1. I PAPT1E
CHAPITITK. XXT
C H A P I T R E XXI
SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE, DURANT LA PREMIKRE
MOITIÉ DU DIX-HUITIÈME SIECLE. — AFFAIRE DE LA LEGENDE
DE SAINT GRÉGOIRE VII.
Nous plaçons ici un épisode liturgique du plus haut L'affaire de la
leg e de
intérêt p o u r l'histoire que nous écrivons. L'affaire de la sain t
légende de saint Grégoire V I I est tout aussi ignorée au- c x ? ^ ^ ^ ^ ^
jourd'hui que la plupart des faits qu'on a lus dans les ^esTunTit
précédents chapitres, et nous ne donnerions au lecteur / u ^ x v m ^ s i e c i e
qu'une connaissance imparfaite du siècle que nous avons à
faire connaître sous le r a p p o r t liturgique, si nous passions
sous silence un fait d'une si haute portée. Cet épisode
étant d'une dimension considérable, nous l'avons entiè-
rement détaché du récit principal, qu'il eût entravé d'une
manière gênante ; nous ne doutons pas cependant que la
grande scène que nous allons dérouler n'intéresse ceux
qui auront eu le courage de nous suivre jusqu'ici.
U n des noms les plus glorieux de l'histoire est sans Saint f
contredit aujourd'hui le n o m du grand pontife saint Gré- un^dès^pius'
goire V I L U n e justice tardive, mais éclatante, a été ren* ^ e t ^ e s ^ p U i s 6 5
d S S
due à ce héros de l'Église et de l'humanité, et l'on peut %™ î nom e
c s rè
même dire que sa gloire croît encore tous les jours. P o u r 5
1 T
01t
J}??& ï
" ' dans I histoire,
aider à mettre dans toute son évidence ce phénomène pro- wç™} enfin de
1 A
nos jours une
videntiel, nous avons voulu, dans le présent chapitre, justice
r
r , . ' éclatante.
raconter une faible partie des outrages que ce grand
h o m m e , que cet admirable saint a essuyés, non de la part
des protestants et des philosophes du dernier siècle (ceci
serait moins instructif), mais de la part de plusieurs qui,
2. 3g6 S U I T E DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE
INSTITUTIONS prétendant appartenir toujours à l'Église romaine, n'ont
1
LITURGIQUES * * ' °
pas craint de récuser, comme intéressé, l'auguste jugement
par lequel elle inscrivait au rang des saints et proposait à
la vénération universelle, ce pontife véritablement apos-
tolique. Il est bon que certains faits caractéristiques d'une
époque, et propres à montrer en action certains principes,
soient impartialement enregistrés et publiés, dans la
crainte que ces mêmes faits, venant à se perdre, les leçons
importantes qu'on en peut tirer ne soient en même temps
perdues. Que si quelque défaveur devait, de nos jours
encore, poursuivre celui qui ose plaider unc pareille
cause, nous l'acceptons d'office, tout indigne que nous
cn sommes, et nous nous levons sans crainte pour venger
er
celui qui,avec son auguste prédécesseur saint Grégoire I ,
est ct demeurera le plus grand des Papes que l'ordre bé-
nédictin ait fournis à l'Église ( i ) .
Son histoire Nous ne donnerons point ici l'histoire de saint Gré-
maintenant . T r T T _„ , . , . . . .
connue de tous, goire VII. Lue est ccnte partout ; dans ses admirables
lettres conservées en si grand nombre par les soins d'une
Providence toute particulière ; dans ses œuvres généreuses
qui ont sauvé l'Église, et sur lesquelles elle s'appuie en-
core aujourd'hui ; dans les récits pleins d'admiration et,
(i) Nous oserons dire ici quelque chose des motifs personnels qui
nous obligent à défendre et u honorer la mémoire dc saint Grégoire VIL
Si nos lecteurs sc souviennent que ce grand Pontife, moine de Saint-
Picrre-de-Cluny, est une des gloires de la France bénédictine,
qu'avant de monter sur la Chaire de saint Pierre, il occupa le siège
abbatial de l'insigne monastère de Saint-Paul extra moenia Urbis, ils
comprendront la nature des sentiments que nous dûmes éprouver lors-
qu'on i8?7, appelé, malgré notre indignité, par le souverain Pontife
Grégoire XVI, successeur de Grégoire VII ct enfant de saint Benoît,
à recueillir la succession des abbés de Cluny, nous émettions notre
profession solennelle entre les mains de l'abbé de Saint-Paul, succes-
seur, lui aussi, de l'héroïque Hildebrand. Puisse le glorieux Pontife,
devenu si particulièrement notre père, allumer dans notre faible cœur
quelques étincelles de son ardent amour pour l'Eglise de Jésus-Christ,
ct nous donner quelque part à cette complète abnégation avec laquelle
il la servit toujours!
3. DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU DIX-HUITIEME SIECLE 3g7
1
certes, aussi de désintéressement que lui consacrent au- 1
PARTIE
CHAPITRE XXI
jourd'hui tant d'écrivains non suspects. T o u t le monde la
sait aujourd'hui cette histoire. Nous nous proposons donc
seulement ici de traiter la question liturgique de saint
Grégoire V I I , c'est-à-dire, le culte décerné par l'Église à
cet illustre pontife, et les divers incidents qui se sont
rencontrés dans son établissement et dans son progrès.
L'idée de la haute sainteté de Grégoire VII était déjà Ses plus
j . - , fougueux
répandue en son vivant, et ne fit que s accroître après sa ennemis ne
T-, , . . . r , réussissent pas
mort, L n vain les schismatiques fauteurs de 1 empereur â ternir sa
Henri I V , ayant à leur tête le fougueux Bennon, archi- ^ o n ^ i v a n t , 0
prêtre cardinal de l'antipape Guibert, s'efforcèrent de p ^ o d ^ e u s e s
flétrir sa mémoire : en vain, pour expliquer la supériorité calomnies,
de son génie, ils l'accusèrent d'avoir commerce avec
Satan, au point, disaient-ils, que lorsqu'il agitait ses
manches, des étincelles de feu tombaient avec abondance ;
en vain, ils le traitèrent de faux prophète et l'accusèrent
de n'avoir point assez ménagé l'empereur; le silence
qu'ils gardent sur ses m œ u r s n'en atteste que plus énergi-
quement, suivant la remarque de F l e u r y - l u i - m ê m e ( i ) ,
l'intégrité morale du saint pape et la haute estime qu'on
faisait de sa vertu.
Du reste, le témoignage des h o m m e s pieux qui Pavaient T o u s les saints
. , r — . d e son temps
connu ne m a n q u a point a sa défense. Le courageux saint attestent
Anselme de Lucques, son ami fidèle, vengea sa mémoire dcV^éîogesj qui
dans le livre qu'il a dirigé contre Fanti pape Guibert ( 2 ) . a^vanc^îes
Saint P i e r r e Damien, qui l'avait connu durant de longues blasphèmes
1
* ° proteres plus
années, le qualifie un homme très-pur et très-saint dans tard contre
x 1
. s a , mémoire.
ses conseils (3). Saint Alphane, archevêque de Salerne,
dansHist. ecclês., remplie XXIV. plus mâle poésie, le compare
(1) une Ode livre 63. de la
[•1) Roccaberti. Bibliotheca Pontificia, t o m . IV. — Margarin de la
Bignc. Bibliotheca maxima Patrum, t o m . XVIII.
(3) Sanctissimi ac purissimi consilii v i r u m . 6 Pétri Damian. Epist. VII,
lib. 1.
4. 3g8 AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GRÉGOIRE VII
INSTITUTIONS aux saints Apôtres ( i ) . Le B. Victor III qui, après avoir
LITURGIQUES p f £
r o e s s lui la règle de saint Benoît, fut son suc-
c o m r n e
cesseur sur la Chaire de saint Pierre, atteste qu'iV illustra
l'Eglise du Christ autant par ses exemples que par ses
vertus (2). Saint Anselme, archevêque de Cantorbéry ;
saint Gébehard, archevêque de Salzbourg, et un autre
saint Gébehard, évêque de Constance, tous personnages
contemporains, s'unissent à ceux que nous venons dc
nommer avec un accord admirable ; en sorte que Ton
trouverait difficilement un saint dont la sainteté soit attestée
par un si grand nombre dc saints contemporains (3). Il
semble que la sagesse divine, prévoyant les outrages dont
il devait être l'objet, se soit plu à entourer son nom des
plus augustes témoignages, préparant ainsi à l'avance lu
meilleure dc toutes les réponses aux blasphèmes qui de-
vaient plus tard être proférés.
Témoignages Consultons maintenant les historiens contemporains dc
des historiens , . - n i • i n
contemporains. Grégoire VII, et recueillons les expressions par lesquelles
ils terminent le récit de ses travaux et de ses tribulations.
Paul, chanoine L premier que nous citerons est Paul, chanoine de
c
k
de Bcrnricd. * ,
•
Bemncd, qui écrivit, vers u 3 i , la vie du saint pape.
