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Séminaire du groupe « Gilles Châtelet » consacré au diagramme - Janvier
2011
Université de Paris VIII
Peter Eisenman et "l’archi-machine" diagrammatique
Alexis Meier-Destouches
Qui est Peter Eisenman ?
Peter Eisenman est né en 1932 aux Etats-Unis, il a donc 79 ans. Il est
diplômé en architecture de l’Université de Cornell et de Colombia et est diplômé
depuis 1963 en philosophie ou plus précisément en « Theory of Design » de
l'Université de Cambridge en Angleterre. En 1967 à New York P. Eisenman
fonde l'Institut for Architecture and Urban Studies. Il ouvre son agence
d’architecture en 1980 également dans cette ville. Il a publié de nombreux
essais, articles et livres dont les plus marquantes sont : Houses of Cards, cities of
artificial Excavation, et plus récemment, Diagram Diaries. Il est coauteur, avec
Jacques Derrida, du livre Chora L Works qui retrace les étapes de leur travail
commun à l’occasion du concours pour l’aménagement du parc de La Villette en
1987. Depuis l’ouverture de son agence Eisenman a développé plus d’une
centaine de projets. De nombreux seront lauréats de concours, mais tous ne
seront pas construits. Il a remporté et construit récemment plusieurs projets
importants dont le Mémorial pour les Juifs d’Europe assassinés qui a été achevé
à Berlin en mars 2005, ainsi que la « La cité Culturelle de Galicie à Saint
Jacques de Compostelle» en Espagne qui à a ouvert ses portes en 2011.
Que veut faire ou démontrer Peter Eisenman au travers de sa théorie et de
sa pratique ?
Peter Eisenman tente d’instaurer un système de conception architecturale
en dehors des présupposés théocentriques (religieux) et anthropocentriques
(humanistes) véhiculés par le classicisme et le fonctionnalisme. L’architecture
n’est plus, selon lui, réductible à une forme idéalisée de la structure de l’univers
ou de la nature. Il propose une lecture des œuvres architecturales, différentes des
approches traditionnelles fondées sur le type, le style et la fonction du bâtiment.
Il met en lumière un principe d’organisation de l’espace plus abstrait et plus
fondamental que l’on peut qualifier de structure autonome ou « profonde » de
l’architecture. La mise en avant de cette autonomie ce fera sous le label d’une
théorie : le Post-functionalisme, dont il écrivit les principes dans un texte célèbre
en 19761.
1

“Post-Functionalism”, Opposition, New-York : The Institute for Architecture and
Urban Studies, 1976, n°6. I-III, (Edito.)

