Les saintes-maries-de-la-mer-notice-historique-a-chapelle-marseille-1926
1. LES
Saintes- Maries
De-la-Mer
L'EGLISE ET LE PELERINAGE
-'.:>+<-4-
NOTICE HISTORIQUE
par
M. Ie Chanoine A. CHAPELLE
Cun.Doyen dM' Sai.t....Jfari..,
MARSEILLE
ETABLISSEMENTS MOULLOT FILS AINE
Avenue du Prado. 22.21-26
-
1926
2.
3.
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5.
6. LES
Saintes- Maries
De-la-Mer'
L'EGLlSE ET LE PELERINAGE
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NOTICE HISTORIQUE
par
M. Ie Chanolne A. CHAPELLE
Cur/.Doy.n ihr Sai.t,.-,I1tari••
MARSEILLE
ETABLISSEMENTS MOULLOT FILS AINE
Avenue du Prado, 22.24-26
-
1926
7.
8. ARCHEVECHE Aix, Ie 23 Fevrier 1922
D'AIX
ARLES & EMBRUN
t
CHER MONSIEUR LE DOYEN,
J'ai lu avec Ie plus grand interet la notice
historique sur l'eglise et Ie pelerinage des
Saintes-Maries-de-Ia-Me.r que vous vous pro
posez de publier.
Ce travail etail necessaire pour {aire connai
tre aux peierins qui viendront; je l'espere, de
plus en plus nombreux, aux chdsses de nos
saintes, les traditions qui torment un des
joyaux de notre Provence si riche en souve
nirs.
Vous avez mis a votre travail beaucoup de
conscience et de ndtete, je vous en. felicite.
Par vous, on golltel'ta davantage encore' Ie
charme de ce sanctuaire si a part et dont
III'histoire, depuis son commencement, est liee
avec la vie de l'Eglise de France.
Croyez, Cher Monsieur Ie Doyen, a mon
affectueux devouement.
t MAURICE
Arch. d'Aix. Aries &: Embrlln.
9. b
Le Pradet (Var). Ie 28 Juillet 1922
. MON CHER CONFRERE,
En revenant de son pelerinage aux Saintes,
ma bonne m'a l'emisvotre aimable « Hom
mage d'auteur ». J'aurais voulu vous en
rem~rcier de suite ; inais j'etais teilement
fatigue,et preparant mon depart pour Ie repos
a la campagne, que je n'ai pu Ie {aire. Je ne
Ie regrette qu'a moitie, parce que je puis vous
dire en meme temps : Merci et Bravo !
Si votre bon souvenir me touche, vos pages.
m'ont aussi grandement interesse. Eiles resu
ment fort bien ce. que je savais des, Saintes ;
mais de p{us e.lies m'ont appris bien des
details que je ne connaissais qu'a demi. Sans
vous flatter, je puis affirmer que vos pages
{eront du bien aux Pelerins, que je souhctite
(ie plus en plus nombreux, et qui y trouveront
des excitants a leur {ervente devotion.
Et done encore bravo. et merd. Tout a vous
de tout creur.
E. MARBOT
Ancien Vicaire G~n~ral.
10. ~~~~I
PREFACE
Depuis quelques annees, les editions des dif
ferentes Notices sur les Saintes Maries etaient
epuisees. .4. notre grand regret, nous ne pouvions
satisfaire les desirs de.~ pelerins et des touristes
avldes de connaitre la vie des Salntes, l'histoire
de leur eglise et de leur pelerinage.
Quelques errewrs s'etant gliss,ees dans les ouvra
ges precedents, dont les uns contenaient par
ailleurs des details inumes, tandis que les autres
etaient trop lncomplets, if devenail necessalre ·de
proceder Ii une etude minutieuse des documents
sur lesquels on pouvait s'appuyer, pour faire un
travail aussi consciendeux que possible.
Naris auriolls voulu pour cela nous servir d'ane
plume plus exercee que la notre, au service d'wte
intelligence mieux eclairee sur ces matUres. Mals
Ie temps pressait, et naus nous sommes mis a
l'reuvre nous-meme, avec la seule ambition de
contribuer, dans la mesure du possible, Ii faire
connaftre et Ii faire aimer nos illllsi'res Patronnes.
