4. ¶
Microlithiase
Cholestérol
Phospholipides
Acides biliaires
Cholestérol
MDR3
Phospholipides
Acides biliaires
Cholangite
Figure 2. Expression phénotypique de mutations inactivatrices de
ABCB4 (MDR3). L’absence ou la forte diminution des phospholipides
biliaires a pour conséquences, d’une part, la précipitation de cholestérol et
la formation de microcalculs et, d’autre part, une inflammation biliaire
(cholangite) du fait de leur rôle cytoprotecteur vis-à-vis des molécules
cytotoxiques (acides biliaires).
canaliculaire et dans les cholangiocytes, mais aussi dans le
pancréas et l’intestin, sont responsables de la maladie de Byler
(cholestase familiale de type 1). Les enfants présentent une
cholestase ictérique à gamma glutamyltransférases (cGT)
normales, évoluant rapidement vers une cirrhose et une
défaillance hépatique, justifiant la transplantation hépatique.
Les mutations de FIC1 sont aussi responsables de cholestase
récurrente bénigne de type 1 (BRIC-1). Certains patients se
présentant initialement comme des BRIC-1 peuvent évoluer vers
une cirrhose biliaire, probablement du fait d’une activité
résiduelle de la protéine insuffisante ou de facteurs aggravants
surajoutés. Les mutations de FIC1 entraînent une perte de
l’asymétrie en phospholipides de la membrane canaliculaire et
rendent celle-ci très vulnérable aux effets détergents des acides
biliaires hydrophobes avec, comme conséquence, la perte des
fonctions de transport. D’autres mécanismes sont nécessaires
pour expliquer les manifestations extrahépatiques de la maladie
(surdité, diarrhée, pancréatite, lithiase rénale). La transplantation hépatique ne corrige pas les manifestations extrahépatiques de la maladie de Byler.
La cholestase familiale de type 2 est également une maladie
cholestatique sévère, conduisant à l’insuffisance hépatique. Les
mutations de BSEP sont responsables du phénotype clinique de
ces patients. Les manifestations extrahépatiques sont absentes.
L’activité sérique des cGT est normale. Dans une cohorte de
109 familles, un carcinome hépatocellulaire ou un cholangiocarcinome sont survenus chez 15 % des enfants. L’incidence
était particulièrement élevée quand les patients étaient porteurs
homozygotes de mutations non-sens. Les mutations de BSEP
sont à l’origine de la cholestase récurrente bénigne de type 2
(BRIC-2).
La cholestase familiale de type 3 est secondaire à des mutations du gène MDR3. La protéine est absente ou faiblement
exprimée dans le foie de ces patients. Au cours de cette maladie
cholestatique, il existe une inflammation et une altération des
petites voies biliaires. La bile de ces patients est caractérisée par
une concentration très basse en phospholipides. La maladie
peut se manifester comme une cirrhose biliaire apparemment
cryptogénétique chez l’adulte jeune. Les mutations faux sens,
homozygotes ou hétérozygotes ou non-sens homozygotes du
gène MDR3 sont associées à une forme récurrente de microlithiase biliaire du sujet jeune, le syndrome low phospholipid
associated cholelithiasis (LPAC), quelquefois associé à une
cholestase gravidique en fin de grossesse [4]. Les phospholipides
sont nécessaires à la formation des micelles d’acides biliaires et
la solubilisation du cholestérol. En leur absence, les acides
biliaires deviennent toxiques pour les voies biliaires et le
cholestérol précipite. La souris mdr2−/’− développe une cholangite sclérosante et une lithiase de cholestérol [5] (Fig. 2).
Anomalies des transporteurs et facteurs
génétiques de susceptibilité
dans les cholestases acquises [6, 7]
La cholestase intrahépatique de la grossesse est un bon
exemple d’anomalies de fonction des transporteurs hépatobiliaires résultant à la fois de facteurs hormonaux ou d’environnement et de facteurs génétiques de susceptibilité. Le tableau
clinique est caractérisé par un prurit associé à une perturbation
des tests biochimiques hépatiques portant préférentiellement sur
l’activité sérique des transaminases lors du troisième trimestre
de la grossesse. Le diagnostic est confirmé par l’élévation
marquée de la concentration des acides biliaires sériques. La
cholestase gravidique peut se compliquer de complications
fœtales (souffrance, mort in utero) et d’accouchement prématuré. Il en existe classiquement deux formes selon la normalité
ou non de l’activité sérique des cGT (respectivement 30 % et
70 %), suggérant deux mécanismes physiopathologiques différents. Le rôle procholestatique des estrogènes est principalement
attribué à la diminution de l’activité et de l’expression de MRP2
et BSEP. Le rôle de la progestérone et de ses métabolites repose
sur les observations suivantes :
• le déclenchement de la cholestase après administration de
progestérone dans le dernier trimestre de la grossesse ;
• l’augmentation anormale des concentrations sanguines des
dérivés sulfatés de la progestérone ;
• l’inhibition de l’activité de BSEP par certains métabolites de
la progestérone.
En dehors des facteurs hormonaux, le rôle d’un déficit en
sélénium, du virus de l’hépatite C, d’une translocatation
d’endotoxine du fait d’une anomalie de la perméabilité intestinale a été suggéré. Des mutations ou des variants des gènes
codant pour FIC1, BSEP, MDR3, MRP2 et FXR sont associés à la
cholestase gravidique indiquant une très grande variabilité
génétique du syndrome.
L’association aux mutations de MDR3 est la mieux caractérisée et la plus fréquente (environ 15 % à 20 %). Dans la plupart
des cas, mais pas constamment, l’activité cGT est élevée dans
cette situation. Le syndrome LPAC accompagne fréquemment
cette forme de cholestase gravidique. L’administration d’acide
ursodéoxycholique, dès les premiers symptômes, améliore le
prurit et permet souvent de mener la grossesse à terme avec un
risque minoré de souffrance fœtale.
■ Hyperbilirubinémies
génétiques
[8-10]
Par convention, la bilirubinémie normale est inférieure à
17 µmol/l. Les valeurs moyennes observées chez la femme
(environ 10 µmol/l) sont plus faibles que celles observées chez
l’homme (environ 13 µmol/l). L’hyperbilirubinémie (HB) peut
être le reflet d’une production exagérée ou d’un défaut d’élimination par le foie. L’HB au cours des maladies hépatiques
témoigne de leur sévérité. L’HB est observée chez 5 % à 10 %
de la population générale en l’absence de tout signe d’hémolyse
ou d’atteinte hépatique. Ces HB sont souvent familiales et
comprennent des formes allant de la maladie de Gilbert (MG),
caractérisée par une HB modérée, aux formes sévères de syndrome de Crigler-Najjar (SCN) avec lésions cérébrales (ictère
nucléaire).
Métabolisme de la bilirubine (BR) [8]
(Fig. 3)
La BR est le produit du catabolisme de l’hémoglobine des
globules rouges et des hémoprotéines dans le système réticuloendothélial, principalement dans la rate. Environ 250 mg de
BR sont ainsi formés chaque jour. La BR très lipophile, relarguée
dans le sang, est liée à l’albumine et ne passe pas dans les
urines. Elle est captée au pôle sinusoïdal des hépatocytes par un
5. ¶
détoxification des xénobiotiques tels que rifampicine, tolbutamide, paracétamol, irinotécan et inhibiteurs des protéases antiVIH. L’expression réduite de UGTA1 pourrait expliquer la
susceptibilité aux effets toxiques de ces xénobiotiques.
Hyperbilirubinémies constitutionnelles
Maladie de Gilbert (MG)
MG (ou syndrome de Gilbert) est caractérisée par une élévation modérée et fluctuante de la bilirubinémie sous forme de BR
non conjuguée sans qu’il s’y associe de signes évidents de
maladie hépatique ou d’hyperhémolyse. L’anomalie génétique
se situe dans la TATAA box qui contient sept TA au lieu de six.
Les patients sont homozygotes pour cette mutation appelée
UGTA*28. Certains arguments suggèrent que le phénotype ne
pourrait s’expliquer que par l’existence surajoutée d’anomalie de
la captation hépatique de la BR ou d’une hémolyse infraclinique. Cette maladie ne justifie pas de traitement.
Syndromes de Crigler-Najjar
Figure 3. 250 mg de bilirubine sont formés chaque jour. La bilirubine
non conjuguée fixée à l’albumine est transportée dans l’hépatocyte par les
protéines SLC21A6, OATP2 et OATP-C. La bilirubine est conjuguée à une
puis deux molécules d’acide glucuronique dans le réticulum endoplasmique, puis excrétée dans le canalicule biliaire par MRP2. Le métabolisme
hépatique de la bilirubine est contrôlé par trois facteurs de transcription,
CAR, PXR et FXR. Rif : rifampicine ; Dex : dexaméthasone ; PBal : phénobarbital ; BA : acides biliaires ; B : bilirubine non conjuguée ; B(GA) et
B(GA)2 : bilirubine conjuguée à une et deux molécules d’acides glucuroniques ; OATP : organic anion transporter proteins.
transporteur appartenant à la famille des organic anion transporter proteins (OATP) et se fixe sur des protéines appelées ligandine
et protéine Z. Transportée dans le réticulum endoplasmique, elle
est conjuguée à l’acide glucuronique pour former des mono- et
diglucuronides. L’enzyme responsable est l’uridine diphosphoglucuronate-glucuronosyl transférase (UDP-GT). Cette conjugaison transforme la BR en un composé hydrosoluble capable
d’être excrété dans la bile, voire les urines. Une petite fraction
est prise en charge par la protéine multidrug resistance proteine 3
(MRP3) située à la membrane sinusoïdale et rejetée dans le sang.
Ce transport reverse explique la présence de bilirubine conjuguée
(jusqu’à 7 µmol/l) dans la circulation sanguine. La plus grande
partie de la BR conjuguée est excrétée dans le canalicule biliaire
par MRP2, un transporteur canaliculaire qui assure l’excrétion
de composés sulfatés, glucuronidés ou conjugués au glutathion.
