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FRANCOIS Anne-Lise                                     septembre 2007
N°2023983




                                Mémoire
                        Le magazine de marque :
           Entre logique rédactionnelle et logique publicitaire




                  Master 1 Information et Communication




Université Lumière Lyon 2
Directeur de mémoire : William Spano
Remerciements :

Philippe Colombet, Patrick Binet Descamps, Jean Michel Graulier, et Alain
Girod, pour leurs conseils.

Un merci tout particulier à William Spano pour sa patience et ses
encouragements.




                                   2
SOMMAIRE


Introduction…………………………………………………………………..p 4



Partie I………………………………………………………………………p 12

Chapitre I /
Logique rédactionnelle et logique publicitaire : un travail en tandem en faveur
de l’épanouissement de l’entreprise et de l’intérêt privé dans l’espace
public………………………………………………………………………..p 13

Partie II……………………………………………………………………...p 45

Chapitre I /
Description et interprétation du processus de fabrication et de distribution des
informations au sein du magazine de marque……………............................p 46

Chapitre II /
Le magazine de marque comme don de l’entreprise pour intégrer l’espace
public…... p 74



Conclusion …………………………………………………………………..p80




                                       3
INTRODUCTION :

       L’entreprise use de la marque comme un outil assurant la promotion de
ses marchandises, ses services, et par là même occasion sa propre promotion.
Le magazine de marque est un support écrit permettant d’assurer à la fois la
promotion des produits de l’entreprise et l’entreprise elle-même.

        Nous nous proposons d’en disséquer le contenu et d’en dévoiler au
grand jour le mécanisme. Pour cela, nous prendrons comme objets d’étude
différents types de magazine de marque : Ca se passe comme ca de la chaîne
de restauration Mac Donald, BMW magazine du constructeur automobile
BMW, Virgin des enseignes Virgin Megastore, Vivre Champion des
hypermarchés Champion, C’Clair ! des hypermarchés Leclerc et Silence, du
groupe hôtelier Constance. Nous justifierons plus loin notre choix.

 « Ces magazines de marque ont en commun d’être édités à l’instigation de
distributeurs qui souhaitent renforcer l’achat dans leur enseigne, de façon
directe en stimulant le trafic et de façon indirecte en renforçant leur image de
… marque ! »1 explique Caroline Marty de Montety, auteur en 2005 d’une
thèse intitulée Le magazine de marque : métamorphoses d’une promesse.
        Nous rajouterons que le magazine de marque est aussi un moyen de
fidéliser les clients. Il constitue un contact régulier grâce à la périodicité du
support. Aussi dirons-nous que le magazine de marque est un outil de
communication qui remplit deux missions, indissociables et différentes : l’une
est d’ordre marchand, et l’autre d’ordre relationnel2.

       Le magazine de marque met en évidence le lien entre la fidélisation et
l’écoulement des marchandises. Il établit un second rapport entre la logique de
presse et la logique publicitaire3.

        La logique de presse correspond aux informations générales, autres que
le prix et les produits, ne prenant aucune position en faveur de l’entreprise. Elle
prend effet dans l’espace rédactionnel du magazine. La logique publicitaire

1
  www.dyn-com N°102 Mars/Avril 2006
2
  Je tiens à dire qu’en précisant ces deux ordres, marchand et relationnel, je ne qualifie pas la
nature du lien entre eux. C’est à dire que je ne les oppose pas. Je ne les associe pas non plus,
même si je les suppose complémentaires dans la démarche d’incitation à l’achat. Nous
pourrons définir la rapport qu’ils entretiennent tout au long de notre réflexion.
3
  Comme dans la note précédente, je ne présente là que deux logiques, que je n’oppose pas, et
que je n’allie pas non plus. Elles existent, et je me contente de les signaler. Je ne m’avance pas
pour l’instant à définir dans quelle mesure elles s’imbriquent ou interagissent.




                                                4
peut prendre plusieurs formes : des informations sur les produits et leurs prix,
mentionnées à l’intérieur d’un article (proche du publi reportage) ou une
annonce, dont l’entreprise éditrice n’est pas forcément l’émettrice. Au même
titre que l’on a associé l’espace rédactionnel à la logique de presse, on serait
tenté d’attribuer à la logique publicitaire un espace publicitaire. Or la
spécificité du magazine de marque est de ne pas établir clairement ce dernier
espace. Il peut autant se limiter aux formes évoquées ci-dessus, que se
mélanger jusqu’à se fondre dans l’espace rédactionnel.

        Le magazine de marque s’applique si bien à mixer ces deux catégories
qu’il prend les apparences d’un média papier traditionnel, avec des rubriques
« produits ». Il désigne la coexistence d’une logique de presse et d’une logique
publicitaire ayant deux objectifs marchand et relationnel.

         On peut noter que l’entreprise s’investit dans la distribution
d’informations, fonction longtemps réservée aux entreprises de presse. Ce
changement est un autre argument qui nous encourage à penser que l’entreprise
déborde de son environnement marchand dont elle est issue pour se diriger vers
la distribution d’informations.

        Peut-on affirmer que l’entreprise privée s’appuie sur la combinaison
d’une logique de presse et d’une logique publicitaire, appliquée aux deux
objectifs, marchand et relationnel (soit le magazine de marque), pour acquérir
une reconnaissance par delà le cadre marchand ?

        Plusieurs interrogations s’imposent : Si l’entreprise privée est en quête
de légitimation, quelle est-elle ? A travers le magazine de marque, s’adresse-t-
elle au lecteur, au consommateur ou à l’agent social ? De qui recherche-t-elle la
reconnaissance ? S’agit-il de reconnaissance ?

Pour traiter la problématique ci-dessus, il faudra prouver que :

1. Le magazine de marque exprime le souhait de l’entreprise de sortir de
   l’environnement marchand :

Premièrement on peut supposer que la capacité à inciter à l’achat dépend de la
capacité à se présenter hors d’une situation d’achat, hors du contexte
mercantile et hors du phénomène de consommation. Vendre sans parler de
vente : ce paradoxe justifierait en partie l’action du magazine de marque et




                                        5
l’intérêt de l’entreprise pour le « hors-marchand », dont le magazine de
marque, souvent distribué gratuitement, serait l’exemple.
        En prenant ses distances avec tout aspect mercantile, l’entreprise prend
aussi des distances avec son propre intérêt. Nous dirons qu’à travers le
magazine de marque, elle met de côté son intérêt afin de satisfaire, à long
terme, ses propres objectifs de vente.

        Plus clairement nous avançons que, pour mieux vendre, l’entreprise
serait contrainte de faire passer son intérêt qui est d’ordre privée pour un intérêt
d’ordre général.

2. Le magazine de marque est l’outil nécessaire à l’entreprise afin
   d’assurer son maintien dans le « hors-marchand »4 :

         Pour le démontrer, intéressons-nous au phénomène du « hors médias ».
La faculté de l’entreprise à communiquer en dehors des espaces publicitaires
des six grands médias5 nous laisse penser que l’entreprise saurait s’approprier,
manipuler et transformer n’importe quel objet ou événement, en média. Ce
serait la première technique que le magazine de marque exercerait.

        La deuxième manipulation, pour laquelle le magazine de marque
servirait toujours d’exemple, serait la capacité de l’entreprise à faire de
l’information d’intérêt privé une information d’intérêt général, qui servirait à
terme des fins privées. Ce passage du « privé » au « général » se fait, affirme
Jürgen Habermas, grâce à la Presse6. Nous irons plus en amont et supposerons


4
  Nous entendons par « Hors marchand » la faculté de n’évoquer que très peu, voire aucune,
référence au monde marchand, économique, financier etc. Nous dirons que le « hors
marchand » est le but idéal du magazine de marque. Or nous le verrons, cet objectif doit rester
de l’ordre de l’idéal, et le magazine de marque doit se contenter de tendre vers celui-ci pour
des raisons stratégiques.
5
  Landrevy, Lévy,Lindon, « Lexique indexé », in Mercator, Ed Dalloz 2003, p 1126 : « Hors
médias, Ensemble des moyens de communication autres que ceux qui utilisent les six grands
médias publicitaires. Les principaux modes de communication hors-médias sont la promotion
des ventes, le marketing direct, les relations publiques, le sponsoring et le mécénat, la
communication événementielle, les foires et salons ». p 1131 : « les six grands médias
publicitaires sont, par ordre d’importance en France, la presse, la télévision, l’affichage, la
radio, le cinéma et Internet. »
6
  J.Habermas, L’espace public, Ed. Payot 2003, p 193 : « Depuis que le volume de la partie
proprement journalistique d’un journal est proportionné au volume des annonces, la Presse qui
était jusqu’alors une institution propre aux personnes privées en tant que public devient
l’institution de certains membres du public qui ne sont plus que des personnes privées –
autrement dit, elle est le biais par lequel certains intérêts privées privilégiés font irruption dans
la sphère publique » p 193




                                                 6
que l’information et ses caractéristiques pourraient être la source de ce
phénomène. Ce serait une deuxième technique du magazine de marque.

        Enfin, la marque pourrait être ce troisième instrument qui permet à
l’entreprise de passer de l’intérêt privé à l’intérêt général, de la sphère privée à
la sphère publique : Nous posons comme hypothèses que la marque est un
processus de réduction symbolique de l’entreprise.

3. Le magazine de marque est le signe d’une entreprise en quête de
reconnaissance

        L’entreprise jouerait le jeu social de l’échange pour s’intégrer et obtenir
une certaine légitimation. Pour ce faire, elle doit communiquer et échanger.
L’information serait la matière de cet échange par lequel elle pratiquerait une
sorte de Potlatch, que nous devrons identifier.

        Par ailleurs, lorsqu’elle est dans une posture marchande, l’entreprise
donne le statut de « client » à tout destinataire d’une vente. Par le biais du
magazine de marque, elle quitte le cadre marchand. Les clients se
transformeraient en lecteurs, et de manière plus général, en public. Nous allons
donc solliciter les concepts de sphère privée et publique de Habermas pour
prouver que l’entreprise cherche la reconnaissance de l’espace public.

        Enfin, le magazine de marque aurait été conçu pour obtenir, en
apparence, la légitimation de l’entreprise, dans la sphère publique. En effet, les
moyens de mesurer l’impact du support sur le public restant peu fiable, le
magazine de marque ne fait que solliciter en apparence cette reconnaissance. Il
aurait pour but ultime d’annoncer, comme une étape inéluctable, la présence de
plus en plus importante de l’entreprise dans la société.

        J’ai choisi dans ce travail de recherche de ne pas m’intéresser aux
conditions de réception, mais plutôt aux intentions de l’émetteur, c’est à dire
que je solliciterai davantage l’entreprise, et l’agence de communication que les
lecteurs.
        Le magazine de marque est le produit, d’une part de la volonté de
l’entreprise, et de l’autre, de l’application de cette volonté par une équipe
externe. Celle-ci à la tâche de rendre compatibles les exigences de l’entreprise
avec ce qu’il est possible de faire pour que le magazine soit lu.




                                         7
En résumé, le magazine de marque est le résultat d’un projet de la part
de l’entreprise et de sa mise en pratique, par des rédacteurs qui font un travail
de mise à niveaux entre l’entreprise et les lecteurs.

 « Tous les phénomènes ont un sens et correspondent à une rationalité à partir
du moment où ils existent »7 expliquent Michel Crozier et Erhard Friedberg.

        Notre travail qui a donc pour but d’établir par induction les raisons pour
lesquels le magazine de marque existe, doit prendre en compte cette remarque.
On ne peut pas interroger le magazine de marque comme une manifestation de
l’entreprise uniquement. Notre recherche devra tant questionner ceux qui
demandent la création du support que ceux qui le réalisent. Leurs réponses
nous serviront de matériaux. Or les contacter pour un entretien n’a pas été
facile. Aussi nous n’avons pu obtenir de rendez-vous qu’avec les rédacteurs en
chef de BMW Magazine, et de Ca se passe Com ça. En ce qui concerne
l’interview d’une personne interne à l’entreprise, seul le directeur du groupe
hôtelier Constance a accepté de répondre par mail aux questions posées sur le
magazine Silence.

        Nous avons demandé aux acteurs de l’agence de communication de
décrire les directives qu’ils reçoivent, leur rôle de conseiller auprès de
l’entreprise cliente bénéficiant de leur service, leur poste et les tâches dont ils
sont responsables. Ils recevaient le questionnaire une semaine avant notre
rendez-vous, afin que celui-ci ait l’air moins formel et que l’interlocuteur soit
plus à son aise. Nous avons préféré insister sur la description et non sur
l’interrogation car nous ne voulions pas les amener à se poser des questions
qu’ils ne se s’étaient jamais posés. Cela aurait eu pour effet de biaiser l’enquête
à cause de notre intervention. L’entreprise instigatrice du magazine de marque
a plutôt été interrogée sur sa conception du magazine de marque, et ce qu’elle
attendait du support.

        Ces données descriptives, recueillies au cours d’entretiens semi-
directifs, ont été regroupées et analysées afin de reconstituer les conditions et
les structures qui ont motivé la mise en place du magazine de marque. Aussi
nous remarquons que l’analyse des intentions mène à l’analyse du contexte qui
détermine les intentions et dans lequel on établit une stratégie.

7
 M.Crozier et E. Friedberg, « Théorie et pratique de la démarche de recherche » dans L’acteur
et le système, coll. Essais, Ed. du Seuil 1977, p 456 : « Il [le chercheur] sait – c’est là le
postulat heuristique de base qui commande toute sa démarche – que tous les phénomènes qu’il
observe ont un sens et correspondent à une rationalité à partir du moment où ils existent ».




                                              8
C’est à dire que chercher les motivations et les intentions de l’entreprise et de
l’agence de communication renvoie aussi à un contexte, et aux circonstances
globales qui ont amené le magazine de marque comme un support
incontournable.

       L’étude du magazine de marque devra nous a éclairé sur les techniques
de mise en valeur de l’entreprise. Il ne fallait pas que nous les trouvions, mais
qu’elles soient désignées par les professionnels qui élaborent le support. Aussi
nous avons procédé à l’analyse de contenu d’après ce qu’ils ont estimé être une
technique de mise en valeur de l’entreprise.

Toutes les fiches techniques sur les magazines de marque sont tirées du site
Internet www.datapresse.net, qui est un service regroupant toutes les
informations sur les tirages, le contenu rédactionnel, les nombres d’abonnés ou
de lecteurs, les cible, la pagination, le nombre de numéro par an etc. Nous
avons sélectionné :

       BMWmagazine « conjugue la culture d’une grand marque automobile
avec un art de vivre, tourisme, personnalité et consommation haut de
gamme »8. Il est envoyé gratuitement en exclusivité aux 150 000 propriétaires
de BMW de moins de 5 ans en France. Autrement on peut en faire l’acquisition
d’un numéro pour 5 euros. Son caractère exclusif (public restreint) et haut de
gamme serviront d’angle d’étude.

        Ca se passe Com Ca est distribué dans les 885 Mc Donalds de France.
Il cible les « 15-35 ans avec des rubriques ciné, vidéo, DVD, musique, jeux
vidéo, multimédia, aventure, sport, livres et BD, société, Internet, télévision »9.
C’est un bimensuel gratuit tiré a 250 000 exemplaires à chaque numéro. La
caractéristique de ce support est d’exclure le traitement des sujets alimentaires,
alors que l’entreprise qui est à l’initiative du support, c’est à dire Mac Donald,
est une chaîne de restauration rapide. Nous interrogerons la légitimité dont
bénéficie le magazine dans les sujets traités.

       Vivre Champion et C’Clair ! sont deux magazines de marque produits
par deux enseignes concurrentes dans la grande distribution. Néanmoins ils
partagent le même objectif : aider le client à mieux consommer. Ils ont de
nombreux points communs, comme leur périodicité (bimestrielle), et le choix
des sujets.
8
    source : www.datapresse.net fiche BMW magazine, rubrique Contenu rédactionnel.
9
    Idem. Fiche Com Ca, rubrique Contenu rédactionnel.




                                              9
Silence existe depuis 2002. Il se veut à l’image du groupe hôtelier de 5
étoiles qu’il représente. C’est un support élégant où l’on évoque les hôtels
Constance, mais aussi la littérature, la formation du personnel, la gastronomie
ou encore l’Histoire. Il a été sélectionné parce qu’il remplit à la fois journal
interne et journal externe du groupe Constance. Il est adressé aux clients mais
aussi aux employés.

        Et enfin, Virgin Hebdo du groupe Virgin Megastore est le magazine
grand public sélectionné dans la catégorie grande distribution culturel.
Hebdomadaire gratuit, le magazine « informe de toutes les sorties en France et
dans plusieurs secteurs : musique, livres, BD, video, jeux, multimédia,
spectacles »10.Le cas est intéressant dans la mesure où, depuis la disparition
papier de Epok le magazine culturel de la FNAC, Virgin Hebdo est le seul
gratuit de marque, produit par une grande surface de distribution culturelle.

        Dans un grand tableau en annexe, nous avons comparé les contenus
rédactionnels tels qu’ils sont présentés sur www.datapresse.net. Ils indiquent
comment les rédacteurs aiment décrire leur propre support et renseignent donc
sur l’idée qu’ils s’en font. Il est important de comprendre comment ils se
représentent le magazine de marque comme outil de communication. On
remarque que quelques sujets sont redondants, qu’il s’agisse de magazines
édités par des groupes spécialisés dans la restauration ou dans l’industrie. De
plus il faut noter qu’ils n’ont pas toujours la légitimité nécessaire pour
s’exprimer sur des thèmes qui sont étrangers à l’activité principale de
l’entreprise.

        La réflexion théorique appréciera les grands textes portant sur la
communication, les médias, l’information, la presse, et le marketing. Nous
nous appuierons sur les œuvres de Armand Mattelart, Philippe Breton, Serge
Proulx et Marshall Mc Luhan en ce qui concerne les grands textes sur l’enjeu
de la communication et de l’information, qui sera au centre de notre réflexion.
Nous consulterons Marcel Mauss pour comprendre ce qu’est un système de
prestation totale reposant sur la marque. Jürgen Habermas et Pierre Bourdieu
seront deux auteurs de référence lorsqu’on cherchera à manier les concepts de
sphères privée et publique, et de champs. Des auteurs spécialistes des stratégies
de communication et des stratégies marchandes seront aussi consultés, comme
par exemple Franck Cochoy, et Bernard Floris.

10
     Idem. Fiche Virgin rubrique Contenu rédactionnel.




                                               10
Découpée en deux parties, notre réflexion s’attardera dans un premier
temps à établir l’action commune de la logique rédactionnelle et de la logique
publicitaire qui composent toutes les deux le magazine de marque. Nous
verrons que cette combinaison sert à la justification du phénomène de
consommation, et qu’elle a pour effet de créer des passerelles, en apparence
rationnelles, entre l’espace privé et l’espace public d’une part, et d’autre part,
entre l’intérêt général et l’intérêt privé.

       Une fois la lumière faite sur ce point, nous pourrons nous consacrer à
l’observation du magazine de marque. La deuxième partie comporte deux
chapitres. L’objectif sera d’apporter une définition de l’objet, à travers les
éléments qui participent à sa conception, des logiques citées ci-dessus, en
passant par le média, l’information, et le comité de rédaction. Ensuite, l’étude
du corpus nous révélera les phénomènes répétitifs et remarquables qui
apparaissent dans les magazines de marque. Nous essaierons de confronter les
automatismes des professionnels de la communication, au regard observateur
du chercheur. Enfin, dans la perspective d’une mise en scène, nous ferons le
point sur le dispositif qui entoure la fabrication, puis la réception du magazine
de marque.

        Le dernier chapitre intègre l’entreprise dans une série d’échange qui a
pour finalité son intégration sociale, et ceci par le biais du magazine de
marque. Nous nous appuierons alors sur la notion de potlatch. Dans la
conclusion, nous justifierons les raisons pour lesquelles nous avons délaissé
l’analyse des perceptions et de la réception, en nous plaçant du côté des
lecteurs. Ces raisons sont en partie liées au concept d’image d’entreprise que
nous remettrons en cause. En effet, nous pensons que le magazine de marque a
pour vocation la création d’une identité de l’entreprise, une image qu’elle
s’auto renverrait.




                                       11
PREMIERE PARTIE : Analyse
conceptuelle du magazine de marque




                12
Chapitre I / Logique de presse et logique publicitaire : un
travail en tandem en faveur de l’épanouissement de
l’entreprise et de l’intérêt privé dans l’espace public

        Le magazine de marque se distingue par la cohabitation d’une logique
publicitaire et d’une logique de presse dont le but est la pénétration de l’espace
public par l’entreprise.
Voici, pour commencer, quelques remarques et définitions pour délimiter le
contexte de la réflexion.

         Le titre de cette première partie propose la logique de presse et la
logique publicitaire comme étant les moyens, tandis que l’épanouissement de
l’entreprise et de l’intérêt privé dans l’espace public s’imposent comme étant la
finalité. Nous devrons vérifier que ce qui a été établi comme « finalité » l’est
vraiment, afin de comprendre et d’évaluer comment les moyens, c’est à dire la
cohabitation de la logique de presse et de la logique publicitaire, y répondent.

       Le magazine de marque connaît dans son existence deux
environnements qui vont définir les vocables «d’intérêt privé » et «d’espace
public ». En effet la publication connaît deux contextes, le premier est privé au
moment de la conception, et le deuxième, public, au moment de la lecture.
Tout d’abord « l’espace public » correspond ici à une zone où l’ensemble des
publics qui sont destinataires et lecteurs d’un magazine de marque peuvent
discuter et débattre de ce qui leur est présenté.

