Slides de l'intervention d'Antonio A. CASILLI (Telecom ParisTech/EHESS) au séminaire EPIN - COSTECH, UTC - Université de Technologie de Compiègne, 18 avril 2013. Pour citer cette présentation v. l'adresse : http://www.bodyspacesociety.eu/2013/04/19/slide-biblio-trolling-et-conflictualite-sociale-a-lheure-du-digital-labor/
1. TROLL!
(What is it good for?)
Antonio A. Casilli
UTC - Université de Technologie de Compiègne
Séminaire EPIN - COSTECH
18 avril 2013
2.
3. « Il ne suffit pas d’informer pour communiquer. Au bout des
réseaux et des systèmes d’information se révèle la complexité des
hommes et des cultures. La découverte de l’incommunication à
grande échelle, avec ses malentendus et ses échecs surprend, là
où il ne devait y avoir que fluidité et circulation. »
Dominique Wolton (2007) Racines oubliées des sciences de la
communication, Hermès n° 48.
4. Vision irénique des réseaux
sociaux (amitié, amour, partage)
ou…
..les dangers omniprésents de la
vie connectée (invasions de la vie
privée, info overload,
cyberharcèlement, stalking,
phishing, etc.)
Le fantasme de la
communication harmonieuse vs.
le spectre de la conflictualité au
niveau micro et macro
5. Derrière les deux visions, la même
notion : internet comme
« frontière »
Lieu de liberté = lieu de déviance ?
Une structure socio-technique qui
encourage les comportements
hors-norme ?
Rhétorique héroïques dès origines
sur « cowboys du
claviers », « hackers », « pirates »,
etc.
Miroir des délits et des infractions
connus dans le monde hors ligne ?
6. Echos de l’Ecole de Chicago
Gangs, migrants, désorganisation
des communautés…
Conditions réunies pour la
création d’un contexte
criminogène :
Rencontre de population
diverses, et « anonymes »
Tolérance à l’égard des
infraction aux lois
Haute fréquence d’actes
déviants + difficulté de leur
traçabilité
7. Exemple des trolls, usagers qui
bombardent sites et forums de
commentaires désobligeants et
outrageux
« Perversion », « narcissisme », «
désinhibition » : notions issues de
la psychologie
clinique, dissimulent les facteurs
sociaux sous-jacents
Le trolling en tant que processus
social : comportement
itératif, disruptif et contextuel
9. Troll« pur » : celui qui pourrit de
commentaires désobligeants et
mal adaptés au contexte
d’interaction
Nature est éminemment
contextuelle
Mauvaise évaluation du contexte :
risque de déviance individuelle
Engage une réaction directe de la
part des autres membres de la
communauté qui se retrouvent
investis de la fonction
d’applicateurs de la norme sociale
10. Troll « hybride » : combine son
activité de troll avec des
« habiletés » d’autre type
(hacking, faking, manipulation, coll
ecte information…)
Ex. Mr. Bundle (A Rape in
Cyberspace, 1993)
Joan, « la thérapeute en fauteuil
roulant » (The Strange Case of the
Electronic Lover, 1985).
11. Troll « réciproque ou
involontaire » : plusieurs individus
sont réciproquement convaincus
que « les trolls c’est les autres ».
Echo de la théorie du labeling
Personne ne trolle à proprement
parler – et pourtant « ça trolle »
Propriété émergente du système
social
12. Le troll « revendicatif » : un
usager mécontent d’un produit ou
d’un service, qui manifeste sa
frustration en bombardant de
messages décalées ou agressifs le
site Web, la page Facebook d’une
entreprise.
Les trolls des marques, des
célébrités, des hommes
politiques…
Le côté obscur du Cluetrain
Manifesto (si « les marchés sont
devenus des conversations », le
troll pourrit le marché…)
14. Archétypes culturels ?
La figure du trickster (« fripon »)
dans certaines traditions
religieuses :
Hermès, Exu, Coyote, Loki…
Être semi-divin qui joue des tours
aux hommes et change la donne
socio-culturelle
Réaffirme la possibilité du
malentendu dans la
communication
Mise à l’épreuve du lien social
15. L’argument anthropologique : un
manque de « civilisation » ?
