaux enjeux du
Centquatre. Dans cette optique, et afin d’élargir ma réflexion sur des questions
encore très ouvertes dans la recherche en communication, il m’a semblé intéressant
d’étudier comment l’art pouvait être envisagé comme medium pour accéder à un
mieux être social. Ma problématique a donc pour objectif de comprendre en quoi le
Centquatre peut redéfinir l’espace culturel à Paris et dans les politiques culturelles
françaises de façon plus générale.

La première hypothèse présente la culture comme un facteur de
transformation sociale, permettant de récréer du dialogue et du lien là où le tissu
social se désagrège. La conception de l’art, et par là même les objectifs de la
politique culturelle, ont largement évolué depuis la création du Ministère des Affaires
Culturelles en 1959. Les questions relatives au rôle de la culture au sein de la
société sont encore très ouvertes. En effet, si certaines politiques misent sur
l’intégration à une culture nationale, d’autres défendent un modèle de participation du
public au phénomène artistique. Il s’agit finalement de trouver les moyens d’exploiter
le potentiel social de la culture. La vocation politique et communicationnelle de l’art
apparait ici clairement, mais elle demeure pourtant difficile à saisir et à définir.
Dans un second temps, l’architecture du Centquatre est analysée comme un
vecteur de sens, correspondant à un projet innovant sur le plan artistique,
économique et social. L’Atelier Novembre définit ainsi les objectifs de son projet :
«Nous avons voulu un équipement d’un accès facile à tous. Nous avons aussi
souhaité un bâtiment signifiant qui puisse s’inscrire de façon pertinente et
permanente dans son environnement. Par un travail sur la mémoire, nous avons
rendu possible cette mutation avec une nécessaire accroche au territoire en réponse
aux enjeux culturels mais aussi politiques et sociaux du projet »8. L’objectif est donc
d’ancrer le bâtiment dans son histoire, mais aussi dans son contexte, c’est-à-dire à la
8

Christine DESMOULINS et Maurice CULOT. 104, Paris : reconversion des anciennes pompes

funèbres de Paris en centre de création artistique. Atelier Novembre architectes. Paris : Ante Prima,
2009.

10
fois dans la ville de Paris et dans le quartier du 19ème arrondissement. Il s’agit de
s’intéresser au lieu physique et aux multiples usages qu’il permet, pour comprendre
en quoi le Centquatre réinvente des manières de communiquer et de transmettre la
culture.
Enfin, la troisième hypothèse montre en quoi le Centquatre reflète la
préoccupation très actuelle du « vivre ensemble ». Présenté comme un espace
public et un espace de socialisation, le projet du Centquatre possède une dimension
territoriale très marquée. Implanté dans un quartier jusque là abandonné des
initiatives culturelles, il s’inscrit dans un projet politique de réaménagement de l’est
parisien. La politique de la Mairie de Paris, clairement ancrée à gauche, est de
développer ces quartiers défavorisés par la culture afin de proposer des points
d’ancrage à la population et de donner les moyens à l’art de s’instaurer comme
médiateur entre les individus et les institutions. Aussi louable soit elle, cette politique
de revalorisation du territoire par la culture a néanmoins été vivement critiquée,
notamment parce qu’elle demande de lourds investissements publics. Après une
période de fortes polémiques dans la presse, le Centquatre est-il prêt à devenir
l’emblème d’une politique culturelle réussie ?
Après m’être intéressée aux discours dont le Centquatre était l’objet dans la
presse et avoir mesuré leur évolution, j’ai interrogé plusieurs personnes ayant joué
un rôle dans la création du projet. Ces entretiens ne m’ont pas toujours permis de
connaître la vérité sur la répartition des investissements budgétaires actuels, mais j’ai
pu voir quelle image du Centquatre ces responsables souhaitaient véhiculer.
Malheureusement, aucune personne travaillant actuellement au Centquatre n’a pu
me recevoir, ce qui m’a fortement handicapé dans ma recherche.
Parallèlement, je me suis rendu au Centquatre de nombreuses fois, non
seulement pour assister aux évènements programmés (pièce de théâtre, spectacle
de danse, concert, exposition ou bal populaire), mais aussi pour me promener dans
les halles Curial et Aubervilliers et dans les commerces. En effet, porter mon regard
sur le lieu lui-même, le parcourir, découvrir sa configuration et observer les usagers
présents et les différentes formes de fréquentation m’ont permis d’avoir un regard
plus global sur le Centquatre. L’architecture s’est d’ailleurs révélée très signifiante
quant aux ambitions du centre. Le livre publié par l’Atelier Novembre sur le chantier

11
du Centquatre et les choix des architectes m’ont permis de compléter mon
observation du lieu.
Des recherches plus théoriques sur les thèmes de la politique culturelle, de
l’espace public, des publics de la culture m’ont aidé à relier les problématiques du
Centquatre à des questions d’ordre plus général, tant dans les domaines de la
sociologie, que de l’économie, de la politique ou de la communication. Grâce à la
recherche de Jean Caune sur la médiation culturelle, aux observations sociologiques
de Laurent Fleury et d’Olivier Donnat, ou encore aux études de Jean Métral sur les
rapports entre l’art et l’urbanité, pour ne citer que les principaux auteurs, j’ai réussi à
mieux cerner les enjeux de la culture aujourd’hui.
Afin de vérifier les hypothèses présentées ci-dessus, j’ai donc appuyé mon
travail de recherche sur un corpus comprenant :
- des entretiens de Robert Cantarella (ancien directeur du Centquatre),
Sylvain Robak (adjoint au bureau du spectacle au sein de la Direction des affaires
culturelles de la ville de Paris), Etienne Benoit (conseillé technique auprès de
Christophe Girard, lui-même adjoint au maire de Paris chargé de la culture) et Martial
Hobeniche (chargé des relations presse du Centquatre via l’agence du 2ème bureau)
- une analyse sémiologique de l’architecture de l’édifice du Centquatre
- des documents édités par le Centquatre (dossier de presse de l’ouverture du
Centquatre et de la nouvelle programmation)
- un corpus de presse reflétant les différentes images que la presse a pu
attribuer au Centquatre entre le départ des anciens directeurs, Robert Cantarella et
Frédéric Fisbach, et la mise en place d’une nouvelle programmation par le nouveau
directeur, José-Manuel Gonçalvès.
Ces outils m’ont permis de comprendre les enjeux du Centquatre, de mieux
cerner ses objectifs, mais aussi ses problématiques relatives à des problèmes
sociaux, culturels, politiques et économiques plus profonds.

12
HYPOTHESE 1. La culture comme facteur de transformation sociale
I. Naissance et évolution des politiques culturelles

A/ La démocratisation culturelle, un objectif prioritaire des politiques
culturelles

1) La création du ministère et la définition de ses objectifs

Traditionnellement, la relation entre les acteurs publics et les acteurs culturels
a toujours été très forte. L’Etat est toujours intervenu dans la vie artistique en
accordant des subventions aux acteurs et aux structures ou en étant directement
commanditaire d’œuvres d’art. Avec la création du Ministère des Affaires Culturelles,
le rôle de l’Etat dans la sphère artistique a nettement évolué. Le décret du 24 juillet
1959 définit les objectifs du Ministère des Affaires Culturelles : « Le Ministère chargé
des Affaires culturelles a pour mission de rendre accessible, les œuvres capitales de
l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ;
d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la
création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent »9.
L’Etat reste un grand promoteur de la création artistique, mais il n’est plus une
instance de légitimation. Il ne possède plus l’autorité nécessaire pour imposer son
modèle culturel, qui reposait autrefois sur des critères esthétiques définis par
l’Académie des Beaux-Arts. Au contraire, l’Etat devient protecteur de la diversité
culturelle et donc de la liberté artistique. Alors que les industries culturelles prennent
de plus en plus d’importance, les institutions s’opposent à tout monopole et luttent
contre la standardisation et l’uniformisation des productions artistiques.
Par ailleurs, un des principaux objectifs du ministère est désormais de
démocratiser l’accès aux équipements culturels. Suivant le modèle de l’Etat
Providence, il corrige les effets du marché afin d’égaliser les conditions économiques
et sociales des différents publics. Le projet politique de démocratisation peut
s’entendre de plusieurs façons : faire accéder les masses à des œuvres consacrées
et reconnues comme légitimes et de grande valeur, réhabiliter les formes d’art
9

Geneviève POUJOL. « Favoriser la création ou s’interroger sur les pratiques ? ». In : Hermès, 20,
1996.
13
populaire ou déhiérarchiser les expressions culturelles en donnant autant de valeur à
la culture populaire qu’à la culture cultivée. D’un point de vue plus matériel, il a
surtout consisté à baisser les tarifs d’entrée des manifestations culturelles et à
couvrir le territoire afin d’égaliser l’accès à la culture d’un point de vue géographique.
La démocratisation a été en quelques sortes le principe fondateur et légitimant de la
politique culturelle depuis Malraux. C’est aussi sur ce critère qu’elle a été jugée
pendant quarante ans. En 1972, Jacques Duhamel, ancien ministre de la culture,
insistait encore sur la nécessité de réconcilier croissance et culture : « l’action
culturelle a donc désormais un rôle fondamental à jouer pour contrebalancer les
effets néfastes de la croissance. Elle doit permettre aux hommes non seulement
d’avoir plus, mais d’être plus »10.
Le Théâtre National Populaire de Jean Vilar avait déjà expérimenté, dans les
années 1950, l’ouverture d’une pratique culturelle de réputation bourgeoise à un
public populaire. Assimilant le théâtre à un service public, Jean Vilar, soutenu par
Malraux, a mis en place des mesures telles que la baisse des tarifs d’entrées, une
modification des horaires, la gratuité des vestiaires, etc., permettant ainsi la
rencontre entre des artistes réputés et un public non initié au théâtre. Rendre les
citoyens amateurs d’art permet de rendre la culture à la société sans que celle-ci soit
au service de l’Etat ou des entreprises. Mais cela implique de former tous les
membres d’une société au jugement esthétique et intellectuel. L’art ne pouvant être
réservé à une élite, il incombe à l’Etat de mettre en place des dispositifs permettant
de développer chez ses citoyens le désir de culture et la sensibilité nécessaire à la
réception de l’art. Cette politique s’effectue par le biais de la formation scolaire mais
aussi par celui de la diffusion large et de la promotion des œuvres d’art. Il s’agit de
trouver le juste milieu entre une production artistique trop avant-gardiste, coupée des
attentes de la population et un démagogisme où les artistes ne seraient plus incités à
prendre des risques vis-à-vis de la créativité.
2) L’échec relatif de la démocratisation culturelle

En 1963, une enquête sur la fréquentation des lieux culturels est confiée à
Pierre Bourdieu. La conclusion s’avère décevante : malgré les efforts politiques de
démocratisation de la culture, la hiérarchisation sociale des pratiques culturelles
10

Jean CAUNE. « Pratiques culturelles, médiation artistique et lien social ». In : Hermès, 20, 1996.
14
reste très marquée. Il y a un écart important entre la réalité sociale et les objectifs
fixés par la politique culturelle, considérés a posteriori comme utopiques. En effet, la
politique de démocratisation s’est fondée sur deux idées erronées.
La première postulait l’existence d’une demande sociale et culturelle. Or, cette
demande n’était qu’une illusion. Si les politiques culturelles ont permis de réduire les
obstacles matériels freinant l’accès à la culture (prix des entrées, distance
géographique), il reste néanmoins une barrière symbolique - ce que Bourdieu
appelle « l’habitus » - qui explique la différence du taux de fréquentation selon les
classes sociales. Bourdieu justifie cet écart par « l’absence du sentiment de
l’absence »11, c’est-à-dire que les personnes n’ayant pas l’habitude de fréquenter
des lieux culturels n’en ressentent pas le manque. Ils n’ont donc aucun désir d’aller
voir des choses qu’ils ne connaissent pas.
La seconde idée, largement diffusée par Malraux, supposait que l’accès aux
œuvres était immédiat. Malraux distinguait l’éducation, ayant pour objectif de faire
connaître les grandes œuvres, et la culture, qui vise à les faire aimer. La politique
culturelle du ministère se détachait de toute visée éducative. En effet, La médiation
culturelle, qui reflétait pour Malraux une certaine forme de pédagogisme, n’était pas
nécessaire car l’art, facteur d’émancipation individuel, avait le pouvoir d’affecter les
individus sans intermédiaire. Le rôle des institutions se limitait à provoquer la
rencontre entre l’art et un public plus populaire.
Depuis, quatre études quantitatives sur l’évolution des pratiques culturelles ont
été commandées par le ministère en 1973, 1981, 1989 et 1997. Ces études
fonctionnent selon le même protocole et montrent les mêmes résultats. Si la frontière
entre culture cultivée et culture populaire s’est effacée progressivement, les
comportements culturels restent très liés au capital culturel, lui-même dépendant de
la position sociale des individus. Le public de la vie culturelle conserve le même
profil : urbain, diplômé et appartenant à une catégorie socioprofessionnelle élevée.
Mais si le public ne s’est pas élargi, il a augmenté quantitativement avec l’élévation
du niveau scolaire en France : depuis 1982, la fréquentation des musées s’est
élevée de 20%12. Par ailleurs, le développement rapide des industries culturelles a
participé à la démocratisation en rendant certains produits culturels plus accessibles
parce que mieux distribués et moins chers. Les pratiques ont donc évolué au rythme
11
12

Laurent FLEURY. Sociologie de la culture et des pratiques culturelles. Armand Colin, 2008.
Elisabeth CAILLET. « Les politiques de publics dans les musées ». In : Hermès, 20, 1996.
15
de la société, du développement de ses techniques et de ses marchés. Mais cette
appropriation de la culture par le plus grand nombre ne s’est réalisée que dans le
cadre privatif. En effet, l’élargissement sociologique des publics des établissements
culturels ne s’est pas produit comme l’attendaient les pouvoirs publics, ce qui ne
signifie pas l’absence d’influence des politiques publiques.
C’est la lecture très critique concluant à l’échec de la démocratisation
culturelle, ou plus généralement à l’inefficacité des politiques culturelles, qui s’est fait
le plus entendre. Les mesures politiques mises en place tendraient à profiter toujours
à un public déjà sensibilisé à la culture, confirmant ainsi les inégalités d’accès face à
la culture. Cependant, la critique d’un dispositif institutionnel interventionniste dans le
domaine de la culture est très risquée. En effet, sans aide publique, la création et la
diffusion artistique dépendraient d’intérêts privés, ce qui accentuerait la dépendance
des artistes tout en maintenant des inégalités encore plus fortes au sein du public.

3) La création de nouveaux espaces culturels

Dans les années 1970, le ministère encourage la création de nouveaux
centres d’art afin de diversifier leur fréquentation. Le centre Pompidou devient
l’emblème de cette nouvelle approche du public. Il diversifie les services offerts en
incluant une salle de projection, une bibliothèque, un auditorium, des activités pour
les enfants et des espaces de détente. Cette diversification favorise la libre
circulation du public, qui peut désormais créer son propre parcours de visite. Mais il
n’est pas le seul à innover. On peut aussi donner l’exemple de la Cartoucherie,
ancien lieu de fabrication d'armement et de poudre à Vincennes reconverti par
Ariane Mnouchkine en centre théâtral à vocation populaire. Cet espace qui accueille
de nombreuses troupes se détache des théâtres très institutionnalisés en proposant
des solutions différentes pour toucher de nouveaux publics. Parallèlement, dans les
années 1980, de nouveaux squats défendent des mouvements de contre-culture,
souvent contestataires. Ils sont à l’initiative de nouveaux acteurs n’ayant pas trouvé
leur place dans le système de diffusion institutionnel. Recomposant le paysage
culturel, ces pratiques se rapprochent d’un public local et s’inscrivent davantage sur
le terrain.
Qu’ils soient institutionnalisés ou non, ces espaces artistiques alternatifs
s’inscrivent dans une évolution historique de la représentation de la culture. Ils
16
organisent des espaces de socialisation entre les individus et tentent d’instaurer une
certaine familiarité à l’art dans la vie quotidienne des citoyens. Certains succès
comme le TNT et le Centre Pompidou montrent que les institutions ont le pouvoir de
construire des relations spécifiques entre l’art les publics. Mais leur efficacité
politique, difficile à évaluer, reste souvent invisible.
B/ Une recomposition du paysage culturel, vers une nouvelle approche de l’art
et du public

1) Une ouverture du champ culturel

En France, le sens du mot « culture » a longtemps été réduit aux pratiques
relatives aux arts, tandis que la définition anglo-saxonne s’élargissait aux mœurs et à
la civilisation propre à une société. La création du Ministère des Affaires Culturelles
en 1959 et la conception de la culture de Malraux a confirmé cette définition. Malraux
adopte en effet une définition assez restreinte du champ culturel en excluant toute
activité de loisir. Alors que la culture participe à l’émancipation et l’épanouissement
des individus, le loisir, ou temps disponible en dehors des heures de travail, est un
moment de distraction. Il n’est que la condition de la culture. L’art se distingue par sa
noble mission d’élever les individus à une réflexion sur le monde et la société. Objet
de recherche et d’interprétation, il remplit, selon Max Weber13, une fonction de
délivrance en cherchant à déstabiliser des représentations établies et à proposer une
nouvelle vision des choses.
Dans la même perspective, la « culture légitime » valoriserait la réflexion
intellectuelle, mobilisant des connaissances et des références communes, alors que
la « culture populaire » se rapprocherait davantage du divertissement. Pourtant, il ne
faut pas oublier que la hiérarchie entre les différentes cultures a toujours été
mouvante. Le jazz ou le rock, par exemple, ont d’abord été des formes de contreculture avant d’être légitimés par l’opinion publique, qui a reconnu progressivement
leur valeur artistique. Avec les manifestations de mai 1968, l’écart entre culture
populaire et culture de l’élite est contesté. On défend un certain relativisme culturel
en instaurant un rapport d’équivalence entre les différentes cultures, montrant ainsi
une évolution du mécanisme de légitimation.
13

Laurent FLEURY. Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, op. cit.
17
Progressivement, avec l’importance du multiculturalisme et la montée des
industries culturelles, les champs de la culture sont élargis et certaines pratiques
culturelles, autrefois jugées non légitimes, sont réhabilitées. Jack Lang étend les
pratiques culturelles à de nouveaux domaines tels que la bande dessinée, le hip hop
ou encore le design, donnant ainsi à la culture un sens beaucoup plus
anthropologique. Parallèlement, et suite aux enquêtes du ministère, on se rend
compte que les voies d’appropriation de l’art ne sont pas si évidentes.
L’élargissement des champs artistiques permet alors d’intégrer des populations qui
ne se reconnaissaient pas dans les productions d’une culture légitime et formatée et
de trouver d’autres voies d’expression.
Cette politique du « tout culturel » qui déhiérarchise les pratiques artistiques a
été fortement critiquée. Accusée d’être une forme de démagogie politique, elle aurait
détruit le statut de certaines œuvres en les plaçant sur la même échelle de valeur
que n’importe quelle autre production artistique, ruinant ainsi le prestige de la culture
française. Cela nous renvoie à la question de la légitimité de l’intervention des
institutions dans la définition des valeurs esthétiques et à la capacité de l’Etat
d’établir des références universelles. Cette critique n’a pas eu beaucoup d’écho pour
la bonne raison que l’art n’est plus considéré comme représentation du monde, mais
comme facteur de transformation sociale et de médiation entre les individus. Dans
les années 70, ce n’est plus l’essence de l’art qui est remis en question mais son
fonctionnement et son rôle. La question de la réception et des effets de la culture
sont au centre de la réflexion des politiques culturelles : comment la culture peut-elle
favoriser les interactions sociales ? Comment peut-elle créer de l’unité et créer les
conditions du vivre-ensemble ? Facteur de connaissance de soi et des autres, la
culture cherche à créer des liens symboliques entre les hommes et vise le mieux être
de la société.
2) D’une conception essentialiste à une conception sociale de l’art
L’art a longtemps été défini par les artistes modernes comme une production
libre et indépendante du contexte et de la société. La montée de l’individualisme
poussait l’artiste à une quête extrême de singularité et donnait à l’œuvre, perçue
comme production unique et non reproductible, une dimension sacrée. « L’art pour
l’art », qui revendiquait une totale autonomie de la production artistique ne devant
18
servir aucune fin à part elle-même, appartient à une ère révolue. Au contraire,
aujourd’hui, l’artiste ne met plus le public à distance, mais s’inscrit dans un contexte
social appelant à une redéfinition de l’art et de sa fonction dans notre société. On ne
peut plus considérer la culture comme le panthéon des grandes œuvres reconnues
par l’académie des Beaux-Arts. La culture recouvre un sens plus anthropologique et
devient une forme de l’expérience humaine. Nous sommes passés en quelques
sortes d’une approche essentialiste de l’art à une approche relationnelle, l’artiste
adoptant volontiers une posture de médiateur. C’est la preuve de « la fin de quelque
chose, la fin d’une conception métaphysique de l’art, tant du côté de l’artiste que du
public, la fin de la posture tragique, la fin du pari sur le chef d’œuvre »14 Alain Van
Der Malière (directeur du secrétaire d’Etat au Ministère de la Culture).
En dehors du marché de l’art, on ne juge plus un artiste sur son excellence,
mais sur la rigueur de sa démarche et son implication dans un projet. « La notion
d’exigence renvoie à un engagement et à la recherche d’une rigueur dans un travail
suivi, poursuivi dans le temps, dont les dimensions et enjeux artistiques sont
repérables et identifiables. Elle se distingue radicalement de l’excellence, qui
implique une échelle entre la perfection et la médiocrité, voire la nullité »15 note
Michel Simonot. En effet, la valeur de l’acte artistique ne repose plus sur des
performances techniques ou sur la singularité de l’artiste mais sur la proximité créée
avec le public, sa participation et son appropriation de l’œuvre.
Les mutations socioéconomiques, notamment la financiarisation et la
mondialisation de l’économie, et la déstabilisation des anciens modes de
socialisation ont abouti à une perte des identités, ou du moins à leur précarisation.
Face à la perte de légitimité des politiques, qui ne semblent pas à même de
concevoir un avenir différent pour la société, l’artiste cherche à redéfinir le
« périmètre d’intérêt public de la notion de champ artistique »16 (Philippe Henry).
L’artiste, sans renier son statut de créateur, prend en compte les questions sociales
ou urbaines actuelles pour mieux insérer son travail dans un environnement réel.
Comme les philosophes qui sont progressivement sortis de leur cabinet pour intégrer
la vie politique, les artistes cherchent à réinvestir la société en s’impliquant dans la
vie sociale propre à un territoire. « Les espaces culturels ouverts par l’ensemble de
14

Fabrice LEXTRAIT. Une nouvelle époque de l’action culturelle. Rapport à Michel Dufour.
Documentation française, 2001.
15
Fabrice LEXTRAIT, ibid.
16
Fabrice LEXTRAIT, ibid.
19
ces acteurs posent aujourd’hui les questions essentielles de notre société en des
termes politiques et les abordent pragmatiquement et concrètement dans les
pratiques quotidiennes : évolution des rapports sociaux, équilibre entre la société
marchande et non marchande, arbitrage entre le public et le privé, tension entre le
centre et la périphérie, usage du temps libre, parité entre les hommes et les femmes,
liens

intergénérationnels,

réinterrogation

du

couple

amateur-professionnel,

décentralisation, traitement de l’exclusion et de l’intégration… »17. L’artiste travaille
ainsi sur une nouvelle représentation de l’art reliée aux problèmes et aux enjeux de
notre société.