1
Qu’est ce que cela signifie ?
En architecture, comme dans le langage on constate que souvent, la
présence d’un logos a commandé l’émergence et l’organisation des formes
entres-elles. Par exemple, la période fonctionnaliste a récemment attribué aux
formes architecturales le rôle d’idéaliser la fonction dans leur forme. Comme si
la performativité fonctionnelle était l’idéale d’une société que l’architecture
devait illustrer par des formes épurées symbolisant l’économie de moyen. La
forme sensible et matérielle de l’architecture est soumise à son interprétation
idéologique et toute l’architecture se trouve résumée à cette phrase : « form
follow function ». C’est précisément tout ce que sous entend cette phrase que le
« Post-functionalisme » de Peter Eisenman va tenter d’inverser ou de contester.
Comment va t-il procéder ?
Pour combattre ce présupposé « logocentrique » sur lequel la tradition
architecturale s'est fondée, Peter Eisenman va utiliser consécutivement deux
grandes théories « contestataires » de la philosophie du langage. L’une issue de
la grammaire générative de Noam Chomsky en développant des procédés
syntaxiques combinatoires et l’autre dérivée de la pensée de la déconstruction du
philosophe Jacques Derrida en rapprochant les notions de traces et de textes des
notions de signes et d’objets d’architecture. La première correspond à une phase
de travail qui s’étend de 1967 à 1975 et s’intitule les transformations et la
seconde de 1975 à 1988 se qualifie comme la phase de décomposition.
La phase de transformation comme celle de la décomposition sont énoncés
comme des procédés de "libération" de la conception en architecture. Elle
peuvent se comparer à ce qui s'est passé dans le domaine des arts plastiques
quinze années plus tôt. Il s’agissait de mettre en avant l’autonomie de l’oeuvre
en déterminant l’objet artistique comme un objet auto-référentiel, c'est-à-dire ne
renvoyant qu’à lui même et à sa propre logique d’organisation et non pas
uniquement commandé par des contingences extrinsèques à l’ouvrage.
Chez Eisenman, ceci a donné lieu à une première série de projets que l’on
appelle la série des maisons. Elles sont numérotées de I à 12. Elles sont parfois
construites et parfois de pures conjectures théoriques, le projet tenant alors lieu
de manifeste. Dans cette phase, le bâtiment n’est pas défini comme un objet
esthétique, mais comme un ensemble de structures, de relations objectives
permettant l’accès à un système universel de communication entre les formes et
les hommes rappelant la « Structure profonde » de la grammaire générative de
Chomsky.
La structure profonde se conçoit comme une strate qui commanderait
l’organisation des phonèmes et des graphèmes, c’est-à-dire les sons et les signes
qui constituent le vocabulaire et les phrases d’une langue et que l’on nomme dès
lors « structure de surface ». Il s’agit d’essayer de démontrer que la constitution
du sens d’une phrase ne repose pas entièrement sur l’usage sémantique que les
2
lettres et les syllabes véhicules (enchainement intelligible), mais que ce sens
n’est possible que selon un enchaînement de signes graphiques entre eux selon
une logique « profonde », qui conditionne à son tour l’organisation de la forme
sensible.
Transposer en architecture, la conséquence est importante car Peter
Eisenman tente de prouver que la manifestation du sens dans et par l’espace
n’est pas limitée par le mode habituel, linéaire et causal de la conception corrélé
aux besoins fonctionnels ou symboliques de l’homme. Peter Eisenman va dès
lors repenser la structure d’organisation des « phrases » architecturales de
surface, en érodant les structures d’organisations architecturales précédentes ; en
créant une « zone de travail » ouverte et expérimentale un sein même du
processus de conception architecturale. De part sa logique processuelle, ce "jeu"
de réactualisation et de manipulation des structures est un « jeu »
diagrammatique. Il s’agit, en quelque sorte, de rendre opérant sa critique
adressée aux fondements métaphysiques de l’architecture dans la fabrication
même du projet.
Le fait, pour cet architecte, d’aller convoquer la linguistique structurale et le
diagramme pour repenser le projet d’architecture n’est pas un caprice de l’esprit.
Il répond à la volonté d’affirmer une hypothèse « critique » qui va selon lui
ébranler toute la logique traditionnelle de conception de l’architecture. Comme
le souligne Gilles Deleuze à propos du travail "diagrammatique" chez Francis
Bacon, le jeu diagrammatique Eisenmanien est également un "jeu" militant.
C’est-à-dire, une possibilité de démontrer, à partir de processus expérimentaux
diagrammatiques, que le sens de la spatialité architecturale peut également se
déterminer à partir d’axiomes relatifs à la constitution de la forme elle-même, la
structure profonde d’organisation de la forme et pas uniquement comme une
adaptation des usages ou des idées issus des besoins fonctionnels et culturels de
« l’homme ». Concrètement, Peter Eisenman remplace le programme
fonctionnel qui décrit les usages par un programme formel (processus
diagrammatique) établissant les instructions à suivre pour générer l’objet. Le
diagramme chez Peter Eisenman devient une « machine » faite pour produire
une nouvelle écriture architecturale, ou plutôt d’une nouvelle syntaxe
commandée à partir d’une mutation de la structure du signe architecturale et non
pas à partir d’une mutation de la forme. Cette nouvelle stratégie d’écriture doit
produire de nouvelles conditions pour la relation entre les différents éléments
d’un système d’expression architecturale : « le diagramme tente de vaincre le
désir initial du sujet d’utiliser le signifiant dans le sens de la communication. Le
diagramme le lui permet en produisant un jeu de connexions arbitraires au
signifié qui induit une séparation du lien (déjà) « motivé » entre forme et
fonction et entre forme et signification »2.
2

Peter Eisenman : The diagram and the becoming unmotivated of the sign , Diagram Diaries,
Thames & Hudson, London, 1999, p. 213.

3
En pratique, Peter Eisenman manipule souvent (combine et transforme) des
motifs syntaxiques (grille, trame, contour, etc..), pour obtenir par différence un
réseau « inédit » (unexpected) déterminant le système d’inscription du bâtiment.
Peter Eisenman fait le pari que les propriétés itératives de ce nouveau réseau,
« texte » ou tissage spatial, les répétitions des pleins et des vides sont telles que
l’usager expérimente une nouvelle condition du présent, donnant à nouveau une
temporalité « singulière » à l’œuvre (la presentness), à chaque « coup ». La
"présence" en architecture sera donc en théorie et en pratique, « différée » par
une « archi-trace » diagrammatique opérant sur des traces : « Auparavant, les
formes de l’architecture étaient toujours reliées à une fonction (une colonne a
toujours une forme et une matière déterminée) et donc une signification. Mon
idée initiale dans l’utilisation du diagramme était que le substrat de la forme, ici
relatif à son intériorité, pouvait être détaché de la justification programmatique.
C’est ce qu’Yves-Alain Bois et Rosalind Krauss ont dénommé ; le besoin de
préserver la singularité des objets en les coupant de leur mode de légitimité
antérieure »3. Autrement dit, le jeu d’opposition réglée qui structure les schèmes,
les rapports entre le fond et la forme, le dehors et le dedans, le dessus et le
dessous, le bâti et la circulation, l’espace public ou privé, le principale et le
supplémentaire, etc.., sont transformés, même “transmutés”, puisque
P.Eisenman utilise souvent des traces d’architecture antérieures, jusqu’à ce que
le système soit déconstruit. L’architecture se définit ici comme libre
d’enchaînement, de « différerantiation » tel un texte, vers d’autres formes
d’organisations, de sens et de significations. Ce jeu « différentiel » (de
différentiation et de répétition) est le travail du diagramme selon Eisenman :
« C’est l’idée de la trace qui est important pour n’importe quel concept du
diagramme, parce que, à l’opposé du plan, les traces ne sont jamais des
présences complètement structurales, ou des signes motivés. Les traces
suggèrent plutôt des relations potentielles, qui peuvent générer ou émerger des
figures précédemment refoulées ou inarticulées. Mais ces traces en elles-mêmes
ne sont pas génératives, transformatrices ou même critiques. Un mécanisme
diagrammatique est nécessaire pour permettre à la fois la conservation et
l’effacement et pour simultanément révéler au refoulement la possibilité de
générer des figures architecturales alternatives qui contiennent ces traces. »4
Evolution des diagrammes
Jusqu’en 1988, les processus de conception comprenant des diagrammes
sont réalisés manuellement. L’emploi de l’ordinateur comme outil de recherche
diagrammatique dans les projets (1988), ressemble d’abord à une « machine »
graphique qui comme les précédents projets enregistre les traces d’une activité
logique invisible. Les tracés manuels des transformations de séries de cubes à
3
4