« Faire en sorte que les
consommateurs, les créateurs et
les centaines de milliers de
salariés des industries culturelles
puissent tirer parti des fabuleuses
opportunités, culturelles aussi
bien qu'économiques, d'un
Internet plus 'civilisé’ »
De Sarkozy à Norbert Elias…
17. L’explication structurale : se
positionner dans un contexte social
?
Troller provoque des changements
dans le positionnements des
individus dans les réseaux sociaux
Troller pour contrer des
hierarchies, ou au contraire pour
monter dans la hierarchie
Troller pour renforcer l’homophilie
ou bien pour exploser les
« chambres d’écho » en créant du
capital social de type bridging ?
18. Réponse normative au trolling
différenciée selon le capital social
et la réputation des individus
Individus moins centraux : une
sanction plus forte
Membres qui ont un capital social
mieux aménagé : moins répressifs
Les « vieux », gardiens des valeurs
de la communauté ?
Lien social pas déchiré, mais liens
sociaux s’effilochent
Qui a moins de liens, mis en
danger par l’acte déviant
19. La question des liens faibles
Loyautés, valeurs
communes, proximité
émotionnelle pas toujours
essentielles pour permettre la
« force des liens faibles »
L’une de ses facettes de la
sociabilité d’Internet est justement
le fait d’être confronté à des
contenus, postures ou réactions
inhabituels.
Les « parfaits inconnus » du Web
sont souvent loin d’être parfaits…
20. Troll : une
catégorie relationnelle
« Pour tout individu X, il existe au
moins un autre individu Y tels que
X soit en position de trollage par
rapport à Y en ce qui concerne un
domaine ou une question
spécifique ».
Les controverses sur Wikipédia
22. Le conflit épistémique autour de la
page « Precarity » en 2009
Facteur déontologie (suivre les
procédures)
Facteur capital social (qui peut
mobiliser davantage d’éditeurs)
Facteur consensus (comment
l’atteindre)
Le trolling est une manière de
pallier à un manque possible de
ces trois facteurs
23. Aller-retour incessant entre une
opinion exposée par un locuteur et
une contre-opinion souvent
complètement décalée, portée par
celle ou celui qui occupe la place
du troll (ou de vandale)
« Alors que les crispations ou escalades dans la
polémique ne parviennent que difficilement à
se “reverser” dans une confrontation
raisonnée d’arguments, il semble que le
mécanisme adopté par Wikipédia soit de
tenter d’imputer à une “faute”
personnelle, commise par un fauteur de
trouble ou un persécuteur, la responsabilité du Nicolas Auray, Martine Hurault-Plantet & Céline Poudat (2009)
dérapage. » La négociation des points de vue : une cartographie sociale des
controverses dans Wikipédia francophone. Réseaux, 27 (1) : 15-
50.
24. Qui sont les vandales ?
Base de données 2010 des pages
les plus “reversées” (où les
changements ont été révoqués).
Ratio de réversion est un
indicateur fiable du taux de
vandalisme
1986-1992 années les plus
“reversées”
Indication de l’âge des vandales
25. Qui sont les vandales ?
Portrait-robot : nés à partir de
1992, bien solides références
culturelles américaines, assez geek
sur les bords, ils fréquentent les
sections de l’encyclopédie dédiées
aux sciences et aux
mathématiques plutôt que celles
des sciences humaines, ils
bataillent sur des listes de sujets
tels les dessins animés, les jeux
vidéo, les nombres premiers…
26. Les vandales selon Klossowski :
déviants anti-hégémonique ?