II. De la démocratisation à la démocratie culturelle

A/ La culture comme facteur de cohésion nationale

1) Le « non public »
On parle aujourd’hui des publics au pluriel afin de marquer la différence des
attentes intellectuelles et affectives des individus. Le public, qui vient du mot
« peuple », est définit par Jean Vilar comme une unité caractérisant une cité et non
comme la plebs qui introduirait une idée de différenciation et de hiérarchisation des
publics. Etablir des catégories de publics permet de mieux cibler les attentes de
chacun, mais cela peut également traduire une volonté politique d’intégrer des
publics non habitués à fréquenter des établissements culturels à la vie culturelle.
La déclaration de Villeurbanne introduit un nouveau concept dans l’analyse
des publics : celui de « non public ». Partant de la constatation que les publics
touchés sont bien souvent les mêmes, c’est-à-dire les personnes les plus diplômées
et celles appartenant à des catégories socioprofessionnelles élevées, Francis
Jeanson définit le « non public » comme « une immensité humaine composée de
ceux qui n’ont encore aucun accès ni aucune chance d’accéder prochainement au
phénomène culturel sous les formes qu’il persiste à revêtir dans la presque totalité
des cas »18. Laurent Fleury voit ici une forme de déterminisme sociologique et de
mépris : naturaliser l’exclusion, marginaliser reviendrait à dénier l’identité de l’autre et
17

Fabrice LEXTRAIT, ibid.
Laurent FLEURY. Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, op. cit.

18

20
à l’enfermer dans un état permanent d’indignité. Pourtant Francis Jeanson évoque ici
un certain état de la culture et semble appeler à son changement.
On peut décomposer le public du Centquatre en différents profils. Les
premiers visiteurs sont ceux venus d’abord par curiosité et qui participent aux
activités proposées par le centre, qu’il s’agisse de spectacles, de conférences,
d’expositions ou de pratiques en amateurs. Le public majoritaire des établissements
culturels se caractérise par l’éclectisme de ses pratiques et de ses goûts artistiques.
Un autre public est composé de personnes attirées par une prestation spécifique. Ce
public de « niche » possède en général des connaissances pointues et un intérêt
pour une discipline en particulier. Enfin, le public de proximité est peut être le plus
difficile à cerner et à intéresser. Il est considéré au Centquatre comme un invité
privilégié et il s’agit pour le service de relations publiques de créer une relation
durable avec lui. En abordant les choses différemment, le Centquatre tente de
rompre les frontières symboliques qui isolent le « non public » des créations
contemporaines. Cela revient également à dé-professionnaliser le milieu artistique,
c’est-à-dire à ne plus confiner l’art aux seules attentes de la petite sphère des
acteurs culturels confirmés. Remettre le public au centre des préoccupations
implique parfois l’abandon du désir de valorisation auprès de ses pairs.
2) La culture comme vecteur d’intégration

Les villes, qui réunissent les lieux de production économique et le pouvoir
décisionnel, ont toujours rendu très visibles les inégalités sociales. Or, un des
objectifs de la démocratisation culturelle est justement de réduire ces différences et
de créer une certaine cohésion nationale. Les politiques culturelles cherchent donc à
rassembler les individus autour d’une culture commune. Cependant, dans un
contexte de mondialisation où la ville est plus que jamais le lieu de manifestation de
la diversité culturelle, la culture ne représente plus une unité de sens partagé. Elle se
trouve au contraire divisée, éclatée en de nombreuses micro-cultures. En France, les
questions de l’immigration, de la diversité culturelle et de l’intégration sont au cœur
de l’actualité.
Le culturalisme, qui définit les traits culturels propre à une communauté
nationale, a longtemps été considéré comme un moyen de former une culture unifié
et cohérente qui puisse se transmettre d’une génération à l’autre. Véhiculer un
21
modèle culturel favoriserait la cohésion au sein d’une société et permettrait de fonder
une conscience nationale. Les pouvoirs politiques ont toujours essayé de construire
la nation autour de valeurs culturelles communes, comme le montre par exemple la
création de l’Académie Française ou l’école de Jules Ferry. Pourtant, de nombreux
exemples de contre-culture réinterrogent la légitimité d’intervention de l’Etat dans la
sphère culturelle. La culture peut ainsi être une forme d’adhésion aux instances de
pouvoir comme un outil d’une contestation sociale. D’une conception culturelle de la
nation, on passe alors à une approche de la culture des groupes sociaux qui
construisent leur propre identité collective.
Intégrer les populations d’origine étrangère revient à apprivoiser des publics
éloignés de la culture française et tenter de résorber leur étrangeté. Mais convertir
les étrangers aux valeurs républicaines portées par la France implique aussi de
mettre de côté les origines culturelles des individus, voire de nier toute identité
culturelle préexistante. Loin de produire une unité, cela peut provoquer des réactions
violentes de revendication identitaire et de rejet de la culture nationale imposée par
l’Etat. Ainsi, les actions socioculturelles mises en œuvre dans les banlieues peuvent
être perçues comme des prothèses nécessaires à ceux supposés ne pas faire partie
de la communauté nationale. Elles plaquent ainsi une image de « non-intégré »,
d’exclu, à leur public.
La participation des habitants à la vie publique ne doit donc pas se faire sur le
mode de l’intégration. Au contraire, la culture a pour objectif « de raccorder, de
connecter »19 (Michel Serres). Plutôt que de savoir comment forger une identité
nationale, il serait donc préférable de se demander comment conjuguer la pluralité
des identités. L’espace public ne fonde pas une identité commune, mais rend visible
les différences. Il s’oppose à la neutralité, pourtant tant défendue par le
républicanisme, qui enferme les particularités dans l’espace privé. Les espaces
publics sont des lieux de rencontre et de communication interculturelle et donnent à
la culture une résonnance collective. Autrement dit, c’est un entrecroisement
d’expériences particulières qui, extériorisées par la parole, dessinent un monde
commun. L’objectif de la médiation est d’éviter que ces cultures soient simplement
juxtaposées mais de leur permettre de se mélanger pour les enrichir. La question des
relations humaines concernent ici moins la distance créée par les différences
culturelles que l’échange que cette distance produit.
19

Jean CAUNE. Pour une éthique de la médiation, le sens des pratiques culturelles, op. cit.
22
B/ De l’intégration à la participation : la culture, manifestation de la diversité
1) L’importance du concept de médiation
La médiation culturelle désigne l’espace de relation entre des types de publics
différents. Dans le domaine culturel, il s’agit de créer un lien entre le public, les
artistes et les institutions. Dans l’immédiat, elle permet de développer des relations
interpersonnelles. Mais elle possède également une visée plus générale en intégrant
les individus concernés dans un projet social collectif sur une durée plus longue.
La médiation culturelle peut être étudiée selon différentes approches. D’un
point de vue sociopolitique, elle permet de créer ou de maintenir une relation entre
les gouvernants et les gouvernés. La communication est alors instrumentalisée afin
de créer un lien entre les citoyens et les institutions. Dans un monde où les liens
d’appartenance semblent disparaitre, cela permet de donner de la visibilité et de
concrétiser la vie politique. Le principal risque est ici de transformer la médiation en
relais de communication pour les instances de décision sans créer d’espace de
dialogue. Dans une perspective plus théorique, la médiation permet de comprendre
les phénomènes de diffusion et de réception des langues et des symboles. Elle
devient alors un objet d’étude propre au champ des sciences de l’information et de la
communication. Enfin, la médiation culturelle peut représenter l’étude de toutes les
pratiques sociales. En créant des espaces d’interaction, elles permettent aux
individus de s’exprimer et devenir à leur tour énonciateurs.
La médiation culturelle a cette double fonction de favoriser l’échange entre les
individus et de participer à leur émancipation. Autrement dit, c’est à la fois un facteur
de connaissance –du monde, de l’autre- et un outil de communication. Comme le
souligne Jean Caune : « La culture, comme objet de connaissance, n’est plus
seulement examinée dans sa dimension de signe, support d’une signification,
relation entre la face manifeste et la représentation mentale qu’elle induit ; elle se voit
affectée d’une valeur génératrice d’interaction sociale. On peut dire qu’on assiste ici
à un changement de paradigme, à un tournant pragmatique, qui remplace le couple
forme / contenu, hérité de l’esthétique et repris par la linguistique, par la triade sujet,
expression, relation. »20
20

Jean CAUNE. « Pratiques culturelles, médiation artistique et lien social », op. cit.
23
Il ne faut pas confondre l’action culturelle reposant sur le concept de
médiation, et l’animation culturelle qui établit des relations différentes et ne partage
pas les mêmes objectifs. L’animation culturelle, censée faciliter la compréhension de
l’œuvre, est une forme de pédagogisme. Elle se contente de donner certaines clés
qui permettent au public de mieux saisir le sens d’une œuvre laissant de côté le
processus de production artistique. Aujourd’hui, l’objectif d’un centre culturel n’est
plus d’augmenter quantitativement le nombre de visiteurs ou de spectateurs et de se
réduire à des attentes préexistantes mais, bien au contraire, de favoriser des
rencontres qui n’existaient pas, d’amener le public à découvrir des choses qu’il ne
soupçonnait pas, que ce soit à travers le travail des artistes ou à travers son
implication dans la création artistique.

2) La démocratie culturelle

La culture est une expérience vécue dans un espace et un temps commun.
Pourtant, il y a toujours un écart profond entre ceux qui ont la parole et ceux qui
écoutent. L’objectif de la médiation est de rétablir un équilibre entre les deux et de
former une relation où l’affirmation de soi et la reconnaissance de l’autre sont
possibles. En créant des lieux de parole, elle encourage les individus à construire du
sens, c’est-à-dire à se définir dans un rapport au monde et à autrui et à s’imposer
comme sujet. Donner la parole permet à un individu de manifester son identité et de
se replacer dans une culture, une histoire qui lui appartient. C’est aussi le mobiliser
comme acteur et lui donner ainsi une visibilité dans l’espace social. En effet, pour
qu’un individu puisse s’identifier à une culture, il faut qu’il en soit, en partie, l’émetteur
et plus seulement le récepteur.
Nous sommes passés du principe de démocratisation culturelle à celui de la
démocratie culturelle. La démocratisation culturelle visait davantage une réception
élargie de la culture tandis que la démocratie culturelle favorise « l’implication et
l’expression de ceux dont la parole n’a pas trouvé de lieux d’énonciation »21. Héritière
de l’éducation populaire, elle est définie par Philippe Henry comme « une volonté de
développer la créativité et l’expressivité de chacun, de préserver les cultures vécues
par les populations ou/et dans les territoires, tout en favorisant par ailleurs les
créations qui les enrichissent, la diffusion élargie de ces œuvres et les croisements
21

Jean CAUNE. Pour une éthique de la médiation, le sens des pratiques culturelles, op. cit.
24
avec d’autres cultures »22. La médiation culturelle a donc comme nouvel objectif
d’intégrer le public à l’acte artistique.
L’objectif du Centquatre est de permettre au public de s’exprimer et de créer
des rapports d’interactions avec les artistes. Il essaye de réarticuler pratiques
artistiques d’une part, et groupes sociaux ou territoires donnés d’autre part en
donnant à chacun l’occasion d’amener sur scène sa propre culture. Concrètement ce
sont des lieux, des moments, des occasions qui sont mis à la disposition du public
pour développer sa créativité artistique. C’est à cet idéal d’interaction que répond
notamment l’espace du Cinq dédié aux pratiques artistiques amateurs. Fabrique pour
les professionnels et les amateurs, le Centquatre a finalement réussi à rendre
compatible une multiplicité d’usages et à créer un espace d’expérimentation.

3) La médiation culturelle, masque des problèmes sociaux ?

Les sociétés modernes sont en proie à des mutations incessantes. Le rythme
économique, la mondialisation, les migrations importantes font naître un sentiment
d’instabilité permanente. Face à ces changements, les hommes ont perdu le
sentiment d’appartenance à un groupe social. La culture, en tant que facteur de
transformation sociale, serait alors à même de répondre à cette perte d’identité. Par
ailleurs, la crise économique et ses effets sociaux ont augmenté les écarts de
richesse, soulignant une division à la fois sociale et culturelle au sein de la société.
Dans ce contexte, de nombreuses formes de médiation ont acquis un statut
institutionnel. La médiation met en scène les inégalités et les frustrations sociales
dans l’espace public. Elle aménage des espaces de parole pour permettre aux
conflits sociaux de s’exprimer. Mais elle ne résout pas pour autant les rivalités entre
les citoyens.
En utilisant l’expression « fracture sociale », les hommes politiques montrent
du doigt un symptôme de la crise mais ils le considèrent comme un « problème
accidentel et réparable » et non comme un « problème structurel de division
sociale »23. Selon Jean Caune, la médiation est une expression connotant la
démocratie mais qui ne fait que masquer des problèmes profonds qui ne peuvent
22

Philippe HENRY. Les espaces-projets artistiques : une utopie concrète ? Script de l’exposé pour la
journée professionnelle sur les « Nouveaux espaces, nouvelles formes ». MIRA ! Sitge Teatre
Internacional, 2 juin 2003.
23
Jean CAUNE. Pour une éthique de la médiation, le sens des pratiques culturelles, op. cit.
25
pas être résolus par la culture. Les politiques culturelles essaient de pallier à la
distance prise par les dispositifs institutionnels face au public en recréant des
espaces de dialogue et des lieux de citoyenneté avec des personnes marginalisées.
Le médiateur qui fait le lien entre le public et les institutions donne un sens au
service public. Mais les politiques ne sont plus capables de proposer des projets
collectifs de manière crédible, ce qui explique leur utilisation de la médiation comme
« d’une sociothérapie qui réparerait les déchirures du tissu social »24. Les projets
culturels ne peuvent en effet se substituer à des projets de société, tels qu’ils étaient
portés par les idéologies. Finalement, la médiation culturelle est utile dans le
maintien de relations sociales mais elle ne doit pas masquer l’absence de projet
politique et social.

24

Jean CAUNE, ibid.
26
HYPOTHESE 2 : L’architecture, vecteur de sens au service d’un
projet inédit
I. Les travaux du Centquatre, entre contraintes techniques et artistiques
A/ Le Centquatre, lieu d’histoire et de mémoire

1) Des travaux de conservation du patrimoine

Après la fermeture des pompes funèbres, et face aux nombreuses
propositions de rachat immobilier, Roger Madec a souhaité protéger le patrimoine
architectural des anciennes pompes funèbres. Il fait valoir l’intérêt architectural du
Centquatre auprès de la Mairie de Paris, du Conseil Régional d’Ile-de-France, du
Ministère de la Culture et de l’Institut d’architecture française en précisant « cet
édifice, qui est un des rares témoignages du passé dans le quartier, constitue un bel
exemple de la diversité du patrimoine parisien. Il me semble également bien
représentatif des techniques de construction de bâtiments à vocation industrielle et
commerciale de la fin du XIXème siècle. A ce titre, il mérite d’être préservé et
protégé »25. En 1995, il a obtenu d’inscrire la façade et les verrières à l’Inventaire
supplémentaire des monuments historiques. Puis, en accédant à sa mandature à la
Mairie de Paris, Bertrand Delanoë décide de réhabiliter le site et de le transformer en
centre culturel. Déjà en 2002, les Nuits Blanches avaient permis de faire découvrir le
Centquatre en attirant l’attention des parisiens sur ce lieu hors normes.
C’est l’Atelier Novembre, avec les architectes Jacques Pajot et Marc Iseppi,
qui ont été sélectionnés pour prendre en charge la rénovation du bâtiment. Ces
architectes ont déjà eu l’occasion de travailler sur des projets de réaménagement
dans le champ culturel, comme le centre minier de Lewarde ou la Manufacture des
Tabacs de Morlaix, classé monument historique. Le projet de l’Atelier Novembre a
été choisi parce que c’était celui qui supposait le moins de démolition et parce qu’il
représentait « la meilleure mise en valeur du patrimoine, car rien n’est gommé de

25

Christine DESMOULINS et Maurice CULOT. 104, Paris : reconversion des anciennes pompes
funèbres de Paris en centre de création artistique. Atelier Novembre architectes, op. cit.
27
l’activité des anciennes pompes funèbres »26 selon Jean-François Danon, alors
Directeur du patrimoine et de l’architecture de la Ville de Paris.
Le Centquatre étant un bâtiment protégé, toutes les décisions prises par les
architectes devaient obtenir l’aval du Service départemental de l’architecture et du
patrimoine (SDAP). Le projet architectural s’est donc appuyé sur une forte mise en
valeur du patrimoine. Les matériaux d’origine, notamment la dominante pierre et
brique, ont été conservés pour garder l’aspect rustique du bâtiment. Les anciennes
pierres du bâtiment ont été retaillées afin de paver les deux cours extérieures.
Comme lors de sa première édification, les halles sont chacune restées couvertes de
trois nefs métalliques et d’une verrière culminant à vingt-deux mètres de hauteur. Les
travaux ont d’ailleurs été très difficiles à cause des parties protégées, notamment à
cause de la verrière classée qui rendait les manœuvres des machines plus
complexes. Enfin, la réhabilitation des façades a renforcé l’image de l’architecture
d’origine, autrement dit celle de la fabrique, aujourd’hui entendue comme « lieu de
création ». Finalement, tous les espaces ont été conservés et transformés afin de
remplir de nouvelles fonctions. Les entrées, ainsi que l’emplacement de
l’administration, n’ont pas été modifiés. Les caves, qui abritaient autrefois les écuries,
ont été viabilisées afin de recevoir des salons et ses colonnes en fonte ont été
restaurées pour servir de témoignage structurel. Le château d’eau, rappelant l’aspect
fonctionnel du lieu, a été transformé en belvédère et peut maintenant servir de
support de projection. Les ateliers des artisans sont aujourd’hui à la disposition des
artistes en résidence ou en exposition.

