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Faits divers du Pays de Fouesnant - h-tgg5
1. Annick Le Douget
1786
Tragique fête des boudins à Pleuven
« La mort précipitée de
René Diquellou »
La fin de l'année 1786 est tristement endeuillée au village de Kergrimen en
Pleuven. René Diquellou, brave paysan d'une quarantaine d'années, agonise depuis
quelques jours à la suite de mauvais coups reçus lors d'une bagarre. « Je crois que j'ai
gagné ma mort, je suis si malade que je n'en puis plus ». Il meurt le 20 décembre 1786.
Cette procédure criminelle diligentée contre Lucas, garçon tisserand, « au sujet de la
mort précipitée de René Diquellou » révèle une vie sociale riche, avec des rapports de
voisinage et de parenté parfois raffinés, pour peu que l'on prenne la peine de soulever le
voile d'une affaire de bagarre d'ivrognes, bien fruste en apparence.
Le lundi 18 décembre 1786, en début d'après-midi, René Diquellou rejoint
piteusement et péniblement sa ferme de Kergrimen, et se demande quel accueil lui réservera
son épouse Marie Le Goff. Parti en virée depuis la veille, il est à peine dégrisé, ses vêtements
sont arrachés, il est contusionné, son visage est enflé, l' reil est au beurre noir. Mais la colère
de Marie, ressassée toute la nuit, tombe vite pour laisser place à l'inquiétude: elle est effrayée
de l’état de son homme qui dit ressentir de vives souffrances dans tout le corps. Que s'est-il
passé ?
La sortie du dimanche. . .
A vant d'entamer le récit des faits, il importe de signaler dès à présent, sans faire injure à sa
mémoire, que René a le défaut de se livrer facilement aux excès d'alcool les dimanches et
jours de fête; tous les témoignages vont dans le sens d'une grande intempérance qui, d'ailleurs,
sera à l'origine de cette affaire...
Le dimanche 17 décembre, en début d'après-midi, il quitte Kergrimen disant à sa femme «
qu'il allait chercher au village de La Villeneuve le nommé Guillaume Hélias pour tuer son
cochon ». Sur la route, il fait une pause au bourg de Pleuven, où il rencontre le tailleur
François Le Run avec lequel il boit « deux chopines de vin ». L'après-midi passe vite, et René,
déjà bien éméché, demande à son collègue ainsi qu'à un nommé Bertholom de l’accompagner
jusqu’à La Villeneuve « car il commençait déjà à faire sombre », et il ne tient pas à faire le
chemin seul.
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2. On s’apprête à sacrifier le cochon
La fête des boudins à La Villeneuve
Il y a grande animation à La Villeneuve lorsque les trois hommes y arrivent: c'est la
fête des boudins. Guillaume Hélias accueille René dans la cour et lui promet de passer le
surlendemain tuer son cochon. Mais René a bien envie de rentrer, même si cette fête des
boudins est réservée aux proches voisins. . . Le maître de maison sait recevoir les invités,
surprise. Quand « Diquellou témoigna le désir de boire un coup de cidre », il lui répond « que
ce serait avec plaisir qu'il le lui donnerait ». René ajoute « qu'il avait deux compagnons à la
porte auxquels un coup de cidre ferait pareillement plaisir ». Hélias prie aussitôt Le Run et
Bertholom de rentrer : « il emporta une bouteille de cidre à la porte; qu'après l’avoir bue, ils
entrèrent dans la maison où ils demeurèrent peu de temps ».
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3. Fête des boudins
ou fest ar goadegennon
La fète des boudins a lieu dans les jours qui suivent la « tuaison du cochon ».
Voici ce que nous en dit Alexandre Bouët dans son livre célèbre « Breiz Izel,
ou vie des Bretons de l'Armorique ».
