1. N°131 – 1er trimestre 2011
Achevé de rédiger le 17 décembre 2010
Un bon diagnostic vaut mieux qu'un mauvais remède
Dans un environnement qui reste incertain, les investisseurs sont à la recherche d’éléments leur permettant
d’anticiper la tendance des marchés. Les initiatives de politique économique sont de moins en moins à même de
remplir ce rôle. Pendant la « grande modération » les règles de politique économique permettaient de prévoir la réaction des
autorités dans telle ou telle situation. Dans la période actuelle de « nouvelle normalité », ces règles n’ont pas encore été
finalisées et l’application de règles connues cède de plus en plus la place aux actions discrétionnaires comme modus
operandi de l’action publique. Le plus souvent, sous la pression des évènements, les autorités sont obligées d’accroître les
mesures de soutien. Cela a été le cas récemment pour les Banques centrales des deux côtés de l’Atlantique.
Cette prééminence des actions discrétionnaires sur l’application de règles connues, parce qu’elle rend les anticipations
moins stables, participe probablement d’une hausse de la volatilité sur les marchés. Nous n’échapperons probablement
pas à ce nouvel environnement. Les marchés attendent cependant des gouvernements et des Banques centrales
qu’elles proposent le diagnostic le plus exact possible de la situation. Il n’est pas certain que ce soit réellement le cas.
Aux États-Unis, le débat s’éternise quant à la nature – structurelle ou cyclique – de la crise actuelle. La tentation est
de penser que cette crise est cyclique, mais les références historiques suggèrent qu’elle est structurelle. Au final, les marchés
pourraient être déçus, les mesures de relance pouvant être perçues de plus en plus comme une façon de gagner du temps
plutôt que de susciter une croissance économique durable et proche du potentiel. Cela n’est probablement pas le meilleur
moyen de réduire le degré de volatilité.
Dans l’Union européenne, les autorités ont mis en place des mesures fortes pour protéger les États et les banques
contre le risque de liquidité. Ces mesures, si elles sont nécessaires, ne sont pas suffisantes pour empêcher une
éventuelle crise de solvabilité, en particulier pour les États. Les autorités ont réussi à gagner du temps, il faut l’utiliser à bon
escient. Même en considérant que la consolidation budgétaire n’est ni l’ennemie de la croissance, ni une machine à perdre
les élections, la zone euro a besoin d’une économie plus dynamique, en particulier à sa périphérie. Les marchés ne
reprendront confiance que lorsque les institutions européennes auront pris des initiatives en ce sens.
Sommaire
Australie : robuste, avec l’aide de la Chine .........................................25
Stratégie macroéconomique : trop de problèmes locaux pour s’atteler Nouvelle-Zélande : croissance en reconstruction ...............................25
aux problèmes mondiaux ..................................................................... 2 Canada : c’est grave, docteur ? ..........................................................26
La Fed a ses raisons… que la BCE ignore ! ........................................ 6 Marchés émergents : gains à court terme et problèmes à long terme ?
Taux d’intérêt : des taux de fin de crise, les taux euro ne peuvent ............................................................................................................27
qu’augmenter........................................................................................ 7 Europe centrale : année de transition .................................................29
Taux de change : retour des déterminants traditionnels ...................... 9 Russie : retour de la croissance ..........................................................29
Énergie : resserrement des marchés pétroliers en fin d’année .......... 10 Afrique du Sud : décollage laborieux...................................................30
Métaux : achetez de l’aluminium ........................................................ 10 Turquie : le pari risqué de la politique monétaire ................................30
États-Unis : rétablissement graduel grâce aux mesures de relance .. 11 Asie : la surperformance va-t-elle continuer ?.....................................31
Japon : un atterrissage en douceur, malgré l’absence de mesures de Mexique : la bamba triste ....................................................................32
relance ................................................................................................ 15 Brésil : un ralentissement s’impose.....................................................32
UEM : avec des « si »… ..................................................................... 16 MENA : une reprise à deux vitesses se met en place.........................33
France : tout vient à point à qui sait attendre ..................................... 18 Taux d’intérêt au 16 décembre 2010...................................................34
Allemagne : force intérieure................................................................ 19 Taux de change au 16 décembre 2010...............................................36
Italie : une croissance modérée, mais positive en vue ....................... 20 Scénario économique du Groupe Crédit Agricole S.A. .......................37
Grèce : toujours plus .......................................................................... 21 Matières premières..............................................................................39
Espagne : face aux vents violents, le gouvernement tient la barre .... 22 Comptes publics..................................................................................40
Scandinavie : un îlot préservé ............................................................ 23
Royaume-Uni : années de sobriété .................................................... 24
2. Spécial
Stratégie macroéconomique : trop de problèmes locaux pour
s’atteler aux problèmes mondiaux
Quatre principales préoccupations constituent la toile de fond de doutes existant sur le marché : L'acceptabilité du rythme
actuel de croissance des États-Unis, les performances économiques divergentes en Europe, la capacité des pays
émergents d’assurer le maintien des grands équilibres macro-économiques, la volonté de rééquilibrer la croissance
mondiale. Il n'est pas sûr que les conditions soient réunies pour atteindre rapidement ces quatre objectifs à la fois.
La reprise mondiale se poursuit, mais les rythmes restent très différents entre les pays avancés et les
émergents. L’écart de croissance du PIB entre les deux régions est du simple au triple : de 2% à 6%. De ce
simple constat, quatre préoccupations, qui tissent la toile de fond des questionnements actuels du marché,
apparaissent :
Le caractère acceptable ou non du rythme de la croissance en cours aux États-Unis ;
La divergence entre les performances économiques en Europe ;
La capacité des pays émergents à concilier forte croissance, stabilité macroéconomique et accueil des
capitaux en provenance de l’ouest et en quête de rendements attrayants ;
La difficulté, a priori paradoxale dans un tel environnement, à rééquilibrer l’économie mondiale, avant
tout à réduire dans un même mouvement les déficits extérieurs ici et les excédents là-bas.
Commençons par les États-Unis où la perspective d’une croissance économique durablement autour de
2% l’an, pendant un certain temps, passe mal (le rythme de croissance devrait être au-dessus du potentiel
en 2011 et 2012, avec le risque d'une correction à la baisse juste après). Avant tout du fait de ce que cela
implique en termes, d’une part, d’insuffisance de rendement moyen du capital investi en actifs américains,
qu’il s’agisse de produits monétaires, d’obligations ou d’actions et, d’autre part, de maintien d’un taux de
chômage élevé durant trop longtemps. Il en résulte une tentation, très présente dans le débat d’idées
aujourd’hui, de considérer la faible croissance actuelle non pas comme un phénomène structurel,
en relation avec la nécessité de rééquilibrer et de consolider le bilan de beaucoup d’entre les agents
économiques (des ménages aux administrations publiques en passant par les institutions
financières), mais comme une faiblesse conjoncturelle, passagère par essence. Il suffirait alors aux
responsables de la politique économique d’être plus insistants en matière « d’amorçage de la pompe » à
relance économique pour que la croissance finisse par accélérer et se positionne de façon durable sur une
tendance socialement acceptable, sans doute d’au moins 3% l’an. Cette position appelle au moins trois
commentaires.
D’abord, il n’est sans doute pas possible de considérer que le diagnostic du « passage à vide »
conjoncturel est le mieux établi. Les États-Unis n’échappent simplement pas à la règle, logiquement
fondée et historiquement observée, d’une période de croissance lente, nécessaire au désendettement.
Peut-être doit-on admettre qu’elle est largement entamée pour ce qui est des ménages. Il n’en demeure
pas moins que le débat du niveau jusqu’auquel le taux d’épargne remontera (il est déjà passé de 2% à 6%)
n’est pas clos et qu’il y a au moins autant d’arguments en faveur d’une poursuite de la remontée que pour
sa stabilisation.
Dans tous les cas, le leverage des banques ne retrouvera pas les niveaux d’avant-crise et la remise en
ordre des comptes publics reste un effort à engager. Face à de tels vents contraires, les moteurs que sont
les exportations et l’investissement des entreprises, quelle que soit leur puissance, ne pourront pas assurer
durablement à l’économie américaine un rythme d’au moins 3% l’an. Ce qui ne veut pas dire qu’une
performance de cet ordre n’est pas ponctuellement réalisable. Les freins structurels pèsent sur la
croissance potentielle (celle observable sur moyenne période), mais n’empêchent pas les développements
cycliques de plus court terme (en relation par exemple avec les cycles des stocks ou de l’investissement)
de faire sentir leurs effets.
(*)
Croissance BRIC et G3 Le multiplicateur monétaire est-il cassé aux EU ?