Le transport canaliculaire est l’étape limitante du métabolisme.
Une petite fraction est absorbée dans l’iléon et excrétée dans les
urines sous forme d’urobiline. La conjugaison et le transport
canaliculaire sont positivement régulés par deux facteurs de
transcription, le pregnane X receptor (PXR) et le constitutive
androstane receptor (CAR). La BR stimule sa propre clairance en
activant CAR. La rifampicine et le phénobarbital sont de
puissants activateurs de PXR et CAR respectivement.
Gène UGT1A1 [8]
Le locus UGTA1 est situé dans la région q37 du chromosome
2. Il contient 13 gènes codant les UDP-GT, chacun comprenant
un exon 1 unique et quatre exons communs. Chaque exon a
son propre promoteur où se trouve une TATAA box régulant la
transcription de l’enzyme. La TATAA box contient normalement
6 TA : (TA6) TAA. En cas de mutation affectant l’exon, UDP-GT
est structurellement altérée et inefficace. Si la mutation affecte
la TATAA box du promoteur, l’activité est simplement réduite.
Outre le métabolisme de le BR, UGTA1 est impliqué dans la
Dans le type 1, la BR est très élevée, plus de 300 mg/l. Dans
le type 2, la BR se situe entre 50 et 300 mg/l. Les mutations se
situent au niveau des cinq exons communs codants. Le phénobarbital est capable de diminuer la BR dans le type 2 et peu ou
pas dans le type 1. Dans les deux types, les mutations sont
récessives. Cependant, dans le type 2, certaines mutations
pourraient apparaître comme dominante-négatives. Le traitement des formes majeures avec risque d’atteintes nucléaires
repose sur la photothérapie et la transplantation hépatique.
Ictère physiologique néonatal
La BR non conjuguée peut atteindre des concentrations de
l’ordre de 60 mg/l les 4 jours qui suivent la naissance, mais
revient en moins de 2 semaines à la normale. On attribue cet
ictère physiologique à une immaturité des transporteurs hépatiques ou à une anomalie de l’hématopoïèse.
Ictère au lait maternel
Cet ictère cesse dès la suppression du lait maternel. Il pourrait
être dû à un défaut génétique similaire à celui de la MG,
associée à la présence dans le lait maternel d’inhibiteurs de
l’activité de UDP-GT.
“
Points essentiels
• Les mutations inactivatrices de ATP8B1 (FIC1) sont
responsables de la maladie de Byler ou cholestase familiale
progressive de type 1.
• La maladie de Byler se traduit cliniquement par une
cholestase associée à une activité sérique normale des
cGT.
• Les mutations hétérozygotes de AT8B1 sont en partie
responsables des cholestases récurrentes bénignes.
• Les mutations inactivatrices de ABCB11 sont responsables de la cholestase familiale progressive de type 2.
• Les mutations hétérozygotes de ABCB11 sont en partie
responsables des cholestases récurrentes bénignes.
• Les mutations inactivatrices de ABCB4 sont responsables de la cholestase familiale progressive de type 3.
• Les mutations hétérozygotes de ABCB4 sont
responsables de lithiase biliaire cholestérolique récidivante
chez les sujets jeunes.
• Les mutations hétérozygotes des gènes codant ou
régulant les transporteurs biliaires sont à l’origine des
cholestases gravidiques.
6. ¶
.
Syndrome de Dubin-Johnson [9]
Il s’agit d’une condition bénigne caractérisée par une élévation de la bilirubine conjuguée associée à des tests hépatiques
normaux. Le profil pharmacocinétique de la BSP est caractéristique avec une disparition initiale normale suivie d’une remontée tardive témoignant du défaut de sécrétion canaliculaire. Le
foie est noir à la cœlioscopie du fait de dépôt de lipofuchines
dans les hépatocytes. Le syndrome est associé à des mutations
de MRP2 altérant soit son routage, soit sa fonction.
Syndrome de Rotor
Cet état rarissime combine un défaut de captation et de
transport de la bilirubine. L’anomalie génétique n’est pas
connue.
Implications pharmacologiques
des mutations affectant le métabolisme
de la BR [10]
UGTA1 et MRP2 sont impliquées dans le métabolisme et la
détoxification de certains xénobiotiques. Certains effets indésirables de l’irinotécan, de l’indinavir, de l’atazanavir seraient liés
à des variations alléliques de UGTA1, et en particulier au
génotype UGTA1*28. De même, la diminution de l’activité de
MRP2 pourrait rendre compte d’effets indésirables de certains
xénobiotiques.
■ Références
[1]
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intrahepatic cholestasis. J Hepatol 1999;31:377-81.
[2] Jansen PL, Muller M. The molecular genetics of familial intrahepatic
cholestasis. Gut 2000;47:1-5.
[3] Pauli-Magnus C, Stieger B, Meier Y, Kullak-Ublick GA, Meier PJ.
Enterohepatic transport of bile salts and genetics of cholestasis.
J Hepatol 2005;43:342-57.
[4] Rosmorduc O, Hermelin B, Poupon R. MDR3 gene defect in adults
with symptomatic intrahepatic and gallbladder cholesterol
cholelithiasis. Gastroenterology 2001;120:1459-67.
[5] Fickert P, Fuchsbichler A, Wagner M, Zollner G, Kaser A, Tilg H, et al.
Regurgitation of bile acids from leaky bile ducts causes sclerosing
cholangitis in Mdr2 (Abcb4) knockout mice. Gastroenterology 2004;
127:261-74.
[6] Riely CA, Bacq Y. Intrahepatic cholestasis of pregnancy. Clin Liver Dis
2004;8:167-76.
[7] Poupon R. Intrahepatic cholestasis of pregnancy: from bedside to bench
to bedside. Liver Int 2005;25:467-8.
[8] Bosma PJ. Inherited disorders of bilirubin metabolism. J Hepatol 2003;
38:107-17.
[9] Corpechot C, Ping C, Wendum D, Matsuda F, Barbu V, Poupon R.
Identification of a novel 97C>G nonsense mutation of the
MRP2/ABCC2gene in a patient with Dubin-Johnson syndrome and
analysis of the effects of rifampicine and ursodeoxycholic acid on
serum bilirubin and bile acids. Am J Gastroenterol 2006;101:2427-32.
[10] Strassburg CP. Pharmacogenetics of Gilbert’s syndrome.
Pharmacogenomics 2008;9:705-15.
8. ¶
que les hémochromatoses de types 2 et 3. Encore appelée
maladie de la ferroportine et seule forme d’hémochromatose à
transmission dominante, elle correspond, dans son expression la
plus fréquente, à une hyperferritinémie avec normalité du taux
de saturation de la transferrine plasmatique et surcharge en fer
à dominante macrophagique.
Mutations HFE (type 1)
ou non HFE (type 2 ou 3)
1
Foie
Acéruloplasminémie ou hypocéruloplasminémie
héréditaire
Hepcidine
4
Cette forme de surcharge en fer est due à des mutations du
gène de la céruloplasmine (chromosome 3) [13]. Elle entraîne,
par le biais d’une inhibition totale de la production de la
protéine (acéruloplasminémie) et/ou de son activité ferroxydase
(hypocéruloplasminémie) [14] , un tableau qui associe, à la
surcharge viscérale en fer, une hyposidérémie, une anémie et
des signes neurologiques.
Rate
7
2
5
6
FER
Sang
Autres surcharges héréditaires en fer
3
Elles sont rarissimes et correspondent à des affections anciennes telles que l’atransferrinémie héréditaire [15], ou de description récente comme les surcharges liées à des mutations des
gènes SLC11A2 codant divalent metal transporter 1 (DMT1) [16-18]
et GLRX5 codant la glutarédoxine [19].
“
Point fort
Les surcharges génétiques en fer correspondent à
plusieurs entités qui restent, chez le Caucasien, largement
dominées par l’hémochromatose liée au gène HFE.
Duodénum
8
Figure 1. Mécanisme de développement de la surcharge en fer dans les
hémochromatoses de types 1, 2 et 3 (d’après [3]). 1. Les mutations
diminuent la production hépatique d’hepcidine ; 2. diminution de l’hepcidinémie ; 3. augmentation de l’absorption duodénale du fer ; 4. diminution de l’hepcidinémie ; 5. augmentation de la libération du fer des
macrophages spléniques ; 6. hypersidérémie ; 7. hypercaptation hépatique du fer ; 8. surcharge hépatocytaire en fer (vue microscopique ;
coloration de Perls).
Déficit en ferroportine
■ Physiopathologie des surcharges
génétiques en fer
Il est en cause au cours de l’hémochromatose de type 4 et
dans l’a- (ou hypo-) céruloplasminémie. En effet, dans ces deux
affections, il se produit une rétention de fer intracellulaire du
fait d’une altération de la fonction d’export du fer assurée par
la ferroportine.
Mécanismes du développement
de la surcharge
Mécanismes de la toxicité cellulaire du fer
Deux mécanismes principaux sont à considérer [1].
Déficit en hepcidine
.
Il rend compte du développement de l’excès [20] en fer dans
les hémochromatoses 1, 2, et 3 (Fig. 1).
Il correspond à une diminution du niveau sérique d’hepcidine, conséquence d’une diminution de la synthèse hépatique
d’hepcidine active [21-23]. Il peut s’agir soit d’une absence de
synthèse comme dans l’hémochromatose juvénile (par mutation
du gène de l’hepcidine), soit d’une baisse de production
hépatique du fait d’une inhibition de la cascade de signalisation
moléculaire qui conduit à la synthèse hépatocytaire de l’hepcidine comme dans les hémochromatoses 1, 2 et 3. Cette hypohepcidinémie entraîne une augmentation de la concentration
plasmatique du fer en favorisant d’une part l’absorption
duodénale du fer, d’autre part la sortie dans le plasma du fer
splénique provenant de la dégradation physiologique des
globules rouges. Cette hypersidérémie contribue à une augmentation du taux de saturation de la transferrine et lorsque ce taux
dépasse 45 %, apparaît au niveau circulant une forme de fer
appelée « fer non lié à la transferrine » (FNLT) [24, 25]. Ce type de
fer a la particularité d’être très avidement capté par les diverses
cellules parenchymateuses, en particulier hépatiques
(c’est-à-dire les hépatocytes) [26], pancréatiques et cardiaques [27],
expliquant la surcharge en fer viscérale de ce type d’hémochromatose [28, 29].