« Les boudins ne se mangent, ainsi que tout ce qui ne se conserve pas du
cochon, que le dimanche suivant; c'est le fest ar goadegennon. On y invite
seulement ses parents, et ces amis éprouvés qui peuvent passer pour être plus
qu'eux encore de la famille; les étrangers y sont rarement admis. Aussi ces
réunions, qui ont lieu souvent lorsque se tiennent les joyeuses assises du
carnaval, se font-elles remarquer par l'intimité des convives plutôt que par leur
nombre. Il y règne un laisser-aller, une gaîté franche et naïve, qui témoignent
de l'absence de tout cérémonial; car nos Bretons ont aussi leur étiquette, et
même sur ce chapitre ils pourraient rivaliser avec les courtisans les plus
pointilleux, tant est grande l'importance qu'ils attachent souvent à de petites
choses! Le curé n'est pas oublié dans les invitations auxquelles donne lieu le
fest ar goadegennon. Mais c'est un hommage qu'on lui rend plutôt qu'une
invitation réelle qu'on lui fait; on n'ignore pas qu'il ne peut s'y rendre, attendu
que les offices l'enchaînent à l'église le dimanche! » .
Les civilités d'une soirée arrosée
Quant à J eanne Hélias, femme de Guillaume, elle ne cache pas son déplaisir de voir
rentrer chez elle René Diquellou, déjà ivre; elle précisera que, « entré dans la maison, il
s'approcha de la table sans être prié » . René est à l'aise, il « boit quelques coups de cidre et
met lefeu sur sa pipe ». Il en oublie sa hâte de repartir avant la nuit. Ses deux compagnons,
impatients, le bousculent un peu mais René ne l'entend pas ainsi et dit « qu'il s'en irait
lorsqu'il aurait fumé sa pipe ». Le Run et Bertholom prennent la route sans l'attendre
davantage, et quand René se décide enfin à se lever, « il trouva que la nuit était trop obscure
» pour partir seul. Et comme « il était éloigné de sa demeure, il témoigna qu 'il lui ferait
plaisir de passer la nuit ici » . . . Guillaume Hélias, très civil, y « consentit volontiers et pria
René Diquellou de se mettre à table et de manger comme les autres ».
Présentons maintenant les invités des Hélias qui participent à la fête des boudins. Hervé Rien
est laboureur à Kergrimen Huella. Yves Guériven, cabaretier du bourg de Pleuven et maîtretisserand, est accompagné de Lucas, garçon tisserand, compagnon de son atelier. Allain Le
Run et son épouse Anne Guillou, de Penanc'hoat, près de Saint- Thomas, sont présents à
table, ainsi que Anne Le Breton, servante domestique de La Villeneuve.
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4. Les cousins « se prennent aux cheveux ».
Mais l'intrusion de René dans la maison n'est pas du goût de tous. C'est Lucas qui
déclenche les hostilités. Sans doute a-t-il bu aussi, et a-t-il le tempérament bagarreur. « Tu es
saoul comme un cochon », lui dit-il avant de s'asseoir à ses côtés sur le banc. Puis il lève sa
chopine: « A votre santé, mon cousin! ». C'est une surprise pour les invités, tous ignoraient la
parenté des deux hommes. Une dispute éclate rapidement entre les cousins germains. . . pour
une histoire de civilités non respectées! Suivons l'escalade des mots et des gestes.
Lucas reproche à René Diquellou, « qu'il dit être son proche parent, de ne lui avoir fait
aucune honnêteté depuis trois ans qu'il est dans ce pays . . . et de ne lui avoir fait de cas de lui
quoiqu'il fût son proche parent ». Ce à quoi René lui répond « qu'il devait percer
incessamment une barrique de cidre et qu’il l'invitait à en venir boire quand il le voudrait ».
Mais cette proposition ne convient pas à Lucas. « Aussitôt, ils se mirent aux cheveux »,
témoigne Anne Guillou. « René Diquellou fut le premier à porter la main sur les cheveux de
Lucas », rajoute-t-elle.
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5. Violente bagarre
Lucas terrasse alors son cousin et lui donne plusieurs coups de poing, sur la tête. René
réussit à se relever, et, saisissant Lucas par le pourpoint, l'implore: « Ne me fais pas de mal, je ne
veux pas t'en faire ». Lucas le terrasse une deuxième fois. Se redressant, René lui dit encore: «
Holà mon ami, tu m'as terrassé deux fois, il est temps que nous nous asseyons ». Pour lors, le
visage du paysan est déjà « meurtri à l'endroit de l'oeil », relèvent les témoins. Que font justement
ces derniers, en l'absence du maître de maison, sorti peu avant la bagarre ?