2) La mise en valeur artistique du patrimoine

Avec ses 40 000 m² de superficie et ses 250 ouvriers, le Centquatre
représente le plus grand chantier culturel depuis Beaubourg. L’envergure de la
construction, mais aussi l’histoire particulière du lieu a inspiré de nombreux artistes
présents bien avant l’inauguration. Plusieurs thèmes se référant à l’histoire des
pompes funèbres, celui de la fabrique, de l’usine, mais aussi des références à la mort
et sa mise en scène, ont été retravaillés de façon artistique.
a – Lieu de fabrication
26

Christine DESMOULINS et Maurice CULOT, ibid.
28
Le collectif « Relevé d'images » mené par Robert Cantarella a réalisé
plusieurs films autour du chantier du Centquatre. Cette production qui porte le nom
de « 104 rue d’Aubervilliers » se compose de trois films réalisés dans des formats
originaux. « Le Centquatre en 52 minutes » est un documentaire qui s’intéresse à
l’histoire du lieu, de la naissance du Service municipal des pompes funèbres à sa
transformation en établissement artistique en 2008. Filmé d’une façon très sobre,
c’est également une manière de rendre hommage au travail des ouvriers sur le
chantier en présentant les gestes qui transforment la matière première en matière
exploitable. « Le Centquatre en 47 personnes » est une série de portraits des
acteurs du projet : architectes, directeur de chantier, commerçants, artistes. Enfin,
« Le Centquatre en 8 exercices » met en scène des fictions qui s’inspirent du
chantier. « Les transformations », par exemple, sont un ensemble de mini clips
vidéos dans lesquels le nombre « 104 » est représenté dans différentes matières et
dont le montage est inversé. C’est un essai sur les différentes identités visuelles du
Centquatre qui s’incarnent dans un mouvement de transformation de la matière
brute.
Prélevant des images du Centquatre « en train de se faire » et des
témoignages des personnes impliquées dans sa construction, il retrace l’évolution du
chantier «devenu le premier atelier d’artiste et ces films les premiers prélèvements
»27 selon Robert Cantarella. Le collectif livre ainsi un regard différent sur les métiers
de la construction et ses gestes professionnels qui transforment la matière. Hervé
Audibert, l’éclairagiste du Centquatre, avait déjà souligné la porosité de la frontière
entre art et artisanat en commentant l’histoire des pompes funèbres : « A y regarder
de plus près, une loi régissait ces espaces, celle de la logique de fabrication, de
l’organisation du travail artisanal. On pouvait se croire dans les coulisses d’un
spectacle qui ne se déroulait pas ici, mais dont tous les préparatifs étaient assemblés
en ces lieux »28. Ce travail préalable à l’exploitation du Centquatre est peut être une
façon de remettre en cause les définitions classiques de l’art en lui donnant un sens
plus ouvert.
b – Lieu de la mort et de sa mise en scène

27

Robert CANTARELLA et Frédéric FISBACH. L’anti Musée, op. cit.
Christine DESMOULINS et Maurice CULOT. 104, Paris : reconversion des anciennes pompes
funèbres de Paris en centre de création artistique. Atelier Novembre architectes, op. cit.
28

29
D’autres artistes, comme Olivia Rosenthal, se sont inspirés du chantier pour
réaliser une œuvre. Dans son roman intitulé « Viandes Froides », à la limite entre la
fiction et le documentaire, Olivia Rosenthal part de ses rencontres faites sur le
chantier avec les acteurs du lieu, présents et passés et met en scène le thème de la
mort et de la mémoire. A partir d’entretiens, elle essaie de comprendre quelle relation
les employés des pompes funèbres, les ouvriers du chantier, les artistes en
résidence ont vécu ou vivent dans ce lieu, quelle vision du lieu ils se forgent et quel
rapport ils entretiennent avec sa mémoire. Un autre exemple est celui de la sculpture
« The Fallen Angel » d’Ilya et Emila Kabakov, ange gigantesque tombé du plafond le
jour de l’inauguration et encore en place aujourd’hui au centre de la placette. Cette
mise en scène de la mort ouvre finalement à une renaissance symbolique du lieu.
Les installations et performances organisées pour l’inauguration ne sont pas
non plus sans rapport avec l’identité du lieu. Le « Mur Ouvert » de Pascale Marthine
Tayou est constitué d’enseignes lumineuses et de néons reprenant le mot « ouvert »
dans différentes langues. Première œuvre à laquelle le visiteur est confronté, ce mur
définit d’entrée de jeu la principale caractéristique du Centquatre : l’ouverture sur les
différents arts, les différentes pratiques et les différents publics. Michelangelo
Pistoletto présente son « Labyrinthe » comme « une route sinueuse et imprévisible
qui nous amène jusqu’à un espace de révélation, de connaissance », ce qui peut
être interprété comme une réflexion sur le sens de la vie ou sur le sens de l’art. En
brisant vingt miroirs sur les vingt-deux installés dans la halle Curial, Pistoletto
compose l’œuvre « Twenty Two Less Two ». Comme pour les miroirs visibles dans
les cours anglaises, il s’agit de voir ce qui est caché, de porter un regard différent sur
l’espace. On raconte d’ailleurs volontiers l’anecdote qui a suivi cette performance au
Centquatre. Alors que Pistoletto passait le maillet à un de ses amis, Lorenzo Fiaschi,
pour briser un des miroirs, celui-ci s’est détaché du mur et s’est écrasé au sol.
Lorenzo Fiaschi a vite réagi en bondissant en arrière, mais n’a pas entièrement
échappé à la chute du miroir qui pesait deux cent kilos. Il aurait ainsi échappé à la
mort, comme le Centquatre qui clôt son passé de pompes funèbres le jour de
l’inauguration.

B/ La transformation architecturale du Centquatre : une structure libre et
flexible

30
1) Combler le vide : la rénovation d’une friche industrielle

Autrefois abattoirs, puis pompes funèbres, le Centquatre a besoin de renouer
avec son histoire afin de se construire une identité propre. Mais si le Centquatre
essaye de mettre en avant sa singularité en rappelant ses anciennes activités et en
conservant l’aspect industriel du bâtiment, il n’est pourtant pas le seul. Inscris dans
une dynamique européenne, nombreux sont les centres artistiques qui renaissent
d’anciennes usines ou d’abattoirs. A Berlin, le Radial System, consacré à la danse et
à la musique, est situé dans un ancien transformateur électrique au bord de la Spree.
A Rome, Zone Attive aménage en 2008 un complexe dédié à l’innovation artistique
dans les anciens abattoirs de la ville. Enfin, à Madrid, le Matadero, fierté de
l’architecture industrielle, se situe également dans les anciens abattoirs.
On peut expliquer ce phénomène par deux facteurs. D’abord, d’un point de
vue très pragmatique, ces lieux offrent de vastes espaces, qui permettent aujourd’hui
d’accueillir des performances et des installations en tout genre, quels que soient leur
besoins spatiaux. En effet, tandis que les usines rassemblaient des ouvriers en grand
nombre, les abattoirs, situés à l’extérieur de la ville, devaient fournir des ressources
pour

des

milliers

d’habitants

dans

chacune

des

capitales

européennes.

Deuxièmement, la réhabilitation de tels espaces tend à donner à des centres
artistiques un aspect alternatif. La volonté de s’installer dans un endroit qui
provoquait autrefois dégoût et rejet et de le transformer en un lieu attractif parait
originale au premier abord, mais elle est très vite devenue une mode. La
transformation d’anciens ateliers, garages, usines en lofts relève de la même
tendance. Ces nouvelles formes d’exposition de l’art s’attachent finalement aux
mêmes problématiques : repenser la place de l’artiste dans la société et remettre en
question les conditions de production et les modes d’accès à l’art.
On peut établir une typologie des espaces en friche réinvestis par des activités
culturelles. Certains, situés dans des zones touchées par la crise économique, se
sont construits sur des usines abandonnées par la désindustrialisation. Celles-ci sont
transformées afin de ne pas entretenir l’image d’un territoire abandonné et déserté.
D’autres, en plein centre ville, font le choix d’introduire des activités de création,
d’expression et de réflexion productrices de valeur sociale, plutôt que de se voir
réinvestis par des activités marchandes. C’est une façon de réaffirmer le caractère
public d’une ville et sa réappropriation par la société. La mobilisation des acteurs est
31
alors fortement marquée politiquement et rappelle les responsabilités publiques en
matière d’aménagement urbain. Enfin, les nouveaux espaces culturels situés en
banlieue, dans des quartiers populaires, cherchent à construire une nouvelle identité
pour le territoire. Souvent dans des zones très peuplées, ils ont l’opportunité de créer
une relation de proximité avec les habitants du quartier. Ils investissent des zones
urbaines difficiles et tentent de tisser des relations avec une population jeune tout en
témoignant des changements en œuvre dans la société. En introduisant l’art là où il
n’est pas encore présent, ils essaient de changer la vie quotidienne des habitants.
Ces projets concrétisent les programmes politiques de réhabilitation urbaine. Le
Centquatre, par sa situation en périphérie d’une grande capitale européenne, a la
particularité de combiner les deux derniers cas de figure. Métaphore d’une autre
société possible, le Centquatre tente de faire participer les citadins au
développement urbain et à la vie locale.
Comme le montre l’analyse sémiologique (cf annexes), les travaux
d’aménagement du Centquatre ont permis de transformer un espace vide en un lieu
souple, ouvert et adapté à de nouveaux besoins. Cependant ce n’est pas toujours
évident d’investir un lieu si immense. Robert Cantarella soulève la difficulté à
« remplir le vide »29 et à en faire un lieu chaleureux. La dimension du vide est une
contrainte et un potentiel à exploiter. Contrainte car il est difficile de le combler,
potentiel car il représente un espace de liberté dans son aménagement en
s’adaptant à toutes sortes de pratiques artistiques.

2) Un espace modulable et adaptable
Les architectes de l’Atelier Novembre décrivent leur projet comme « un parti
pris de transmutation fondé sur les critères de simplicité, de rusticité, de fiabilité et de
souplesse d’usage au service d’un projet artistique polymorphe et évolutif dédié aux
relations entre les arts et les territoires »30. Leur expérience, ainsi que leur projet, qui
met en avant la transversalité du site par une grande souplesse d’utilisation des
espaces et des équipements, entre en résonance avec le projet artistique de la ville
de Paris.

29

CANTARELLA Robert, entretien précité.
Christine DESMOULINS et Maurice CULOT. 104, Paris : reconversion des anciennes pompes
funèbres de Paris en centre de création artistique. Atelier Novembre architectes, op.cit.
30

32
Le Centquatre se veut transdisciplinaire en accueillant à la fois des ateliers de
création, des espaces de diffusion, des commerces et un espace amateur. « Les
futurs exploitants n’étant pas connu au moment des études, notre réponse
programmatique quant au futur mode de gestion et d’organisation du lieu nous a
conduit à proposer un champ de réponses large pour parer à toute éventualité à
court ou moyen terme, quelles que soient les évolutions technologiques »31
témoignent Jacques Pajot et Marc Iseppi. L’interchangeabilité et la modularité des
espaces apparaissent donc comme des principes fondamentaux dans l’organisation
de l’espace. Les architectes ont dû anticiper des flexibilités d’usage, notamment dans
la modularité des plateaux et des espaces de production. Il s’agit de préparer le
terrain pour des artistes de toutes les disciplines et pour des évènements très variés
(défilés de modes, concerts, salons, expositions, projections…). Les dix-neuf ateliers,
d’une superficie allant de 90m² à 350m², n’ont pas de fonction prédéfinie et peuvent
s’adapter à toutes les pratiques artistiques. Les salles de spectacle, appelées plus
souvent « salles de monstration », peuvent également se transformer en lieu de
fabrication d’œuvres plastiques de grandes dimensions ou en loge pour les défilés. Il
s’agit en fait davantage de studios de travail susceptibles de recevoir du public. Le
Centquatre possède également 6000m² d’espace modulable et privatisable pour
accueillir les évènements des entreprises. Enfin, la porte monumentale qui ouvre la
halle Curial sur la cour de l’horloge permet de moduler l’espace selon les besoins du
centre : ouverte, elle prolonge la halle Curial par un espace extérieur, fermée elle
permet de gagner en isolation acoustique et thermique. L’enjeu principal a donc été
de transformer le Centquatre en lieu polyvalent en offrant une multitude de réponses
fonctionnelles. Finalement, le Centquatre peut être perçu comme une matière
première, un espace vierge, qui, même s’il porte une lourde histoire, doit permettre
n’importe quelle pratique et n’importe quelle évolution.
II. Un espace adapté pour une nouvelle approche de l’art

A / Le Centquatre, laboratoire de la création artistique (projet artistique et
économique)
1) L’importance du processus artistique
31

Christine DESMOULINS et Maurice CULOT, ibid.
33
La démarche artistique en elle-même prend aujourd’hui beaucoup plus de
valeur qu’avant. « L’essence et la valeur de l’art ne résident pas dans les seuls
objets d’art, mais dans la dynamique et le développement d’une expérience active au
travers de laquelle ils sont à la fois créés et perçus »32 (R. Shusterman). La création
artistique et l’action culturelle ont toujours représenté deux thèmes distincts des
politiques culturelles, comportant des objectifs différents. Il s’agit aujourd’hui de
mieux comprendre la démarche artistique et de lui donner plus de valeur dans un
contexte où nombre de créations artistiques sont réduites à l’état de bien de
consommation. Par ces méthodes, les acteurs culturels essaient de renverser des
modes de diffusion institués qui ont, au fil du temps, formaté les productions en
même temps que les publics. Contourner les modèles établis permet de redonner
une liberté aux artistes et de donner plus de qualité à la diffusion.
Les artistes ne se contentent plus de présenter leur œuvre finie, ils essaient
de remodeler le processus de création artistique en incluant la participation du public.
Il s’agit en fait de donner plus de visibilité à la recherche et aux étapes de travail de
la production artistique. Les artistes n’attendent pas une aide ou une critique de la
part du public, ils ne cherchent pas non plus à préparer une réception particulière de
l’œuvre. Cette nouvelle façon d’aborder l’art est davantage une expérience qui vise à
ouvrir un débat sur la représentation de l’art, à soulever des questionnements et à
donner plus d’importance à la réflexion qu’ouvre une création d’œuvre d’art. C’est ce
qu’ont voulu montrer les anciens directeurs en ouvrant les résidences au public et en
donnant au Centquatre une image de laboratoire pour les projets artistiques. Mais
cela n’a pas toujours été évident pour les artistes. Certains ont refusé, d’autres ont
eu peur de ne pas savoir comment aborder le public, car il ne s’agissait pas de
montrer un morceau d’œuvre, mais de chercher à donner aux œuvres en
construction de nouvelles perspectives, de les remettre en question pour les faire
arriver autre part. En lui proposant une expérience inédite, un nouveau « trajet », le
public était considéré comme partenaire et non plus comme cible. Frédéric Fisbach
et Robert Cantarella ont beaucoup insisté sur ce besoin de « voir l’art en train de se
faire » mais aussi sur la nécessité de créer des résidences artistiques sans obligation
de résultat. La nécessité de produire une œuvre à l’issue d’une résidence était alors
32

Fabrice LEXTRAIT. Une nouvelle époque de l’action culturelle, op. cit.
34
considérée comme un paramètre propre à notre société capitaliste qui juge tout
investissement sur le résultat.
Si ce projet a été modifié avec l’arrivée du nouveau directeur, c’est parce que
les ateliers ne permettaient pas d’accueillir un public nombreux, parce qu’il était très
difficile de communiquer sur ces rencontres avec les artistes. D’autre part, le public
restait en général assez peu réceptif à cette démarche. « C’était absolument
passionnant, mais peut être trop pointu » commente Martial Hobeniche33. La Mairie
de Paris attendait une répercussion plus large des activités du Centquatre,
notamment parce qu’elle avait besoin de justifier les lourds investissements qui
avaient été fait. Par ailleurs, la population attendait des résultats concrets, des
choses à voir, à découvrir, à comprendre. C’est ce qu’Etienne Benoit appelle très
justement le « retour sur visibilité »34.

2) Une déhiérarchisation des pratiques artistiques

En valorisant la pluridisciplinarité, le Centquatre décloisonne les disciplines
artistiques et les ouvre à de nouvelles expérimentations. Souvent considérée comme
un éclectisme censé attirer un public plus nombreux, il s’agit en fait de déhiérarchiser
les pratiques artistiques et d’accueillir des formes d’expressions qui n’ont pas trouvé
leur place dans des centres culturels plus traditionnels. Aujourd’hui en effet, les
productions artistiques mêlent des techniques et des matériaux variés. On peut
donner l’exemple de Pierrick Sorin, spécialiste des théâtres optiques qui mêlent
vidéo et art plastique. S’inspirant beaucoup du quotidien, il utilise dans ses
productions des objets divers, des plus sophistiqués aux plus rudimentaires. « La
touche Sorin, c’est justement ce mélange de bouts de ficelles et de technologies,
d’effets spéciaux bricolés, de hasards, de ratages et de vrais dispositifs filmiques »35.
C’est aussi une façon de créer des passerelles entre différentes disciplines
afin de faire dialoguer les artistes et de diversifier les modes d’expression. Fleur
Albert, réalisatrice en résidence au Centquatre produit ainsi un film, « Boys Tricky »,
qui met en scène une joute verbale entre les deux rappeurs Tricky et H2. Cet
affrontement musical prend la forme d’une « chorégraphie de la rage au cœur et au
33

HOBENICHE Martial, entretien précité.
Conseiller technique auprès de Christophe Girard, BENOIT Etienne.
35
Chronique de Sophie JOUBERT, « exposition Pierrick Sorin au 104 ». France Culture, 26 janvier
2011. http://www.franceculture.com/emission-la-chronique-de-sophie-joubert-exposition-pierrick-sorinau-104-2011-01-26.html
34

35
ventre ». « La force de ce qui se déploie progressivement sous nos yeux dépasse ce
qui n’aurait pu être qu’un prétexte à documenter un simple moment d’improvisation
musicale : ici, le langage des corps qui s’apprivoisent transcende la brutalité
originelle des mots, le cri de rage et de révolte » ajoute Fleur Albert lors de sa
présentation du court métrage au festival « Filmer la musique » au Point Ephémère
(juin 2009, Paris). De manière générale, on évolue vers un travail de coopération,
entre le public et les artistes, mais aussi entre les artistes eux-mêmes.
Dans la même perspective, ces nouveaux espaces sont davantage ouverts
aux artistes non confirmés qui ont du mal à se professionnaliser dans un système de
production et de diffusion culturel déjà saturé. En accordant une place importante à
des formes d’expression étouffées et aux nouveaux talents, le Centquatre crée un
espace pour ceux qui n’en ont pas, soit parce qu’ils ne sont pas reconnus dans le
marché des industries culturelles, soit parce qu’ils ne sont pas légitimés -et protégéspar les institutions. En accueillant Viravong, dessinateur de bandes-dessinées, le
Centquatre a permis à un artiste encore peu connu de publier son œuvre. Il s’agit de
donner l’occasion à la création artistique de se renouveler sans perdre un public qui
pourrait être attiré par des artistes qu’il connait déjà.
Il faut se garder de comparer cet espace à des salles privées qui construisent
leur succès sur les attentes d’un public jeune et à la pointe de la nouveauté,
exploitant ainsi une faiblesse des établissements culturels reconnus. Si ces
établissements, que l’on pourrait qualifier de plus « commerciaux », tentent, sous la
pression économique et sociale, d’adopter une autre stratégie culturelle et sont
même parfois soutenus par les pouvoirs publics. Ils répondent donc à des besoins
différents.
3) Un modèle d’économie mixte
L’idée d’un statut exceptionnel de l’activité artistique, considérée comme
autonome vis-à-vis de toute conception économique a longtemps prévalu, malgré
l’importance du marché de l’art. Mais ce détachement de l’art et de l’économie a été
progressivement remis en question. Déjà en 1982, Jack Lang dans son discours à
Mexico proclamait l’alliance du domaine artistique à l’esprit d’entreprise. Cette idée a
été acceptée d’une part parce qu’elle venait d’un socialiste, d’autre part parce qu’elle
a été accompagnée d’un doublement du budget de la culture. Parallèlement, il a
36
introduit une dimension festive en créant la Fête de la musique en 1982, puis les
Journées nationales du patrimoine en 1984. Certains l’ont accusé d’avoir dénaturé la
politique culturelle, qui reposait sur la notion de service public, et de l’avoir
transformé en « politique du divertissement »36 (Jacques Rigaud). Mais finalement,
en intégrant la culture à la vie économique, Jack Lang a simplement accompagné un
phénomène entamé avant lui. Les industries culturelles montraient déjà que le
marché s’était emparé de la culture pour en faire un bien de consommation. En
affirmant cette alliance de la culture à l’économie, Jack Lang a donc réussi à
s’adapter aux évolutions économiques de l’époque.
Il ne s’agit pas aujourd’hui d’épouser la logique de la société de
consommation en étant à l’écoute des besoins pour exploiter la culture de façon
rentable, mais de reconnaître l’interdépendance de l’économie et de la culture. Pour
répondre aux besoins de financement des établissements culturels, l’économie mixte
comprend

des

subventions

publiques

et

privées,

ainsi

qu’un

système

d’autofinancement, qui permet de rendre ces espaces plus autonomes sur le plan
financier. Actuellement, la Direction des Affaires Culturelles subventionne le
Centquatre à hauteur de huit millions d’euros par an. Le centre compte également
dans ses recettes un fond de mécénat qui s’élève à 700 000 euros et des recettes
propres par la location d’espaces et la billetterie. Le Centquatre devant trouver par
lui-même un tiers de son budget, les anciens directeurs ont mis en place un
programme de commercialisation et de privatisation d’espaces pour accueillir les
évènements lancés par les entreprises partenaires (défilés de mode, promotions de
marques ou lancements de produits).
Martial Hobeniche voit dans ce système un modèle original et qui est amené à
se développer en France : « Actuellement, la France est dans une période de
transition, c’est-à-dire que les institutions publiques vont être de plus en plus aidées
par les institutions privées. En cela, le Centquatre est un lieu complètement novateur
puisqu’il doit trouver une partie de son budget pour financer son fonctionnement et
les aides à la création artistique. On est dans les prémisses de ce qui va se faire de
manière plus générale en France. »37.