        Reste à définir l’intérêt privé. La conception et le contenu du magazine
de marque relèvent de l’agence éditoriale et des vœux de l’entreprise, initiatrice
du support. En agissant ainsi, l’entreprise fait ce qui lui importe, ce qui lui est
utile et avantageux : elle agit dans son intérêt, qu’on qualifiera de privé,
puisqu’il a pour seul but la satisfaction de l’entreprise et non celle du public en
général. A partir de là, toute action est transformée en moyen, destiné à
converger vers l’accomplissement de l’intérêt, qui est le principe ordonnateur.
Ainsi l’espace public dans lequel prennent effet la notion de destinataire et la
lecture d’un magazine de marque est à la fois un lieu et un moyen.

        Le titre de cette première partie suppose que l’entreprise, pour
l’achèvement de ses projets, a besoin de l’espace public dont elle use comme
instrument, au même titre que la logique de presse et la logique publicitaire.
Le magazine de marque témoigne de cette approche. Il semble indiquer que
l’entreprise passe par l’espace public afin de satisfaire son intérêt personnel.




                                        13
Bernard Floris constate cette incursion : « L’entreprise a fait irruption au début
des années quatre-vingt parmi les sujets légitimes et dignes de considération
dans l’information et les débats publics » 11. L’entreprise est convoquée à titre
de sujet d’information et d’actualité dans le débat public. Poussés par une
conjoncture globale, l’espace public et l’entreprise étaient-ils destinés à se
rencontrer ? Il ajoute : « […] A partir de ces constations, une question vient à
l’esprit : pourquoi l’entreprise et la communication managériale font-elles
irruption dans l’espace public à ce moment là et pas avant ? ». Adaptée à notre
sujet, cette interrogation prend une autre tournure : A quel moment l’entreprise
a-t-elle compris qu’elle pouvait se servir du médias et du débat public comme
instrument ? Quelle est la chronologie du magazine de marque ?

    Cette première partie devra combiner deux types de raisonnement, le
premier sera plus ou moins chronologique et le deuxième, plus ou moins,
inductif : à partir d’une meilleure compréhension de l’intérêt et de la finalité de
l’entreprise située en amont, nous pourrons mieux saisir les moyens mis en
place en aval.


1. Signifier la consommation

    Les bénéfices d’une entreprise résultent de la consommation de biens ou de
services payant par le client. Toute production étant destinée à la
consommation, nous pouvons affirmer que la consommation est la
préoccupation de l’entreprise et aussi la condition sine qua non de son
fonctionnement. L’entreprise doit donc veiller à ce que ce phénomène, de
vente, d’achat et de circulation des marchandises, ne s’arrête jamais afin de se
maintenir.

    C’est pourquoi nous avons établi l’obligation de motiver la consommation
comme finalité. Dans les conversations courantes, « acheter » est parfois
employé comme synonyme de consommer. Or il faut s’attarder sur ce que
consommer veut dire. Consommer c’est « amener à destruction en utilisant sa
substance ; en faire un usage jusqu’à le rendre inutilisable […] consommer des
provisions, consommer des aliments, boire, manger […] consommer de
l’électricité12 ». Cette définition met l’accent sur l’utilisation jusqu’à

11
   Bernard Floris, La communication managériale la modernisation symbolique de l’entreprise,
Editions PUG 1996, p5
12
   Définition tirée du dictionnaire Le Robert




                                            14
épuisement, voire destruction, d’un objet périssable de telle sorte que le
remplacement de celui-ci par un nouvel achat devient nécessaire. La
production de masse, couplée à une durée de vie allongée des objets et des
services rendus, rend difficile l’épuisement et la destruction qui susciteraient le
remplacement et le rachat. Ils mettent en péril le principe de consommation.
L’entreprise est alors contrainte de s’approprier le phénomène de
consommation, à travers une nouvelle perspective.


1.1 La consommation à bout de souffle

       La société de consommation est une expression floue, attirant les
conjectures, et les idées préconçues liées au manque de netteté. Nous nous
appuierons sur la réflexion de Jean Baudrillard qui opte pour une posture
descriptive du phénomène :

« Il y a aujourd’hui tout autour de nous une espèce d’évidence fantastique de la
consommation et de l’abondance, constituée par la multiplication des objets,
des services, des biens matériels ». Il poursuit : « Nous vivons le temps des
objets : je veux dire que nous vivons à leur rythme et selon leur succession
incessante. C’est nous qui les regardons aujourd’hui naître, s’accomplir et
mourir alors que, dans toutes les civilisations antérieures, c’étaient les objets,
instruments ou monuments pérennes, qui survivaient aux générations
d’hommes. Les objets ne constituent ni une flore ni une faune. Pourtant ils
donnent bien l’impression d’une végétation proliférante et d’une jungle, où le
nouvel homme sauvage des temps modernes a du mal à retrouver les réflexes
de la civilisation»13.

         Sans référence aucune aux détracteurs de la société de consommation, il
fait état d’une production croissante de biens qui se multiplient et se succèdent.
La description du phénomène de consommation, dont résulte la société de
consommation est insignifiante si l’on ne dresse pas, sans non plus s’y attarder,
l’état des lieux des représentations liées au sujet.
Une analyse sémantique de cet extrait révélerait, malgré la volonté
d’impartialité de l’auteur, une perception de la consommation comme un fait
désordonné et engendré par la prolifération : « autour de nous », « succession
incessante », « flore », « faune », « végétation », « jungle » : J.baudrillard parle
de la consommation comme un phénomène rapide et difficile à contrôler, nocif
au « nouvel homme sauvage », désarçonné des « réflexes de la civilisation ».
13
     Jean Baudrillard, La société de consommation, Editions Denoel 1970, p17-18




                                               15
La représentation de la société de consommation est négative, sinon
discutée. Quant au concept de « consommation », il est officiellement décrié
par les associations de protection du consommateur.

       Jean Baudrillard tient la consommation responsable de « la négation
magique et définitive de la rareté 14». Selon lui, on peut imputer à la
consommation de masse une croissance rapide des dépenses individuelles,
auxquelles s’ajoute un lot de nuisances toujours plus graves. « L’obsolescence
accélérée des produits et des machines, la multiplication des fausses
innovations, sans bénéfice sensible pour le mode de vie, tout ca peut être ajouté
au bilan15 », commente-t-il. La consommation, et plus particulièrement la
production de masse et ses effets, bousculent les classifications, les distinctions
sociales et les besoins qui se renouvellent aussi rapidement que les productions.

         Le travail à la chaîne et la production de masse commençaient au
XIXème siècle et laissaient présager une sur-approvisation du marché en
produits de toute sorte qui ne trouveraient aucune utilité et aucun acheteur.
         Franck Cochoy décrit brièvement la situation dans les premières pages
de l’histoire du marketing : « Pour articuler une production et une
consommation qui se massifiaient toujours davantage, il convenait d’inventer
de nouvelles normes de distribution, de mettre en jeu de nouveaux acteurs »16.
Il fallait encourager le client à consommer, même s’il n’en ressentait pas
l’utilité ou le besoin : instaurer une nouvelle logique de consommation.

    Celle que les acheteurs se représentent porte en elle l’abondance, mais aussi
l’amoncellement, le gaspillage, et la masse, en raison de tous ces objets qui
défilent. Il y a là deux logiques de consommation : l’une émise par l’acheteur
qui n’y trouve pas son compte, et l’autre émise par l’entreprise qui défend son
intérêt. C’est en prenant compte de cette divergence que l’entreprise devra
tenter de réconcilier le client avec son rôle de consommateur dans le processus
global de consommation.

    En effet la consommation est un processus accéléré qui remplace un objet
par un autre, au rythme des nouvelles productions. Le projet de l’entreprise
n’est pas de ralentir la production, et par là, la consommation. Bien au
contraire, elle va travailler à imposer sa conception de la consommation, et

14
   Jean Baudrillard, La société de consommation, Editions Denoel 1970, p 41
15
   JB, op. cit, p 43
16
   Franck Cochoy, Une histoire du marketing, Editions la Découverte et Syros1999, p27




                                            16
transformer le client en consommateur, par le biais d’une démarche
consensuelle.

1.2 A la recherche de nouvelles raisons de consommer

    La stratégie consensuelle doit viser l’acceptation par le client du processus
de consommation et constituer avec lui un socle commun sur lequel accorder
leur perception de la consommation. Cela signifie-t-il pour autant que
l’entreprise et le client seront au même niveau ? S’agit-il d’aligner la
production de masse sur la consommation de masse, donnant au « socle
commun » la responsabilité d’assurer la médiation marchande ?
Le concept de médiation marchande occupe une place centrale dans le
raisonnement de Franck Cochoy17. Il institue au même niveau production et
consommation, avec au centre comme un point d’équilibre, la médiation
marchande. Il est important de nuancer ce concept que nous utiliserons plus
tard.

L’alignement apparent de la production et de la consommation :

        La divergence d’intérêt existant entre la paire entreprise-production, et
client-consommation laisse difficilement croire à une possibilité d’égalité. La
médiation marchande intervient justement dans un contexte d’inégalité et de
conflit. L’entreprise n’use pas de la médiation marchande pour dominer par la
force et obliger le couple client-consommateur.
        Il est encore moins probable que ce même couple utilise la médiation
marchande pour contenir le couple entreprise-production. Dans le cercle
vicieux de l’économie de marché, l’entreprise continuera de produire, tandis
que le client continuera de consommer : on est dans un rapport d’inégalité
qu’aucune médiation ne pourrait équilibrer. En conséquence, la médiation
marchande n’a pas à occuper une place centrale entre la production et la
consommation. De même, elle n’a pas pour but l’équilibre mais la recherche de
compensations.

La médiation marchande n’est pas centrale mais contextuelle et globale :


17
  Franck Cochoy, Une Histoire du marketng, Editions La Découverte et Syros, p 17-18« Nous
ferons tout de même observer que le rééquilibrage conceptuel et empirique des domaines
productif et consommatif possède au moins un avantage : celui de mettre en lumière ceux dont
la tâche quotidienne consiste, précisément à produire cet ajustement, cet équilibre. Considérer
production et consommation à égalité, c’est se donner une chance de remettre la médiation
marchande à sa juste place – la place centrale. »




                                              17
La médiation marchande n’est pas le point centrale d’une balance, avec
d’un côté la production et de l’autre la consommation, d’une part l’entreprise et
de l’autre le client. Elle est le lieu, et le contexte dans lequel se tient le rapport.
Il ne s’agit pas de modifier la relation, mais l’appréhension et la représentation
de celle-ci. Aussi le rapport entre entreprise-production et client-consommation
est le noyau autour duquel se développe la médiation marchande. De nature
conflictuelle, ce rapport n’a pas les ressources nécessaires à la construction de
compromis et de compensations entre les deux parties. Le rôle de la médiation
marchande est de convoquer ces éléments manquants, extérieurs au conflit. Les
nouvelles raisons de consommer seront émises par la médiation marchande et
non pas par la relation elle-même car c’est la médiation marchande qui
compose avec les intérêts de l’entreprise et du client. C’est là qu’on
recherchera de nouvelles raisons de consommer.

Le marketing ou la médiation marchande en action :

        La forme pratique de la médiation marchande est le marketing. Franck
Cochoy s’inspire de la pensée de Philip Kotler et de Richard Bagozzi pour
définir, dans l’introduction d’Une histoire du marketing, ce qu’est le
marketing : « Le marketing est un terme qui recouvre (englobe et dissimule) le
processus social général de facilitation / canalisation des échanges »18. Dans
cette approche, le marketing en tant que stratégie commerciale en réaction à la
concurrence est relayé au second plan. Il joue le rôle de médiateur marchand
dans la mesure où il facilite le processus de consommation et la poursuite de la
production.

        Dans les multiples phases décrites par Franck Cochoy, de la gestion
scientifique proche du Taylorisme, en passant par le marketing concept, le
marketing management, aux recherches et aux observations sur le
comportement des consommateurs, le marketing est devenu multidisciplinaire,
mobilisant tous les savoirs nécessaires à la connaissance et à la satisfaction du
consommateur, sous condition de profit. Le marketing interagit avec l’espace
public, qui pour rappel, est le lieu où se rassemblent tous les clients, et
potentiels consommateurs pour discuter et débattre de ce qui leur est donné à
voir.

        Le marketing compose sa stratégie en conciliant les attentes du public et
de l’entreprise et émet un nouveau message auquel réagit le public qui produit
à son tour un nouveau message qui sera reçu et à nouveau interprété Ce cercle
18
  Franck Cochoy, Une Histoire du marketing, Editions de la Découverte et Syros 1999, p 204




                                            18
d’interactions est constitutif de la médiation marchande qui n’est pas statique et
qui fait évoluer le lien entre entreprise-production et client-consommation. La
médiation marchande et l’espace public, qui est en quelque sorte son sujet
d’observation, sont perméables, et ont de ce fait, des pratiques communes,
comme celle de la signification.

1.3 Comment consommer est devenu signifier

Signifier veut dire19 avoir pour sens, être le signe de, désigner, exprimer. Dans
un second temps, il s’agit aussi de faire connaître par des signes, des termes
parfaitement clairs […]. Enfin signifier veut aussi dire fonctionner en tant que
signe. »
Signifier prendra tour à tour chacun des trois points de cette définition, tout au
long de l’histoire de la consommation.

Signifier, première nécessité du phénomène de concurrence :

       En résumé du propos de Franck Cochoy, l’économie de marché s’est
créée par la volonté de contourner les chaînons de la vente : on a
progressivement tourner le grossiste en internalisant le commerce de gros, puis
tourner le détaillant en transférant l’entreprise :

 « En fait, si le monde des affaires devenait, dans son ensemble impersonnel
(chaque agent – producteur, consommateur, ou intermédiaire – n’était plus en
mesure, en effet, de ‘suivre des yeux’ le cheminement de produits qu’il finissait
par ‘perdre de vue’, à l’horizon du circuit économique), cela ne signifie
nullement que (…) les relations humaines avaient disparu, tout au contraire : ce
n’était pas la disparition, mais bien la multiplication des contacts humains qui
produisait l’effet d’impersonnalisation du marché. […] Les grossistes
régionaux et les petits détaillants, habitués aux relations interpersonnelles et
locales ne pouvaient pas faire au déferlement anonymisant des productions
industrielles»20.

        Le commerçant locale étant limité dans sa fonction à la vente de produit
n’est plus en mesure de conseiller sa clientèle sur le produit à choisir parmi tant
d’autres. Le produit est « sans défense », du moins il se tient sur les rayons sans


19
  Extrait du dictionnaire Le Robert
20
 Franck Cochoy, Une Histoire du marketing, Editions La Découverte et Syros 1999, p21 et p
27




                                            19
argumentaire justifiant son achat plutôt qu’un autre. Il faudra faire connaître et
reconnaître le produit.
« Pour tourner le détaillant, il fallait trouver le moyen de court-circuiter la
sociabilité parasite de son magasin, l’entreprise devait inventer l’artifice qui lui
permettrait, dans le magazine même et à la barbe du détaillant, de se faire
remarquer par le client. L'invention de la marque fut cet artifice. »

        Comme il l’explique, il s’agissait « d’une simple signature redondante,
un simple rappel de l’identité d’acteur bien connus, et personne n’y prêtait trop
attention. En revanche, la concurrence pour le contrôle de la distribution qui
s’enclenchait entre fabricants et grossistes changea cet état de fait ; la marque
prit alors une tout autre destination. Un produit standardisé, distribué
nationalement dans un petit emballage pouvait être nommé par le fabricant. Ce
que le fabricant pouvait nommer, il pouvait en faire la réclame. Le résultat était
quelque chose de plus qu’un nom. C’était une sorte de super nom – une
marque ».

        Instaurer la marque fut le premier acte de signification de l’entreprise à
l’attention de son client. Ce concept relève d’une pratique socio-linguistique
qui consiste à nommer les choses pour qu’elles existent et qu’elles aient un
ancrage social concomitant d’un ancrage linguistique.

        Ce fut donc aussi le premier acte discursif externe de l’entreprise
toujours à l’attention de son client et ce, par rapport aux monologues tenus en
interne. Elle ne le sait pas encore, mais c’est à partir de là que va se construire
son « capital symbolique », qui va lui permettre de se faire connaître et
d’acquérir la reconnaissance21.
L’acquisition de reconnaissance se fait en plusieurs étapes, la première étant
celle de la distinction.

       Gilles Lane, dans l’introduction à l’œuvre de John Langshaw Austin
Quand dire c’est faire, explique que « les mots courants sont employés de
façon plus subtile, et pour effectuer des distinctions beaucoup plus nombreuses
que les philosophes ne l’ont pensé »22. Le nom de l’entreprise, le logo, et
l’emballage seront les atouts du produit pour se démarquer et se faire
remarquer.
21
   Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, l’économie des échanges linguistiques, Editions
Fayard 1982. p 101 « Dans la lutte pour l’imposition de la vision légitime, où la science elle-
même inévitablement engagée, les agents détiennent un pouvoir proportionné à leur capital
symbolique, c’est à dire à la reconnaissance qu’il reçoivent d’un groupe ».
22
   J-L Austin, Quand dire c’est faire, Editions du Seuil 1970, p 13




                                               20
Ils vont fonctionner en tant que signe c’est à dire qu’ils permettront la
distinction, car signifier est aussi distinguer, dans le contexte de concurrence.
Les signes, qui se définissent de manière générique comme ce qui est « à la
place de quelque chose, ce qui tient lieu de »23, sont mis à la place de
l’entreprise, sur les rayons. L’entreprise s’impose entre le client et le produit :
elle marque sa présence et ne s’arrêtera pas là.

«Il était malaisé […] d’aller à l’encontre des vieilles habitudes consistant à
juger les produits d'après leur texture, plutôt que d’après leur nom. Comment
amener les personnes à accepter le remplacement de la chose par le signe,
comment faire en sorte que le client achetât des mots en lieu et place des
objets ? A cette question, les fabricants apportèrent une réponse pragmatique :
ils s’efforcèrent de déplacer la relation linguistique entre le signifié (la marque)
et la signifiant (le produit) vers un troisième terme : pour convaincre leur
clientèle, les fabricants inventèrent le « packaging », l’emballage que l’on
acquiert autant pour son contenu que pour son aspect et pour la marque qui y
figure »24.

        La marque est un signe et aussi un système évolutif qui a
progressivement interposé l’entreprise entre le client et le produit. Son action
se poursuit par le rapprochement du client et de l’entreprise, indépendamment
du produit. La marque va faire en sorte que le client achète en se fiant plus au
nom de l’entreprise ou de l’enseigne, qu’au contenu du produit. Cette étape est
essentielle au cycle de la consommation qu’elle dé-rationnalise et rend
arbitraire. Si l’entreprise réussit ce tour, elle s’assure la fidélité du client,
l’acheteur ponctuel, et le transforme en consommateur, l’acheteur durable. La
marque est un système qui fonctionne grâce aux fonctionnalités du signe et qui
fait glisser l’objet de la consommation dans le monde du sens et des
significations. La marque va vouloir dire quelque chose.




Signifier, pour subvenir à l’effort de consommation :




23
     Martine Joly, L’image et les signes, Editions Nathan/HER 2000, p27
24
     FC p 36




                                               21
Jean Baudrillard explique très bien ce phénomène dans un chapitre
intitulé « Mouvance des objets-Mouvance des besoins », sous-entendu vers la
quête de signification.

« La machine à laver sert comme ustensile et joue comme élément de confort,
de prestige etc. C’est proprement ce dernier champ qui est celui de la
consommation. Ici, toutes sortes d’autres objets peuvent se substituer à la
machine à laver comme élément significatif. Dans la logique des signes comme
dans celle des symboles, les objets ne sont plus du tout liés à une fonction ou à
un besoin défini. Précisément parce qu’ils répondent à tout autre chose, qui est
soit la logique sociale, soit la logique du désir, auxquels ils servent de champ
mouvant et inconscient de signification.25 ».

        Il met ainsi fin dans sa démonstration à la justification de la
consommation comme moyen d’assouvissement des besoins, démontrant qu’ils
ne peuvent justifier ce phénomène. Pour lui, s’il y a un seul et unique besoin,
c’est un besoin social de différenciation26 sociale qui ne sera jamais assez
satisfait. :

« Si l’on admet par contre que le besoin n’est jamais tant le besoin de tel objet
que le « besoin » de différence (le désir du sens social), alors on comprendra
qu’il ne puisse jamais y avoir de satisfaction accomplie, ni donc de définition
du besoin ».

         La théorie des besoins la plus répandue, qui est celle de Andrew
Maslow, décompose et établit un ordre d’objectifs à satisfaire dont résulte
l’accomplissement personnel. Jean Baudrillard adopte la posture inverse, qui
consiste à unifier tous ces besoins, déclarant qu’au final, le seul et unique
besoin demeure celui de signifier. Or cette action est infinie et consubstantielle
à chaque acteur social. De plus elle ne requiert aucune satisfaction et ne peut
donc pas être associée au concept de besoin. Mais la pyramide de Maslow reste
utile : elle indique, dans les grandes lignes, les significations infinies que l’on
peut donner à l’acte de consommation.




25
  Jean Baudrillard, La société de consommation, Editions Denoel 1970, p106 et 107
26
  Nous avons vu plus haut que l’entreprise a aussi besoin de se différencier, face à la
concurrence. Dans l’absolu, c’est un besoin qu’elle partage avec le consommateur, qui signifie
sa consommation pour se différencier socialement. Dans une certaine mesure, l’entreprise
adopte un comportement imitatif dont nous traiterons dans le grand trois.




