Une charte d’utilisation des médias sociaux, c’est quoi au juste? À quoi ça sert? Quelle est la bonne formule? Autant de questions auxquelles je tenterai de répondre pour que vous soyez prêts à l’appliquer ou à l’élaborer…
Essai personnel sur les chartes d’utilisation des médias sociaux
1. Pour une utilisation éclairée des médias sociaux
Anne Le Reste
16 juin 2010
Curieux! Même si une majorité des dirigeants d’entreprises québécois reconnaisse l’existence de
risques de détérioration de la réputation de leur corporation liées aux médias sociaux (MS), seulement
15% d’entre eux ont pris des mesures concrètes, selon une étude menée par Deloitte1 en 2009.
Le goût du risque ou l’inconscience??? Trêve de plaisanterie! Les entreprises québécoises vont
devoir s’y atteler et définir des «règles de conduite» relativement à l’utilisation des réseaux sociaux
(RS) par leurs employés.
On l’appelle le plus souvent «charte d’utilisation des médias sociaux», mais c’est quoi au juste? À quoi
ça sert? Qu’est-ce qu’on y trouve? Quelles sont ses limites? Quelle est la bonne formule? Autant de
questions auxquelles je tenterai de répondre pour que vous soyez prêts à l’appliquer ou à l’élaborer…
Une charte d’utilisation des médias sociaux, c’est quoi?
Qu’on la nomme «charte d’utilisation des MS», «charte éditoriale sociale», «code de conduite»,
«guide», «directives», «néthique», ce sont toutes des politiques d’encadrement des opinions et des
commentaires exprimés sur les RS. Elles ont pourtant quelques différences et proposent des
approches parfois très divergentes.
Commençons par la «néthique» qui fait appel à un comportement éthique et responsable en ligne.
Elle véhicule des valeurs correspondant à un engagement personnel et non imposé (ce qui en fait la
spécificité). Il s’agit d’une autorégulation citoyenne, une incitation à une certaine forme de civisme.
À ne pas confondre avec la «nétiquette», qui tient de l’«étiquette» à laquelle on se plie, alors qu’on
adopte une «néthique».
Le «code de conduite» est selon moi proche de la «néthique» avec un peu plus de directives et de
principes. Le «guide» rassemble des conseils et recommandations qui ne devraient pas induire de
mesures coercitives contrairement aux «directives» qui prévoient des sanctions en cas de non-
respect. La «charte éditoriale sociale», de par son appellation, concerne plus spécifiquement
l’utilisation des MS à l’interne.
Pour anticiper et contrer les risques de dégradation d’image liés aux réseaux sociaux tout en tirant
parti de leurs avantages, c’est certainement la «charte d’utilisation des médias sociaux» qui est la
plus efficace et la plus utilisée actuellement.
Comme la charte graphique, la «charte d’utilisation des MS» précise les normes d’utilisation, énonce
des directives, conseils et règles mais en laissant place à la liberté d’expression. S’adressant à la fois
aux salariés et aux sous-traitants, elle concerne aussi bien les RS individuels que corporatifs en
énonçant des principes assez génériques.
Mais une chose est sûre, ces politiques se doivent d’évoluer au fur et à mesure de l’émergence de
nouvelles technologies et du comportement des internautes.
1
http://www.adsvark.com/reseaux-sociaux-et-reputation-letude-du-cabinet-conseil-deloitte-llp/
1
2. À quoi ça sert?
Face à la fulgurante ascension des MS, la frontière entre la vie publique et la vie privée est de plus en
plus tenue. Un nouveau modèle d’interaction sociale s’est développé. Ces médias de communication
permettent des conversations mondiales en temps réel dans lesquelles les entreprises sont de plus en
plus citées.