« Ainsi, dit-il, rempli de la grâce septiforme, l'esprit du
« septième Grégoire qui avait repris Je monde et ses
« princes sur le péché, l'injustice et le jugement, fortifie
« de la nourriture divine qu'il venait de recevoir, s'élan-
« çant dans la voie céleste, ct porté, comme Élie, sur le
« char de feu à cause de son zèle pour les intérêts divins,
« dans le jour même consacré à la mémoire d'Urbain,
« son prédécesseur, augmenta d'une manière excellente
« l'allégresse de ce saint pontife et celle de tous les Bien-
( i ) N o u s donnons à la fin du présent chapitre ( n o t e A ) cette pièce
peu connue, ct remarquable comme toutes les poésies dc saint Alphane,
par une élégance ct une richesse dc style surprenantes.
(a) Verbis simul et exemplis illustrasse. Mabillon, Acta SS. Ord.
S. Benedicti saec. vi, part. IL
3) Vid. Papebrock, Acta SS. Maii, die XXV.
5. AFFAIRÉ DE LA LÉGENDE DE SAINT GREGOIRE VII S99
1
« heureux qui, avec le Christ, se réjouissent dans la gloire PARTIE
CHAPITRE XXI
« du ciel ; en même temps qu'il laissait abîmée, dans une
« douleur profonde, l'Église qui poursuit sur la terre
« son pèlerinage (i), »
« A la mort de Grégoire, dit Bertold, également con- Le chroniqueur
« temporain, dans sa chronique, les fidèles des deux
« sexes furent dans le deuil, mais principalement les
« pauvres ; car il était le très-zélé docteur de la religion
« catholique, et le défenseur le plus intrépide de la liberté
« ecclésiastique. Il ne voulut pas que Tordre du clergé
« restât avili aux mains des laïques, mais qu'il occupât,
« au contraire, le premier rang, par la sainteté des moeurs
« comme par sa dignité sacrée (2). »
« Cependant, dit le poète Domnizone, témoin dc 1* P ? è t e
7
* . * Domnizone.
« l'événement, des cris de douleur se font entendre ; ils
« sont causés par le trépas du pontife Grégoire, que le
« Seigneur Christ vient d*enlever aux cieux, sept jours
« avant la fin de mai. Les moines le pleurent, parce qu'il
« était moine lui-même ; les clercs sont dans les larmes,
tf et plongés dans le deuil sont aussi les laïques dont la
« foi est pure de tout contact avec les schismatiques (3). »
(1) Itaque septitbrmi gratia plenus septimi Gregorii spiritus, qui
mundum et principes ejus arguebat de peccato et de injustitia et de
judicio, in fortitudîne cœlestis cibi nuper nccepti cœlestem viam arri-
piens, meritoque divinî zeli, velut îgneo curru, instar Elise subvectus,
Urbani prœdecessoris sui, cujus ca die festivitas exstitit, omniumque
beatorum laetitiam in cœlesti gloria cum Christo gaudentium excel-
lenter ampliavit ; in terris vero peregrinantem ecclesiam discessu suo
non parvo moerore consterna vit. (Pauli Bernrieden S. Gregorii VII
vita, cap. xn, 102.)
(2) De cujus obitu omnes rcligiosi utriusque sexus, et maxime pau-
percs, doluerunt : erat enim Catholicae religionis ferventissimus insti-
lutor, et Ecclesiasticae libertatis strenuissimus defensor. Noluit sane
ut Ecclesiasticus ordo manibus laïcorum subjaceret, sed eisdem el
morum sanctitate, et ordinîs dignitatc praeemineret. ( Bertholdi CAro-
111c. ad annum io85.)
(3) Interea planctus de prœsule nascitur altus
Gregorio, gestat Dominus quem Christus ad tethra,
6. 400 AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE VII
INSTITUTIONS Hugues de Flavigny, dans sa précieuse .Chronique, ter-
LITURGIQUES . . . .
mine ainsi 1 histoire de notre grand pontne, qui lavait
r
dc^avigny. honoré de son amitié : « Ainsi, mart} r et confesseur,
« Tan dc l'Incarnation du Seigneur mil quatre-vingt-cinq,
« il rendit son àmc au Créateur ( i ) . »
La vénération Tel apparaît le jugement des contemporains de Grégoire
1 } r
publique devait *. ? . . , »
nécessairement dans les diverses relations qu ils nous ont laissées dc sa
lui décerner . , . . » . . , ,
un cuite. vie et de ses actes. II est clair, d après cela, que la vénéra-
tion publique ne devait pas tarder à se manifester envers
lui,et à préparer les bases de ce culte immémorial que plus
tard le Siège apostolique devait reconnaître et sanctionner.
Miracles Au reste, les prodiges qui, plus d'une fois pendant sa
S
saînt pontifc vie, avaient rehaussé la grandeur dé ses actions, éclataient
«pressa mort, £
ç n c o r c tombeau. Paul de Bernried les rapporte avec
s o n
toute l'autorité et aussi la simplicité d'un témoin ocu-
laire (2). Lambert dc Schafnabourg, qui ne conduit sa
chronique que jusqu'à la quatrième année de Grégoire,
atteste l'existence dc faits miraculeux qui servaient, dit-il,
puissamment à confondre les ennemis du saint pontife (3).
Orderic Vital, dans son Histoire ecclésiastique, parle,
comme d'un fait avéré, de la guérison de plusieurs lépreux
au moyen de l'eau qui avait touché le corps de Grégoire(4).
A m e dies sepicm Madii quam finis adesset.
Hune Monachi defleni, Monachus quia noscitur esse,
Hune clerici fichant, valdc laïciquc dolcbant,
Pura lides quorum procul est a schismaticorum.
DOUIWZON. Vita Mathildis.
(i; Sic spirilum Crcatorî tradens, anno ab Incarnatione Domini
MLXXXV obïit, martyr et confessor. (Chronicon Virduncnse Hugonis
Flav'miaccmis, in ftiblfath. nova Mss. Labbei, tom. I.)
(2) Vita Gregorii VII, cap. i. 2 . 3. i 3 .
(3) Signa etiam ct prodigin, quae per orationes Papoe frequentius
fichant, ct zelus ejus ferventissimus pro Oeo ct pro ccclcsiasticis legi-
bus, satis cum contra venenatas detractorum ïinguas communiebant
(Ad anmtm 1 0 7 7 , Scriptores rentm Germanicarum, tom. L)
(j) Lcprosi de aqua, unde corpus ejus ablulum tuerai, pclierunt,
qua consecuia tideliler loti sunt, ct opilukmlc Dco, prolinus mundati
sunt. (Part. II, lib. VIII, pag. 6 7 7 . 1
7. AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE Vil 401
Enfin, on peut voir sur cet article la discussion assez i PARTIE
, . . . . . — „ -«rTTr • ' 1 CHAPITRE XXI
brève, mais lumineuse, de Benoit X I V , en son traite de
la Canonisation des Saints (i).
Mais croirait-on que des écrivains catholiques aient pu Légèreté avec
se rencontrer, dans ce siècle m ê m e , qui ont tiré scandale ^la^hoUques 115
des épreuves par lesquelles la divine justice purifia l'âme SC andaiedes
de son serviteur, et dont la foi vacillante n'a pas vu toute épreuves,
r
' auxquelles
la portée de ces adversités précieuses qui, en sauvant la Grégoire a été
/ . , » . . soumis
sainte cause de la liberté de l'Eglise, assuraient au pon- pour assurer le
. . . , , . t r i o m p h e de
tue expirant la recompense et la mémoire des m a r t y r s . l'-Égiise.
J'ai aimé la justice et j'ai haï Viniquité ; c'est pourquoi
je meurs dans l'exil ! disait Grégoire sur son lit de mort.
Mais le Sauveur lui-même, qui avait passé en faisant le
bien, et guérissant toute langueur et toute infirmité, ne
s'est-il pas senti abandonné de son Père, au point qu'il
criait : Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi mave^-vous
délaissé ? Cependant ses ennemis, témoins de son agonie,
disaient en branlant la tête : S'il estle Fils de Dieu, qu'il
descende de la Croix. Ils croyaient peut-être que le salut
du m o n d e pouvait s'opérer sans l'immolation de la Vic-
time. Ceux dont nous parlons ne savaient pas non plus
apparemment que la liberté ecclésiastique ne pouvait être
sauvée sans qu'il en coûtât la vie et l'honneur de son
défenseur. Grégoire devait succomber pour lc salut de
plusieurs ; son n o m devait donc être maudit ; car le dis-
ciple n'est point au-dessus du maître ( 2 ) .
Q u ' o n ne nous dise donc plus : La cause de Gré- Baronîus
goire V I I n'était pas celle de D i e u ; car ses entreprises rcP
p" vres u
d LCS
hardies ne reçurent point la consécration du succès. N o u s , S
en énumérant
nous répondrons par ces paroles du grand Baronius, qui ^u^sainT
terminent le récit de la m o r t sublime de notre héros : Grcgoircvii a
rendus
« Ainsi, c'est par des persécutions sans fin, des angoisses à l'Kgiisc.
« (1) Lib. I, cap.
de tout genre, % X, 1 6 .
souvent même par le meurtre de ses
XLI,
(•.>) Matih., x, 2 4 .
T . II. . 26
8. 402 AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE VIT
I N S T I T U T I O N S « prêtres, que l'Eglise reçoit une heureuse paix, que la
A 1 A
L I T U R G I Q U E S * .