10% 250
B ase 1 en ao ût 2008
00
8% 230
6% 210
190
4%
170
2%
150
0%
130
-2% * cro issance du P IB à P P A a/a 10
1
-4% P révisio ns 90
-6% Jan-08 Jan-09 Jan-10
00 02 04 06 08 10 12 base mo nétaire
cro issance G3 cro issance B RIC o ffre de mo nnaie (M 2)
So urce : B lo o mberg, Crédit A grico le CIB So urce : Crédit A grico le CIB prêts et crédits bail
Perspectives Macro - N°131 – 1er trimestre 2011 2
3. Spécial
Ainsi, une croissance potentielle de 2% (sans doute la référence à retenir pour les années futures) n’est
en rien un obstacle à des fluctuations conjoncturelles amenant la progression du PIB à environ 3,5% à un
certain moment.
Ensuite, la difficulté collective (du peuple et ses élites économiques aux responsables politiques dont
les policy makers) à admettre le nouveau régime de croissance peut engendre des erreurs de
politique économique, aux conséquences dommageables en termes de perspectives d’activité.
Insister de trop pour faire monter en régime une économie qui n’en est pas capable comporte un triple
risque. Premièrement et tant que la politique économique est considérée comme crédible, cela participe
de l’instabilité des anticipations. Les agents privés réajustent à la hausse leurs prévisions (qu’il s’agisse
d’activité, de résultats ou de rendements), avant de s’apercevoir que le « mieux » en termes de croissance
n’est pas durable. Deuxièmement, ce qui finit par être perçu comme un trop plein d’optimisme des
responsables de la politique économique dans leur capacité d’action nuit à l’efficacité de celle-ci. Le
pilotage des anticipations s’en trouve altéré et la confiance dans l’action publique, diminuée.
Troisièmement, le réglage des outils de la politique économique peut être poussé trop avant ; ce qui peut
être défavorable, ne serait-ce que parce que cela rend la « normalisation » d’autant plus délicate.
Jusqu’où la Réserve fédérale s’enfoncera-t-elle dans la terra incognita du Quantitative Easing, avant de se
rendre compte de la faiblesse de la réponse de l’économie américaine (en période post récession de bilan,
la préférence pour l’épargne et le désendettement rendent la politique monétaire moins opérante) ? Même
s’il existe encore des marges de manœuvre en termes d’initiative de relance budgétaire (mais
hypothéquée par le climat antagoniste régnant à Washington), la problématique suite à un activisme mené
trop loin serait de nature comparable.
Enfin, il faut s’interroger sur les initiatives à prendre afin de à la fois accepter ce nouveau régime de
croissance et de le faire évoluer vers quelque chose de plus optimal.
L’expérience de l’Europe à la fin des années 70 et durant la décennie suivante est sans doute à garder
à l’esprit. Confrontés à une croissance ralentie que le maintien du chômage et de l’inflation à un haut
niveau rendait permanente, les Européens ont recherché des solutions de nature structurelle aux
maux dont leurs économies souffraient. L’objectif de davantage d’unification européenne offrait un
champ large d’idées de réforme. Une plus grande stabilité monétaire et la création d’un marché unique ont
été les axes retenus. On peut évidemment discuter à n’en plus finir pour mesurer de façon précise l’apport
de ces réformes à la croissance européenne. Il a sans doute été essentiel, même si d’autres freins sont
apparus progressivement. Dans tous les cas, ouvrir des perspectives et y faire adhérer les acteurs de la
vie économique rend plus facilement acceptable hic et nunc un ralentissement un tant soit peu durable de
la croissance.
Il y a ici une leçon vraisemblablement utile aux États-Unis : prendre des initiatives ambitieuses et
préférer les politiques structurelles aux outils plus conjoncturels que sont les politiques
budgétaire et monétaire. Au passage, les thématiques retenues en Europe il y a une trentaine d’années
pourraient raisonner utilement aux oreilles des décideurs américains actuels : ne parle-t-on pas de
nécessaire réforme du système monétaire international et ne redoute-t-on pas avant tout la prise ici ou là
de mesures protectionnistes ?
Passons à l’Europe et à la montée des divergences de performances économiques entre les pays
de la zone euro. Il ne fait guère de doutes que celles-ci vont en augmentant, et ceci quel que soit
l’indicateur retenu : de la croissance au taux de chômage et de la balance des comptes courants à celle
des comptes publics. L’inflexion est notable par rapport à la situation ayant prévalu avant la crise. La
construction européenne était perçue (les faits confirmaient d’ailleurs la perception) comme une machine à
fabriquer de la convergence. Les marchés avaient « joué à fond » le processus, avec l’écrasement par
exemple des écarts de rendements entre les titres d’État à l’intérieur de la zone euro.
Flux de capitaux privés vers les émergents
1200
1000 M ds USD
autres flux privés
800
prêts de banques co mmerciales
600 flux de pro tefeuille
IDF
400
flux de capitaux privés vers les émergents (to tal)
200
0
-200
1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
So urce : Crédit A grico le CIB
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4. Spécial
Un environnement économique international plutôt porteur, l’existence des fonds structurels,
l’intensification des échanges intra-européens, des contraintes imposées en matière de dérive des prix et
de niveaux, tant de taux longs que d’impasse des comptes publics et une politique monétaire commune
sont autant de raisons pour expliquer la convergence. De plus, bien entendu, le dynamisme du contexte
mondial a masqué les évolutions différentes en matière de compétitivité (prix et produit) et de modèle
économique décliné (qu’il s’agisse de spécialisation géographique des ventes, de spécialisation sectorielle
de l’offre ou des ressorts de la demande des ménages – le pouvoir d’achat ou le couple valorisation des
actifs/endettement –).
Dans tous les cas, ce n’est que cette réalité de la convergence qui permettait le respect (plus ou moins
bien au demeurant) de règles communes en termes de dérives de prix ou d’équilibre des comptes publics
et qui rendait possible une unicité de politique monétaire. La divergence (à partir de quel stade ? Il n’y a
pas de réponse définitive à la question, mais le fait de la poser fait hélas craindre que le processus est
suffisamment avancé pour être bien visible) remet en cause la capacité à suivre la règle commune et
rend difficile le pilotage de la politique monétaire (que veut dire la moyenne quand l’écart-type devient
important ?). Dans le « meilleur des mondes », l’effort de l’Union européenne et de ses pays-membres
devrait porter avant tout sur les initiatives permettant de recréer de la convergence. Bien sûr, gérer la crise
du souverain dans les pays périphériques et forcer les investisseurs à être à l’avenir moins angéliques
pour ce qui est de l’évolution économique et son implication sur la qualité des comptes publics de chacun
des pays de la zone sont une « ardente obligation ». Il n’empêche que recréer les conditions de la
convergence économique est une « absolue nécessité ». Sinon, il sera de plus en plus difficile de
gérer une zone euro dont la « boîte de vitesses » n’est pas équipée de marche arrière.
Produire à nouveau de la convergence veut dire deux choses : avoir un modèle (les références peuvent
être multiples) et baliser les cheminements qui pays par pays permettront de l’atteindre. En matière de
modèle, quelle que soit la nécessité de préserver les susceptibilités, la référence sera peu ou prou
l’Allemagne, qu’il s’agisse de modèle économique ou de gestion des comptes publics. Et l’Allemagne, forte
de ses succès, compte bien s’y employer. Mais personne ne doit ignorer que le « coût à l’entrée » pour
nombre de pays-membres est immense, qu’il s’agisse d’améliorer la compétitivité de l’économie (ce qui
passera au moins partiellement par des efforts de dévaluation interne, c'est-à-dire de baisse des coûts
salariaux unitaires) ou de réduire les déséquilibres des comptes publics. Il faut être lucide, même si on est
un adepte de l’existence d’un environnement d’équivalence ricardienne en Europe continentale (la
réduction des déficits publics participerait de davantage de confiance de la part des ménages et donc
d’une préférence plus affirmée pour la dépense au détriment de l’épargne), rien ne sera possible sur la
durée sans une attention portée à maintenir un certain rythme de croissance. Cela doit passer au
sein de l’Union par davantage de solidarité budgétaire (elle existe dorénavant, même si c’est d’une
façon conditionnelle, pour les périodes de crise ; il y aurait quelque logique à l’étendre aux périodes plus
normales, ne serait-ce que pour éviter les crises) et/ou par une volonté de gommer au moins en partie
les déséquilibres de position extérieure relative (les pays ayant un excédent extérieur à la fois vis-à-vis
de la zone euro et du reste du monde devraient faire des efforts de dynamisation de leur demande
intérieure).
