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Le stade de football:
une carte de la ville en réduction
Christian BROMBERGER*
RESUME L'analyse du public des
spectateurs des matches de
football de l'Olympique de Marseille
révèle la recomposition géographique
et sociale de la ville dans les gradins du
stade. Cette situation n'est pas figée,
puisque la dynamique sociale de cha-
cun se traduit par une trajectoire parti-
culière dans les différents espaces des
tribunes. Spectateur de son propre
spectacle, chaque groupe de supporters
va aussi chercher, dans la diversité des
rôles tenus par les joueurs, sa propre
identification.
" DYNAMIQUE SOCIALE
-FOOTBALL
" MARSEILLE
-SPECTACLE
ABSTRACT Analysis of the audience
attending football matches
of the Olympique de Marseille reveals
the geographical and social recomposition
of the city in the stadium tiers. The
situation is not set once for all, since
personal social dynamics results in
specific moves within different spatial
areas round the stands. Part of the
show themselves, each supporting
teams are also in search of their own
identity through the personality and the
role played by professionals.
-FOOTBALL
" MARSEILLE
-SHOW
" SOCIAL DYNAMICS
RESUMEN El análisis del público de
los partidos de fútbol del
Olímpico de Marsella pone de mani-
fiesto la recomposición geográfica y
social de la ciudad en las gradas del es-
tadio. Dicha situación no es estática ya
que la dinámica social de cada especta-
dor se traduce en una trayectoria parti-
cular por los diferentes espacios de las
tribunas. Espectador de su proprio es-
pectáculo, cada grupo de hinchas busca
tambien su propia identificación a tra-
vés de la diversidad de los papeles que
desempeñan los jugadores.
" DINAMICA SOCIAL
" ESPECTACULO
"
FUTBOL"MARSELL A
Contrairement à une idée fortement ancrée, les foules
sportives ne forment pas des masses invertébrées, unani-
mes et anonymes, où les différences de statut entre spec-
tateurs s'annuleraient dans la joie festive d'être ensemble.
Sur les gradins des stades, cloisonnés en espaces hiérar-
chisés (tribunes centrales, quarts-de-virage, virages...), le
public se répartit par affinités d'âge, de quartier, de pro-
fession, voire d'origine ethnique ou régionale. Chaque ca-
tégorie de spectateurs affiche des habitudes (heure et mo-
de d'arrivée au stade: seul, en famille, avec un groupe
d'amis) et des comportements (gestuels, vocaux, vesti-
mentaires) bien spécifiques. Par sa forme en anneau com-
partimenté, où s'inscrivent et se lisent ces différences, le
stade s'offre ainsi comme un des seuls espaces où une so-
ciété urbaine, à l'échelle des temps modernes, peut se
donner une image sensible à la fois de son unité et des
contrastes qui la façonnent. Lieu de spectacle d'une prati-
que sportive, le stade est aussi le lieu du spectacle d'un
spectacle, celui fourni par le public, une occasion excep-
tionnelle d'expression et de théâtralisation des rapports
sociaux. Chaque secteur du stade apparaît comme une
sorte de territoire où s'ancre une conscience d'appartenan-
ce commune; parmi ces secteurs, certains sont plus forte-
ment symbolisés: les virages situés dans l'axe des buts
aux deux extrémités de l'ovale formé par les gradins, où
se regroupent les jeunes supporters les plus ardents; la tri-
bune officielle, dont les places des premiers rangs sont ri-
goureusement réparties entre les détenteurs du pouvoir
politique, sportif, économique.
Les observations, tribune par tribune, et deux enquêtes
systématiques menées auprès du public du Stade Vélodro-
me de Marseille (1) ont fait clairement apparaître ces pro-
cessus de «territorialisation».
Nordistes et sudistes
Un trait frappe d'emblée quand on examine la réparti-
tion des spectateurs: la géographie sociale de la cité se
projette grosso modo sur celle du stade, offrant une carte
vivante et en modèle réduit de la ville. Au nord du stade se
regroupe, en forte proportion, un public issu des quartiers
populaires du nord de la ville (13e, 14e, 15e et 16e arrondis-
sements); la distribution des spectateurs des quartiers
chics et résidentiels du sud de l'agglomération (8e, 9e, et
10e arrondissements), bien que plus diffuse, est particuliè-
rement dense dans le virage sud et dans les tribunes cen-
trales. Ainsi se reproduit dans les gradins le grand partage
entre le nord et le sud, qui façonne la cité (fig. 1 et 2). Une
répartition aussi tranchée ne procède ni de simples méca-
nismes de ségrégation par le prix des places (variant de un
à sept), ni de pures commodités pratiques (venant du nord
de l'agglomération on se dirigerait vers les entrées situées
au nord pour s'épargner quelques mètres de marche!).