11. Nous avons puise largement dans l'ouvrage du
regrelte M. Ie chanoine Lamoureux, inUtu[.e : Les
Saintes Maries de Provence, avec le regret de ne
pouvoir, faute de place, reproduire certaines
pieces fOll't interessantes qu'il donne en enlier. II
en e$l de meme des documents publies par
M. Reyno.ud, archiviste~adjoint du '~epartement
des Bouches-du-RhOne.
Nous nous sommes surtout servis du Proces
I verbal de l'lnvenlion et de l'Rlevalion des Corps
( des Saintes en 1!J:48, dont nous po.~sedons l'origi
o nal. Pour la periode revolulionnaire, nous avons
mis a contribution les Proces-verbaux de 1797,
sur la Revelation des Reliques. Enfin, pour l'etude
du XIX· siecle, nous avons recueilli les renseigne
ments cons ignes par nos veneres predecesseurs
dans les divers registres paroissiaux.
~
Est-il necessaire de repondre iei aux objections
faites par certains c.ritiques, au nom de la science
historique, a nos cheres Traditions .~ur l'evangeu,
salion de la Provence, par les parents et les amis
du Christ? Qu'il nous su./lise de donner [.a liste de
quelques-uns des ouvrages qui ont deja repondu
assez eloquemment : Gallia Novissima, de M. Ie
chanoine Albanes; de Marseille ; Monuments Ine
dits, de M. l'abbe Faillon ; Les Villes Mortes du
Golfe de Lyon, par Charles Lentheric ; La Tradi
tion des Saintes Maries, par M. Reynaud ; Les
Traditions Provenca1es, par M. l'abbe' Berenger,
cure de Saint-Victor, de Marseille; L'Eglise des
12. .,
Saintes-Maries, par M.- Gautier-Descottes ; divers
articles publies dans la Sem_aine Religieuse d'Aix,
par M. Ie chanoine· Marbot ; L'Evangelisation
primitive de la Provence, par M. l'abbe Joseph
Escudier, 2° edition, Lethielleux, Paris; Sainte
Marie Madeleine en Provence, par M. le chanoine
Joseph Berenger, 2° editiOll, 1925, Imprimerie
Marseillaise ; Les Saintes-Maries-de-Ia-Mer, Re-
cherches archeologiques et historiques, avec les
Documents des fouilles du XV· siecle, pal'
Mr' M. Chaillan, 1925, Tacussel, rue Paradis,54,
Marseille ; La Sainte Baume, par M. le chanoine
'Joseph Escudiel1', 1'0 edition, 1925, Letouzey et
Ane, Paris.
Soumises Ii la contradiction et Ii la discussion,
les Traditions Provencales n'ont rien perdu de
( leur force. II ne pouvait en etre autrement. Pour
demolir leur autorite, les adversaires avaient le
devoir de fownir eax-memes des documents cer-
tains prouvant leur faussetc. Malgre tous leurs
efforts, ils n'ont rcussi Ii jeter dans le debat, que
des negations sans preuves. Nous restons done en
legitime possession de nos venerables Traditions,
qui se soutiennent d'ailleurs par leur nombre et
I lellJrs concordances mutuelles. C'est un faisceau
I assez solide pour defier les attaques de ceax que
['on a appeles ironiquement les ¢ denicheurs de
Saints ~.
II semble bien aussi que la Science de I' histoire
tend Ii revenir aux vrais principes de la critique,
13. 10
et a reconnaitre flue, la Tradition des peuples est
j un fondement indispensable li l'historien soucieux
de, faire une œuvre waiment consciencieuse et
durable.
C'est donc avec confiance que nous entrepre
nons ce modeste travail, priant le lecteur d'être
indulgent à notre inexpérience et assez charitable
pour nous signaler, le cas échéant, les erreu.rs à
corriger Oll les lacunes a combler.