Lorsque le taux de saturation de la transferrine dépasse 75 %,
apparaît une composante spéciale du fer non liée à la transferrine, appelée labile plasma iron (LPI) [30-32]. Ce LPI est de grande
importance dans la mesure où il représente la forme potentiellement toxique du fer circulant. Il correspond en effet à un fer
qui génère des espèces radicalaires oxygénées potentiellement
cytotoxiques. Ce mécanisme explique sans doute pourquoi le
dommage viscéral semble globalement plus marqué dans les
hémochromatoses 1, 2, 3 (formes à fer plasmatique élevé) que
dans l’hémochromatose 4 (forme à fer plasmatique bas).
“
Point fort
Les surcharges génétiques en fer impliquent deux grands
mécanismes pour expliquer l’excès en fer : l’insuffisance
en hepcidine ou l’insuffisance en ferroportine.
■ Diagnostic des surcharges
héréditaires en fer
Il comporte cinq étapes successives [1] (Fig. 2).
9. ¶
Suspicion d'hémochromatose HFE (type 1)
Tableau 1.
Hyperferritinémies en théorie.
Hyperferritinémies avec surcharge en fer
Primitives : surcharges génétiques
Hémochromatoses (1, 2, 3, 4)
Augmentation du taux de saturation
de la transferrine (souvent > 60 %)
Acéruloplasminémie
Secondaires
Transfusions érythrocytaires multiples (surcharge marquée)
C282Y/C282Y
Autres causes (surcharge modérée) :
- syndrome polymétabolique
- cirrhose alcoolique
Ferritine/IRM
(quantification
de la surcharge)
- porphyrie cutanée tardive
- supplémentation en fer parentéral (hémodialysés)
Hyperferritinémie sans surcharge en fer
Syndrome inflammatoire
Bilan polyviscéral
et classification
en cinq grades
Maladies inflammatoires chroniques (maladie de Still)
Maladies infectieuses
Cytolyses
Quel que soit
le grade (1-4)
Grade > 2
Hépatopathies aiguës ou chroniques
Hémopathies malignes
Syndromes hémophagocytaires (activation macrophagique)
Enquête familiale
Saignées
Autres causes
Diabète
Figure 2. Arbre décisionnel. Stratégie de prise en charge d’un patient
atteint d’hémochromatose de type 1 (C282Y/C282Y). IRM : imagerie par
résonance magnétique.
Évoquer la surcharge en fer
.
Hors de la circonstance bien particulière d’un bilan systématique effectué dans le sillage de la découverte d’une surcharge
en fer au sein d’une famille, de nombreuses situations peuvent,
chez un sujet donné, correspondre à l’expression d’une surcharge en fer.
Les principaux points d’appel cliniques sont : la fatigue
chronique (qui peut être à composante sexuelle chez l’homme),
les douleurs ostéoarticulaires chroniques (arthrites diverses, très
évocatrices d’hémochromatose de type 1 lorsqu’elles touchent
les 2e et 3e métacarpophalangiennes, voire les hanches [33],
lombalgies dues à l’ostéoporose), une mélanodermie, une
hépatomégalie, un diabète, des troubles du rythme cardiaque,
voire une insuffisance cardiaque.
Biologiquement, toute hypertransaminasémie chronique
inexpliquée doit, lorsqu’elle est modérée (inférieure à 3 fois la
limite supérieure de la normale), faire penser à une surcharge en
fer. Mais c’est surtout l’hyperferritinémie (taux supérieur à
300 µg/l chez l’homme et à 200 µg/l chez la femme) qui, en
pratique, fait évoquer la surcharge. Il est impératif d’interpréter
correctement cette hyperferritinémie (Tableaux 1, 2), c’està-dire de ne lui attribuer la signification d’une surcharge en fer
qu’après avoir éliminé les quatre principales situations qui
peuvent provoquer une élévation de ce paramètre sans que pour
autant un excès en fer de l’organisme soit en cause : la cytolyse
(surtout lorsqu’elle est majeure), l’inflammation (ici aussi
lorsqu’elle est très marquée), le dysmétabolisme (en particulier
avec diabète) et l’alcoolisme (penser au sigle CIDA). L’anémie
est aussi une circonstance pouvant conduire à la découverte
d’une surcharge en fer.
Affirmer la surcharge en fer
C’est une étape qui est malheureusement parfois omise, la
tendance étant d’attribuer systématiquement à une hyperferritinémie la signification d’un excès viscéral en fer. L’affirmation de cette surcharge viscérale (hépatique et/ou splénique)
Dysthyroïdie
Maladie de Gaucher
Mutations du gène de la L-ferritine (avec ou sans cataracte)
Tableau 2.
Hyperferritinémie en pratique.
Causes les plus fréquentes
Surcharge en fer
Inflammation
Alcool
Syndrome polymétabolique
Cytolyse
Bilan pratique (hors examen clinique)
Première ligne : glycémie, uricémie, cholestérolémie, triglycéridémie,
sidérémie, saturation de la transferrine, CRP, NFS (Hb, VGM), GGT,
ASAT, ALAT
Deuxième ligne : mutation C282Y (uniquement si saturation élevée) ;
CPK
Troisième ligne : IRM (fer), céruloplasminémie, tests génétiques spécifiques
CRP : C-reactive protein ; NFS : numération-formule sanguine ; Hb : hémoglobine ;
VGM : volume globulaire moyen ; GGT : gamma-glutamyl-transpeptidase ;
ASAT : aspartate aminotransférase ; ALAT : alanine aminotransférase ; CPK :
créatine phosphokinase ; IRM : imagerie par résonance magnétique.
passe désormais par la réalisation d’une imagerie par résonance
magnétique (IRM). Pour ce faire, il suffit que le radiologue,
sans équipement spécifique, recoure à la formule de calcul
proposée sur le site web : www.radio.univ-rennes1.fr. Cette
formule concerne la quantification de la charge en fer au niveau
du foie, mais il ne faut pas oublier de prendre en compte la
présence éventuelle d’un excès de fer au niveau de la rate qui est
l’autre organe majeur de stockage du fer. La base de l’intérêt de
l’IRM pour l’évaluation de la charge en fer est que ce métal
entraîne de manière spécifique un hyposignal en T2, hyposignal
d’autant plus marqué (c’est-à-dire correspond à un assombrissement de l’image hépatique d’autant plus intense) que l’excès
viscéral en fer est plus important [34, 35]. Normalement, la
concentration hépatique en fer (CHF) est inférieure à 40 µmol/g.
10. ¶
Tableau 3.
Grandes causes de surcharge en fer.
Surcharges acquises
Transfusions (anémies chroniques)
Apports oraux ou parentéraux excessifs
Cirrhoses évoluées
Surcharges génétiques
Hémochromatose de type 1 (mutation HFE)
Hémochromatose de type 2 (juvénile) (par mutation hémojuvéline ou
hepcidine)
Hémochromatose de type 3 (par mutation RTF2)
Hémochromatose de type 4 (par mutation ferroportine)
Acéruloplasminémie héréditaire
RTF2 : récepteur de la transferrine de type 2.
L’excès en fer peut être considéré comme modéré en dessous de
120 µmol/g, marqué de 120 à 250 µmol/g et majeur au-delà.
On voit que la grande caractéristique de cette étape d’affirmation de la surcharge est d’être devenue non vulnérante. C’est
dire que le recours à la ponction-biopsie hépatique est devenu,
dans cette indication, très limité.
Éliminer une surcharge en fer acquise
Les causes acquises de surcharge en fer sont, de loin, les plus
fréquentes. Il est indispensable de les considérer attentivement
avant d’engager le diagnostic vers une surcharge héréditaire
(Tableau 3). Le diagnostic différentiel s’appuie principalement
sur l’importance de la surcharge et son contexte clinique.
Surcharges importantes (CHF > 120 µmol/g)
Elles s’accompagnent d’ordinaire d’une élévation de la
saturation de la transferrine et sont principalement liées à :
• la cirrhose du foie qui, quelle qu’en soit la cause, est susceptible de se compliquer, à un stade évolué, d’une surcharge
parenchymateuse parfois majeure [36, 37] en lien probable avec
l’hypotransferrinémie et l’hypohepcidinémie induites par
l’insuffisance hépatocellulaire [38] ;
• certaines formes d’anémie chronique : myélodysplasies (en
particulier l’anémie sidéroblastique avec ring-sidéroblastes) [39],
thalassémies et drépanocytose. Dans ces affections, la surcharge en fer se développe par deux mécanismes principaux :
C la dysérythropoïèse responsable, par le biais d’une hyperproduction du facteur de croissance growth differentiation 15
(GDF15) [40], d’une hypohepcidinémie, elle-même à l’origine d’une surcharge parenchymateuse (hépatocytaire) ;
c’est ce premier mécanisme qui explique qu’un excès en fer
puisse être observé dans ces conditions hématologiques
avant même toute transfusion,
C l’apport transfusionnel, chaque culot transfusé apportant
200 à 250 mg de fer qui restent stockés dans l’organisme
du fait de l’incapacité du corps humain à éliminer le fer
qui lui parvient en excès ; la surcharge devient alors vite
macrophagique (donc surtout splénique).