« liberté ecclésiastique s'acquiert et se consolide, que le
« salut des ÂMES est opéré. Ainsi, le Christ A instruit ses
« pontifes à combattre et à vaincre, lui dont les souf-
« franecs et les infirmités font la force et le COURAGE des
« fidèles, lui dont la mort est leur vie. Je me trompe, OU
« l'expérience des siècles A démontré jusqu'au temps pré-
« sent que c'est aux travaux de Grégoire qu'il fautrappor-
« ter et les investitures des églises arrachées aux mains
« des Princes, et la libre élection des pontifes romains
« restituée, et la discipline ecclésiastique relevée de ses
« ruines, et tant d'autres avantages innombrables assurés
« à l'Eglise (r). »
Grégoire, Oui, certes, Grégoire A été vaincu suivant la chair;
m o u r a n t dans . , P T T ., , ,
l'exil, remporte comme le ils de 1 H o m m e , il s est vu n ayant pas ou
i a
CC
v1ctoîrc reposer sa téte ; il s'est éteint dans l'humiliation, tellement
5
de^Égi?"e et C 1S
^ u
* c
' e s
Vont réputé frappé de la main de
l o m m c s
donne ^exemple Dieu ( 2 ) : mais POURLUI aussi,la mort,d'abord victorieuse,
v 1 1
a tous les - ' 1 0
défenseurs de la est demeurée ensevelie dans son triomphe. Son nom, sa
sainte cause, . . , . . , , . ,, r
p o u r laquelle gloire, scs mentes ont inspire,ont soutenu dans la défense
1 1 d
S avic h c
laborieuse des libertés ecclésiastiques, non-seulement Tin-
comparable T h o m a s dc Cantorbéry, dans sa lutte contre
un roi d'Angleterre, mais tant d'illustres papes qui ont
su se poser comme un rempart pour la maison d'Israël ;
Pascal II contre l'empereur Henri V ; Innocent IV contre
(1) Ita plane persecutionibus indesinentibus, diversi generis œrumnis
atque sajpe cœdibus sacerdotum m u l t o felicius p a r i t u r Eeclesiie pax,
libertas acquiritur atque confirmatur ecclesiastica, et salus quscritur
a n i m a r u m . Sic sacerdotes suos pugnare ct vincere Christus docuit, cujus
passionibus et inrirmitatibus robur ac fortitudo, ac morte denique vita
est fidelibus comparata. Menliar nisi ista jam experimento r e r u m proe-
senlium monstrari possint, per Gregorium nempe vindicatas e manibus
principum Ecclesiarum investi tu ras, liberam electionem R o m a n o r u m
pontilicum post liminio restitutam, disciplinam ecclesiasticam collap-
sam penilus reparatam, et alia i m m u n e r a bona parta. (Ad annum io85,
n° i3.)
(•1) Isaias, L U I .
9. AFFAIRE DE LA LEGENDE DE S A I N T GREGOIRE VU 403
Frédéric I I : Boniface VIII contre Philippe le Bel ; Gré- ' *A*TIK
' X R 7 C H A P I T R E XXI
goire X I I I , Sixte-Quint, Grégoire XIV et Clémdnt VIII,
contre Henri de Bourbon; InnocentXI contre LouisXIV;
Clément XIII contre les cours de Madrid, de Lisbonne,
de Naples, de Parme ; Pie VII contre Napoléon ; Gré-
goire XVI contre Frédéric-Guillaume.
Nous venons d'entendre le témoignage des histo- L'opinion des
. . . . i . / • contemporains
riens contemporains, sur r opinion de sainteté qui en- sur-lasainteté
c G V !
vironnait Grégoire VII durant sa vie, et après s a « p S w à
t r a v e r s es à e s
mort ; suivons maintenant à travers les siècles l e s * s
différentes manifestations de cette persuasion qui, plus
tard, devaient motiver le jugement infaillible du Saint-
Siège.
Soixante-dix ans s'étaient à peine écoulés depuis le jour Témoignages
où le glorieux athlète de l'Eglise expirait dans l'exil, que du xm« siècle,
déjà un de ses successeurs qui a laissé une mémoire véné-
rable, Anastase IV, plaçait son image parmi celles des
Saints, sur la mosaïque de la chapelle de Saint-Nicolas,
au palais patriarcal de Latran (i). Le corps de Grégoire
avait été enseveli par les soins de Robert Guiscart, ou de
Roger, son fils ( 2 ) , dans un tombeau de marbre, et placé
dans la cathédrale de Salerne, déjà célèbre comme possé-
dant les reliques de l'apôtre et évangéliste saint Matthieu.
c
Orderic Vital, historien du xi siècle, que nous avons
cité plus haut, parle de l'affluence des pèlerins au tom-
beau du saint pape, et des grâces de santé que l'on y rece-
vait (3). Une chronique, rédigée par ordre de Cencius
Savelli, camérier apostolique, qui fut pape en 12 iG, sous
lc nom d'Honorius III, atteste pour son temps la conti-
nuation du culte de saint Grégoire VII et des prodiges
(0 Papebrock. ActaSS. Maii, tom. VI. Conatus. Histof. de Rom. Pont,
part I. Appendix, pag. 2 0 8 . Bened. XIV, de Canonisât, lib. I, cap. 4 1 .
(a) Papebrock. Ibidem.
(3) Mentis ejus, fidei petentium miraculorum copia divinittis ostensa
est. (Hist. ecclesiast., part. II, lib. VIII, ibid.)
10. 404 AEEAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE VII
I N S T I T U T I O N S
LITURGIQUES
opérés par son intercession
. .
(t) : ct lorsque, vers la fin du
même siècle, Jean de Procida dota et fit décorer avec ma-
gnificence la chapelle dite de Saint-Michel, dans la
cathédrale de Salerne, il est naturel de penser, avec
Papcbrock, qu'il avait en vue de manifester sa dévotion
envers le pontife qui reposait dans cette même chapelle,
où il était l'objet du culte des peuples attirés par le bruit
des merveilles qui s'y opéraient ( 2 ) .
Ouverture Le corps de saint Grégoire V I I continuait toujours
du t o m b e a u . , , ,
de Grégoire vu d être 1 objet de la vénération des habitants de Salerne,
par lc cardinal , , , , 1 A .
Coionna, sans pourtant que cette vénération se répandit beaucoup
d C a u
J r C
Sai£nu£ dehors dc la province du royaume de Naples où est
en 1 5 7 4 . située cette ville, lorsqu'en 1 5 7 4 , le cardinal Marc-Antoine
Marsile Coionna monta sur le siège qu'avait occupé saint
Alphane, l'ami de notre saint pontife. La Providence
avait dessein dc se servir de lui pour accroître encore le
culte jusque-là décerné au serviteur de Dieu, et pour cn
préparer les développements. Le prélat fit l'ouverture du
tombeau, ct il y trouva les précieux restes du saint pon-
tife conservés presque en entier, avec les ornements pon-
tificaux dont on l'avait revêtu lors de sa sépulture. C'est
ce qu'il atteste par une inscription qui se lit encore
dans la cathédrale de Salerne, et qui est conçue en ces
termes :
inscription Gregorio VII Soanensi P. O. M. Ecclesiasticœ liber-
qui perpétue la . . 7 . . . , ,
m é m o i r e dc tatis vinctici acemmo, assertort conslanttssimo : qui
L U
dans ia e C n L
dum Rom. Pontijicis auctorilaiem, adversus Henrici
t a
sâlcrne! d
° perjidiam si venue luetur, Salerni sanct e decubuit, anno
Domini M LXXXV, VIIIKaL Junii. MaraisAnionius
Columna Marsilius, Bononiensis, Archiepiscopus Saler-
ni t anus, cum illius corpus, posl quingentos circiter
( t ) Ad cujus utique corpus, in B. Matlhoei Basilica honorificc tumu-
(Ex libro Mss,
latum, mirabilis Deus miracula operari dignatus est.
censuali Centii Camcrar. in Gregorium VII, ad
(•x) Papcbrock. Ibidem.
11. AFFAIRE DE LA LÉGENDE DE SAINT GREGOIRE VII 4o5
annos, sacris amictum et fere integrum reperisset, ne 1
*A*TIE
' / <J JT ' CHAPITRE XXI
tanti Pontificis sepulchrum memoria diutius careret.
Gregorio XIII Bononiensc sedenie. Anno Domini
M D LXXVIIL Pridie Kalendas Quintilis (i).
Le pieux cardinal mourut en 1 5 8 2 , et n'eut pas la con- Grégoire xm
r
, * , / ¥ canonise saint
solation de voir consommée l'œuvre de la canonisation du Grégoire vu
saint pontife. Elle eut lieu deux ans après, par 1 autorité l'insertion de
de Grégoire XIII, qui inséra le nom de Grégoire VII au au Martyrologe
lomain
Martyrologe romain, avec cet éloge : Salerni, Depositio »
B. Gregorii Papce septimi qui Alexandro secundo succé-
dais, ecclesiasticam Libertatem a superbia principum
suo tempore vindicaint, et viriliter Pontificia auctoritate
défendit.