S'installer dans telle tribune-releve, sauf exception, d'un
choix délibéré. Tel est particulièrement le cas quand un
jeune supporter va rejoindre «son» virage. Celui du nord
est occupé par une cohorte bruyante, désordonnée et facé-
tieuse, venant des quartiers et banlieues populaires du
nord de la ville: l'Estaque, Saint-Louis, Saint-Antoine,
* Maître de Conférences, Université d'Aix-en-Provence.
Sainte-Marthe. Ce public, où l'on
compte bon nombre de fils d'im-
migrés maghrébins (fig. 3), est
fortement conscient de ce qu'il re-
présente dans le stade et dans la
cité: il expose aux regards une
immense banderole où est inscrit
«NORTH YANKEE ARMY»,
emblème symbolisant une appar-
tenance territoriale mais aussi, de
façon diffuse, idéologique. Pour
un jeune supporter des quartiers
nord, quitter «son virage» n'est
pas un geste anodin mais corres-
pond à un changement dans sa vie
personnelle et sociale; par exem-
ple, fiancé ou marié, il s'installera
dans les quarts-de-virage; devenu
artisan ou commerçant, il fré-
quentera la tribune est, etc. Au
public turbulent du virage nord
s'oppose celui, tout aussi passion-
né mais beaucoup plus organisé,
du virage sud, fief du «Comman-
do Ultra»; ces jeunes supporters
«inconditionnels», aux manifesta-
tions de soutien rigoureusement
programmées, sont installés au
centre des gradins occupés par un
public issu massivement des quar-
tiers sud de la ville. A la bandero-
le «NORTH YANKEE ARMY»,
répond l'hymne sudiste qu'entonnent
les Ultras et qui n'est pas dé-
pourvu non plus de résonances
idéologiques (ne l'en surchar-
geons pas pour autant). Du nord
au sud, le contraste est donc net,
non seulement entre les origines
du public, mais aussi entre les sty-
les de «supportérisme».
Les joueurs, des figures emblé-
matiques des identités sociales
Cette variété du public se lit
encore à travers les préférences
qu'affiche chaque catégorie de
spectateurs pour tel ou tel type de
joueur. On sait (2) que le football,
comme d'autres sports d'équipe,
se caractérise par la mise en oeuvre
concomitante de schèmes,
corporels et intellectuels, que
d'autres disciplines valorisent iso-
lément: la force du stoppeur (qui
sait «se faire respecter»), l'endu-
rance des milieux de terrain
1. Les spectateurs originaires des quartiers nord
Pourtoutes les cartes, l'intensité des symobles traduit le gradient d'intensité du phénomène.
2. Les spectateurs originaires des quartiers sud
(«poumons de l'équipe»), la fines-
se (les ailiers «dribblant dans un
mouchoir de poche»), le sens tac-
tique et de l'organisation (la fa-
meuse «vision périphérique du
jeu»), etc. Chaque catégorie de
spectateurs peut ainsi trouver sur
le terrain de football matière à re-
connaître des qualités («socio-
sportives») propres à l'univers
culturel dont il participe. Les en-
quêtes systématiques comme les
entretiens ont fait ressortir, au-
delà de préférences communes
pour des vedettes incontestées, de
sensibles variations dans les pal-
marès établis par les divers types
de public. Considérons, à titre
d'exemple, les différences de po-
pularité, d'une catégorie de specta-
teurs à l'autre, de trois joueurs re-
nommés de l'Olympique de Mar-
seille. En 1985-86, Jacky Bon-
nevay est capitaine de l'équipe:
c'est le joueur le plus réputé pour
sa sobriété, son sérieux et son
sens tactique; il est, de façon si-
gnificative, plus prisé par les pa-
trons de l'industrie et du commer-
ce, les artisans, les cadres supé-
rieurs et moyens que par les ou-
vriers et les petits employés. Ce
«petit patron» sur le terrain réali-
se son meilleur score dans la tri-
bune est du stade (fig. 4), qui re-
groupe surtout un public d'arti-
sans et de cadres moyens. N'exhibe-t-il
pas des qualités similaires
à celles que prisent, dans leur uni-
vers professionnel, les spectateurs
de cette tribune? Ces différences
dans les goûts et les identifications
apparaissent encore plus
nettement quand on compare les
cotes de popularité des deux ve-
dettes de l'O.M. en 1987, Joseph-