Finissons plus rapidement par étudier les deux derniers points mis en avant dans notre introduction. Pour
ce qui est des pays émergents pris comme un tout, quel que soit le caractère tout à fait satisfaisant
des performances macroéconomiques enregistrées à l’heure actuelle, force est de reconnaître que
trouver le réglage optimal entre croissance forte et maintien des grands équilibres
macroéconomiques n’est pas facile. En matière de croissance deux constats apparaissent : la crise
1
freinera sans doute pour quelques années le rythme des importations dans les pays développés et le
passage de relais des exportations vers la demande intérieure comme principal moteur de la croissance
des pays émergents est un phénomène long et graduel. A ce double titre, la tentation de maintenir un
réglage accommodant de la politique économique est grande. Les taux d’intérêt réels resteraient trop
bas longtemps et les devises, toujours sous-évaluées par rapport au dollar. Cette combinaison mêlant bon
niveau de croissance et politique accommodante est favorable à des flux entrants de capitaux importants.
Au final, il faudra être attentif au risque d’inflation, tant du côté des biens et services, que de celui des
actifs.
La réforme du système monétaire international est une idée louable, tant de trop fortes fluctuations
sur le marché des changes et des mouvements de capitaux trop intempestifs sont autant de chocs
sur le déroulé du cycle économique mondial. En la matière, un triple but devrait être assigné : la
généralisation autant qu’il est objectivement possible de le faire du système des changes flottants, faire en
sorte que les mouvements de capitaux aient moins d’effets déstabilisants (ce qui veut assurément dire
réduire les phénomènes à la genèse de ces flux et donc s’atteler aux déséquilibres des balances de
paiement) et s’assurer que les Banques centrales gardent comme premier objectif de juguler le risque
inflationniste. Il est cependant peu probable que les choses se passent ainsi. Dans un environnement
mondial désinflationniste (faible croissance dans les pays avancés, haut niveau de concurrence dans
un monde toujours largement ouvert et surcapacités de production dans certains secteurs et dans certains
pays), la tentation d’affaiblir sa devise pour créer les conditions de davantage de croissance
restera présente dans nombre de pays. De même, pousser loin (trop loin ?) le réglage accommodant
des politiques monétaires ne sera pas perçu comme trop risqué, tant que les marchés ne s’inquiètent pas
1
cf. FMI, Perspectives Economiques Mondiales, octobre 2010, Chapitre 4.
Perspectives Macro - N°131 – 1er trimestre 2011 4
5. Spécial
trop (on sait pourtant que leurs changements d’humeur peuvent venir sans crier gare). Enfin, le
rééquilibrage de la croissance mondiale prendra du temps et les investisseurs occidentaux resteront
attirés par les rendements offerts par les marchés émergents, tout en essayant de rester attentif à la
montée des risques, si tant est qu’ils apparaissent. La volatilité des flux de capitaux ne disparaitrait donc
pas.
Fort de ces analyses, à quoi l’investisseur doit-il être attentif :
A ce qu’aux États-Unis le principe de réalité fasse accepter une croissance économique plus faible que
les références historiques usuelles ; c’est au final moins dangereux que de se lancer dans une
succession de politiques de relance peu efficaces et dont la normalisation ne serait pas facile ; il ya des
opportunités pour l’investisseur dans un environnement de marché caractérisé par un taux long Trésor
Public autour de 4%, un PER du marché actions de 13 et une progression annuelle des earning per
share de 7% ;
A ce qu’en Europe, un début d’intégration budgétaire ou au moins de coordination des politiques
macroéconomiques se mette en place ; il faut absolument vite enrayer le processus de divergence des
performances économiques ;
A ce que dans les pays émergents, le risque d’accélération de l’inflation reste faible.
Pour ce qui est de la réforme du système monétaire international, il paraît raisonnable de ne rien
attendre. Si des initiatives arrivent à se concrétiser et qu’elles participent d’un rééquilibrage de
l’économie mondiale et de davantage de lisibilité, tant mieux !
Hervé GOULLETQUER
herve.goulletquer@ca-cib.com
Part mondiale libellée en dollars US Zone Euro : dispersion du taux de chômage
0 20 40 60 80 100 4,5 16
%
transactio ns sur le marché des
4,0 14
changes
réserves internatio nales 3,5 12
3,0 10
dépô ts bancaires
2,5 8
prêts bancaires
2,0 6
ventes de créances
1,5 4
part des EU dans la cro issance 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 1 0
mo ndiale écart type du taux de chô mage
So urce : B lo o mberg, FM I So urce : ISM , CA CIB
M in-M ax (éch. dr.)
Perspectives Macro - N°131 – 1er trimestre 2011 5
6. Politique monétaire
La Fed a ses raisons… que la BCE ignore !
Chacune à leur manière, la Fed et la BCE soutiennent la croissance aux États-Unis et dans la zone euro. Les moyens
diffèrent (Quantitative Easing pour l’une, Liquidity Easing pour l’autre) parce que les modèles économiques et les modes de
pensée diffèrent. La Fed craint par dessus tout la déflation, la BCE beaucoup moins. La BCE craint l’inflation, réelle comme
financière, la Fed la recherche. La Fed se fie au degré d’utilisation des ressources, la BCE aux agrégats monétaires. Mais
derrière ces dogmes, il y a aussi et surtout du pragmatisme et des Banques centrales sur qui compter.
La Fed a ses raisons…
L’issue du FOMC des 2-3 novembre n’a pas surpris avec l’annonce officielle de la reprise du
quantitative easing (QE2) mettant ainsi un terme au suspense qui durait depuis l’été. Les raisons de
ce geste telles que formulées par la Fed tiennent à la non-satisfaction de ses deux objectifs que sont le
plein emploi et la stabilité des prix. De son point de vue, en prenant une assurance contre les risques
baissiers sur la croissance et l’inflation, la Fed ne risque pas grand chose à en faire trop, surtout
lorsque plane la menace déflationniste. Le résultat n’est certes pas garanti, mais la multiplicité des
canaux de transmission accroît les chances de succès : détente de l’ensemble des conditions
monétaires et financières, lutte contre l’aversion pour le risque et ancrage des anticipations d’inflation.
D’ailleurs, dans les faits, ce surcroît de stimulus a donné un coup de fouet à la confiance avec pour
résultat une remontée du taux sans risque qui flirte depuis avec les 3% (pour le dix ans américain). Cette
situation de prime abord paradoxale, puisque de nature à resserrer les conditions de crédit, ne l’est pas
tant. En ravivant l’appétit pour le risque, la Fed augmente certes la base sur laquelle se forment les taux
de marchés, mais réduit en contrepartie le surcroît de rémunération demandé par les investisseurs pour
détenir des actifs plus risqués et fait ainsi monter leur prix. La hausse du prix des actifs contribue à
soutenir la richesse patrimoniale, un des leviers pour stimuler la demande privée et partant l’emploi, ce qui
permet de s’assurer du bon enclenchement du cercle vertueux de la croissance auto-entretenue. Par
ailleurs, en soutenant les anticipations d’inflation, la Fed joue sur un autre levier : la baisse des taux réels,
(à tout le moins leur non-hausse), également de nature à soutenir la demande.
…que la BCE ignore
Le fait que la BCE ait de son côté déjà entamé sa stratégie de sortie (temporairement interrompue
pas le regain de tensions sur les souverains européens) témoigne d’une vraie ligne de fracture
entre ces deux Banques centrales. Les différences sont d’ordre conceptuel. Alors que pour la Fed, la
déflation reste le fléau à éviter à tout prix, à l’instar de la mécanique délétère observée du temps de la
grande dépression, la BCE voit la baisse du niveau général des prix comme un moyen douloureux, mais
néanmoins nécessaire, d’opérer une dévaluation interne dans des économies en manque de compétitivité.
Côté Fed, les effets de richesse sont recherchés pour eux-mêmes comme canal de transmission de la
politique monétaire, lorsque la valeur des actifs est une composante intrinsèque du comportement de
consommation des agents selon une logique de croissance patrimoniale. A l’inverse, la BCE voit la hausse
des prix d’actifs sur fond de stimulus monétaire comme une source potentielle d’instabilité, puisque toute
cette liquidité en se déversant dans la sphère financière risque de distordre l’allocation des ressources et
de gonfler artificiellement certains prix d’actifs. Enfin, la BCE se montre très réticente à opérer tout réglage
de sa politique sur la base de mesures fragiles comme l’« output gap » et, sensible à la formule de
Friedman selon laquelle l'inflation est partout et toujours un phénomène monétaire, elle continue
de prêter une attention particulière aux agrégats de crédit et de monnaie, ce qui ancre définitivement sa
stratégie dans le moyen terme. La Fed, elle, n’a de cesse de rappeler l’ampleur des ressources
inemployées et la nécessité de croître plus vite pour les résorber. Il est surtout question de cycle plutôt
que de tendance avec un réglage monétaire souple à court terme pour atteindre une cible de moyen
terme.