Cette sorte de canonisation, sans procès préalable, est Cette
distincte de la canonisation appelée formelle, ct est dési- équîpoiiente
gnée sous le nom à'équipollente. Elle a lieu lorsque le v a l c i i r ^ u M a
c a n
souverain Pontife décerne le culte public à un personnage jS3°
déjà en possession d'honneurs religieux que lui rend la
piété des fidèles, en même temps que l'héroïsme de ses
vertus et la vérité de ses œuvres miraculeuses sont certi-
fiés par le témoignage d'historiens dignes de foi. Cette Le culte du plus
. . . . , . . . jgrand nombre
canonisation a la même autorité que la canonisation for- dessaintsrepose
u
mette, et outre que le culte de presque tous les saints qui un^ugement ^ 11
d e c c t t e m U u r c
ont vécu dans l'Église avant l'institution des procédures '
aujourd'hui en usage, ne repose que sur un jugement du
même genre, il est un grand nombre de saints parmi ceux
qui ont fleuri dans rÉglise,depuis que le Siège apostolique
s'est réservé les causes de canonisation, qui n'ont cepen-
dant été inscrits au catalogue des saints que de cette ma-
nière équipollente; tels sont, par exemple,saint Romuald,
saint Norbert, saint Bruno, saint Pierre Nolasque, saint
Raymond Nonnat, saint Ferdinand III, saint Jean de
Matha, sainte Marguerite d'Ecosse, saint Etienne de Hon-
(i) Ciacconi. Vita? et res gestœ Pontificum liomaitorum, tom. I,
page 853.
12. 406 AKKAIRE DE LA LKGENDE DE S A I N T GRÉGOIRE VII
INSTITUTIONS m-ic, etc. L'ignorance des règles de r
Église romaine a
* donc pu seule faire dire à certains auteurs jansénistes
et non jansénistes, que saint Grégoire VII était honoré
par l'Église, sans avoir été canonisé, puisque Ton en
devrait dire autant des illustres saints que nous venons
de nommer : conséquence à laquelle, sans doute, ces
auteurs sc refuseraient.
Cette Quant à ce que Ton a prétendu, queGrégoire XIII avait
d C
c a n o n
safnt° n
voulu dirigei l'clfet de cette canonisation contre Henri
Grégoire vn ^ Bourbon,qui poursuivait alors la couronne de France,
n a pas ete un t i r
acte d'hostilité recommandant ainsi la mémoire d'un pontife qui avait
L 1
contre Henri t t
dc Bourbon, foulé sous ses pieds un autre Henri, aussi quatrième du
alors héritier .
présomptif nom, il semble qu il n est pas besoin de recourir a cette
du trône . T . . , . . — ,
dc France explication. La translation du corps de saint Grégoire VII,
îe rof HenriIrv! par l'archevêque de Salerne, dans un moment où Gré-
goire XIII s'occupait dc l'édition du martyrologe, était
suffisante, avec la possession du culte antérieur, pour
engager ce dernier pape à définir enfin la sainteté du glo-
rieux confesseur de Salerne.
Sixte-c»uint Sixte-Quint, successeur de Grégoire XIII, fit quelque
formule d'éioge changement à la formule consacrée par son prédécesseur
G r é ^ i r e ^ n i à notre saint pape:, dans le martyrologe ; il adopta cette
le martyrologe, phrase qui est restée dans l'édition dc Benoît XIV, ct les
suivantes : Salemi, Déposition. Gregorii Papœ septimi,
ecclesiasticce libertatis propugnatoris ac defensoris
acerrimi.
Translation Bientôt après, sous Clément VIII, en 1 5 9 5 , lc corps
C
c l u
saînt de saint Grégoire VII fut tire du sépulcre que lui avait
G ? ,
< r
en i3fî-0 consacré le cardinal Coionna, ct placé sous un autel,
11
toujours dans la même chapelle de Saint-Michel. Il pa-
raît même que ce fut alors, Mario Bolognini étant
archevêque, que le chef fut séparé du reste du corps pour
être Papcbrock. Ibidem. un reliquaire spécial ( i
(i) renfermé dans
13. AFFAIRE DE L A LKGENDE DE S A I N T GRÉGOIRE V I I 407
Sous le pontificat du même Clément VIII, Baronius fit I PARTIE
C H A P I T R E XXI
paraître le onzième tome de ses Annales, où il célébra et
vengea tout à la fois, avec son éloquente érudition, lamé- Baronius
et Bellarmin
moire de saint Grégoire VIL U n peu avant lui, Bellarmin, vengent le
saint Pontife
dans ses controverses, et spécialement au livre quatrième, des accusations
lancées contre
de Romano Pontifice, avait eu pareillement l'occasion de lui.
faire cette grande justice. Ainsi, les deux plus illustres
écrivains du catholicisme, à cette époque de géants, se
montraient préoccupés de la gloire du saint pontife :
mais jusque-là les hérétiques seuls s'étaient levés pour la
flétrir.
Du moment où le nom de saint Grégoire VII fut inséré Lc chapitre dc
Salerne autorisé
au martyrologe, le chapitre de la cathédrale de Salerne, •à célébrer
la fête de saint
que le saint pape avait autrefois comblé de privilèges, Grégoire V I I ,
accordant à ses membres la chape rouge et la mitre, fut avec des leçons
propres qui
autorisé à célébrer solennellement son office. Mais d'abord sont approuvées
en 1 7 2 S .
il ne fut récité que suivant le rite commun des confesseurs
pontifes, jusqu'à ce qu'en 1 6 0 9 , à la prière du même
chapitre et de l'archevêque Jean Beltramini, Paul V, par
un bref qui commence ainsi : Domini Jesn Christi,
accorda un office propre dont les Leçons se retrouvent en
grande partie dans celles qui furent publiées, en 1 7 2 8 ,
par Benoît X I I I , et dont nous allons bientôt parler.
L'archevêque Beltramini fit, vers le même temps, éri- Piété des
archevêques
ger une statue remarquable du saint pape dans la cathé- Beltramini et
du cardinal
drale de Salerne, et, ayant été transféré à un autre siège, San Severino
il eut pour successeur le cardinal Lucius San Severino, envers saint
Grégoire V I I
non moins zélé que lui pour la garde du saint dépôt
confié à son Église. Il en donna une preuve solennelle en
I ( H 4 , faisant construire un nouvel autel à saint Gré-
goire VII, et y plaçant solennellement son corps ; ce que
l'on doit compter pour la troisième translation dc ces
précieuses reliques (1). Ce fut peut-être à cette occasion,
(1) La première par le cardinal Ma r si le Coionna; la seconde par Mario
Bolognini ; enfin, celle dont nous parlons ici, accomplie par le cardinal
14. 408 AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GRÉGOIRE VII
INSTITUTIONS o u d u m o i n s peu auparavant (i), qu'un bras du saint
r 1
LITURGIQUES
Troisième pape fut distrait pour être donné à la ville de Soana, cn
translation dc Toscane, patrie de saint Grégoire VII, laquelle avait
scs> l e h q u t s . j^py^ j b a s s a d e u r s vers lc chapitre dc la
c c u x am
cathédrale de Salerne, avec les lettres de recommanda-
tion du Grand-Duc, qui joignait ses instances à celles de
la ville.
Le jésuite Vers la même époque, le savant jésuite Jacques Gretser,
Gretser public , , . . , .,
uneadmîrabic dont les immenses travaux ne sont point assez apprécies
a
8°égoTrc'i7. aujourd'hui, publia unc docte apologie des actions ct dc
nt
la personne de saint Grégoire VII. Dans cette importante
discussion, il n'allègue pas moins de cinquante écrivains à
l'appui des éloges qu'il donne au Pontifc,et le venge d'une
manière victorieuse des imputations qu'avaient lancées
c
contre lui ct les schismatiques du xi siècle, et les héré-
tiques du xvi°.
0
Au xvn» siècle. Vers le milieu du xvn siècle, Alexandre VII
introduit l'office établit l'office de saint Grégoire VII dans les basiliques
1
Grégofr^vii de Rome, sans cependant l'insérer encore au Bréviaire de
basUîques l'Église romaine ( 2 ) . Mais ce siècle devait être fameux par
de Rome. i attaques portées au saint pontife, non plus seulement
e s
dc la part des protestants, mais de la part des juristes, ct
surtout des théologiens ct canonistes gallicans. N o u s nous
contenterons de rappeler lc trop fameux Edmond Richcr,
dans son livre de Ecclcsiasiica et politica poteslate;
Ellics Dupin, dans son Traité de la puissance ecclésias-
tique, et Bossuet, dans sa Défense de la déclaration
San Severino, laquelle est attestée par unc inscription conçue cn ces
termes, qu'il fit placer dans la cathédrale dc Salerne :
Ego Lucius Sanseverinus, Archiepiscopus Salernitamts, altare hoc
in honorent B. Gregorii Papa* VII consecravi; ejusque sacrum corpus
in co inctusi) prœsentibtts, aniuim inutm, anniversaria deinceps consé-
crations die, ipsum pie visitantibus, quadraginta dies vero* indulgentia?
de Ecclesiœ more, coiicessi. A. D. MDCXIV, die IV mensis Maii.
( 1 ) Papebrock. Ibidem.
(•») Grctscri, Opéra, loin. VI.
15. AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE VII 409
de 1682, ouvrage dont le grave et impartial Benoît XIV ^ J ^ J ™
a dit : « Il serait impossible de trouver un livre qui soit •—
« plus opposé )à la doctrine reçue en tous lieux, excepté en
« France, sur l'infaillibilité du Souverain Pontife, défi-
< nissant ex Cathedra,
* sur sa supériorité à regard de
« tout concile oecuménique, sur le domaine indirect
« qu'il a sur les droits temporels des souverains,
« quand l'avantage de la Religion et de l'Église le
a demande (i). »
Cependant, de tous les auteurs gallicans du d i x - N o ë l Alexandre
.1 , . , . . ry f * r T T insulte saint
septième siècle qui écrivirent contre saint Grégoire VII, Grégoire vu
celui dont la hardiesse fit le plus d'éclat à raison du chà- ^MSTOIRÈ
timent qui lui fut infligé par le Saint-Siège, est le P. Noël w'î^'iïne e t
m è
Alexandre. Il avait publié les dix premiers siècles de ^ ™ ™ j d a t r e
son Histoire ecclésiastique, et mérité jusque-là les éloges vénérable
2
' / 1 o Innocent XL
du pape Innocent XI,qui occupait alors la Chaire de saint
Pierre, et qui avait daigné lui faire parvenir le témoignage
le plus flatteur de^sa satisfaction pour l'érudition et l'ortho-
doxie qui, jusqu'alors, avait présidé à cette œuvre (2).
Arrivé aux événements du xi° siècle, Noël Alexandre
consacra deux dissertations à faire ressortir les torts
qu'avait eus, selon lui, un pontife déjà placé sur les autels.
Innocent X I , celui qui n'avait pas fléchi devant le grand
roi, crut devoir manifester énergiquement l'indignation
que lui inspirait une semblable conduite de la part d'un
religieux. Il rendit un décret, en date du i 3 juillet 1 6 8 4 ,
par lequel il condamnait le volume qui renfermait ces
(1) Difficile profecto est aliud opus reperîre quod œque adversetur
doctrinae extra Galliam ubique receptœ de summi Pontifias ex Cathe-
dra definientis infallibilitate,de ejus excellentia supra quodcumque Con-
cilium œcumcnicum, de ejus jure indirecto, si potissimum Religionis ct
Ecclesiœ commoduni id exigat, super juribus temporalîbus principum
supremorum. (Epist. pro Card. H. Norisio apologet. ad suprem. Ilispan.
Inquisitorem. Inter opusc. Bened. XIV, pag. 1 1 7 . )
(2) Touron. Hist. des Hommes illustres de l'Ordre de Saint-Domi-
nique, tome V, pag. 8 1 4 .
16. 4»o AITAIRI; DE LA LÉGENDE DE SAINT GREGOÏRE vir
I N S T I T U T I O N S dissertations, cl. afin de témoigner plus éncrgi-
7
LITURG1QUES O r O
~ quement encore le déplaisir que le Saint-Siège avait res-
senti, tous les écrits du même auteur furent proscrits, avec
défense de les lire, retenir, ou imprimer, s o u s peine
d'excommunication ( i ) . Ce fut ainsi qu'un Pontife, déclaré
Vénérable par la congrégation des Rites, à cause de ses
grandes vertus, se montra jaloux dc l'honneur de son
saint prédécesseur, dont la mémoire allait bientôt être en
butte à dc nouveaux outrages, cn attendant les honneurs
e
q u e lui réservait le xrx siècle.
Nocl Alexandre Au reste, Noël Alexandre n'attendit pas longtemps la
réfuté . . .
par François réfutation de ses thèses gallicanes ; un religieux, domini-
domlmcain cain comme lui, François d'Enghiel, publia peu après un
c o m m e lui. |j v très-solide, au jugement de Benoît X I V ( 2 ) , et inti-
r c
t u l é : Aucloritas Sedis Aposiolicœpro Gregorio Papa]II
rindicata, adversus Natalem Alexandrum Ordinis Piw-
dicatorum Doctorem Theologum.
Dom Mabillon Dom Mabillon, dans la publication des Acta sanctorum
public la vie tic . . . .
saint Ordinis sancti Bencdictt, eut aussi à produire la vie
Grégoire VII . , . r T
d a n s ses Acta et les actes de notre saint pape. Le deuxième tome
c
oriïnte'Valïcti du vi siècle bénédictin parut en 1 7 0 r ; mais l'illustre
Beuedtctt. £ji franchir ce pas devenu difficile, s a n s man-
t c u r S l l t
quer ni à la prudence ni à la fidélité de l'historien catho-
lique.
L'office DE saim Cependant Clément X I , à la prière du cardinal Gabrielli,
œncédé P RA dont la conduite avait été si ferme dans l'affaire de la
Clément XI à T , , , 1 * , , , . ..,
l'ordre DE Hcgale, accorda, en r y o D , a t o r d r e de Liteaux le privilège
c c a rc
EIMIUTA^rortlre ' f * l'office de saint Grégoire V I I , ct cinq ans après,
c m
ENTIET'é^NDU ' é m c pontife concéda la même grâce à l'ordre de Saint-
c n C ) 1 s u r c s n s t a n c c s
Beno^xfii'-'i ^ ^ ' i du procureur général de la
l'Église congrégation du Mont-Cassin. Ces différentes concessions
universelle. *"
(1) T o u r o n . Ibidem. Benoît XIV. De Canonisât. Sanctorum, lib. I,
CAP. X L I . Papcbrock. Ad diem XXV Maii.
(2) Bcned. XIV. Ibidem.
17. AFFAIRE DE EA LEGKNDE DE SAINT GREGOIRE VIT 41 I
1 p
d'office ne firent aucun bruit : mais lorsque, par un décret 1
^n K
. CHAPITRE XXI
du 2 5 septembre 1 7 2 8 , Benoit XIII eut ordonné d'insérer
la fète de saint Grégoire VII au missel et au bréviaire, et
enjoint à toutes les églises du monde de la célébrer, un
grand orage s'éleva dans plusieurs États dc l'Europe, et
particulièrement en France.
E n
U est évident, sans doute, que dans rétablissement de glorifiant
' ^ . saint
cette fête et la promulgation universelle de la Légende si Grégoire vu,
11 • j • i- j va* T> Benoît XIII
remarquable qui devait se lire dans lofrice, Rome se pro- jetait le défi à
posait un but ; nous n'avons garde d'en disconvenir. Mais préjugés de son
nous dirons, en premier lieu, que c'est un assez beau t devançait le c
spectacle pour nous, hommes de ce siècle, de voir, au ] i c t w c e d e v a i t ll
S
0 n
moment où d'absurdes préjugés commençaient à éclipser £„ "°j <JJr d o S
toute vérité historique sur le moyen âge, où une philoso-
phicmenteuse etsansintelligence foulait aux pieds lesplus
salutaires enseignements du passé ; de voir, disons-nous,
Rome arracher par un acte courageux à ce naufrage uni-
versel, le nom vénérable d'un héros de l'humanité, en qui
le siècle suivant devait saluer, avec enthousiasme, le ven-
geur de la civilisation et le conservateur des libertés
publiques, aussi bien que des libertés ecclésiastiques.
C'était là, certes, un progrès, et d'autaut plus méritoire
que le Pontife qui s'en portait l'auteur ne pouvait ignorer
que l'autorité du Saint-Siège, déjà si affaiblie, allait
encore devenir à cette occasion même l'objet de nouvelles
attaques.
Nous dirons en second lieu, et sans détour, que Rome P*r cet acte
. , . i • • . . , courageux,
avait bien, par cet acte, quelque intention de pourvoir a Rome opposait
. , , . - ^, , . . un obstacle aux
son honneur outrage dans la fameuse Déclaration de envahissements
l'Assemblée du Clergé de 1 6 8 2 , et dans tout ce qui s'en q u ! ! s e c o n d é d l Cï
était suivi en France, de la part des deux autorités. Le roi jansénisme,
Louis XIV avait, il est vrai, promis de révoquer son édit ' u ï ? n p î i » j e p
8
p l de
pour renseignement des quatre Articles, et, tant qu'il ^ J?^s e
our
avait vécu, on avait tenu à l'exécution de cet engagement, P "ccroîtrc
. . . I , , , , , * ? 7. démesurément
qui, oint a la lettre de réparation des eveques de lassem- celui de r E t a t .
18. 412 AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE VU
INSTITUTIONS btée du pape, avait été la condition nécessaire de l'insti-
LITURGIQUES R R 7
tution canonique des prélats nommes depuis plus de dix
ans aux sièges vacants. Mais déjà les promesses n'étaient
plus exécutées; les universités faisaient chaque jour sou-
tenir dans leur sein des thèses dans lesquellcslcs doctrines
romaines étaient attaquées, l'autorité apostolique circons-
crite dans des bornes arbitraires, la conduite des plus
saints papes taxée dc violence aveugle, et signalée comme
contraire au droit naturel et divin. Il était temps que la
grande voix du Siège apostolique se fît entendre, et qu'elle
protestât du moins contre l'audace sans cesse croissante
de ces docteurs toujours prêts à restreindre les limites du
pouvoir spirituel, en même temps qu'ils enseignaient avec
tant de complaisance l'inamissibilité du pouvoir royal.