Pas anti-hégémoniques au sens
gramscien (hégémonie culturelle et
commerciale pas menacée)
Mais exposent les limites de la
participation en ligne
Sur le Web certains sont plus
autorisés à parler que d’autres
L’expert de médias sociaux vs. le
« trollétariat » sans voix
27. Précarisation de la « classe
créative » (Florida), de la « virtual
class » (Kroker), des « sublimes »
(Aguiton & Cardon)
Production d’une cognitive
surplus de masse : voilà ce qui est
mis à profit dans le capitalisme
cognitif
« Cognitariat » (Toffler, 1983)
« Pronetariat » (De Rosnay, 2006)
28. Florilège de titres de blogs (2012)
“Facebook is Not a Factory (But
Still Exploits its
Users) (Cyborgology)
“Is Facebook “Using” Its
Members?” (Blog ASA)
“Is Facebook Exploiting
Workers?” (Unionbook blog)
29. Sur les résaux
socionumériques, activités qui
peuvent s’assimiler au travail
parce que productrices de valeur
La locution “travail numérique”
ne restitue pas le sens du labor
en tant que rapport social et
champ de conflictualités
Quel travail ?
Quelle valeur ?
Quels conflits ?
30. « Cultures trolls » comme
dispositif politique pour
critiquer/contourner l’exploitation
du digital labor (Nick Dyer-
Witheford, 2010) ?
Nouveaux mouvements
accompagnés par instances de
collectivisation de données
Anonymous, Lulzsec, Leaks:
presque des formes de
syndacalisme en réseau (social
network unionism) ?
31. Trollsne s’inscrivent pas dans les
logiques démocratiques
Au contraire ils menacent de
court-circuiter leur forme idéale
Trolls anonymes, intolérants et
aux propos décalés témoigne du
fait que l’espace public
habermasien (espace gouverné
par la force intégratrice du
langage contextualisé de la
tolérance et de l’apparence
crédible) est un concept
fantasmatique
33. Références
•Nicolas Auray, Martine Hurault-Plantet & Céline Poudat (2009) La négociation des points de vue : une cartographie sociale des
controverses dans Wikipédia francophone. Réseaux, 27 (1) : 15-50.
• Franco Berardi (Bifo) (2010) « Cognitarian Subjectivation »e-flux http://www.e-flux.com/journal/cognitarian-subjectivation/
•Zachary Birchmeier, Adam N. Joinson, Beth Dietz-Uhler, « Storming and Forming a Normative Response to a Deception Revealed
Online », Social Science Computer Review, vol. 23, n° 3, 2002, p. 108-121.
•Antonio A. Casilli (2010) « Que va-t-on faire du troll ? », in Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ?, Paris, Ed. du
Seuil.
•Antonio A. Casilli (2012) Pour une sociologie du #troll, Bodyspacesociety, 24 mars.
•Antonio A. Casilli (2012) Les trolls, ou le mythe de l’espace public, OWNI, 26 juin.
•Antonio A. Casilli (2012) Wiki prof de raison, OWNI, 29 oct.
•Antonio A. Casilli (2012) Wikipédia (toujours) prof de raison, OWNI, 5 nov.
•Antonio A. Casilli (2013) Twitter: s'il vous plaît Votre Sainteté, nourrissez le #troll, The Huffingtonpost, 06 février.
•Antonio A. Casilli (2013) Habemus trollum: why the new Pope’s Twitter account ‘mirrors’ its detractors, Bodyspacesociety, 14
mars
•Gabriella Coleman (2012) Phreaks, Hackers, and Trolls and the Politics of Transgression and Spectacle, The Social Media
Reader, ed. Michael Mandiberg. New York: NYU Press.
•Nick Dyer-Witheford (2010) Digital Labour, Species Being and the Global Worker. Ephemera 10 (3/4): 484-503.
•Ronda D. Evans (2001) Examining the Informal Sanctioning of Deviance in a Chat Room Culture, Deviant Behavior: An
Interdisciplinary Journal, vol. 22, n° 3, p. 195-210.
•Martin Grandjean (2012) Débattre sur Twitter 7 éléments de comportement, Pegasus Data Project, , 31 mai.
:
•Lewis Hyde (2008) Trickster Makes This World: Mischief, Myth, and Art, Farrar, Straus and Giroux.
•Trebor Scholz (2012) « Digital Labor: Introduction », in Id. Digital Labor: The Internet as Playground and Factory, New
York, Routledge.
•Dominique Wolton (2007) Racines oubliées des sciences de la communication, Hermès n° 48.