L'Analyse des Logiques Subjectives (A..L.S.) est une méthode d’analyse des mots d’un texte parlé ou écrit, inspirée par la psychanalyse, qui permet, sans recourir à la communication non verbale, d’avoir une idée de la personnalité de l’auteur du texte, ou de personnages créés par cet auteur.
L'A.L.S. prend en compte le sens des mots, non pas globalement, mais en le décomposant en "atomes" de sens le plus élémentaires possible, afin de trouver des tendances générales, des invariants subjectifs indépendants du sujet abordé dans le texte considéré.
Au terme d’une analyse précise et argumentée du lexique de la tirade « Déplaire est mon plaisir. J’aime qu’on me haïsse », Jean-Jacques Pinto met en évidence l'intrication des aspects « extravertis » et « introvertis » de la personnalité de notre héros. Il s'avère que sa rigidité apparemment « introvertie » est mise au service de valeurs « extraverties ». C’est ce que l'auteur de cette analyse, certes très partielle mais confirmée par le contexte, rattache à la « parade virile » bien connue des cliniciens. Posture psychologique qu'on peut constater ailleurs que dans le passage étudié, et qui trouve sa conclusion dans le dernier mot de la pièce, « le panache ».
La personnalité du Cyrano de Rostand vue par l'Analyse des Logiques Subjectives (A.L.S.)
1. Version allégée de l'article complet, destinée plus
particulièrement au public du site Cyrano(s) de Bergerac
et aux membres de la communauté de blogs CYRANO
(Le site Cyrano(s) de Bergerac me fait l'honneur d'accueillir ce texte en le faisant précéder d'une
présentation que l'on trouvera à l'adress e suivante :
http://www.cyranodebergerac.fr/contributions_contenu.php?
contenu_id=88
J'adress e mes remerciements à l'administrateur de ce site)
La personnalité du Cyrano de Rostand
vue par l'Analyse des Logiques S ubjectives
(A.L.S.)
Jean- Jacques Pinto, psychanalyste et linguiste
Résumé/plan de l'article :
1 L'Analyse des Logiques Subjectives (A.L.S.) permet de
mettre en évidence certains traits de la personnalité du
Cyrano de Rostand. Présentons sommairement ce qu'est
l'A.L.S.
2 Nous partons, pour l'analyse du personnage de Cyrano, du
passage de la pièce d'Edmond Rostand qui commence par le
vers : "Déplaire est mon plaisir. J'aime qu'on me haïsse"
(Acte I, scène VII).
3 On constate, une fois ce passage annoté selon les règles de
l'A.L.S., la coexistence des "points de vue" extraverti et
introverti.
4 Cette coexistence ne s'explique pas par les possibilités
2. présentées dans notre article princeps, et détaillées ci-
dessous.
5 La clef de ce passage est donnée par la distribution précise
des points de vue extraverti et introverti, et surtout par le
mot dévalorisé "s'effémine". Ces indices ouvrent une piste
qui fait appel à des données "cliniques" extérieures à l'A.L.S.
6 C'est en rapport avec ces données "cliniques" que l'A.L.S. a
son mot à dire : dans la distribution traditionnelle des rôles
masculin et féminin intervient partiellement une répartition
extraverti / introverti. Le mot dévalorisé "s'effémine",
mis en relation avec la distribution précise des points de vue
extraverti et introverti, révèle que Cyrano pratique, dans le
passage étudié et très certainement ailleurs, la "parade
virile" propre à certaines formes d'hystérie masculine.
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1) L'A.L.S. permet de mettre en évidence certains traits
de la personnalité du Cyrano de Rostand.
Certes ce Cyrano est un personnage de fiction. Mais certains
auteurs excellent à créer des personnages à discours
typique, permettant une analyse relativement fiable (cf sur
notre blog Camus avec son Joseph Grand dans La Peste).
Ceci ne présume bien sûr en rien de la personnalité du
véritable Cyrano.
Certes cette analyse est très partielle et très provisoire,
puisqu'il faudrait travailler sur le texte de toute la pièce,
alors que pour commencer nous n'étudions qu'une tirade,
jugée néanmoins représentative. Mais une hypothèse
pertinente s'ébauche, et il serait justement intéressant de
voir, dans un second temps, si le reste de la pièce la
confirme ou l'invalide.
3. L'A.L.S. (Analyse des Logiques Subjectives, voir l'article
dans Wikipedia, ou de façon plus détaillée notre "article
princeps") est une méthode d’analyse des mots d’un texte parlé
ou écrit, inspirée par la psychanalyse, qui permet, sans recourir
à la communication non verbale, d’avoir une idée de la
personnalité de l’auteur du texte ou de personnages crées par
cet auteur. On prend en compte le sens des mots, non pas
globalement, mais en le décomposant en "atomes" de sens le
plus élémentaires possible, afin de trouver des tendances
générales, des invariants subjectifs indépendants du sujet
abordé dans le texte considéré.