Surcharges modérées (CHF < 120 µmol/g)
Ces surcharges s’accompagnent d’une saturation de la transferrine peu augmentée, normale, voire abaissée. Le plus souvent,
elles sont surestimées par le dosage de la ferritinémie, ce qui
souligne la nécessité de disposer d’une évaluation directe de
l’excès de fer par l’IRM, la biopsie ou la méthode rétrospective
des saignées afin de ne pas engager à tort le diagnostic vers une
cause génétique. Elles se développent dans quatre contextes
principaux :
• dans le contexte d’une supplémentation excessive en fer
(parfois associée à la vitamine C), une surcharge iatrogène
doit être discutée, surtout chez les sujets pratiquant un sport
d’endurance à un haut niveau (cyclistes, marathoniens,
etc.) [41] ;
• dans le contexte d’anomalies métaboliques, l’hyperferritinémie est une anomalie fréquente (on parle d’hyperferritinémie
dysmétabolique) qui ne témoigne qu’inconstamment d’un
réel excès de fer (on parle alors d’hépatosidérose dysmétabolique) [42, 43]. L’hépatosidérose dysmétabolique est évoquée
devant l’aspect mixte (dépôts hépatocytaires périportaux et
surcharge kupfférienne diffuse) de la surcharge et l’existence
d’un syndrome polymétabolique (hypertension artérielle,
surpoids androïde, dyslipidémie, diabète, etc.) associé,
fréquemment mais non toujours, à une stéatohépatite [44]. Sa
physiopathologie n’est pas connue mais un trouble primitif
du métabolisme de l’hepcidine ne semble pas en cause [45] ;
• dans le contexte d’une hépatopathie chronique non cirrhotique, l’hyperferritinémie est fréquente, en lien avec l’activité
nécrotico-inflammatoire. Elle peut toutefois témoigner d’une
authentique surcharge en fer, en règle mixte et discrète [46],
sous la dépendance de la cause de la maladie de foie : virus
et alcool (en partie par le biais d’une action inhibitrice sur la
synthèse d’hepcidine [47, 48]) et syndrome métabolique, le plus
souvent ;
• dans le contexte de manifestations cutanées (bullose, cicatrices dépigmentées, etc.), une porphyrie cutanée tardive doit
être évoquée.
Établir la nature génétique de la surcharge
Outre l’absence de cause acquise, deux ordres d’arguments,
complémentaires, peuvent étayer cette origine génétique.
Éléments familiaux, connus ou suggestifs,
de surcharge en fer
Ces données familiales concernent avant tout la fratrie, la
majorité de ces surcharges héréditaires étant de transmission
récessive. Une exception cependant est représentée par l’hémochromatose de type 4 (maladie de la ferroportine) dont le mode
de transmission est dominant avec, en conséquence, possibilité
de détecter des anomalies (en particulier une hyperferritinémie
avec saturation de la transferrine normale ou basse) au niveau
des parents du premier degré.
Éléments personnels
Si certaines données de terrain et de clinique peuvent orienter
(exclusion d’une hémochromatose de type 1 chez un sujet non
caucasien, possibilité d’hémochromatose juvénile chez un
patient de moins de 30 ans, possibilité d’acéruloplasminémie en
cas d’anémie et/ou de signes neurologiques...), le pivot de la
démarche diagnostique est fourni par le taux de fer (ou de
saturation de la transferrine) plasmatique (Fig. 3) :
• si ce taux est élevé (théoriquement plus de 45 % mais, en
fait, souvent plus de 60 %, voire plus de 80 %), le diagnostic
d’hémochromatose par déficit en hepcidine est très probable.
En pratique, il convient, chez un sujet de race blanche, de
commencer par la recherche (sur un prélèvement sanguin ou
salivaire) de la mutation C282Y qui reviendra positive à l’état
homozygote en cas d’hémochromatose de type 1. Si cette
recherche est négative (ou n’a pas été faite car le patient
n’était pas caucasien), il convient de demander, chez un sujet
adulte de plus de 30 ans, la recherche d’une mutation du
gène de RTF2 et, chez un sujet de moins de 30 ans, une
éventuelle mutation des gènes de l’hémojuvéline, de l’hepcidine ou de TRF2 ;
• si le taux de saturation n’est pas élevé, voire bas (< 45 %), il
convient de demander un dosage de la céruloplasminémie
qui montre un taux indétectable en cas d’acéruloplasminémie. En cas d’hypocéruloplasminémie, c’est l’effondrement de
l’activité ferroxydase plasmatique qui permet de poser le
diagnostic.
Ces études génétiques, hors celles concernant le gène HFE,
sont très spécialisées et requièrent des structures dûment
11. ¶
= Inflammation
CRP ?
N
N
Ferritine
Fer
hépatique ?
(IRM)
Sat.Tf ?
± Dysmétabolisme
Alcoolisme
++ Ferroportine
0
L- ferritine
(cataracte)
= Hépatite aiguë ou cirrhose sévère
Transa ?
N
Anémie
Oui
= Hémo HFE
Non
= Hémo non HFE
Hb
N = Hémo
C282Y/C282Y ?
Surcharge
transfusionnelle
Figure 3. Organigramme du diagnostic d’une hyperferritinémie. Sat. Tf : saturation de la transferrine ; Transa : transaminases ; Hb : hémoglobine ;
Hémo : hémochromatose ; N : normal ; CRP : C-reactive protein.
4
Risque
vital
3
Qualité
de vie
Qualité
de vie
Ferritine
Ferritine
Ferritine
Sat.Tf
Sat.Tf
Sat.Tf
ferritinémie (> 300 µg/l chez l’homme et > 200 µg/l chez la
femme) sans toutefois de signes cliniques ; les stades 3 et
4 correspondent à l’apparition de signes cliniques, lesquels pour
le stade 3 affectent la qualité de vie (asthénie chronique,
impuissance, arthropathies) et pour le stade 4 compromettent le
pronostic vital (cirrhose avec risque de carcinome hépatocellulaire, de diabète insulinodépendant, de cardiomyopathie).
Cette classification permet de définir les modalités de prise en
charge (nature des examens à surveiller, fréquence de ces
contrôles).
2
1
Sat.Tf
“
Point fort
0
Figure 4. Classification de l’expression phénotypique de l’hémochromatose liée à HFE (d’après [1]). Sat. Tf : saturation de la transferrine.
labellisées telles que celles en lien avec le Centre de référence
des surcharges en fer rares d’origine génétique (centre hospitalier universitaire Pontchaillou, Rennes) : http://resmed.univrennes1.fr/crefer).
Dresser le bilan du retentissement
polyviscéral de cette surcharge
Ce bilan permet, dans l’hémochromatose de type 1 (et par
extension dans les hémochromatoses par déficit en hepcidine),
de classer la maladie en cinq stades de gravité croissante [1, 49]
(Fig. 4). Le stade 0 correspond à l’absence de toute expression
clinicobiologique, le stade 1 à une simple augmentation du taux
de saturation de la transferrine (> 45 %, en fait souvent > 60 %
chez l’homme et à 50 % chez la femme), le stade 2 à l’augmentation conjointe des taux de saturation de la transferrine et de
Poser le diagnostic de surcharge génétique en fer repose
sur une démarche non vulnérante associant clinique,
biologie et imagerie (IRM).
■ Traitement des surcharges
héréditaires en fer
Hémochromatose de type 1
Seul est considéré le traitement de la surcharge en fer
elle-même.
Les saignées constituent le traitement de référence [49]. Elles
ont démontré leur efficacité sur la survie des patients et la
régression (variable) de certaines des complications associées à
la surcharge martiale. Ce traitement, débuté précocement,
permet d’éviter l’installation de complications.
Indications du traitement par saignées
C’est à partir du stade 2, c’est-à-dire lorsque le sujet homozygote pour C282Y présente une augmentation du taux de
12. ¶
ferritinémie (> 300 µg/l chez l’homme et > 200 µg/l chez la
femme), qu’il y ait des signes cliniques (stade 3 ou 4) ou non
(stade 2), que l’indication de la réalisation de saignées se trouve
posée.
Avant de les débuter, il convient de s’assurer de l’absence de
contre-indications. Ces contre-indications peuvent être permanentes (toute pathologie susceptible de menacer la santé du
patient à l’occasion de la saignée, anémie sidéroblastique et
autre anémie centrale non carentielle, thalassémie majeure,
cardiopathies sévères ou décompensées non dues à l’hémochromatose) ou temporaires (anémie par carence martiale
inférieure à 11 g/dl, hypotension artérielle - pression artérielle
systolique inférieure à 100 mmHg -, artériopathie oblitérante
sévère des membres inférieurs, antécédents d’ischémie aiguë
artérielle d’origine thrombotique d’un membre ou d’accident
vasculaire cérébral récents [moins de 6 mois], fréquence cardiaque inférieure à 50 ou supérieure à 100 battements/min,
grossesse, réseau veineux très insuffisant ou inaccessible
[membre supérieur]), la survenue d’une pathologie intercurrente
entraînant une altération de l’état général.
Modalités pratiques de réalisation et de suivi
des saignées
Volume des saignées
Le volume de sang maximal à prélever recommandé varie
avec le poids (7 ml/kg) sans dépasser 550 ml par saignée. Ce
volume doit être adapté à la tolérance du patient, à son âge, à
son état de santé (notamment à sa fonction cardiaque).
Fréquence et durée des saignées
En phase d’induction (correspondant à l’élimination de
l’excès en fer), la fréquence est en règle hebdomadaire mais doit
être adaptée à l’importance de la surcharge en fer et à la
tolérance du traitement, la fréquence pouvant ainsi aller de
deux à quatre saignées par mois. La durée est fonction de
l’atteinte de l’objectif qui est l’obtention d’un taux de ferritinémie de l’ordre de 50 µg/l. En phase d’entretien (correspondant
à l’évitement de la reconstitution de la surcharge), il est
recommandé d’effectuer une saignée régulièrement tous les 2,
3 ou 4 mois (à adapter en fonction des patients) afin de
maintenir la ferritinémie stable vers 50 µg/l. La durée est
théoriquement illimitée, le traitement déplétif ne traitant bien
sûr nullement la prédisposition génétique à la surcharge en fer.