                                             22
Boire un Orangina27, plutôt que boire de l’eau peut vouloir indiquer que je suis
largement en mesure d’assurer mes besoins physiologiques et de m’offrir bien
plus que de l’eau. La marque – Orangina – donne du sens, une orientation.
Consommer de la marque, ou ne pas en consommer, c’est aussi « donner du
sens » :

« Dans la logique des signes comme dans celle des symboles, les objets ne sont
plus du tout liés à une fonction ou à un besoin défini. Précisément parce qu’ils
répondent à tout autre chose, qui est soit la logique sociale, soit la logique du
désir, auxquels ils servent de champ mouvant et inconscient de signification
28
  ».
         Or cette activité étant sans fin, la consommation et l’abondance qu’elle
génère produisent encore plus de matières et de nouveaux objets qui sont autant
de moyens de signifier. La consommation, vivier de sens, intègre le processus
social de signification et devient un outil dans la mise en scène du
consommateur et de l’entreprise, et de leur relation. Mais qui construit ces
significations ? Est-ce le fait de l’entreprise ? Est-ce le fait du consommateur ?
         Sous l’orchestration de la médiation marchande, la marque fait
plusieurs suggestions que le consommateur pioche et exploite à sa guise. En
effet, il faut un minimum de symboles partagés pour que la marque sache ce
qu’il faut plus ou moins proposer et que le consommateur sache plus ou moins
ce qu’il peut exploiter. Comme expliqué plus haut, la marque en évoluant va
acquérir un capital symbolique qui va servir les mises en scène de l’entreprise
et du consommateur.
En citant l’Orangina comme exemple, on a illustré ce que pouvait être une mise
en scène significative de la marque par le consommateur. Nous n’avons pas
encore donné l’exemple d’une mise en scène de l’entreprise.
Le concept d’image de marque peut servir d’exemple. En effet, l’image de
marque est une représentation de l’entreprise telle qu’elle souhaiterait être
perçue29. La publicité est une mise en scène narrative qui ancre la marque et
son entreprise dans un contexte temporel, spatial, et moral : Ex : en 2006, une
banque annonçait dans un espace publicitaire avoir recruté 100000 personnes
issues des banlieues.

27
   Charles Krejtman, Le système de la marque, Editions Economica 1998 : « Un besoin est
rapidement satisfait : l’eau étanche la soif. Mais consommer une boisson est tout autre chose
que de boire de l’eau : c’est s’insérer dans un jeu complexe de relations sociales qui charge un
acte, apparemment aussi simples que boire, de multiples significations. Aussi est-il inexact de
parler de besoins primaires, secondaires et tertiaires »p 29
28
   Jean Baudrillard, La société de consommation, Edtions Denoel 1970, p107
29
   Attention : il faut faire la différence entre ce que l’entreprise souhaite donner comme image
de marque, ce qu’elle donne à voir, et ce qui est perçu au final.




                                               23
Conclusion : La marque est un ensemble de significations qui permet         de
 faire connaître, et reconnaître. Première acte discursif de l’entreprise,   la
 marque, par le biais de la consommation, devient un système                 de
 communication, que les professionnels qualifient d’institutionnelle en      se
 rapportant à la communication entre l’entreprise et le grand public.

 « Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, la communication dite
 institutionnelle s’appuie implicitement et explicitement sur un contexte
 symbolique (qu’on aurait appelé jadis idéologique) de sens et de valeurs
 attribués à l’entreprise, dont les présupposés sont à interroger »30.

 Contexte symbolique, idéologie, et mythologie, animés par la médiation
 marchande, construisent la mise en scène de l’entreprise, sous la forme de
 marque, sur la scène de l’espace public. Ce dernier use de cette mise en scène
 comme un nouvel espace à signifier, une prolongation du processus de
 signification.
 Avec la marque, l’entreprise a un ancrage socio-linguistique et crée des
 passerelles avec l’espace public. C’est l’ouverture à ce que nous appellerons
 le tout médiatique que nous décrirons plus loin.

 « Combien, dans une journée, de champs véritablement insignifiants
 parcourons-nous ? bien peu, parfois aucun. Je suis là, devant la mer : sans
 doute, elle ne porte aucun message. Mais sur la plage, quel matériel
 sémiologique ! Des drapeaux, des slogans, des panonceaux, des vêtements,
 une bruniture même, qui me sont autant de messages »31

 L’entreprise va progressivement maîtriser l’art de la scène, et abonder en
 messagers elle aussi. Elle va pratiquer le « tout médiatique », c’est à dire la
 faculté de transformer en média n’importe quel acte de consommation. Le
 magazine de marque peut résulter de cette pratique. L’entreprise s’est dotée
 des éléments nécessaires: une marque développée et mature (c’est à dire qui a
 passé les trois étapes), l’ancrage socio linguistique, et la construction d’un
 capital symbolique. Elle a préparé le cadre de son discours.
 Dans la partie qui suit, nous allons décrire son champ d’action, c’est à dire
 l’espace public, et tâcher de comprendre comment elle dispose du facteur
 média et du facteur marque.



30
     Bernard Floris, La communication managériale, Edition PUG 1996, p8
31
     Roland Barthes, Mythologies, Editions du Seuil 1957, p 185




                                             24
2. Intérêt privé et intérêt général, espace public et espace privé

        La combinaison de ces quatre éléments résulte de l’action de la
médiation marchande, qui orchestre l’espace privé de l’entreprise et l’espace
public, articulant par la même occasion l’intérêt privé et l’intérêt général des
publics ligués dans un seul espace.
Jusqu’alors dans la démonstration, l’espace public était principalement associé
à l’espace réunissant les publics que pouvaient cibler l’entreprise, sans trop
préciser la teneur sociale du concept d’espace public. En nous appuyant
essentiellement sur l’œuvre de Jûrgen Habermas, nous tâcherons de
comprendre comment la médiation marchande exploite la notion d’espace
public en tant que récepteur du discours de l’entreprise. La médiation
marchande se sert ensuite de l’information et de la presse comme un organe
destiné à agencer la communication de l’entreprise sous une forme qui soit
familière à l’espace public.

        L’espace privé, entre temps, continue de se développer. La marque,
sous l’impulsion de la médiation marchande, dote l’entreprise de symboles
individuels qui la rapproche de l’espace public social par un comportement
imitatif. Nous finirons par identifier la presse et la marque comme deux entrées
possibles que pourrait emprunter l’entreprise pour pénétrer l’espace public.

2.1 L’interaction de l’intérêt privé dans l’espace public, et de
l’intérêt général dans l’espace privé

       La consommation est le biais par lequel l’intérêt privé de l’entreprise
pénètre dans l’espace public. L’inverse est aussi possible : l’espace public,
animé par l’intérêt général, use lui aussi de l’espace privé. Sous le contrôle de
la médiation marchande, les deux partis entretiennent une relation.

La satisfaction de l’intérêt privé tributaire de l’espace public :

       Prouver que l’intérêt privé soit obligé de s’en remettre à l’espace public
pour accomplir ses projets mettrait fin aux conjectures, qui évoquent le diktat
des entreprises sur la société de consommation. L’espace public est la
condition sine qua non de son développement.

« Nous qualifions de « publiques » certaines manifestations lorsqu’au contraire
de cercle fermes elles sont accessibles à tous de même que nous parlons de
places publiques (maisons de tolérances). (1)




                                        25
Mais dire ne serait-ce que « bâtiments publics » signifie plus que le simple fait
qu’ils soient accessibles à tous ; ils ne sont pas même tenus d’être
obligatoirement à la disposition d’un commerce public : ils abritent simplement
certaines institutions d’Etat et, dans cette mesure là, sont dits publics. L’Etat
est le pouvoir « public ». Il doit cet attribut à la tâche qu’il assume : se
préoccuper de l’intérêt général (2), public, de tous les citoyens – mais le mot
revêt une autre signification lorsqu’on parle par exemple d’une réception
publique. Toutefois, le sens du terme se déplace si nous disons que quelqu’un
s’est fait un nom dans le public (3) ; le caractère public de la renommée ou de
la gloire renvoie à d’autres époques que celle de la ‘bonne société’32 ».

        Public qualifie d’un part ce qui est accessible à tous (1), et d’autre part,
ce qui se préoccupe de l’intérêt général (2). Enfin il renvoie à ce qui est connu
de tous dans la société, la notoriété comme conséquence des deux premiers
points (3). Public est un signe qui revêt plusieurs significations dépendant des
contextes, plus ou moins proches de ceux qu’évoque Habermas.

        L’entreprise, pour assurer la consommation de masse et la poursuite de
sa production, doit faire en sorte d’être associée à ce signe et s’obliger à
adopter une posture publique. Elle fera en sorte d’être perçue comme accessible
à tous. Il ne sera pas difficile de montrer une préoccupation pour l’intérêt
général puisque la consommation est une activité qui satisfait
économiquement l’entreprise, et qui participe au processus de signification de
l’espace social. Enfin la notoriété tient moins de la célébrité mais de la réussite
de l’entreprise à se faire reconnaître comme « public » par le « public ».

« Public » est un attribut33 et un signe qui se donnent et s’acquièrent via une
relation et un accord tacite avec l’espace public. Michel Crozier et Erhard
Friedberg écrivent ceci :

« Le pouvoir n’existe pas en soi. Il ne peut s’exercer que dans une relation par
laquelle deux acteurs acceptent de se lier – ou se trouvent de faits liés – l’un à
l’autre pour l’accomplissement d’une tâche donnée ; par laquelle, en d’autres
termes, ils s’insèrent, au moins provisoirement, dans un ensemble organisé34 ».



32
   Jürgen Habermas, L’espace public, Editions Payot 1993, p13 et 14
33
   J’ai choisi de mettre en gras « Cet attribut » car la notion d’attribution m’a aussitôt rappelé
l’exposé de Michel Crozier et de Erhard Friedberg L’acteur et le système, sur le pouvoir qui
n’est pas inné, mais, bien au contraire, résultant d’une conquête et d’une attribution.
34
   J.H, op. cit, p 78




                                                26
Pour paraphraser, la qualification de public n’existe pas en elle-même.
Elle ne peut s’exercer que dans une relation par laquelle, dans notre cas,
l’entreprise et le consommateur acceptent de se lier pour l’accomplissement
d’une tâche commune.
L’entreprise comprend que l’intérêt privé pour être accompli passe par la
sphère publique, celle-ci agit sur l’espace privé, le sien ainsi que celui des
consommateurs.
        Public désigne aussi les lecteurs, les spectateurs, les auditeurs, en tant
qu’ils sont les destinataires, et les consommateurs35. Le passage par l’espace
public est inéluctable pour l’entreprise qui souhaite rallier le plus de publics, le
plus de consommateurs.

       L’entreprise va donc jouer le jeu de l’espace public pour s’assurer des
liens durables – et surtout publics – avec ses consommateurs qui ont tous en
commun leur appartenance à cet espace. Ces derniers vont à leur tour
instrumentaliser l’espace privé de l’entreprise.

L’intérêt général s’épanouit dans l’espace privé – les consommateurs tirent
partie de la production de masse : L’entreprise a besoin de l’espace public
pour s’affirmer publiquement. Et même si son emprise sur la société de
consommation reste dominante, les dominés n’en restent pas moins
consentants :

«…Il ne reste qu’un moyen d ‘expliquer comment des individus et des groupes
dominés peuvent consentir « spontanément » à leur domination : il faut que
celle-ci apparaisse comme un service que leur rendent les dominants 36».

        L’espace public s’approprie la consommation de masse à laquelle
l’entreprise les contraint et qui fait partie du processus de signification et crée
de nouvelles distinctions sociales. L’espace public, qui sait faire usage de sa
raison, se sert ainsi des exigences de l’entreprise privée afin de servir son
propre projet37. L’interaction croissante et de plus en plus complexe de la
sphère publique et de la sphère privée mène à une confusion des frontières :


35
   Jürgen Habermas, L’espace public, Editions Payot 1993, p42 : « Le public désigne, dans la
France du XVIIe siècle, les lecteurs, les spectateurs, les auditeurs en tant qu’ils sont les
destinataires, les consommateurs et les critiques de l’art et de la littérature ». Même si cette
définition remonte au XVIIe siècle, elle reste d’actualité.
36
   Bernard Floris, La communication managériale, PUG 1996 p50
37
   Sans nous étendre sur le sujet, et étant donné la lecture des textes de Pierre Bourdieu, nous
dirons que son projet est de classer et de distinguer les acteurs de l’espace public entre eux.




                                               27
« La subversion du principe de Publicité résulte d’une transformation de
l’espace public en tant que sphère, et l’évolution de la Presse qui en est
l’institution par excellence, permet d’appréhender cette restructuration. D’une
part, la sphère publique est envahie par la commercialisation, ce qui a pour
conséquence d’aplanir les différences entre circulation des marchandises et
« commerce de société » entre personnes privées formant le public, si bien que
la frontière qui délimitait clairement la sphère publique et la sphère privée
s’estompe.
Mais, d’autre part, on ne peut plus parler d’une appartenance exclusive de la
sphère publique au domaine privée dans la mesure où ce ne sont plus que
certaines garanties d’ordre politique qui protègent ses institutions 38».

       Historiquement, l’usage public de la raison a été politique à ses débuts.
La publicité, comme l’entend Jurgen Habermas, était politique et revendiquait
l’usage de la raison par le public. Une fois cette faculté légalisée au début du
XIXe siècle, le principe de publicité s’est étendu par delà le champ politique.
L’intensification de commercialisation de toute sorte – circulation des
marchandise et commerce de société39 – à contribuer à cette évolution, de telle
sorte que ce n’est pas tant la consommation croissante mais le principe
d’échange qui va accroître le principe de Publicité et les champs sur lesquels
s’exercera l’usage public de la raison.

        On peut dire que l’arrivée de l’entreprise privée dans l’espace public
était légitime et prévisible, en raison de cet aplanissement des frontières. Pour
résumer la pensée de Bernard Floris, dans La Communication manégériale, on
peut ajouter que l’émergence des syndicats, la prise de conscience d’une classe
ouvrière majoritaire, et des lois du management en général ont suscité l’intérêt
de l’espace public pour l’entreprise.
        Presque simultanément, celle-ci a aussi été obligée de se rapprocher de
l’espace public pour poursuivre ses desseins, qui sont la production et la
consommation. Elle va accepter de se soumettre à l’usage public de la raison,
ce qui va en conséquence la rendre légitimement « publique ». Les médias,
entre autres, vont devenir le contexte de cette soumission à la publicité.




38
  Jürgen Habermas, L’espace public, Editions Payot 1990, p 189
39
  Je comprends « commerce de société » comme l’ensemble des rites nécessaires au
fonctionnement de la société dont se gratifient les être sociaux entre eux.




                                           28
2.2 La presse et l’information, créatrices de passerelles entre
l’espace privé et l’espace public

        La médiation marchande va mettre en place les outils nécessaires à
l’obtention de légitimité de la part des consommateurs, à l’intérieur de l’espace
public. Si nous avons pu établir que le processus de significations était la trame
de son action, nous n’avons pas encore expliqué comment la presse et
l’information sont devenues la manifestation tangible 40de la présence de
l’entreprise privé dans l’espace public.

        Il faudra dans un premier temps identifier comment la médiation
marchande s’est appropriée le concept de « média » et observer quels sont les
termes de son application41.Pour cela nous dresserons la liste des
fonctionnalités des médias qui peuvent se révéler intéressantes et exploitables
dans le projet de la médiation marchande.

Le mode consommatif, comme matrice de média :

       Nous avançons ici que la consommation et la manière dont elle
fonctionne ont la faculté de transformer en média. Ici le vocable est compris
dans se version contemporaine comme le support qui permet une diffusion
massive de l’information.
Le mode consommatif peut muter en instrument de médiation, n’importe quel
objet, matérielle ou imaginaire, qui fait l’objet d’une consommation, soit d’un
échange.

« La logique de consommation se définit comme une manipulation de signes.
L’objet perd sa finalité objective, sa fonction, il devient le terme d’une
combinatoire beaucoup plus vaste, d’ensembles d’objets où sa valeur est de
relation. Par ailleurs, […] il tend à s’épuiser en un discours de connotations,
elles aussi relatives les unes aux autres dans le cadre d’un système culturel
totalitaire, c’est à dire pouvant intégrer toutes les significations d’où qu’elles
viennent 42».



40
   Charles Krejtman, Le système de la marque, éditions Economica 1998, p59 : « Le processus
symbolique se définit comme la mise en œuvre de rapports sociaux par le seul effet initial
d’une manifestation tangible ».
41
   ATTENTION : Nous ne considérons pas l’utilisation des médias comme l’unique moyen de
la médiation marchande de réaliser son projet mais comme un moyen parmi tant d’autres.
42
   Jean Baudrillard, la société de consommation, Editions Denoel 1970, p 174




                                            29
Jean Baudrillard fait cette remarque dès les premières lignes d’un
chapitre consacré au Pop Art comme un art de la consommation. La logique de
consommation est un système culturel qui met en circulation des signes qui
peuvent être investis de sens par les consommateurs et l’entreprise privée, par
le biais de la médiation marchande. Le schéma élémentaire des sciences de la
consommation désigne le consommateur comme le destinataire, et l’entreprise
privée comme émettrice.
        Entre eux s’échangent des objets, qui, outre leurs fonctionnalités, sont
aussi des signes. Ces derniers ont un rôle de médiateur, dans la mesure où ils
facilitent l’accord, ou plutôt le consentement, des deux partis. Le signe est un
espace à signifier que se partagent le consommateur et l’entreprise. Nous avons
vu que consommer est un processus de signification que la société s’est
appropriée. Nous pouvons dire que consommer, c’est aussi pratiquer la
médiation, soit la construction symbolique d’une entremise rassemblant des
représentations sur lesquelles consommateurs et producteurs, destinataires et
émetteurs, se mettent en adéquation.
        Toutefois la logique de consommation n’a pas encore sa propre
manifestation, c’est à dire, un espace concret où elle-même se signifierait, un
support tangible qui serait la preuve de sa médiation.

        La médiation devient médiatique, lorsqu’elle relève d’une technique et
d’un support de diffusion massive de l’information (presse, radio, télévision,
cinéma, Internet). De la même façon la consommation prend « corps » - ou
plutôt forme- dans les médias.

        Les médias atteignent un public large et nombreux. L’expression
« Média de masse » paraît même redondante dans la mesure où la masse est
consubstantielle au média. Il n’existe pas de média qui ne soit pas « de
masse ». La consommation pour se constituer en masse n’a pas hésité à user
des médias comme canaux de diffusion, c’est la naissance du phénomène de
publicité. Mais le rapprochement de la consommation et des médias est plus
subtil.

        Si la consommation est le lieu où l’on exprime une volonté de
médiation, les médias sont le lieu où elle se réalise. C’est à travers ces canaux
de diffusion capable de solliciter, tant les espaces privés que public, tant
l’objectif que le subjectif, que va se construire le socle commun des
représentations.




                                       30
« Il doit exister une procédure, reconnue par convention, dotée par convention
d’un certain effet, et comprenant l’énoncé de certains mots par de certaines
personnes dans de certaines circonstances 43 ».

        Cette procédure prend effet dans le champ médiatique, dont le dispositif
et le rôle sont reconnus par tous les champs. Il représente donc un allier
intéressant pour la logique de consommation qui va se greffer sur son pouvoir
et l’exploiter. Les médias sont déjà socialement installés et sont familiers à
l’espace public.
Le champ médiatique a connu trois mutations majeures. Ce n’est qu’au cours
de la deuxième qu’il a pu être instrumentalisé par la sphère privée et
commerciale de l’entreprise44 :

« Cette Presse qui s’était développée à partir de l’usage que le public faisait de
sa raison et qui se contentait d’être le prolongement des discussions qui y
avaient lieu restait de part en part une institution propre à ce public même ; son
rôle était d’être un médiateur et un stimulant des discussions publiques – non
plus simple organe de circulation des informations, mais pas encore media
d’une culture de consommation45 ».

La translation offre à la presse son premier rôle dans la sphère commerciale.

En effet, les premières informations transmises sont d’ordre financier, et
servent essentiellement à suivre l’évolution des marchés. La sphère marchande
faisant de la circulation de ces informations un outil économique indispensable
insuffle le principe de circulation des informations, comme elle avait impulsé
la circulation des marchandises :

« […] avec l’extension des échanges, la prévision commerciale commandée
par le marché réclamait des informations plus fréquentes et plus précises sur les
événements qui se déroulaient loin, hors de sa portée. C’est pourquoi, dès le
XIV siècle, l’ancien échange épistolaire a été transformé en une sorte de
système corporatif de correspondance commerciale. Les associations de
commerçants créèrent au service de leurs intérêts propres les premiers courriers
43
   JL Austin, Quand dire, c’est faire, Editions Seuil 1970, p 58. J l Austin détermine ici les
conditions minimales requises dans l’exercice de la parole.
44
   ATTENTION : A la relecture de L’espace public, on peut préciser ce que nous entendons par
« la sphère privée de l’entreprise.
Nous considérons l’entreprise comme une institution privée qui est le propre d’un public
constitué par des personnes privées. Celles-ci souhaitent satisfaire un intérêt privé et non
général.
45
   Jurgen Habermas, L’espace public, Editions Payot 1990, p 191




                                             31
partant à date fixe et qu’on a appelé les ordinaires. Les grands centres de
commerce sont en même temps des lieux où l’on échange de l’information.
Aussi devient-il obligatoire qu’ils soient permanents, dans la mesure où
l’échange des marchandises et des lettres de change devient lui aussi
permanent46 ».