Eisenman, Diagrams of Anteriority , Diagram Diaries, op. cit, p. 37.
Eisenman : « Diagram : An Original Scene of Writing », op. cit, p. 34.

4
partir de combinaisons géométriques deviennent des matrices digitales
enregistrant des opérations de transformations sur des volumes. À partir de
1990, l’évolution rapide de la modélisation digitale et des possibilités illimitées
de déformations que cela permet, conduit l’utilisation de l’ordinateur à devenir
une sorte d’outil d’investigation diagrammatique.
Après une longue série de projets basés sur des déformations de trames ou
de volumes le diagramme intègre à partir de 1997-98, des processus
algorithmiques. La machine abstraite devient littéralement une « machine »
numérique programmable. C’est la fin du diagramme « artistique » et de
« l'indécidable » Deleuzien et le début de la « naissance » assistée par ordinateur
des « Blobs »5 de Greg Lynn. Une ère « d’écriture technologique » commence
que l’on nomme aujourd'hui la computation.
Pour résumer, P. Eisenman développera donc de nombreuses formes de
diagrammes, chacune ayant des vertus critiques spécifiques. Examinons
maintenant plus particulièrement une période celle des « Cités de l’excavation
artificielle » et du « Scaling diagram ». Comme pour les procédés
diagrammatiques antérieurs et postérieurs, la logique des manipulations
conduira à essayer de faire fonctionner une posture critique par l’organisation de
la forme dans l’espace en essayant d’échapper à l’effet de « symbolisation » et à
l’expressionnisme.

5

Voir G. Lynn, H. Rashid, The Embryologic House in Architectural Laboratories, NAI-Publishers,
Pays-bas, 2003

5
La ville : combinatoire et superpositions, le « Scaling » et la période
excavatrice
Pour suivre cette visée « générative » et « libératrice », P.Eisenman
conceptualisera ici le diagramme à l’image de l’appareil psychique Freudien,
lui-même défini par Derrida, comme un dispositif de production et d’effacement
de traces qui permet aux « figures » refoulées par le système traditionnel de la
conception architecturale d’être (potentiellement) libérées : « Le processus est
comme le travail du rêve chez Freud, fait de condensation et de déplacement,
déplacement dans le jeu des échelles, condensation par la superposition »6.
Comme nous l’avons précédemment décrit au plan théorique, l’« archioutil » pour la mise en œuvre de cette « thérapeutique architecturale » en érodant
les structures aux travers desquelles on conçoit et perçoit habituellement l'espace
est, le diagramme. Le diagramme devient ici un appareil à « archi-trace » qui
permet de faire à l’architecture, comme à un analysé, un « travail » sur ellemême, que l’usager doit déchiffrer pour éprouver un « autrement » de
l’architecture : « Les traces « dira-il » suggèrent plutôt des relations potentielles,
qui peuvent générer ou faire émerger des figures précédemment refoulées ou
inarticulées. Mais ces traces en elles-mêmes ne sont pas génératives,
transformatrices ou même critiques. Un mécanisme diagrammatique est
nécessaire pour permettre à la fois la conservation et l’effacement et pour
simultanément révéler au refoulement la possibilité de générer des figures
architecturales alternatives qui contiennent ces traces »7. P.Eisenman ira même
jusqu’à emprunter le titre du célèbre texte de Derrida sur Freud, « Freud et la
scène de l'écriture » pour son article « cadre » sur le diagramme : « Diagram: an
original scene of writing ».
Reprenant ici la lecture de Michel Foucault par Gilles Deleuze, il
instrumentalise le concept de diagramme comme outil capable de faire et de
défaire de nouveaux énoncés architecturaux, à partir des strates antérieurement
constituées. Il extrait de cartes anciennes un certain nombre de formes qu’il
soumet à un processus diagrammatique qu’il nomme le Scaling.
Ici, selon un scénario établi en rapport avec le lieu ou le programme de son
projet, non seulement il rejette les méthodes traditionnelles de conception
fondées sur les liens de causalité entre l’intention architecturale et la forme
définitive du bâtiment, mais il abandonne également le langage autoréférentiel et
abstrait de ses premières maisons pour trouver un nouveau champ d'écriture.
Ce procédé « diagrammatique » entend alors mettre en œuvre la fiction
« excavatrice » de la conscience refoulée de la forme urbaine par un « jeu »
6

Peter Eisenman, « Choral Works ‒ Parc de la Villette », Peter Eisenman / Eisenmanamnesie A + U,
1988 Aout, Extra Edition, p. 137.
7
Peter Eisenman : Diagram : An Original Scene of Writing , Diagram diaries, op. cit, p.32.