Suivi des saignées
• Au plan de l’efficacité : en phase d’induction, il est recommandé que le contrôle de la ferritinémie soit mensuel (toutes
les quatre saignées) jusqu’à l’atteinte de la borne supérieure
de la normalité, soit 300 µg/l chez l’homme et 200 µg/l chez
la femme. Au-dessous de ces valeurs, un contrôle de la
ferritinémie toutes les deux saignées est recommandé. En
pratique, ces contrôles sont réalisés sur la tubulure en
dérivation de la poche. En phase d’entretien, la ferritinémie
est à contrôler toutes les deux saignées quel que soit l’espacement de celles-ci.
• Au plan de la tolérance : cliniquement, une évaluation est
conseillée comportant au minimum la vérification de la
bonne tolérance de la saignée précédente, de l’absence de
contre-indications pour une nouvelle saignée et un contrôle
de la pression artérielle. Biologiquement, une hémoglobinémie inférieure à 11 g/dl doit conduire à la suspension
transitoire des saignées.
Conseil génétique
Les principales recommandations de la Haute Autorité de
santé (HAS) [49] sont ici rappelées.
N’étant pas autorisé à contacter lui-même les apparentés du
probant, le médecin doit informer personnellement celui-ci sur
la maladie, lui préciser les avantages et les inconvénients d’une
démarche de dépistage pour les membres de sa famille et des
probabilités pour chacun d’entre eux d’être homozygote ou
d’être malade et lui demander d’informer tous les membres
(majeurs) de sa fratrie sur l’opportunité d’entreprendre un
contrôle des marqueurs du fer et du test HFE (mutation C282Y).
Dans la mesure où aucun traitement n’est attendu chez le
sujet mineur, il n’est pas légitime de réaliser chez lui un bilan
génétique. Tout au plus peut-on prévoir vers l’âge de 15 ans un
contrôle du taux de saturation de la transferrine et de la
ferritine. En cas de demande pressante des parents de connaître
le statut génétique de leur(s) enfant(s) mineur(s), il peut être
proposé de génotyper le conjoint du probant (en gardant à
l’esprit, si le probant est la mère, que l’interprétation du résultat
n’est valable qu’en cas de paternité biologique).
Autres hémochromatoses
Seules sont indiquées les particularités de la prise en charge
des surcharges génétiques en fer non liées au gène HFE (Fig. 2).
Lieu des saignées
Hémochromatoses de types 2 et 3
Les saignées peuvent être réalisées en centre hospitalier, dans
un Établissement français du sang, en cabinet médical ou
hospitalier. La prise en charge à domicile :
• peut être proposée en cas d’éloignement du patient d’une
structure de soins habilitée ou à la demande de celui-ci, par
exemple en vue d’une amélioration attendue de son observance ;
• est contre-indiquée en cas d’insuffisance cardiaque ou de
cardiopathie décompensée, de mauvais état général, d’antécédents de malaises à l’occasion de prélèvements sanguins
ayant nécessité l’intervention d’un médecin ;
• concerne essentiellement la phase d’entretien ;
• peut être acceptée en phase d’induction mais uniquement
après que les cinq premières saignées ont été effectuées dans
une des structures de soins précédentes (car les éventuels
problèmes de tolérance générale se situent habituellement au
début de la mise en route du traitement déplétif) ;
• implique une surveillance constante par une infirmière et la
possibilité d’intervention rapide d’un médecin ;
• doit s’accompagner de l’élaboration d’un projet thérapeutique
écrit entre les différents partenaires médicaux et paramédicaux assurant la prise en charge du patient. Le carnet de
suivi, élaboré par la Caisse national d’assurance maladie des
travailleurs salariés (CNAM-TS), constitue à cet égard un outil
pratique.
Les saignées restent la thérapeutique de référence, le recyclage
du fer à partir des zones de stockage se faisant aisément
(puisque la protéine d’export, la ferroportine, n’est pas affectée).
En cas de surcharge massive, comme il est observé dans les
hémochromatoses juvéniles, l’adjonction d’un nouveau chélateur oral du fer, le déférasirox (Exjade®) [50], peut désormais être
considérée afin de raccourcir la phase d’induction.
Hémochromatose de type 4
(maladie de la ferroportine)
Le traitement par saignées peut ici poser problème en raison
de l’altération de la fonction d’export de la ferroportine qui est
responsable d’un recyclage médiocre du fer à partir des sites de
stockage, exposant ainsi les sujets saignés au risque d’anémie. Le
déférasirox pourrait donc être indiqué. Le même problème se
trouve posé, mais avec plus d’acuité, dans l’a- (hypo-) céruloplasminémie où l’existence d’une anémie contre-indique ce
traitement.
■ Conclusion
Le domaine des surcharges génétiques a donc connu dans la
période récente de profonds bouleversements. Le champ des
13. ¶
“
Point fort
La saignée demeure la base du traitement des surcharges
génétiques par insuffisance en hepcidine.
affections en cause s’est élargi et les moyens d’en faire le
diagnostic se sont affinés grâce aux progrès de la biologie et de
l’imagerie. Pour la plupart des entités concernées, la saignée
reste un moyen simple et performant pour éliminer le fer en
excès. Mais les progrès de la compréhension moléculaire de ces
maladies ouvrent désormais, en cas d’hepcidinodéficience, des
perspectives thérapeutiques nouvelles. En effet, en normalisant
le métabolisme du fer par restauration d’une normohepcidinémie, il deviendra possible de prévenir le développement et/ou
la reconstitution de la surcharge viscérale en fer.
Remerciements : Cet article a été réalisé en partie grâce au soutien du contrat
européen EEC FP6 Euroiron1, LSHM-CT-2006-037296 et du Centre de
dépistage des surcharges en fer rares d’origine génétique (Rennes).
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15. 504
SECTION I j Section Title
Roshan Shrestha
Cirrhose
Introduction
La cirrhose et ses complications constituent l’une des 10 principales causes de mortalité aux États-Unis. La
cirrhose du foie est une altération irréversible de l’architecture hépatique, caractérisée par une fibrose diffuse
et des zones de régénération nodulaire. Ces nodules peuvent être micronodulaires (< 3 mm) ou macronodulaires (> 3 mm), ces deux types de structure étant fréquemment présents dans le même foie. Déterminer
l’étiologie n’est souvent pas possible sur base de l’aspect macro- et microscopique du foie cirrhotique. Pour y
parvenir, il faut une démarche minutieuse basée sur l’anamnèse, l’examen physique, des tests biochimiques
et sérologiques et des examens histochimiques avec colorations spéciales.
Étiologie et pathogénie
La relation entre l’abus d’alcool et la cirrhose est bien établie. L’éthanol est hépatotoxique et conduit à la stéatose
hépatique, à l’hépatite alcoolique et finalement à la cirrhose
(figure 64.1). La pathogénie peut différer selon les causes
sous-jacentes de la maladie du foie. En général, une inflammation chronique est en cours, soit en raison d’agents toxiques (alcool et drogue), d’infections (virus de l’hépatite,
parasites), de réactions auto-immunes (hépatite chronique
active, cirrhose biliaire primitive) ou d’une obstruction des
voies biliaires (lithiase du cholédoque, cholangite sclérosante primitive [CSP]) et de l’inflammation chronique
caractérisée récemment causée par une stéatose hépatique
non alcoolique (SHNA) avec développement ultérieur
d’une fibrose diffuse et d’une cirrhose (encadré 64.1).
Tableau clinique
Les patients peuvent être tout à fait asymptomatiques ou
présenter des signes généraux non spécifiques, des symptômes d’insuffisance hépatique, des complications de l’hypertension portale ou les deux.
Les symptômes non spécifiques sont : faiblesse, léthargie, anorexie, perte de poids, douleurs abdominales, perte
de libido, troubles du rythme veille-sommeil, nausées ou
vomissements. Les symptômes spécifiques dus à un dysfonctionnement de la synthèse hépatique et de l’hypertension portale sont : ictère, prurit, coagulopathie entraînant
une tendance aux ecchymoses, rétention hydrique avec
œdème des chevilles, ascite, saignement des varices gastroœsophagiennes responsables d’hématémèse ou de méléna
et symptômes d’encéphalopathie hépatique allant de la
confusion légère au coma.
À l’examen physique, les patients peuvent avoir des stigmates de maladie chronique du foie comme les contractures de Dupuytren, l’érythème palmaire, des angiomes
stellaires, une hypertrophie de la parotide et des contusions. L’examen de l’abdomen peut révéler un foie hypertrophié ou atrophié, une splénomégalie, une ascite ou des
veines superficielles dilatées de la paroi abdominale. Les
patients peuvent montrer des signes de féminisation
(gynécomastie), une atrophie des testicules et une perte des
poils. En cas d’encéphalopathie hépatique, on peut voir
survenir un mouvement de la main comparable à un battement d’ailes, appelé astérixis.
Diagnostic différentiel
L’apparition d’ascite sans antécédents ni stigmates de maladie chronique du foie peut ne pas être secondaire à une
cirrhose ni à une hypertension portale. D’autres causes
sont l’occlusion de la veine porte, un syndrome néphrotique, une entéropathie exsudative, une malnutrition
sévère, un myxœdème, des maladies ovariennes (syndrome
de Meig, goitre ovarien), une ascite pancréatique, une
ascite chyleuse, une ascite néphrogénique, une péritonite
tuberculeuse ou un cancer secondaire.
16. j
Figure 64.1 Cirrhose septale.
Stade stéatosique
de la cirrhose septale
Cirrhose
septale
(de Laennec)
Le diagnostic différentiel pour une hématémèse et un
méléna comprend l’ulcère duodénal, l’ulcère gastrique,
une œsophagite, une gastrite, le syndrome de MalloryWeiss, une hémobilie, un ulcère anastomotique et la maladie de Ménétrier.