         Jurgen Habermas précise que cette circulation d’information est
exclusivement réservée aux marchands. Elle est à usage interne car, ajoute-t-il,
« il n’est pas question de publicité de l’information ». La sphère marchande ne
sollicite pas encore le public car celui-ci ne s’est pas encore constitué en
espace, et ne s’est pas encore attribué une fonction. Elle reste une sphère
distincte mais lègue au futur espace public le principe de diffusion
d’informations.

Le journalisme littéraire, la presse devient média :

 « Elle (la presse périodique) était pour eux (certains écrivains) un moyen de
donner à l’usage qu’ils faisaient de leur raison dans un but pédagogique une
efficacité sur le plan public. On a défini cette deuxième phase de l’évolution de
la presse comme étant celle du journalisme littéraire 47».

        Cette nouvelle étape fait enfin de la presse un média qui va assurer la
publicité de l’usage public de la raison. La presse est l’organe intermédiaire
entre l’Etat et le public, avant que celui-ci ne se constitue légalement en espace
public. Le média devient le canal de diffusion, et le générateur du principe
de Publicité. A cette époque, Il est l’usage exclusif de l’espace public en
devenir.

La presse commercialisée :

         Dès 1830, la sphère publique est légalisée. « la presse critique a vu se
lever les interdits qui entravaient la liberté d’opinion. Elle put dès lors
abandonner son attitude polémique et s’ouvrir aux possibilités de réaliser un
profit, comme n’importe quelle entreprise commerciale 48». Le journalisme
littéraire qui s’était autrefois développé grâce à la clandestinité de l’espace
public, perd son investiture « publique » aussitôt que l’espace public est
reconnue et par la même occasion, intégré au système politique duquel

46
   JH, op. cit, p 27
47
   JH, op. cit, p 190
48
   JH, op. cit, p192




                                       32
l’espace, et la presse voulaient se démarquer. Ils sont désormais prévus par le
système politique.

         La presse peut enfin envisager de faire des profits. La sphère
commerciale va, consciemment ou inconsciemment, remodeler la face du
journal, qui diversifie son activité. Le support va se scinder en deux, avec d’un
côté un espace rédactionnel à faire lire aux lecteurs, et un espace publicitaire, à
faire lire aux lecteurs et à vendre aux annonceurs. Or la lecture des annonces
dépendant de l’achat du support, le contenu rédactionnel de celui-ci devra être
assez captivant pour susciter l’achat. Depuis cette troisième mutation des
médias, l’espace rédactionnel a été au service de l’espace des annonceurs49.
Le journal est alors contraint de vendre des sujets ou des articles intéressants
pour assurer un lectorat et une visibilité aux annonceurs. Deux tendances
consécutives vont apparaître : la première est la standardisation et la deuxième
la revendication d’une ligne rédactionnelle.

  « L’harmonisation des services d’information provoquée par la constitution
des agences de presse en monopoles s ‘est très vite doublée d’une
standardisation du travail rédactionnel dans les journaux de moindre
importance grâce à l’emploi de correspondances pré calibrées et à l’appel fait
aux services de certaines officines livrant des suppléments tout prêts50 ». Cette
situation n’est pas sans rappeler celle de l’entreprise et des débuts de la
production de masse de produits standardisés. Si la presse se lance dans un
modèle standardisée de la diffusion d’information, c’est pour ne pas prendre le
risque de déplaire en adoptant quelque inclinaison. Il faut séduire le plus grand
nombre de lecteurs pour assurer la vente d’espaces publicitaires51.
49
   K.Bücher, « Die Entstehung des Zeitungswesens », in Die Entsehung der Volkwitschaft, r. I,
Tübingen, 1926 : « Un journal revêt le caractère d’une entreprise dont les marchandises qu’elle
produit sont les espaces réservés aux annonces, tandis que la partie réservée à la rédaction se
charge de la vendre ».
50
   Jürgen Habermas, L’espace public, Editions Payot 1990, p194
51
   ATTENTION : je ne suis pas en train de dire que la presse a adopté un profil neutre. Je
précise juste qu’elle en a montré les signes de la neutralité, ce qui lui a suffi pour prétendre
aspirer à la neutralité.
Jean Baudrillard dit quelque chose de très intéressant sur la faculté, dans le mode consommatif,
non pas de prendre nos désirs pour des réalités, mais plutôt la faculté de prendre la partie pour
le tout. « Vous achetez la partie pour le tout » écrit-il. Le champ médiatique, en se posant
comme représentant de l’espace public alors que celui-ci n’était pas encore légalisé, illustre
cette attitude synecdotique. Je pense que dès lors que l’on se trouve dans un système
d’échange, qu’il s’agisse d’objets, de commerce de société, ou encore d’informations, il nous
est impossible de saisir et de percevoir la totalité significative de ce qui est échangé. Par un
système de convention, et sur la base de ce fameux socle commun de symboles et de
représentations, des correspondances entre les objets et leur sens ont été établies ; certains ont
été assignés au rôle de « partie », et d’autres au rôle de « tout », par un processus de filiation,
qui relève lui aussi d’une convention.




                                               33
La deuxième tendance est complémentaire de la première et s’inscrit
dans une prise de conscience, encore une fois similaire à celle qu’a connue la
production de masse, lorsqu’elle s’est rendue compte qu’il fallait convaincre le
consommateur de l’importance de consommer. Les journaux, pour se
démarquer les uns des autres, vont renouer avec l’adoption d’une ligne
rédactionnelle pour donner du relief au traitement de l’information. Il ne s’agit
pas de biaiser les informations, mais de les orienter par leur seule présence
dans un certain type de média. Le canal, qui diffusera l’information, sera à lui
seule une orientation. C’est l’application de la théorie selon laquelle le
médium est le message52.

        Une fois de plus, on peut faire le rapprochement avec le mode
consommatif. Le sens qu’ils apportent n’est pas véhiculé dans l’objet mais dans
le canal par lequel on en fait l’acquisition et le contexte dans lequel on le
reçoit53.

       Au fil de l’Histoire, la sphère des médias et la sphère marchande se sont
rapprochés grâce à leur volonté de conquérir l’espace public dont ils font eux-
mêmes part, dès lors qu’ils bénéficient de la Publicité. L’introduction de la
sphère marchande dans la presse, par le biais de l’achat d’espace publicitaire,
marque un pas de plus vers le rapprochement.

        La presse devra faire accepter à l’espace public, qui constitue son
audience, la présence commerciale dans les pages, qui autrefois lui étaient en
majorité réservés. Le média élargit la notion d’espace public en accueillant la
sphère marchande comme bénéficiaire, à son tour, du principe de publicité. En
voie de conséquence, cela va modifier le principe de publicité qui faisait défaut
à l’entreprise privée. Il ne s’agira plus de rendre public l’usage de la raison par
le public, mais de se rendre public en utilisant l’usage de la raison par le public.

       La faculté de la presse à rendre public relève de l’entretien historique
entretenu avec l’espace public, sa première vocation. Elle nous amène aussi à
52
   Marshall Mac Luhan, Pour comprendre les médias, Editions le Seuil 1968, p 27 : « Le
message, c’est le médium, parce que c’est le médium qui façonne le mode et détermine
l’échelle de l’activité et des relations des hommes […] Chez IBM, on comprit ou l’on allait
quand on découvrit qu’on ne fabriquait pas du matériel informatique de bureau et des
calculatrices, mais que l’on traitait de l’information ».
53
   REMARQUE : Il est étonnant de voir le sens s’emboîter comme un jeu de poupées russes.
L’information elle-même porte un sens, qui est contenu dans un véhicule (le canal qui sert de
voix d’acheminement), lui-même porteur d’un autre sens. Le tout circule dans des contextes
sociaux qui sont eux aussi signifiés. La mise en abîme du sens peut être infini.




                                              34
penser une définition plus général des média comme tout support, canal, objet,
ou encore événement qui permet l’application du principe de Publicité et la
circulation de symboles et de représentations sociales54.

« L’industrie de la publicité ne se borne pourtant pas à s’emparer des organes
de presse existants, et elle crée ses propres journaux, ses propres revues et
prospectus », témoigne Jürgen Habermas, se référant au 20% des foyers
allemands possédant « au moins un exemplaire de ces catalogues commerciaux
courants et souvent présentés sous la forme coûteuse de brochures
illustrées55 ».

L’entreprise, en rassemblant ces deux critères, sera en mesure de créer un
média, son propre média.

2.3 Le principe de marque sous-jacent de la logique publicitaire,
comme symbole de l’espace privée de l’entreprise

        La marque fait l’objet d’un choix rationnel, propre à la rationalité de
l’entreprise. Ici nous allons prouver que la marque est la face de l’entreprise
dans l’espace public. Nous allons solliciter le concept de « face » d’Erving
Goffman dans Les rites d’interaction. De plus nous allons préciser la relation
que la marque entretient avec l’entreprise qu’elle démarque. S’agit-il d’une
relation filiale ou alors mimétique ? Jean Jacques Wunemburger propose
plusieurs outils conceptuels pour exprimer la nature de ce lien, dans La
philosophie de l’image. Cette réflexion nous indiquera dans quel type de
relation le magazine de marque et l’entreprise sont installés.

2.3.1 La marque, un pont entre l’entreprise et l’espace public.

La marque, comme « face » de l’entreprise :

       Erving Goffman attribue la faculté d’avoir une face aux êtres sociaux
uniquement. Nous étendons son concept en l’appliquant à l’entreprise, de telle
sorte que la face n’est plus l’exclusivité d’un individu, et qu’elle est aussi
nécessaire et accessible à un public composé de personnes privées. La face
peut aussi être un attribut de groupe :

54
   REMARQUE : Cette définition nous permet de remettre en cause l’idée de « Hors médias »,
fréquente dans le milieu professionnel de la communication et du marketing. Peut-être
devrions-nous plutôt parler de « tout médiatique », puisqu’il suffit à une entreprise de réunir
ses deux critères pour créer son propre média.
55
   Jürgen Habermas, L’Espace public, Editions Payot 1990, p 199




                                              35
« On peut donner une bonne image de sa profession ou de sa confession en
donnant une bonne image de soi56 ».

       La face assure un rôle transitoire lors du passage du particulier au
général, et du général vers le particulier.

        Cependant la construction de la face ne relève pas d’une construction
commune où tous les avis auraient été consultés. La face répond à d’autres
critères d’élaboration d’ordre symbolique.

« On peut définir le terme de face comme étant la valeur sociale positive
qu’une personne revendique effectivement à travers la ligne d’action que les
autres supposent qu’elle a adoptée au cours d’un contact particulier. La face est
une image de moi délinéée selon certains attributs sociaux approuvés, et
néanmoins partageables, puisque, par exemple, on peut donner une bonne
image de sa profession ou de sa confession en donnant une bonne image de
soi57 ».

        La face est la valeur sociale positive qu’une personne revendique. De
cette même façon, la conception d’une marque obéit à la manière dont
l’entreprise souhaiterait être perçue.

        Dans l’ordre des perceptions, on distingue ce qu’on souhaiterait
montrer, ce qu’on peut montrer et ce qui est vu. Ce chassé-croisé reste
dépendant, d’après Erving Goffman, de ce que « les autres supposent » de la
perception que l’entreprise aura souhaité donner.
Une fois de plus, les destinataires ont le dernier mot58. Ceux qui voient la
marque vont dessiner les contours de la face de l'entreprise, et « délinéer selon
certains attributs sociaux approuvés ».

        Ce propos pourrait se tenir si l’on restait dans le contexte des relations
inter individuelles. Or à l’échelle de l’entreprise, ce ne sont pas les autres qui,
par leurs suppositions, vont agir et faire réagir la face mais plutôt le principe de
Publicité.



56
   Erving Gofman, Les rites d’interaction, Editions de minuit 1974, p 19
57
   E.G, op. cit, p 19
58
   Nous remettrons en cause « le premier rôle » du destinataire dans la conclusion.




                                              36
Le principe de Publicité, en tant qu’il représente les intérêts et les
représentations de l’espace public, est l’interlocuteur de la face – et de la
marque de l’entreprise. La Publicité quant à elle n’est pas la synthèse des
représentations de personnes privées réunies en public. Elle relève d’une
logique à part entière de représentations de l’espace public. Aussi nous
pouvons affirmer que, dans la communication de représentation à
représentation, la face de l’entreprise est confrontée à la face de l’espace public
à travers la Publicité.

« Toute personne vit dans un monde social qui l’amène à avoir des contacts,
face à face, ou médiatisés avec les autres. Lors de ces contacts, l’individu tend
à extérioriser e qu’on nomme parfois une ligne de conduite, c’est à dire un
canevas d’actes verbaux et non verbaux qui lui sert à exprimer son point de vue
sur la situation, et par là, l’appréciation qu’il porte sur les participants, et en
particulier lui-même 59».

        La face est très liée au concept de Publicité lorsque les quêtes
d’appréciation, et de soumission au jugement sont primordiales.
L’éventualité d’un face à face n’est plausible que si l’on considère la face
comme un apparat de croyances et de rites sociaux intégrés et ajustables qu’on
porte et qu’on adapte à l’exigence d’une situation donnée. Il n’y a pas de face à
face, entre des personnes, mais plutôt des représentations à représentations.
Aussi le « face à face » est-il effacé par le concept de médiatisation.

        La face est médiatrice dans le rapport entre l’espace public, les
consommateurs, les acteurs sociaux, et l’entreprise privée, que l’on peut tout
autant subsumer. Elle qui n’existe qu’au sein d’une relation de deux personnes
minimum est indispensable à celui qui souhaite évoluer dans un monde social
Elle est la projection sociale de celui qui la porte, mais est aussi un lieu de
consensus, du fait de sa qualité de médiatrice. L’entreprise s’est pourvue d’une
face par le biais de la marque.

        C’est la face qui contribue à la production et à l’extériorisation d’une
ligne de conduite par ses facultés d’encadrement. Elle agit comme une trame,
délimitant ce qui est possible, ou non, d’être fait et dit, dans une situation
donnée. La marque est cette ligne de conduite, verbale et non verbale, qui
résulte des combinaisons que la face peut réaliser. La face est la projection
globale de l’entreprise dans le monde sociale, tandis que la marque, qui résulte
de la face de l’entreprise, est destinée à évoluée dans l’espace public
59
     Erving Goffman, Les rites d’interaction, Editions de minuit 1974, p 9




                                                37
Une face n’existe qu’au sein des actes et des discours dont elle permet
la production. De même, une marque existe à la seule condition d’occuper un
espace signifiant, au cas contraire elle ne s’apparenterait qu’à un dessin formel
qui se présente à nous, en attente d’être signifié. La marque est une expression
signifiante et laconique de la face de l’entreprise. Elle est une partie, tandis que
la face est un tout.

       L’entreprise, pour s’exprimer, doit donc « se munir » d’une face, et de
sa forme contractée, qui est ici la marque. Enfin, l’élément de la mise en scène
légitimera son discours :

« Un individu garde la face lorsque la ligne d’action qu’il suit manifeste une
image de lui-même consistante, c’est à dire, appuyée par les jugements et les
indications venus des autres participants et confirmée par ce que révèlent les
éléments impersonnels de la situation. Il est alors évident que la face n’est pas
logée à l’intérieur ou à la surface de son possesseur, mais qu’elle est diffuse
dans le flux des événements de la rencontre60 ».

        La face prend effet dans un contexte, une mise en scène, qui modèle son
action. Cette précision rappelle que ce n’est ni le possesseur de la face, ni celui
qui la regarde qui la dirige, mais un flux d’événements.

« Un contexte, un construit, […], ce sont avant tout des relations61 ». Ce flux
constitue les relations à l’intérieur desquelles les faces entre en interaction.
L’ajustement et l’évolution de la face de l’entreprise se jouent dans la relation
qu’elle établit avec les consommateurs qui lui laisseront plus ou moins une
marge de liberté. Cependant ils n’ont pas la main mise sur cette relation, et
comme dans L’acteur et le système, le facteur d’imprévisibilité introduit, dans
cette relation, une zone d’incertitude, qui permet à l’entreprise de prendre des
initiatives. Cette zone d’incertitude est une marge de liberté pour l’entreprise,
qui, saisissant l’occasion, a mis en place, entre autre, le magazine de marque.


2.3.2 La relation de l’entreprise à sa marque et la relation de
l’entreprise à son magazine de marque



60
     E.G, op. cit, p 10
61
     M. Crozier et Erhard Friedberg, L’acteur et le système, Editions du Seuil 1977, p64




                                                 38
L’entreprise crée sa marque. Nous devons définir la nature de la relation
entre l’entreprise, en tant que créatrice, et de la marque, en tant que création.
La marque est-elle une imitation de l’entreprise ? Entretiennent-elles un rapport
de filiation ?
Personnification, synecdoque, comparaison,, symbolique : cette partie évoque
quelques figures de rhétorique qui révéleront les projets de l’entreprise dans la
gestion de sa marque par le biais du magazine de marque.

« La création apparaît comme un processus par lequel un plan préalable est
extériorisé et transposé dans l’espace temps d’une œuvre. Qu’elle émane d’un
Dieu ou d’un artisan humain, la création consiste à fabriquer l’image d’un
modèle et à laisser en elle la trace et la marque de son auteur62».

La marque est conçue à l’image de l’entreprise, ou plutôt, « à la face » de
l’entreprise dont elle porte « la trace ». C’est cette dernière, qui en se
manifestant révèle qui est son créateur. Wunemburger explique que l’image est
forcément l’image de quelque chose.

       Il y a relation de secondéité, de dépendance, et de filiation inhérente à
l’image. Elle doit être suffisamment ressemblante pour pouvoir faire écho à son
modèle d’origine, et assez différente, et originale pour qu’on puisse la
distinguer de son modèle qui doit rester premier, et originel, pour en faire une
image. La trace permet l’affiliation de la marque à l’entreprise.

        On peut dire qu’il y a un double effort d’affiliation : le premier a lieu
entre l’entreprise et sa face, le deuxième entre la face et la marque, autant de
stades intermédiaires qui éloignent la marque de son modèle. En conséquence,
le modèle et la copie se distinguent.
De la même façon, la marque et l’entreprise ne peuvent se confondre, malgré
des liens de parenté. La marque est à la fois une production inédite et une
réduction symbolique de la face de l’entreprise.
Elle a deux missions : entretenir la dissemblance, comme la ressemblance avec
sa créatrice, et assurer la figuration de celle-ci dans l’espace public.

         L’éloignement entre l’entreprise et la marque conduit la première à
utiliser la deuxième, comme sa forme réduite. L’entreprise se présente comme
le tout initial, et la marque, comme la partie rappelant le tout mais néanmoins
différente. Cet effet est causé par l’application d’une figure de style : la
62
  Jean-Jacques Wunemburger Philosophie des images, Presse universitaire de France 1997,
p106




                                           39
synecdoque. Il s’agit d’une « figure de rhétorique qui consiste à prendre le plus
pour le moins, la partie pour le tout, le singulier pour le pluriel ou
inversement 63».
        Le processus de réduction, nous l’avons vu, passe par une constitution
de la face, qui à son tour, délimite la marque. Ces affiliations représentent
autant d’ajustements symboliques de l’entreprise à la face, et de la face à
l’entreprise.

Jean-Jacques Wunemburger organise l’image réduite autour des principes de
complication et d’explication, en s’inspirant d’une réflexion de Nicolas de
Cues dans De la docte ignorance.

« Dieu est la forme contractée (complicatio), cause de toutes choses,
inaccessibles à la vue. Mais lorsqu’il se développe lui-même en images visibles
(explicatio), celles-ci sont les représentations finies de l’irreprésentable, de
développement de ce qui était enveloppé dans son infinité 64».

        Pour lui, l’image résulte d’un changement d’échelle par gradation
continue. Et la ressemblance, de la copie avec le modèle, résulte moins de la
marque que du regard qui se pose sur la marque. Cette dernière ne contient
qu’un appel à la ressemblance et non l’entreprise elle-même.
Au terme de la chaîne, après de multiples manipulations symboliques, la
marque est obtenue à partir d’un précipité de représentations arbitraires qui ne
sont « souvent appréciées que de façon intuitive, difficile à expliciter, sujette
aux errements de l’amour propre65 ». Renvoie-t-elle à l’entreprise qui l’a créée
ou à l’ensemble des représentations arbitraires ?

« Une produit de marque se constitue par négation de la marque de fabrique. Il
se pose comme seule réalité, dissimulant totalement le contexte industriel où il
a été élaboré66 ».

        Paradoxalement, la marque n’a pas pour vocation de représenter
l’entreprise, mais plutôt l’ensemble de valeurs à laquelle elle souhaite
s’associer. La marque ne présente pas l’entreprise objective et tout son attirail




63
   Dictionnaire Le Robert.
64
   JJ Wunemburger, Philosophie des images, Editions PUF 1997, p 122-123
65
   Charles Krejtman, Le système de la marque, Editions Economica, 1998, p 32
66
   C.K, op. cit, p 37




                                            40
industriel, mais plutôt l’entreprise subjective et sa marque porteuse de valeurs,
afin que celle-ci ait sa place parmi les sujets de l’espace public67.
Les valeurs servent alors de média entre la marque et l’entreprise.

        Si l’on s’exprime en termes de complicatio et d’explicatio, l’entreprise
est le complicatio, une forme complexe et difficile à s’approprier, pliée sur
elle-même. La marque est son explicatio. Elle correspond au dépliage du
complicatio, par lequel l’entreprise acquiert une expression et une dimension.
Cela signifie que la marque peut parler au nom de l’entreprise, et dans le sens
inverse, que l’entreprise peut s’exprimer au nom de la marque :

« Le porte-parole doté du plein pouvoir de parler et d’agir au nom du groupe, et
d’abord sur le groupe par la magie du mot d’ordre, est le substitut du groupe
qui existe seulement par cette procuration. Groupe fait homme, il personnifie
une personne fictive, qu’il arrache à l’Etat de simple agrégat d’individus
séparés, lui permettant d’agir et de parler, à travers lui, « comme un seul
homme ». En contrepartie, il reçoit le droit de parler et d’agir au nom du
groupe, de se prendre pour le groupe qu’il incarne, de s’identifier à la fonction
à laquelle il « se donne corps et âme », donnant ainsi un corps biologique à un
corps constitué 68».