Hélène BAUDCHON Isabelle JOB
helene.baudchon@credit-agricole-sa.fr isabelle.job@credit-agricole-sa.fr
États-Unis : inflation inférieure à la cible UEM : inflation proche de sa cible
a/a, % a/a, % a/a, % a/a, %
6 6 5 5
5 5
4 4
4 4
3 3 prévisio ns 3
prévisio ns 3
2 2 2 2
1 1
1 1
0 0
-1 -1 0 0
-2 -2
-1 -1
00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 1 0 1 11 2
05 06 07 08 09 10 11 12
inflatio n to tale inflatio n so us-jacente
zo ne grisée : récessio n inflatio n to tale inflatio n so us-jacente
So urce : B LS, Crédit A grico le S.A . So urce : Euro stat, Crédit A grico le S.A .
Perspectives Macro - N°131 – 1er trimestre 2011 6
7. Marchés
Taux d’intérêt : des taux de fin de crise, les taux euro ne peuvent
qu’augmenter
Bien que les points morts d’inflation aient atteint des niveaux raisonnables, les taux réels [américains] sont restés à des
niveaux de crise, inférieurs à leurs équivalents japonais ou allemands. Ils augmenteront nettement lorsque l’économie sera
suffisamment forte pour supporter des hausses de taux directeurs. Bien que la croissance potentielle ait baissé, les taux
réels subiront un choc à la hausse sous l’effet d’autres facteurs, tels que la volatilité et l’offre et la demande.
Regard à long terme sur les taux américains
Cette crise dure depuis si longtemps qu’on a oublié à quoi ressemblait un taux dix ans normal. Nous pensons
cependant que nous y reviendrons sur notre horizon de prévision de deux ans, à condition que l’économie soit
assez robuste pour supporter un début de remontée des taux directeurs américains au deuxième semestre 2012.
Indépendamment du calendrier exact des actions de la Fed, avoir une idée de la situation à terme est important.
Prenons l’exemple des TIPS (titres du Trésor américain indexé sur l’inflation). Les taux réels à dix ans sont
actuellement autour de 0,75%. Il est traditionnellement admis que le taux des TIPS donne une idée de la
croissance attendue sur la durée de vie du titre. Dès lors, le TIPS à dix ans ne suggère qu’un taux de croissance
extrêmement faible.
Quel serait le niveau raisonnable du taux réel ? Depuis l’année 2000, la moyenne du taux réel à dix ans a été de
2,25%, tandis que la moyenne du taux de croissance a été de 1,9%. Le consensus est que la croissance
américaine sera structurellement plus faible à l’avenir, il faut remonter à 2005 pour trouver un taux de croissance
supérieur à 3%. La croissance potentielle américaine devrait être nettement inférieure à 3%, probablement entre
2,0% et 2,5%.
Si la croissance peut donner une première idée du niveau futur des taux réels, d’autres facteurs sont également à
prendre en compte :
La demande : actuellement, la Fed achète assez massivement des emprunts du Trésor, mais elle cessera de
le faire avant de remonter ses taux.
L’offre : le déficit va rester élevé pendant de nombreuses années, de plus les marchés vivent dans la crainte
d’une revente par la Fed des titres inscrits à son bilan, ce qui représente des montants colossaux.
Volatilité de l’économie : l’époque de Greenspan correspond à celle de la « grande modération » : la
croissance et l’inflation étaient exceptionnellement stables, ce qui avait conduit à une forte baisse des primes
de risque. La situation a radicalement changé.
Risque de crédit : les emprunts du Trésor américain ne sont désormais plus des actifs sans risque. Des
évènements récents suggèrent qu’ils intègrent désormais une prime de risque – certes faible, mais positive
(cf. les 41 pdb du CDS à cinq ans sur les États-Unis).
Au regard de l’ensemble de ces éléments, nous pensons que les taux réels seront nettement plus élevés
qu’actuellement lorsque les marchés se stabiliseront à l’horizon d’un an environ.
Nous pensons que le début du cycle de hausse des taux de la Fed amènera rapidement les taux réels 50 à
75 pdb au-dessus de la croissance tendancielle, contre un écart historique de 25 pdb. La « grande modération »
est terminée, la période qui s’ouvre sera marquée par davantage de volatilité, de risques de crédit et par une
dynamique défavorable de l’offre et de la demande.
États-Unis : Croissance et taux réels Taux américain à dix ans
% %
6 10
9
4 8
7
2
6
0 5
4
-2
3
-4 Taux réels à 1 ans
0 2
1 Histo rique P révisio n
Cro issance, % a/a
-6 0
janv-00 janv-03 janv-06 janv-09 mars-90 mars-96 mars-02 mars-08
So urce : B lo o mberg So urces : B lo o mberg, Crédit A grico le CIB
Perspectives Macro - N°131 – 1er trimestre 2011 7
8. Marchés
L’autre composante des taux nominaux est le point mort d’inflation. Les points morts à dix ans sont actuellement
à 2,20% : cela peut paraître élevé alors que l’inflation sous-jacente est à 0,6%, mais cet écart s’explique par le fait
que l’assouplissement monétaire actuel est sans précédent.
Nous pensons que les points morts seront relativement inchangés, voire légèrement plus élevés que leurs
niveaux actuels, autour de 2,25%. Un niveau d’équilibre du taux réel à dix ans de 2,50% à 2,75% reflèterait une
croissance tendancielle relativement limitée, mais une prime de risque plus élevée. Au total, cela nous amène à
prévoir un taux dix ans de 4,75% fin 2012. Cela peut paraître élevé, mais fin 2012, les taux à dix ans seront le
reflet des anticipations pour la période 2013-2022.
En zone euro l’effet valeur refuge a été évincé
Alors que les craintes de nouvelle récession aux États-Unis (double-dip) ont contribué à la baisse des taux des
États du centre de la zone euro dans la seconde moitié de 2009 et au premier trimestre 2010, la principale
explication à la baisse des taux allemands depuis le mois d’avril a été l’aversion au risque liée à la crise
européenne. Cette dynamique est clairement illustrée par la correspondance entre les périodes de forte baisse
des taux allemands et les périodes de corrélation négative entre le Bund et le BTP (emprunts d’État italiens).
Cette dynamique a commencé à faiblir lorsque les autorités européennes sont intervenues de manière plus
importante, soit au travers de plans de soutien ou via les achats d’obligations de la BCE. Compte tenu du coût
potentiellement très élevé de la crise de la dette européenne, nous pensons que la BCE et, au final, la
Commission européenne auront tendance à vouloir soutenir tous les membres de la zone euro, empêchant ainsi
un retour de l’effet valeur refuge.
La croissance et l’inflation suggèrent de nouvelles hausses des taux de marché
À défaut d’acheter les obligations des pays du centre de la zone euro pour se protéger du risque, les marchés
prennent de plus en plus en considération la dimension macroéconomique « habituelle ». Les taux, même après
leur remontée récente, sont environ 50 pdb en dessous de ce qui semblerait normal compte tenu des niveaux
actuels de croissance et d’inflation : les obligations des pays du centre sont surévaluées et les taux Euribor sont
trop bas.
Cela n’aurait guère d’importance si l’on prévoyait un ralentissement économique. Cependant, plusieurs
indicateurs comme la composante « nouvelles commandes » et celle des « commandes en attente » de l’indice
PMI manufacturier de la zone euro, suggèrent une croissance solide en zone euro. Ceci a été confirmé ces
dernières semaines par la plupart des enquêtes et des chiffres d’activité. Dans un tel environnement, les taux
continueront à augmenter et, dans le courant de l’année prochaine, les marchés intégreront de plus en plus
nettement l’approche d’une hausse des taux de la BCE. À ce jour, nous pensons que la BCE procédera à sa
première hausse des taux au cours du premier trimestre 2012.
L’offre devrait être importante au premier trimestre
En 2011, nous attendons une offre globale de titres d’État inférieure à celle de 2010. Alors que les
remboursements augmenteront légèrement (de 513 à 556 Mds €), les besoins de financement du déficit devraient
diminuer de plus de 30%, conduisant à une baisse de l’offre brute comme de l’offre nette.
L’offre, cependant, n’est pas entièrement favorable pour le marché obligataire. L’offre brute de titres semi-publics
et bancaires devrait augmenter en raison des besoins de financement liés aux plans de sauvetage et de l’arrivée
à échéance d’une quantité importante de titres garantis par l’État.
En plus de cela, les principaux emprunteurs sont habituellement très actifs sur le marché au premier trimestre. Il
n’y a pas de raison de penser que cela sera différent en 2011. Historiquement, l’offre de titres n’a jamais eu
d’impact particulièrement visible sur les prix des obligations souveraines. Cependant, si les marchés continuent à
se détourner de l’obligataire américain et européen jusqu’en janvier, la forte montée de l’offre ne devrait pas
rester sans effet.