~
14. -~
Les Saintes-Maries
LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE
ORSQU'ON descend le cours sinueux du
L « Petit-Rhône ou Rhône de Saint-Gilles »,
dit Charles Lenthéric (1), « on voit peu à peu
c l'horizon s'élargir d'une manière démesu-
« rée; les montagnes s'abaissent et s'effacent;
c le pays devient désert ct la végétation
« appauvrie s'étiole de plus en plus à mesure
« qu'on approche de cette mer illustre entre
« toutes, et qui est encore le centre du monde
c civilisé. Bientôt le courant du Rhône semble
c mourir; les eaux du fleuve, celles des étangs
« qui s'étalent sur les deux rives et la mer
c elle-même paraissent se confondre en un
« seul plan horizontal. La nature entière est
c endormie et comme figée; les eaux ternes et
(1) Les Villes Mortes du Golfe de Lyon, p. 416.
15. 12 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
« mates des marais, striees par d'etroites
« fleches de vase, s'etendent de tous cotes
« jusqu'a l'horizon lointain. Partout des effets
« de mirage assez confus ; et l'on a peine a
« distinguer si la mer et les etangs reflechis-
« sent Ie cieI, au si ce n'est pas plutOt Ie ciel
« qui reflechit l'immense lagunc. Rien n'est
« plus trisle et plus desole que cette surface
« nue, silencieuse, dant la vegetation maladive
« se reduit a quelques touffes de joncs et de
« tamaris sur un sol grisatre et fangeux. Tout
« a coup on voit se dresser au-dessus de Ia
« plaine marecageuse un edifice etrange, aux
« allures de forteresse et de cathedraIe, et
« dont la masse imposante contraste avec les
¢ chetives maisons groupees sans ordre, sous
c la protection de ses epaisses murailles (1) ...
c Cette description est peu seduisante. Et
¢ cependant ce coin de terre est marque d'une
« empreinte sacree, et Ie temple qui protege
¢ et domine ce desert est peut-etre Ie plus
(1) Depuis que LentMric a ecrit cette page, des
vignobles luxuriants ont, de place en place, change la
physionomie des bords du Rh(}ne. Le village lui-mtlme
s'est un peu modernise.
16. LEUR EGLISE ET LEUR PELERINAGE 13
c iIlustre qui soit au monde, comme il en est
c un des plus oublies (1). II s'est passe, en
¢ eIfet,· sur cette greve abandonnee, un evene
« ment qui, pour la Gaule et pour une grande
e: partie de l'E,urope Occidentale, a marque
« la limite de I'Ancien Monde et du Nou
« veau (2) ~.
« Cette plage », ajoute M. Ie chanoine Ville
vieille (3), « c'est la plage benie ou aborderent;
« au premier siecle, les amis de Jesus, les
« premiers Apotres de la Provence ; cet Mi
« flce, moitie basilique et moitie forteresse,
e: c'est Ie reliquaire venere ou dorment depuis
e: dix-huit siecles, les restes des Saintes Fem
e: mes qui evangeliserent cette contree, c'est
e: I'antique et sur refuge ou venaient s'abriter
c: contre les pirates les descendants des pfltres
« et des bateliers qui'accueillirent les exiles de
« la Palestine ; cette petite ville, c'est la ville
(1 Le Moyen-age ne l'a pas meconnu, et de nos
jours il est visite quotidiennement par les f1deles, les
savants, les curieux de l'Europe, et meme des deux
I Ameriques.
(2) Les Villes Mortes, p. 412.
(3) Nos Saints, 1901. Aix. Typ. Makaire, p. 117.
17. 14 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
le des Saintes-Maries, ou simplement des Sain
e tes, selon son vieux nom populaire qui a
« fini par prévaloir sur le nom officiel inscrit
« dans les anciennes chartes : Sainte-Marie
e de-la-Mer ~.
~
18. '
LES SAINTES MARIES
EN PALESTINE
ES Saintes Femmes qui ont illustré l'hum
L ble bourgade et y attirent chaque année
de nombreux pèlerins de Provence et du
Languedoc, se nommaient lltlarie Jacobé et
Marie Salomé, et elles étaient proches parentes
de Jésus.
...........
(M"AR~COBE; est appelée par le~ Evan
gélistes, tantôt Marie de Cléophas (1), tantôt
Marie mère de Jacques et de Joseph (2), ou
simplement Marie de Jacques (3), d'où son
nom de Marie Jacobé. Il est difficile d'établir
avec précision son. degré de parenté avec la
Sainte Vierge. Saint Jean (XIX, 25), la désigne
comme la Sœur de cette dernière, et plusieurs
(1) Jean XIX, 25.