        La marque a un pouvoir d’action et d’obligation sur l’entreprise qui l’a
créée et l’a investie de ce droit par procuration. De plus la marque est la
figuration et la personnification de l’entreprise qui par cette prouesse
rhétorique s’invite dans une nouvelle sphère, autre que marchande.
Ce qu’explique Bourdieu peut s’appliquer au processus qui permet à la marque
de donner au corps constitué de l’entreprise, un corps symbolique, social et
publique, prêt à figurer dans l’espace public.




 Conclusion : L’entreprise privée veut se soumettre à la Publicité et doit
 pour cela se placer à la portée de l’espace public. Son entrée dans cette
 espace rendrait légitime sa volonté d’accomplir son intérêt privé en se servant
 de l’intérêt général. En effectuant cette manœuvre, elle espère pouvoir
67
   ATTENTION : ici j’émets une hypothèse que l’étude empirique va confirmer ou infirmer :
une entreprise pour s’assurer une meilleur prise dans l’espace public devrait plutôt l’accent sur
la partie « marque », ses représentations et ses valeurs, plutôt que sur le « tout », qui rappelle
l’entreprise objective.
68
   Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, Editions Fayard 1982, p 100-107




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Le magazine de marque : entre logique publicitaire et logique rédactionnelle

  • 1. FRANCOIS Anne-Lise septembre 2007 N°2023983 Mémoire Le magazine de marque : Entre logique rédactionnelle et logique publicitaire Master 1 Information et Communication Université Lumière Lyon 2 Directeur de mémoire : William Spano
  • 2. Remerciements : Philippe Colombet, Patrick Binet Descamps, Jean Michel Graulier, et Alain Girod, pour leurs conseils. Un merci tout particulier à William Spano pour sa patience et ses encouragements. 2
  • 3. SOMMAIRE Introduction…………………………………………………………………..p 4 Partie I………………………………………………………………………p 12 Chapitre I / Logique rédactionnelle et logique publicitaire : un travail en tandem en faveur de l’épanouissement de l’entreprise et de l’intérêt privé dans l’espace public………………………………………………………………………..p 13 Partie II……………………………………………………………………...p 45 Chapitre I / Description et interprétation du processus de fabrication et de distribution des informations au sein du magazine de marque……………............................p 46 Chapitre II / Le magazine de marque comme don de l’entreprise pour intégrer l’espace public…... p 74 Conclusion …………………………………………………………………..p80 3
  • 4. INTRODUCTION : L’entreprise use de la marque comme un outil assurant la promotion de ses marchandises, ses services, et par là même occasion sa propre promotion. Le magazine de marque est un support écrit permettant d’assurer à la fois la promotion des produits de l’entreprise et l’entreprise elle-même. Nous nous proposons d’en disséquer le contenu et d’en dévoiler au grand jour le mécanisme. Pour cela, nous prendrons comme objets d’étude différents types de magazine de marque : Ca se passe comme ca de la chaîne de restauration Mac Donald, BMW magazine du constructeur automobile BMW, Virgin des enseignes Virgin Megastore, Vivre Champion des hypermarchés Champion, C’Clair ! des hypermarchés Leclerc et Silence, du groupe hôtelier Constance. Nous justifierons plus loin notre choix. « Ces magazines de marque ont en commun d’être édités à l’instigation de distributeurs qui souhaitent renforcer l’achat dans leur enseigne, de façon directe en stimulant le trafic et de façon indirecte en renforçant leur image de … marque ! »1 explique Caroline Marty de Montety, auteur en 2005 d’une thèse intitulée Le magazine de marque : métamorphoses d’une promesse. Nous rajouterons que le magazine de marque est aussi un moyen de fidéliser les clients. Il constitue un contact régulier grâce à la périodicité du support. Aussi dirons-nous que le magazine de marque est un outil de communication qui remplit deux missions, indissociables et différentes : l’une est d’ordre marchand, et l’autre d’ordre relationnel2. Le magazine de marque met en évidence le lien entre la fidélisation et l’écoulement des marchandises. Il établit un second rapport entre la logique de presse et la logique publicitaire3. La logique de presse correspond aux informations générales, autres que le prix et les produits, ne prenant aucune position en faveur de l’entreprise. Elle prend effet dans l’espace rédactionnel du magazine. La logique publicitaire 1 www.dyn-com N°102 Mars/Avril 2006 2 Je tiens à dire qu’en précisant ces deux ordres, marchand et relationnel, je ne qualifie pas la nature du lien entre eux. C’est à dire que je ne les oppose pas. Je ne les associe pas non plus, même si je les suppose complémentaires dans la démarche d’incitation à l’achat. Nous pourrons définir la rapport qu’ils entretiennent tout au long de notre réflexion. 3 Comme dans la note précédente, je ne présente là que deux logiques, que je n’oppose pas, et que je n’allie pas non plus. Elles existent, et je me contente de les signaler. Je ne m’avance pas pour l’instant à définir dans quelle mesure elles s’imbriquent ou interagissent. 4
  • 5. peut prendre plusieurs formes : des informations sur les produits et leurs prix, mentionnées à l’intérieur d’un article (proche du publi reportage) ou une annonce, dont l’entreprise éditrice n’est pas forcément l’émettrice. Au même titre que l’on a associé l’espace rédactionnel à la logique de presse, on serait tenté d’attribuer à la logique publicitaire un espace publicitaire. Or la spécificité du magazine de marque est de ne pas établir clairement ce dernier espace. Il peut autant se limiter aux formes évoquées ci-dessus, que se mélanger jusqu’à se fondre dans l’espace rédactionnel. Le magazine de marque s’applique si bien à mixer ces deux catégories qu’il prend les apparences d’un média papier traditionnel, avec des rubriques « produits ». Il désigne la coexistence d’une logique de presse et d’une logique publicitaire ayant deux objectifs marchand et relationnel. On peut noter que l’entreprise s’investit dans la distribution d’informations, fonction longtemps réservée aux entreprises de presse. Ce changement est un autre argument qui nous encourage à penser que l’entreprise déborde de son environnement marchand dont elle est issue pour se diriger vers la distribution d’informations. Peut-on affirmer que l’entreprise privée s’appuie sur la combinaison d’une logique de presse et d’une logique publicitaire, appliquée aux deux objectifs, marchand et relationnel (soit le magazine de marque), pour acquérir une reconnaissance par delà le cadre marchand ? Plusieurs interrogations s’imposent : Si l’entreprise privée est en quête de légitimation, quelle est-elle ? A travers le magazine de marque, s’adresse-t- elle au lecteur, au consommateur ou à l’agent social ? De qui recherche-t-elle la reconnaissance ? S’agit-il de reconnaissance ? Pour traiter la problématique ci-dessus, il faudra prouver que : 1. Le magazine de marque exprime le souhait de l’entreprise de sortir de l’environnement marchand : Premièrement on peut supposer que la capacité à inciter à l’achat dépend de la capacité à se présenter hors d’une situation d’achat, hors du contexte mercantile et hors du phénomène de consommation. Vendre sans parler de vente : ce paradoxe justifierait en partie l’action du magazine de marque et 5
  • 6. l’intérêt de l’entreprise pour le « hors-marchand », dont le magazine de marque, souvent distribué gratuitement, serait l’exemple. En prenant ses distances avec tout aspect mercantile, l’entreprise prend aussi des distances avec son propre intérêt. Nous dirons qu’à travers le magazine de marque, elle met de côté son intérêt afin de satisfaire, à long terme, ses propres objectifs de vente. Plus clairement nous avançons que, pour mieux vendre, l’entreprise serait contrainte de faire passer son intérêt qui est d’ordre privée pour un intérêt d’ordre général. 2. Le magazine de marque est l’outil nécessaire à l’entreprise afin d’assurer son maintien dans le « hors-marchand »4 : Pour le démontrer, intéressons-nous au phénomène du « hors médias ». La faculté de l’entreprise à communiquer en dehors des espaces publicitaires des six grands médias5 nous laisse penser que l’entreprise saurait s’approprier, manipuler et transformer n’importe quel objet ou événement, en média. Ce serait la première technique que le magazine de marque exercerait. La deuxième manipulation, pour laquelle le magazine de marque servirait toujours d’exemple, serait la capacité de l’entreprise à faire de l’information d’intérêt privé une information d’intérêt général, qui servirait à terme des fins privées. Ce passage du « privé » au « général » se fait, affirme Jürgen Habermas, grâce à la Presse6. Nous irons plus en amont et supposerons 4 Nous entendons par « Hors marchand » la faculté de n’évoquer que très peu, voire aucune, référence au monde marchand, économique, financier etc. Nous dirons que le « hors marchand » est le but idéal du magazine de marque. Or nous le verrons, cet objectif doit rester de l’ordre de l’idéal, et le magazine de marque doit se contenter de tendre vers celui-ci pour des raisons stratégiques. 5 Landrevy, Lévy,Lindon, « Lexique indexé », in Mercator, Ed Dalloz 2003, p 1126 : « Hors médias, Ensemble des moyens de communication autres que ceux qui utilisent les six grands médias publicitaires. Les principaux modes de communication hors-médias sont la promotion des ventes, le marketing direct, les relations publiques, le sponsoring et le mécénat, la communication événementielle, les foires et salons ». p 1131 : « les six grands médias publicitaires sont, par ordre d’importance en France, la presse, la télévision, l’affichage, la radio, le cinéma et Internet. » 6 J.Habermas, L’espace public, Ed. Payot 2003, p 193 : « Depuis que le volume de la partie proprement journalistique d’un journal est proportionné au volume des annonces, la Presse qui était jusqu’alors une institution propre aux personnes privées en tant que public devient l’institution de certains membres du public qui ne sont plus que des personnes privées – autrement dit, elle est le biais par lequel certains intérêts privées privilégiés font irruption dans la sphère publique » p 193 6
  • 7. que l’information et ses caractéristiques pourraient être la source de ce phénomène. Ce serait une deuxième technique du magazine de marque. Enfin, la marque pourrait être ce troisième instrument qui permet à l’entreprise de passer de l’intérêt privé à l’intérêt général, de la sphère privée à la sphère publique : Nous posons comme hypothèses que la marque est un processus de réduction symbolique de l’entreprise. 3. Le magazine de marque est le signe d’une entreprise en quête de reconnaissance L’entreprise jouerait le jeu social de l’échange pour s’intégrer et obtenir une certaine légitimation. Pour ce faire, elle doit communiquer et échanger. L’information serait la matière de cet échange par lequel elle pratiquerait une sorte de Potlatch, que nous devrons identifier. Par ailleurs, lorsqu’elle est dans une posture marchande, l’entreprise donne le statut de « client » à tout destinataire d’une vente. Par le biais du magazine de marque, elle quitte le cadre marchand. Les clients se transformeraient en lecteurs, et de manière plus général, en public. Nous allons donc solliciter les concepts de sphère privée et publique de Habermas pour prouver que l’entreprise cherche la reconnaissance de l’espace public. Enfin, le magazine de marque aurait été conçu pour obtenir, en apparence, la légitimation de l’entreprise, dans la sphère publique. En effet, les moyens de mesurer l’impact du support sur le public restant peu fiable, le magazine de marque ne fait que solliciter en apparence cette reconnaissance. Il aurait pour but ultime d’annoncer, comme une étape inéluctable, la présence de plus en plus importante de l’entreprise dans la société. J’ai choisi dans ce travail de recherche de ne pas m’intéresser aux conditions de réception, mais plutôt aux intentions de l’émetteur, c’est à dire que je solliciterai davantage l’entreprise, et l’agence de communication que les lecteurs. Le magazine de marque est le produit, d’une part de la volonté de l’entreprise, et de l’autre, de l’application de cette volonté par une équipe externe. Celle-ci à la tâche de rendre compatibles les exigences de l’entreprise avec ce qu’il est possible de faire pour que le magazine soit lu. 7
  • 8. En résumé, le magazine de marque est le résultat d’un projet de la part de l’entreprise et de sa mise en pratique, par des rédacteurs qui font un travail de mise à niveaux entre l’entreprise et les lecteurs. « Tous les phénomènes ont un sens et correspondent à une rationalité à partir du moment où ils existent »7 expliquent Michel Crozier et Erhard Friedberg. Notre travail qui a donc pour but d’établir par induction les raisons pour lesquels le magazine de marque existe, doit prendre en compte cette remarque. On ne peut pas interroger le magazine de marque comme une manifestation de l’entreprise uniquement. Notre recherche devra tant questionner ceux qui demandent la création du support que ceux qui le réalisent. Leurs réponses nous serviront de matériaux. Or les contacter pour un entretien n’a pas été facile. Aussi nous n’avons pu obtenir de rendez-vous qu’avec les rédacteurs en chef de BMW Magazine, et de Ca se passe Com ça. En ce qui concerne l’interview d’une personne interne à l’entreprise, seul le directeur du groupe hôtelier Constance a accepté de répondre par mail aux questions posées sur le magazine Silence. Nous avons demandé aux acteurs de l’agence de communication de décrire les directives qu’ils reçoivent, leur rôle de conseiller auprès de l’entreprise cliente bénéficiant de leur service, leur poste et les tâches dont ils sont responsables. Ils recevaient le questionnaire une semaine avant notre rendez-vous, afin que celui-ci ait l’air moins formel et que l’interlocuteur soit plus à son aise. Nous avons préféré insister sur la description et non sur l’interrogation car nous ne voulions pas les amener à se poser des questions qu’ils ne se s’étaient jamais posés. Cela aurait eu pour effet de biaiser l’enquête à cause de notre intervention. L’entreprise instigatrice du magazine de marque a plutôt été interrogée sur sa conception du magazine de marque, et ce qu’elle attendait du support. Ces données descriptives, recueillies au cours d’entretiens semi- directifs, ont été regroupées et analysées afin de reconstituer les conditions et les structures qui ont motivé la mise en place du magazine de marque. Aussi nous remarquons que l’analyse des intentions mène à l’analyse du contexte qui détermine les intentions et dans lequel on établit une stratégie. 7 M.Crozier et E. Friedberg, « Théorie et pratique de la démarche de recherche » dans L’acteur et le système, coll. Essais, Ed. du Seuil 1977, p 456 : « Il [le chercheur] sait – c’est là le postulat heuristique de base qui commande toute sa démarche – que tous les phénomènes qu’il observe ont un sens et correspondent à une rationalité à partir du moment où ils existent ». 8
  • 9. C’est à dire que chercher les motivations et les intentions de l’entreprise et de l’agence de communication renvoie aussi à un contexte, et aux circonstances globales qui ont amené le magazine de marque comme un support incontournable. L’étude du magazine de marque devra nous a éclairé sur les techniques de mise en valeur de l’entreprise. Il ne fallait pas que nous les trouvions, mais qu’elles soient désignées par les professionnels qui élaborent le support. Aussi nous avons procédé à l’analyse de contenu d’après ce qu’ils ont estimé être une technique de mise en valeur de l’entreprise. Toutes les fiches techniques sur les magazines de marque sont tirées du site Internet www.datapresse.net, qui est un service regroupant toutes les informations sur les tirages, le contenu rédactionnel, les nombres d’abonnés ou de lecteurs, les cible, la pagination, le nombre de numéro par an etc. Nous avons sélectionné : BMWmagazine « conjugue la culture d’une grand marque automobile avec un art de vivre, tourisme, personnalité et consommation haut de gamme »8. Il est envoyé gratuitement en exclusivité aux 150 000 propriétaires de BMW de moins de 5 ans en France. Autrement on peut en faire l’acquisition d’un numéro pour 5 euros. Son caractère exclusif (public restreint) et haut de gamme serviront d’angle d’étude. Ca se passe Com Ca est distribué dans les 885 Mc Donalds de France. Il cible les « 15-35 ans avec des rubriques ciné, vidéo, DVD, musique, jeux vidéo, multimédia, aventure, sport, livres et BD, société, Internet, télévision »9. C’est un bimensuel gratuit tiré a 250 000 exemplaires à chaque numéro. La caractéristique de ce support est d’exclure le traitement des sujets alimentaires, alors que l’entreprise qui est à l’initiative du support, c’est à dire Mac Donald, est une chaîne de restauration rapide. Nous interrogerons la légitimité dont bénéficie le magazine dans les sujets traités. Vivre Champion et C’Clair ! sont deux magazines de marque produits par deux enseignes concurrentes dans la grande distribution. Néanmoins ils partagent le même objectif : aider le client à mieux consommer. Ils ont de nombreux points communs, comme leur périodicité (bimestrielle), et le choix des sujets. 8 source : www.datapresse.net fiche BMW magazine, rubrique Contenu rédactionnel. 9 Idem. Fiche Com Ca, rubrique Contenu rédactionnel. 9
  • 10. Silence existe depuis 2002. Il se veut à l’image du groupe hôtelier de 5 étoiles qu’il représente. C’est un support élégant où l’on évoque les hôtels Constance, mais aussi la littérature, la formation du personnel, la gastronomie ou encore l’Histoire. Il a été sélectionné parce qu’il remplit à la fois journal interne et journal externe du groupe Constance. Il est adressé aux clients mais aussi aux employés. Et enfin, Virgin Hebdo du groupe Virgin Megastore est le magazine grand public sélectionné dans la catégorie grande distribution culturel. Hebdomadaire gratuit, le magazine « informe de toutes les sorties en France et dans plusieurs secteurs : musique, livres, BD, video, jeux, multimédia, spectacles »10.Le cas est intéressant dans la mesure où, depuis la disparition papier de Epok le magazine culturel de la FNAC, Virgin Hebdo est le seul gratuit de marque, produit par une grande surface de distribution culturelle. Dans un grand tableau en annexe, nous avons comparé les contenus rédactionnels tels qu’ils sont présentés sur www.datapresse.net. Ils indiquent comment les rédacteurs aiment décrire leur propre support et renseignent donc sur l’idée qu’ils s’en font. Il est important de comprendre comment ils se représentent le magazine de marque comme outil de communication. On remarque que quelques sujets sont redondants, qu’il s’agisse de magazines édités par des groupes spécialisés dans la restauration ou dans l’industrie. De plus il faut noter qu’ils n’ont pas toujours la légitimité nécessaire pour s’exprimer sur des thèmes qui sont étrangers à l’activité principale de l’entreprise. La réflexion théorique appréciera les grands textes portant sur la communication, les médias, l’information, la presse, et le marketing. Nous nous appuierons sur les œuvres de Armand Mattelart, Philippe Breton, Serge Proulx et Marshall Mc Luhan en ce qui concerne les grands textes sur l’enjeu de la communication et de l’information, qui sera au centre de notre réflexion. Nous consulterons Marcel Mauss pour comprendre ce qu’est un système de prestation totale reposant sur la marque. Jürgen Habermas et Pierre Bourdieu seront deux auteurs de référence lorsqu’on cherchera à manier les concepts de sphères privée et publique, et de champs. Des auteurs spécialistes des stratégies de communication et des stratégies marchandes seront aussi consultés, comme par exemple Franck Cochoy, et Bernard Floris. 10 Idem. Fiche Virgin rubrique Contenu rédactionnel. 10
  • 11. Découpée en deux parties, notre réflexion s’attardera dans un premier temps à établir l’action commune de la logique rédactionnelle et de la logique publicitaire qui composent toutes les deux le magazine de marque. Nous verrons que cette combinaison sert à la justification du phénomène de consommation, et qu’elle a pour effet de créer des passerelles, en apparence rationnelles, entre l’espace privé et l’espace public d’une part, et d’autre part, entre l’intérêt général et l’intérêt privé. Une fois la lumière faite sur ce point, nous pourrons nous consacrer à l’observation du magazine de marque. La deuxième partie comporte deux chapitres. L’objectif sera d’apporter une définition de l’objet, à travers les éléments qui participent à sa conception, des logiques citées ci-dessus, en passant par le média, l’information, et le comité de rédaction. Ensuite, l’étude du corpus nous révélera les phénomènes répétitifs et remarquables qui apparaissent dans les magazines de marque. Nous essaierons de confronter les automatismes des professionnels de la communication, au regard observateur du chercheur. Enfin, dans la perspective d’une mise en scène, nous ferons le point sur le dispositif qui entoure la fabrication, puis la réception du magazine de marque. Le dernier chapitre intègre l’entreprise dans une série d’échange qui a pour finalité son intégration sociale, et ceci par le biais du magazine de marque. Nous nous appuierons alors sur la notion de potlatch. Dans la conclusion, nous justifierons les raisons pour lesquelles nous avons délaissé l’analyse des perceptions et de la réception, en nous plaçant du côté des lecteurs. Ces raisons sont en partie liées au concept d’image d’entreprise que nous remettrons en cause. En effet, nous pensons que le magazine de marque a pour vocation la création d’une identité de l’entreprise, une image qu’elle s’auto renverrait. 11
  • 12. PREMIERE PARTIE : Analyse conceptuelle du magazine de marque 12
  • 13. Chapitre I / Logique de presse et logique publicitaire : un travail en tandem en faveur de l’épanouissement de l’entreprise et de l’intérêt privé dans l’espace public Le magazine de marque se distingue par la cohabitation d’une logique publicitaire et d’une logique de presse dont le but est la pénétration de l’espace public par l’entreprise. Voici, pour commencer, quelques remarques et définitions pour délimiter le contexte de la réflexion. Le titre de cette première partie propose la logique de presse et la logique publicitaire comme étant les moyens, tandis que l’épanouissement de l’entreprise et de l’intérêt privé dans l’espace public s’imposent comme étant la finalité. Nous devrons vérifier que ce qui a été établi comme « finalité » l’est vraiment, afin de comprendre et d’évaluer comment les moyens, c’est à dire la cohabitation de la logique de presse et de la logique publicitaire, y répondent. Le magazine de marque connaît dans son existence deux environnements qui vont définir les vocables «d’intérêt privé » et «d’espace public ». En effet la publication connaît deux contextes, le premier est privé au moment de la conception, et le deuxième, public, au moment de la lecture. Tout d’abord « l’espace public » correspond ici à une zone où l’ensemble des publics qui sont destinataires et lecteurs d’un magazine de marque peuvent discuter et débattre de ce qui leur est présenté. Reste à définir l’intérêt privé. La conception et le contenu du magazine de marque relèvent de l’agence éditoriale et des vœux de l’entreprise, initiatrice du support. En agissant ainsi, l’entreprise fait ce qui lui importe, ce qui lui est utile et avantageux : elle agit dans son intérêt, qu’on qualifiera de privé, puisqu’il a pour seul but la satisfaction de l’entreprise et non celle du public en général. A partir de là, toute action est transformée en moyen, destiné à converger vers l’accomplissement de l’intérêt, qui est le principe ordonnateur. Ainsi l’espace public dans lequel prennent effet la notion de destinataire et la lecture d’un magazine de marque est à la fois un lieu et un moyen. Le titre de cette première partie suppose que l’entreprise, pour l’achèvement de ses projets, a besoin de l’espace public dont elle use comme instrument, au même titre que la logique de presse et la logique publicitaire. Le magazine de marque témoigne de cette approche. Il semble indiquer que l’entreprise passe par l’espace public afin de satisfaire son intérêt personnel. 13