6
d’échelle et de super-impositions complexes entre différents motifs graphiques.
Le diagramme reste ici, sur un plan théorique et pratique l’instrument d'une
«négociation» infinie de traces aussi bien matérielles que psychiques.
Reprenant la veine contestataire, ce processus diagrammatique fondé sur la
notion d’échelle différentielle d'espace et de temps est décrit par P.Eisenman
comme pouvant déstabiliser les trois concepts « métaphysiques » principaux par
lequel s’établit la logique traditionnelle de la conception architecturale. Ce
processus de « scaling » se subdivise en trois temps. La discontinuité, la
fragmentation des figures qui rompt avec l’idée de présence et d’unité, la
récursivité qui vise à supprimer par récurrence mathématique la primauté de
l’origine et enfin l’auto-reproduction (self-similarity), la prolifération de formes
semblables mais non identiques, qui a pour objectif l’abolition de l’échelle
humaine. Elle nie le principe d’un objet esthétique représentationnel et unitaire8.
Ces trois principes interdépendants9 prolongent le modèle d’organisation de
l’architecture « non-classique », énoncés dans son programme « postfunctionalism ». Un projet célèbre basé sur le Scaling a failli voir le jour à Paris
lors du concours pour le Parc de La Villette » en 1986 ou (Chora L Works) où
l’architecte à directement travaillé avec Jacques Derrida pour en établir la
stratégie.
Peter Eisenman établit son plan de masse du projet à partir de volume issu
d’une superposition de couches, un palimpseste ou se sédimentent divers tracés
urbains réels et fictifs. Comme excavés par une grille abstraite, on retrouve dans
les blocs un mélange de traces des anciens abattoirs de la Villette, le projet de
Bernard Tschumi ou un ancien projet d’Eisenman pour Venise (Canarregio) luimême basé sur le projet de Le Corbusier pour Venise : « On entend résonner
différents textes. Ceux-ci s’ajoutent, se superposent, se sur-impriment l’un dans
l’autre, sur ou sous l’autre, selon une topologie apparemment impossible, nonreprésentable, à travers une paroi. Une paroi invisible, certes, mais audible dans
la répercussion interne de plusieurs couches sonores »10. Le système de
superposition des strates et des prélèvements qui y sont opérés constitue tout le
« jeu » diagrammatique du projet de la Villette. Agglomérant ou effaçant des
traces tel « un porte empreinte » sélectif et invisible, le jeu devient un peu une
métaphore de la Khora platonicienne, c’est-à-dire l’entre-deux infini des
possibilités de la forme et de la matière.
Comme lorsque le rêve "travail", une zone « trouble » ou profonde de
l’architecture est alors sublimée, décryptée et mise en œuvre : « Hors cette
structure de palimpseste non-totalisable qui puise dans l’un de ses éléments la
ressource des autres […] et fait de ce jeu de différences internes (échelle sans
8
9

Cf., Peter Eisenman, Eisenmanesie Architecture + Urbanism, Extra ed. (Août 1988): 70.

Pour le détail de ces opérations de Scaling on peut se référer à « Eisenman P., L'inizio, la fine e
ancora l'inizio », Casabella, n 520-521, 1986
10
J. Derrida, « Pourquoi Eisenman écrit de si bons livres », Psyché, Galilée, Paris

7
terme, scaling sans hiérarchie) […] un labyrinthe inobjectivable […] c’est
justement la structure de choral work »11.
En architecture, le diagramme permet de faire évoluer le mode de saisie
des enjeux d’un projet et offre la possibilité d’inaugurer une nouvelle logique
(formelle, fonctionnelle et communicationnelle) dans l’empreinte figurative de
celui-ci. Peter Eisenman développe de fait une architecture qui n’est plus
l’illustration, via une structure métaphorique, d’une pensée préconçue
« logocentriquement » par la fonction, l’esthétique et la technologie, mais une
autre forme d’architecture fondée sur une logique alternative entre les formes et
les fonctions et qui développe d’autres propriétés entre l’espace et l’usager.
Le diagramme n’existe donc pas par lui-même. Il n’est que stratégie de
définition, d’organisation et d’activation de formes, de matières, de fonctions et
de discours.12 Le diagramme comme « entre-deux » pré-structurel va devenir
chez P.Eisenman « l’espace conceptuel alternatif » dans lequel il modèlera son
écriture architecturale entre des figures convenues et reconnues de l’architecture.
Il produit ainsi un « milieu » indistinct qui tente de ré-actualiser les rapports
entre le fond et la forme, mais aussi entre la fonction, le sens et la signification.
Il fait alors émerger de l’écran, un nouveau monde dont ces projets nous trace le
chemin.