(2) Matth. XXVIII, 56. - Marc XV, 40.
(3) Luc. XXIV, 10.
19. 16 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
auteun suivent l'interprétation stricte du
texte évangélique. C'est aussi le titre que lui
donne le Martyrologe Romain, à la date du
9 Avril. Cependant on est à peu près unanime
aujourd'hui pour admettre que la Mère du
Sauveur fut la fille unique de Saint Joachim
et de Sainte Anne, et que Marie Jacobé était,
non sa sœur, mais sa belle-sœur. On sait d'ail
leurs qu~, chez les Hébreux, tous les parents
un peu rapprochés, même les cousins, étaient
appelés frères et sœurs, la langue hébraïque
manquant de termes propres pour indiquer les
divers rapports de parenté.
Elle épousa Cléophas, appelé aussi Alphée,
frère de Saint Joseph. De cette union naqui
rent quatre fils Jacques, Jude ou Thaddée,
Joseph ou José, Siméon ou Simon, et plusieurs
filles. Jacques et Jude furent élevés à la
dignité de l'Apostolat ; Joseph et Siméon ne
furent que disciples du Sauveur. Il nous faut
dire un mot de chacun d'eux.
SAINT-JACQUES le Mineur, à qui Saint Paul
donne le titre de frère du Seigneur (1), fut
(1) Ep. ad GaIaL, 1. 19.
20. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 17
appelé à l'Apostolat en même temps que son
frère Jude ou Thaddée. Le Sauveur, après sa
résurrection, le favorisa d'une apparition par
ticulière (1). Nous apprenons de Saint Jérôme
et de Saint Epiphane qu'au moment de remon
ter au Ciel, il lui recommanda l'Eglise de
Jérusalem, et qu'en conséquence les autres
Apôtres l'établirent Evêque de cette ville au
moment de leur dispersion. Son éminente
sainteté lui mérita de la part des Juifs eux
mêmes le surnom de Juste. La vénération du
peuple à l'égard de l'Apôtre rendait furieux les
membres du Sanhédrin, et surtout le Grand
Prêtre Anne ou Ananias. Profitant de l'inter
règne qui suivit la mort du gouverneur romain
Festus, ils s'emparèrent de l'Evêque de Jéru
salem et le précipitèrent du haut d'un portique
du Temple. Pendant que, les jambes brisées, il
priait pour ses persécuteurs, le maillet d'un
foulon s'abattant sur sa tête mit fin à sa prière
et consomma son martyre. Il était âgé de
1 96 ans, d'après le Bréviaire Romain. Les
chrétiens lui donnèrent la sépulture à l'endroit
(1)1 Cor., XV, 7.
21. 18 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
même où il avait reçu le coup fatal. Plus tard,
vers le VI" siècle, son corps fut transporté à
Rome et enseveli, avec celui de Saint Philippe,
dans la Basilique des Douze Apôtres. Il est
l'auteur d'une des sept Epîtres Catholiques.
Les Grecs célèbrent sa fête le 23 Octobre,
l'Eglise Romaine, le l or Mai.
SAINT JUDE, deuxième fils de Marie Jacobé,
.est appelé par Saint Luc Judas Jacobi (frère
de Jacques le Mineur) et par Saint Mathieu
rhadée (homme de cœur). Saint Jérôme lui
attribue un troisième nom,'Lebbée, qui a la
même signification que Thaddée. Il prêcha
d'abord l'Evangile en Mésopotamie. Il se ren
dit ensuite en Perse avec l'Apôtre Simon le
Chananéen, où ils convertirent un grand nom
bre d'habitants de cette contrée et terminèrent
leur vie par le martyre. Sa fête se célèbre le
28 Octobre. Nous avons de lui une Epître
adressée à toutes les Eglises d'Orient.
- JOSEPH, troisième fils de Marie Jacobé, était
un des 72 disciples : un des plus anciens et
des plus vertueux, puisque c'est parmi ceux-là
que Saint Pierre, après l'Ascension du Sau
22. LEUR tGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 19
veur, proposa au Collège Apostolique de choi
sir celui qui devait remplacer le traître Judas.