  • 14. Bernard Floris constate cette incursion : « L’entreprise a fait irruption au début des années quatre-vingt parmi les sujets légitimes et dignes de considération dans l’information et les débats publics » 11. L’entreprise est convoquée à titre de sujet d’information et d’actualité dans le débat public. Poussés par une conjoncture globale, l’espace public et l’entreprise étaient-ils destinés à se rencontrer ? Il ajoute : « […] A partir de ces constations, une question vient à l’esprit : pourquoi l’entreprise et la communication managériale font-elles irruption dans l’espace public à ce moment là et pas avant ? ». Adaptée à notre sujet, cette interrogation prend une autre tournure : A quel moment l’entreprise a-t-elle compris qu’elle pouvait se servir du médias et du débat public comme instrument ? Quelle est la chronologie du magazine de marque ? Cette première partie devra combiner deux types de raisonnement, le premier sera plus ou moins chronologique et le deuxième, plus ou moins, inductif : à partir d’une meilleure compréhension de l’intérêt et de la finalité de l’entreprise située en amont, nous pourrons mieux saisir les moyens mis en place en aval. 1. Signifier la consommation Les bénéfices d’une entreprise résultent de la consommation de biens ou de services payant par le client. Toute production étant destinée à la consommation, nous pouvons affirmer que la consommation est la préoccupation de l’entreprise et aussi la condition sine qua non de son fonctionnement. L’entreprise doit donc veiller à ce que ce phénomène, de vente, d’achat et de circulation des marchandises, ne s’arrête jamais afin de se maintenir. C’est pourquoi nous avons établi l’obligation de motiver la consommation comme finalité. Dans les conversations courantes, « acheter » est parfois employé comme synonyme de consommer. Or il faut s’attarder sur ce que consommer veut dire. Consommer c’est « amener à destruction en utilisant sa substance ; en faire un usage jusqu’à le rendre inutilisable […] consommer des provisions, consommer des aliments, boire, manger […] consommer de l’électricité12 ». Cette définition met l’accent sur l’utilisation jusqu’à 11 Bernard Floris, La communication managériale la modernisation symbolique de l’entreprise, Editions PUG 1996, p5 12 Définition tirée du dictionnaire Le Robert 14
  • 15. épuisement, voire destruction, d’un objet périssable de telle sorte que le remplacement de celui-ci par un nouvel achat devient nécessaire. La production de masse, couplée à une durée de vie allongée des objets et des services rendus, rend difficile l’épuisement et la destruction qui susciteraient le remplacement et le rachat. Ils mettent en péril le principe de consommation. L’entreprise est alors contrainte de s’approprier le phénomène de consommation, à travers une nouvelle perspective. 1.1 La consommation à bout de souffle La société de consommation est une expression floue, attirant les conjectures, et les idées préconçues liées au manque de netteté. Nous nous appuierons sur la réflexion de Jean Baudrillard qui opte pour une posture descriptive du phénomène : « Il y a aujourd’hui tout autour de nous une espèce d’évidence fantastique de la consommation et de l’abondance, constituée par la multiplication des objets, des services, des biens matériels ». Il poursuit : « Nous vivons le temps des objets : je veux dire que nous vivons à leur rythme et selon leur succession incessante. C’est nous qui les regardons aujourd’hui naître, s’accomplir et mourir alors que, dans toutes les civilisations antérieures, c’étaient les objets, instruments ou monuments pérennes, qui survivaient aux générations d’hommes. Les objets ne constituent ni une flore ni une faune. Pourtant ils donnent bien l’impression d’une végétation proliférante et d’une jungle, où le nouvel homme sauvage des temps modernes a du mal à retrouver les réflexes de la civilisation»13. Sans référence aucune aux détracteurs de la société de consommation, il fait état d’une production croissante de biens qui se multiplient et se succèdent. La description du phénomène de consommation, dont résulte la société de consommation est insignifiante si l’on ne dresse pas, sans non plus s’y attarder, l’état des lieux des représentations liées au sujet. Une analyse sémantique de cet extrait révélerait, malgré la volonté d’impartialité de l’auteur, une perception de la consommation comme un fait désordonné et engendré par la prolifération : « autour de nous », « succession incessante », « flore », « faune », « végétation », « jungle » : J.baudrillard parle de la consommation comme un phénomène rapide et difficile à contrôler, nocif au « nouvel homme sauvage », désarçonné des « réflexes de la civilisation ». 13 Jean Baudrillard, La société de consommation, Editions Denoel 1970, p17-18 15
  • 16. La représentation de la société de consommation est négative, sinon discutée. Quant au concept de « consommation », il est officiellement décrié par les associations de protection du consommateur. Jean Baudrillard tient la consommation responsable de « la négation magique et définitive de la rareté 14». Selon lui, on peut imputer à la consommation de masse une croissance rapide des dépenses individuelles, auxquelles s’ajoute un lot de nuisances toujours plus graves. « L’obsolescence accélérée des produits et des machines, la multiplication des fausses innovations, sans bénéfice sensible pour le mode de vie, tout ca peut être ajouté au bilan15 », commente-t-il. La consommation, et plus particulièrement la production de masse et ses effets, bousculent les classifications, les distinctions sociales et les besoins qui se renouvellent aussi rapidement que les productions. Le travail à la chaîne et la production de masse commençaient au XIXème siècle et laissaient présager une sur-approvisation du marché en produits de toute sorte qui ne trouveraient aucune utilité et aucun acheteur. Franck Cochoy décrit brièvement la situation dans les premières pages de l’histoire du marketing : « Pour articuler une production et une consommation qui se massifiaient toujours davantage, il convenait d’inventer de nouvelles normes de distribution, de mettre en jeu de nouveaux acteurs »16. Il fallait encourager le client à consommer, même s’il n’en ressentait pas l’utilité ou le besoin : instaurer une nouvelle logique de consommation. Celle que les acheteurs se représentent porte en elle l’abondance, mais aussi l’amoncellement, le gaspillage, et la masse, en raison de tous ces objets qui défilent. Il y a là deux logiques de consommation : l’une émise par l’acheteur qui n’y trouve pas son compte, et l’autre émise par l’entreprise qui défend son intérêt. C’est en prenant compte de cette divergence que l’entreprise devra tenter de réconcilier le client avec son rôle de consommateur dans le processus global de consommation. En effet la consommation est un processus accéléré qui remplace un objet par un autre, au rythme des nouvelles productions. Le projet de l’entreprise n’est pas de ralentir la production, et par là, la consommation. Bien au contraire, elle va travailler à imposer sa conception de la consommation, et 14 Jean Baudrillard, La société de consommation, Editions Denoel 1970, p 41 15 JB, op. cit, p 43 16 Franck Cochoy, Une histoire du marketing, Editions la Découverte et Syros1999, p27 16
  • 17. transformer le client en consommateur, par le biais d’une démarche consensuelle. 1.2 A la recherche de nouvelles raisons de consommer La stratégie consensuelle doit viser l’acceptation par le client du processus de consommation et constituer avec lui un socle commun sur lequel accorder leur perception de la consommation. Cela signifie-t-il pour autant que l’entreprise et le client seront au même niveau ? S’agit-il d’aligner la production de masse sur la consommation de masse, donnant au « socle commun » la responsabilité d’assurer la médiation marchande ? Le concept de médiation marchande occupe une place centrale dans le raisonnement de Franck Cochoy17. Il institue au même niveau production et consommation, avec au centre comme un point d’équilibre, la médiation marchande. Il est important de nuancer ce concept que nous utiliserons plus tard. L’alignement apparent de la production et de la consommation : La divergence d’intérêt existant entre la paire entreprise-production, et client-consommation laisse difficilement croire à une possibilité d’égalité. La médiation marchande intervient justement dans un contexte d’inégalité et de conflit. L’entreprise n’use pas de la médiation marchande pour dominer par la force et obliger le couple client-consommateur. Il est encore moins probable que ce même couple utilise la médiation marchande pour contenir le couple entreprise-production. Dans le cercle vicieux de l’économie de marché, l’entreprise continuera de produire, tandis que le client continuera de consommer : on est dans un rapport d’inégalité qu’aucune médiation ne pourrait équilibrer. En conséquence, la médiation marchande n’a pas à occuper une place centrale entre la production et la consommation. De même, elle n’a pas pour but l’équilibre mais la recherche de compensations. La médiation marchande n’est pas centrale mais contextuelle et globale : 17 Franck Cochoy, Une Histoire du marketng, Editions La Découverte et Syros, p 17-18« Nous ferons tout de même observer que le rééquilibrage conceptuel et empirique des domaines productif et consommatif possède au moins un avantage : celui de mettre en lumière ceux dont la tâche quotidienne consiste, précisément à produire cet ajustement, cet équilibre. Considérer production et consommation à égalité, c’est se donner une chance de remettre la médiation marchande à sa juste place – la place centrale. » 17
  • 18. La médiation marchande n’est pas le point centrale d’une balance, avec d’un côté la production et de l’autre la consommation, d’une part l’entreprise et de l’autre le client. Elle est le lieu, et le contexte dans lequel se tient le rapport. Il ne s’agit pas de modifier la relation, mais l’appréhension et la représentation de celle-ci. Aussi le rapport entre entreprise-production et client-consommation est le noyau autour duquel se développe la médiation marchande. De nature conflictuelle, ce rapport n’a pas les ressources nécessaires à la construction de compromis et de compensations entre les deux parties. Le rôle de la médiation marchande est de convoquer ces éléments manquants, extérieurs au conflit. Les nouvelles raisons de consommer seront émises par la médiation marchande et non pas par la relation elle-même car c’est la médiation marchande qui compose avec les intérêts de l’entreprise et du client. C’est là qu’on recherchera de nouvelles raisons de consommer. Le marketing ou la médiation marchande en action : La forme pratique de la médiation marchande est le marketing. Franck Cochoy s’inspire de la pensée de Philip Kotler et de Richard Bagozzi pour définir, dans l’introduction d’Une histoire du marketing, ce qu’est le marketing : « Le marketing est un terme qui recouvre (englobe et dissimule) le processus social général de facilitation / canalisation des échanges »18. Dans cette approche, le marketing en tant que stratégie commerciale en réaction à la concurrence est relayé au second plan. Il joue le rôle de médiateur marchand dans la mesure où il facilite le processus de consommation et la poursuite de la production. Dans les multiples phases décrites par Franck Cochoy, de la gestion scientifique proche du Taylorisme, en passant par le marketing concept, le marketing management, aux recherches et aux observations sur le comportement des consommateurs, le marketing est devenu multidisciplinaire, mobilisant tous les savoirs nécessaires à la connaissance et à la satisfaction du consommateur, sous condition de profit. Le marketing interagit avec l’espace public, qui pour rappel, est le lieu où se rassemblent tous les clients, et potentiels consommateurs pour discuter et débattre de ce qui leur est donné à voir. Le marketing compose sa stratégie en conciliant les attentes du public et de l’entreprise et émet un nouveau message auquel réagit le public qui produit à son tour un nouveau message qui sera reçu et à nouveau interprété Ce cercle 18 Franck Cochoy, Une Histoire du marketing, Editions de la Découverte et Syros 1999, p 204 18
  • 19. d’interactions est constitutif de la médiation marchande qui n’est pas statique et qui fait évoluer le lien entre entreprise-production et client-consommation. La médiation marchande et l’espace public, qui est en quelque sorte son sujet d’observation, sont perméables, et ont de ce fait, des pratiques communes, comme celle de la signification. 1.3 Comment consommer est devenu signifier Signifier veut dire19 avoir pour sens, être le signe de, désigner, exprimer. Dans un second temps, il s’agit aussi de faire connaître par des signes, des termes parfaitement clairs […]. Enfin signifier veut aussi dire fonctionner en tant que signe. » Signifier prendra tour à tour chacun des trois points de cette définition, tout au long de l’histoire de la consommation. Signifier, première nécessité du phénomène de concurrence : En résumé du propos de Franck Cochoy, l’économie de marché s’est créée par la volonté de contourner les chaînons de la vente : on a progressivement tourner le grossiste en internalisant le commerce de gros, puis tourner le détaillant en transférant l’entreprise : « En fait, si le monde des affaires devenait, dans son ensemble impersonnel (chaque agent – producteur, consommateur, ou intermédiaire – n’était plus en mesure, en effet, de ‘suivre des yeux’ le cheminement de produits qu’il finissait par ‘perdre de vue’, à l’horizon du circuit économique), cela ne signifie nullement que (…) les relations humaines avaient disparu, tout au contraire : ce n’était pas la disparition, mais bien la multiplication des contacts humains qui produisait l’effet d’impersonnalisation du marché. […] Les grossistes régionaux et les petits détaillants, habitués aux relations interpersonnelles et locales ne pouvaient pas faire au déferlement anonymisant des productions industrielles»20. Le commerçant locale étant limité dans sa fonction à la vente de produit n’est plus en mesure de conseiller sa clientèle sur le produit à choisir parmi tant d’autres. Le produit est « sans défense », du moins il se tient sur les rayons sans 19 Extrait du dictionnaire Le Robert 20 Franck Cochoy, Une Histoire du marketing, Editions La Découverte et Syros 1999, p21 et p 27 19
  • 20. argumentaire justifiant son achat plutôt qu’un autre. Il faudra faire connaître et reconnaître le produit. « Pour tourner le détaillant, il fallait trouver le moyen de court-circuiter la sociabilité parasite de son magasin, l’entreprise devait inventer l’artifice qui lui permettrait, dans le magazine même et à la barbe du détaillant, de se faire remarquer par le client. L'invention de la marque fut cet artifice. » Comme il l’explique, il s’agissait « d’une simple signature redondante, un simple rappel de l’identité d’acteur bien connus, et personne n’y prêtait trop attention. En revanche, la concurrence pour le contrôle de la distribution qui s’enclenchait entre fabricants et grossistes changea cet état de fait ; la marque prit alors une tout autre destination. Un produit standardisé, distribué nationalement dans un petit emballage pouvait être nommé par le fabricant. Ce que le fabricant pouvait nommer, il pouvait en faire la réclame. Le résultat était quelque chose de plus qu’un nom. C’était une sorte de super nom – une marque ». Instaurer la marque fut le premier acte de signification de l’entreprise à l’attention de son client. Ce concept relève d’une pratique socio-linguistique qui consiste à nommer les choses pour qu’elles existent et qu’elles aient un ancrage social concomitant d’un ancrage linguistique. Ce fut donc aussi le premier acte discursif externe de l’entreprise toujours à l’attention de son client et ce, par rapport aux monologues tenus en interne. Elle ne le sait pas encore, mais c’est à partir de là que va se construire son « capital symbolique », qui va lui permettre de se faire connaître et d’acquérir la reconnaissance21. L’acquisition de reconnaissance se fait en plusieurs étapes, la première étant celle de la distinction. Gilles Lane, dans l’introduction à l’œuvre de John Langshaw Austin Quand dire c’est faire, explique que « les mots courants sont employés de façon plus subtile, et pour effectuer des distinctions beaucoup plus nombreuses que les philosophes ne l’ont pensé »22. Le nom de l’entreprise, le logo, et l’emballage seront les atouts du produit pour se démarquer et se faire remarquer. 21 Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, l’économie des échanges linguistiques, Editions Fayard 1982. p 101 « Dans la lutte pour l’imposition de la vision légitime, où la science elle- même inévitablement engagée, les agents détiennent un pouvoir proportionné à leur capital symbolique, c’est à dire à la reconnaissance qu’il reçoivent d’un groupe ». 22 J-L Austin, Quand dire c’est faire, Editions du Seuil 1970, p 13 20
  • 21. Ils vont fonctionner en tant que signe c’est à dire qu’ils permettront la distinction, car signifier est aussi distinguer, dans le contexte de concurrence. Les signes, qui se définissent de manière générique comme ce qui est « à la place de quelque chose, ce qui tient lieu de »23, sont mis à la place de l’entreprise, sur les rayons. L’entreprise s’impose entre le client et le produit : elle marque sa présence et ne s’arrêtera pas là. «Il était malaisé […] d’aller à l’encontre des vieilles habitudes consistant à juger les produits d'après leur texture, plutôt que d’après leur nom. Comment amener les personnes à accepter le remplacement de la chose par le signe, comment faire en sorte que le client achetât des mots en lieu et place des objets ? A cette question, les fabricants apportèrent une réponse pragmatique : ils s’efforcèrent de déplacer la relation linguistique entre le signifié (la marque) et la signifiant (le produit) vers un troisième terme : pour convaincre leur clientèle, les fabricants inventèrent le « packaging », l’emballage que l’on acquiert autant pour son contenu que pour son aspect et pour la marque qui y figure »24. La marque est un signe et aussi un système évolutif qui a progressivement interposé l’entreprise entre le client et le produit. Son action se poursuit par le rapprochement du client et de l’entreprise, indépendamment du produit. La marque va faire en sorte que le client achète en se fiant plus au nom de l’entreprise ou de l’enseigne, qu’au contenu du produit. Cette étape est essentielle au cycle de la consommation qu’elle dé-rationnalise et rend arbitraire. Si l’entreprise réussit ce tour, elle s’assure la fidélité du client, l’acheteur ponctuel, et le transforme en consommateur, l’acheteur durable. La marque est un système qui fonctionne grâce aux fonctionnalités du signe et qui fait glisser l’objet de la consommation dans le monde du sens et des significations. La marque va vouloir dire quelque chose. Signifier, pour subvenir à l’effort de consommation : 23 Martine Joly, L’image et les signes, Editions Nathan/HER 2000, p27 24 FC p 36 21
  • 22. Jean Baudrillard explique très bien ce phénomène dans un chapitre intitulé « Mouvance des objets-Mouvance des besoins », sous-entendu vers la quête de signification. « La machine à laver sert comme ustensile et joue comme élément de confort, de prestige etc. C’est proprement ce dernier champ qui est celui de la consommation. Ici, toutes sortes d’autres objets peuvent se substituer à la machine à laver comme élément significatif. Dans la logique des signes comme dans celle des symboles, les objets ne sont plus du tout liés à une fonction ou à un besoin défini. Précisément parce qu’ils répondent à tout autre chose, qui est soit la logique sociale, soit la logique du désir, auxquels ils servent de champ mouvant et inconscient de signification.25 ». Il met ainsi fin dans sa démonstration à la justification de la consommation comme moyen d’assouvissement des besoins, démontrant qu’ils ne peuvent justifier ce phénomène. Pour lui, s’il y a un seul et unique besoin, c’est un besoin social de différenciation26 sociale qui ne sera jamais assez satisfait. : « Si l’on admet par contre que le besoin n’est jamais tant le besoin de tel objet que le « besoin » de différence (le désir du sens social), alors on comprendra qu’il ne puisse jamais y avoir de satisfaction accomplie, ni donc de définition du besoin ». La théorie des besoins la plus répandue, qui est celle de Andrew Maslow, décompose et établit un ordre d’objectifs à satisfaire dont résulte l’accomplissement personnel. Jean Baudrillard adopte la posture inverse, qui consiste à unifier tous ces besoins, déclarant qu’au final, le seul et unique besoin demeure celui de signifier. Or cette action est infinie et consubstantielle à chaque acteur social. De plus elle ne requiert aucune satisfaction et ne peut donc pas être associée au concept de besoin. Mais la pyramide de Maslow reste utile : elle indique, dans les grandes lignes, les significations infinies que l’on peut donner à l’acte de consommation. 25 Jean Baudrillard, La société de consommation, Editions Denoel 1970, p106 et 107 26 Nous avons vu plus haut que l’entreprise a aussi besoin de se différencier, face à la concurrence. Dans l’absolu, c’est un besoin qu’elle partage avec le consommateur, qui signifie sa consommation pour se différencier socialement. Dans une certaine mesure, l’entreprise adopte un comportement imitatif dont nous traiterons dans le grand trois. 22