11

Idem.
« La répression, ou l idéologie n expliquent rien, mais supposent toujours un agencement ou
dispositif dans lequel elles opèrent et non l inverse », G. Deleuze, Foucault, Minuit, Paris, p. 50.
12

8

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Peter eisenman et l’archi machine- diagrammatique - alexis meier

  • 1. Séminaire du groupe « Gilles Châtelet » consacré au diagramme - Janvier 2011 Université de Paris VIII Peter Eisenman et "l’archi-machine" diagrammatique Alexis Meier-Destouches Qui est Peter Eisenman ? Peter Eisenman est né en 1932 aux Etats-Unis, il a donc 79 ans. Il est diplômé en architecture de l’Université de Cornell et de Colombia et est diplômé depuis 1963 en philosophie ou plus précisément en « Theory of Design » de l'Université de Cambridge en Angleterre. En 1967 à New York P. Eisenman fonde l'Institut for Architecture and Urban Studies. Il ouvre son agence d’architecture en 1980 également dans cette ville. Il a publié de nombreux essais, articles et livres dont les plus marquantes sont : Houses of Cards, cities of artificial Excavation, et plus récemment, Diagram Diaries. Il est coauteur, avec Jacques Derrida, du livre Chora L Works qui retrace les étapes de leur travail commun à l’occasion du concours pour l’aménagement du parc de La Villette en 1987. Depuis l’ouverture de son agence Eisenman a développé plus d’une centaine de projets. De nombreux seront lauréats de concours, mais tous ne seront pas construits. Il a remporté et construit récemment plusieurs projets importants dont le Mémorial pour les Juifs d’Europe assassinés qui a été achevé à Berlin en mars 2005, ainsi que la « La cité Culturelle de Galicie à Saint Jacques de Compostelle» en Espagne qui à a ouvert ses portes en 2011. Que veut faire ou démontrer Peter Eisenman au travers de sa théorie et de sa pratique ? Peter Eisenman tente d’instaurer un système de conception architecturale en dehors des présupposés théocentriques (religieux) et anthropocentriques (humanistes) véhiculés par le classicisme et le fonctionnalisme. L’architecture n’est plus, selon lui, réductible à une forme idéalisée de la structure de l’univers ou de la nature. Il propose une lecture des œuvres architecturales, différentes des approches traditionnelles fondées sur le type, le style et la fonction du bâtiment. Il met en lumière un principe d’organisation de l’espace plus abstrait et plus fondamental que l’on peut qualifier de structure autonome ou « profonde » de l’architecture. La mise en avant de cette autonomie ce fera sous le label d’une théorie : le Post-functionalisme, dont il écrivit les principes dans un texte célèbre en 19761. 1 “Post-Functionalism”, Opposition, New-York : The Institute for Architecture and Urban Studies, 1976, n°6. I-III, (Edito.) 1
  • 2. Qu’est ce que cela signifie ? En architecture, comme dans le langage on constate que souvent, la présence d’un logos a commandé l’émergence et l’organisation des formes entres-elles. Par exemple, la période fonctionnaliste a récemment attribué aux formes architecturales le rôle d’idéaliser la fonction dans leur forme. Comme si la performativité fonctionnelle était l’idéale d’une société que l’architecture devait illustrer par des formes épurées symbolisant l’économie de moyen. La forme sensible et matérielle de l’architecture est soumise à son interprétation idéologique et toute l’architecture se trouve résumée à cette phrase : « form follow function ». C’est précisément tout ce que sous entend cette phrase que le « Post-functionalisme » de Peter Eisenman va tenter d’inverser ou de contester. Comment va t-il procéder ? Pour combattre ce présupposé « logocentrique » sur lequel la tradition architecturale s'est fondée, Peter Eisenman va utiliser consécutivement deux grandes théories « contestataires » de la philosophie du langage. L’une issue de la grammaire générative de Noam Chomsky en développant des procédés syntaxiques combinatoires et l’autre dérivée de la pensée de la déconstruction du philosophe Jacques Derrida en rapprochant les notions de traces et de textes des notions de signes et d’objets d’architecture. La première correspond à une phase de travail qui s’étend de 1967 à 1975 et s’intitule les transformations et la seconde de 1975 à 1988 se qualifie comme la phase de décomposition. La phase de transformation comme celle de la décomposition sont énoncés comme des procédés de "libération" de la conception en architecture. Elle peuvent se comparer à ce qui s'est passé dans le domaine des arts plastiques quinze années plus tôt. Il s’agissait de mettre en avant l’autonomie de l’oeuvre en déterminant l’objet artistique comme un objet auto-référentiel, c'est-à-dire ne renvoyant qu’à lui même et à sa propre logique d’organisation et non pas uniquement commandé par des contingences extrinsèques à l’ouvrage. Chez Eisenman, ceci a donné lieu à une première série de projets que l’on appelle la série des maisons. Elles sont numérotées de I à 12. Elles sont parfois construites et parfois de pures conjectures théoriques, le projet tenant alors lieu de manifeste. Dans cette phase, le bâtiment n’est pas défini comme un objet esthétique, mais comme un ensemble de structures, de relations objectives permettant l’accès à un système universel de communication entre les formes et les hommes rappelant la « Structure profonde » de la grammaire générative de Chomsky. La structure profonde se conçoit comme une strate qui commanderait l’organisation des phonèmes et des graphèmes, c’est-à-dire les sons et les signes qui constituent le vocabulaire et les phrases d’une langue et que l’on nomme dès lors « structure de surface ». Il s’agit d’essayer de démontrer que la constitution du sens d’une phrase ne repose pas entièrement sur l’usage sémantique que les 2