Antoine Bell et Alain Giresse. Le
premier est le goal camerounais,
fantasque, virtuose, facétieux,
mettant en oeuvre un style que l'on
apprécie traditionnellement à
Marseille: le panache et l'efficaci-
té spectaculaire. Vedette étrangè-
re, comme tant d'autres gloires de
l'O.M., il symbolise le cosmopoli-
tisme idéal d'une cité modelée par
de puissants mouvements migra-
toires. Bell jouit d'une aura maximum dans les virages (fig. 5) où s'entasse un
public jeune et populaire, amateur d'exploits fantasques, et singulièrement dans
le secteur nord, où se regroupent, on l'a dit, des spectateurs résidant dans le
nord de l'agglomération, dont beaucoup sont des fils d'immigrés. De façon
symptomatique, lors du dernier match de Bell sous les couleurs de l'O.M., à la
fin de la saison 87-88, une banderole portant «Joseph reste avec nous» était
brandie par les supporters du virage nord. La carte de popularité d'Alain
Giresse est, pour ainsi dire, le négatif de celle de Joseph-Antoine Bell. Giresse
est avant tout un organisateur, doué d'un extraordinaire sens tactique, plutôt
qu'un amateur d'exploits fantasques et virevoltants. Il jouit d'une cote de popu-
larité maximale dans les tribunes centrales (fig. 6), où se regroupe un public
plus âgé que dans le virage et composé, en majorité, de cadres supérieurs,
commerçants, artisans, patrons de l'industrie, membres des professions libé-
rales. De façon significative, c'est dans le virage nord, bruyant et désordonné,
qu'Alain Giresse réalise son plus faible score.
Ainsi, les préférences pour tel ou tel joueur se modulent-elles en fonction
de l'appartenance sociale, du style de vie et de comportement des différentes
catégories de spectateurs. Vus sous cet aspect, les joueurs, dans leur diversité,
apparaissent comme des figures emblématiques des identités sociales. Nuan-
çons cependant notre propos: d'une part, ce sont les vedettes au type de jeu
bien tranché qui suscitent des réactions aussi contrastées; d'autre part, les mé-
canismes identificatoires ne suivent pas toujours le chemin de l'homologie.
Certains spectateurs affichent des préférences pour des joueurs qui, loin de
cristalliser l'idéal socio-sportif de leur moi, paraissent plutôt comme des figu-
res inversées de ce qu'ils sont dans le quotidien.
La présence au stade: un baromètre de l'intégration dans la cité?
Un examen de la ventilation du public par origine nationale ou régionale
(lieu de naissance des spectateurs et de leurs parents) fait apparaître une pré-
sence massive de descendants d'immigrés italiens, de pieds-noirs et de fils de
pieds-noirs, qui se sont fortement identifiés à la ville où ils se sont établis. Fils
d'immigrés italiens, et pieds-noirs participent très largement aux activités des
clubs de supporters, et certains d'entre eux y exercent des responsabilités de
3. Les spectateurs d'origine maghrébine
dirigeants. La population maghrébine, surtout celle d'âge
mûr, apparaît, en revanche, sous-représentée dans le
stade et ne participe pas, ou très peu, aux activités asso-
ciatives, indice de sa faible insertion institutionnelle.
Cependant cette situation, frappante quand nous avons
commencé l'enquête en 1985, semble se transformer pro-
gressivement; si les pères fréquentent en effet peu le
stade, leurs fils forment une forte minorité du public du
virage nord (fig. 3); cette présence, très localisée, se dif-
fuse vers la tribune est, où se regroupe un public plus
âgé. Ainsi se dessine une trajectoire dont nous avons pu
vérifier la fréquence relative pour d'autres catégories de
population: du virage nord vers la tribune est, au rythme
des âges de la vie, le virage sud «menant» plus générale-
ment vers la tribune ouest, plus prestigieuse. La présence
de jeunes d'origine maghrébine dans le virage nord, de
leurs «frères» aînés dans la tribune est, peut-être, inter-
prétée comme l'indice d'un rite d'intégration dans la cité,
que n'avaient pas accompli les générations antérieures.