Deux noms furent présentés, celui de Mathias
et celui de Joseph dit Barsabas (1). Tous les
deux étant également recommandables, l'As
semblée laissa le sort décider de l'élection. Le
sort se prononça en faveur de Mathias qui fut
associé aux onze Apôtres. L'humilité de Joseph
,n'en fut pas offusquée. Il continua à prêcher
l'Evangile à plusieurs nations, confirmant par
des prodiges la doctrine qu'il annonçait.
Eusèbe rapporte qu'il but du poison sans qu'il
en ressentit aucun mal. Il fut surnommé le
Juste, à cause de sa piété extraordinaire. Le
Martyrologe Romain fait son éloge à la date
du 20 Juillet et laisse entendre qu'il a donné
sa vie pour la foi de Jésus-Christ.
, SIMtON ou Simon est le quatrième fils de
Marie Jacobé. L'an 62, il succéda comme Evê
que de Jérusalem à Saint Jacques le Mineur,
son frère, que les Juifs venaient de massacrer.
Peu avant le siège de la Ville Sainte par les
(1) Fils de Sabas, probablement parce que son, père
Cléophas s'appelait aussi Sabas, disent les commenta
teurs du « Livrê des Actes ».
23. 20 . LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
Romains, Siméon se retira avec ses chrétiens
à Pella, petite ville située au delà du Jourdain.
De retour à Jérusalem, il échappa aux persé
cutions de Vespasien et de Domitien. Mais sous
Trajan, vers l'an 110 (1), il fut soumis aux.
plus cruels supplices, puis crucifié comme son
Maître le Sauveur Jésus. Il était âgé de
120 ans. Sa fête se célèbre le 18 Février.
Outre ces quatre fils, vénérables entre tous,
Marie Jacobé fut mère de plusieurs filles,
d'après la tradition. L'ainée de ces filles, pro
bablement aussi rainée de toute la famille,
était-elle cette Salomé, qu'on a longtemps
considérée comme sa sœur, et qui fut toujours
sa compagne assidue, aussi dévouée qu'elle à
la personne du Sauveur ? Il est loisible de le
croire, quoique rien ne permette de l'affirmer.
--_
CSALOMË) à qui la tradition de Provence
..
donne aussi le nom de MARIE, était la femme
de Zébédée, pêcheur de Bethsaïde, sur les
bords du lac de Tibériade. L'Evangile la
nomme, tantôt simplement Salomé (2), tantôt
la Mère des fils de" Zébédée (3).
(1) Fouard, Saint-Jean, ch. 2, p. 26.
(2) Marc, XV, 40.
(3) Matthieu, xX, 20 ; XXVIII, 66.
24. LEUR ÉGLJSE ET LEUR PÈLERINAGE 21
Salomé et Zébédée eurent en effet deux fils,
Jacques et Jean, appelés par Jésus à l'Aposto
lat le même jour qu'André et Simon Pierre. Au
premier appel de Jésus, Jacques et Jean aban
donnent tout, même leur père, pour suivre le
DiviJ:.1 Maître. Ames ardentes et généreuses,
Jésus les nomma lui-même « Boanergès ~ ou
les c Fils du tonnerre :& (l). Cependant leur
dévouement paraît bien n'avoir pas été tout
d'abord absolument désintéressé. Ils se servi
rent de leur mère Salomé pour demander au
Sauveur l'honneur d'occuper les premières
places dans son royaume. Doucement Jésus
leur fit comprendre l'inconvenance de leur
demande (2).
Jacques et Jean n'en demeurèrent pas moins
les privilégié» de Jésus. Ils furent les témoins
de la Transfiguration sur le mont Thabor, puis
de l'Agonie du Sauveur au jardin de Gethsé
1 mani ; privilège qu'ils ne partagèrent qu'avec
Simon Pierre, le Chef futur de l'Eglise.
'1 -::. JACQUES, que l'on a surnommé le Majeur,
(1) Marc, III, 17.
(2) Matthieu, XX, 20-27.