  • 3. lettres et les syllabes véhicules (enchainement intelligible), mais que ce sens n’est possible que selon un enchaînement de signes graphiques entre eux selon une logique « profonde », qui conditionne à son tour l’organisation de la forme sensible. Transposer en architecture, la conséquence est importante car Peter Eisenman tente de prouver que la manifestation du sens dans et par l’espace n’est pas limitée par le mode habituel, linéaire et causal de la conception corrélé aux besoins fonctionnels ou symboliques de l’homme. Peter Eisenman va dès lors repenser la structure d’organisation des « phrases » architecturales de surface, en érodant les structures d’organisations architecturales précédentes ; en créant une « zone de travail » ouverte et expérimentale un sein même du processus de conception architecturale. De part sa logique processuelle, ce "jeu" de réactualisation et de manipulation des structures est un « jeu » diagrammatique. Il s’agit, en quelque sorte, de rendre opérant sa critique adressée aux fondements métaphysiques de l’architecture dans la fabrication même du projet. Le fait, pour cet architecte, d’aller convoquer la linguistique structurale et le diagramme pour repenser le projet d’architecture n’est pas un caprice de l’esprit. Il répond à la volonté d’affirmer une hypothèse « critique » qui va selon lui ébranler toute la logique traditionnelle de conception de l’architecture. Comme le souligne Gilles Deleuze à propos du travail "diagrammatique" chez Francis Bacon, le jeu diagrammatique Eisenmanien est également un "jeu" militant. C’est-à-dire, une possibilité de démontrer, à partir de processus expérimentaux diagrammatiques, que le sens de la spatialité architecturale peut également se déterminer à partir d’axiomes relatifs à la constitution de la forme elle-même, la structure profonde d’organisation de la forme et pas uniquement comme une adaptation des usages ou des idées issus des besoins fonctionnels et culturels de « l’homme ». Concrètement, Peter Eisenman remplace le programme fonctionnel qui décrit les usages par un programme formel (processus diagrammatique) établissant les instructions à suivre pour générer l’objet. Le diagramme chez Peter Eisenman devient une « machine » faite pour produire une nouvelle écriture architecturale, ou plutôt d’une nouvelle syntaxe commandée à partir d’une mutation de la structure du signe architecturale et non pas à partir d’une mutation de la forme. Cette nouvelle stratégie d’écriture doit produire de nouvelles conditions pour la relation entre les différents éléments d’un système d’expression architecturale : « le diagramme tente de vaincre le désir initial du sujet d’utiliser le signifiant dans le sens de la communication. Le diagramme le lui permet en produisant un jeu de connexions arbitraires au signifié qui induit une séparation du lien (déjà) « motivé » entre forme et fonction et entre forme et signification »2. 2 Peter Eisenman : The diagram and the becoming unmotivated of the sign , Diagram Diaries, Thames & Hudson, London, 1999, p. 213. 3
  • 4. En pratique, Peter Eisenman manipule souvent (combine et transforme) des motifs syntaxiques (grille, trame, contour, etc..), pour obtenir par différence un réseau « inédit » (unexpected) déterminant le système d’inscription du bâtiment. Peter Eisenman fait le pari que les propriétés itératives de ce nouveau réseau, « texte » ou tissage spatial, les répétitions des pleins et des vides sont telles que l’usager expérimente une nouvelle condition du présent, donnant à nouveau une temporalité « singulière » à l’œuvre (la presentness), à chaque « coup ». La "présence" en architecture sera donc en théorie et en pratique, « différée » par une « archi-trace » diagrammatique opérant sur des traces : « Auparavant, les formes de l’architecture étaient toujours reliées à une fonction (une colonne a toujours une forme et une matière déterminée) et donc une signification. Mon idée initiale dans l’utilisation du diagramme était que le substrat de la forme, ici relatif à son intériorité, pouvait être détaché de la justification programmatique. C’est ce qu’Yves-Alain Bois et Rosalind Krauss ont dénommé ; le besoin de préserver la singularité des objets en les coupant de leur mode de légitimité antérieure »3. Autrement dit, le jeu d’opposition réglée qui structure les schèmes, les rapports entre le fond et la forme, le dehors et le dedans, le dessus et le dessous, le bâti et la circulation, l’espace public ou privé, le principale et le supplémentaire, etc.., sont transformés, même “transmutés”, puisque P.Eisenman utilise souvent des traces d’architecture antérieures, jusqu’à ce que le système soit déconstruit. L’architecture se définit ici comme libre d’enchaînement, de « différerantiation » tel un texte, vers d’autres formes