Au total, le stade apparaît comme un observatoire pri-
vilégié d'une société urbaine, dans sa moitié masculine
au moins (85% des spectateurs sont des hommes). S'y
théâtralisent les rapports sociaux et vicinaux, selon des
mécanismes dont sont largement conscients les specta-
teurs. Des «cartes mentales» du stade accentueraient les
contrastes repérés par l'enquête, que les usagers perçoi-
vent de façon plus marquée encore. S'y expriment tout à
la fois un consensus autour de l'équipe qui symbolise la
ville et des différences dans les styles de supportérisme,
dans l'engouement relatif pour telle ou telle catégorie de
joueurs. Un tel site, miroir d'identités, centrale d'intégra-
tion -et non de fusion- dans la ville, mérite, à coup
sûr, le détour, y compris pour le cartographe.
(1) La première a été menée le 15 décembre 1985 à l'occasion du match
Olympique de Marseille - Paris Saint-Germain, alors leader du champion-
nat; la seconde le 22 mai 1987 lors du match O.M.- R.C. Lens. On trouve-
ra un bilan détaillé de la première enquête dans BROMBERGER C.,
HAYOT A., MARIOTTINI J.M., 1987, «Allez l'O.M.! Forza Juve! La
passion pour le football à Marseille et à Turin», Terrain, n° 8, pp. 8-41.
Voir aussi: BROMBERGER C., «Les dieux de l'Ohème», Autrement,
numéro spécial sur Marseille (Sous presse).
La recherche que nous conduisons, avec A. Hayot et J.M. Mariottini, sur
l'engouement pour les clubs et les matchs de football à Marseille, Turin
et Naples est soutenue par la Mission du Patrimoine Ethnologique
(Ministère de la Culture) et par I'URA 648 (Ethnologie des Pays de la
Méditerranée nord-occidentale) du CNRS.
(2) Voir sur ce point: BROMBERGER C., HAYOT A., MARIOTTINI
J.M., op. cit., pp. 14-20; et POCIELLO C., 1982, «La force, l'énergie, la
grâce et les réflexes. Le jeu complexe des dispositions culturelles et
sportives», Sports et sociétés: approche socio-culturelle des pratiques,
Paris, Vigot, pp. 171-238.
4. Où apprécie-t-on Bonnevay?
5. Où apprécie-t-on Bell?
6. Où apprécie-t-on Giresse?

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  • 1. Le stade de football: une carte de la ville en réduction Christian BROMBERGER* RESUME L'analyse du public des spectateurs des matches de football de l'Olympique de Marseille révèle la recomposition géographique et sociale de la ville dans les gradins du stade. Cette situation n'est pas figée, puisque la dynamique sociale de cha- cun se traduit par une trajectoire parti- culière dans les différents espaces des tribunes. Spectateur de son propre spectacle, chaque groupe de supporters va aussi chercher, dans la diversité des rôles tenus par les joueurs, sa propre identification. " DYNAMIQUE SOCIALE -FOOTBALL " MARSEILLE -SPECTACLE ABSTRACT Analysis of the audience attending football matches of the Olympique de Marseille reveals the geographical and social recomposition of the city in the stadium tiers. The situation is not set once for all, since personal social dynamics results in specific moves within different spatial areas round the stands. Part of the show themselves, each supporting teams are also in search of their own identity through the personality and the role played by professionals. -FOOTBALL " MARSEILLE -SHOW " SOCIAL DYNAMICS RESUMEN El análisis del público de los partidos de fútbol del Olímpico de Marsella pone de mani- fiesto la recomposición geográfica y social de la ciudad en las gradas del es- tadio. Dicha situación no es estática ya que la dinámica social de cada especta- dor se traduce en una trayectoria parti- cular por los