Témoins passifs. . . et avinés
Yves Guériven avouera plus tard aux juges que, « étant saoul et étendu par terre à la
porte d'entrée, il n'a aucune connaissance personnelle de ce qui s'y passa ». Toutefois,
malgré ses dires, il semble être sorti de sa torpeur pour accabler un peu plus René Diquellou :
« Je t'ai frotté les côtes l'année dernière et je t'ai fourni des drogues, et tu ne m as donné que
douze sols tandis qu'elles valaient trente sols », lui dit-il. René n'est guère contrariant: « Si je
ne l'ai pas donné après, je te donnerai encore ... ».
Quant à Allain Le Run, un autre des invités, il reconnaîtra également « être épris de boisson,
que la table étant entre lui et ces deux particuliers, il ne put point voir ce qui se passa entre
eux dessous la table ».
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6. Intervention du maître de maison
« Se prenant encore les cheveux », Lucas renverse Diquellou et continue à le frapper.
C'est alors que rentre Guillaume Hélias. Très en colère, il sépare enfin les deux adversaires en
criant: « Je veux être maître chez moi, l'un de vous sortira, je n'entends point qu'on tue
personne ». Il met Lucas hors de sa maison, rajoutant: « N'est-il pas honteux que deux cousins
germains se maltraitassent ainsi, je veux avoir la paix chez moi! ». Il faut juste noter une
petite phrase de son épouse Jeanne: « Pourquoi vous mêlez-vous de cette affaire ? ». . .
La soirée s'abrège. Hélias doit héberger dans son propre lit René Diquellou ainsi que
Guériven « qui était tellement saoul qu'if fallut même le porter au lit ».
« Je crois que j'ai gagné ma mort... »
On connaît l'issue malheureuse de cette violente bagarre. René Diquellou meurt le
mercredi 20 décembre, sans avoir vu le médecin. Le recteur de Pleuven, Provost, appelé à son
chevet, signale immédiatement au procureur fiscal de la juridiction de Cheffontaines le décès
suspect de l'infortuné paysan, « mort parce qu'if a été maltraité et qu'if a la tête enfoncée. Je
vous prie de vouloir bien descendre si vous le jugez à propos, ou de donner un permis de
l'inhumer », écrit-il.
Mais c'est seulement le jour de Noël que Me Jean Antoine Guenneur, avocat au
parlement, substituant le procureur fiscal, saisira les juges de Cheffontaines et demandera des
mesures d'infonnation et une autopsie.
Une autopsie à préjugés
L'autopsie est pratiquée à Kergrimen le 26 décembre à Il heures du matin par le maître
en chirurgie Larbre de Lépine de Belcour, docteur en médecine de la faculté de Paris,
domicilié rue Quéréon à Quimper, et par le docteur Poullier, chirurgien, demeurant rue
Orfèvre à Quimper. Voici dans les grandes lignes le résultat de l'autopsie, concluant à une
mort due à une ivrognerie habituelle.
A l'inspection extérieure du corps, les médecins constatent de multiples contusions et
meurtrissures, fort nombreuses sur l'abdomen et le sternum. L'oeil gauche, «fortement contux,
est tout noir ».
A l'ouverture de la tête, les vaisseaux de la dure-mère sont engorgés et fortement
injectés, soulignent les experts. « Le cerveau s'est présenté recouvert d'une gélatine purulente,
et tous les vaisseaux de ce viscère sont engorgés ». I1s remarquent « les intestins grêles
parsemés d'une infinité de points enflammatoires (sic), l'estomac raccourci, la râte (sic) en
suppuration. Lefoye (sic) a présenté une tache noire de la grandeur d'une pièce de douze sols,
le poumon droit est fortement adhérent. Le reste est sain en bon état ».
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8. Les conclusions sans appel des experts
Les hommes de l'art concluent, « après les plus exactes recherches, que les désordres
ci-dessus mentionnés sont l'effet d'une ivrognerie habituelle; la suppuration de la râte (sic), le
point noir du foye (sic) ainsi que les meurtrissures du scrotum sont la suite des chutes
réitérées de cet homme pendant l'ivresse ». Ils rajoutent: « Nous jugeons donc que cet homme
est plutôt mort de la fièvre inflammatoire qu'il a éprouvée pendant plusieurs jours
consécutifs, que de toute autre cause ».