36

- Quelle politique culturelle pour la France ? Débat HEC-ENS à l’École Normale Supérieure, mené
par Alexandre MIRLESSE - ENS et Arthur ANGLADE – HEC, 26 avril 2006.
http://www.eleves.ens.fr/pollens/seminaire/seances/politique-culturelle/politique-culturellefrancaise.pdf
37
HOBENICHE Martial, entretien précité.
37
B/ Faire du Centquatre un espace du quotidien (projet social et territorial)

1) Un passage urbain

Entouré des grandes tours des Orgues de Flandres, HLM modernes et
hétéroclites d’une trentaine d’étages, le Centquatre est invisible depuis les rues
adjacentes et parait comme enclavé dans son quartier. Le bâtiment, par son
caractère fermé et imposant, donne l’impression d’entrer dans une structure calme et
coupée du monde extérieur, ou du moins isolée des bruits de la rue. Pourtant cet
espace de tranquillité n’est pas une tour d’ivoire. Les équipes du Centquatre
s’efforcent de l’ancrer dans son environnement, aussi ingrat soit-il, et de renforcer
son attractivité.
Le Centquatre n’est pas seulement un centre culturel et artistique, il
représente également « un microquartier ouvert sur la ville »

38

selon Frédéric

Fisbach, un « square chauffé »39 selon José-Manuel Gonçalvès. Si le squelette du
bâtiment est resté intact, les architectes ont fait le choix de valoriser l’idée de
traversée, de passage, de rue. Les commerces, les espaces de rencontre et les
équipements de proximité en font un lieu hybride, ouvert à de multiples modes de
fréquentation. En effet, le Centquatre ne restreint pas son usage à une simple
diffusion culturelle. Il intègre des espaces privés tels que la librairie le Merle
Moqueur, le restaurant des Grandes tables du Centquatre, le Café Caché, Emmaüs,
représentant le volet de l’économie solidaire, ou encore la boutique Ephémère.
« Dans cette “rue” occupée par des artistes, on pourra marcher, s'asseoir, discuter,
consommer. On croit à l'insertion sociale par la culture et on espère que ce sera un
lieu de foisonnement »40, dit F. Fisbach. « Le Centquatre est à la fois un lieu de
résidence, de création artistique - aujourd’hui un lieu de diffusion - et un lieu ouvert
au public tous les jours entre 11h et 20h comme le serait un espace public (…) C’est
également un lieu de vie »41 précise Martial Hobeniche. C’est par cette transversalité
que le Centquatre arrive à s’intégrer dans la ville, à élargir son public et à rompre les
frontières qui isolent la population du quartier de la vie culturelle parisienne.

38

Frédéric CHAPUIS. « Le 104, plus vivant que jamais ». Télérama, 3065, 18 octobre 2008.
Gilles RENAULT. « Faire du Centquatre une caisse à outils ». Libération Next, 3 janvier 2011.
40
Frédéric CHAPUIS. « Le 104, plus vivant que jamais ». Télérama, 3065, 18 octobre 2008
41
HOBENICHE Martial, entretien précité.
39

38
A l’inverse de l’art de rue qui détourne des paysages urbains en supports
d’expression artistique, le Centquatre réintroduit une dimension publique dans un
espace culturel. La placette du centre de la halle Curial, qui sert d’espace de
répétition pour des groupes de danse ou de théâtre amateur, est assez révélatrice.
Décollée des cloisons intérieures, elle est à la fois protégée de la circulation des
visiteurs et elle favorise l’échange entre artistes et passants. C’est une façon de
générer de nouvelles modalités de réception, notamment en multipliant les voies
d’accès à l’art. Le Centquatre réalise ainsi une véritable fusion entre espace public et
espace de travail et remplit ses engagements vis-à-vis d’un public de proximité.

2) Un équipement de proximité

La municipalité représente le premier espace public local. A travers les
associations et les conseils de quartier, la participation des citoyens à la vie locale
devient effective. La construction d’un espace intermédiaire tel que le Centquatre ne
doit pas simplement émerger d’une volonté institutionnelle. Afin de comprendre et de
s’adapter aux attentes locales, les relations publiques du Centquatre travaillent en
étroite collaboration avec les associations de quartier. Il s’agit de faire du Centquatre
un espace du quotidien en créant une coopération entre les artistes et d’autres
acteurs sociaux. C’est « une hybridation inédite entre les experts artistiques et les
experts du quotidien, entre les artistes et la population. Cette hybridation est
nécessaire car, lorsqu’elle n’a pas lieu, les deux se regardent en chiens de faïence,
et la bataille pour la création devient une bataille abstraite »42 (Jack Ralite). La
Maison des Petits est un bon exemple de cette coopération. Cet espace, qui
accueille des enfants de 0 à 6 ans avec leurs parents, est un succès et répond à un
vrai besoin.

L’équipe

avait constaté

qu’il y avait beaucoup

de familles

monoparentales ou isolées par leur langue et leur culture. La Maison des Petits
permet de construire un échange entre les enfants et leurs parents ou entre les
parents et l’équipe professionnelle à qui ils peuvent poser des questions. « C’est un
lieu de rencontre et d’échange qui remplit une mission sociale »43 commente Martial
Hobeniche.

42
43

Fabrice LEXTRAIT. Une nouvelle époque de l’action culturelle, op. cit.
HOBENICHE Martial, entretien précité.
39
D’une autre manière, la résidence participe à cette volonté d’ancrer les artistes
sur un territoire pour une durée relativement longue, tout en leur redonnant une
visibilité au sein de la société. Si les apports matériels d’une résidence sont les
conditions sine qua non de la production artistique, les actions en relation avec le
territoire et développées par le centre culturel peuvent fournir à l’artiste un cadre
politique et social concret à son travail. Certains font du territoire l’objet de leur
travail. On peut donner l’exemple de Fleur Albert et Laurent Roth qui réalisent un film
documentaire sur la toxicomanie à partir d’acteurs choisis sur le terrain du 19ème
arrondissement, contactés grâce aux services publics et aux services sociaux du
quartier. De la même façon, la résidence de Tricky a été très enrichissante. Issu d’un
quartier populaire, Tricky a su établir un contact très rapidement avec la population
locale. Sa personnalité, son histoire, son attitude ont séduit les jeunes du quartier
Curial qui ont participé à l’enregistrement de son dernier album « Mixed Race ». Il
témoigne dans une interview « il y a plein de gens du quartier qui sont venus dans
mon studio et qui ont collaboré. Des ados qui ont apporté des instruments de
musique, leurs potes, leurs familles, leurs histoires, et le projet s’est constitué ainsi
»44. Un des objectifs du Centquatre est justement de créer une certaine proximité
entre les artistes et la population locale : « C’est ce que nous voulons continuer au
Centquatre : faire venir des gens qui, par leur culture, leur langage, leur façon d’être,
peuvent s’adresser à des publics très différents »45 (Martial Hobeniche à propos de la
résidence de Tricky).
Le Centquatre a donc pour objectif de produire des liens de proximité avec les
habitants du quartier afin de faciliter son appropriation. Les pratiques culturelles
servent alors de support pour les échanges sociaux et le critère de convivialité créé
par une expérience artistique entre désormais en ligne de compte. Les bars, les
cafés, les restaurants, les bals populaires créent des ambiances chaleureuses
permettant aux habitants du quartier de se sentir chez eux, et donc de s’identifier au
lieu. On peut d’ailleurs établir un lien entre « l’esthétique ethnologique »46 de
Rousseau et les pratiques culturelles encouragées par le Centquatre. Rousseau
opposait la fête, où tous les participants sont acteurs et le théâtre, dans lequel
l’émetteur et le récepteur sont clairement identifiés. Symbole de démocratie, la fête
est désormais préférée au spectacle, au nom de l’importance accordée aux
44

Sébastien CHARLOT. « Tricky, la conversation. ». Maelström, 18 octobre 2010.
HOBENICHE Martial, entretien précité.
46
Jean CAUNE. « Pratiques culturelles, médiation artistique et lien social », op. cit.
45

40
échanges sociaux. En organisant des « fêtes des voisins », le Centquatre crée des
occasions de se regrouper autour d’un verre, d’un repas, d’un bal. Ces moments de
rencontre et de participation à la vie locale développent un lien social entre les
habitants, ainsi qu’une attache territoriale. Il s’agit finalement de reconstruire une
continuité entre l’art et les autres formes d’activités humaines en donnant au
Centquatre l’image d’un lieu de voisinage.

41
HYPOTHESE 3 : Définir les conditions du vivre ensemble : le
Centquatre, un espace public ?
I. Le Centquatre, un projet politique
A/ Qu’est-ce que l’espace public ?

1) Définition théorique

Un espace public se définit en premier lieu par sa dimension physique. Si la
plupart des espaces publics sont en fait des vides laissés entre les zones privées
(rue, place, avenue, parc), ils peuvent aussi être construits et relèvent alors d’une
volonté politique. L’espace public a été défini par Habermas comme l’espace
intermédiaire entre la société civile et les pouvoirs politiques. Au cœur du dispositif
démocratique, l’espace public, accessible à tous les citoyens, est le lieu de formation
de l’opinion publique. C’est un espace symbolique dans lequel se manifestent les
différents acteurs sociaux, leur donnant le sentiment de participer à la vie publique.
Pour former une démocratie concrète et active, l’espace public suppose des valeurs
communes, mais aussi une capacité égale à s’exprimer. Il s’affirme contre la violence
physique par la reconnaissance de l’autre comme d’un être libre et dont la parole est
légitime. Il attribue alors une valeur politique et proprement démocratique à l’espace
commun et valorise l’expression individuelle afin de rendre public un intérêt partagé.
La démocratie ne peut se passer d’un espace public car non seulement il soumet les
opinions à l’épreuve, parfois conflictuelle, du dialogue, mais aussi il donne une
visibilité à ces opinions. Kant insiste sur ce besoin de publicité des opinions, sans
quoi celles-ci ne seraient pas prises en compte par les instances décisionnelles du
pouvoir politique.47
L’espace public a également été valorisé en tant qu’aboutissement d’un
mouvement d’émancipation de l’individu, représentant un espace appartenant à tous.
Il relève alors du principe de liberté individuelle, de mouvement et d’expression,
contre ce qui est privé et qui implique logiquement des contraintes et des règles. « Il
s’est ainsi opéré une rencontre entre deux mouvements relativement différents : celui
47

Florence CAEYMAEX. « La genèse de l’espace public ». Reliures, 18, printemps-été 2007.
42
en faveur de la liberté individuelle, donc d’une certaine capacité à afficher
publiquement ce que l’on est, et le mouvement démocratique, qui lui aussi favorisait
l’idée de publicité contre celle de secret et d’interdit. Des deux côtés, ce qui était
ʺpublicʺ fut valorisé »48 commente Dominique Wolton. Le concept d’espace public a
donc évolué vers un sens plus sociologique que politique.
Il faut distinguer l’espace public, de l’espace commun et de l’espace politique.
L’espace commun est un espace où se manifeste une identité partagée par les
membres d’un groupe social. Né dans un contexte d’échange commercial, l’espace
commun tisse des relations de familiarité et des liens de solidarité entre les individus
qui se retrouvent alors dans une même culture. L’espace politique n’est plus un
espace de délibération, mais un lieu de décision. Il inclut un enjeu de pouvoir qui n’a
pas lieu d’être dans l’espace public.
2) Un lieu de formation de l’identité
Lieu de rencontre, de dialogue ou de confrontation, l’espace public met en
présence des individus de différentes sphères de la société civile tout en leur
garantissant l’anonymat. Espace de mise en commun des particularités individuelles,
il permet à tout individu de se détacher de son identité originelle et de s’en construire
une nouvelle.
L’appartenance à une communauté nous enferme dans un groupe social qui
se caractérise par une origine ethnique, une langue, une religion, une culture. Elle
s’éprouve dans l’union, et entraîne la destruction de toute singularité. La
communauté est définie par Sartre comme un « groupe en fusion »49, dans laquelle
les membres sont considérés comme les parties d’un tout. Au contraire, l’institution
d’un espace public favorise l’émergence d’individualités. Il invite les individus à se
replacer dans un espace différent et à s’éloigner, de façon temporaire, de leur
communauté d’origine afin de faire l’expérience de l’altérité. Reconnaître l’autre, c’est
aussi prendre conscience de soi, de sa culture d’appartenance et affirmer son
identité. Selon Etienne Tassin, « toute communauté tend vers la confusion, la fusion
commune. A l’inverse, l’espace public doit se comprendre comme un espace de
diffusion, parce qu’au lieu de fondre les individus dans la figure de l’Un, condensant
48
49

Dominique WOLTON. « Espace public ». http://www.wolton.cnrs.fr/spip.php?article67
Etienne TASSIN. « Espace commun ou espace public ? ». In : Hermès, 10, 1991.
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Une redéfinition de l’espace culturel à Paris, l’exemple du Centquatre