diferentes espacios de las tribunas. Espectador de su proprio es- pectáculo, cada grupo de hinchas busca tambien su propia identificación a tra- vés de la diversidad de los papeles que desempeñan los jugadores. " DINAMICA SOCIAL " ESPECTACULO " FUTBOL"MARSELL A Contrairement à une idée fortement ancrée, les foules sportives ne forment pas des masses invertébrées, unani- mes et anonymes, où les différences de statut entre spec- tateurs s'annuleraient dans la joie festive d'être ensemble. Sur les gradins des stades, cloisonnés en espaces hiérar- chisés (tribunes centrales, quarts-de-virage, virages...), le public se répartit par affinités d'âge, de quartier, de pro- fession, voire d'origine ethnique ou régionale. Chaque ca- tégorie de spectateurs affiche des habitudes (heure et mo- de d'arrivée au stade: seul, en famille, avec un groupe d'amis) et des comportements (gestuels, vocaux, vesti- mentaires) bien spécifiques. Par sa forme en anneau com- partimenté, où s'inscrivent et se lisent ces différences, le stade s'offre ainsi comme un des seuls espaces où une so- ciété urbaine, à l'échelle des temps modernes, peut se donner une image sensible à la fois de son unité et des contrastes qui la façonnent. Lieu de spectacle d'une prati- que sportive, le stade est aussi le lieu du spectacle d'un spectacle, celui fourni par le public, une occasion excep- tionnelle d'expression et de théâtralisation des rapports sociaux. Chaque secteur du stade apparaît comme une sorte de territoire où s'ancre une conscience d'appartenan- ce commune; parmi ces secteurs, certains sont plus forte- ment symbolisés: les virages situés dans l'axe des buts aux deux extrémités de l'ovale formé par les gradins, où se regroupent les jeunes supporters les plus ardents; la tri- bune officielle, dont les places des premiers rangs sont ri- goureusement réparties entre les détenteurs du pouvoir politique, sportif, économique. Les observations, tribune par tribune, et deux enquêtes systématiques menées auprès du public du Stade Vélodro- me de Marseille (1) ont fait clairement apparaître ces pro- cessus de «territorialisation». Nordistes et sudistes Un trait frappe d'emblée quand on examine la réparti- tion des spectateurs: la géographie sociale de la cité se projette grosso modo sur celle du stade, offrant une carte vivante et en modèle réduit de la ville. Au nord du stade se regroupe, en forte proportion, un public issu des quartiers populaires du nord de la ville (13e, 14e, 15e et 16e arrondis- sements); la distribution des spectateurs des quartiers chics et résidentiels du sud de l'agglomération (8e, 9e, et 10e arrondissements), bien que plus diffuse, est particuliè- rement dense dans le virage sud et dans les tribunes cen- trales. Ainsi se reproduit dans les gradins le grand partage entre le nord et le sud, qui façonne la cité (fig. 1 et 2). Une répartition aussi tranchée ne procède ni de simples méca- nismes de ségrégation par le prix des places (variant de un à sept), ni de pures commodités pratiques (venant du nord de l'agglomération on se dirigerait vers les entrées situées au nord pour s'épargner quelques mètres de marche!). S'installer dans telle tribune-releve, sauf exception, d'un choix délibéré. Tel est particulièrement le cas quand un jeune supporter va rejoindre «son» virage. Celui du nord est occupé par une cohorte bruyante, désordonnée et facé- tieuse, venant des quartiers et banlieues populaires du nord de la ville: l'Estaque, Saint-Louis, Saint-Antoine, * Maître de Conférences, Université d'Aix-en-Provence.
