Et si jeunes et seniors n’étaient finalement pas tellement différents ? Pour Benjamin Chaminade, expert en “Talent Management”, le vrai “choc intergénérationnel” aura lieu autour de la rivalité à l’emploi.
Courrier Cadres - le conflit des générations n'existe pas
1. VOTRE VIE, VOTRE AVIS
FACE À NOS LECTEURS: Benjamin Chaminade
Le conflit des générations
n’existe pas... encore
Et si jeunes et seniors n’étaient finalement pas tellement différents ?
Pour Benjamin Chaminade, expert en “Talent Management”, le vrai
“choc intergénérationnel” aura lieu autour de la rivalité à l’emploi.
RÉMI DAVID : La valeur du Les Y (nés entre 1978 et Ce découpage, très en vogue,
travail et la conception de la 1994 environ), qui ont a le mérite d’éclairer des va-
carrière sont-elles les mêmes grandi avec la mondialisa- leurs plus ou moins pré-
pour les trois générations ? tion et internet, incarnent la gnantes, mais il enferme
Quelles seraient les différences modernité : le réseau, la aussi chaque génération
les plus marquées et comment mobilité, la vitesse, la soif dans des cases stéréotypées
s’expriment-elles ? d’expériences et d’évolutions et induit des raisonnements
BENJAMIN CHAMINADE : En rapides, mais aussi les rela- fallacieux. Les mentalités et
gros, chaque génération tions humaines authentiques les comportements au travail
reflète une conception du et l’équilibre de vie. comme dans la vie ne sont
travail, emblématique de Enfin, les X (nés entre sûrement pas qu’une affaire
l’époque dans laquelle elle a 1966 et 1977 environ), à che- d’âge. Il y a des “jeunes-
CHAQUE MOIS , fait sa première partie de val entre les deux cultures, seniors”, autoritaires, carrié-
COURRIER CADRE S INVITE carrière. À l’image des Trente ont des traits comportemen- ristes, technopathes, et des
DES MANAGERS À DÉBATTRE Glorieuses, les baby-boomers taux des deux générations. “vieux-jeunes”, appelés aussi
AVEC UNE PERSONNALITÉ (nés entre 1945 et 1965), c’est Ils essayent de jongler avec “jeniors”, “cocooning”, liber-
DU MONDE ÉCONOMIQUE “boulot-boulot”, les respon- la réussite professionnelle taires et branchés techno. Au
OU POLITIQUE SUR UNE sabilités progressives, au prix et personnelle, et ont moins final, les générations se rejoi-
QUESTION D’ACTUALITÉ de la fidélité à l’entreprise, le d’illusions que leurs aînés gnent assez largement au-
AYANT UN IMPACT SUR respect de la hiérarchie et la sur les entreprises. Les plans tour des attentes des Y, qui
LEUR VIE PROFESSIONNELLE. vie perso au second plan. sociaux sont passés par là… sont celles de notre époque.
LE PANEL DE S INVITÉS DE COURRIER CADRE S
Rémi David, Alain Mauriès, Sylvie Delattre,
cadre dans une directeur des responsable
grande entreprise ressources humaines d’études à l’Apec,
de cosmétiques. du groupe Pochet. co-auteure d’un
rapport sur
la génération Y
dans ses relations
au travail et à
l’entreprise.
DR
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2. être largués par leurs enfants
dont ils sont très proches.
Contrairement aux idées
reçues, il y a vingt fois plus de
personnes de plus de 45 ans
qui s’inscrivent sur les réseaux
sociaux que de jeunes de
20 ans*. Et ce sont elles qui,
bien souvent, mettent en
place les sites novateurs dans
les entreprises !
Toutes les générations se
rejoignent aussi dans leurs
attentes face au management.
Beaucoup aujourd’hui disent :
“Les jeunes ont vu leurs
parents se faire licencier et ne
croient plus dans l’entreprise.”
C’est oublier un peu rapide-
ment que leurs parents pen-
sent la même chose…
Tout le monde supporte
également mal la pression
actuelle et les comportements
autoritaires, sauf que les jeu-
nes, plus directs, ont moins
peur de dire ce qu’ils pensent
que leurs aînés. Quel que soit
l’âge, les salariés veulent
travailler par plaisir, avec de
l’autonomie, être reconnus et
avoir du temps pour soi.
ALAIN MAURIÈS : Avec les
départs en retraite plus tardifs,
les écarts de génération
PHOTOS : YVES DENOYELLE
vont devenir faramineux dans
les entreprises et les jeunes
auront moins de perspectives.
Ne croyez-vous pas malgré tout
à une certaine confrontation
intergénérationnelle ?