Heureusement, l'Église a eu de tout temps, dans sa Litur-
gie, un moyen de répression contre les entreprises témé-
raires qu'on a osées sur sa doctrine ou contre son hon-
neur. Ce qu'elle confesse dans la prière universelle, devient
règle pour ses enfants, et comme nous l'avons fait voir
dans cette histoire, si quelques-uns ont cherché à s'isoler
des formules qu'elle consacre, c'est qu'ils sentaient avec
quelle irréfragable autorité elle impose, dans ce bréviaire,
dans ce missel si odieux, ses jugements sur les doctrines,
sur les personnes et sur les institutions. Benoît XIII eut
donc intention, en étendant à l'Église universelle l'office
de saint Grégoire VII, dc faire un contrepoids aux enva-
hissements du gallicanisme qui, de jour en jour, augmen-
taient de danger ct d'importance, à raison surtout des
efforts d'une secte puissante ct opiniâtre qui menaçait de
plus en plus l'existence de la foi catholique au sein du
royaume dc France. Si Rome laissait flétrir plus long-
temps la mémoire des plus saints pontifes des siècles
passés, elle donnait gain de cause à ces hommes auda-
cieux qui criaient sur les toits qu'elle avait renouvelé ses
prévarications, ct qu'Innocent X , Alexandre VII, Clé-
19. AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE VII 41b
ment XI, n'étaient ni plus ni moins coupables que Gré- I PARTIE
C H A P I T R E XXI
goire VII, Innocent III et tant d'autres. Écoutez plutôt
un des fidèles organes de la secte :
« Au premier coup d'œil, on saisit la connexité de doc- Sentiment de
l'abbé Grégoire
« trine entre les brefs d'Innocent XI et d'Alexandre VIII, à ce sujet.
« contre l'assemblée de 1 6 8 2 ; la Proposition quatre-vingt-
« onze, concernant l'excommunication, censurée par la
« Bulle Unigenit us, et cette légende contraire aux vérités
« révélées qui enjoignent aux papes comme aux autres
« individus de la société, la soumission à l'autorité
« civile (1). »
Mais il est temps de révéler au lecteur cette monstrueuse La légende de
saint
légende qui mettait ainsi en péril les vérités révélées. Les Grégoire VII
moins
pages que l'on va lire sont belles sans doute, pleines énergique dans
reloge du
de noblesse et d'une éloquente simplicité : elles sont glorieux pontife
que certaines
pourtant moins énergiques dans les éloges qu'elles don- pages des
nent au pontife, que certaines pages qu'on peut lire historiens
protestants.
tous les jours dans les écrits dc plusieurs historiens,
ou publicistes protestants. Voici la légende cn son
entier.
IN F E S T O S. G R E G O R I I VII. PAP^ ET
CONFESSORIS.
IN SECUNDO NOGTUHXO.
LEOTIO IV.
« Gregorius Papa septimus antea Hildcbrandus,Soanae Légende de
saint
« in Etruria natus, doctrina, sanctitate omnique virtutum Grégoire VII
•ÉEC
au Bréviaire
« génère cum primis nobilis, mirifice universam Dei
&
romain.
a illustravit Ecclesiam. Cum parvulus ad fabri ligna edo-
« lantis pedes, jam litterarum inscius, luderet, ex rejectis
(1) Grégoire. Essai historique sur les Libertés de l'Église gallicane,
page 98.
20. 4^4 AFFAIRE DE T.A LEGENDE DE S A I N T GREGOIRE VII
INSTITUTIONS ff t a r n c n scgmentis illa Davidici elementa oraculi : Domi-
« nabîtur a mari usque ad mare, casu formasse narratur,
Légende de . __ .
saint « manum puen ductante Numme, quo signincaretur
Grégoire VII . . .
au Bréviaire K d u s fore amphssimam in mundo auctontatem. Romani
romain (suite),
« deinde profectus, sub protectione sancti Pétri educatus
« est. Juvenis Ecclesiam libertatem a laïcis oppressam ac
« depravatos Ecclesiasticorum mores vehementius dolens,
« in Cluniacensi Monasterio, ubi sub Régula sancti Bene-
« dicti austerioris vitaî observantia eo tempore maxime
« vigebat, Monachi habituai induens,tanto pietatis ardore
« divimu Majestati deserviebar, ut a sanctis cjusdem
« Gœnobii Patribus Prior sit electus. Sed divina Provi-
« dentia majora de eo disponente in salutemplurimorum,
« Cluniaco eductus HiJdebrandus, Abbas primum Monas-
« terii sancti Pauli extra muros Urbis electus,ac postmo-
« dum Romanas Ecclesiœ Cardînalis creatus, sub summis
« Pontificibus, Leone nono, Victore secundo, Stephano
« nono,Nicolao secundo, ctAlexandro secundo, prœcipuis
« muncribus, ct legationibus perfunctus est, sanctissimi,
« ei purissimi consilii vir a Beato Petro Damiani nuncu-
« patus. A Victore Papa secundo Legatus a latere in
« Galliam missus, Lugduni Episcopum simoniaca kibe
« infectum ad sui criminis confessionem miraculo adegit.
« Bcrcngarium in concilio Turonensi ad iteratam haercsis
K adjurationcm compulit. Cadolai quoque schisma sua
« virtutc compressit. »
LECTIO v.
« Mortuo Alcxandro secundo, invitus, ct mœrens una-
« nimi omnium consensu, decimo Kalendas Maii, anno
21. AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE VU 4 I0
I PARTIE
« Christi millesimoseptuagesimo tertio, summus Pontifex C H A P I T R E XXI
« electus, sicut soi effulsit in Domo Dei •, nam potens '
. . . . . . 1 Légende de
« opère et sermone, Ecclesiasticœ disciplinai reparandœ, saint
r
' Grégoire VII
« fidei propasandœ, libertati Ecclesiœ rcstituendïe,extirpan- au Bréviaire
r r a
romain (suite).
« dis erroribus et corruptelis, tanto studio incubuit, ut ex
a apostolorum aetate nullus Pontificum fuisse tradatur qui
« majores pro Ecclesia Dei labores, molestiasque pcrtule-
« rit, aut qui pro ejus libertate acrius pugnaverit. Aliquot
« Provincias asimoniaca labe expurgavit. Contra Hcnrici
« Impcratorisimpios conatus fortis per omnia athletaimpa-
« vidus permansit, seque pro muro domui Israël ponerc
« non timuit,ac eumdcm Henricum in profundum malo-
« rum prolapsum, fidelium communione, regnoque pri-
« vavit, atque subditos populos fide ei data liberavit. »
LECTIO V I .
« Dum Missarum solcmnia peragerct, visa est viris piis
« columba e cœlo delapsa, humero ejus dextro insidens,
« alis extensiscaput ejus velare,quo significatum est,Spi-
« ritus Sancti afflatu, non humante prudentire rationibus
« ipsum duci in Ecclesiœ regiminc. C u m a b iniqui Hcn-
« rici exercitu Romse gravi obsidione premerctur, excita-
« tum ab hostibus incendium signo crucis extinxit. Dc
« ejus manu tandem a Roberto Guiscardo Duce Nor-
« thamno ereptus, Casinum se contulit ; atque inde Saler-
« num ad dedicandam Ecclesiam sancti Matthœi Apostoli
« contendit. Cum aliquando in ea civitate sermonem
« habuisset ad populum, œrumnis confectus, in mofbum
u inciditquosc interiturumpraescivit. Postrema morientis
« Gregorii verba fuere ; Dilexijustitiam, et odivi iniqui*
22. 416 AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE VII
INSTITUTIONS « tatem : propterca tnorior in exilio. Innumcrabilia sunt
' « qui.u vel fortitcr sustinuit, vel multis coactis in Urbc
« Synodis sapicnter constituit vir vere sanctus, criminum
« vindex, et accrrimus Ecclesiœ defensor. Exactis itaquc
« in Pontificatu annis duodecim, migravit in cœlum,
« anno salutis millesimo octogesimo quinto, pluribus in
« vita, ct post mortcm miraculis clarus, ejusque sacrum
« corpus in Cathcdrali Basilica Salernitana est honorificc
« conditum. »
Oraison de saim L'oraison qui complète et résume l'office de saint Gré-
Grégoire vu . . , . . . .
au Missel goire vil, au missel et au bréviaire, est ainsi conçue :
romain.
Deus in te sperantium fortiiudo, qui Beat uni Grego-
riunx Confessorem tuum atque Pontificem, pro tuenda
Ecclesiœ libertate piriute constantice roborasli ; da nobis,
ejus exemplo ei intercessione, omnia adversantia fort i 1er
super are.
Réflexions s u r Maintenant que nous avons mis sous les yeux du lecteur
l a 00 c c t t e
mTnfetc pièce si fameuse, avant d'entrer dans le récit des
pontifical. événements qui suivirent sa promulgation, nous nous
permettrons quelques réflexions sur la portée dc ce mani-
feste pontifical.