Luca JELLINEK David KEEBLE
luca.jellinek@ca.cib.com david.keeble@ca-cib.com
Zone euro : changement de taux et convergence - divergence Taux euro croissance nominale
1,0 60 %
0,8 40 6
0,6
20
0,4 4
0,2 0
0,0 -20 2
-0,2 -40
-0,4 0
-60
-0,6
-0,8 -80
-2
-1,0 -100
Sep-09 Dec-09 M ar-10 Jun-10 Sep-10 Dec-10 -4
Changement s/ un mo is du taux des Jan-99 Jan-01 Jan-03 Jan-05 Jan-07 Jan-09 Jan-11
emprunts allemands à 5 ans (éch. dr.)
So urces : B lo o mberg, Taux 5 ans EUR Cro issance no minale
Co rrélatio n entre le taux à 1 ans
0
CA CIB So urces : Euro stat, B lo o mberg
allemand et le taux à 1 ans italien
0
Perspectives Macro - N°131 – 1er trimestre 2011 8
9. Marchés
Taux de change : retour des déterminants traditionnels
Le dollar devrait légèrement reculer au premier trimestre 2011 et connaître une performance mitigée en 2011. Les devises
des pays producteurs de matières premières, qui bénéficient de taux élevés, devraient afficher les meilleures performances
de l’année, tandis que le yen et le franc suisse devraient retrouver leur statut de devise de financement. Une pression
croissante devrait s’exercer sur l’euro au fil de l’année 2011.
La dynamique du marché des changes a été fluctuante au cours des derniers mois, l’attention des
marchés passant d’un thème ou d’un problème à un autre. En conséquence, aucun facteur n’a dominé le
marché des devises : l’aversion au risque et les taux d’intérêt ont tous deux joué un rôle, sans qu’aucun des
deux ne prenne l’ascendant. En effet, le fait que les deux devises qui se sont le plus appréciées en 2010
soient le dollar australien (qui bénéficie de taux élevés et s’apprécie habituellement en cas d’appétit pour le
risque) et le yen (dont les taux d’intérêt sont faibles et qui est considéré comme une valeur refuge) démontre
la forte dualité du marché des changes en 2010. Ceci a été particulièrement net pour le dollar américain.
Celui-ci a bien commencé l’année, dans un contexte d’inquiétudes grandissantes sur la situation budgétaire
de la zone euro, mais il a ensuite reculé pendant une grande partie du second semestre, sous l’influence du
programme d’assouplissement quantitatif de la Fed (QE2). Alors que le dollar semblait devoir finir l’année sur
une note négative, un regain d’inquiétude concernant la périphérie de la zone euro a conduit à une nouvelle
baisse de la monnaie unique.
Les perspectives pour 2011 ne sont pas plus claires, mais deux thèmes déjà présents en 2010 devraient
continuer à exercer une influence majeure sur les devises. Le thème qui retient le plus l’attention est la crise
affectant la dette des États périphériques de la zone euro. Il est clair que la mise en place de plans de soutien
importants pour la Grèce et l’Irlande n’a pas empêché une transmission de la crise à d’autres pays, ce qui
oblige les autorités à se démener pour éviter une généralisation de la crise. Nous pensions que de tels
problèmes ne referaient leur apparition qu’en 2011, permettant à l’euro de s’apprécier fin 2010, mais les
marchés ont été moins patients que nous ne l’avions anticipé. Tout n’est cependant pas perdu : la BCE
pourrait se lancer dans un programme plus ambitieux d’achat d’obligations et d’apport de liquidités,
ce qui permettrait aux marchés obligataires de la zone euro de se stabiliser et soutiendrait l’euro. Un
tel soutien pourrait n’être que temporaire, mais il offrirait au moins un répit à l’euro au premier trimestre 2011,
avant une nouvelle période de baisse liée à des taux de croissance faibles et divergents de nature à affaiblir
l’appétit pour la monnaie unique.
Le second thème qui devrait continuer à exercer une influence importante sur le marché des changes est
l’assouplissement quantitatif américain et/ou l’éventualité de programmes similaires dans d’autres pays. Bien
que le QE2 soit déjà largement pris en compte dans les cours actuels du dollar, la possibilité d’un QE3 n’a pas
encore été intégrée par les marchés. En effet, les données américaines récentes ont été assez
encourageantes, suggérant une réduction plutôt qu’une extension de l’assouplissement quantitatif.
Cependant, l’inflation sous-jacente américaine devrait rester faible et le taux de chômage dangereusement
élevé, ce qui suggère qu’un programme d’assouplissement quantitatif supplémentaire est tout à fait
possible. Dans tous les cas, le fait que la Fed achète environ 110 milliards de dollars d’emprunts du Trésor
par mois pourrait freiner le billet vert, compte tenu de la hausse de l’offre de dollar que cela engendrera dans
les mois à venir.
Les taux d’intérêt pourraient à nouveau jouer un rôle dans les prochains mois. Les devises des pays
producteurs de matières premières seront relativement insensibles à la faible croissance des pays du
G3 grâce à des taux relativement élevés et de bonnes perspectives de croissance (perspectives
soutenues par la Chine – directement au travers d’une augmentation du commerce et indirectement
au travers d’une hausse des prix des matières premières). Ces devises, de même que le dollar canadien,
bénéficieront également d’une diversification des placements des Banques centrales asiatiques, lesquelles
tendront à diminuer leurs investissements en dollar américain et en euro. Le recul des devises des pays
producteurs de matières premières au cours des dernières semaines offre une opportunité de mettre en place
des positions longues, dans l’optique d’une appréciation à moyen terme à des niveaux attractifs. À l’autre
extrémité du spectre, les devises traditionnelles de financement – en particulier le yen et le franc suisse –
devraient afficher les performances les plus faibles de notre grille de prévision. Elles retrouveront leur rôle
habituel, un moment tenu par le dollar. En effet, des taux d’intérêt relativement plus élevés devraient
permettre au dollar de ne plus jouer le rôle de devise de financement, même si la Fed maintient le taux des
Fed funds à un niveau bas pendant une période prolongée. De plus, dans le cas du Japon, la possibilité d’une
politique plus agressive de la part des autorités japonaise suggère un potentiel de baisse plus important pour
le yen. Au total, les déterminants habituels du marché des changes – tels que les taux d’intérêt – pourraient
retrouver de l’importance en 2011, mais à en juger par les évènements de l’année 2010, il convient de rester
très vigilant.
Mitul KOTECHA
mitul.kotecha@ca-cib.com
Perspectives Macro - N°131 – 1er trimestre 2011 9
10. Energie - Métaux
Énergie : resserrement des marchés pétroliers en fin d’année
Nos nouvelles prévisions suggèrent que l’écart entre l’offre et la demande de pétrole sera plus faible que nous ne
l’attendions précédemment, ce qui justifie la récente hausse des prix. La demande de pétrole, qui bénéficie d’un effet de
base favorable et de la reprise économique soutenue hors OCDE, est très forte. Nous prévoyons désormais une baisse des
stocks au second semestre 2010, ce qui conduira à une hausse des prix.
Nous avons révisé en très forte hausse nos estimations de croissance de la demande pour l’année 2010, à
2,5 millions de barils par jour (mb/j). Nous estimons que la demande mondiale de pétrole a progressé de plus de
3 mb/j au troisième trimestre 2010, grâce à un effet de base (la demande avait été très faible en 2009) et à la reprise
économique hors OCDE. La révision concerne à la fois la demande des pays de l’OCDE (qui devrait augmenter de
0,6 mb/j) et la demande hors OCDE (qui devrait augmenter de 1,9 mb/j). Cette très forte croissance devrait ralentir vers
1,5 mb/j en 2011. La Chine sera le principal contributeur à l’augmentation de la demande de pétrole en 2010 et 2011,
avec une demande en hausse de 850 kb/j en 2010 et de 390 kb/j en 2011. Le plan de relance mis en place en Chine
pour combattre la récession mondiale a provoqué une forte hausse de la demande de produits pétrochimiques. La
demande chinoise de diesel a récemment bénéficié du soutien inattendu de mesures visant à réduire l’intensité
énergétique qui devraient prendre fin d’ici quelques semaines.
La révision récente de la demande devrait conduire à une baisse importante des stocks mondiaux au troisième
trimestre 2010 (-1,5 mb/j) et au quatrième (-0,6 mb/j), ce qui explique l’augmentation récente des prix et justifie la
révision de nos prévisions de prix pour le quatrième trimestre 2010 et le premier trimestre 2011. Les stocks
devraient baisser de 0,6 mb/j en moyenne en 2010. En 2011, les stocks devraient être à peu près stables, en supposant
que l’OPEP augmente sa production de brut de 0,7 mb/j, pour mettre fin à la baisse des stocks constatée en 2010. Nous
pensons que l’OPEP continuera à favoriser l’intervalle de fluctuation de 70-80 USD le baril dans les mois à venir et
commencera à augmenter sa production fin 2010. Sur la base de cette hypothèse, nous prévoyons que les prix du WTI
reviendront dans l’intervalle de fluctuation de 70-80 USD le baril en 2011, après leur passage au-dessus de 80 USD le
baril au quatrième trimestre 2010 et au premier trimestre 2011.