B. C. : Le choc intergénéra-
Benjamin Chaminade, expert international en “Talent Management”, tionnel sur les valeurs, c’est
est le premier à avoir parlé de la génération Y et de sa culture. du pipeau puisqu’elles sont
plus ou moins partagées par
R. D. : Vous n’adhérez pas aux culture du mouvement se parce qu’il est finalement tous. Quoi qu’on dise, les plus
stéréotypes générationnels… retrouve chez les plus de davantage aujourd’hui une de 55 ans sont généralement
Pouvez-vous nous apporter 45 ans, quand les enfants affaire de position dans la vie contents de voir des jeunes
des illustrations de ce qui sont grands. Nombreux sont que d’âge. rejoindre leur entreprise et
rapproche les générations ? ceux qui n’ hésitent pas à Toutes les générations se s’intéresser à leur métier.
B. C. : Le mouvement, valeur laisser tomber un poste peu retrouvent également autour Mis à part quelques “vieux
emblématique de notre épanouissant et routinier des technologies. Les seniors bougons”, ils sont ravis de les
société, n’est pas l’apanage pour monter une start-up ou ne sont pas toujours les accueillir, de les aider, d’expli-
des jeunes. Ils sont avides de s’adonner à une passion, “techno-réacs” que l’on veut quer les “petites ficelles”. Et
bouger, d’expériences variées, écrire un livre, s’occuper de la bien dire, je l’ai souligné. Ils aussi d’apprendre d’eux. Car
mais ils “s’assagissent” quand vigne, par exemple. Le mou- sont même souvent très les jeunes ont eux-mêmes
ils fondent une famille. Cette vement, ça part, ça revient, accros, au moins pour ne pas beaucoup à offrir : capacité à
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3. VOTRE VIE, VOTRE AVIS
FACE À NOS LECTEURS : Benjamin Chaminade
travailler en réseau, à
questionner, à bousculer les
règles… Ce transfert de
compétences inédit qui
s’opère est extraordinaire. De
l’estime et de la reconnais-
sance mutuelle en découlent.
Mais vous avez raison de
le souligner, dans les années
à venir, le conflit de généra-
tions va sans doute se pola-
riser sur les rivalités d’em-
ploi. Avec l’allongement des
carrières, si les entreprises
n’offrent pas plus de boulot,
seniors et juniors ne feront
sûrement plus “copain-
copain” ! Dans les pays
anglophones, pourtant très
pro-seniors, des bouquins
s’ intitulant : Place aux
jeunes, Les seniors dehors
se vendent très bien, même
s’ils sont pour le moment L’abus
pris à la rigolade. d’objectifs,
Les tensions avec les X, si simples, car les entreprises valeur. Sinon, ils continue-
aujourd’hui dans des posi- ne se sont pas beaucoup ront à se mettre en roue libre,
de procédures
tions de management inter- occupées d’eux jusqu’à présent, partiront dès qu’ils le pour- et d’évaluations
médiaire, risquent égale- à l’inverse des jeunes. Ne ront, ou, comme nous le ver- va à l’encontre
ment de s’exacerber. Ces devraient-elles pas réapprendre rons de plus en plus, se met-
derniers voient déjà d’un à les manager spécifiquement tront en profession libérale. des attentes
mauvais œil le retard gran- pour qu’ils aient envie de des salariés.
dissant de leurs promotions. travailler au-delà de 60 ans ? SYLVIE DELATTRE : Quel type
Ils doivent aussi se battre B. C. : Face à leurs obliga- de management faut-il instaurer réflexes autoritaires ne mar-
avec les plus jeunes qui tions, les entreprises françai- pour gérer cette diversité de chent plus avec personne.
lorgnent sur leurs postes. ses commencent à prendre générations et d’attentes ? L’abus de procédures,
L’emploi est vraiment le en compte les plus de 55 ans, B. C. : Les pratiques managé- d’objectifs et d’évaluations,
nœud gordien des rapports mais leur approche est super- riales doivent être identiques hérités de la culture anglo-
générationnels. ficielle et réductrice. Elles pour tout le monde, en phone, va même tout à fait à
veulent systématiquement tenant compte des valeurs l’encontre des attentes des
A. M. : Pour les seniors, les enfermer dans ces postu- dominantes, celles des Y, et… salariés, toutes générations
les choses ne semblent pas res de transmission de com- de la singularité de chacun. confondues. Il suffit de voir le
pétences, tout en pensant Ce management doit être malaise des salariés illustré
CONTEXTE qu’ils sont largués et qu’ils fondé sur la relation, la par le succès de livres un peu
n’ont plus envie de s’investir. condition sine qua non de racoleurs comme L’open
Confrontées à des écarts générationnels
de plus en plus grands et à de nouvelles
C ’est un peu court. Les l’engagement et de la fidélité space m’a tuer ou Travailler
attentes qualitatives face au travail, seniors, tout sauf has been, de tous. Le souci, c’est que avec des cons pour s’en ren-
les entreprises ont souvent tendance transmettent avec gaîté leurs même si les entreprises ont dre compte.