Démarche diagnostique
Après une anamnèse et un examen physique complets,
après l’obtention de tous les résultats des analyses de
laboratoire et de la radiologie, des études histologiques
peuvent être nécessaires pour établir le diagnostic de la
cause la plus probable de la cirrhose.
L’hémogramme peut montrer une anémie, une leucopénie ou une thrombopénie. L’hypersplénisme cause à
la fois une leucopénie et une thrombocytopénie. Des
pertes sanguines chroniques et une carence en vitamine A
peuvent causer une anémie. L’allongement du temps de
prothrombine est secondaire à une carence en vitamine K ou à une synthèse déficiente des facteurs de
coagulation.
La biochimie sérique montre souvent un taux élevé de
bilirubine et un taux bas d’albumine. Certains patients
atteints de cirrhose peuvent avoir des concentrations
normales d’aspartate aminotransférase (ASAT) et d’alanine aminotransférase (ALAT). Les ASAT et ALAT sont
augmentées chez les patients atteints d’hépatite autoimmune, d’hépatite virale, d’hépatite alcoolique et d’hépatite médicamenteuse. Chez les patients souffrant d’une
maladie hépatique cholestatique, la phosphatase alcaline,
17. j
Encadré 64.1 Causes de cirrhose
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j
j
j
j
j
j
Infections : hépatite B, hépatite C, éventuellement
d’autres virus, schistosomiase
Médicaments et toxines : alcool, méthyldopa,
méthotrexate, isoniazide, amiodarone
Obstruction des voies biliaires : cholangite
sclérosante primaire et secondaire, fibrose kystique,
atrésie des voies biliaires, lithiase dans le cholédoque
Troubles métaboliques : hémochromatose héréditaire,
maladie de Wilson, déficit en α-1-antitrypsine, fibrose
kystique, glycogénose
Maladies auto-immunes : hépatite chronique active,
cirrhose biliaire primitive
Système cardiovasculaire : insuffisance cardiaque
droite chronique, syndrome de Budd-Chiari, maladie
veino-occlusive
Divers : stéatose hépatique non alcoolique, sarcoïdose,
pontage jéjuno-iléal, hépatite néonatale
Cryptogénique : cause inconnue
la γ-glutamyltransférase et la bilirubine conjuguée sont
habituellement élevées.
Plusieurs autres tests sérologiques sont nécessaires pour
déterminer la cause : sérologie virale de l’hépatite B (Ag HBs),
C (anticorps anti-VHC) et mesures quantitatives de l’ADN
et de l’ARN, respectivement, pour évaluer le degré d’activité ; dosage du fer sérique et analyse du gène HFE, marqueur de l’hémochromatose héréditaire ; dosages du cuivre
dans le sérum et dans l’urine de 24 h ainsi que de la céruloplasmine pour la détection d’une éventuelle maladie de
Wilson ; dosage et génotypage de l’α-1-antitrypsine pour
la recherche d’un déficit en cette protéine. La mise en évidence d’autoanticorps sériques (anticorps antinucléaires,
anti-muscles lisses, anti-mitochondries et anti-microsomes
hépatiques et rénaux) et d’une augmentation du taux d’immunoglobulines sériques peut contribuer au diagnostic des
maladies hépatiques auto-immunes. Des dosages périodiques des marqueurs tumoraux sont indiqués pour le dépistage précoce d’un carcinome hépatocellulaire primitif
pouvant compliquer la cirrhose ; ces marqueurs sont
l’α-fœtoprotéine et la combinaison des antigènes carcinoembryonnaire et CA 19-9. Un suivi pour le dépistage d’un
cholangiocarcinome est recommandé chez les patients
atteints d’une cirrhose compliquant une CSP.
L’imagerie médicale par échographie avec ou sans effet
Doppler, par tomodensitométrie ou par résonance magnétique fournit des informations diagnostiques supplémentaires. Bien que ces examens ne soient pas toujours
nécessaires, ils sont utiles au dépistage du carcinome
hépatocellulaire primitif et du cholangiocarcinome. Ils
fournissent des informations communément associées à la
cirrhose, quelle qu’en soit la cause, et différentes de celles
fournies par les marqueurs tumoraux sériques.
L’examen histologique d’une biopsie hépatique offre
souvent la clé du diagnostic. Dans une cirrhose alcoolique,
on observe des micronodules, une infiltration graisseuse et
les corps hyalins de Mallory. La cirrhose biliaire primitive,
la cholangite sclérosante primaire et secondaire et l’hépatite auto-immune ont des caractéristiques histologiques
typiques. Des colorations spéciales comme le bleu de
Prusse pour le fer et l’acide périodique Schiff avant et après
diastase pour les globules caractéristiques de déficience en
α-1-antitrypsine peuvent confirmer le diagnostic. La biopsie hépatique est nécessaire pour la stadification de la maladie, pour le pronostic et pour le choix du traitement
optimal. On dispose de diverses méthodes non invasives
d’évaluation de la fibrose hépatique par dosage de marqueurs de tissu conjonctif. Cependant, la sensibilité et la
spécificité des marqueurs sériques (acide hyaluronique,
peptide du procollagène de type III, etc.) pour le dépistage
de la fibrose extensive ne sont pas acceptables. La mesure
de la rigidité du foie par élastographie transitoire et sa
corrélation avec la fibrose ont été validées dans l’hépatite
virale et les maladies cholestatiques. On disposerait donc
d’un moyen simple et fiable non invasif et prometteur pour
évaluer le degré de fibrose hépatique. Cependant, son utilité en pratique clinique en remplacement de la biopsie
hépatique reste à prouver.
Soins et traitement
En général, la prise en charge de la cirrhose comprend les
éléments suivants :
• retrait de l’agent causal (par exemple alcool, médicaments) ;
• traitement de la cause spécifique sous-jacente (par
exemple traitement antiviral de l’hépatite virale, prednisone ou azathioprine pour l’hépatite auto-immune,
saignées pour l’hémochromatose, D-pénicillamine ou
trientine pour la maladie de Wilson) ;
• traitement des risques sous-jacents de SHNA (obésité, diabète, hyperlipidémie, médicaments) ;
• traitement de la cirrhose décompensée : ascite, infection, hémorragie digestive, encéphalopathie hépatique, syndrome hépatorénal ;
• transplantation hépatique orthotopique de foie pour
cirrhose décompensée, si le patient est un candidat
approprié.
Ascite
Les patients atteints de cirrhose chez lesquels se développe
une ascite doivent subir une paracentèse abdominale diagnostique (10 à 20 ml). Les indications sont une ascite
d’apparition récente, une aggravation clinique avec de la
fièvre, des douleurs abdominales et des changements dans
l’état mental. Les facteurs de production d’ascite dans la
cirrhose sont : un taux protéique sérique trop faible, un
blocage de la sortie hépatique de la lymphe et l’hypertension veineuse portale. L’ascite peut être légère, modérée ou
sévère selon le volume de liquide accumulé dans la cavité
péritonéale (figures 64.2 et 64.3).
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Figure 64.2 Ascite.
Stade I : démontrable par échographie
Stade II : signe du flot
Stade III :
distension marquée,
angiomes stellaires,
tête de méduse,
émaciation
Stade IV : distension tendue et
douloureuse avec amaigrissement marqué
Traitement optimal
Le traitement initial comporte une restriction de l’apport
de sodium alimentaire et l’utilisation de diurétiques oraux.
Environ 20 % des patients réagissent à la restriction sodique seule. Le sodium est généralement limité à 2 g (90 mEq)
par jour. Les diurétiques incluent la spironolactone et le
furosémide. Plus de 90 % des patients répondent à ce
traitement combiné. La dose de spironolactone maximale
est de 400 mg/j, et pour le furosémide, 160 mg/j.
L’amiloride, 10 à 20 mg/j, est une alternative à la spironolactone s’il ya des effets secondaires comme une gynécomastie sensible.
Environ 10 % des patients atteints de cirrhose ont une
ascite réfractaire au traitement médical de routine, comportant la restriction sodée et le traitement diurétique.
Une paracentèse thérapeutique peut être utilisée avant les
traitements alternatifs comme l’anastomose portosystémique intrahépatique transjugulaire (APIT ou TIPS,
Transjugular Intrahepatic Portal Systemic Shunt) ou l’anastomose péritonéoveineuse. L’APIT est un procédé non
chirurgical relativement sûr qui est efficace dans la réduction de l’hypertension portale. Ce traitement est indiqué
chez les patients cirrhotiques avec ascite réfractaire qui
ont besoin d’une paracentèse thérapeutique plus de 2 ou
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Figure 64.3 Physiopathologie de la formation d’ascite.
Veine cave
inférieure
Veines centrales comprimées et obstruées par la fibrose
et les nodules de régénération, ce qui réduit le flux
de retour veineux
Pression sinusoïdale
élevée
Veine
hépatique
Canal thoracique
La lymphe est évacuée par les lymphatiques
subdiaphragmatiques et péritonéaux dans
le canal thoracique dont la capacité est limitée
Un peu de lymphe
accède au canal
thoracique
Barorécepteurs
sinusoïdaux stimulés
Augmentation de la
formation
de lymphe
Exsudation
transcapsulaire
Veine centrale
Vaisseaux
collatéraux
porto-systémiques
Veine porte engorgée ;
pression augmentée
L’augmentation
du flux
lymphatique
splanchnique
augmente
l’ascite
Lymphe en partie
résorbée par les
lymphatiques
péritonéaux et
subdiaphragmatiques
Si la formation de lymphe dépasse la
réabsorption, l’excès s’accumule dans
la cavité péritonéale sous forme d’ascite
Contribue à la contraction
du volume plasmatique
3 fois par mois. Comparé aux paracentèses répétées,
l’APIT avec placement d’une endoprothèse non couverte
s’avère plus efficace pour empêcher la reconstitution de
l’ascite ; toutefois, une augmentation de l’incidence de
l’encéphalopathie hépatique et de la fréquence de dysfonctionnement de l’anastomose est une complication
sérieuse. Une nouvelle prothèse couverte de polytétrafluoroéthylène pourrait réduire la fréquence des dysfonctionnements et améliorer la survie des patients. L’APIT a
trouvé sa place dans le traitement des patients atteints de
cirrhose avancée en permettant l’attente d’une transplantation hépatique. Si l’APIT est contre-indiquée, on
peut avoir recours à une anastomose péritonéoveineuse
(LeVeen/Denver).