Il existe dans une langue comme le français des sous-
langues subjectives ou « parlers » qui sont des combinaisons de
mots dotés d’une valeur positive ou négative.
Les mots simples (« atomes ») sont des adjectifs exprimant
des propriétés simples (ouvert/fermé, nouveau/ancien),
distribués dans deux listes d’opposés, les séries :
La série « A » concerne l’extérieur, le changement, le
désordre, la destruction de l’ancien. Elle se compose
d’adjectifs simples comme : ouvert, souple, varié,
changeant, nouveau, libre …
La série « B » concerne au contraire l’intérieur, le non-
changement, l’ordre, la conservation. Elle se compose
d’adjectifs simples comme : sérieux, ferme, stable,
ancien, solide, durable …
Les mots complexes (« molécules ») sont des adjectifs
complexes, des noms, des verbes et des adverbes dont le
sens peut se décomposer en atomes A ou B.
Quand ils sont de composition à peu près homogène, on
les rattache à la série A (ainsi « papillon » : mobile,
léger, rapide, désordonné) ou B (« tortue » : lourde,
lente, rigide). C'est une approximation, car seuls les
4. adjectifs simples appartiennent aux séries.
S’ils sont de composition mixte ou difficiles à analyser, on
les dira respectivement « neutres » (noté « 0 ») ou «
indécidables » (noté « ? »).
La valeur associée à chaque mot est la résonance favorable ou
défavorable qu’a ce mot pour celui qui le dit. Elle est
positive (« + »), négative (« - »), neutre (« 0 ») ou
indécidable (« ? »). Elle peut changer chez un locuteur selon
les moments ou selon les périodes de la vie.
Les "points de vue" s’obtiennent en comparant pour chaque
mot pertinent d’un texte sa série et sa valeur. Ils peuvent
changer, comme la valeur, selon les instants ou selon les âges
de la vie.
Le point de vue « extraverti » (désigné par la lettre E) valorise
la série A et dévalorise la série B, ce qui peut se noter :
A + = B — = E.................Exemple : je suis quelqu’un
d’ouvert, je ne suis pas borné
(Dorénavant, pour faciliter leur repérage, les mots A figureront
en italique, et les mots B en gras).
Le point de vue « introverti » (désigné par I) valorise la série B
et dévalorise la série A, ce qui peut se noter :
B + = A — = I.................Exemple : je suis quelqu’un de
sérieux, je ne suis pas un plaisantin.
Le point de vue « extraverti » choisira donc ses mots dans la
série A pour présenter ce qu’il aime, et dans la série B pour
présenter ce qu’il critique, n’aime pas ou même redoute. Le
point de vue « introverti » choisira au contraire ses mots dans la
série B pour présenter ce qu’il aime, et dans la série A pour
présenter ce qu’il critique, n’aime pas ou redoute.
joie : mon cœur est comblé (B+).................chagrin : ça me
fend le cœur, mon cœur saigne (A-)
Cette notion de point de vue « instantané » (valable pour le
seul mot qu'on analyse) peut être étendue à l’échelle d’un
texte entier, qui présente en général une dominante « I »
5. ou « E », sauf dans le cas du parler « hésitant » décrit ci-
dessous.
Les "parlers" sont l'extension à l'échelle d'une vie de la notion
de point de vue, recoupant la notion empirique de personnalité :
chacun joue « sa » biographie comme un acteur dit « son »
texte … Ces sous-langues subjectives recombinent dans le temps
(de l’adolescence à la fin de la vie) les points de vue « I » et « E
», ce qui aboutit à décrire quatre parlers principaux :
1. Un parler « conservateur » (I → I), correspondant à la
personnalité obsessionnelle, qui commence « I » et finit « I
».
2. Un parler « changement/destruction » (E → E),
correspondant à la personnalité hystérique, qui commence «
E » et finit « E ».
3. Un parler « du progrès » ou « constructeur » (E → I), sans
équivalent séméiologique, qui commence « E » et finit « I ».
4. Un parler « hésitant » (I ou E, abréviation de I → E → I → E ...),
en gros la personnalité phobique, oscillant toute sa vie entre
« E » et « I ».
Il existe des combinaisons de parlers, rendant l'A.L.S. beaucoup
plus riche dans ses descriptions, mais elles ne sont pas utiles à
connaître pour le propos de cet article.
2) Nous partons, pour l'analyse du personnage de Cyrano,
du passage de la pièce d'Edmond Rostand qui commence
par le vers : "Déplaire est mon plaisir. J'aime qu'on me
haïsse" (Acte I, scène VII).