La e-réputation est devenue un enjeu stratégique pour les entreprises. En effet, près de sept
dirigeants sur dix jugent que la réputation de leur entreprise est en danger sur Internet, révélait une
étude réalisée par la firme de relations publiques Weber Shandwick2 en 2008 auprès de 703 cadres
de 62 pays. Mais le plus surprenant, c'est que cela viendrait de l’interne : 67 % des répondants à
l'enquête pensent que des actes malveillants sont intentionnellement entrepris par des salariés de
l'entreprise. Des actes qui prennent par exemple la forme de commentaires sur des forums ou des
sites de critiques tels que Jobvent.com3 aux Etats-Unis.
Les entreprises ont raison de se préoccuper de leur e-réputation, preuve en est l’étude de Deloitte1 qui
a révélé que les 2/3 des salariés estiment qu’il est facile d’entacher la réputation d’une entreprise par
le biais des RS.
Sharon L Allen, président de Deloitte, est sans équivoque sur la question :
«Si la décision de publier des vidéos, des images, des réflexions, expériences ou observations
sur des sites de réseaux sociaux est un acte personnel, un seul d’entre eux peut avoir
d’importantes conséquences éthique pour les individus comme les entreprises. Par conséquent
il est important pour les dirigeants d’être conscient des implications et d’élever la discussion au
sujet des risques et cela en association avec le plus haut niveau d’encadrement.»
Qu’ils soient dirigeants d’entreprise ou salariés, tous sont maintenant conscients des énormes
bénéfices que les médias sociaux peuvent apporter mais encore faut-il en contrôler les inconvénients!
Si vous avez encore besoin d’être convaincu de la nécessité d’avoir une politique d’utilisation des MS,
lisez l’article de Claudine Hébert paru en 2009 dans Les Affaires, «Les employeurs ont intérêt à établir
une politique d'utilisation des réseaux sociaux4».
Et pour en savoir plus sur la e-réputation et sur les méthodes de veille, consultez le livre blanc5, une
publication collective coordonnée par Aref Djey, parue en mars 2010.
Qu’est-ce qu’on y trouve?
Les chartes d’utilisation des MS varient d’une entreprise à l’autre, à l’image des valeurs de l’entreprise
et de son approche en gestion des ressources humaines. On en trouve des ultrasimples jusqu’à des
plus complexes, des «friendly» jusqu’à de très rigides.
Parmi les plus simples, citons General Motors6:
We will tell the truth. We will acknowledge and correct any mistakes promptly
We will not delete comments unless they are spam, off-topic, or defamatory
We will reply to comments when appropriate as promptly as possible
2
http://www.online-reputations.com/index.html
3
http://www.jobvent.com/
4
http://www.lesaffaires.com/secteurs-d-activite/general/les-employeurs-ont-interet-a-etablir-une-politique-d-utilisation-des-
reseaux-sociaux/507681
5
http://www.demainlaveille.fr/
6
http://fastlane.gmblogs.com/about.html
2
3. We will link to online references and original source materials directly
We will disagree with other opinions respectfully
Il y a aussi des chartes intermédiaires très intéressantes qui sont un savant mélange de conseils
d’ordre personnel ou éthique et de formalisme, avec le mérite d’être claire et concise. Par exemple,
celle d’HP7 :
«We will strive to have open and honest dialogues with our readers. We will correct inaccurate
or misleading postings in a timely manner. We will not delete posts unless they violate our
policies. We will disclose conflicts of interest…»
Ou celle de Dell8 :
«Transparency of Origin, Accurate Information, Ethical Conduct, Protection of Confidential and
Proprietary Information…»
La politique d’Intel9 est aussi un bon exemple de charte réussie :
• Limitez-vous à votre domaine d'expertise et apportez un point de vue unique et personnel sur
ce qui se passe sur Intel et dans le monde.
• Postez des commentaires significatifs et respectueux, en d'autres termes, pas de spam ni de
remarques hors sujet ou choquantes.
• Faites toujours une pause pour réfléchir avant d'envoyer une contribution. Ceci dit, répondez
promptement aux commentaires lorsque c'est approprié.