Christophe BARRET
christophe.barret@ca-cib.com
Métaux : achetez de l’aluminium
Le cuivre est le métal préféré des marchés et tend à faire oublier l’aluminium. Ce dernier bénéficie pourtant d’une évolution
très favorable de ses fondamentaux en termes d’offre et de demande, ainsi que d’un profil risque/rendement attractif qui
suggère une poursuite de la hausse des prix en 2011. La recherche d’actifs physiques pour couvrir les risques souverains,
d’inflation et de dépréciation des devises soutient l’ensemble des métaux.
Les prix du cuivre ont atteint de nouveaux records historiques et font la une des journaux : dans une telle situation, on
peut facilement oublier que le rapport risque/rendement de l’aluminium est de plus en plus attractif. La demande
d’aluminium devrait progresser de plus de 20% en 2010, ce qui est un rebond marqué après la baisse de 8% de 2009 et
constitue la plus forte progression depuis trente ans. Alors que depuis les années 70 les cours du cuivre se situent entre
1,5 et 2 fois les cours de l’aluminium, le ratio est actuellement de 3,8. Les autres facteurs haussiers pour l’aluminium en
2011 sont :
Le prix avantageux de l’aluminium par rapport au cuivre devrait susciter des tentatives de substitution du cuivre
par l’aluminium dans certains secteurs importants ;
Le lancement de trackers sur l’aluminium pourrait permettre de résorber l’excédent d’offre ;
Les stocks ont cessé d’augmenter et baissent régulièrement depuis leur point haut atteint mi-janvier 2010 ; par
ailleurs au moins 70% des stocks du LME sont immobilisés par des opérations de financement et ne sont pas
disponibles pour le marché ;
Des fonderies à coût de revient élevé (en raison du prix élevé de l’énergie) pourraient être fermées en Europe
et le gouvernement chinois impose des restrictions énergétiques qui pourraient entraîner une baisse de la
production.
Robin BHAR
robin.bhar@ca-cib.com
Perspectives Macro - N°131 – 1er trimestre 2011 10
11. Amérique
États-Unis : rétablissement graduel grâce aux mesures de relance
La reprise économique américaine déçoit par sa lenteur, mais un retour graduel à une croissance supérieure à son potentiel
est attendu en 2011, grâce à des mesures opportunes de soutien budgétaire. Le taux de chômage (élevé) et l’inflation
(basse) sont les deux variables clés à surveiller. Les autorités devraient maintenir les mesures de soutien à court terme, tout
en traitant le problème des finances publiques – qui ne sont pas sur une trajectoire soutenable – dans les prochaines
années.
2011, année de transition
L’économie américaine va connaître une évolution importante de ses moteurs de croissance. Le soutien apporté à
l’activité par les dépenses publiques et la reconstitution des stocks en début de reprise devrait être remplacé par une
reprise de la consommation et de l’investissement.
Les conditions d’un redémarrage de la consommation sont à présent réunies. Les ménages sont néanmoins
confrontés à un taux de chômage élevé et la baisse de leur recours au crédit souligne le besoin d’une
croissance plus importante des revenus. Les ménages ont souffert pendant la récession : leur patrimoine s’est
contracté de 17 000 milliards de dollars et le taux de chômage est resté élevé en permanence. Leur réaction a été
de réduire leur consommation, d’augmenter leur épargne et de diminuer leur endettement. Les ménages sont ainsi
parvenus à reconstituer un coussin d’épargne proche de 6% de leur revenu disponible et leur patrimoine s’apprécie
à nouveau, tandis que le coût de la dette diminue en raison de la baisse des taux d’intérêt et du désendettement. De
plus, l’adoption d’une réduction de 2 points des cotisations sociales et la prolongation de l’indemnisation du
chômage jusque fin 2011 vont soutenir fortement leur revenu disponible et donc leurs dépenses. Ces mesures
creuseront néanmoins le déficit fédéral d’environ 168 milliards de dollars l’année prochaine.
L’emploi a commencé à s’améliorer, mais à un rythme inférieur à ce qui serait nécessaire pour faire baisser
sensiblement le taux de chômage. 8,4 millions d’emplois salariés non agricoles ont été détruits sur la période
2008-2009. En 2010, l’emploi salarié a progressé de 79k par mois en moyenne au premier trimestre, puis d’environ
120k par mois aux deuxième et troisième trimestres. Le taux de chômage a cependant été assez stable, autour de
9,7%. Nous pensons que l’explication principale de la situation de l’emploi est la faiblesse de la demande
agrégée. Des facteurs structurels, tels que le manque de mobilité géographique, l’allongement de la durée
d’indemnisation du chômage ou l’inadaptation des qualifications, ont pu provoquer une augmentation du taux de
chômage naturel. Il peut, par exemple, être difficile pour un travailleur de déménager pour prendre un nouvel emploi
s’il doit pour cela vendre un logement en réalisant une moins-value importante. Les qualifications des métiers de la
construction ne correspondent pas nécessairement à celles recherchées dans les secteurs qui recrutent.
L’allongement de la période d’indemnisation du chômage (jusqu’à 99 semaines dans certains États) peut inciter des
chômeurs à reporter leur reprise d’activité, dans l’espoir de trouver une meilleure offre d’emploi. Cependant, au
regard de la faiblesse généralisée de l’emploi (dans les différents secteurs d’activité et régions) et du bas niveau des
taux de vacance en comparaison de leurs niveaux historiques, le principal facteur de la situation de l’emploi semble
être l’insuffisance de la demande agrégée. Cela est confirmé par des témoignages d’entreprises, pour qui la
faiblesse de la demande est la principale explication à leur réticence à embaucher. C’est un point important, car
stimuler la demande agrégée ne servirait à rien si le chômage n’était lié qu’à des causes structurelles.
Emplois demandés
La récession a pris fin avec le retour de la croissance au troisième trimestre 2009 et les profits des entreprises ont
été très soutenus : pour quelles raisons l’emploi n’est-il pas reparti ? Les entreprises ont adopté une politique
d’embauche très prudente en raison des incertitudes sur la vigueur de la reprise et de la demande (risque de
double-dip). De plus, les entreprises sont confrontées à d’importantes incertitudes concernant la fiscalité, le coût de
la santé et la réglementation. Quant aux profits des entreprises, leur hausse s’explique davantage par une réduction
des coûts, en particulier de la masse salariale, que par une augmentation de leur chiffre d’affaires. Dans les mois à
venir, les incertitudes sur la poursuite de la croissance se réduisant et les évolutions réglementaires et fiscales se
clarifiant, les entreprises seront plus à l’aise pour augmenter leurs effectifs et pour investir, bien qu’une partie de leur
développement puisse se faire en dehors des États-Unis. La hausse concomitante de l’emploi et des revenus
soutiendra les dépenses des ménages.
États-Unis : amélioration de la situation financière des ménages États-Unis : réduction du service de la dette
70 000 14 14,0 14,0
60 000 12 13,5 13,5
50 000 10
13,0 13,0
40 000 8
12,5 12,5
30 000 6
12,0 12,0
20 000 4
1 000
0 2 1 ,5
1 1 ,5
1
0 0 1 ,0
1 1 ,0
1
80 83 86 89 92 95 98 01 04 07 10 10,5 10,5
Richesse nette des ménages (ncvs, M d$ ) 80 83 86 89 92 95 98 01 04 07 10
Taux d'épargne (cvs, %, éch. dr.) Service de la dette des ménages (cvs, % du revenu dispo .)
So urce : B EA , FRB
So urce : Réserve Fédérale
Perspectives Macro - N°131 – 1er trimestre 2011 11
12. Amérique
L’investissement des entreprises en équipements et en logiciels a fortement rebondi après avoir baissé
pendant la récession, période pendant laquelle l’investissement ne suffisait pas à couvrir l’amortissement du
capital. Le coût du capital est bas pour les entreprises et les nouvelles commandes de biens d’équipement hors
défense se poursuivent à un rythme soutenu, quoiqu’en baisse. Un ralentissement de l’investissement semble donc
probable sur la période de prévision, mais une croissance à deux chiffres reste probable en 2011 et 2012.