La légende de Q u e suit-il du récit que nous venons de lire des actes et
Grégoire vu des vertus d'un pape du x i ° siècle? Cela veut-il dire que*
P
coinme ia' R o m e se prépare à fondre, comme l'aigle, sur les Etats
P
répété européens, a disposer arbitrairement de la couronne des
V X
10
S^ciaratïon princes qui les gouvernent, en un mot, à ébranler le
inc
de guerre aux monde entier du bruit de ses foudres? N o u s qui vivons
1
souverains t
de l'Europe, u n siècle après l'apparition de cctte redoutable légende,
mais le b o u c h e r . °
sous lequel trouvons-nous beaucoup d exemples depuis lors dc cette
Rome mettait à . . v
couvert son omnipotence temporelle des pontifes du moyen age,
com^romis^par exercée par Benoit X I I I , ou ses successeurs? Nous sem-
23. AFFAIRE DE EA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE VII 417
ble-t-il que la couronne de France, pays où la légende a 1 PARTIE
C H A P I T R E XXI
été proscrite, ait été l'objet de moins d'attaques que celle
des souverains dans les Etats desquels elle a été admise les
déclamntioiib
par le clergé? Et si par hasard, chez nous, depuis cette outrageantes
pour
époque, les rois ont souffert la mort, l'exil, ou l'humilia- ses pontifes, et
spécialement
tion, est-ce Rome qui s'est montrée envers eux si impi- pour saint
Grégoire VII,
toyable ? N e perdons pas ce point de vue dans les diverses l*un des
parties du récit qui va commencer. Beaucoup de gens plus illustres
vont jeter les hauts cris, comme si la puissance royale était
au moment d'expirer dans l'univers entier, par le seul
fait de la légende. La .haine de Rome les aveugle : et Dieu
les a donnés en spectacle à notre siècle, qui sait enfin que
Rome n'en veut pas à la puissance des monarques ; qui
semble même comprendre que si, dans les âges catho-
liques, elle exerça effectivement une influence temporelle
sur la société, elle fut alors Tunique sauvegarde de la
liberté des peuples, comme lc plus solide appui dc l'auto-
rité dont elle réprimait les excès. La légende est donc tout
simplement le bouclier sous lequel Rome met à couvert
son honneur compromis par tant dc sophismes et de
déclamations. Par ce manifeste solennel, elle neutralise lc
mouvement aveugle qui entraîne certaines écoles sur les
pas de ces auteurs hétérodoxes qui n'ont souci de l'hon-
neur des pontifes romains, mais ont, au contraire, tout à
gagner, s'ils les peuvent faire considérer comme des viola-
teurs des lois divines et de l'ordre naturel de la société.
L'office de saint Grégoire VII parvint en France, peu La légende
de saint
après sa publication à Rome, comme il arrive encore Grégoire VII,
aujourd'hui, quand le souverain Pontife impose de nou- imprimée et
mise en vente
veaux offices; seulement à cette époque où l'usage de à Paris, est
aussitôt
la Liturgie romaine était encore presque universel en dénoncée
par l'éditeur
France, les décrets de ce genre devaient occuper davan- cfes Nouvelles
ecclésiastiques.
tage et les ecclésiastiques et les fidèles qu'il n'arrive main-
tenant. Comme aujourd'hui, l'office était imprimé sur unc
feuille volante destinée à être jointe au bréviaire, enatten-
r. 11 27
24. 418 AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GRÉGOIRE VII
INSTITUTIONS dant son insertion en sa place dans la prochaine édition
:
— • de celui-ci.Les Nouvelles ecclésiastiques, )OUXÏQ du Jansé-
nisme, signalent la librairie Coignard fils, à renseigne du
Livre d'or, comme ayant eu l'audace de tenir cn vente,
ii P a r i s , lc feuillet in-8° qui recelait la légende.
H o r r e u r qu'elle « Dès que parut cette légende, dit le républicain Gré-
C(
aux gaUkans. goire, elle excita I'HORREUR de tous les h o m m e s attachés
« aux libertés gallicanes ( i ) . »
Le parlement A peine le parlement de P a r i s , juge souverain en ma-
^o^uule™"^^ tières liturgiques, eut-il connaissance de cette séditieuse
u n U I
,^*^'] manifestation des prétentions romaines, qu'il se réunit
la feuille pour rendre, le 2 0 juillet 1 7 2 0 , sur les conclusions de
1 1
contenant / / . . ' ?
l'office de saint l'avocat général Gilbert de Voisins, le m ê m e qui devait,
1
Grégoire VII,
avec défense sept ans plus tard, prendre sous sa protection le Bréviaire
d'en faire aucun . . . ^
usage public, parisien de vigier et Mésenguy, un arrêt portant suppres-
dc°saisiodu sion de la feuille contenant l'office de saint Grégoire VII,
tcmpoiu. défense d'en faire aucun usage public, sous peine de
a v e c
saisie du temporel. N o u s citerons seulement quelques
phrases du réquisitoire; elles suffiront pour constater l'es-
prit de la première magistrature du r o y a u m e , dans cctte
circonstance mémorable. L'avocat général, déguisant mal
la haine dont lui ct son corps étaient animés contre
R o m e , veut faire croire q u e , par le seul fait de la publi-
cation de l'office de saint Grégoire V I I , la nation fran-
çaise esta la veille de secouer le joug de ses anciens rois.
Il est vrai que ceci est arrivé avant même la fin du siècle
dans lequel parlait l'honorable magistrat ; mais il est
fort douteux que la légende y ait été p o u r quelque
chose.
Réquisitoire « On savait assez, dit l'avocat général, que Grégoire VII
de l'avocat . 1 M . . ,
général Gilbert « si célèbre-par ses diflérends avec l'empereur Henri, est
de Voisins. . . . . , . . , , .
« celui qu on a vu porter le plus loin ses prétentions ambi-
v tieuses, inouïes dans les premiers siècles de l'Église, qui
( t ) Essai sur les libertés de VEglise gallicane, page oy.
25. AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE VU 419
!
« causèrent de si longs troubles, et allumèrent des guerres
D 7 Q
PARTIE
CHAPITRE XXI
« si cruelles de son temps. '
« Mais, qu'il soit permis de le dire, ajoute-t-il, on
« n'avait pas lieu de s'attendre de voir entrer dans son
« éloge, ei célébrer dans un office ecclésiastique, l'excès
u où lc conduisirent enfin des principes si dangereux.
* Est-ce donc le chef-d'œuvre de son zèle, d'avoir entre-
« pris de priver un Roi de sa couronne et de délier ses
« sujets du serment de fidélité ? Et pouvons-nous voir
« sans douleur, qu'on appuie sur un fait si digne d'être
" enseveli dans l'oubli, les titres qu'on lui donne de
« défenseur de l'Église, de restaurateur de sa liberté, de
« rempart de la Maison d"Israël?
a Pourquoi faut-il que les vestiges d'une entreprise, A la faveur de
« dont le temps semblait affaiblir la mémoire, reparais- supplément du
« sent aujourd'hui jusque sous nos yeux, qu'ils viennent r o m a i n ^
« encore exciter notre devoir et notre zèle ? Souffririons- ^ e ï s ^ u r 8
« nous qu'à la faveur de ce prétendu supplément du Bré- l'autorité royale
1 1 r
. serait ébranle.
« viaire romain, on mît dans les mains des fidèles, dans la
« bouche des ministres dc la religion, jusqu'au milieu
« de nos saints temples et de la solennité du culte divin,
« ce qui tend à ébranler les principes inviolables et sacrés
« de l'attachement des sujets à leur souverain (i) ? »
Le 2 4 du même mois de juillet, Daniel-Charles-Gabriel Cavius, évêque
^ ' ' d'Auxerre,
publie un
0111
Nous avons puisé une partie des pièces que nous devons citer en
(1) "^olurc
ce chapitre, dans un recueil publié en 1 7 4 3 sur toute cette affaire. Il est la légende,
intitulé : L'Avocat du Diable, ou Mémoires historiques et critiques sur
la vie et sur la légende du Pape Grégoire VII, avec des Mémoires du
même goût sur la bulle de canonisation de Vincent de Paul, instituteur
des Pères de la Mission ct des Filles de la charité (trois volumes i n - 1 2 ) .
L'auteur est Adam, curé dc Saint-Barthélemi dc Paris, appelant fameux.
Il est remarquable que les jansénistes poursuivaient dc la même haine
saint Vincent de Paul et saint Grégoire VII3 comme pour faire mieux
comprendre aux gens distraits que la même Eglise romaine, qui pro-
duit des Vincent de Paul pour le soulagement des misères corporelles
de l'humanité, est aussi celle qui produit, suivant le besoin, des Gré-
goire VU pour remettre la société chrétienne sur ses véritables bases.
26. 420 AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE VII
I N S T I T U T I O N S de Caylus, évêque d'Auxerre, qui venait de donner, en
L I T U R G I Q U E S , , . . ,
— i7*2(), le nouveau bréviaire dont nous avons parle, fidèle
ii l'impulsion de la magistrature, signala son zèle contre
la légende, dans un mandement épiscopal adressé au
clergé et aux fidèles de son diocèse. Appelant de la consti-
tution Unigenitus, il s'était déjà essayé dans la résistance
au Saint-Siège : il saisit donc avec empressement l'occa-
sion d'outrager cette R o m e , dont il ne portait le joug
qu'en frémissant. Du reste, aussi zélé p o u r le pouvoir
absolu et inamissible du prince temporel, que haineux
envers l'autorité Apostolique, il donna, c o m m e tous ceux
de ses confrères dont nous citerons ci-dessous des extraits
de mandement, le plus solennel démenti à certains écri-
vains de notre temps, qui s'obstinent à voir dans la secte
de Port-Royal la première manifestation des idées soi-
disant libérales.