25. 22 LES SAINTES-?ofARIES-DE-LA-MER
pour le distinguer de l'autre Jacques, fils de
Cleophas, qui ne futappele qu'après lui à
l'Apostolat et à la gloire du Martyre, évangé
Jisa la Judée, la Samarie et les provinces voi
sines. L'Espagne se glorifie également d'avoir
reçu de lui la prédication de l'Evangile.
Revenu à Jérusalem, vers l'an 42, il eut
l'honneur' d'avoir la tête tranchée par ordre
d'Hérode Agrippa, quelques jours avant la
fête de Pâques. Plus tard, son corps fut
transporté en Espagne et inhumé à Iria-Flavia.
sur les frontières de Galice, le 25 juillet, jour
où l'Eglise célèbre sa fête. Au IX"· siècle, ses
reliques furent transférées à Compostelle, qui
devint le siège épiscopal précédemment établi
à Iria-Flavia.
.z - SAINT JEAN, le disciple bien-aimé, qui dans
la dernière Cène reposa sa tête sur la poitrine
du Sauveur, fut le seul des Apôtres qui suivit
Jesus-Christ jusqu'au Calvaire. Du haut de la
Croix, Jésus lui confia sa Sainte Mère, qui
vécut longtemps avec lui à Ephèse et à Jéru
1 salem. Il fonda plusieurs Eglises en Asie.
L'an 95, pendant la persécution de Domitien,
il fut arrêté et conduit à Rome, OÙ,' devant la
26. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERlNAGE 23
Porte Latine, après le supplice de la flagella
, tion, on le plongea dans une chaudière remplie
d'huile bouillante. Protégé par la puissance
divine, il sortit de cette épreuve plus vigoureux
que jamais. Relégué ensuite dans l'île de
Pathmos, il y écrivit le livre de l'Apocalypse.
Délivré un an après, il revint à Ephèse, où il
mourut, l'an 100 de Jésus-Christ. après avoir
écrit son Evangile. Nous avons aussi de lui
trois EpUres canonique~.
-i:. **
La gloire de Marie Jacobéet de Marie
Salomé ne vient pas seulement de leur parenté
avec Notre-Seigneur et sa Mère, ainsi que de
l'illustration de leurs enfants. Leur vrai mérite
est bien plutôt dans leur fidélité à suivre le
Sauveur : d'abord pendant sa vie, au cours de
~es voyages apostoliques, lui prodiguant les
soins d'un dévouement sans limites ; ensuite
et surtout à l'heure de l'épreuve suprême,
quand les Apôtres eux-mêmes, excepté Saint
27. ~:'"
"",
' .........
24 'LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
Jean, l'avaient abandonné. Saint Marc (1) et
Saint Matthieu (2) nous apprennent qu'avec
Marie Madeleine, ellès faisaient partie de ce
groupe nombreux de Saintes Femmes qui sui
vaient Notre-Seigneur et l'assistaient de leurs
biens (3), et qui étaient venues avec lui de
Galilée. Les mêmes Evangélistes nous les
montrent au pied de la Croix près de sa Sainte
Mère, puis au Sépulcre attentives à tout ce qui
se passait pour l'ensevelissement du Corps de
Jésus.
L'approche du Sabat n'avait pas permis à
Joseph d'Arimathie et à Nicodème de procéder
à l'embaumement du Corps. Les Saintes Fem
mes s'en étaient rendu compte. Elles laissèrent
passer le jour du repos sacré, et le soir venu
elles achetèrent des parfums. Aux premières
lueurs du jour elles se rendirent au Sépulcre,
se demandant l'une à J'autre qui pourrait leur
aider à enlever la pierre qui fermait l'entrée
du tombeau. Tout à coup la terre trembla, et
quand, revenues de leur frayeur, elles s'appro
(1) Marc XV, 40. 41.
(2) Matthieu, XXVIII, 55. 66.
(3) Luc, VIII, S.
28. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 25
chèrent du Sépulcre, la pierre était enlevée
et le Corps avait disparu. Un ange éclatant de
blancheur leur annonça que Jésus était res
suscité, et leur donna l'ordre d'aller porter la
nouvelle aux disciples. Tandis qu'elles se diri
geaient vers la ville, Jésus lui-même se montra
à elles : « Salut ! leur dit-il, ne craignez rien,
« allez dire à mes frères qu'ils aillent en
« Galilée, c'est là qu'ils me verront ».