  • 23. Boire un Orangina27, plutôt que boire de l’eau peut vouloir indiquer que je suis largement en mesure d’assurer mes besoins physiologiques et de m’offrir bien plus que de l’eau. La marque – Orangina – donne du sens, une orientation. Consommer de la marque, ou ne pas en consommer, c’est aussi « donner du sens » : « Dans la logique des signes comme dans celle des symboles, les objets ne sont plus du tout liés à une fonction ou à un besoin défini. Précisément parce qu’ils répondent à tout autre chose, qui est soit la logique sociale, soit la logique du désir, auxquels ils servent de champ mouvant et inconscient de signification 28 ». Or cette activité étant sans fin, la consommation et l’abondance qu’elle génère produisent encore plus de matières et de nouveaux objets qui sont autant de moyens de signifier. La consommation, vivier de sens, intègre le processus social de signification et devient un outil dans la mise en scène du consommateur et de l’entreprise, et de leur relation. Mais qui construit ces significations ? Est-ce le fait de l’entreprise ? Est-ce le fait du consommateur ? Sous l’orchestration de la médiation marchande, la marque fait plusieurs suggestions que le consommateur pioche et exploite à sa guise. En effet, il faut un minimum de symboles partagés pour que la marque sache ce qu’il faut plus ou moins proposer et que le consommateur sache plus ou moins ce qu’il peut exploiter. Comme expliqué plus haut, la marque en évoluant va acquérir un capital symbolique qui va servir les mises en scène de l’entreprise et du consommateur. En citant l’Orangina comme exemple, on a illustré ce que pouvait être une mise en scène significative de la marque par le consommateur. Nous n’avons pas encore donné l’exemple d’une mise en scène de l’entreprise. Le concept d’image de marque peut servir d’exemple. En effet, l’image de marque est une représentation de l’entreprise telle qu’elle souhaiterait être perçue29. La publicité est une mise en scène narrative qui ancre la marque et son entreprise dans un contexte temporel, spatial, et moral : Ex : en 2006, une banque annonçait dans un espace publicitaire avoir recruté 100000 personnes issues des banlieues. 27 Charles Krejtman, Le système de la marque, Editions Economica 1998 : « Un besoin est rapidement satisfait : l’eau étanche la soif. Mais consommer une boisson est tout autre chose que de boire de l’eau : c’est s’insérer dans un jeu complexe de relations sociales qui charge un acte, apparemment aussi simples que boire, de multiples significations. Aussi est-il inexact de parler de besoins primaires, secondaires et tertiaires »p 29 28 Jean Baudrillard, La société de consommation, Edtions Denoel 1970, p107 29 Attention : il faut faire la différence entre ce que l’entreprise souhaite donner comme image de marque, ce qu’elle donne à voir, et ce qui est perçu au final. 23
  • 24. Conclusion : La marque est un ensemble de significations qui permet de faire connaître, et reconnaître. Première acte discursif de l’entreprise, la marque, par le biais de la consommation, devient un système de communication, que les professionnels qualifient d’institutionnelle en se rapportant à la communication entre l’entreprise et le grand public. « Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, la communication dite institutionnelle s’appuie implicitement et explicitement sur un contexte symbolique (qu’on aurait appelé jadis idéologique) de sens et de valeurs attribués à l’entreprise, dont les présupposés sont à interroger »30. Contexte symbolique, idéologie, et mythologie, animés par la médiation marchande, construisent la mise en scène de l’entreprise, sous la forme de marque, sur la scène de l’espace public. Ce dernier use de cette mise en scène comme un nouvel espace à signifier, une prolongation du processus de signification. Avec la marque, l’entreprise a un ancrage socio-linguistique et crée des passerelles avec l’espace public. C’est l’ouverture à ce que nous appellerons le tout médiatique que nous décrirons plus loin. « Combien, dans une journée, de champs véritablement insignifiants parcourons-nous ? bien peu, parfois aucun. Je suis là, devant la mer : sans doute, elle ne porte aucun message. Mais sur la plage, quel matériel sémiologique ! Des drapeaux, des slogans, des panonceaux, des vêtements, une bruniture même, qui me sont autant de messages »31 L’entreprise va progressivement maîtriser l’art de la scène, et abonder en messagers elle aussi. Elle va pratiquer le « tout médiatique », c’est à dire la faculté de transformer en média n’importe quel acte de consommation. Le magazine de marque peut résulter de cette pratique. L’entreprise s’est dotée des éléments nécessaires: une marque développée et mature (c’est à dire qui a passé les trois étapes), l’ancrage socio linguistique, et la construction d’un capital symbolique. Elle a préparé le cadre de son discours. Dans la partie qui suit, nous allons décrire son champ d’action, c’est à dire l’espace public, et tâcher de comprendre comment elle dispose du facteur média et du facteur marque. 30 Bernard Floris, La communication managériale, Edition PUG 1996, p8 31 Roland Barthes, Mythologies, Editions du Seuil 1957, p 185 24
  • 25. 2. Intérêt privé et intérêt général, espace public et espace privé La combinaison de ces quatre éléments résulte de l’action de la médiation marchande, qui orchestre l’espace privé de l’entreprise et l’espace public, articulant par la même occasion l’intérêt privé et l’intérêt général des publics ligués dans un seul espace. Jusqu’alors dans la démonstration, l’espace public était principalement associé à l’espace réunissant les publics que pouvaient cibler l’entreprise, sans trop préciser la teneur sociale du concept d’espace public. En nous appuyant essentiellement sur l’œuvre de Jûrgen Habermas, nous tâcherons de comprendre comment la médiation marchande exploite la notion d’espace public en tant que récepteur du discours de l’entreprise. La médiation marchande se sert ensuite de l’information et de la presse comme un organe destiné à agencer la communication de l’entreprise sous une forme qui soit familière à l’espace public. L’espace privé, entre temps, continue de se développer. La marque, sous l’impulsion de la médiation marchande, dote l’entreprise de symboles individuels qui la rapproche de l’espace public social par un comportement imitatif. Nous finirons par identifier la presse et la marque comme deux entrées possibles que pourrait emprunter l’entreprise pour pénétrer l’espace public. 2.1 L’interaction de l’intérêt privé dans l’espace public, et de l’intérêt général dans l’espace privé La consommation est le biais par lequel l’intérêt privé de l’entreprise pénètre dans l’espace public. L’inverse est aussi possible : l’espace public, animé par l’intérêt général, use lui aussi de l’espace privé. Sous le contrôle de la médiation marchande, les deux partis entretiennent une relation. La satisfaction de l’intérêt privé tributaire de l’espace public : Prouver que l’intérêt privé soit obligé de s’en remettre à l’espace public pour accomplir ses projets mettrait fin aux conjectures, qui évoquent le diktat des entreprises sur la société de consommation. L’espace public est la condition sine qua non de son développement. « Nous qualifions de « publiques » certaines manifestations lorsqu’au contraire de cercle fermes elles sont accessibles à tous de même que nous parlons de places publiques (maisons de tolérances). (1) 25
  • 26. Mais dire ne serait-ce que « bâtiments publics » signifie plus que le simple fait qu’ils soient accessibles à tous ; ils ne sont pas même tenus d’être obligatoirement à la disposition d’un commerce public : ils abritent simplement certaines institutions d’Etat et, dans cette mesure là, sont dits publics. L’Etat est le pouvoir « public ». Il doit cet attribut à la tâche qu’il assume : se préoccuper de l’intérêt général (2), public, de tous les citoyens – mais le mot revêt une autre signification lorsqu’on parle par exemple d’une réception publique. Toutefois, le sens du terme se déplace si nous disons que quelqu’un s’est fait un nom dans le public (3) ; le caractère public de la renommée ou de la gloire renvoie à d’autres époques que celle de la ‘bonne société’32 ». Public qualifie d’un part ce qui est accessible à tous (1), et d’autre part, ce qui se préoccupe de l’intérêt général (2). Enfin il renvoie à ce qui est connu de tous dans la société, la notoriété comme conséquence des deux premiers points (3). Public est un signe qui revêt plusieurs significations dépendant des contextes, plus ou moins proches de ceux qu’évoque Habermas. L’entreprise, pour assurer la consommation de masse et la poursuite de sa production, doit faire en sorte d’être associée à ce signe et s’obliger à adopter une posture publique. Elle fera en sorte d’être perçue comme accessible à tous. Il ne sera pas difficile de montrer une préoccupation pour l’intérêt général puisque la consommation est une activité qui satisfait économiquement l’entreprise, et qui participe au processus de signification de l’espace social. Enfin la notoriété tient moins de la célébrité mais de la réussite de l’entreprise à se faire reconnaître comme « public » par le « public ». « Public » est un attribut33 et un signe qui se donnent et s’acquièrent via une relation et un accord tacite avec l’espace public. Michel Crozier et Erhard Friedberg écrivent ceci : « Le pouvoir n’existe pas en soi. Il ne peut s’exercer que dans une relation par laquelle deux acteurs acceptent de se lier – ou se trouvent de faits liés – l’un à l’autre pour l’accomplissement d’une tâche donnée ; par laquelle, en d’autres termes, ils s’insèrent, au moins provisoirement, dans un ensemble organisé34 ». 32 Jürgen Habermas, L’espace public, Editions Payot 1993, p13 et 14 33 J’ai choisi de mettre en gras « Cet attribut » car la notion d’attribution m’a aussitôt rappelé l’exposé de Michel Crozier et de Erhard Friedberg L’acteur et le système, sur le pouvoir qui n’est pas inné, mais, bien au contraire, résultant d’une conquête et d’une attribution. 34 J.H, op. cit, p 78 26
  • 27. Pour paraphraser, la qualification de public n’existe pas en elle-même. Elle ne peut s’exercer que dans une relation par laquelle, dans notre cas, l’entreprise et le consommateur acceptent de se lier pour l’accomplissement d’une tâche commune. L’entreprise comprend que l’intérêt privé pour être accompli passe par la sphère publique, celle-ci agit sur l’espace privé, le sien ainsi que celui des consommateurs. Public désigne aussi les lecteurs, les spectateurs, les auditeurs, en tant qu’ils sont les destinataires, et les consommateurs35. Le passage par l’espace public est inéluctable pour l’entreprise qui souhaite rallier le plus de publics, le plus de consommateurs. L’entreprise va donc jouer le jeu de l’espace public pour s’assurer des liens durables – et surtout publics – avec ses consommateurs qui ont tous en commun leur appartenance à cet espace. Ces derniers vont à leur tour instrumentaliser l’espace privé de l’entreprise. L’intérêt général s’épanouit dans l’espace privé – les consommateurs tirent partie de la production de masse : L’entreprise a besoin de l’espace public pour s’affirmer publiquement. Et même si son emprise sur la société de consommation reste dominante, les dominés n’en restent pas moins consentants : «…Il ne reste qu’un moyen d ‘expliquer comment des individus et des groupes dominés peuvent consentir « spontanément » à leur domination : il faut que celle-ci apparaisse comme un service que leur rendent les dominants 36». L’espace public s’approprie la consommation de masse à laquelle l’entreprise les contraint et qui fait partie du processus de signification et crée de nouvelles distinctions sociales. L’espace public, qui sait faire usage de sa raison, se sert ainsi des exigences de l’entreprise privée afin de servir son propre projet37. L’interaction croissante et de plus en plus complexe de la sphère publique et de la sphère privée mène à une confusion des frontières : 35 Jürgen Habermas, L’espace public, Editions Payot 1993, p42 : « Le public désigne, dans la France du XVIIe siècle, les lecteurs, les spectateurs, les auditeurs en tant qu’ils sont les destinataires, les consommateurs et les critiques de l’art et de la littérature ». Même si cette définition remonte au XVIIe siècle, elle reste d’actualité. 36 Bernard Floris, La communication managériale, PUG 1996 p50 37 Sans nous étendre sur le sujet, et étant donné la lecture des textes de Pierre Bourdieu, nous dirons que son projet est de classer et de distinguer les acteurs de l’espace public entre eux. 27
  • 28. « La subversion du principe de Publicité résulte d’une transformation de l’espace public en tant que sphère, et l’évolution de la Presse qui en est l’institution par excellence, permet d’appréhender cette restructuration. D’une part, la sphère publique est envahie par la commercialisation, ce qui a pour conséquence d’aplanir les différences entre circulation des marchandises et « commerce de société » entre personnes privées formant le public, si bien que la frontière qui délimitait clairement la sphère publique et la sphère privée s’estompe. Mais, d’autre part, on ne peut plus parler d’une appartenance exclusive de la sphère publique au domaine privée dans la mesure où ce ne sont plus que certaines garanties d’ordre politique qui protègent ses institutions 38». Historiquement, l’usage public de la raison a été politique à ses débuts. La publicité, comme l’entend Jurgen Habermas, était politique et revendiquait l’usage de la raison par le public. Une fois cette faculté légalisée au début du XIXe siècle, le principe de publicité s’est étendu par delà le champ politique. L’intensification de commercialisation de toute sorte – circulation des marchandise et commerce de société39 – à contribuer à cette évolution, de telle sorte que ce n’est pas tant la consommation croissante mais le principe d’échange qui va accroître le principe de Publicité et les champs sur lesquels s’exercera l’usage public de la raison. On peut dire que l’arrivée de l’entreprise privée dans l’espace public était légitime et prévisible, en raison de cet aplanissement des frontières. Pour résumer la pensée de Bernard Floris, dans La Communication manégériale, on peut ajouter que l’émergence des syndicats, la prise de conscience d’une classe ouvrière majoritaire, et des lois du management en général ont suscité l’intérêt de l’espace public pour l’entreprise. Presque simultanément, celle-ci a aussi été obligée de se rapprocher de l’espace public pour poursuivre ses desseins, qui sont la production et la consommation. Elle va accepter de se soumettre à l’usage public de la raison, ce qui va en conséquence la rendre légitimement « publique ». Les médias, entre autres, vont devenir le contexte de cette soumission à la publicité. 38 Jürgen Habermas, L’espace public, Editions Payot 1990, p 189 39 Je comprends « commerce de société » comme l’ensemble des rites nécessaires au fonctionnement de la société dont se gratifient les être sociaux entre eux. 28
  • 29. 2.2 La presse et l’information, créatrices de passerelles entre l’espace privé et l’espace public La médiation marchande va mettre en place les outils nécessaires à l’obtention de légitimité de la part des consommateurs, à l’intérieur de l’espace public. Si nous avons pu établir que le processus de significations était la trame de son action, nous n’avons pas encore expliqué comment la presse et l’information sont devenues la manifestation tangible 40de la présence de l’entreprise privé dans l’espace public. Il faudra dans un premier temps identifier comment la médiation marchande s’est appropriée le concept de « média » et observer quels sont les termes de son application41.Pour cela nous dresserons la liste des fonctionnalités des médias qui peuvent se révéler intéressantes et exploitables dans le projet de la médiation marchande. Le mode consommatif, comme matrice de média : Nous avançons ici que la consommation et la manière dont elle fonctionne ont la faculté de transformer en média. Ici le vocable est compris dans se version contemporaine comme le support qui permet une diffusion massive de l’information. Le mode consommatif peut muter en instrument de médiation, n’importe quel objet, matérielle ou imaginaire, qui fait l’objet d’une consommation, soit d’un échange. « La logique de consommation se définit comme une manipulation de signes. L’objet perd sa finalité objective, sa fonction, il devient le terme d’une combinatoire beaucoup plus vaste, d’ensembles d’objets où sa valeur est de relation. Par ailleurs, […] il tend à s’épuiser en un discours de connotations, elles aussi relatives les unes aux autres dans le cadre d’un système culturel totalitaire, c’est à dire pouvant intégrer toutes les significations d’où qu’elles viennent 42». 40 Charles Krejtman, Le système de la marque, éditions Economica 1998, p59 : « Le processus symbolique se définit comme la mise en œuvre de rapports sociaux par le seul effet initial d’une manifestation tangible ». 41 ATTENTION : Nous ne considérons pas l’utilisation des médias comme l’unique moyen de la médiation marchande de réaliser son projet mais comme un moyen parmi tant d’autres. 42 Jean Baudrillard, la société de consommation, Editions Denoel 1970, p 174 29
  • 30. Jean Baudrillard fait cette remarque dès les premières lignes d’un chapitre consacré au Pop Art comme un art de la consommation. La logique de consommation est un système culturel qui met en circulation des signes qui peuvent être investis de sens par les consommateurs et l’entreprise privée, par le biais de la médiation marchande. Le schéma élémentaire des sciences de la consommation désigne le consommateur comme le destinataire, et l’entreprise privée comme émettrice. Entre eux s’échangent des objets, qui, outre leurs fonctionnalités, sont aussi des signes. Ces derniers ont un rôle de médiateur, dans la mesure où ils facilitent l’accord, ou plutôt le consentement, des deux partis. Le signe est un espace à signifier que se partagent le consommateur et l’entreprise. Nous avons vu que consommer est un processus de signification que la société s’est appropriée. Nous pouvons dire que consommer, c’est aussi pratiquer la médiation, soit la construction symbolique d’une entremise rassemblant des représentations sur lesquelles consommateurs et producteurs, destinataires et émetteurs, se mettent en adéquation. Toutefois la logique de consommation n’a pas encore sa propre manifestation, c’est à dire, un espace concret où elle-même se signifierait, un support tangible qui serait la preuve de sa médiation. La médiation devient médiatique, lorsqu’elle relève d’une technique et d’un support de diffusion massive de l’information (presse, radio, télévision, cinéma, Internet). De la même façon la consommation prend « corps » - ou plutôt forme- dans les médias. Les médias atteignent un public large et nombreux. L’expression « Média de masse » paraît même redondante dans la mesure où la masse est consubstantielle au média. Il n’existe pas de média qui ne soit pas « de masse ». La consommation pour se constituer en masse n’a pas hésité à user des médias comme canaux de diffusion, c’est la naissance du phénomène de publicité. Mais le rapprochement de la consommation et des médias est plus subtil. Si la consommation est le lieu où l’on exprime une volonté de médiation, les médias sont le lieu où elle se réalise. C’est à travers ces canaux de diffusion capable de solliciter, tant les espaces privés que public, tant l’objectif que le subjectif, que va se construire le socle commun des représentations. 30
  • 31. « Il doit exister une procédure, reconnue par convention, dotée par convention d’un certain effet, et comprenant l’énoncé de certains mots par de certaines personnes dans de certaines circonstances 43 ». Cette procédure prend effet dans le champ médiatique, dont le dispositif et le rôle sont reconnus par tous les champs. Il représente donc un allier intéressant pour la logique de consommation qui va se greffer sur son pouvoir et l’exploiter. Les médias sont déjà socialement installés et sont familiers à l’espace public. Le champ médiatique a connu trois mutations majeures. Ce n’est qu’au cours de la deuxième qu’il a pu être instrumentalisé par la sphère privée et commerciale de l’entreprise44 : « Cette Presse qui s’était développée à partir de l’usage que le public faisait de sa raison et qui se contentait d’être le prolongement des discussions qui y avaient lieu restait de part en part une institution propre à ce public même ; son rôle était d’être un médiateur et un stimulant des discussions publiques – non plus simple organe de circulation des informations, mais pas encore media d’une culture de consommation45 ». La translation offre à la presse son premier rôle dans la sphère commerciale. En effet, les premières informations transmises sont d’ordre financier, et servent essentiellement à suivre l’évolution des marchés. La sphère marchande faisant de la circulation de ces informations un outil économique indispensable insuffle le principe de circulation des informations, comme elle avait impulsé la circulation des marchandises : « […] avec l’extension des échanges, la prévision commerciale commandée par le marché réclamait des informations plus fréquentes et plus précises sur les événements qui se déroulaient loin, hors de sa portée. C’est pourquoi, dès le XIV siècle, l’ancien échange épistolaire a été transformé en une sorte de système corporatif de correspondance commerciale. Les associations de commerçants créèrent au service de leurs intérêts propres les premiers courriers 43 JL Austin, Quand dire, c’est faire, Editions Seuil 1970, p 58. J l Austin détermine ici les conditions minimales requises dans l’exercice de la parole. 44 ATTENTION : A la relecture de L’espace public, on peut préciser ce que nous entendons par « la sphère privée de l’entreprise. Nous considérons l’entreprise comme une institution privée qui est le propre d’un public constitué par des personnes privées. Celles-ci souhaitent satisfaire un intérêt privé et non général. 45 Jurgen Habermas, L’espace public, Editions Payot 1990, p 191 31
  • 32. partant à date fixe et qu’on a appelé les ordinaires. Les grands centres de commerce sont en même temps des lieux où l’on échange de l’information. Aussi devient-il obligatoire qu’ils soient permanents, dans la mesure où l’échange des marchandises et des lettres de change devient lui aussi permanent46 ». Jurgen Habermas précise que cette circulation d’information est exclusivement réservée aux marchands. Elle est à usage interne car, ajoute-t-il, « il n’est pas question de publicité de l’information ». La sphère marchande ne sollicite pas encore le public car celui-ci ne s’est pas encore constitué en espace, et ne s’est pas encore attribué une fonction. Elle reste une sphère distincte mais lègue au futur espace public le principe de diffusion d’informations. Le journalisme littéraire, la presse devient média : « Elle (la presse périodique) était pour eux (certains écrivains) un moyen de donner à l’usage qu’ils faisaient de leur raison dans un but pédagogique une efficacité sur le plan public. On a défini cette deuxième phase de l’évolution de la presse comme étant celle du journalisme littéraire 47». Cette nouvelle étape fait enfin de la presse un média qui va assurer la publicité de l’usage public de la raison. La presse est l’organe intermédiaire entre l’Etat et le public, avant que celui-ci ne se constitue légalement en espace public. Le média devient le canal de diffusion, et le générateur du principe de Publicité. A cette époque, Il est l’usage exclusif de l’espace public en devenir. La presse commercialisée : Dès 1830, la sphère publique est légalisée. « la presse critique a vu se lever les interdits qui entravaient la liberté d’opinion. Elle put dès lors abandonner son attitude polémique et s’ouvrir aux possibilités de réaliser un profit, comme n’importe quelle entreprise commerciale 48». Le journalisme littéraire qui s’était autrefois développé grâce à la clandestinité de l’espace public, perd son investiture « publique » aussitôt que l’espace public est reconnue et par la même occasion, intégré au système politique duquel 46 JH, op. cit, p 27 47 JH, op. cit, p 190 48 JH, op. cit, p192 32