Le* entreprises « Ce n'est qu'avec peine, dit le Prélat, que nous rappe-
dc Grégoire VII, . . . . ^ . J r* ' ' TT-TT TI
dit Caylus, ne « Ions ici le souvenir des entreprises de Grégoire VII. Il
qu^déshono^rer « serait à souhaiter que ses successeurs eussent fait
leur a u t e u r . ^ connaître, par leur conduite, qu'ils étaient très-éloignés
« dc les approuver, et encore plus de les renouveler
c Nous serions dispensés par là de prendre
e de nouvelles
« précautions pour nous y opposer et en démontrer l'in-
« justice. N o u s les regarderions comme une tache effacée,
« et nous n'aurions garde d'aller rechercher dans l'histoire
« ecclésiastique des faits qui'ne sont propres qu'à désho-
« norcr leurs auteurs, ct que la sainte Eglise désavouera
« toujours (i).
Son devoir < Maisnousnc pouvons nous taire, continueM. d'Auxerre;
c
1 7 7
l'oblige a parler.
-
« ce que nous devons à l'Église universelle, au roi très-
« chrétien, à l'État, aux fidèles de notre diocèse et à n o u s -
« même, nous force de parler à l'occasion de l'office de
« Grégoire V I I .
(ij Admirez cette profonde intelligence de Fhistoire des institutions
du moyen âge !
27. AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE Vil 421
1
« Ne nous arrêtons pas à remarquer ici que la sainteté M * ™
, „ . . -rr-ri » . • . i TI Y~I * CHAPITRE XXI
« rfe Grégoire VII nestpoint reconnue dans lEghse; —
« qu'il ne paraît pas qu'on ait fait pour lui, à Rome, ce qui de a r l g o ^ v n
1 1
« s'observe dans la canonisation des saints, et que l'histoire " l ? ! ^ ' e
1
* reconnue dans
« de son pontificat est difficile à accorder avec l'idée d'une relise.
« sainteté formée sur l'esprit et sur les règles de l'Évangile,
a et digne de la vénération et du culte public des fidèles.
« Tenons-nous donc, poursuit le Prélat, inviolablement n faut s'en
« attachés à la doctrine delà sainte antiquité, qui apprend à la doctrine de
« aux sujets que personne ne peut les dispenser de la l'indépendance
« fidélité qu'ils doivent à leurs légitimes souverains, et ^ tempTreî!* d
« qu'il n'y a ni crainte, ni menace qui doive les empêcher
« de remplir ce devoir, que la loi de Dieu leur impose ;
« et aux papes comme aux évêques, qu'ils n'ont pas le
« pouvoir de donner ni d'ôterles royaumes, et que, quant
« au temporel, les rois ne leur sont point soumis et ne
« dépendent pas d'eux, mais de Dieu seul. »
Assurément, c'est un grand avantage pour les souve- Cette doctrine
rains de ne dépendre ni du pape ni des évêques; mais c o n m l r e à ' i a
quand l'évêque d'Auxerre leur garantit qu'ils ne dépendent " d e ^ c h o s e s ? 6
ici-bas que de Dieu, il exprime son désir, sans doute,
mais non ce qui existe réellement; car il n'est point
d'homme ici-bas qui ne se soit rencontré, et souvent même,
face à face avec son supérieur. Si les rois d'aujourd'hui
n'ont plus à craindre la puissance du pape (et cependant
voyez comme plusieurs la redoutent encore, cette Rome
désarmée), ils ont, en revanche, dc dures querelles ct
contestations à vider avec les peuples, qui à coup sûr sont
moins justes et plus intéressés dans J'affaire que ne lc
seraient les pontifes romains.
Quoi qu'il en soit, M. d'Auxerre termine son mande- Caylus
• , . défendant
ment en déclarant que, pour remplir toute justice, en Fusapderofljce
donnant au roi de nouvelles preuves de sa fidélité et de Grégoire VII
son-{éle pour la sûreté de sa personne sacrée, et pour la fîoc&ic?
tranquillité de son royaume, qui pourraient être encore
28. 422 AFFAIRE DE EA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE VII
INSTITUTIONS exposés aux derniers malheurs, si les maximes autorisées
- par l'office du pape Grégoire VIItrouvaient créance dans
les esprits, il défend à toutes les communautés et personnes
séculières et régulières de l'un ct de l'autre sexe dc son
diocèse, se disant exemptes ou non exemptes, qui se ser-
vent du Bréviaire romain, ou qui reçoivent les offices des
nouveaux saints qu'on insère dans ce bréviaire, de réciter
soit en public, soit en particulier, l'office imprimé, etc.
Cette résistance Ainsi, le Pape enjoint à toute l'Eglise de réciter l'office
a u x ^ i o n â i o n a de saint Grégoire VII, et il se trouve un évêque qui défend
contraire à la à ses diocésains de se soumettre à cctte injonction. Évi-
notion du droit. demment, l'un des deux est dans son tort ; car autrement
que deviendrait une société qui renfermerait dans son
sein des pouvoirs contradictoires, ct néanmoins toujours
légitimes, dans tous les cas ?
Colbert, évoque Le mandement de Tévêque d'Auxerre fut incontinent
de Montpellier, . . r r , . „ . ... , T
janséniste suivi d un autre, publie le Ï i juillet, par Lharlcs-Joachim
condamne'à'son Colbert, évêque de Montpellier, si fameux par le caté-
f
piu*durcs chisme auquel il a donné son nom, et par son obstination
S
a n s c s
i^officedVnei?nt ^ * Principes des appelants. On sc rappelle, sans
Grégoire vil. deutte, son zèle à'faire adopter dans son diocèse le nouveau
Bréviaire dc Paris, et la courageuse opposition du cha-
pitre à cette mesure. Nous ne fatiguerons point le lecteur
de toutes les déclamations que ce mandement renferme
contre les prétentions romaines; nous extrairons seule-
ment les qualifications qu'il applique à un acte du souve-
rain Pontife. La Légende de saint Grégoire VII est
condamnée comme « renfermant une doctrine séditieuse,
« contraire à la parole de Dieu, tendante aù schisme,
« dérogeante à Vautorité souveraine des rois, et capable
« d'empêcher la conversion des princes infidèles et héré-
« tiques (i). » Il cn défend l'usage, sous les peines de
(i) Rien n'est beau comme ce zèle d'un évêque hérétique pour ln pro-
pagation dc la foi chez les infidèles ct les hérétiques. U est évident que
le Pape et sa Propagande n'y entendent rien.
29. AFFAIRE DE LA LEGENDE DE SAINT GREGOIRE VII 4ï3
droit: ordonne, sous les mêmes peines, qu'on en porte les i PARTIE
. - i l 1 / * CHAPITRE XXI
exemplaires à son secrétariat, et il exhorte son cierge a *
demeurer inviolablement attaché à la doctrine des quatre
articles de rassemblée de 1 G 8 2 .
Ce n'était pas assez encore. Le 1G août, parut le man- CoisUn, évêque
dément publié sur la même matière par Henri-Charles de u n m a n d e m e n t
Coislin, évêque de Metz, connu aussi par son attachement i w e Y ' o f f i c e . n 0
aux principes de la secte qui troublait alors l'Eglise de
France, et qui avait mis sa plus chère espérance dans les
doctrines de la Déclaration de 1 6 8 2 .
Après un sombre tableau des malheurs qui ne man- c e t t e pièce
quèrent pas d'ensanglanter le monde, chaque fois qu'il a e s m a T h e u r s f
arriva à un souverain Pontife de faire usage de l'autorité souverains
spirituelle, p o u r venger certains grands crimes sociaux, a u F r é ^ s u T i e
tableau qu'on pourrait comparer, avec assez d'avantage, à abusant de
ceux qu'on rencontre de temps en temps dans Y Essai sur leur autorité.
les Mœurs, de Voltaire; même intelligence de l'histoire,
même équité envers l'Église : l'évêque de Metz ajoute, avec
une gravité solennelle :
« L'expérience de tant d'événements funestes, qui La publication
, , , • j r- > de l'office de
« avaient pris leur source dans les entreprises de G r e - s a int
« goire V I I , semblait avoir depuis longtemps arrêté le G
u ^?étln«iie S t
« cours de cet embrasement : mais il en a paru depuis une raîj merU
« étincelle qui serait capable de le rallumer, si chacun de l'incendie.
« ceux que le P è r e céleste a mis à la garde de sa maison
« n'accourait, p o u r en prévenir la communication dans la
« portion du troupeau qui lui a été confiée, »
Ainsi, il est bien démontré que c'est le pape qui met le
feu à l'Église, tandis que Messieurs d'Auxerre, de Mont-
pellier, de Metz, et plus tard Messieurs de Verdun, de
Troyes, de Castres, et d'autres encore, font tout ce qu'ils
peuvent pour l'éteindre.
« Il vient de se répandre, dit encore l'évêque de Metz, J u g e m e n t de
f -11 • ' ' • A 1 '
r> / l'évêque de Metz
« une leuille imprimée pour servir de supplément au Bre- sur ia légende
- , - n r ^ de saint
« viaire romain, et dans cette feuille qui contient un office Grégoire VU.