  • 1. École des hautes études en sciences de l'information et de la communication Université de Paris-Sorbonne (Paris IV) MASTER 1re année Formation Initiale Mention : Information et Communication Spécialité : Communication des Entreprises et des Institutions « Une redéfinition de l’espace culturel à Paris, l’exemple du Centquatre » Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD Nom et prénom : HENQUET Violette Promotion : 2009-2010 Soutenu le : 02/09/2011 Note au mémoire : 14/20
  • 2. TABLE DES MATIERES INTRODUCTION 5 HYPOTHESE 1. La culture comme facteur de transformation sociale 13 I. Naissance et évolution des politiques culturelles 13 A/ La démocratisation culturelle, un objectif prioritaire des politiques culturelles 13 1) La création du ministère et la définition de ses objectifs 13 2) L’échec relatif de la démocratisation culturelle 14 3) La création de nouveaux espaces culturels 16 B/ Une recomposition du paysage culturel, vers une nouvelle approche de l’art et du public 17 1) Une ouverture du champ culturel 17 2) D’une conception essentialiste à une conception sociale de l’art 18 II. De la démocratisation à la démocratie culturelle 20 A/ La culture comme facteur de cohésion nationale 20 1) Le « non public » 2) La culture comme vecteur d’intégration 21 B/ De l’intégration à la participation : la culture, manifestation de la diversité 23 1) L’importance du concept de médiation 23 2) La démocratie culturelle 24 3) La médiation culturelle, masque des problèmes sociaux ? 25 HYPOTHESE 2. L’architecture, vecteur de sens au service d’un projet inédit 27 I. Les travaux du Centquatre, entre contraintes techniques et artistiques 27 A/ Le Centquatre, lieu d’histoire et de mémoire 27 1) Des travaux de conservation du patrimoine 27 2) La mise en valeur artistique du patrimoine 28 a- Lieu de fabrication 28 b- Lieu de la mort et de sa mise en scène 29 2
  • 3. B/ La transformation architecturale du Centquatre : une structure libre et flexible 30 1) Combler le vide : la rénovation d’une friche industrielle 31 2) Un espace modulable et adaptable 32 II. Un espace adapté pour une nouvelle approche de l’art 33 A / Le Centquatre, laboratoire de la création artistique (projet artistique et économique) 33 1) L’importance du processus artistique 33 2) Une déhiérarchisation des pratiques artistiques 35 3) Un modèle d’économie mixte 36 B/ Faire du Centquatre un espace du quotidien (projet social et territorial) 38 1) Un passage urbain 38 2) Un équipement de proximité 39 HYPOTHESE 3. Définir les conditions du vivre ensemble : le Centquatre, un espace public ? 42 I. Le Centquatre, un projet politique 42 A/ Qu’est-ce que l’espace public ? 42 1) Définition théorique 42 2) Un lieu de formation de l’identité 43 B/ Une revalorisation de l’espace périphérique 44 1) Le réaménagement de Paris Est 44 2) Favoriser la mixité sociale 45 II. Le Centquatre, emblème de la politique culturelle de Bertrand Delanoë 46 A/ La culture, un enjeu de communication politique 46 1) La culture instrumentalisée au service du pouvoir 46 2) Un projet défendu par la gauche 47 B/ Le Centquatre, une image de la politique culturelle mal maitrisée 49 1) L’échec du Centquatre, suivi d’une polémique très médiatisée 49 2) Vers une renaissance du Centquatre ? 51 CONCLUSION 54 3
  • 5. INTRODUCTION Le Centquatre a eu une grande place dans l’actualité médiatique au cours des deux dernières années. D’abord « cas d’école »1 révélateur des erreurs de la politique culturelle, accusant le manque de cohérence du projet, des investissements publics démesurés et une fréquentation trop faible, on célèbre la « renaissance du Centquatre »2 depuis l’arrivée du nouveau directeur, José-Manuel Gonçalvès, en octobre 2009. Ce changement de tonalité dans les polémiques véhiculées par la presse constitue une tendance assez uniforme selon les différents médias. L’observation de ce traitement médiatique a constitué, dans mon étude, un point de départ pour comprendre les changements dans le projet artistique et culturel qui ont permis au Centquatre de rebondir, et en tirer des conséquences plus générales sur la politique culturelle actuelle de la Mairie de Paris. Les analyses de Bourdieu sur l’échec de la démocratisation culturelle sont déjà anciennes et pourtant elles restent très présentes dans les discours institutionnels. Or, l’Etat a bien compris le rôle que pouvait jouer la culture en faveur de la cohésion nationale. Les pratiques culturelles produisent en effet du lien social et créent des pôles d’identification. L’attente des politiques n’est pas d’effacer les différents points de vue ou les intérêts contradictoires, mais de produire un sentiment d’appartenance à une communauté nationale. Dans une perspective démocratique, les politiques culturelles cherchent donc une solution devant cette inégalité d’accès à la culture. Par ailleurs, la médiatisation de masse semble laisser place à une parole uniforme provenant des mêmes instances d’énonciation : les médias, les institutions, les politiques, etc. L’individu, caché dans une masse anonyme n’aurait plus la possibilité d’être entendu. Serait-on arrivé à creuser un fossé entre deux nouvelles classes d’individus, ceux dont la parole serait légitime dans l’espace public et ceux qui se cantonnerait à l’écoute ? Si cette interrogation parait simpliste, elle permet néanmoins de se poser la question de la présence de lieux de parole, ou de leur absence, pour le citoyen d’aujourd’hui. Dans cette optique, la politique de médiation 1 2 Anne-Marie FEVRE. « Le Centquatre : un cas d’école ». Libération, le 2 avril 2010. Yan RODRIGUEZ. « La renaissance du Centquatre ». A Nous Paris, 504, le 20 décembre 2010 5
  • 6. culturelle semble vouloir palier à un problème de « fracture sociale ». La médiation, opposée à la médiatisation, aurait pour objectif de faire émerger des subjectivités et de les faire dialoguer afin de retisser ce lien social. Au delà des relations interpersonnelles qu’elle construit dans l’immédiat, la médiation culturelle vise à inscrire les individus dans un projet collectif, c’est-à-dire partagé et vécu en commun. Culture et communication On voit un peu partout en Europe une tendance à vouloir réaménager d’anciennes friches industrielles en centre culturel. Le Matadero à Madrid, le Radial System à Berlin ou encore Zone Attive à Rome, pour ne donner que quelques exemples, proposent de nouveaux modèles d’exploitation de la culture. Ces espaces vides, souvent très vastes, qu’ils se réapproprient, regroupent des activités de production et de diffusion. Ils cherchent ainsi à créer de nouvelles expériences artistiques et culturelles, et notamment à développer un lien de proximité avec le public. C’est aussi une façon de rompre avec une conception plus classique de la culture. En effet, il ne s’agit plus de distinguer culture légitime, c’est-à-dire partant de l’élite intellectuelle et reconnue officiellement par les institutions, et culture illégitime. La culture est ici envisagée dans un sens plus anthropologique comme expérience humaine, individuelle ou collective, construisant des modèles sociaux de comportement et des interactions entre les individus. Le Centquatre partage avec ces différents espaces culturels un certain nombre de réflexions sur l’approche culturelle. Cette volonté de supprimer toute hiérarchie entre les différentes pratiques artistiques, mais aussi de rendre les frontières entre conception et diffusion plus poreuses, participe à l’invention d’un nouveau rapport à l’art et à la culture. Le Centquatre est d’ailleurs très révélateur des nouvelles politiques culturelles qui cherchent à impliquer davantage le public dans les pratiques artistiques et à diversifier les formes de fréquentation de ces espaces. Il s’agit de faire évoluer le schéma traditionnel de la communication culturelle : institution (émetteur) – message artistique ou patrimonial – public (destinataire) et d’approcher un schéma qui ressemblerait davantage à un réseau de relations intersubjectives où le public trouverait un lieu pour s’exprimer. Inscrite dans un 6
  • 7. espace, la culture deviendrait alors un vecteur de communication, ou au moins prétexte à la rencontre et à l’échange. Le Centquatre Anciennes pompes funèbres municipales de Paris, le Centquatre a été réaménagé en centre culturel regroupant des activités de production et de diffusion artistique. Lieu de mémoire d’un service public, il reflète également les caractéristiques architecturales de l’époque industrielle. Envisagé comme un passage, le Centquatre se compose en premier lieu de deux allées principales, la « halle Curial » et la « halle Aubervilliers » séparées par une cour. Ces halles ouvrent sur des ateliers de toutes les tailles, adaptés à la diversité des activités culturelles qu’ils exploitent, des salles de diffusion et des commerces. Les usagers peuvent ainsi s’entrainer à diverses pratiques artistiques, se promener, voir les installations exposées ou simplement s’asseoir sur des bancs publics pour se reposer. « C’est un lieu comme il n’en existe pas. Ce n’est pas un musée et en même temps on peut venir voir des expositions, ce n’est pas une salle de concert et en même temps on peut venir y voir des concerts et des spectacles, ce n’est pas une galerie marchande et en même temps on peut venir y faire des achats culturels »3. « Montrer l’art en train de se faire », tel est son objectif présenté lors du projet initial des deux premiers directeurs Frédéric Fisbach et Robert Cantarella. Il s’agit en effet de ne plus séparer l’acte de production artistique de sa diffusion et d’impliquer le public dans le processus de création. L’importance accordée à la relation usager / artiste donne au Centquatre une dimension sociale et novatrice. Espace pluridisciplinaire, il regroupe toutes les pratiques artistiques. De la BD à l’art plastique, en passant par le théâtre, la musique ou la danse, il est difficile de trouver une discipline qui ne soit pas représentée au Centquatre. Parallèlement, le Cinq est un espace spécialement destiné aux habitants des 18 ème et 19ème arrondissements qui développent des pratiques artistiques en amateur. Il œuvre, à son niveau, à la mise en réseau des initiatives créatives et artistiques locales. C’est un défi pour la Mairie de Paris d’implanter un lieu culturel dans un quartier défavorisé de Paris. Le 19ème arrondissement connait en effet de multiples problèmes sur le plan économique et social. Le quartier Curial, surnommé « cité du 3 Chargé de communication au sein de l’agence du 2 7 ème bureau, HOBENICHE Martial
  • 8. crack », est un quartier composé pour 60% de logements sociaux4 et avec un taux de chômage très élevé. Il s’agit à la fois de renouer avec un public a priori non concerné directement par la culture et de revaloriser le quartier en installant un pôle d’attraction pour diversifier sa fréquentation. C’est dans un projet plus global de « Grand Paris » et surtout de réaménagement de l’est parisien que s’inscrit la création du Centquatre. Son système de financement, lui aussi, est unique, car s’il vit principalement des subventions de la Mairie de Paris et du département, il doit trouver 30% de son budget dans ses propres fonds en passant par des privatisations d’espaces. Vient s’ajouter le fond de mécénat, créé par les deux anciens directeurs, qui permet d’intégrer des entreprises au projet culturel. Le Centquatre comme nouvelle forme d’espace culturel Michel de Certeau distingue le « lieu », représentant une configuration de position, organisant un ordre et impliquant une stabilité, de « l’espace », animé par les mouvements humains et envisagé comme un « lieu pratiqué »5. De par son organisation spatiale et la place qu’il accorde aux différents usages du public, on peut clairement qualifier le Centquatre d’ « espace ». Robert Cantarella le décrit même comme un « lieu de vie »6, afin d’insister sur son aspect social et communicationnel. En effet, le Centquatre serait le lieu idéal qui permettrait de tisser des relations entre les usagers et les artistes et de favoriser le dialogue. Si tous les porteurs du projet, qu’ils fassent partie de la direction du Centquatre ou de la Mairie de Paris insistent sur son caractère inédit, on peut pourtant le replacer dans une lignée de lieux artistiques et culturels qui réinvestissent d’anciennes friches industrielles pour les transformer en lieu de transmission de la culture comme nous l’avons vu précédemment. Leur objectif partagé de faire vivre la culture plutôt que de l’exposer, d’accorder autant d’importance à la création qu’à la réception, la tendance à revaloriser les arts vivants ou les arts de la rue dans des quartiers difficiles sont autant d’indices qui inscrivent ces projets dans un objectif 4 Robert CANTARELLA et Frédéric FISBACH. L’anti Musée. Nouveau débats publics, 2009. Jean CAUNE. Pour une éthique de la médiation, le sens des pratiques culturelles. Grenoble : PUG, 1999 6 Ancien directeur du Centquatre, CANTARELLA, Robert. 5 8
  • 9. commun : créer du lien entre les habitants d’une ville ou d’un quartier, entre le public et les artistes, entre les institutions et la société. L’origine de ce questionnement sur les formes du vivre ensemble, à travers la problématique de la médiation culturelle, est peut être à rechercher dans la crise urbaine, de plus en plus visible, et dans la rupture consommée entre politique et citoyen. En effet, les politiques publiques cherchent à élargir la base sociale de la fréquentation des équipements culturels et, plus profondément, à reformer le dialogue avec les populations. A cette crise urbaine s’ajoute une crise de la culture qui se manifeste d’abord par une baisse des subventions publiques, conséquence de la crise financière de 2007, et par un certain désengagement de l’Etat suite à la politique de décentralisation. Paris semble avoir perdu son prestige de ruche artistique et c’est en mettant en place de nouvelles formes de médiations et des lieux pour la création qu’elle souhaite y remédier. « Paris est une ville très chère où les artistes ne restent pas, ils vont à Berlin la plupart du temps »7 remarque Robert Cantarella. Le projet initial des anciens directeurs accordait une grande importance aux résidences d’artistes. En fournissant un atelier, une bourse et des moyens techniques, le Centquatre devait permettre à des artistes de travailler dans de bonnes conditions. Aujourd’hui et suite aux problèmes de fréquentation qu’a connu le Centquatre, le budget semble être davantage investi dans l’évènementiel afin d’attirer un public plus nombreux. Les nombreux discours, aussi contradictoires soient-ils, dont il a fait l’objet m’ont d’abord interpellé. Puis l’originalité du lieu et l’ambition du projet du Centquatre m’ont séduit. Par ailleurs, son lien avec les politiques et les polémiques culturelles actuelles entrait en totale cohérence avec mon projet professionnel qui est de travailler dans le milieu culturel. Le Centquatre par son caractère récent et son histoire particulière, par tous les débats qu’il a fait naître, m’est apparu comme un objet intéressant à analyser. Au-delà de la définition même du projet du Centquatre, qui n’a pas toujours été très clair, il s’agit également de mesurer la cohérence entre ses ambitions, telles qu’elles ont été présentées à sa création et sa mise en place effective. Dans une perspective communicationnelle, il m’a également semblé pertinent de comparer 7 CANTARELLA Robert, entretien précité. 9
  • 10. l’identité souhaitée et l’identité réelle du Centquatre, dont l’image reste encore aujourd’hui assez floue et mal maitrisée. Réinventer une politique culturelle qui intègre davantage une fonction sociale et renouer avec la conception d’espace public sont les principaux enjeux du Centquatre. Dans cette optique, et afin d’élargir ma réflexion sur des questions encore très ouvertes dans la recherche en communication, il m’a semblé intéressant d’étudier comment l’art pouvait être envisagé comme medium pour accéder à un mieux être social. Ma problématique a donc pour objectif de comprendre en quoi le Centquatre peut redéfinir l’espace culturel à Paris et dans les politiques culturelles françaises de façon plus générale. La première hypothèse présente la culture comme un facteur de transformation sociale, permettant de récréer du dialogue et du lien là où le tissu social se désagrège. La conception de l’art, et par là même les objectifs de la politique culturelle, ont largement évolué depuis la création du Ministère des Affaires Culturelles en 1959. Les questions relatives au rôle de la culture au sein de la société sont encore très ouvertes. En effet, si certaines politiques misent sur l’intégration à une culture nationale, d’autres défendent un modèle de participation du public au phénomène artistique. Il s’agit finalement de trouver les moyens d’exploiter le potentiel social de la culture. La vocation politique et communicationnelle de l’art apparait ici clairement, mais elle demeure pourtant difficile à saisir et à définir. Dans un second temps, l’architecture du Centquatre est analysée comme un vecteur de sens, correspondant à un projet innovant sur le plan artistique, économique et social. L’Atelier Novembre définit ainsi les objectifs de son projet : «Nous avons voulu un équipement d’un accès facile à tous. Nous avons aussi souhaité un bâtiment signifiant qui puisse s’inscrire de façon pertinente et permanente dans son environnement. Par un travail sur la mémoire, nous avons rendu possible cette mutation avec une nécessaire accroche au territoire en réponse aux enjeux culturels mais aussi politiques et sociaux du projet »8. L’objectif est donc d’ancrer le bâtiment dans son histoire, mais aussi dans son contexte, c’est-à-dire à la 8 Christine DESMOULINS et Maurice CULOT. 104, Paris : reconversion des anciennes pompes funèbres de Paris en centre de création artistique. Atelier Novembre architectes. Paris : Ante Prima, 2009. 10
  • 11. fois dans la ville de Paris et dans le quartier du 19ème arrondissement. Il s’agit de s’intéresser au lieu physique et aux multiples usages qu’il permet, pour comprendre en quoi le Centquatre réinvente des manières de communiquer et de transmettre la culture. Enfin, la troisième hypothèse montre en quoi le Centquatre reflète la préoccupation très actuelle du « vivre ensemble ». Présenté comme un espace public et un espace de socialisation, le projet du Centquatre possède une dimension territoriale très marquée. Implanté dans un quartier jusque là abandonné des initiatives culturelles, il s’inscrit dans un projet politique de réaménagement de l’est parisien. La politique de la Mairie de Paris, clairement ancrée à gauche, est de développer ces quartiers défavorisés par la culture afin de proposer des points d’ancrage à la population et de donner les moyens à l’art de s’instaurer comme médiateur entre les individus et les institutions. Aussi louable soit elle, cette politique de revalorisation du territoire par la culture a néanmoins été vivement critiquée, notamment parce qu’elle demande de lourds investissements publics. Après une période de fortes polémiques dans la presse, le Centquatre est-il prêt à devenir l’emblème d’une politique culturelle réussie ? Après m’être intéressée aux discours dont le Centquatre était l’objet dans la presse et avoir mesuré leur évolution, j’ai interrogé plusieurs personnes ayant joué un rôle dans la création du projet. Ces entretiens ne m’ont pas toujours permis de connaître la vérité sur la répartition des investissements budgétaires actuels, mais j’ai pu voir quelle image du Centquatre ces responsables souhaitaient véhiculer. Malheureusement, aucune personne travaillant actuellement au Centquatre n’a pu me recevoir, ce qui m’a fortement handicapé dans ma recherche. Parallèlement, je me suis rendu au Centquatre de nombreuses fois, non seulement pour assister aux évènements programmés (pièce de théâtre, spectacle de danse, concert, exposition ou bal populaire), mais aussi pour me promener dans les halles Curial et Aubervilliers et dans les commerces. En effet, porter mon regard sur le lieu lui-même, le parcourir, découvrir sa configuration et observer les usagers présents et les différentes formes de fréquentation m’ont permis d’avoir un regard plus global sur le Centquatre. L’architecture s’est d’ailleurs révélée très signifiante quant aux ambitions du centre. Le livre publié par l’Atelier Novembre sur le chantier 11
  • 12. du Centquatre et les choix des architectes m’ont permis de compléter mon observation du lieu. Des recherches plus théoriques sur les thèmes de la politique culturelle, de l’espace public, des publics de la culture m’ont aidé à relier les problématiques du Centquatre à des questions d’ordre plus général, tant dans les domaines de la sociologie, que de l’économie, de la politique ou de la communication. Grâce à la recherche de Jean Caune sur la médiation culturelle, aux observations sociologiques de Laurent Fleury et d’Olivier Donnat, ou encore aux études de Jean Métral sur les rapports entre l’art et l’urbanité, pour ne citer que les principaux auteurs, j’ai réussi à mieux cerner les enjeux de la culture aujourd’hui. Afin de vérifier les hypothèses présentées ci-dessus, j’ai donc appuyé mon travail de recherche sur un corpus comprenant : - des entretiens de Robert Cantarella (ancien directeur du Centquatre), Sylvain Robak (adjoint au bureau du spectacle au sein de la Direction des affaires culturelles de la ville de Paris), Etienne Benoit (conseillé technique auprès de Christophe Girard, lui-même adjoint au maire de Paris chargé de la culture) et Martial Hobeniche (chargé des relations presse du Centquatre via l’agence du 2ème bureau) - une analyse sémiologique de l’architecture de l’édifice du Centquatre - des documents édités par le Centquatre (dossier de presse de l’ouverture du Centquatre et de la nouvelle programmation) - un corpus de presse reflétant les différentes images que la presse a pu attribuer au Centquatre entre le départ des anciens directeurs, Robert Cantarella et Frédéric Fisbach, et la mise en place d’une nouvelle programmation par le nouveau directeur, José-Manuel Gonçalvès. Ces outils m’ont permis de comprendre les enjeux du Centquatre, de mieux cerner ses objectifs, mais aussi ses problématiques relatives à des problèmes sociaux, culturels, politiques et économiques plus profonds. 12
  • 13. HYPOTHESE 1. La culture comme facteur de transformation sociale I. Naissance et évolution des politiques culturelles A/ La démocratisation culturelle, un objectif prioritaire des politiques culturelles 1) La création du ministère et la définition de ses objectifs Traditionnellement, la relation entre les acteurs publics et les acteurs culturels a toujours été très forte. L’Etat est toujours intervenu dans la vie artistique en accordant des subventions aux acteurs et aux structures ou en étant directement commanditaire d’œuvres d’art. Avec la création du Ministère des Affaires Culturelles, le rôle de l’Etat dans la sphère artistique a nettement évolué. Le décret du 24 juillet 1959 définit les objectifs du Ministère des Affaires Culturelles : « Le Ministère chargé des Affaires culturelles a pour mission de rendre accessible, les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent »9. L’Etat reste un grand promoteur de la création artistique, mais il n’est plus une instance de légitimation. Il ne possède plus l’autorité nécessaire pour imposer son modèle culturel, qui reposait autrefois sur des critères esthétiques définis par l’Académie des Beaux-Arts. Au contraire, l’Etat devient protecteur de la diversité culturelle et donc de la liberté artistique. Alors que les industries culturelles prennent de plus en plus d’importance, les institutions s’opposent à tout monopole et luttent contre la standardisation et l’uniformisation des productions artistiques. Par ailleurs, un des principaux objectifs du ministère est désormais de démocratiser l’accès aux équipements culturels. Suivant le modèle de l’Etat Providence, il corrige les effets du marché afin d’égaliser les conditions économiques et sociales des différents publics. Le projet politique de démocratisation peut s’entendre de plusieurs façons : faire accéder les masses à des œuvres consacrées et reconnues comme légitimes et de grande valeur, réhabiliter les formes d’art 9 Geneviève POUJOL. « Favoriser la création ou s’interroger sur les pratiques ? ». In : Hermès, 20, 1996. 13