d’organisations, de sens et de significations. Ce jeu « différentiel » (de différentiation et de répétition) est le travail du diagramme selon Eisenman : « C’est l’idée de la trace qui est important pour n’importe quel concept du diagramme, parce que, à l’opposé du plan, les traces ne sont jamais des présences complètement structurales, ou des signes motivés. Les traces suggèrent plutôt des relations potentielles, qui peuvent générer ou émerger des figures précédemment refoulées ou inarticulées. Mais ces traces en elles-mêmes ne sont pas génératives, transformatrices ou même critiques. Un mécanisme diagrammatique est nécessaire pour permettre à la fois la conservation et l’effacement et pour simultanément révéler au refoulement la possibilité de générer des figures architecturales alternatives qui contiennent ces traces. »4 Evolution des diagrammes Jusqu’en 1988, les processus de conception comprenant des diagrammes sont réalisés manuellement. L’emploi de l’ordinateur comme outil de recherche diagrammatique dans les projets (1988), ressemble d’abord à une « machine » graphique qui comme les précédents projets enregistre les traces d’une activité logique invisible. Les tracés manuels des transformations de séries de cubes à 3 4 Eisenman, Diagrams of Anteriority , Diagram Diaries, op. cit, p. 37. Eisenman : « Diagram : An Original Scene of Writing », op. cit, p. 34. 4
  • 5. partir de combinaisons géométriques deviennent des matrices digitales enregistrant des opérations de transformations sur des volumes. À partir de 1990, l’évolution rapide de la modélisation digitale et des possibilités illimitées de déformations que cela permet, conduit l’utilisation de l’ordinateur à devenir une sorte d’outil d’investigation diagrammatique. Après une longue série de projets basés sur des déformations de trames ou de volumes le diagramme intègre à partir de 1997-98, des processus algorithmiques. La machine abstraite devient littéralement une « machine » numérique programmable. C’est la fin du diagramme « artistique » et de « l'indécidable » Deleuzien et le début de la « naissance » assistée par ordinateur des « Blobs »5 de Greg Lynn. Une ère « d’écriture technologique » commence que l’on nomme aujourd'hui la computation. Pour résumer, P. Eisenman développera donc de nombreuses formes de diagrammes, chacune ayant des vertus critiques spécifiques. Examinons maintenant plus particulièrement une période celle des « Cités de l’excavation artificielle » et du « Scaling diagram ». Comme pour les procédés diagrammatiques antérieurs et postérieurs, la logique des manipulations conduira à essayer de faire fonctionner une posture critique par l’organisation de la forme dans l’espace en essayant d’échapper à l’effet de « symbolisation » et à l’expressionnisme. 5 Voir G. Lynn, H. Rashid, The Embryologic House in Architectural Laboratories, NAI-Publishers, Pays-bas, 2003 5
  • 6. La ville : combinatoire et superpositions, le « Scaling » et la période excavatrice Pour suivre cette visée « générative » et « libératrice », P.Eisenman conceptualisera ici le diagramme à l’image de l’appareil psychique Freudien, lui-même défini par Derrida, comme un dispositif de production et d’effacement de traces qui permet aux « figures » refoulées par le système traditionnel de la conception architecturale d’être (potentiellement) libérées : « Le processus est comme le travail du rêve chez Freud, fait de condensation et de déplacement, déplacement dans le jeu des échelles, condensation par la superposition »6. Comme nous l’avons précédemment décrit au plan théorique, l’« archioutil » pour la mise en œuvre de cette « thérapeutique architecturale » en érodant les structures aux travers desquelles on conçoit et perçoit habituellement l'espace est, le diagramme. Le diagramme devient ici un appareil à « archi-trace » qui permet de faire à l’architecture, comme à un analysé, un « travail » sur ellemême, que l’usager doit déchiffrer pour éprouver un « autrement » de l’architecture : « Les traces « dira-il » suggèrent plutôt des relations potentielles, qui peuvent générer ou faire émerger des figures précédemment refoulées ou inarticulées. Mais ces traces en elles-mêmes ne sont pas génératives, transformatrices ou même critiques. Un mécanisme diagrammatique est nécessaire pour permettre à la fois la conservation et l’effacement et pour simultanément révéler au refoulement la possibilité de générer des figures architecturales alternatives qui contiennent ces traces »7. P.Eisenman ira même jusqu’à emprunter le titre du célèbre texte de Derrida sur Freud, « Freud et la scène de l'écriture » pour son article « cadre » sur le diagramme : « Diagram: an original scene of writing ». Reprenant ici la lecture de Michel Foucault par Gilles Deleuze, il instrumentalise le concept de diagramme comme outil capable de faire et de défaire de nouveaux énoncés architecturaux, à partir des strates antérieurement constituées. Il extrait de cartes anciennes un certain nombre de formes qu’il soumet à un processus diagrammatique qu’il nomme le Scaling. Ici, selon un scénario établi en rapport avec le lieu ou le programme de son projet, non seulement il rejette les méthodes traditionnelles de conception fondées sur les liens de causalité entre l’intention architecturale et la forme définitive du bâtiment, mais il abandonne également le langage autoréférentiel et abstrait de ses premières maisons pour trouver un nouveau champ d'écriture. Ce procédé « diagrammatique » entend alors mettre en œuvre la fiction « excavatrice » de la conscience refoulée de la forme urbaine par un « jeu » 6 Peter Eisenman, « Choral Works ‒ Parc de la Villette », Peter Eisenman / Eisenmanamnesie A + U, 1988 Aout, Extra Edition, p. 137. 7 Peter Eisenman : Diagram : An Original Scene of Writing , Diagram diaries, op. cit, p.32. 6