Éviter les erreurs de traitement
Poser un diagnostic approprié avant de lancer le traitement
est essentiel. On devra utiliser les diurétiques avec prudence
et de façon graduelle afin d’éviter un grave déséquilibre
électrolytique et hydrique potentiel ainsi qu’une dysfonction rénale. Pour les patients avec ascite réfractaire, il faudra
peser de manière approfondie les risques et les avantages
d’une anastomose péritonéoveineuse ou d’une APIT.
Hémorragie gastro-intestinale
Le saignement des varices gastro-œsophagiennes est la
complication la plus grave de la cirrhose (voir la figure
64.4).
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Figure 64.4 Aspect endoscopique de varices œsophagiennes montrant des signes d’hémorragie récente.
Traitement optimal
Encéphalopathie hépatique
Si l’on suspecte une hémorragie variqueuse, la prise en
charge nécessite une hospitalisation immédiate afin que
le volume sanguin puisse être restauré et les voies respiratoires protégées d’une hémorragie massive. Si le diagnostic est raisonnablement certain, un traitement à la
somatostatine ou son analogue, l’octréotide, peut être
lancé. Si l’endoscopie confirme la présence de varices
œsophagiennes, le traitement endoscopique avec ligature
ou sclérose des varices est indiqué. On peut ainsi contrôler le saignement aigu des varices chez 80 à 95 % des
patients, un taux de réussite supérieur aux agents
pharmacologiques ou à la tamponnade par ballonnet. Le
risque d’hémorragie variqueuse récurrente est de 50 à
80 %. Les options pour prévenir l’hémorragie variqueuse
récurrente comprennent la ligature ou sclérose endoscopique, des β-bloquants non sélectifs (propranolol, nadolol), des anastomoses chirurgicales, une APIT et une
transplantation hépatique.
L’APIT est une des thérapies les plus prometteuses
pour le contrôle d’une hémorragie variqueuse aiguë.
Son objectif est de ramener le gradient veineux hépatique à moins de 12 mm Hg et de diminuer ou de faire
disparaître l’opacification des varices par le produit de
contraste. L’APIT est réservée aux patients qui résistent
à un traitement endoscopique combiné à la pharmacothérapie ou qui ont une hémorragie grave et aiguë des
varices gastriques. Le taux de réussite technique et de
contrôle de l’hémorragie variqueuse aiguë excède 90 %
(figure 64.4).
L’encéphalopathie hépatique se manifeste par une constellation de signes et symptômes neurologiques réversibles
compliquant une insuffisance hépatique grave ou une
anastomose portosystémique importante. La pathogénie
de l’encéphalopathie hépatique reste floue. Elle est partiellement imputable à des composés toxiques qui dérivent du
métabolisme de substrats azotés intestinaux et qui contournent le foie par une anastomose anatomique et fonctionnelle. Les quatre stades de l’encéphalopathie hépatique
sont définis sur base de l’état mental et des signes neurologiques :
• stade 1 : légère confusion et incoordination ;
• stade 2 : astérixis avec changements évidents de personnalité ;
• stade 3 : somnolence et désorientation au réveil ;
• étape 4 : coma.
Les facteurs précipitants sont le plus souvent la détérioration de la fonction hépatique, une hémorragie gastrointestinale, une consommation excessive de protéines ou
d’alcool, la prise d’un sédatif ou d’un hypnotique, une
intervention chirurgicale, un hépatome, une infection, la
déshydratation, un déséquilibre électrolytique (hypokaliémie), la constipation et la réalisation d’une anastomose
chirurgicale ou d’une APIT.
Éviter les erreurs de traitement
En cas d’hémorragie gastro-œsophagienne, la morbidité et
la mortalité sont élevées ; ces patients à haut risque requièrent une prise en charge urgente permettant une réanimation énergique et les interventions thérapeutiques
adéquates. Il faut notamment protéger les poumons par
une assistance respiratoire afin d’éviter la pneumonie d’aspiration chez des patients agités et victimes d’une hémorragie massive.
Traitement optimal
La prise en charge commence par l’identification et la correction de tout facteur déclenchant, la restriction alimentaire en protéines à 40 g/j et l’administration de lactulose.
Des antibiotiques pour décontaminer l’intestin, comme la
néomycine, le métronidazole, l’amoxicilline et la rifaximine,
peuvent être ajoutés, si le régime alimentaire et le lactulose
n’ont pas suffi ou si le patient est intolérant au lactulose. La
rifaximine, un antibiotique non aminoglycoside dérivé de
la rifamycine, est de plus en plus utilisée, car elle n’est pas
absorbée par l’intestin, ce qui élimine la toxicité potentielle
propre aux autres antibiotiques (insuffisance rénale, ototoxicité et neuropathie périphérique), et elle est active sur
21. j
un large spectre de bactéries. Les patients atteints
d’encéphalopathie hépatique grave et qui résiste au traitement nécessitent une transplantation hépatique d’urgence.
Éviter les erreurs de traitement
L’identification correcte des facteurs déclenchants est la clé
du traitement de l’encéphalopathie hépatique. Afin d’assurer une efficacité optimale du lactulose, il faut expliquer au
patient et aux membres de sa famille comment bien l’utiliser. Si les consignes thérapeutiques sont respectées, les
effets secondaires potentiels seront évités. Si l’on recourt
à des antibiotiques résorbables, il faut les administrer avec
prudence afin de prévenir leurs effets toxiques potentiels.
Syndrome hépatorénal
Le syndrome hépatorénal est une forme distincte d’insuffisance rénale aiguë progressive qui se développe chez un
patient atteint de cirrhose et chez lequel toutes les autres
causes de dysfonctionnement rénal ont été exclues. Il s’agit
d’un type fonctionnel d’insuffisance rénale. Si la maladie
du foie s’améliore, la fonction rénale redevient normale.
La pathogénie du syndrome hépatorénal est inconnue. Sa
probabilité en cas de cirrhose est d’environ 20 % en 1 an
et de 40 % en 5 ans. L’hyponatrémie et l’urémie sont
caractéristiques. La concentration urinaire de sodium est
inférieure à 10 mEq/l. Le sédiment urinaire est sans particularité. D’autres constatations importantes sont, d’une
part, un rapport des taux de créatinine dans l’urine et le
plasma supérieur à 30 et, d’autre part, un rapport d’osmolalité dans l’urine et le plasma supérieur à 1.
Traitement optimal
Lors de la prise en charge d’un syndrome hépatorénal, il
faut d’abord exclure les causes spécifiques d’insuffisance
rénale (par exemple une nécrose tubulaire aiguë, une azotémie extrarénale par déplétion du volume intravasculaire,
une néphrotoxicité médicamenteuse ou une maladie rénale
chronique préexistante). Un traitement de substitution
rénale doit être envisagé chez les candidats potentiels à une
transplantation hépatique. Parmi les thérapies expérimentales, on peut citer la prostaglandine E1, la dopamine, la
terlipressine, l’anastomose péritonéoveineuse et l’APIT.
Éviter les erreurs de traitement
Le syndrome hépatorénal a une mortalité élevée, et la
transplantation hépatique peut inverser le syndrome. Par
conséquent, une évaluation rapide et complète du patient
afin de planifier une transplantation hépatique est importante lors de sa prise en charge.
Transplantation hépatique
Traitement optimal
La transplantation hépatique n’est plus expérimentale ; elle
est considérée comme le traitement optimal pour les
patients atteint de cirrhose avancée. Avec une technique
chirurgicale améliorée et de meilleurs médicaments immunosuppresseurs, cette thérapie a un taux de succès remarquable en cas d’insuffisance hépatique terminale ; la survie
à long terme atteint près de 90 % et procure une excellente
qualité de vie. Malheureusement, l’écart entre le nombre
des donneurs décédés et celui des bénéficiaires continue à
se creuser.
La transplantation hépatique à partir d’un donneur
vivant (THDV) est pratiquée par de nombreux centres de
transplantation dans le monde. D’abord utilisée chez un
enfant en 1989, la THDV est devenue une alternative
viable pour les receveurs pédiatriques. Au cours des
10 dernières années, la THDV a été appliquée avec succès
chez les adultes, avec des survies du greffon et du patient
similaires à celles de la greffe de foie de donneur décédé.
Le facteur limitant est la disponibilité des donneurs adéquats. Avec une sélection appropriée du donneur et du
receveur, le perfectionnement de la technique chirurgicale
et une expérience accrue, la THDV pourrait donner des
résultats supérieurs. Environ 5 à 10 % des greffes hépatiques aux États-Unis ont fait appel à des donneurs
vivants.
Éviter les erreurs de traitement
La transplantation hépatique est le seul traitement définitif
dans la cirrhose décompensée. Environ 18 000 patients aux
États-Unis sont sur la liste d’attente du United Network
of Organ Sharing et le nombre augmente de 25 % par an,
alors que, chaque année aux États-Unis, l’on ne peut effectuer que 5000 à 6000 transplantations de foie à partir de
donneurs décédés en raison de la longueur de la liste d’attente ; il est donc capital de choisir minutieusement les
receveurs.
Futures directions
D’importantes améliorations dans les techniques de diagnostic permettent maintenant un diagnostic plus précoce
des maladies chroniques du foie. L’amélioration des agents
pharmacologiques, notamment des médicaments antiviraux (hépatites B et C), contribuera à prévenir la progression vers la cirrhose.
La transplantation hépatique est une option très efficace
dans le traitement d’une cirrhose avancée. Les hépatocytes,
les cellules souches et la xénotransplantation pourraient
fournir d’autres options thérapeutiques dans le traitement
de la maladie hépatique au stade terminal.