  • 14. populaire ou déhiérarchiser les expressions culturelles en donnant autant de valeur à la culture populaire qu’à la culture cultivée. D’un point de vue plus matériel, il a surtout consisté à baisser les tarifs d’entrée des manifestations culturelles et à couvrir le territoire afin d’égaliser l’accès à la culture d’un point de vue géographique. La démocratisation a été en quelques sortes le principe fondateur et légitimant de la politique culturelle depuis Malraux. C’est aussi sur ce critère qu’elle a été jugée pendant quarante ans. En 1972, Jacques Duhamel, ancien ministre de la culture, insistait encore sur la nécessité de réconcilier croissance et culture : « l’action culturelle a donc désormais un rôle fondamental à jouer pour contrebalancer les effets néfastes de la croissance. Elle doit permettre aux hommes non seulement d’avoir plus, mais d’être plus »10. Le Théâtre National Populaire de Jean Vilar avait déjà expérimenté, dans les années 1950, l’ouverture d’une pratique culturelle de réputation bourgeoise à un public populaire. Assimilant le théâtre à un service public, Jean Vilar, soutenu par Malraux, a mis en place des mesures telles que la baisse des tarifs d’entrées, une modification des horaires, la gratuité des vestiaires, etc., permettant ainsi la rencontre entre des artistes réputés et un public non initié au théâtre. Rendre les citoyens amateurs d’art permet de rendre la culture à la société sans que celle-ci soit au service de l’Etat ou des entreprises. Mais cela implique de former tous les membres d’une société au jugement esthétique et intellectuel. L’art ne pouvant être réservé à une élite, il incombe à l’Etat de mettre en place des dispositifs permettant de développer chez ses citoyens le désir de culture et la sensibilité nécessaire à la réception de l’art. Cette politique s’effectue par le biais de la formation scolaire mais aussi par celui de la diffusion large et de la promotion des œuvres d’art. Il s’agit de trouver le juste milieu entre une production artistique trop avant-gardiste, coupée des attentes de la population et un démagogisme où les artistes ne seraient plus incités à prendre des risques vis-à-vis de la créativité. 2) L’échec relatif de la démocratisation culturelle En 1963, une enquête sur la fréquentation des lieux culturels est confiée à Pierre Bourdieu. La conclusion s’avère décevante : malgré les efforts politiques de démocratisation de la culture, la hiérarchisation sociale des pratiques culturelles 10 Jean CAUNE. « Pratiques culturelles, médiation artistique et lien social ». In : Hermès, 20, 1996. 14
  • 15. reste très marquée. Il y a un écart important entre la réalité sociale et les objectifs fixés par la politique culturelle, considérés a posteriori comme utopiques. En effet, la politique de démocratisation s’est fondée sur deux idées erronées. La première postulait l’existence d’une demande sociale et culturelle. Or, cette demande n’était qu’une illusion. Si les politiques culturelles ont permis de réduire les obstacles matériels freinant l’accès à la culture (prix des entrées, distance géographique), il reste néanmoins une barrière symbolique - ce que Bourdieu appelle « l’habitus » - qui explique la différence du taux de fréquentation selon les classes sociales. Bourdieu justifie cet écart par « l’absence du sentiment de l’absence »11, c’est-à-dire que les personnes n’ayant pas l’habitude de fréquenter des lieux culturels n’en ressentent pas le manque. Ils n’ont donc aucun désir d’aller voir des choses qu’ils ne connaissent pas. La seconde idée, largement diffusée par Malraux, supposait que l’accès aux œuvres était immédiat. Malraux distinguait l’éducation, ayant pour objectif de faire connaître les grandes œuvres, et la culture, qui vise à les faire aimer. La politique culturelle du ministère se détachait de toute visée éducative. En effet, La médiation culturelle, qui reflétait pour Malraux une certaine forme de pédagogisme, n’était pas nécessaire car l’art, facteur d’émancipation individuel, avait le pouvoir d’affecter les individus sans intermédiaire. Le rôle des institutions se limitait à provoquer la rencontre entre l’art et un public plus populaire. Depuis, quatre études quantitatives sur l’évolution des pratiques culturelles ont été commandées par le ministère en 1973, 1981, 1989 et 1997. Ces études fonctionnent selon le même protocole et montrent les mêmes résultats. Si la frontière entre culture cultivée et culture populaire s’est effacée progressivement, les comportements culturels restent très liés au capital culturel, lui-même dépendant de la position sociale des individus. Le public de la vie culturelle conserve le même profil : urbain, diplômé et appartenant à une catégorie socioprofessionnelle élevée. Mais si le public ne s’est pas élargi, il a augmenté quantitativement avec l’élévation du niveau scolaire en France : depuis 1982, la fréquentation des musées s’est élevée de 20%12. Par ailleurs, le développement rapide des industries culturelles a participé à la démocratisation en rendant certains produits culturels plus accessibles parce que mieux distribués et moins chers. Les pratiques ont donc évolué au rythme 11 12 Laurent FLEURY. Sociologie de la culture et des pratiques culturelles. Armand Colin, 2008. Elisabeth CAILLET. « Les politiques de publics dans les musées ». In : Hermès, 20, 1996. 15
  • 16. de la société, du développement de ses techniques et de ses marchés. Mais cette appropriation de la culture par le plus grand nombre ne s’est réalisée que dans le cadre privatif. En effet, l’élargissement sociologique des publics des établissements culturels ne s’est pas produit comme l’attendaient les pouvoirs publics, ce qui ne signifie pas l’absence d’influence des politiques publiques. C’est la lecture très critique concluant à l’échec de la démocratisation culturelle, ou plus généralement à l’inefficacité des politiques culturelles, qui s’est fait le plus entendre. Les mesures politiques mises en place tendraient à profiter toujours à un public déjà sensibilisé à la culture, confirmant ainsi les inégalités d’accès face à la culture. Cependant, la critique d’un dispositif institutionnel interventionniste dans le domaine de la culture est très risquée. En effet, sans aide publique, la création et la diffusion artistique dépendraient d’intérêts privés, ce qui accentuerait la dépendance des artistes tout en maintenant des inégalités encore plus fortes au sein du public. 3) La création de nouveaux espaces culturels Dans les années 1970, le ministère encourage la création de nouveaux centres d’art afin de diversifier leur fréquentation. Le centre Pompidou devient l’emblème de cette nouvelle approche du public. Il diversifie les services offerts en incluant une salle de projection, une bibliothèque, un auditorium, des activités pour les enfants et des espaces de détente. Cette diversification favorise la libre circulation du public, qui peut désormais créer son propre parcours de visite. Mais il n’est pas le seul à innover. On peut aussi donner l’exemple de la Cartoucherie, ancien lieu de fabrication d'armement et de poudre à Vincennes reconverti par Ariane Mnouchkine en centre théâtral à vocation populaire. Cet espace qui accueille de nombreuses troupes se détache des théâtres très institutionnalisés en proposant des solutions différentes pour toucher de nouveaux publics. Parallèlement, dans les années 1980, de nouveaux squats défendent des mouvements de contre-culture, souvent contestataires. Ils sont à l’initiative de nouveaux acteurs n’ayant pas trouvé leur place dans le système de diffusion institutionnel. Recomposant le paysage culturel, ces pratiques se rapprochent d’un public local et s’inscrivent davantage sur le terrain. Qu’ils soient institutionnalisés ou non, ces espaces artistiques alternatifs s’inscrivent dans une évolution historique de la représentation de la culture. Ils 16
  • 17. organisent des espaces de socialisation entre les individus et tentent d’instaurer une certaine familiarité à l’art dans la vie quotidienne des citoyens. Certains succès comme le TNT et le Centre Pompidou montrent que les institutions ont le pouvoir de construire des relations spécifiques entre l’art les publics. Mais leur efficacité politique, difficile à évaluer, reste souvent invisible. B/ Une recomposition du paysage culturel, vers une nouvelle approche de l’art et du public 1) Une ouverture du champ culturel En France, le sens du mot « culture » a longtemps été réduit aux pratiques relatives aux arts, tandis que la définition anglo-saxonne s’élargissait aux mœurs et à la civilisation propre à une société. La création du Ministère des Affaires Culturelles en 1959 et la conception de la culture de Malraux a confirmé cette définition. Malraux adopte en effet une définition assez restreinte du champ culturel en excluant toute activité de loisir. Alors que la culture participe à l’émancipation et l’épanouissement des individus, le loisir, ou temps disponible en dehors des heures de travail, est un moment de distraction. Il n’est que la condition de la culture. L’art se distingue par sa noble mission d’élever les individus à une réflexion sur le monde et la société. Objet de recherche et d’interprétation, il remplit, selon Max Weber13, une fonction de délivrance en cherchant à déstabiliser des représentations établies et à proposer une nouvelle vision des choses. Dans la même perspective, la « culture légitime » valoriserait la réflexion intellectuelle, mobilisant des connaissances et des références communes, alors que la « culture populaire » se rapprocherait davantage du divertissement. Pourtant, il ne faut pas oublier que la hiérarchie entre les différentes cultures a toujours été mouvante. Le jazz ou le rock, par exemple, ont d’abord été des formes de contreculture avant d’être légitimés par l’opinion publique, qui a reconnu progressivement leur valeur artistique. Avec les manifestations de mai 1968, l’écart entre culture populaire et culture de l’élite est contesté. On défend un certain relativisme culturel en instaurant un rapport d’équivalence entre les différentes cultures, montrant ainsi une évolution du mécanisme de légitimation. 13 Laurent FLEURY. Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, op. cit. 17
  • 18. Progressivement, avec l’importance du multiculturalisme et la montée des industries culturelles, les champs de la culture sont élargis et certaines pratiques culturelles, autrefois jugées non légitimes, sont réhabilitées. Jack Lang étend les pratiques culturelles à de nouveaux domaines tels que la bande dessinée, le hip hop ou encore le design, donnant ainsi à la culture un sens beaucoup plus anthropologique. Parallèlement, et suite aux enquêtes du ministère, on se rend compte que les voies d’appropriation de l’art ne sont pas si évidentes. L’élargissement des champs artistiques permet alors d’intégrer des populations qui ne se reconnaissaient pas dans les productions d’une culture légitime et formatée et de trouver d’autres voies d’expression. Cette politique du « tout culturel » qui déhiérarchise les pratiques artistiques a été fortement critiquée. Accusée d’être une forme de démagogie politique, elle aurait détruit le statut de certaines œuvres en les plaçant sur la même échelle de valeur que n’importe quelle autre production artistique, ruinant ainsi le prestige de la culture française. Cela nous renvoie à la question de la légitimité de l’intervention des institutions dans la définition des valeurs esthétiques et à la capacité de l’Etat d’établir des références universelles. Cette critique n’a pas eu beaucoup d’écho pour la bonne raison que l’art n’est plus considéré comme représentation du monde, mais comme facteur de transformation sociale et de médiation entre les individus. Dans les années 70, ce n’est plus l’essence de l’art qui est remis en question mais son fonctionnement et son rôle. La question de la réception et des effets de la culture sont au centre de la réflexion des politiques culturelles : comment la culture peut-elle favoriser les interactions sociales ? Comment peut-elle créer de l’unité et créer les conditions du vivre-ensemble ? Facteur de connaissance de soi et des autres, la culture cherche à créer des liens symboliques entre les hommes et vise le mieux être de la société. 2) D’une conception essentialiste à une conception sociale de l’art L’art a longtemps été défini par les artistes modernes comme une production libre et indépendante du contexte et de la société. La montée de l’individualisme poussait l’artiste à une quête extrême de singularité et donnait à l’œuvre, perçue comme production unique et non reproductible, une dimension sacrée. « L’art pour l’art », qui revendiquait une totale autonomie de la production artistique ne devant 18
  • 19. servir aucune fin à part elle-même, appartient à une ère révolue. Au contraire, aujourd’hui, l’artiste ne met plus le public à distance, mais s’inscrit dans un contexte social appelant à une redéfinition de l’art et de sa fonction dans notre société. On ne peut plus considérer la culture comme le panthéon des grandes œuvres reconnues par l’académie des Beaux-Arts. La culture recouvre un sens plus anthropologique et devient une forme de l’expérience humaine. Nous sommes passés en quelques sortes d’une approche essentialiste de l’art à une approche relationnelle, l’artiste adoptant volontiers une posture de médiateur. C’est la preuve de « la fin de quelque chose, la fin d’une conception métaphysique de l’art, tant du côté de l’artiste que du public, la fin de la posture tragique, la fin du pari sur le chef d’œuvre »14 Alain Van Der Malière (directeur du secrétaire d’Etat au Ministère de la Culture). En dehors du marché de l’art, on ne juge plus un artiste sur son excellence, mais sur la rigueur de sa démarche et son implication dans un projet. « La notion d’exigence renvoie à un engagement et à la recherche d’une rigueur dans un travail suivi, poursuivi dans le temps, dont les dimensions et enjeux artistiques sont repérables et identifiables. Elle se distingue radicalement de l’excellence, qui implique une échelle entre la perfection et la médiocrité, voire la nullité »15 note Michel Simonot. En effet, la valeur de l’acte artistique ne repose plus sur des performances techniques ou sur la singularité de l’artiste mais sur la proximité créée avec le public, sa participation et son appropriation de l’œuvre. Les mutations socioéconomiques, notamment la financiarisation et la mondialisation de l’économie, et la déstabilisation des anciens modes de socialisation ont abouti à une perte des identités, ou du moins à leur précarisation. Face à la perte de légitimité des politiques, qui ne semblent pas à même de concevoir un avenir différent pour la société, l’artiste cherche à redéfinir le « périmètre d’intérêt public de la notion de champ artistique »16 (Philippe Henry). L’artiste, sans renier son statut de créateur, prend en compte les questions sociales ou urbaines actuelles pour mieux insérer son travail dans un environnement réel. Comme les philosophes qui sont progressivement sortis de leur cabinet pour intégrer la vie politique, les artistes cherchent à réinvestir la société en s’impliquant dans la vie sociale propre à un territoire. « Les espaces culturels ouverts par l’ensemble de 14 Fabrice LEXTRAIT. Une nouvelle époque de l’action culturelle. Rapport à Michel Dufour. Documentation française, 2001. 15 Fabrice LEXTRAIT, ibid. 16 Fabrice LEXTRAIT, ibid. 19
  • 20. ces acteurs posent aujourd’hui les questions essentielles de notre société en des termes politiques et les abordent pragmatiquement et concrètement dans les pratiques quotidiennes : évolution des rapports sociaux, équilibre entre la société marchande et non marchande, arbitrage entre le public et le privé, tension entre le centre et la périphérie, usage du temps libre, parité entre les hommes et les femmes, liens intergénérationnels, réinterrogation du couple amateur-professionnel, décentralisation, traitement de l’exclusion et de l’intégration… »17. L’artiste travaille ainsi sur une nouvelle représentation de l’art reliée aux problèmes et aux enjeux de notre société. II. De la démocratisation à la démocratie culturelle A/ La culture comme facteur de cohésion nationale 1) Le « non public » On parle aujourd’hui des publics au pluriel afin de marquer la différence des attentes intellectuelles et affectives des individus. Le public, qui vient du mot « peuple », est définit par Jean Vilar comme une unité caractérisant une cité et non comme la plebs qui introduirait une idée de différenciation et de hiérarchisation des publics. Etablir des catégories de publics permet de mieux cibler les attentes de chacun, mais cela peut également traduire une volonté politique d’intégrer des publics non habitués à fréquenter des établissements culturels à la vie culturelle. La déclaration de Villeurbanne introduit un nouveau concept dans l’analyse des publics : celui de « non public ». Partant de la constatation que les publics touchés sont bien souvent les mêmes, c’est-à-dire les personnes les plus diplômées et celles appartenant à des catégories socioprofessionnelles élevées, Francis Jeanson définit le « non public » comme « une immensité humaine composée de ceux qui n’ont encore aucun accès ni aucune chance d’accéder prochainement au phénomène culturel sous les formes qu’il persiste à revêtir dans la presque totalité des cas »18. Laurent Fleury voit ici une forme de déterminisme sociologique et de mépris : naturaliser l’exclusion, marginaliser reviendrait à dénier l’identité de l’autre et 17 Fabrice LEXTRAIT, ibid. Laurent FLEURY. Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, op. cit. 18 20
  • 21. à l’enfermer dans un état permanent d’indignité. Pourtant Francis Jeanson évoque ici un certain état de la culture et semble appeler à son changement. On peut décomposer le public du Centquatre en différents profils. Les premiers visiteurs sont ceux venus d’abord par curiosité et qui participent aux activités proposées par le centre, qu’il s’agisse de spectacles, de conférences, d’expositions ou de pratiques en amateurs. Le public majoritaire des établissements culturels se caractérise par l’éclectisme de ses pratiques et de ses goûts artistiques. Un autre public est composé de personnes attirées par une prestation spécifique. Ce public de « niche » possède en général des connaissances pointues et un intérêt pour une discipline en particulier. Enfin, le public de proximité est peut être le plus difficile à cerner et à intéresser. Il est considéré au Centquatre comme un invité privilégié et il s’agit pour le service de relations publiques de créer une relation durable avec lui. En abordant les choses différemment, le Centquatre tente de rompre les frontières symboliques qui isolent le « non public » des créations contemporaines. Cela revient également à dé-professionnaliser le milieu artistique, c’est-à-dire à ne plus confiner l’art aux seules attentes de la petite sphère des acteurs culturels confirmés. Remettre le public au centre des préoccupations implique parfois l’abandon du désir de valorisation auprès de ses pairs. 2) La culture comme vecteur d’intégration Les villes, qui réunissent les lieux de production économique et le pouvoir décisionnel, ont toujours rendu très visibles les inégalités sociales. Or, un des objectifs de la démocratisation culturelle est justement de réduire ces différences et de créer une certaine cohésion nationale. Les politiques culturelles cherchent donc à rassembler les individus autour d’une culture commune. Cependant, dans un contexte de mondialisation où la ville est plus que jamais le lieu de manifestation de la diversité culturelle, la culture ne représente plus une unité de sens partagé. Elle se trouve au contraire divisée, éclatée en de nombreuses micro-cultures. En France, les questions de l’immigration, de la diversité culturelle et de l’intégration sont au cœur de l’actualité. Le culturalisme, qui définit les traits culturels propre à une communauté nationale, a longtemps été considéré comme un moyen de former une culture unifié et cohérente qui puisse se transmettre d’une génération à l’autre. Véhiculer un 21
  • 22. modèle culturel favoriserait la cohésion au sein d’une société et permettrait de fonder une conscience nationale. Les pouvoirs politiques ont toujours essayé de construire la nation autour de valeurs culturelles communes, comme le montre par exemple la création de l’Académie Française ou l’école de Jules Ferry. Pourtant, de nombreux exemples de contre-culture réinterrogent la légitimité d’intervention de l’Etat dans la sphère culturelle. La culture peut ainsi être une forme d’adhésion aux instances de pouvoir comme un outil d’une contestation sociale. D’une conception culturelle de la nation, on passe alors à une approche de la culture des groupes sociaux qui construisent leur propre identité collective. Intégrer les populations d’origine étrangère revient à apprivoiser des publics éloignés de la culture française et tenter de résorber leur étrangeté. Mais convertir les étrangers aux valeurs républicaines portées par la France implique aussi de mettre de côté les origines culturelles des individus, voire de nier toute identité culturelle préexistante. Loin de produire une unité, cela peut provoquer des réactions violentes de revendication identitaire et de rejet de la culture nationale imposée par l’Etat. Ainsi, les actions socioculturelles mises en œuvre dans les banlieues peuvent être perçues comme des prothèses nécessaires à ceux supposés ne pas faire partie de la communauté nationale. Elles plaquent ainsi une image de « non-intégré », d’exclu, à leur public. La participation des habitants à la vie publique ne doit donc pas se faire sur le mode de l’intégration. Au contraire, la culture a pour objectif « de raccorder, de connecter »19 (Michel Serres). Plutôt que de savoir comment forger une identité nationale, il serait donc préférable de se demander comment conjuguer la pluralité des identités. L’espace public ne fonde pas une identité commune, mais rend visible les différences. Il s’oppose à la neutralité, pourtant tant défendue par le républicanisme, qui enferme les particularités dans l’espace privé. Les espaces publics sont des lieux de rencontre et de communication interculturelle et donnent à la culture une résonnance collective. Autrement dit, c’est un entrecroisement d’expériences particulières qui, extériorisées par la parole, dessinent un monde commun. L’objectif de la médiation est d’éviter que ces cultures soient simplement juxtaposées mais de leur permettre de se mélanger pour les enrichir. La question des relations humaines concernent ici moins la distance créée par les différences culturelles que l’échange que cette distance produit. 19 Jean CAUNE. Pour une éthique de la médiation, le sens des pratiques culturelles, op. cit. 22