à apporter des réponses par classe savoirs, mais nombre d’entre pris conscience de l’évolution Je vous promets que si les
d’âge.Elles se focalisent surtout sur eux veulent aussi rester sur le des mentalités – la géné- managers élevaient leurs
les jeunes et les seniors, qui semblent pied de guerre et s’exprimer ration Y est un sujet à la enfants de façon aussi rigide
poser le plus de problèmes : qui dans des missions excitantes mode –, certaines continuent qu’ils dirigent leurs équipes,
d’intégration, qui de maintien dans au côté des plus jeunes. à appliquer les recettes écu- ces derniers arrêteraient
l’emploi. Allant à l’encontre des idées Les fins de carrière des lées du bâton et de la carotte rapidement de leur parler !
reçues, Benjamin Chaminade propose seniors peuvent être très apprises dans les livres de Quelques firmes leaders,
plutôt de gérer tout le monde de
dynamiques, à condition de management. Elles font du comme L’Oréal, Danone ou
la même manière, en tenant compte
ne pas figer leur rôle et de copié/collé managérial, alors le Club Med, sont toutefois
de la culture dominante, celle des Y.
reconnaître pleinement leur que la pression et les vieux sorties de ces schémas pas-
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4. MANAGEMENT INTERGÉNÉRATIONNEL
LES
CONCLUSIONS
DU PANEL
Rémi David
“Je rejoins Benjamin
Chaminade. On oublie trop
souvent que les Y ne sont
pas tous faits sur le même
moule. En outre, les autres
générations partagent de
plus en plus leurs attentes
emblématiques. C’est
pourquoi il faudrait plutôt
parler d’un monde Y que
d’une génération Y.”
Alain Mauriès
séistes. Et je pense que les travaille avec le même mettre la pédale douce sur “En individualisant leurs
choses iront de mieux en enthousiasme.” Un manager leurs attentes. Mais dès que la politiques RH (horaires,
mieux. Je suis optimiste. doit donc avoir de la psycho- situation s’améliorera, ils objectifs, formation…), les
logie et un sens du contact “reviendront à leurs amours” entreprises ont commencé
S. D. : Certes, l’imperméabilité aigu. Il doit aussi prouver des et n’hésiteront pas à quitter
à répondre aux aspirations
entre générations n’est pas compétences professionnelles leur entreprise s’ils ne sont
communes des salariés.
si importante. Pour autant, certaines, car aux yeux des pas satisfaits humainement,
le manager de proximité doit jeunes en particulier, le res- en particulier. Ceux qui tra- Étape suivante : un contrat
faire travailler ensemble toutes pect n’a plus rien d’automa- vaillent sur des bases affec- de travail totalement
les classes d’âge. Quel doit être tique. Enfin, il doit être à tives partiront en bande, avec personnalisé. Mais
son rôle et quelles sont les l’écoute, pédagogue et coura- leurs copains. Ceux qui sont attention à ne pas oublier
qualités requises pour que geux en même temps, afin animés des mêmes valeurs le plaisir de travailler,
le courant passe ? d’expliquer et aussi de modu- dans les autres générations le respect dû à chacun,
B. C. : Aujourd’hui, le mana- ler les règles imposées d’en suivront. Ils seront même l’envie de vivre sans
ger ne peut plus se contenter haut en fonction des contex- plus nombreux qu’on ne le attendre la retraite.”
de commander et de contrô- tes, au lieu de les appliquer croit. Ces nouvelles valeurs
ler. Il doit être avant tout un sans discernement. Oui, il y a sont irréversibles parce Sylvie Delattre
“socialogue”, pas un assistant véritablement un nouveau qu’elles sont liées à notre
social mais un animateur de management à inventer. monde moderne, qui incarne “N’entrons pas dans
réseau au sein de son équipe l’ouverture et le mouvement. le mythe des conflits de
pour que toutes les sensibili- A. M. : Avec la crise actuelle, Il n’y aura donc pas de retour générations. Les entreprises
tés puissent s’exprimer et que les attentes portées par la en arrière. doivent favoriser
les connexions s’établissent génération Y semblent pourtant Pour autant, la génération la diversité en recrutant
harmonieusement autour de perdre de leur acuité. Beaucoup qui suit, les “éco-boomers”, au sein des équipes des
relations authentiques. de portes sont fermées aux curieuse, mature, sensible à
populations différentes en
Il n’y a là rien de nouveau, jeunes, qui ont revu leurs l’écologie et à la famille,
termes d’âge, de profil et
contrairement à ce que vou- exigences à la baisse. Vont-ils apportera elle aussi son lot de
draient nous faire croire se couler dans le moule ? Leurs transformations aux menta- d’expérience. Les managers
nombre de consultants. Dès attentes n’étaient-elles qu’une lités au travail. Aux managers doivent valoriser ces
1924, Mary Parker Follett, parenthèse dans l’histoire ? de savoir en tenir compte. différences. Pour cela, il faut
spécialiste des organisations, B. C. : Avec la crise, les jeunes —Propos recueillis par leur donner les moyens de
écrivait : “Le manager est là diplômés savent bien qu’ils Catherine Beilin-Lévi gérer l’intergénérationnel.”
pour assurer que son équipe doivent faire le dos rond et * Source : www.generationy20.com/488
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