L’amortissement comptable de l’ensemble des dépenses d’investissement en 2011, puis de 50% en 2012 devrait
stimuler l’investissement, tout en privant l’État fédéral d’environ 114 milliards de dollars de recettes – l’essentiel de
cette somme étant cependant récupéré les années suivantes. Les entreprises qui ont accès au crédit et ont des
profits importants devraient continuer de moderniser leur outil de production afin d’accroître leur efficacité et de
rester compétitives. Les PME qui n’ont pas accès aux marchés de capitaux pourraient souffrir d’une certaine
restriction du crédit par les banques régionales, généralement de taille modeste, dont la capacité à prêter est
diminuée en raison de leur forte exposition à l’immobilier commercial. Ceci pourrait freiner l’investissement et les
embauches des PME, qui représentent généralement près de la moitié des créations nettes d’emploi.
Nous pensons qu’un renforcement de l’investissement des entreprises et des ménages reste d’actualité,
différents obstacles suggèrent cependant que ce processus prendra du temps. Les embauches
n’augmenteront que graduellement et le rétablissement des bilans prendra également du temps. D’autres facteurs
pèseront sur le rythme de la reprise, notamment l’immobilier résidentiel. Plusieurs années peuvent être
nécessaires pour surmonter l’impact économique d’une bulle immobilière. Le pic de la bulle immobilière
américaine a été atteint fin 2005 et nous n’envisageons pas de reprise significative avant 2012, malgré l’amélioration
des conditions d’accès à la propriété (taux hypothécaires très bas et baisse des prix). La résorption de l’offre
excédentaire de logements est un processus long. L’offre est abondante, bien que la construction de logements
neufs soit tombée bien en dessous des niveaux nécessaires au regard de la démographie. En plus de « l’offre
officielle » de logements mis en vente sur le marché, il existe une importante « offre cachée » (logements en cours
de saisie ou dont l’emprunteur est défaillant) qui se retrouvera un jour ou l’autre sur le marché. Ceci entretient une
pression à la baisse sur les prix, qui affecte les dépenses des ménages au travers de la baisse de leur patrimoine
(effet richesse négatif). De plus, près d’un quart des logements sur lesquels un emprunt est en cours valent moins
que le montant restant dû à la banque. Les propriétaires concernés ne peuvent pas profiter du faible niveau des taux
d’intérêt pour refinancer leur emprunt et dégager des fonds pour consommer.
L’effet retardé des baisses passées du dollar devrait permettre au déficit commercial de se maintenir à son niveau
actuel. Cependant, une hausse du dollar en 2011 limiterait la croissance des exportations, de même que le
ralentissement attendu de la croissance des pays émergents.
Pour résumer, le rythme plus élevé de créations d’emplois et de croissance du revenu soutiendra la confiance des
entreprises et des ménages l’année prochaine. Par ailleurs, après une période prolongée de restrictions, la
demande accumulée va finir par se manifester. Une réduction des obstacles à la reprise du marché immobilier et
une amélioration des conditions de crédit contribueront également à la croissance, conduisant à une croissance
supérieure au potentiel en 2011 et en 2012. Notre prévision de croissance pour 2012 est cependant plus prudente
que celle du FOMC, qui attend un chiffre compris entre 3,6% et 4,5%.
L’inflation est trop basse et le chômage trop élevé
La décélération de l’inflation est nette. A 0,8% en glissement annuel, l’inflation sous-jacente est actuellement trop
basse. Cela n’est pas très surprenant : la sous-utilisation des ressources conduit généralement à une baisse de
l’inflation, qui se poursuit malgré la reprise, car la résorption de l’output gap prend du temps. Nous prévoyons une
inflation sous-jacente légèrement supérieure à 1% en 2011, puis de 1,7% en 2012, en raison de la persistance de
l’écart entre le taux de chômage et le taux de chômage naturel (unemployment gap), de l’évolution probable des prix
à l’importation et de l’écart entre l’inflation constatée et les anticipations d’inflation à long terme.
La Fed voudrait que l’inflation sous-jacente se situe entre 1,6% et 2,0%. Le FOMC n’est pas à l’aise avec le
rythme actuel de l’inflation sous-jacente, car, primo, cela signifie que la Fed ne remplit pas son mandat et, secundo,
le FOMC veut écarter tout risque de déflation, qui aggraverait les problèmes de service de la dette. Les autorités
américaines veulent clairement éviter une expérience déflationniste, telle que celle du Japon. De plus, un taux
d’inflation plus élevé (conforme au mandat de la Fed) abaisserait le niveau des taux d’intérêt réels, ce qui
soutiendrait la croissance.
États-Unis : reprise de l’emploi d’une lenteur décevante États-Unis : l’inflation est trop basse
400 11 3,0% 3,0%
200 10
2,5% 2,5%
0 9
-200 8 2,0% 2,0%
-400 7
1,5% 1,5%
-600 6
-800 5 1,0% 1,0%
-1000 4
0,5% 0,5%
06 07 08 09 1 0
Jan-00 Jan-02 Jan-04 Jan-06 Jan-08 Jan-1 0
Variatio n mensuelle emplo i privé (cvs, milliers)
prix à la co nso . so us-jacents (cvs, %, a/a)
Taux de chô mage (cvs, %, éch. dr.)
So urce : B LS déflateur implicite de la co nso . so us-jacent (cvs, %, a/a)
So urce : B LS, B EA
Perspectives Macro - N°131 – 1er trimestre 2011 12
13. Amérique
La Fed se concentre sur son mandat
Les objectifs de la Fed – soutenir l’emploi en assurant la stabilité des prix – ne sont actuellement pas
atteints. Comme mentionné ci-dessus, l’inflation est trop basse et le taux de chômage, à 9,8%, est bien au-dessus
de ce que recherche la Fed. Cependant, les taux directeurs étant pratiquement à zéro, la Fed a tenté de stimuler
l’activité économique en abaissant – ne serait-ce que légèrement – les taux d’intérêt à long terme et en suscitant des
conditions favorables à la croissance sur les marchés financiers. Le programme d’achats d’obligations du Trésor de
la Fed, pour un montant de 600 milliards de dollars, est l’outil non conventionnel mis en œuvre pour y parvenir.
Le FOMC est conscient des risques de sa politique d’assouplissement quantitatif (QE pour Quantitative
Easing). La Fed a évoqué les risques potentiels pour sa crédibilité anti-inflation et a développé des instruments qui
pourront être mis en œuvre, afin de minimiser les problèmes qui pourraient se poser lors de l’arrêt du QE. Le FOMC
est également conscient du fait que cette politique ne sera vraisemblablement pas aussi efficace que l’outil
traditionnel de politique monétaire – la fixation du niveau des taux directeurs. Il sait que sa politique monétaire
accommodante aura des répercussions à l’étranger, via une baisse du dollar et de possibles bulles spéculatives.
Cependant, ces risques peuvent être traités en partie au moyen d’autres mesures et doivent être comparés au
risque de stagnation de l’économie américaine ou mondiale. M. Bernanke a défendu l’idée selon laquelle les pays
émergents dont la croissance était supérieure à celle des pays industrialisés devraient laisser leurs devises
s’apprécier afin de réduire les déséquilibres mondiaux et les risques systémiques, qui pourraient conduire à une
croissance plus faible pour tous.
Les critiques récentes à l’égard de la politique de la Fed, tant internationales que domestiques, et l’amélioration des
indicateurs économiques américains ont amené certains analystes à se demander si la Fed irait jusqu’au bout de
son plan d’achat de 600 milliards ou si elle l’arrêterait plus tôt que prévu. La forte hausse des taux d’intérêt à long
terme – qui s’est produite alors même que la Fed procédait à ses premiers achats au titre du QE2 – a conduit
certaines personnes à penser que le plan ne fonctionnait pas. De fait, la divergence des points de vue au sein du
FOMC quant à l’efficacité et aux risques du QE2 peut susciter le doute. Cependant, nous pensons que la plupart des
membres du FOMC estiment que cette mesure est utile et que les conditions qui ont amené la Fed à poursuivre son
QE (chômage élevé et inflation basse) ne s’amélioreront que lentement. Le FOMC prévoit un taux de chômage de
9% à la fin de l’année prochaine, ce qui suggère que la Fed mènera le QE2 à son terme.
Quand nous nous projetons au-delà de 2011, la croissance nous paraît suffisamment solide au second
semestre 2012 pour que la Fed entame une normalisation de sa politique. Cette normalisation pourrait
commencer par des hausses du taux des Fed funds et du taux payé sur les réserves excédentaires. Une hausse du
taux des Fed funds par incréments de 25 pdb à partir de la fin du troisième trimestre 2012 amènerait celui-ci à 1%
fin 2012. La Fed pourrait simultanément mettre en œuvre des mesures additionnelles, telles que des prises en
pensions (reverse repos) et des dépôts à terme auprès de la Fed, afin d’atténuer l’impact potentiellement
inflationniste de l’excès de réserves dans le système financier.