Ressources supplémentaires
Rossle M, Haag K, Ochs A, et al. The transjugular intrahepatic portosystemic stent-shunt procedure for variceal bleeding. N Engl J Med
1994 ; 330 : 165-71. PMID : 8264738.
C’est l’un des premiers articles publiés sur l’usage de l’APIT pour le traite
ment de l’hémorragie variqueuse. Il décrit la technique et montre le succès du
procédé.
22. j
Runyon BA. Care of patients with ascites. N Engl J Med 1994 ; 330 :
337-42. PMID : 8277955.
L’auteur propose une revue exhaustive des traitements subis par les patients
avec ascite.
Starzl TE, Demetris AJ, Van Thiel D. Liver transplantation (1). N Engl
J Med 1989 ; 321 : 1014-22. PMID : 2674716.
Starzl TE, Demetris AJ, Van Thiel D. Liver transplantation (2). N Engl
J Med 1989 ; 321 : 1092-9. PMID : 2677722.
Ces deux articles fournissent la documentation originale sur les succès de la
transplantation hépatique chez les patients atteints de maladie du foie à un
stade terminal.
Stiegmann GV, Goff JS, Michaletz-Onody PA, et al. Endoscopic sclerotherapy as compared with endoscopic ligation for bleeding esophageal
varices. N Engl J Med 1992 ; 326 : 1527-32. PMID : 1579136.
Ceci est l’un des principaux articles décrivant deux techniques endoscopiques
différentes dans le traitement des hémorragies des varices œsophagiennes. Les
auteurs démontrent la supériorité de la ligature endoscopique, qui permet
également de diminuer les complications possibles du traitement endoscopique.
Données probantes
1. Garcia-Tsao G. The transjugular intrahepatic portosystemic shunt
for the management of cirrhotic refractory ascites. Nat Clin Pract
Gastroenterol Hepatol 2006 ; 3 : 380-9.
Cette revue décrit la physiopathologie et l’utilité de l’APIT chez les
patients ayant une ascite réfractaire. Elle rassemble toutes les études cli
niques pertinentes.
2. Rector WG Jr. Complications of liver disease. Saint Louis : MosbyYear ; 1992.
Ce livre décrit toutes les complications potentielles des maladies hépa
tiques ; il s’avère très accessible.
3. The Organ Procurement and Transplantation Network Website.
Accessible à http://www.optn.org. Consulté le 14 août 2006.
Ce site fournit des informations sur toutes les activités liées à la trans
plantation, y compris les données provenant des centres de transplantation,
des régions et du pays tout entier.
24. ¶
■ Physiopathologie
La fibrose hépatique (dont la forme la plus sévère est la
cirrhose) est due au dépôt de matériel fibreux dans le parenchyme hépatique, par augmentation de la production et du
dépôt des protéines de la matrice (fibrogénèse) et diminution de
la dégradation de ces protéines (fibrolyse).
Au stade de cirrhose, on observe les conséquences décrites
ci-après.
Insuffisance hépatocellulaire (IHC)
Due à la diminution de la masse fonctionnelle des hépatocytes (nécrose) et à la modification de la vascularisation qui gêne
les échanges entre hépatocytes et système vasculaire, elle se
traduit par une baisse des fonctions hépatiques de synthèse,
parfois associée à une atteinte des fonctions d’épuration et de
sécrétion biliaire (cholestase d’insuffisance hépatocellulaire).
Hypertension portale (HTP)
Les changements de l’architecture hépatique et la compression des veines sus-hépatiques par les nodules de régénération
entraînent une gêne au passage du sang à travers le foie,
responsable d’une augmentation de la pression dans le système
de la veine porte. On observe l’apparition d’un gradient de
pression entre la veine porte et la veine cave, qui a pour
conséquences possibles l’apparition d’une splénomégalie et la
formation de voies de dérivations anormales (shunts) entre les
systèmes porte et cave. Les varices œsophagiennes et gastriques
sont les plus redoutables. Ces shunts permettent à une partie du
flux sanguin venant du tube digestif d’atteindre directement la
circulation générale sans passer par le foie, avec comme
conséquences le risque accru d’encéphalopathie hépatique et la
diminution du métabolisme de certains médicaments.
Ascite
L’association de l’HTP et de l’IHC entraîne une vasodilatation
artérielle splanchnique responsable d’une hypovolémie efficace
et, secondairement, de l’activation des systèmes rénineangiotensine-aldostérone, vasoconstricteurs du système nerveux
sympathique et du système vasopressine-hormone antidiurétique. D’où une rétention hydrosodée qui vise à corriger l’hypovolémie relative.
Dans un premier temps, la volémie efficace est restaurée et la
cirrhose reste compensée. Si l’IHC et l’HTP s’aggravent, il y a
persistance de l’activation excessive des systèmes compensateurs : la rétention hydrosodée se majore et se localise préférentiellement au péritoine ; la cirrhose se décompense.
La physiopathologie de l’ascite cirrhotique permet de comprendre la mauvaise tolérance et l’efficacité très limitée du
régime pauvre en sel et des diurétiques. Seule l’amélioration de
l’état hépatique, permise par le sevrage, est réellement efficace.
Encéphalopathie hépatique
C’est une encéphalopathie métabolique sans lésion cérébrale
organique, dont les mécanismes sont mal connus. On suppose
une arrivée au niveau du cerveau de substances neurotoxiques
non épurées par le foie.
■ Histoire naturelle de la cirrhose
alcoolique et données
épidémiologiques
Le risque de survenue d’une maladie alcoolique du foie (MAF)
chez un consommateur excessif d’alcool est variable selon les
individus [1]. Globalement, il apparaît à partir de la consommation de 4 unités standard (40 g d’alcool) par jour chez l’homme
et 3 chez la femme. Le risque relatif augmente de façon
exponentielle avec la quantité consommée, quel que soit le type
de boissons. Cependant, moins d’un tiers des consommateurs à
risque évoluent jusqu’à la cirrhose. À quantité égale, le fait
d’être une femme, l’obésité [2] et bien sûr l’association à une
hépatite virale, en particulier C [3] , augmente le risque de
développer une cirrhose. Récemment, il a été démontré qu’un
variant du gène PNPLA3 était très significativement associé à la
survenue d’une cirrhose chez un patient buveur excessif [4].
Le premier stade de la MAF est la stéatose, accumulation de
vésicules de triglycérides dans les hépatocytes. Puis apparaît
l’hépatite alcoolique, définie par l’apparition de lésions hépatocytaires (ballonisation, nécrose acidophile), d’un infiltrat
inflammatoire caractérisé par la présence de polynucléaires et,
inconstamment, par des corps de Mallory [5] . Ces lésions
anatomopathologiques, le plus souvent asymptomatiques, ont
pour traduction biologique une augmentation des transaminases, modérée et prédominant sur les aspartates aminotransférases (ASAT), et une augmentation importante de la gammaglutamyl transférase (cGT), contrastant avec des phosphatases
alcalines (PALC) quasi normales [6]. Stéatose et hépatite alcoolique peuvent ou non s’accompagner de l’apparition d’une
fibrose cicatricielle, qui évolue en quatre stades, le dernier
correspondant à la cirrhose. Une fois installée, la cirrhose est
classiquement irréversible. En fait, il a été décrit des cas de
réversion, lorsque la cirrhose a été diagnostiquée précocement,
sur une biopsie hépatique, et que le facteur étiologique a été
pris en charge de façon efficace, en particulier hépatite C [7] ou
surcharge en fer [8].
Il est important de différencier la cirrhose compensée,
asymptomatique, de la cirrhose décompensée, qui est définie
par l’apparition de complications dont les plus fréquentes sont
l’ascite, l’hémorragie digestive, l’encéphalopathie ou le carcinome hépatocellulaire. La cirrhose compensée s’installe progressivement et surtout insidieusement. Elle est découverte
fortuitement ou lors du bilan d’un mésusage d’alcool. Si le
patient revient à une consommation sans risque, elle reste non
compliquée, compatible avec une espérance de vie prolongée, le
patient étant toutefois soumis au risque de carcinome hépatocellulaire (CHC).
En cas de persistance de l’intoxication alcoolique, la cirrhose
se décompense de façon volontiers brutale, révélant souvent la
maladie hépatique. Les tableaux classiques sont, autour de la
cinquantaine, la décompensation œdématoascitique avec ou
sans ictère, déclenchée par une hépatite alcoolique ou une
infection, ainsi que l’hémorragie digestive par rupture de varices
œsophagiennes ; et à un âge plus tardif, la révélation d’une
cirrhose auparavant méconnue par un CHC.
Le taux de survie à 5 ans des patients présentant une cirrhose
alcoolique compensée est de 50 %, il est meilleur en cas de
sevrage [9]. Après une décompensation, le retour à une cirrhose
compensée est fréquent en cas d’abstinence prolongée. Mais
souvent, l’évolution se fait par poussées en fonction des
rechutes alcooliques, avec évolution vers l’aggravation progressive et le décès (par coma hépatique, hémorragie ou CHC).
Rarement, l’aggravation se fait d’un seul tenant vers le décès
malgré le sevrage. La survie après une première décompensation
sévère de la cirrhose alcoolique est de l’ordre de 30 % à 1 an, la
persistance ou non de la consommation d’alcool étant le facteur
pronostique le plus important [10].
En France, la prévalence estimée de la cirrhose est de 150 000
cas, dont un tiers asymptomatiques et méconnus, et la mortalité
annuelle de 10 000 à 17 000. La consommation excessive
d’alcool est responsable de 70 % à 75 % des cas, associée dans
10 % des cas à une hépatite virale C.
“
Point important
La cirrhose est une complication inconstante de la
consommation chronique excessive d’alcool, qui peut
survenir à partir de 4 unités standard (40 g d’alcool pur)
chez l’homme et 3 chez la femme.