L'analyse rencontre quelques pièges, il ne s'agit pas d'un
texte évident comme ceux analysés à titre d'exercices sur notre
site "TOUT SUR L'A.L.S.". Le mieux est de procéder avec
méthode, en trouvant pour chaque mot du vocabulaire pertinent
sa série et sa valeur, ce qui permet de diagnostiquer les
différents "points de vue" du passage.
6. Le lexique pertinent pour l'A.L.S. s'obtient en éliminant la
ponctuation et les mots non porteurs d'atomes A ou B (la «
poussière grammaticale » : articles, prépositions, conjonctions
de coordination et de subordination, pronoms relatifs et
personnels, etc.) pour ne garder que les noms, verbes,
adjectifs et adverbes, plus quelques prépositions de situation
(sur, sous, devant, derrière, autour, à travers ...).
Conventions :
Repérage des séries : les mots de la série "A" en italique et
ceux de la série "B" en gras. Les mots en gras + italique
sont mixtes.
Repérage des valeurs : un mot souligné est valorisé, un mot
non souligné est dévalorisé.
Voici le texte avec l'indication des séries et des valeurs :
[ ... ]
CYRANO
Déplaire est mon plaisir. J'aime qu'on me haïsse .
Mon cher, si tu savais comme l'on marche mieux
Sous la pistolétade excitante des yeux !
Comme, sur les pourpoints, font d'amusantes taches
Le fiel des envieux et la bave des lâches !
Vous, la molle amitié dont vous vous entourez ,
Ressemble à ces grands cols d'Italie, ajourés
Et flottants , dans lesquels votre cou s' effémine
On y est plus à l'aise ... et de moins haute mine,
Car le front n'ayant pas de maintien ni de loi,
S'abandonne à pencher dans tous les sens . Mais moi,
La Haine , chaque jour, me tuyaute et m'apprête
La fraise dont l'empois force à lever la tête ;
7. Chaque ennemi de plus est un nouveau godron
Qui m'ajoute une gêne , et m'ajoute un rayon
Car, pareille en tous points à la fraise espagnole,
La Haine est un carcan , mais c'est une auréole !
"s'effémine " n'est d'aucune série, mais est ici mis en relief car il
donnera la clef de ce passage "piégé".
3) On constate, une fois ce passage annoté selon les
règles de l'A.L.S., la coexistence des "points de vue"
extraverti et introverti :
- extraverti : valorisation de déplaire, haïsse, marche,
pistolétade, excitante, amusantes, fiel, bave, haute, Haine, lever.
Dévalorisation de carcan.
- introverti : valorisation de maintien, loi, tuyaute, apprête,
empois, godron (Pli rond et tuyauté, donc rigide) , gêne,
rayon; auréole. Dévalorisation de à l'aise, abandonne, pencher,
dans tous les sens.
4) Cette coexistence ne s'explique pas par les quelques
possibilités présentées dans notre article princeps
Linguistique et psychanalyse : pour une approche
logiciste, et détaillées ci-dessous :
- Il ne s'agit pas ici d'un passage d'un point de vue à l'autre
structurel (liés à la structure d'un parler) :
« Le parler I ou E oscille par définition entre les deux points de
vue. D'autre part, dans le parler E -> I il y a changement
structurel au moment de la transition entre ses deux phases (ce
parler peut également utiliser « sciemment » la juxtaposition des
séries"pour rallier tous les suffrages en séduisant et les
locuteurs I, et les locuteurs E") ».
En effet ce passage ne montre ni alternance rapide, ni
juxtaposition des deux points de vue, et le contexte montre
que Cyrano n'est pas un "phobique" hésitant.
8. Et d'autre part toute la splendide tirade "Non, merci !" qui
précède ce passage - et qui fera à son tour l'objet d'une
analyse -, et plus généralement toute la pièce, prouvent que
Cyrano n'est pas un "parvenu", locuteur du parler E → I, qui
chercherait à "ratisser large" par souci de l'électorat !
Il ne s'agit pas non plus ici d'un de ces "renversement
conjoncturels de point de vue"décrits dans l'article (« exceptions
confirmant la règle », lorsqu'on se met à valoriser la série
opposée à son parler) : objet idéalisé, « discours amoureux »,
ironie et antiphrase, etc. On se reportera à l'article pour plus de
précisions.
5) La clef de ce passage est donnée par la distribution
précise des points de vue extraverti et introverti et surtout
par le mot dévalorisé "s'effémine" . . . Ces indices
ouvrent une piste qui fait appel à des données "cliniques",
lesquelles, quoiqu'extérieures à l'A.L.S., sont en parfait
accord avec elle.