• Respectez les informations et les contenus exclusifs ainsi que la confidentialité.
• Lorsque vous n'êtes pas du même avis que les autres, restez correct et poli.
• Lisez et respectez le Code de conduite Intel et la Politique de confidentialité d'Intel.
Dans les directives de modération, on peut lire dans cette même charte :
Que le contenu fasse l'objet de la modération au préalable ou de la modération par la
communauté, il convient de suivre les trois principes suivants : Le Bon, le Mauvais, mais pas
le Moche. Si le contenu est positif ou négatif et dans le contexte de la conversation, nous
l'approuvons, que ce contenu soit favorable ou défavorable à Intel. Cependant, si le contenu est
moche, offensant, dénigrant et complètement hors contexte, nous le rejetons.
La charte de Coca-cola a le mérite de vouloir préserver autant la valeur d'une marque que
l'importance des gens qui y travaille comme le dit Geoffroy Garon10 sur son site. Tout d’abord, elle fait
appel à des valeurs telles que :
• Transparency in every social media engagement.
• Protection of our consumers’ privacy.
• Respect of copyrights, trademarks, rights of publicity, and other third-party rights in the online
social media space, including with regard to user-generated content (UGC).
• Responsibility in our use of technology.
• Utilization of best practices, listening to the online community, and compliance with applicable
regulations
De plus, cette politique énoncent des principes simples :
1. Be Certified in the [Coca Cola] Social Media Certification Program.
2. Follow our Code of Business Conduct and all other Company policies.
3. Be mindful that you are representing the Company.
4. Fully disclose your affiliation with the Company.
5. Keep records.
6. When in doubt, do not post.
7
http://www.hp.com/hpinfo/blogs/codeofconduct.html
8
http://www.dell.com/content/topics/global.aspx/policy/en/policy?c=us&l=en&s=corp&~section=019&redirect=1
9
http://www.intel.com/sites/sitewide/fr_FR/social-media.htm
10
http://geoffroigaron.com/2010/01/actualite/gouvernance-et-politiques-dutilisation-des-medias-sociaux-dans-lentreprise/
3
4. 7. Give credit where credit is due and don’t violate others’ rights.
8. Be responsible to your work.
9. Remember that your local posts can have global significance.
10. Know that the Internet is permanent.
Certaines chartes s’adressent davantage à l’interne comme celle de Wal-Mart11 :
«All official Wal-Mart Stores Twitter users will be identified on this landing page and will have a link
back to this page from their Twitter profile[...] approved Twitter users will follow the following naming
conventions of “business unit + name/category.” [...] We won’t reply to off topic @replies. [...] @replies
should contribute to the dialogue…“)
La charte de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec12 précise, quant
à elle, les responsabilités et sanctions possibles :
Aucun contenu litigieux ne sera toléré dans les MS de l'IUCPQ. Constituent notamment un
contenu litigieux au sens de la présente charte :
• contenu portant atteinte aux droits fondamentaux d'autrui et notamment au droit du respect
de leur vie privée et de leur réputation;
• propos diffamatoires (attaques, insultes, langage menaçant ou obscène, propos homophobe,
harcèlement, chantage) ou de propagande;
• données confidentielles;
• matériel pornographique;
• commentaires non liés au contenu ou discussion en question;
• productions commerciales, publicitaires, ou pourriels.
Les propos jugés litigieux par l'employeur seront retirés sans préavis, y compris le privilège de
membre du groupe. S'il a des motifs raisonnables de croire à une utilisation abusive ou contraire
à la présente Charte, l'employeur peut procéder à des contrôles ou des vérifications et prendre,
le cas échéant, les mesures appropriées.
Si vous souhaitez avoir accès à d’autres exemples de chartes, je vous invite à visiter cette base de
données Social Media Governance13.
Qu’ont-elles toutes en commun ces chartes?