  • 33. l’espace, et la presse voulaient se démarquer. Ils sont désormais prévus par le système politique. La presse peut enfin envisager de faire des profits. La sphère commerciale va, consciemment ou inconsciemment, remodeler la face du journal, qui diversifie son activité. Le support va se scinder en deux, avec d’un côté un espace rédactionnel à faire lire aux lecteurs, et un espace publicitaire, à faire lire aux lecteurs et à vendre aux annonceurs. Or la lecture des annonces dépendant de l’achat du support, le contenu rédactionnel de celui-ci devra être assez captivant pour susciter l’achat. Depuis cette troisième mutation des médias, l’espace rédactionnel a été au service de l’espace des annonceurs49. Le journal est alors contraint de vendre des sujets ou des articles intéressants pour assurer un lectorat et une visibilité aux annonceurs. Deux tendances consécutives vont apparaître : la première est la standardisation et la deuxième la revendication d’une ligne rédactionnelle. « L’harmonisation des services d’information provoquée par la constitution des agences de presse en monopoles s ‘est très vite doublée d’une standardisation du travail rédactionnel dans les journaux de moindre importance grâce à l’emploi de correspondances pré calibrées et à l’appel fait aux services de certaines officines livrant des suppléments tout prêts50 ». Cette situation n’est pas sans rappeler celle de l’entreprise et des débuts de la production de masse de produits standardisés. Si la presse se lance dans un modèle standardisée de la diffusion d’information, c’est pour ne pas prendre le risque de déplaire en adoptant quelque inclinaison. Il faut séduire le plus grand nombre de lecteurs pour assurer la vente d’espaces publicitaires51. 49 K.Bücher, « Die Entstehung des Zeitungswesens », in Die Entsehung der Volkwitschaft, r. I, Tübingen, 1926 : « Un journal revêt le caractère d’une entreprise dont les marchandises qu’elle produit sont les espaces réservés aux annonces, tandis que la partie réservée à la rédaction se charge de la vendre ». 50 Jürgen Habermas, L’espace public, Editions Payot 1990, p194 51 ATTENTION : je ne suis pas en train de dire que la presse a adopté un profil neutre. Je précise juste qu’elle en a montré les signes de la neutralité, ce qui lui a suffi pour prétendre aspirer à la neutralité. Jean Baudrillard dit quelque chose de très intéressant sur la faculté, dans le mode consommatif, non pas de prendre nos désirs pour des réalités, mais plutôt la faculté de prendre la partie pour le tout. « Vous achetez la partie pour le tout » écrit-il. Le champ médiatique, en se posant comme représentant de l’espace public alors que celui-ci n’était pas encore légalisé, illustre cette attitude synecdotique. Je pense que dès lors que l’on se trouve dans un système d’échange, qu’il s’agisse d’objets, de commerce de société, ou encore d’informations, il nous est impossible de saisir et de percevoir la totalité significative de ce qui est échangé. Par un système de convention, et sur la base de ce fameux socle commun de symboles et de représentations, des correspondances entre les objets et leur sens ont été établies ; certains ont été assignés au rôle de « partie », et d’autres au rôle de « tout », par un processus de filiation, qui relève lui aussi d’une convention. 33
  • 34. La deuxième tendance est complémentaire de la première et s’inscrit dans une prise de conscience, encore une fois similaire à celle qu’a connue la production de masse, lorsqu’elle s’est rendue compte qu’il fallait convaincre le consommateur de l’importance de consommer. Les journaux, pour se démarquer les uns des autres, vont renouer avec l’adoption d’une ligne rédactionnelle pour donner du relief au traitement de l’information. Il ne s’agit pas de biaiser les informations, mais de les orienter par leur seule présence dans un certain type de média. Le canal, qui diffusera l’information, sera à lui seule une orientation. C’est l’application de la théorie selon laquelle le médium est le message52. Une fois de plus, on peut faire le rapprochement avec le mode consommatif. Le sens qu’ils apportent n’est pas véhiculé dans l’objet mais dans le canal par lequel on en fait l’acquisition et le contexte dans lequel on le reçoit53. Au fil de l’Histoire, la sphère des médias et la sphère marchande se sont rapprochés grâce à leur volonté de conquérir l’espace public dont ils font eux- mêmes part, dès lors qu’ils bénéficient de la Publicité. L’introduction de la sphère marchande dans la presse, par le biais de l’achat d’espace publicitaire, marque un pas de plus vers le rapprochement. La presse devra faire accepter à l’espace public, qui constitue son audience, la présence commerciale dans les pages, qui autrefois lui étaient en majorité réservés. Le média élargit la notion d’espace public en accueillant la sphère marchande comme bénéficiaire, à son tour, du principe de publicité. En voie de conséquence, cela va modifier le principe de publicité qui faisait défaut à l’entreprise privée. Il ne s’agira plus de rendre public l’usage de la raison par le public, mais de se rendre public en utilisant l’usage de la raison par le public. La faculté de la presse à rendre public relève de l’entretien historique entretenu avec l’espace public, sa première vocation. Elle nous amène aussi à 52 Marshall Mac Luhan, Pour comprendre les médias, Editions le Seuil 1968, p 27 : « Le message, c’est le médium, parce que c’est le médium qui façonne le mode et détermine l’échelle de l’activité et des relations des hommes […] Chez IBM, on comprit ou l’on allait quand on découvrit qu’on ne fabriquait pas du matériel informatique de bureau et des calculatrices, mais que l’on traitait de l’information ». 53 REMARQUE : Il est étonnant de voir le sens s’emboîter comme un jeu de poupées russes. L’information elle-même porte un sens, qui est contenu dans un véhicule (le canal qui sert de voix d’acheminement), lui-même porteur d’un autre sens. Le tout circule dans des contextes sociaux qui sont eux aussi signifiés. La mise en abîme du sens peut être infini. 34
  • 35. penser une définition plus général des média comme tout support, canal, objet, ou encore événement qui permet l’application du principe de Publicité et la circulation de symboles et de représentations sociales54. « L’industrie de la publicité ne se borne pourtant pas à s’emparer des organes de presse existants, et elle crée ses propres journaux, ses propres revues et prospectus », témoigne Jürgen Habermas, se référant au 20% des foyers allemands possédant « au moins un exemplaire de ces catalogues commerciaux courants et souvent présentés sous la forme coûteuse de brochures illustrées55 ». L’entreprise, en rassemblant ces deux critères, sera en mesure de créer un média, son propre média. 2.3 Le principe de marque sous-jacent de la logique publicitaire, comme symbole de l’espace privée de l’entreprise La marque fait l’objet d’un choix rationnel, propre à la rationalité de l’entreprise. Ici nous allons prouver que la marque est la face de l’entreprise dans l’espace public. Nous allons solliciter le concept de « face » d’Erving Goffman dans Les rites d’interaction. De plus nous allons préciser la relation que la marque entretient avec l’entreprise qu’elle démarque. S’agit-il d’une relation filiale ou alors mimétique ? Jean Jacques Wunemburger propose plusieurs outils conceptuels pour exprimer la nature de ce lien, dans La philosophie de l’image. Cette réflexion nous indiquera dans quel type de relation le magazine de marque et l’entreprise sont installés. 2.3.1 La marque, un pont entre l’entreprise et l’espace public. La marque, comme « face » de l’entreprise : Erving Goffman attribue la faculté d’avoir une face aux êtres sociaux uniquement. Nous étendons son concept en l’appliquant à l’entreprise, de telle sorte que la face n’est plus l’exclusivité d’un individu, et qu’elle est aussi nécessaire et accessible à un public composé de personnes privées. La face peut aussi être un attribut de groupe : 54 REMARQUE : Cette définition nous permet de remettre en cause l’idée de « Hors médias », fréquente dans le milieu professionnel de la communication et du marketing. Peut-être devrions-nous plutôt parler de « tout médiatique », puisqu’il suffit à une entreprise de réunir ses deux critères pour créer son propre média. 55 Jürgen Habermas, L’Espace public, Editions Payot 1990, p 199 35
  • 36. « On peut donner une bonne image de sa profession ou de sa confession en donnant une bonne image de soi56 ». La face assure un rôle transitoire lors du passage du particulier au général, et du général vers le particulier. Cependant la construction de la face ne relève pas d’une construction commune où tous les avis auraient été consultés. La face répond à d’autres critères d’élaboration d’ordre symbolique. « On peut définir le terme de face comme étant la valeur sociale positive qu’une personne revendique effectivement à travers la ligne d’action que les autres supposent qu’elle a adoptée au cours d’un contact particulier. La face est une image de moi délinéée selon certains attributs sociaux approuvés, et néanmoins partageables, puisque, par exemple, on peut donner une bonne image de sa profession ou de sa confession en donnant une bonne image de soi57 ». La face est la valeur sociale positive qu’une personne revendique. De cette même façon, la conception d’une marque obéit à la manière dont l’entreprise souhaiterait être perçue. Dans l’ordre des perceptions, on distingue ce qu’on souhaiterait montrer, ce qu’on peut montrer et ce qui est vu. Ce chassé-croisé reste dépendant, d’après Erving Goffman, de ce que « les autres supposent » de la perception que l’entreprise aura souhaité donner. Une fois de plus, les destinataires ont le dernier mot58. Ceux qui voient la marque vont dessiner les contours de la face de l'entreprise, et « délinéer selon certains attributs sociaux approuvés ». Ce propos pourrait se tenir si l’on restait dans le contexte des relations inter individuelles. Or à l’échelle de l’entreprise, ce ne sont pas les autres qui, par leurs suppositions, vont agir et faire réagir la face mais plutôt le principe de Publicité. 56 Erving Gofman, Les rites d’interaction, Editions de minuit 1974, p 19 57 E.G, op. cit, p 19 58 Nous remettrons en cause « le premier rôle » du destinataire dans la conclusion. 36
  • 37. Le principe de Publicité, en tant qu’il représente les intérêts et les représentations de l’espace public, est l’interlocuteur de la face – et de la marque de l’entreprise. La Publicité quant à elle n’est pas la synthèse des représentations de personnes privées réunies en public. Elle relève d’une logique à part entière de représentations de l’espace public. Aussi nous pouvons affirmer que, dans la communication de représentation à représentation, la face de l’entreprise est confrontée à la face de l’espace public à travers la Publicité. « Toute personne vit dans un monde social qui l’amène à avoir des contacts, face à face, ou médiatisés avec les autres. Lors de ces contacts, l’individu tend à extérioriser e qu’on nomme parfois une ligne de conduite, c’est à dire un canevas d’actes verbaux et non verbaux qui lui sert à exprimer son point de vue sur la situation, et par là, l’appréciation qu’il porte sur les participants, et en particulier lui-même 59». La face est très liée au concept de Publicité lorsque les quêtes d’appréciation, et de soumission au jugement sont primordiales. L’éventualité d’un face à face n’est plausible que si l’on considère la face comme un apparat de croyances et de rites sociaux intégrés et ajustables qu’on porte et qu’on adapte à l’exigence d’une situation donnée. Il n’y a pas de face à face, entre des personnes, mais plutôt des représentations à représentations. Aussi le « face à face » est-il effacé par le concept de médiatisation. La face est médiatrice dans le rapport entre l’espace public, les consommateurs, les acteurs sociaux, et l’entreprise privée, que l’on peut tout autant subsumer. Elle qui n’existe qu’au sein d’une relation de deux personnes minimum est indispensable à celui qui souhaite évoluer dans un monde social Elle est la projection sociale de celui qui la porte, mais est aussi un lieu de consensus, du fait de sa qualité de médiatrice. L’entreprise s’est pourvue d’une face par le biais de la marque. C’est la face qui contribue à la production et à l’extériorisation d’une ligne de conduite par ses facultés d’encadrement. Elle agit comme une trame, délimitant ce qui est possible, ou non, d’être fait et dit, dans une situation donnée. La marque est cette ligne de conduite, verbale et non verbale, qui résulte des combinaisons que la face peut réaliser. La face est la projection globale de l’entreprise dans le monde sociale, tandis que la marque, qui résulte de la face de l’entreprise, est destinée à évoluée dans l’espace public 59 Erving Goffman, Les rites d’interaction, Editions de minuit 1974, p 9 37
  • 38. Une face n’existe qu’au sein des actes et des discours dont elle permet la production. De même, une marque existe à la seule condition d’occuper un espace signifiant, au cas contraire elle ne s’apparenterait qu’à un dessin formel qui se présente à nous, en attente d’être signifié. La marque est une expression signifiante et laconique de la face de l’entreprise. Elle est une partie, tandis que la face est un tout. L’entreprise, pour s’exprimer, doit donc « se munir » d’une face, et de sa forme contractée, qui est ici la marque. Enfin, l’élément de la mise en scène légitimera son discours : « Un individu garde la face lorsque la ligne d’action qu’il suit manifeste une image de lui-même consistante, c’est à dire, appuyée par les jugements et les indications venus des autres participants et confirmée par ce que révèlent les éléments impersonnels de la situation. Il est alors évident que la face n’est pas logée à l’intérieur ou à la surface de son possesseur, mais qu’elle est diffuse dans le flux des événements de la rencontre60 ». La face prend effet dans un contexte, une mise en scène, qui modèle son action. Cette précision rappelle que ce n’est ni le possesseur de la face, ni celui qui la regarde qui la dirige, mais un flux d’événements. « Un contexte, un construit, […], ce sont avant tout des relations61 ». Ce flux constitue les relations à l’intérieur desquelles les faces entre en interaction. L’ajustement et l’évolution de la face de l’entreprise se jouent dans la relation qu’elle établit avec les consommateurs qui lui laisseront plus ou moins une marge de liberté. Cependant ils n’ont pas la main mise sur cette relation, et comme dans L’acteur et le système, le facteur d’imprévisibilité introduit, dans cette relation, une zone d’incertitude, qui permet à l’entreprise de prendre des initiatives. Cette zone d’incertitude est une marge de liberté pour l’entreprise, qui, saisissant l’occasion, a mis en place, entre autre, le magazine de marque. 2.3.2 La relation de l’entreprise à sa marque et la relation de l’entreprise à son magazine de marque 60 E.G, op. cit, p 10 61 M. Crozier et Erhard Friedberg, L’acteur et le système, Editions du Seuil 1977, p64 38
  • 39. L’entreprise crée sa marque. Nous devons définir la nature de la relation entre l’entreprise, en tant que créatrice, et de la marque, en tant que création. La marque est-elle une imitation de l’entreprise ? Entretiennent-elles un rapport de filiation ? Personnification, synecdoque, comparaison,, symbolique : cette partie évoque quelques figures de rhétorique qui révéleront les projets de l’entreprise dans la gestion de sa marque par le biais du magazine de marque. « La création apparaît comme un processus par lequel un plan préalable est extériorisé et transposé dans l’espace temps d’une œuvre. Qu’elle émane d’un Dieu ou d’un artisan humain, la création consiste à fabriquer l’image d’un modèle et à laisser en elle la trace et la marque de son auteur62». La marque est conçue à l’image de l’entreprise, ou plutôt, « à la face » de l’entreprise dont elle porte « la trace ». C’est cette dernière, qui en se manifestant révèle qui est son créateur. Wunemburger explique que l’image est forcément l’image de quelque chose. Il y a relation de secondéité, de dépendance, et de filiation inhérente à l’image. Elle doit être suffisamment ressemblante pour pouvoir faire écho à son modèle d’origine, et assez différente, et originale pour qu’on puisse la distinguer de son modèle qui doit rester premier, et originel, pour en faire une image. La trace permet l’affiliation de la marque à l’entreprise. On peut dire qu’il y a un double effort d’affiliation : le premier a lieu entre l’entreprise et sa face, le deuxième entre la face et la marque, autant de stades intermédiaires qui éloignent la marque de son modèle. En conséquence, le modèle et la copie se distinguent. De la même façon, la marque et l’entreprise ne peuvent se confondre, malgré des liens de parenté. La marque est à la fois une production inédite et une réduction symbolique de la face de l’entreprise. Elle a deux missions : entretenir la dissemblance, comme la ressemblance avec sa créatrice, et assurer la figuration de celle-ci dans l’espace public. L’éloignement entre l’entreprise et la marque conduit la première à utiliser la deuxième, comme sa forme réduite. L’entreprise se présente comme le tout initial, et la marque, comme la partie rappelant le tout mais néanmoins différente. Cet effet est causé par l’application d’une figure de style : la 62 Jean-Jacques Wunemburger Philosophie des images, Presse universitaire de France 1997, p106 39
  • 40. synecdoque. Il s’agit d’une « figure de rhétorique qui consiste à prendre le plus pour le moins, la partie pour le tout, le singulier pour le pluriel ou inversement 63». Le processus de réduction, nous l’avons vu, passe par une constitution de la face, qui à son tour, délimite la marque. Ces affiliations représentent autant d’ajustements symboliques de l’entreprise à la face, et de la face à l’entreprise. Jean-Jacques Wunemburger organise l’image réduite autour des principes de complication et d’explication, en s’inspirant d’une réflexion de Nicolas de Cues dans De la docte ignorance. « Dieu est la forme contractée (complicatio), cause de toutes choses, inaccessibles à la vue. Mais lorsqu’il se développe lui-même en images visibles (explicatio), celles-ci sont les représentations finies de l’irreprésentable, de développement de ce qui était enveloppé dans son infinité 64». Pour lui, l’image résulte d’un changement d’échelle par gradation continue. Et la ressemblance, de la copie avec le modèle, résulte moins de la marque que du regard qui se pose sur la marque. Cette dernière ne contient qu’un appel à la ressemblance et non l’entreprise elle-même. Au terme de la chaîne, après de multiples manipulations symboliques, la marque est obtenue à partir d’un précipité de représentations arbitraires qui ne sont « souvent appréciées que de façon intuitive, difficile à expliciter, sujette aux errements de l’amour propre65 ». Renvoie-t-elle à l’entreprise qui l’a créée ou à l’ensemble des représentations arbitraires ? « Une produit de marque se constitue par négation de la marque de fabrique. Il se pose comme seule réalité, dissimulant totalement le contexte industriel où il a été élaboré66 ». Paradoxalement, la marque n’a pas pour vocation de représenter l’entreprise, mais plutôt l’ensemble de valeurs à laquelle elle souhaite s’associer. La marque ne présente pas l’entreprise objective et tout son attirail 63 Dictionnaire Le Robert. 64 JJ Wunemburger, Philosophie des images, Editions PUF 1997, p 122-123 65 Charles Krejtman, Le système de la marque, Editions Economica, 1998, p 32 66 C.K, op. cit, p 37 40
  • 41. industriel, mais plutôt l’entreprise subjective et sa marque porteuse de valeurs, afin que celle-ci ait sa place parmi les sujets de l’espace public67. Les valeurs servent alors de média entre la marque et l’entreprise. Si l’on s’exprime en termes de complicatio et d’explicatio, l’entreprise est le complicatio, une forme complexe et difficile à s’approprier, pliée sur elle-même. La marque est son explicatio. Elle correspond au dépliage du complicatio, par lequel l’entreprise acquiert une expression et une dimension. Cela signifie que la marque peut parler au nom de l’entreprise, et dans le sens inverse, que l’entreprise peut s’exprimer au nom de la marque : « Le porte-parole doté du plein pouvoir de parler et d’agir au nom du groupe, et d’abord sur le groupe par la magie du mot d’ordre, est le substitut du groupe qui existe seulement par cette procuration. Groupe fait homme, il personnifie une personne fictive, qu’il arrache à l’Etat de simple agrégat d’individus séparés, lui permettant d’agir et de parler, à travers lui, « comme un seul homme ». En contrepartie, il reçoit le droit de parler et d’agir au nom du groupe, de se prendre pour le groupe qu’il incarne, de s’identifier à la fonction à laquelle il « se donne corps et âme », donnant ainsi un corps biologique à un corps constitué 68». La marque a un pouvoir d’action et d’obligation sur l’entreprise qui l’a créée et l’a investie de ce droit par procuration. De plus la marque est la figuration et la personnification de l’entreprise qui par cette prouesse rhétorique s’invite dans une nouvelle sphère, autre que marchande. Ce qu’explique Bourdieu peut s’appliquer au processus qui permet à la marque de donner au corps constitué de l’entreprise, un corps symbolique, social et publique, prêt à figurer dans l’espace public. Conclusion : L’entreprise privée veut se soumettre à la Publicité et doit pour cela se placer à la portée de l’espace public. Son entrée dans cette espace rendrait légitime sa volonté d’accomplir son intérêt privé en se servant de l’intérêt général. En effectuant cette manœuvre, elle espère pouvoir 67 ATTENTION : ici j’émets une hypothèse que l’étude empirique va confirmer ou infirmer : une entreprise pour s’assurer une meilleur prise dans l’espace public devrait plutôt l’accent sur la partie « marque », ses représentations et ses valeurs, plutôt que sur le « tout », qui rappelle l’entreprise objective. 68 Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, Editions Fayard 1982, p 100-107 41