  • 2. Sainte-Marthe. Ce public, où l'on compte bon nombre de fils d'im- migrés maghrébins (fig. 3), est fortement conscient de ce qu'il re- présente dans le stade et dans la cité: il expose aux regards une immense banderole où est inscrit «NORTH YANKEE ARMY», emblème symbolisant une appar- tenance territoriale mais aussi, de façon diffuse, idéologique. Pour un jeune supporter des quartiers nord, quitter «son virage» n'est pas un geste anodin mais corres- pond à un changement dans sa vie personnelle et sociale; par exem- ple, fiancé ou marié, il s'installera dans les quarts-de-virage; devenu artisan ou commerçant, il fré- quentera la tribune est, etc. Au public turbulent du virage nord s'oppose celui, tout aussi passion- né mais beaucoup plus organisé, du virage sud, fief du «Comman- do Ultra»; ces jeunes supporters «inconditionnels», aux manifesta- tions de soutien rigoureusement programmées, sont installés au centre des gradins occupés par un public issu massivement des quar- tiers sud de la ville. A la bandero- le «NORTH YANKEE ARMY», répond l'hymne sudiste qu'entonnent les Ultras et qui n'est pas dé- pourvu non plus de résonances idéologiques (ne l'en surchar- geons pas pour autant). Du nord au sud, le contraste est donc net, non seulement entre les origines du public, mais aussi entre les sty- les de «supportérisme». Les joueurs, des figures emblé- matiques des identités sociales Cette variété du public se lit encore à travers les préférences qu'affiche chaque catégorie de spectateurs pour tel ou tel type de joueur. On sait (2) que le football, comme d'autres sports d'équipe, se caractérise par la mise en oeuvre concomitante de schèmes, corporels et intellectuels, que d'autres disciplines valorisent iso- lément: la force du stoppeur (qui sait «se faire respecter»), l'endu- rance des milieux de terrain 1. Les spectateurs originaires des quartiers nord Pourtoutes les cartes, l'intensité des symobles traduit le gradient d'intensité du phénomène. 2. Les spectateurs originaires des quartiers sud
  • 3. («poumons de l'équipe»), la fines- se (les ailiers «dribblant dans un mouchoir de poche»), le sens tac- tique et de l'organisation (la fa- meuse «vision périphérique du jeu»), etc. Chaque catégorie de spectateurs peut ainsi trouver sur le terrain de football matière à re- connaître des qualités («socio- sportives») propres à l'univers culturel dont il participe. Les en- quêtes systématiques comme les entretiens ont fait ressortir, au- delà de préférences communes pour des vedettes incontestées, de sensibles variations dans les pal- marès établis par les divers types de public. Considérons, à titre d'exemple, les différences de po- pularité, d'une catégorie de specta- teurs à l'autre, de trois joueurs re- nommés de l'Olympique de Mar- seille. En 1985-86, Jacky Bon- nevay est capitaine de l'équipe: c'est le joueur le plus réputé pour sa sobriété, son sérieux et son sens tactique; il est, de façon si- gnificative, plus prisé par les pa- trons de l'industrie et du commer- ce, les artisans, les cadres supé- rieurs et moyens que par les ou- vriers et les petits employés. Ce «petit patron» sur le terrain réali- se son meilleur score dans la tri- bune est du stade (fig. 4), qui re- groupe surtout un public d'arti- sans et de cadres moyens. N'exhibe-t-il pas des qualités similaires à celles que prisent, dans leur uni- vers professionnel, les spectateurs de cette tribune? Ces différences dans les goûts et les identifications apparaissent encore plus nettement quand on compare les cotes de popularité des deux ve- dettes de l'O.M. en 1987, Joseph- Antoine Bell et Alain Giresse. Le premier est le goal camerounais, fantasque, virtuose, facétieux, mettant en oeuvre un style que l'on apprécie traditionnellement à Marseille: le panache et l'efficaci- té spectaculaire. Vedette étrangè- re, comme tant d'autres gloires de l'O.M., il symbolise le cosmopoli- tisme idéal d'une cité modelée par de puissants mouvements migra- toires. Bell jouit d'une aura maximum dans les virages (fig. 5) où s'entasse un public jeune et populaire, amateur d'exploits fantasques, et singulièrement dans le secteur nord, où se regroupent, on l'a dit, des spectateurs résidant dans le nord de l'agglomération, dont beaucoup sont des fils d'immigrés. De façon symptomatique, lors du dernier match de Bell sous les couleurs de l'O.M., à la fin de la saison 87-88, une banderole portant «Joseph reste avec nous» était brandie par les supporters du virage nord. La carte de popularité d'Alain Giresse est, pour ainsi dire, le négatif de celle de Joseph-Antoine Bell. Giresse est avant tout un organisateur, doué d'un extraordinaire sens tactique, plutôt qu'un amateur d'exploits fantasques et virevoltants. Il jouit d'une cote de popu- larité maximale dans les