Lucas disparaît, la justice piétine. . .
Après l'autopsie, le sénéchal Gildas Marie Coroller procède, toujours à Kergrimen, aux
auditions utiles pour reconstituer le fil de cette soirée du 17 décembre; quelques-uns des
témoins sont entendus en présence de l'interprète en langue bretonne François Parquer, du
bourg de Saint-Evarzec. Les témoins de La Villeneuve seront convoqués à l'auditoire le
lendemain.
Mais Lucas, direz-vous ? Profitant des lenteurs de la justice, il a pris la poudre d'escampette et
demeure introuvable. L'ordonnance de prise de corps reste sans effet.
Le 13 janvier, Me Coroller renvoie pour compétence la procédure criminelle devant les juges
de Concarneau. L’huissier et les sergents de Concarneau se déplaceront à plusieurs reprises au
bourg de Pleuven à la recherche du coupable, toujours en vain. Une affiche de recherche est
même apposée à la porte du cabaret Guériven ; on fait battre la caisse dans plusieurs bourgs
du voisinage pour signaler la fuite de Lucas, et pour demander l'aide de la population afin de
le retrouver, sans succès.
La mort requise pour Lucas
Le 26 mai 1787, le procureur du roi Yves-François Le Beau donne ses conclusions
définitives. Ses réquisitions sont sévères pour l'accusé défaillant; il retient le crime de coups
mortels. « Ledit Lucas sera condamné à être pendu et étranglé jusque ce que mort s'ensuive
par l'exécuteur de la haute justice à la potence dressée à cet effet sur la place publique des
faux bourgs de cette ville ».
Mais verdict de clémence
Le 31 mai, le sénéchal du Laurens de La Barre rend un verdict plus clément. Lucas est
« convaincu de s'être le 17 décembre 1786 battu avec René Diquellou, à la suite d'un festin de
boudins, de l'avoir pris aux cheveux, de lui avoir donné plusieurs coups de poing sur la tête ».
Il « bannit pour cinq ans du ressort de cette sénéchaussée ledit Lucas et lui ordonne de
garder son ban. Déclare ses biens meubles acquis et confisqués au profit du roi ».Il est
condamné en outre à une amende de 10 livres au profit du roi et aux frais du procès.
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9. Nous remarquons donc que l'accusation de coups ayant entraîné la mort a été
abandonnée par le juge qui, sans doute, a été sensible aux arguments développés par les
experts en médecine; seules les violences sont retenues, ce qui explique l'indulgence de la
peine.
La sénéchaussée de Concarneau
(Extrait de La Révolution dans le Finistère, édité par le Service éducatif
des Archives départementales du Finistère)
Le « bannissement » mode d'emploi...
Le bannissement était une peine en exécution de laquelle le condamné était transporté
hors du territoire indiqué par le juge, avec défense d 'y entrer (l’ancêtre de la relégation des
récidivistes, ou même de l'actuelle interdiction de séjour, toujours en vigueur dans notre code
pénal). Ce pouvait être un bannissement du pays, de la province, ou, comme ici, simplement
du ressort de la sénéchaussée de Concarneau; il pouvait être perpétuel, ou à temps.
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10. Le but poursuivi était l'expulsion des individus nuisibles à la société. Cette peine était
combattue déjà sous l'Ancien Régime par des esprits généreux qui soutenaient, avec raison,
que le devoir de la société n'était pas seulement de se protéger, mais qu'elle devait en outre
porter remède au crime et à la misère. Dans sa fièvre des réformes, l'Assemblée constituante
abolissait le bannissement en 1791 ; Napoléon, dans le code pénal de 1810, rétablissait le
bannissement, mais uniquement politique, permettant d'exiler les ennemis de la patrie.
Lucas avait préféré se bannir de lui-même, et ne jamais revenir dans le Pays Fouesnantais
avant la Révolution: la procédure est donc restée en l'état.
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