  • 23. B/ De l’intégration à la participation : la culture, manifestation de la diversité 1) L’importance du concept de médiation La médiation culturelle désigne l’espace de relation entre des types de publics différents. Dans le domaine culturel, il s’agit de créer un lien entre le public, les artistes et les institutions. Dans l’immédiat, elle permet de développer des relations interpersonnelles. Mais elle possède également une visée plus générale en intégrant les individus concernés dans un projet social collectif sur une durée plus longue. La médiation culturelle peut être étudiée selon différentes approches. D’un point de vue sociopolitique, elle permet de créer ou de maintenir une relation entre les gouvernants et les gouvernés. La communication est alors instrumentalisée afin de créer un lien entre les citoyens et les institutions. Dans un monde où les liens d’appartenance semblent disparaitre, cela permet de donner de la visibilité et de concrétiser la vie politique. Le principal risque est ici de transformer la médiation en relais de communication pour les instances de décision sans créer d’espace de dialogue. Dans une perspective plus théorique, la médiation permet de comprendre les phénomènes de diffusion et de réception des langues et des symboles. Elle devient alors un objet d’étude propre au champ des sciences de l’information et de la communication. Enfin, la médiation culturelle peut représenter l’étude de toutes les pratiques sociales. En créant des espaces d’interaction, elles permettent aux individus de s’exprimer et devenir à leur tour énonciateurs. La médiation culturelle a cette double fonction de favoriser l’échange entre les individus et de participer à leur émancipation. Autrement dit, c’est à la fois un facteur de connaissance –du monde, de l’autre- et un outil de communication. Comme le souligne Jean Caune : « La culture, comme objet de connaissance, n’est plus seulement examinée dans sa dimension de signe, support d’une signification, relation entre la face manifeste et la représentation mentale qu’elle induit ; elle se voit affectée d’une valeur génératrice d’interaction sociale. On peut dire qu’on assiste ici à un changement de paradigme, à un tournant pragmatique, qui remplace le couple forme / contenu, hérité de l’esthétique et repris par la linguistique, par la triade sujet, expression, relation. »20 20 Jean CAUNE. « Pratiques culturelles, médiation artistique et lien social », op. cit. 23
  • 24. Il ne faut pas confondre l’action culturelle reposant sur le concept de médiation, et l’animation culturelle qui établit des relations différentes et ne partage pas les mêmes objectifs. L’animation culturelle, censée faciliter la compréhension de l’œuvre, est une forme de pédagogisme. Elle se contente de donner certaines clés qui permettent au public de mieux saisir le sens d’une œuvre laissant de côté le processus de production artistique. Aujourd’hui, l’objectif d’un centre culturel n’est plus d’augmenter quantitativement le nombre de visiteurs ou de spectateurs et de se réduire à des attentes préexistantes mais, bien au contraire, de favoriser des rencontres qui n’existaient pas, d’amener le public à découvrir des choses qu’il ne soupçonnait pas, que ce soit à travers le travail des artistes ou à travers son implication dans la création artistique. 2) La démocratie culturelle La culture est une expérience vécue dans un espace et un temps commun. Pourtant, il y a toujours un écart profond entre ceux qui ont la parole et ceux qui écoutent. L’objectif de la médiation est de rétablir un équilibre entre les deux et de former une relation où l’affirmation de soi et la reconnaissance de l’autre sont possibles. En créant des lieux de parole, elle encourage les individus à construire du sens, c’est-à-dire à se définir dans un rapport au monde et à autrui et à s’imposer comme sujet. Donner la parole permet à un individu de manifester son identité et de se replacer dans une culture, une histoire qui lui appartient. C’est aussi le mobiliser comme acteur et lui donner ainsi une visibilité dans l’espace social. En effet, pour qu’un individu puisse s’identifier à une culture, il faut qu’il en soit, en partie, l’émetteur et plus seulement le récepteur. Nous sommes passés du principe de démocratisation culturelle à celui de la démocratie culturelle. La démocratisation culturelle visait davantage une réception élargie de la culture tandis que la démocratie culturelle favorise « l’implication et l’expression de ceux dont la parole n’a pas trouvé de lieux d’énonciation »21. Héritière de l’éducation populaire, elle est définie par Philippe Henry comme « une volonté de développer la créativité et l’expressivité de chacun, de préserver les cultures vécues par les populations ou/et dans les territoires, tout en favorisant par ailleurs les créations qui les enrichissent, la diffusion élargie de ces œuvres et les croisements 21 Jean CAUNE. Pour une éthique de la médiation, le sens des pratiques culturelles, op. cit. 24
  • 25. avec d’autres cultures »22. La médiation culturelle a donc comme nouvel objectif d’intégrer le public à l’acte artistique. L’objectif du Centquatre est de permettre au public de s’exprimer et de créer des rapports d’interactions avec les artistes. Il essaye de réarticuler pratiques artistiques d’une part, et groupes sociaux ou territoires donnés d’autre part en donnant à chacun l’occasion d’amener sur scène sa propre culture. Concrètement ce sont des lieux, des moments, des occasions qui sont mis à la disposition du public pour développer sa créativité artistique. C’est à cet idéal d’interaction que répond notamment l’espace du Cinq dédié aux pratiques artistiques amateurs. Fabrique pour les professionnels et les amateurs, le Centquatre a finalement réussi à rendre compatible une multiplicité d’usages et à créer un espace d’expérimentation. 3) La médiation culturelle, masque des problèmes sociaux ? Les sociétés modernes sont en proie à des mutations incessantes. Le rythme économique, la mondialisation, les migrations importantes font naître un sentiment d’instabilité permanente. Face à ces changements, les hommes ont perdu le sentiment d’appartenance à un groupe social. La culture, en tant que facteur de transformation sociale, serait alors à même de répondre à cette perte d’identité. Par ailleurs, la crise économique et ses effets sociaux ont augmenté les écarts de richesse, soulignant une division à la fois sociale et culturelle au sein de la société. Dans ce contexte, de nombreuses formes de médiation ont acquis un statut institutionnel. La médiation met en scène les inégalités et les frustrations sociales dans l’espace public. Elle aménage des espaces de parole pour permettre aux conflits sociaux de s’exprimer. Mais elle ne résout pas pour autant les rivalités entre les citoyens. En utilisant l’expression « fracture sociale », les hommes politiques montrent du doigt un symptôme de la crise mais ils le considèrent comme un « problème accidentel et réparable » et non comme un « problème structurel de division sociale »23. Selon Jean Caune, la médiation est une expression connotant la démocratie mais qui ne fait que masquer des problèmes profonds qui ne peuvent 22 Philippe HENRY. Les espaces-projets artistiques : une utopie concrète ? Script de l’exposé pour la journée professionnelle sur les « Nouveaux espaces, nouvelles formes ». MIRA ! Sitge Teatre Internacional, 2 juin 2003. 23 Jean CAUNE. Pour une éthique de la médiation, le sens des pratiques culturelles, op. cit. 25
  • 26. pas être résolus par la culture. Les politiques culturelles essaient de pallier à la distance prise par les dispositifs institutionnels face au public en recréant des espaces de dialogue et des lieux de citoyenneté avec des personnes marginalisées. Le médiateur qui fait le lien entre le public et les institutions donne un sens au service public. Mais les politiques ne sont plus capables de proposer des projets collectifs de manière crédible, ce qui explique leur utilisation de la médiation comme « d’une sociothérapie qui réparerait les déchirures du tissu social »24. Les projets culturels ne peuvent en effet se substituer à des projets de société, tels qu’ils étaient portés par les idéologies. Finalement, la médiation culturelle est utile dans le maintien de relations sociales mais elle ne doit pas masquer l’absence de projet politique et social. 24 Jean CAUNE, ibid. 26
  • 27. HYPOTHESE 2 : L’architecture, vecteur de sens au service d’un projet inédit I. Les travaux du Centquatre, entre contraintes techniques et artistiques A/ Le Centquatre, lieu d’histoire et de mémoire 1) Des travaux de conservation du patrimoine Après la fermeture des pompes funèbres, et face aux nombreuses propositions de rachat immobilier, Roger Madec a souhaité protéger le patrimoine architectural des anciennes pompes funèbres. Il fait valoir l’intérêt architectural du Centquatre auprès de la Mairie de Paris, du Conseil Régional d’Ile-de-France, du Ministère de la Culture et de l’Institut d’architecture française en précisant « cet édifice, qui est un des rares témoignages du passé dans le quartier, constitue un bel exemple de la diversité du patrimoine parisien. Il me semble également bien représentatif des techniques de construction de bâtiments à vocation industrielle et commerciale de la fin du XIXème siècle. A ce titre, il mérite d’être préservé et protégé »25. En 1995, il a obtenu d’inscrire la façade et les verrières à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques. Puis, en accédant à sa mandature à la Mairie de Paris, Bertrand Delanoë décide de réhabiliter le site et de le transformer en centre culturel. Déjà en 2002, les Nuits Blanches avaient permis de faire découvrir le Centquatre en attirant l’attention des parisiens sur ce lieu hors normes. C’est l’Atelier Novembre, avec les architectes Jacques Pajot et Marc Iseppi, qui ont été sélectionnés pour prendre en charge la rénovation du bâtiment. Ces architectes ont déjà eu l’occasion de travailler sur des projets de réaménagement dans le champ culturel, comme le centre minier de Lewarde ou la Manufacture des Tabacs de Morlaix, classé monument historique. Le projet de l’Atelier Novembre a été choisi parce que c’était celui qui supposait le moins de démolition et parce qu’il représentait « la meilleure mise en valeur du patrimoine, car rien n’est gommé de 25 Christine DESMOULINS et Maurice CULOT. 104, Paris : reconversion des anciennes pompes funèbres de Paris en centre de création artistique. Atelier Novembre architectes, op. cit. 27
  • 28. l’activité des anciennes pompes funèbres »26 selon Jean-François Danon, alors Directeur du patrimoine et de l’architecture de la Ville de Paris. Le Centquatre étant un bâtiment protégé, toutes les décisions prises par les architectes devaient obtenir l’aval du Service départemental de l’architecture et du patrimoine (SDAP). Le projet architectural s’est donc appuyé sur une forte mise en valeur du patrimoine. Les matériaux d’origine, notamment la dominante pierre et brique, ont été conservés pour garder l’aspect rustique du bâtiment. Les anciennes pierres du bâtiment ont été retaillées afin de paver les deux cours extérieures. Comme lors de sa première édification, les halles sont chacune restées couvertes de trois nefs métalliques et d’une verrière culminant à vingt-deux mètres de hauteur. Les travaux ont d’ailleurs été très difficiles à cause des parties protégées, notamment à cause de la verrière classée qui rendait les manœuvres des machines plus complexes. Enfin, la réhabilitation des façades a renforcé l’image de l’architecture d’origine, autrement dit celle de la fabrique, aujourd’hui entendue comme « lieu de création ». Finalement, tous les espaces ont été conservés et transformés afin de remplir de nouvelles fonctions. Les entrées, ainsi que l’emplacement de l’administration, n’ont pas été modifiés. Les caves, qui abritaient autrefois les écuries, ont été viabilisées afin de recevoir des salons et ses colonnes en fonte ont été restaurées pour servir de témoignage structurel. Le château d’eau, rappelant l’aspect fonctionnel du lieu, a été transformé en belvédère et peut maintenant servir de support de projection. Les ateliers des artisans sont aujourd’hui à la disposition des artistes en résidence ou en exposition. 2) La mise en valeur artistique du patrimoine Avec ses 40 000 m² de superficie et ses 250 ouvriers, le Centquatre représente le plus grand chantier culturel depuis Beaubourg. L’envergure de la construction, mais aussi l’histoire particulière du lieu a inspiré de nombreux artistes présents bien avant l’inauguration. Plusieurs thèmes se référant à l’histoire des pompes funèbres, celui de la fabrique, de l’usine, mais aussi des références à la mort et sa mise en scène, ont été retravaillés de façon artistique. a – Lieu de fabrication 26 Christine DESMOULINS et Maurice CULOT, ibid. 28
  • 29. Le collectif « Relevé d'images » mené par Robert Cantarella a réalisé plusieurs films autour du chantier du Centquatre. Cette production qui porte le nom de « 104 rue d’Aubervilliers » se compose de trois films réalisés dans des formats originaux. « Le Centquatre en 52 minutes » est un documentaire qui s’intéresse à l’histoire du lieu, de la naissance du Service municipal des pompes funèbres à sa transformation en établissement artistique en 2008. Filmé d’une façon très sobre, c’est également une manière de rendre hommage au travail des ouvriers sur le chantier en présentant les gestes qui transforment la matière première en matière exploitable. « Le Centquatre en 47 personnes » est une série de portraits des acteurs du projet : architectes, directeur de chantier, commerçants, artistes. Enfin, « Le Centquatre en 8 exercices » met en scène des fictions qui s’inspirent du chantier. « Les transformations », par exemple, sont un ensemble de mini clips vidéos dans lesquels le nombre « 104 » est représenté dans différentes matières et dont le montage est inversé. C’est un essai sur les différentes identités visuelles du Centquatre qui s’incarnent dans un mouvement de transformation de la matière brute. Prélevant des images du Centquatre « en train de se faire » et des témoignages des personnes impliquées dans sa construction, il retrace l’évolution du chantier «devenu le premier atelier d’artiste et ces films les premiers prélèvements »27 selon Robert Cantarella. Le collectif livre ainsi un regard différent sur les métiers de la construction et ses gestes professionnels qui transforment la matière. Hervé Audibert, l’éclairagiste du Centquatre, avait déjà souligné la porosité de la frontière entre art et artisanat en commentant l’histoire des pompes funèbres : « A y regarder de plus près, une loi régissait ces espaces, celle de la logique de fabrication, de l’organisation du travail artisanal. On pouvait se croire dans les coulisses d’un spectacle qui ne se déroulait pas ici, mais dont tous les préparatifs étaient assemblés en ces lieux »28. Ce travail préalable à l’exploitation du Centquatre est peut être une façon de remettre en cause les définitions classiques de l’art en lui donnant un sens plus ouvert. b – Lieu de la mort et de sa mise en scène 27 Robert CANTARELLA et Frédéric FISBACH. L’anti Musée, op. cit. Christine DESMOULINS et Maurice CULOT. 104, Paris : reconversion des anciennes pompes funèbres de Paris en centre de création artistique. Atelier Novembre architectes, op. cit. 28 29
  • 30. D’autres artistes, comme Olivia Rosenthal, se sont inspirés du chantier pour réaliser une œuvre. Dans son roman intitulé « Viandes Froides », à la limite entre la fiction et le documentaire, Olivia Rosenthal part de ses rencontres faites sur le chantier avec les acteurs du lieu, présents et passés et met en scène le thème de la mort et de la mémoire. A partir d’entretiens, elle essaie de comprendre quelle relation les employés des pompes funèbres, les ouvriers du chantier, les artistes en résidence ont vécu ou vivent dans ce lieu, quelle vision du lieu ils se forgent et quel rapport ils entretiennent avec sa mémoire. Un autre exemple est celui de la sculpture « The Fallen Angel » d’Ilya et Emila Kabakov, ange gigantesque tombé du plafond le jour de l’inauguration et encore en place aujourd’hui au centre de la placette. Cette mise en scène de la mort ouvre finalement à une renaissance symbolique du lieu. Les installations et performances organisées pour l’inauguration ne sont pas non plus sans rapport avec l’identité du lieu. Le « Mur Ouvert » de Pascale Marthine Tayou est constitué d’enseignes lumineuses et de néons reprenant le mot « ouvert » dans différentes langues. Première œuvre à laquelle le visiteur est confronté, ce mur définit d’entrée de jeu la principale caractéristique du Centquatre : l’ouverture sur les différents arts, les différentes pratiques et les différents publics. Michelangelo Pistoletto présente son « Labyrinthe » comme « une route sinueuse et imprévisible qui nous amène jusqu’à un espace de révélation, de connaissance », ce qui peut être interprété comme une réflexion sur le sens de la vie ou sur le sens de l’art. En brisant vingt miroirs sur les vingt-deux installés dans la halle Curial, Pistoletto compose l’œuvre « Twenty Two Less Two ». Comme pour les miroirs visibles dans les cours anglaises, il s’agit de voir ce qui est caché, de porter un regard différent sur l’espace. On raconte d’ailleurs volontiers l’anecdote qui a suivi cette performance au Centquatre. Alors que Pistoletto passait le maillet à un de ses amis, Lorenzo Fiaschi, pour briser un des miroirs, celui-ci s’est détaché du mur et s’est écrasé au sol. Lorenzo Fiaschi a vite réagi en bondissant en arrière, mais n’a pas entièrement échappé à la chute du miroir qui pesait deux cent kilos. Il aurait ainsi échappé à la mort, comme le Centquatre qui clôt son passé de pompes funèbres le jour de l’inauguration. B/ La transformation architecturale du Centquatre : une structure libre et flexible 30
  • 31. 1) Combler le vide : la rénovation d’une friche industrielle Autrefois abattoirs, puis pompes funèbres, le Centquatre a besoin de renouer avec son histoire afin de se construire une identité propre. Mais si le Centquatre essaye de mettre en avant sa singularité en rappelant ses anciennes activités et en conservant l’aspect industriel du bâtiment, il n’est pourtant pas le seul. Inscris dans une dynamique européenne, nombreux sont les centres artistiques qui renaissent d’anciennes usines ou d’abattoirs. A Berlin, le Radial System, consacré à la danse et à la musique, est situé dans un ancien transformateur électrique au bord de la Spree. A Rome, Zone Attive aménage en 2008 un complexe dédié à l’innovation artistique dans les anciens abattoirs de la ville. Enfin, à Madrid, le Matadero, fierté de l’architecture industrielle, se situe également dans les anciens abattoirs. On peut expliquer ce phénomène par deux facteurs. D’abord, d’un point de vue très pragmatique, ces lieux offrent de vastes espaces, qui permettent aujourd’hui d’accueillir des performances et des installations en tout genre, quels que soient leur besoins spatiaux. En effet, tandis que les usines rassemblaient des ouvriers en grand nombre, les abattoirs, situés à l’extérieur de la ville, devaient fournir des ressources pour des milliers d’habitants dans chacune des capitales européennes. Deuxièmement, la réhabilitation de tels espaces tend à donner à des centres artistiques un aspect alternatif. La volonté de s’installer dans un endroit qui provoquait autrefois dégoût et rejet et de le transformer en un lieu attractif parait originale au premier abord, mais elle est très vite devenue une mode. La transformation d’anciens ateliers, garages, usines en lofts relève de la même tendance. Ces nouvelles formes d’exposition de l’art s’attachent finalement aux mêmes problématiques : repenser la place de l’artiste dans la société et remettre en question les conditions de production et les modes d’accès à l’art. On peut établir une typologie des espaces en friche réinvestis par des activités culturelles. Certains, situés dans des zones touchées par la crise économique, se sont construits sur des usines abandonnées par la désindustrialisation. Celles-ci sont transformées afin de ne pas entretenir l’image d’un territoire abandonné et déserté. D’autres, en plein centre ville, font le choix d’introduire des activités de création, d’expression et de réflexion productrices de valeur sociale, plutôt que de se voir réinvestis par des activités marchandes. C’est une façon de réaffirmer le caractère public d’une ville et sa réappropriation par la société. La mobilisation des acteurs est 31
  • 32. alors fortement marquée politiquement et rappelle les responsabilités publiques en matière d’aménagement urbain. Enfin, les nouveaux espaces culturels situés en banlieue, dans des quartiers populaires, cherchent à construire une nouvelle identité pour le territoire. Souvent dans des zones très peuplées, ils ont l’opportunité de créer une relation de proximité avec les habitants du quartier. Ils investissent des zones urbaines difficiles et tentent de tisser des relations avec une population jeune tout en témoignant des changements en œuvre dans la société. En introduisant l’art là où il n’est pas encore présent, ils essaient de changer la vie quotidienne des habitants. Ces projets concrétisent les programmes politiques de réhabilitation urbaine. Le Centquatre, par sa situation en périphérie d’une grande capitale européenne, a la particularité de combiner les deux derniers cas de figure. Métaphore d’une autre société possible, le Centquatre tente de faire participer les citadins au développement urbain et à la vie locale. Comme le montre l’analyse sémiologique (cf annexes), les travaux d’aménagement du Centquatre ont permis de transformer un espace vide en un lieu souple, ouvert et adapté à de nouveaux besoins. Cependant ce n’est pas toujours évident d’investir un lieu si immense. Robert Cantarella soulève la difficulté à « remplir le vide »29 et à en faire un lieu chaleureux. La dimension du vide est une contrainte et un potentiel à exploiter. Contrainte car il est difficile de le combler, potentiel car il représente un espace de liberté dans son aménagement en s’adaptant à toutes sortes de pratiques artistiques. 2) Un espace modulable et adaptable Les architectes de l’Atelier Novembre décrivent leur projet comme « un parti pris de transmutation fondé sur les critères de simplicité, de rusticité, de fiabilité et de souplesse d’usage au service d’un projet artistique polymorphe et évolutif dédié aux relations entre les arts et les territoires »30. Leur expérience, ainsi que leur projet, qui met en avant la transversalité du site par une grande souplesse d’utilisation des espaces et des équipements, entre en résonance avec le projet artistique de la ville de Paris. 29 CANTARELLA Robert, entretien précité. Christine DESMOULINS et Maurice CULOT. 104, Paris : reconversion des anciennes pompes funèbres de Paris en centre de création artistique. Atelier Novembre architectes, op.cit. 30 32
  • 33. Le Centquatre se veut transdisciplinaire en accueillant à la fois des ateliers de création, des espaces de diffusion, des commerces et un espace amateur. « Les futurs exploitants n’étant pas connu au moment des études, notre réponse programmatique quant au futur mode de gestion et d’organisation du lieu nous a conduit à proposer un champ de réponses large pour parer à toute éventualité à court ou moyen terme, quelles que soient les évolutions technologiques »31 témoignent Jacques Pajot et Marc Iseppi. L’interchangeabilité et la modularité des espaces apparaissent donc comme des principes fondamentaux dans l’organisation de l’espace. Les architectes ont dû anticiper des flexibilités d’usage, notamment dans la modularité des plateaux et des espaces de production. Il s’agit de préparer le terrain pour des artistes de toutes les disciplines et pour des évènements très variés (défilés de modes, concerts, salons, expositions, projections…). Les dix-neuf ateliers, d’une superficie allant de 90m² à 350m², n’ont pas de fonction prédéfinie et peuvent s’adapter à toutes les pratiques artistiques. Les salles de spectacle, appelées plus souvent « salles de monstration », peuvent également se transformer en lieu de fabrication d’œuvres plastiques de grandes dimensions ou en loge pour les défilés. Il s’agit en fait davantage de studios de travail susceptibles de recevoir du public. Le Centquatre possède également 6000m² d’espace modulable et privatisable pour accueillir les évènements des entreprises. Enfin, la porte monumentale qui ouvre la halle Curial sur la cour de l’horloge permet de moduler l’espace selon les besoins du centre : ouverte, elle prolonge la halle Curial par un espace extérieur, fermée elle permet de gagner en isolation acoustique et thermique. L’enjeu principal a donc été de transformer le Centquatre en lieu polyvalent en offrant une multitude de réponses fonctionnelles. Finalement, le Centquatre peut être perçu comme une matière première, un espace vierge, qui, même s’il porte une lourde histoire, doit permettre n’importe quelle pratique et n’importe quelle évolution. II. Un espace adapté pour une nouvelle approche de l’art A / Le Centquatre, laboratoire de la création artistique (projet artistique et économique) 1) L’importance du processus artistique 31 Christine DESMOULINS et Maurice CULOT, ibid. 33