La plupart abordent de différentes façons des notions telles que :
• La confidentialité : «Don’t share secrets»
• L’authenticité, la transparence et la sincérité : « Be yourself», «Soyez franc, osez dire pour qui
vous travaillez si vous évoquez cette corporation dans vos commentaires», «Défendez
uniquement les points de vue auxquels vous croyez»
• L’honnêteté et l’humilité : «Reconnaissez vos erreurs»
• Le respect des droits d’auteur : «Respect copyright», «Citez vos sources»
• Le respect de la vie privée, notamment celle de vos collègues : «Ne diffusez pas de photos,
vidéos ou conversations privées sans leur permission»
• La véracité des informations et la vérification des sources : «Post accurate information»,
«Attention aux rumeurs»
• La responsabilité individuelle : «Accept responsibility», «Vous êtes responsable de la véracité
des informations que vous publiez»
• La courtoisie et le contrôle de la charge émotionnelle : «Avoid online fights», «Have fun, but be
smart», «Emettez votre opinion mais évitez les attaques personnelles», «Prenez garde aux
trolls» (un troll, c’est un individu qui lance des discussions sur des sujets qui sèment la zizanie
entre plusieurs personnes en les montant les unes contre les autres). «Attendez d’avoir dormi
avant d’envoyer des réponses chargées d’émotion»
11
http://walmartstores.com/9179.aspx
12
http://www.iucpq.qc.ca/mediassociaux.asp
13
http://socialmediagovernance.com/policies.php
4
5. • Le professionnalisme : «Restez professionnel sur toute la ligne»
• Le bon sens : «Use good judgment»,
• La pertinence des propos : «Provide value»
Plusieurs de ces points sont extraits d’un article d’Ellyssa Kroski14 paru début 2009 que je vous
recommande.
Élaborer une charte d’utilisation des MS est plus compliqué qu’il n’y paraît. La forme est toute aussi
importante que le fond. Pour que les employés s’approprient cette charte, celle-ci doit être claire et
concise, positive et attrayante. Elle doit donner envie de l’adopter! En plus, il faut qu’elle soit
facilement mémorisable.
Ses limites?
Même la plus belle des politiques peut faire choux blanc et ne pas avoir du tout l’impact désiré...
Comment s’y prendre pour qu’une charte soit respectée?
Certaines entreprises utilisent le contrôle et les sanctions, elles surveillent les agissements de leurs
salariés, même si ça n’est pas chose facile, et prennent des mesures coercitives comme l’a fait Virgin
Atlantic en licenciant 13 agents de bord qui avaient tenu des propos jugés calomnieux sur Facebook à
l’égard des clients du transporteur aérien.
D’ailleurs selon l’étude de Deloitte1, les deux tiers des dirigeants d'entreprise considèrent qu'ils ont le
«droit de savoir» comment leurs salariés exposent leur groupe en termes d’image afin d’étudier leur
vulnérabilité. Et 30% d’entre eux avouent regarder les pages de leurs salariés sur les RS.
À contrario, la moitié des salariés, selon cette même étude, considère que les réseaux sociaux
individuels sont d’ordre privé. Certains y voient une atteinte à leur liberté d’expression et à leur vie
privée, allant jusqu’à dénoncer un abus de pouvoir.
Vers un juste équilibre…
Est-il possible de trouver un juste équilibre pour que les dirigeants d’entreprise et les employés se
sentent respectés dans leurs droits et responsables vis-à-vis de leurs devoirs respectifs?
Par des mesures rigides et des contrôles abusifs en matière de réseautage social, l’entreprise risque
de ne pas profiter pleinement des bénéfices liés aux réseaux sociaux sans pour autant atténuer les
problèmes inhérents à des comportements qui lui échappent.
Le succès d’une charte d’utilisation des médias sociaux passe par l’implication des salariés (appelés
des «partenaires» à plus forte raison), c’est à un engagement éthique à la 2.0 attitude qu’une charte
est censée faire appel. À vous de jouer!
14
http://www.schoollibraryjournal.com/article/CA6699104.html
5