tribunes centrales (fig. 6), où se regroupe un public plus âgé que dans le virage et composé, en majorité, de cadres supérieurs, commerçants, artisans, patrons de l'industrie, membres des professions libé- rales. De façon significative, c'est dans le virage nord, bruyant et désordonné, qu'Alain Giresse réalise son plus faible score. Ainsi, les préférences pour tel ou tel joueur se modulent-elles en fonction de l'appartenance sociale, du style de vie et de comportement des différentes catégories de spectateurs. Vus sous cet aspect, les joueurs, dans leur diversité, apparaissent comme des figures emblématiques des identités sociales. Nuan- çons cependant notre propos: d'une part, ce sont les vedettes au type de jeu bien tranché qui suscitent des réactions aussi contrastées; d'autre part, les mé- canismes identificatoires ne suivent pas toujours le chemin de l'homologie. Certains spectateurs affichent des préférences pour des joueurs qui, loin de cristalliser l'idéal socio-sportif de leur moi, paraissent plutôt comme des figu- res inversées de ce qu'ils sont dans le quotidien. La présence au stade: un baromètre de l'intégration dans la cité? Un examen de la ventilation du public par origine nationale ou régionale (lieu de naissance des spectateurs et de leurs parents) fait apparaître une pré- sence massive de descendants d'immigrés italiens, de pieds-noirs et de fils de pieds-noirs, qui se sont fortement identifiés à la ville où ils se sont établis. Fils d'immigrés italiens, et pieds-noirs participent très largement aux activités des clubs de supporters, et certains d'entre eux y exercent des responsabilités de 3. Les spectateurs d'origine maghrébine
  • 4. dirigeants. La population maghrébine, surtout celle d'âge mûr, apparaît, en revanche, sous-représentée dans le stade et ne participe pas, ou très peu, aux activités asso- ciatives, indice de sa faible insertion institutionnelle. Cependant cette situation, frappante quand nous avons commencé l'enquête en 1985, semble se transformer pro- gressivement; si les pères fréquentent en effet peu le stade, leurs fils forment une forte minorité du public du virage nord (fig. 3); cette présence, très localisée, se dif- fuse vers la tribune est, où se regroupe un public plus âgé. Ainsi se dessine une trajectoire dont nous avons pu vérifier la fréquence relative pour d'autres catégories de population: du virage nord vers la tribune est, au rythme des âges de la vie, le virage sud «menant» plus générale- ment vers la tribune ouest, plus prestigieuse. La présence de jeunes d'origine maghrébine dans le virage nord, de leurs «frères» aînés dans la tribune est, peut-être, inter- prétée comme l'indice d'un rite d'intégration dans la cité, que n'avaient pas accompli les générations antérieures. Au total, le stade apparaît comme un observatoire pri- vilégié d'une société urbaine, dans sa moitié masculine au moins (85% des spectateurs sont des hommes). S'y théâtralisent les rapports sociaux et vicinaux, selon des mécanismes dont sont largement conscients les specta- teurs. Des «cartes mentales» du stade accentueraient les contrastes repérés par l'enquête, que les usagers perçoi- vent de façon plus marquée encore. S'y expriment tout à la fois un consensus autour de l'équipe qui symbolise la ville et des différences dans les styles de supportérisme, dans l'engouement relatif pour telle ou telle catégorie de joueurs. Un tel site, miroir d'identités, centrale d'intégra- tion -et non de fusion- dans la ville, mérite, à coup sûr, le détour, y compris pour le cartographe. (1) La première a été menée le 15 décembre 1985 à l'occasion du match Olympique de Marseille - Paris Saint-Germain, alors leader du champion- nat; la seconde le 22 mai 1987 lors du match O.M.- R.C. Lens. On trouve- ra un bilan détaillé de la première enquête dans BROMBERGER C., HAYOT A., MARIOTTINI J.M., 1987, «Allez l'O.M.! Forza Juve! La passion pour le football à Marseille et à Turin», Terrain, n° 8, pp. 8-41. Voir aussi: BROMBERGER C., «Les dieux de l'Ohème», Autrement, numéro spécial sur Marseille (Sous presse). La recherche que nous conduisons, avec A. Hayot et J.M. Mariottini, sur l'engouement pour les clubs et les matchs de football à Marseille, Turin et Naples est soutenue par la Mission du Patrimoine Ethnologique (Ministère de la Culture) et par I'URA 648 (Ethnologie des Pays de la Méditerranée nord-occidentale) du CNRS. (2) Voir sur ce point: BROMBERGER C., HAYOT A., MARIOTTINI J.M., op. cit., pp. 14-20; et POCIELLO C., 1982, «La force, l'énergie, la grâce et les réflexes. Le jeu complexe des dispositions culturelles et sportives», Sports et sociétés: approche socio-culturelle des pratiques, Paris, Vigot, pp. 171-238. 4. Où apprécie-t-on Bonnevay? 5. Où apprécie-t-on Bell? 6. Où apprécie-t-on Giresse?