  • 7. d’échelle et de super-impositions complexes entre différents motifs graphiques. Le diagramme reste ici, sur un plan théorique et pratique l’instrument d'une «négociation» infinie de traces aussi bien matérielles que psychiques. Reprenant la veine contestataire, ce processus diagrammatique fondé sur la notion d’échelle différentielle d'espace et de temps est décrit par P.Eisenman comme pouvant déstabiliser les trois concepts « métaphysiques » principaux par lequel s’établit la logique traditionnelle de la conception architecturale. Ce processus de « scaling » se subdivise en trois temps. La discontinuité, la fragmentation des figures qui rompt avec l’idée de présence et d’unité, la récursivité qui vise à supprimer par récurrence mathématique la primauté de l’origine et enfin l’auto-reproduction (self-similarity), la prolifération de formes semblables mais non identiques, qui a pour objectif l’abolition de l’échelle humaine. Elle nie le principe d’un objet esthétique représentationnel et unitaire8. Ces trois principes interdépendants9 prolongent le modèle d’organisation de l’architecture « non-classique », énoncés dans son programme « postfunctionalism ». Un projet célèbre basé sur le Scaling a failli voir le jour à Paris lors du concours pour le Parc de La Villette » en 1986 ou (Chora L Works) où l’architecte à directement travaillé avec Jacques Derrida pour en établir la stratégie. Peter Eisenman établit son plan de masse du projet à partir de volume issu d’une superposition de couches, un palimpseste ou se sédimentent divers tracés urbains réels et fictifs. Comme excavés par une grille abstraite, on retrouve dans les blocs un mélange de traces des anciens abattoirs de la Villette, le projet de Bernard Tschumi ou un ancien projet d’Eisenman pour Venise (Canarregio) luimême basé sur le projet de Le Corbusier pour Venise : « On entend résonner différents textes. Ceux-ci s’ajoutent, se superposent, se sur-impriment l’un dans l’autre, sur ou sous l’autre, selon une topologie apparemment impossible, nonreprésentable, à travers une paroi. Une paroi invisible, certes, mais audible dans la répercussion interne de plusieurs couches sonores »10. Le système de superposition des strates et des prélèvements qui y sont opérés constitue tout le « jeu » diagrammatique du projet de la Villette. Agglomérant ou effaçant des traces tel « un porte empreinte » sélectif et invisible, le jeu devient un peu une métaphore de la Khora platonicienne, c’est-à-dire l’entre-deux infini des possibilités de la forme et de la matière. Comme lorsque le rêve "travail", une zone « trouble » ou profonde de l’architecture est alors sublimée, décryptée et mise en œuvre : « Hors cette structure de palimpseste non-totalisable qui puise dans l’un de ses éléments la ressource des autres […] et fait de ce jeu de différences internes (échelle sans 8 9 Cf., Peter Eisenman, Eisenmanesie Architecture + Urbanism, Extra ed. (Août 1988): 70. Pour le détail de ces opérations de Scaling on peut se référer à « Eisenman P., L'inizio, la fine e ancora l'inizio », Casabella, n 520-521, 1986 10 J. Derrida, « Pourquoi Eisenman écrit de si bons livres », Psyché, Galilée, Paris 7
  • 8. terme, scaling sans hiérarchie) […] un labyrinthe inobjectivable […] c’est justement la structure de choral work »11. En architecture, le diagramme permet de faire évoluer le mode de saisie des enjeux d’un projet et offre la possibilité d’inaugurer une nouvelle logique (formelle, fonctionnelle et communicationnelle) dans l’empreinte figurative de celui-ci. Peter Eisenman développe de fait une architecture qui n’est plus l’illustration, via une structure métaphorique, d’une pensée préconçue « logocentriquement » par la fonction, l’esthétique et la technologie, mais une autre forme d’architecture fondée sur une logique alternative entre les formes et les fonctions et qui développe d’autres propriétés entre l’espace et l’usager. Le diagramme n’existe donc pas par lui-même. Il n’est que stratégie de définition, d’organisation et d’activation de formes, de matières, de fonctions et de discours.12 Le diagramme comme « entre-deux » pré-structurel va devenir chez P.Eisenman « l’espace conceptuel alternatif » dans lequel il modèlera son écriture architecturale entre des figures convenues et reconnues de l’architecture. Il produit ainsi un « milieu » indistinct qui tente de ré-actualiser les rapports entre le fond et la forme, mais aussi entre la fonction, le sens et la signification. Il fait alors émerger de l’écran, un nouveau monde dont ces projets nous trace le chemin. 11 Idem. « La répression, ou l idéologie n expliquent rien, mais supposent toujours un agencement ou dispositif dans lequel elles opèrent et non l inverse », G. Deleuze, Foucault, Minuit, Paris, p. 50. 12 8