  • 34. La démarche artistique en elle-même prend aujourd’hui beaucoup plus de valeur qu’avant. « L’essence et la valeur de l’art ne résident pas dans les seuls objets d’art, mais dans la dynamique et le développement d’une expérience active au travers de laquelle ils sont à la fois créés et perçus »32 (R. Shusterman). La création artistique et l’action culturelle ont toujours représenté deux thèmes distincts des politiques culturelles, comportant des objectifs différents. Il s’agit aujourd’hui de mieux comprendre la démarche artistique et de lui donner plus de valeur dans un contexte où nombre de créations artistiques sont réduites à l’état de bien de consommation. Par ces méthodes, les acteurs culturels essaient de renverser des modes de diffusion institués qui ont, au fil du temps, formaté les productions en même temps que les publics. Contourner les modèles établis permet de redonner une liberté aux artistes et de donner plus de qualité à la diffusion. Les artistes ne se contentent plus de présenter leur œuvre finie, ils essaient de remodeler le processus de création artistique en incluant la participation du public. Il s’agit en fait de donner plus de visibilité à la recherche et aux étapes de travail de la production artistique. Les artistes n’attendent pas une aide ou une critique de la part du public, ils ne cherchent pas non plus à préparer une réception particulière de l’œuvre. Cette nouvelle façon d’aborder l’art est davantage une expérience qui vise à ouvrir un débat sur la représentation de l’art, à soulever des questionnements et à donner plus d’importance à la réflexion qu’ouvre une création d’œuvre d’art. C’est ce qu’ont voulu montrer les anciens directeurs en ouvrant les résidences au public et en donnant au Centquatre une image de laboratoire pour les projets artistiques. Mais cela n’a pas toujours été évident pour les artistes. Certains ont refusé, d’autres ont eu peur de ne pas savoir comment aborder le public, car il ne s’agissait pas de montrer un morceau d’œuvre, mais de chercher à donner aux œuvres en construction de nouvelles perspectives, de les remettre en question pour les faire arriver autre part. En lui proposant une expérience inédite, un nouveau « trajet », le public était considéré comme partenaire et non plus comme cible. Frédéric Fisbach et Robert Cantarella ont beaucoup insisté sur ce besoin de « voir l’art en train de se faire » mais aussi sur la nécessité de créer des résidences artistiques sans obligation de résultat. La nécessité de produire une œuvre à l’issue d’une résidence était alors 32 Fabrice LEXTRAIT. Une nouvelle époque de l’action culturelle, op. cit. 34
  • 35. considérée comme un paramètre propre à notre société capitaliste qui juge tout investissement sur le résultat. Si ce projet a été modifié avec l’arrivée du nouveau directeur, c’est parce que les ateliers ne permettaient pas d’accueillir un public nombreux, parce qu’il était très difficile de communiquer sur ces rencontres avec les artistes. D’autre part, le public restait en général assez peu réceptif à cette démarche. « C’était absolument passionnant, mais peut être trop pointu » commente Martial Hobeniche33. La Mairie de Paris attendait une répercussion plus large des activités du Centquatre, notamment parce qu’elle avait besoin de justifier les lourds investissements qui avaient été fait. Par ailleurs, la population attendait des résultats concrets, des choses à voir, à découvrir, à comprendre. C’est ce qu’Etienne Benoit appelle très justement le « retour sur visibilité »34. 2) Une déhiérarchisation des pratiques artistiques En valorisant la pluridisciplinarité, le Centquatre décloisonne les disciplines artistiques et les ouvre à de nouvelles expérimentations. Souvent considérée comme un éclectisme censé attirer un public plus nombreux, il s’agit en fait de déhiérarchiser les pratiques artistiques et d’accueillir des formes d’expressions qui n’ont pas trouvé leur place dans des centres culturels plus traditionnels. Aujourd’hui en effet, les productions artistiques mêlent des techniques et des matériaux variés. On peut donner l’exemple de Pierrick Sorin, spécialiste des théâtres optiques qui mêlent vidéo et art plastique. S’inspirant beaucoup du quotidien, il utilise dans ses productions des objets divers, des plus sophistiqués aux plus rudimentaires. « La touche Sorin, c’est justement ce mélange de bouts de ficelles et de technologies, d’effets spéciaux bricolés, de hasards, de ratages et de vrais dispositifs filmiques »35. C’est aussi une façon de créer des passerelles entre différentes disciplines afin de faire dialoguer les artistes et de diversifier les modes d’expression. Fleur Albert, réalisatrice en résidence au Centquatre produit ainsi un film, « Boys Tricky », qui met en scène une joute verbale entre les deux rappeurs Tricky et H2. Cet affrontement musical prend la forme d’une « chorégraphie de la rage au cœur et au 33 HOBENICHE Martial, entretien précité. Conseiller technique auprès de Christophe Girard, BENOIT Etienne. 35 Chronique de Sophie JOUBERT, « exposition Pierrick Sorin au 104 ». France Culture, 26 janvier 2011. http://www.franceculture.com/emission-la-chronique-de-sophie-joubert-exposition-pierrick-sorinau-104-2011-01-26.html 34 35
  • 36. ventre ». « La force de ce qui se déploie progressivement sous nos yeux dépasse ce qui n’aurait pu être qu’un prétexte à documenter un simple moment d’improvisation musicale : ici, le langage des corps qui s’apprivoisent transcende la brutalité originelle des mots, le cri de rage et de révolte » ajoute Fleur Albert lors de sa présentation du court métrage au festival « Filmer la musique » au Point Ephémère (juin 2009, Paris). De manière générale, on évolue vers un travail de coopération, entre le public et les artistes, mais aussi entre les artistes eux-mêmes. Dans la même perspective, ces nouveaux espaces sont davantage ouverts aux artistes non confirmés qui ont du mal à se professionnaliser dans un système de production et de diffusion culturel déjà saturé. En accordant une place importante à des formes d’expression étouffées et aux nouveaux talents, le Centquatre crée un espace pour ceux qui n’en ont pas, soit parce qu’ils ne sont pas reconnus dans le marché des industries culturelles, soit parce qu’ils ne sont pas légitimés -et protégéspar les institutions. En accueillant Viravong, dessinateur de bandes-dessinées, le Centquatre a permis à un artiste encore peu connu de publier son œuvre. Il s’agit de donner l’occasion à la création artistique de se renouveler sans perdre un public qui pourrait être attiré par des artistes qu’il connait déjà. Il faut se garder de comparer cet espace à des salles privées qui construisent leur succès sur les attentes d’un public jeune et à la pointe de la nouveauté, exploitant ainsi une faiblesse des établissements culturels reconnus. Si ces établissements, que l’on pourrait qualifier de plus « commerciaux », tentent, sous la pression économique et sociale, d’adopter une autre stratégie culturelle et sont même parfois soutenus par les pouvoirs publics. Ils répondent donc à des besoins différents. 3) Un modèle d’économie mixte L’idée d’un statut exceptionnel de l’activité artistique, considérée comme autonome vis-à-vis de toute conception économique a longtemps prévalu, malgré l’importance du marché de l’art. Mais ce détachement de l’art et de l’économie a été progressivement remis en question. Déjà en 1982, Jack Lang dans son discours à Mexico proclamait l’alliance du domaine artistique à l’esprit d’entreprise. Cette idée a été acceptée d’une part parce qu’elle venait d’un socialiste, d’autre part parce qu’elle a été accompagnée d’un doublement du budget de la culture. Parallèlement, il a 36
  • 37. introduit une dimension festive en créant la Fête de la musique en 1982, puis les Journées nationales du patrimoine en 1984. Certains l’ont accusé d’avoir dénaturé la politique culturelle, qui reposait sur la notion de service public, et de l’avoir transformé en « politique du divertissement »36 (Jacques Rigaud). Mais finalement, en intégrant la culture à la vie économique, Jack Lang a simplement accompagné un phénomène entamé avant lui. Les industries culturelles montraient déjà que le marché s’était emparé de la culture pour en faire un bien de consommation. En affirmant cette alliance de la culture à l’économie, Jack Lang a donc réussi à s’adapter aux évolutions économiques de l’époque. Il ne s’agit pas aujourd’hui d’épouser la logique de la société de consommation en étant à l’écoute des besoins pour exploiter la culture de façon rentable, mais de reconnaître l’interdépendance de l’économie et de la culture. Pour répondre aux besoins de financement des établissements culturels, l’économie mixte comprend des subventions publiques et privées, ainsi qu’un système d’autofinancement, qui permet de rendre ces espaces plus autonomes sur le plan financier. Actuellement, la Direction des Affaires Culturelles subventionne le Centquatre à hauteur de huit millions d’euros par an. Le centre compte également dans ses recettes un fond de mécénat qui s’élève à 700 000 euros et des recettes propres par la location d’espaces et la billetterie. Le Centquatre devant trouver par lui-même un tiers de son budget, les anciens directeurs ont mis en place un programme de commercialisation et de privatisation d’espaces pour accueillir les évènements lancés par les entreprises partenaires (défilés de mode, promotions de marques ou lancements de produits). Martial Hobeniche voit dans ce système un modèle original et qui est amené à se développer en France : « Actuellement, la France est dans une période de transition, c’est-à-dire que les institutions publiques vont être de plus en plus aidées par les institutions privées. En cela, le Centquatre est un lieu complètement novateur puisqu’il doit trouver une partie de son budget pour financer son fonctionnement et les aides à la création artistique. On est dans les prémisses de ce qui va se faire de manière plus générale en France. »37. 36 - Quelle politique culturelle pour la France ? Débat HEC-ENS à l’École Normale Supérieure, mené par Alexandre MIRLESSE - ENS et Arthur ANGLADE – HEC, 26 avril 2006. http://www.eleves.ens.fr/pollens/seminaire/seances/politique-culturelle/politique-culturellefrancaise.pdf 37 HOBENICHE Martial, entretien précité. 37
  • 38. B/ Faire du Centquatre un espace du quotidien (projet social et territorial) 1) Un passage urbain Entouré des grandes tours des Orgues de Flandres, HLM modernes et hétéroclites d’une trentaine d’étages, le Centquatre est invisible depuis les rues adjacentes et parait comme enclavé dans son quartier. Le bâtiment, par son caractère fermé et imposant, donne l’impression d’entrer dans une structure calme et coupée du monde extérieur, ou du moins isolée des bruits de la rue. Pourtant cet espace de tranquillité n’est pas une tour d’ivoire. Les équipes du Centquatre s’efforcent de l’ancrer dans son environnement, aussi ingrat soit-il, et de renforcer son attractivité. Le Centquatre n’est pas seulement un centre culturel et artistique, il représente également « un microquartier ouvert sur la ville » 38 selon Frédéric Fisbach, un « square chauffé »39 selon José-Manuel Gonçalvès. Si le squelette du bâtiment est resté intact, les architectes ont fait le choix de valoriser l’idée de traversée, de passage, de rue. Les commerces, les espaces de rencontre et les équipements de proximité en font un lieu hybride, ouvert à de multiples modes de fréquentation. En effet, le Centquatre ne restreint pas son usage à une simple diffusion culturelle. Il intègre des espaces privés tels que la librairie le Merle Moqueur, le restaurant des Grandes tables du Centquatre, le Café Caché, Emmaüs, représentant le volet de l’économie solidaire, ou encore la boutique Ephémère. « Dans cette “rue” occupée par des artistes, on pourra marcher, s'asseoir, discuter, consommer. On croit à l'insertion sociale par la culture et on espère que ce sera un lieu de foisonnement »40, dit F. Fisbach. « Le Centquatre est à la fois un lieu de résidence, de création artistique - aujourd’hui un lieu de diffusion - et un lieu ouvert au public tous les jours entre 11h et 20h comme le serait un espace public (…) C’est également un lieu de vie »41 précise Martial Hobeniche. C’est par cette transversalité que le Centquatre arrive à s’intégrer dans la ville, à élargir son public et à rompre les frontières qui isolent la population du quartier de la vie culturelle parisienne. 38 Frédéric CHAPUIS. « Le 104, plus vivant que jamais ». Télérama, 3065, 18 octobre 2008. Gilles RENAULT. « Faire du Centquatre une caisse à outils ». Libération Next, 3 janvier 2011. 40 Frédéric CHAPUIS. « Le 104, plus vivant que jamais ». Télérama, 3065, 18 octobre 2008 41 HOBENICHE Martial, entretien précité. 39 38
  • 39. A l’inverse de l’art de rue qui détourne des paysages urbains en supports d’expression artistique, le Centquatre réintroduit une dimension publique dans un espace culturel. La placette du centre de la halle Curial, qui sert d’espace de répétition pour des groupes de danse ou de théâtre amateur, est assez révélatrice. Décollée des cloisons intérieures, elle est à la fois protégée de la circulation des visiteurs et elle favorise l’échange entre artistes et passants. C’est une façon de générer de nouvelles modalités de réception, notamment en multipliant les voies d’accès à l’art. Le Centquatre réalise ainsi une véritable fusion entre espace public et espace de travail et remplit ses engagements vis-à-vis d’un public de proximité. 2) Un équipement de proximité La municipalité représente le premier espace public local. A travers les associations et les conseils de quartier, la participation des citoyens à la vie locale devient effective. La construction d’un espace intermédiaire tel que le Centquatre ne doit pas simplement émerger d’une volonté institutionnelle. Afin de comprendre et de s’adapter aux attentes locales, les relations publiques du Centquatre travaillent en étroite collaboration avec les associations de quartier. Il s’agit de faire du Centquatre un espace du quotidien en créant une coopération entre les artistes et d’autres acteurs sociaux. C’est « une hybridation inédite entre les experts artistiques et les experts du quotidien, entre les artistes et la population. Cette hybridation est nécessaire car, lorsqu’elle n’a pas lieu, les deux se regardent en chiens de faïence, et la bataille pour la création devient une bataille abstraite »42 (Jack Ralite). La Maison des Petits est un bon exemple de cette coopération. Cet espace, qui accueille des enfants de 0 à 6 ans avec leurs parents, est un succès et répond à un vrai besoin. L’équipe avait constaté qu’il y avait beaucoup de familles monoparentales ou isolées par leur langue et leur culture. La Maison des Petits permet de construire un échange entre les enfants et leurs parents ou entre les parents et l’équipe professionnelle à qui ils peuvent poser des questions. « C’est un lieu de rencontre et d’échange qui remplit une mission sociale »43 commente Martial Hobeniche. 42 43 Fabrice LEXTRAIT. Une nouvelle époque de l’action culturelle, op. cit. HOBENICHE Martial, entretien précité. 39
  • 40. D’une autre manière, la résidence participe à cette volonté d’ancrer les artistes sur un territoire pour une durée relativement longue, tout en leur redonnant une visibilité au sein de la société. Si les apports matériels d’une résidence sont les conditions sine qua non de la production artistique, les actions en relation avec le territoire et développées par le centre culturel peuvent fournir à l’artiste un cadre politique et social concret à son travail. Certains font du territoire l’objet de leur travail. On peut donner l’exemple de Fleur Albert et Laurent Roth qui réalisent un film documentaire sur la toxicomanie à partir d’acteurs choisis sur le terrain du 19ème arrondissement, contactés grâce aux services publics et aux services sociaux du quartier. De la même façon, la résidence de Tricky a été très enrichissante. Issu d’un quartier populaire, Tricky a su établir un contact très rapidement avec la population locale. Sa personnalité, son histoire, son attitude ont séduit les jeunes du quartier Curial qui ont participé à l’enregistrement de son dernier album « Mixed Race ». Il témoigne dans une interview « il y a plein de gens du quartier qui sont venus dans mon studio et qui ont collaboré. Des ados qui ont apporté des instruments de musique, leurs potes, leurs familles, leurs histoires, et le projet s’est constitué ainsi »44. Un des objectifs du Centquatre est justement de créer une certaine proximité entre les artistes et la population locale : « C’est ce que nous voulons continuer au Centquatre : faire venir des gens qui, par leur culture, leur langage, leur façon d’être, peuvent s’adresser à des publics très différents »45 (Martial Hobeniche à propos de la résidence de Tricky). Le Centquatre a donc pour objectif de produire des liens de proximité avec les habitants du quartier afin de faciliter son appropriation. Les pratiques culturelles servent alors de support pour les échanges sociaux et le critère de convivialité créé par une expérience artistique entre désormais en ligne de compte. Les bars, les cafés, les restaurants, les bals populaires créent des ambiances chaleureuses permettant aux habitants du quartier de se sentir chez eux, et donc de s’identifier au lieu. On peut d’ailleurs établir un lien entre « l’esthétique ethnologique »46 de Rousseau et les pratiques culturelles encouragées par le Centquatre. Rousseau opposait la fête, où tous les participants sont acteurs et le théâtre, dans lequel l’émetteur et le récepteur sont clairement identifiés. Symbole de démocratie, la fête est désormais préférée au spectacle, au nom de l’importance accordée aux 44 Sébastien CHARLOT. « Tricky, la conversation. ». Maelström, 18 octobre 2010. HOBENICHE Martial, entretien précité. 46 Jean CAUNE. « Pratiques culturelles, médiation artistique et lien social », op. cit. 45 40
  • 41. échanges sociaux. En organisant des « fêtes des voisins », le Centquatre crée des occasions de se regrouper autour d’un verre, d’un repas, d’un bal. Ces moments de rencontre et de participation à la vie locale développent un lien social entre les habitants, ainsi qu’une attache territoriale. Il s’agit finalement de reconstruire une continuité entre l’art et les autres formes d’activités humaines en donnant au Centquatre l’image d’un lieu de voisinage. 41
  • 42. HYPOTHESE 3 : Définir les conditions du vivre ensemble : le Centquatre, un espace public ? I. Le Centquatre, un projet politique A/ Qu’est-ce que l’espace public ? 1) Définition théorique Un espace public se définit en premier lieu par sa dimension physique. Si la plupart des espaces publics sont en fait des vides laissés entre les zones privées (rue, place, avenue, parc), ils peuvent aussi être construits et relèvent alors d’une volonté politique. L’espace public a été défini par Habermas comme l’espace intermédiaire entre la société civile et les pouvoirs politiques. Au cœur du dispositif démocratique, l’espace public, accessible à tous les citoyens, est le lieu de formation de l’opinion publique. C’est un espace symbolique dans lequel se manifestent les différents acteurs sociaux, leur donnant le sentiment de participer à la vie publique. Pour former une démocratie concrète et active, l’espace public suppose des valeurs communes, mais aussi une capacité égale à s’exprimer. Il s’affirme contre la violence physique par la reconnaissance de l’autre comme d’un être libre et dont la parole est légitime. Il attribue alors une valeur politique et proprement démocratique à l’espace commun et valorise l’expression individuelle afin de rendre public un intérêt partagé. La démocratie ne peut se passer d’un espace public car non seulement il soumet les opinions à l’épreuve, parfois conflictuelle, du dialogue, mais aussi il donne une visibilité à ces opinions. Kant insiste sur ce besoin de publicité des opinions, sans quoi celles-ci ne seraient pas prises en compte par les instances décisionnelles du pouvoir politique.47 L’espace public a également été valorisé en tant qu’aboutissement d’un mouvement d’émancipation de l’individu, représentant un espace appartenant à tous. Il relève alors du principe de liberté individuelle, de mouvement et d’expression, contre ce qui est privé et qui implique logiquement des contraintes et des règles. « Il s’est ainsi opéré une rencontre entre deux mouvements relativement différents : celui 47 Florence CAEYMAEX. « La genèse de l’espace public ». Reliures, 18, printemps-été 2007. 42
  • 43. en faveur de la liberté individuelle, donc d’une certaine capacité à afficher publiquement ce que l’on est, et le mouvement démocratique, qui lui aussi favorisait l’idée de publicité contre celle de secret et d’interdit. Des deux côtés, ce qui était ʺpublicʺ fut valorisé »48 commente Dominique Wolton. Le concept d’espace public a donc évolué vers un sens plus sociologique que politique. Il faut distinguer l’espace public, de l’espace commun et de l’espace politique. L’espace commun est un espace où se manifeste une identité partagée par les membres d’un groupe social. Né dans un contexte d’échange commercial, l’espace commun tisse des relations de familiarité et des liens de solidarité entre les individus qui se retrouvent alors dans une même culture. L’espace politique n’est plus un espace de délibération, mais un lieu de décision. Il inclut un enjeu de pouvoir qui n’a pas lieu d’être dans l’espace public. 2) Un lieu de formation de l’identité Lieu de rencontre, de dialogue ou de confrontation, l’espace public met en présence des individus de différentes sphères de la société civile tout en leur garantissant l’anonymat. Espace de mise en commun des particularités individuelles, il permet à tout individu de se détacher de son identité originelle et de s’en construire une nouvelle. L’appartenance à une communauté nous enferme dans un groupe social qui se caractérise par une origine ethnique, une langue, une religion, une culture. Elle s’éprouve dans l’union, et entraîne la destruction de toute singularité. La communauté est définie par Sartre comme un « groupe en fusion »49, dans laquelle les membres sont considérés comme les parties d’un tout. Au contraire, l’institution d’un espace public favorise l’émergence d’individualités. Il invite les individus à se replacer dans un espace différent et à s’éloigner, de façon temporaire, de leur communauté d’origine afin de faire l’expérience de l’altérité. Reconnaître l’autre, c’est aussi prendre conscience de soi, de sa culture d’appartenance et affirmer son identité. Selon Etienne Tassin, « toute communauté tend vers la confusion, la fusion commune. A l’inverse, l’espace public doit se comprendre comme un espace de diffusion, parce qu’au lieu de fondre les individus dans la figure de l’Un, condensant 48 49 Dominique WOLTON. « Espace public ». http://www.wolton.cnrs.fr/spip.php?article67 Etienne TASSIN. « Espace commun ou espace public ? ». In : Hermès, 10, 1991. 43