On remarque en effet qu'une fois posée une assertion
paradoxale typique du parler extraverti "Déplaire est mon
plaisir. J'aime qu'on me haïsse", développée dans les vers
suivants depuis "Mon cher" jusqu'à "lâches", le passage au
parler introverti, qui file la métaphore entre le couple
amitié/haine et le couple mollesse/rigidité, se fait très
précisément à propos de l'apparence vestimentaire et du
maintien : grands cols d'Italie ajourés et flottants / fraise
espagnole rigide comme un carcan.
L'A.L.S., en accord avec les données d'observation clinique qui
vont suivre, constate ceci :
Le parler Extraverti présente, du fait de sa genèse chez le
parent rejetant (ce "J'aime qu'on me haïsse" renvoyant à un
"J'aime qu'on le haïsse" parental), un embarras quant à
l'assomption d'une identité sexuelle (voir sur mon blog le billet :
A.L.S. et assomption du sexe dans l'hystérie). Il oscille alors
9. entre :
- l'apologie de l'AMBIGÜITÉ sexuelle : androgynie,
"hermaphrodisme", trouble ou séduction (provocation) produits
dans le regard de l'autre par le défi jeté à toute catégorisation,
- ou au contraire l'assomption d'une identité sexuelle
CARICATURALE : hyperféminité chez le sujet féminin,
hypervirilité confinant au machisme chez le sujet masculin, ce
qui a reçu le nom de "parade virile" (on pense au "macho" latin
roulant les mécaniques, tel Aldo Maccione ...).
Voici une explication tirée du livre "L'hystérique, le sexe et le
médecin", Lucien Israël, Masson, 1992, p. 59 :
« Les hommes hystériques sont cachés. Et dans la meilleure
cachette pour un médecin, sous une autre étiquette
diagnostique. [ ... ] Pendant longtemps les médecins ont été,
dans leur immense majorité, des hommes. Et l'hystérie
représentait ce qu'il y avait d'inquiétant, d'irritant, de menaçant
chez les femmes. [ ... ] Elles étaient fragiles, le sexe faible. On
ne pouvait pas compter sur elles. Leur esprit manquait de
logique, d'objectivité. Elles étaient inconstantes, lunatiques.
[ ... ] Il n'est pas un seul défaut, pas une seule
caractéristique psychique, intellectuelle ou morale qu'on
ait reproché aux femmes qui ne se retrouve dans les
descriptions de l'hystérie. Quoi d'étonnant alors que le
diagnostic d'hystérie soit devenu pour l'homme [ ... ] une
véritable injure, un signe de faiblesse, une castration en un mot.
Dire à un homme : "'Vous êtes hystérique" reviendrait dans ces
conditions à leur dire : "Vous n'êtes pas un homme". [ ... ]
Comment l'éviter ? ».
6) C'est ici que l'A.L.S a son mot à dire : dans la
10. distribution traditionnelle des rôles masculin et féminin
intervient partiellement (article à venir sur ce sujet) une
répartition :
- Introverti pour l'homme (solide, fiable, constant,
sérieux, etc.)
- Extraverti pour la femme (fragile, peu fiable,
inconstante, frivole, etc.). Exemple :
"Souvent femme varie,
Bien fol est qui s'y fie"
Le mot dévalorisé "s'effémine " révèle que Cyrano, locuteur
du parler Extraverti (valorisation de déplaire, haïsse, marche,
pistolétade, excitante, amusantes, fiel, bave, haute, Haine, lever.
Dévalorisation de carcan) pratique la "parade virile", donc
adopte quand à sa tenue et à ses manières le point de vue
Introverti : valorisation de maintien, loi, tuyaute, apprête,
empois, godron (rigide), gêne, rayon; auréole. Dévalorisation de
molle, à l'aise, abandonne, pencher, dans tous les sens, toutes
caractéristiques supposées au sexe féminin.
Lucien Israël (ouvrage précité) :
« Le souci de paraître, la recherche de prestance sont donc les
conduites dominantes les plus perceptibles chez l'homme
hystérique ».
Et sur le site
http://www.doctissimo.fr/html/psychologie/mag_2003/mag1205
/ps_7235_hysterie.htm
« Oui l'hystérie masculine existe ! [...] Elle se manifeste de
manière différente. Car ici la volonté d'attirer l'attention et le
besoin de reconnaissance entraînent d'autres manifestations :
consommation d'alcool, exacerbation des attitudes "viriles"… ».
Le retour au texte de la tirade montre bien que cette rigidité
apparemment "introvertie" du vêtement et du maintien est
mise par Cyrano au service de valeurs extraverties : haute
11. mine, lever la tête, qui concordent avec le « J'aime qu'on me
haïsse initial ».
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