Le déficit budgétaire et le nouveau Congrès
Les développements budgétaires joueront un rôle important pour le nouveau Congrès. Le plan de relance adopté en
2009 (ARRA, American Recovery and Reinvestment Act) a soutenu la croissance en 2010. Son arrêt aurait pu
pénaliser la croissance à hauteur de 0,5 point en 2011 et 2012. Cependant, il semble maintenant plus que probable
que les baisses d’impôt adoptées sous l’administration Bush en 2001 et en 2003, qui devaient arriver à échéance fin
2010, seront prolongées l’année prochaine pour toutes les catégories de revenus. Au total, la prolongation de
l’indemnisation du chômage, la baisse des charges sociales et autres impôts (ou prolongation), les incitations
fiscales à l’investissement ajoutées au maintien de l’abaissement du taux marginal d’imposition pourraient coûter
environ 800 milliards de dollars sur deux ans, par rapport à un scénario à politique budgétaire inchangée.
Cependant, la plupart des analystes ayant supposé que les baisses d’impôts seraient prolongées, l’évolution des
prévisions de croissance reflètera principalement l’effet des autres mesures (baisse des charges sociales,
prolongation de l’indemnisation du chômage et règles d’amortissement favorables à l’investissement).
États-Unis : répartition des ménages en negative equity États-Unis : coût sur deux ans de l’accord budgétaire (Mds USD)
negative equity = capital restant dû>valeur du lo gement
5%
13% Prolongation des baisses d’impôts de 2001 et 2003 286
Indexation de l’AMT (Alternative Minimum Tax ) sur l’inflation 153
1%
1
Allègement des droits de succession 33
Extension de l’indemnisation du chômage 56
Baisse des charges sociales 112
71% Incitations fiscales à l’investissement 114
à la limite du negative equity (LTV 95-100%) Autres mesures fiscales 43
en negative equity (LTV 100-125%) Total 797
très sérieusement en negative equity (LTV 125%+) So urce : Jo int Co mmittee o n Taxatio n
po sitive equity
So urce : FM I
Perspectives Macro - N°131 – 1er trimestre 2011 13
14. Amérique
Le nouveau Congrès cherchera à réduire les dépenses publiques dans les années à venir, notamment parce que les
Républicains ne souhaitent pas relever les impôts pour augmenter les recettes publiques. Lors des élections de mi-
mandat, les électeurs ont manifesté leur mécontentement envers Washington. Le Parti républicain a obtenu une
large majorité à la Chambre des représentants grâce à une intense campagne – menée notamment par des
sympathisants du Tea Party – contre le « big-government » (État fédéral interventionniste). Compte tenu des
inquiétudes concernant les risques et l’efficacité de la politique monétaire actuelle, plusieurs membres de la Fed,
dont M. Bernanke, seront sans aucun doute ravis de voir que les nouvelles mesures de relance à court terme
décidées par Washington vont dans le même sens que les mesures d’assouplissement du FOMC. Cependant, dans
les prochains mois, les décideurs en termes de politique budgétaire devront se garder de tout zèle excessif en
termes de réduction du déficit, afin de ne pas saper la croissance en cours.
Le nouveau Congrès surveillera de plus près la Fed, la Banque centrale étant perçue par certains des nouveaux
parlementaires comme faisant partie intégrante du big government qu’ils n’apprécient pas. Les détracteurs de la Fed
considèrent que la réponse agressive (tant sur le plan budgétaire que sur le plan monétaire) des autorités à la crise
a été inutile et n’a servi qu’à sauver des grandes banques sans permettre de faire baisser le taux de chômage pour
l’Américain moyen. La question « que se serait-il produit si les autorités n’avaient pas agi comme elles l’ont fait ? »
est rarement posée. Les critiques récentes de certains dirigeants républicains envers le QE2 tiennent du calcul
politique et visent à tirer parti de la vague anti-Washington, incarnée par les sympathisants du Tea Party. Nous ne
pensons pas que les propositions visant à changer le mandat de la Fed aient beaucoup de soutien au Congrès, bien
que certains membres de la Fed soient susceptibles de trouver l’idée séduisante. Nous pensons que la Fed
parviendra à préserver son indépendance, en dépit des luttes politiques du moment.
Les finances publiques ne sont pas sur une trajectoire soutenable. Le prochain Congrès devrait apporter les
corrections nécessaires pour qu’elles le soient dans les prochaines années. De nombreuses propositions ont
été faites sur la manière de réduire le déficit et la dette publics. La commission parlementaire bipartisane sur la
réduction du déficit budgétaire mise en place par le président Obama, par exemple, propose de fortes baisses dans
le budget de la défense, un plafonnement des dépenses discrétionnaires, un relèvement de l’âge de la retraite et
une réduction de certains allégements fiscaux pour la classe moyenne, comme la déduction des intérêts des
emprunts hypothécaires. Le plan vise à réduire le déficit à hauteur de 4 000 milliards de dollars en dix ans, ce qui
ramènerait le déficit budgétaire à moins de 2,5% du PIB en 2015 et ferait baisser le ratio de dette à 60% du PIB en
2023. Ce plan n’a pas reçu beaucoup de soutien à ce jour, mais il fournit une base permettant d’entamer des
négociations.
Cependant, de nouveaux parlementaires arrivent à Washington, décidés à en découdre avec le big government,
avec l’administration en place et avec la routine politique. Est-ce que les représentants du Tea Party suivront les
dirigeants du Parti républicain lorsqu’ils chercheront à négocier un compromis avec la majorité démocrate du
Sénat ? Rejetteront-ils, au contraire, toute forme de compromis – ce qui amènerait à une paralysie politique, voire
pire ? L’expérience du Congrès républicain de 1994 avec son « Contrat avec l’Amérique » suggère qu’une tactique
de négociation consistant à bloquer le gouvernement est improbable. A l’époque, l’électorat avait attribué la
responsabilité du problème au Congrès et non au président Clinton et la stratégie des Républicains s’était retournée
contre eux. D’après les sondages, alors que de nombreux électeurs ont une bonne opinion du Tea Party, peu
d’entre eux soutiennent les positions extrêmes de ses dirigeants.
Le peuple américain et les marchés financiers ne toléreraient pas longtemps un Congrès inactif, étant donné la
nécessité de trouver des solutions aux problèmes de long terme et à la situation économique actuelle. Le problème
des dettes souveraines en Europe renforce l’idée que les gouvernements doivent agir aujourd’hui sur le front
budgétaire s’ils veulent éviter que les marchés ne finissent par s’emparer du sujet. La commission budgétaire a
intitulé sa proposition Le moment de vérité : nous espérons que les hommes politiques seront à la hauteur.
Hélène BAUDCHON Mike CAREY
helene.baudchon@credit-agricole-sa.fr michael.carey@ca-cib.com
Etats-Unis (a) 2010 2011 2012 2010 2011 2012
T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4
PIB 2,8 3,0 3,5 3,7 1,7 2,5 3,0 3,1 3,3 3,4 3,2 3,2 4,1 4,0 3,9
Consommation privée 1,8 3,0 3,1 1,9 2,2 2,8 3,7 3,0 3,0 3,1 2,9 2,9 3,3 3,2 3,3
Investiss., équip. & logiciels 15,5 15,3 12,9 20,5 24,8 16,8 8,9 16,0 18,0 15,0 12,8 12,0 13,0 12,0 9,8
Investissement résidentiel -3,3 -0,5 13,5 -12,3 25,6 -27,5 -2,0 2,0 5,0 5,0 9,0 15,0 17,0 22,0 19,0
Variation des stocks (b) 1,4 -0,1 0,0 2,6 0,8 1,3 -1,3 -0,1 -0,2 0,0 0,1 -0,1 0,1 0,1 0,1
Exportations nettes (b) -0,6 -0,4 0,0 -0,3 -3,5 -1,8 0,6 -0,1 -0,1 -0,1 0,0 -0,1 0,0 0,1 0,1
Taux d'épargne 5,7 5,5 4,1 5,5 6,2 5,8 5,3 5,8 5,6 5,4 5,2 4,2 4,1 4,2 4,1
Taux de chômage 9,7 9,3 8,4 9,7 9,7 9,6 9,7 9,6 9,4 9,2 9,1 8,8 8,6 8,3 8,0
Inflation (t/t, %) 1,6 1,4 1,6 1,5 -0,7 1,5 2,1 1,5 1,1 1,2 1,5 2,0 1,6 1,5 1,8
Balance courante (% PIB) -3,7 -3,9 -3,9 -3,0 -3,4 -4,2 -4,0 -3,9 -3,7 -3,9 -4,0 -4,0 -4,0 -3,9 -3,8
(a) données annualisées (b) contribution à la croissance du PIB (en %)
Perspectives Macro - N°131 – 1er trimestre 2011 14