Le..:' Saintes M'a~~s durent être présentes
aux diverses apparitions du Sauveur à ses
disciples, pendant les quarante jours qui sui
virent sa résurrection. Elles assistèrent certai
nement à son Ascension glorieuse : car le
Livre des Actes des Apôtres, après avoir
raconté cet événement, ajoute que les disciples
revinrent de la montagne des Oliviers à Jéru
salem et qu'ils se rendirent au Cénacle, où ils
persévéraient dans la prière avec les Saintes
Femmes, Marie la Mère de Jésus et ses frères.
C'est là que, le jour de la Pentecôte, tous reçu
rent le Saint-Esprit sous forme de langues de
feu. Désormais les Livres du Nouveau Testa
ment ne font plus mention des Saintes
Femmes.
29.
30. ~-~
LES SAINTE S MARIES
EN PROVENCE
OMBIEN de temps Marie Jacobé et Marie
C , Salomé restèrent-elles à Jérusalem après
la Pentecôte? Selon toute vraisemblance, leur
séjour en Palestine ne dura pas moins de 9 ans
ni plus de 15. La Tradition de Provence nous.
apprend, en effet, que les Saintes Maries
apportèrent avec elles diverses reliques, entre
autres la tête de Saint Jacques le Majeur (1):
D'autre part, les Actes du Martyre de Saint
Alexandre de Brescia, disent que ce Saint vint
à Marseille la neuvième année du règne
de l'Empereur Claude (2), c'est-à-dire vers
(1) D'après l'abbé C. Fouard (Saint Pierre et les
premières allnées du Christianisme, Appendice, pp. 471
ù- 475), le martyre de Saint .Jacques, sous Hérodl.'.
Agrippa, eut lieu li la Pâque de l'an 42.
(2) Cette date est rapportée par Orose, d'après Fla-
vius Josèphe. Voir Le.s Sailltes Maries de Provence, par
M. le chanoine Lamoureux, note de la page 27.
31. 28 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
l'an 49 ; qu'il vit dans cette ville le bien
heureux Lazare, et qu'étant venu à Aix, il y
rencontra également Saint Maximin (1). C'est
donc entre les années 42 et 49 qu'il faut placer
les événements que nous allons raconter et qui
nous sont connus par la tradition.
La mort tragique d'Hérode Agrippa (an 44)
avait remis directement la Judée sous l'auto
rité des Empereurs Romains. Pendant un cer
tain temps, les Juifs de Jérusalem n'osèrent
point persécuter les disciples de Jésus, crai
gnant de s'attirer la vengeance de Rome, qui
veillait avant tout au maintien de l'ordre
public. Mais la haine des Juifs contre les
Chrétiens, dont le nombre s'accroissait chaque
jour, ne pouvait supporter longtemps un pareil
f défi porté à leurs prétentions d'anéantir ce qui
restait encore de l'ancien entourage du Sau
veur. Dans un de leurs accès de fureur, voyant
peut-être faiblir un moment l'autorité du pro
1 cureur de l'Empereur Claude, ils résolurent de
se débarrasser de ceux qu'ils considéraient
comme les chefs les plus influents de la nou
(1) Voir l'Appendice J. à la fin du volume.
32. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 29
"elle religion. Pour le moment ils s'abstinrent
. de s'attaquer à la personne de Jacques le
Mineur, qui jouissait de l'estime et de la véné
ration générales.
Parmi les témoins les plus gêna~~s d.e la vie
-
d~.~T~sus setr<)Uvai~nt L,azare l~su~et
ses deu:;.. sœurs Marthe et Marie Madeleine,
..
-
---.
.
Marie Jacobé et .,. Marie Salomé, les disciples
~ --"'
Maximin. et Sidoine l'aveugle de naissance
.......... ".
guéri par Notre-Seigneur, et quelques autres
que' diverses Eglises des Gaules se glorifient
~.
d'avoir eus pour Apôtres et premiers Pasteurs.
- - -_.-
Il faut y ajouter, d'après la tradition, Marcelle,
-
servante de M_a~~e .et de.' Marie Madeleine,
- -
ainsi que Sara, servante des Saintes. Maries
.
Jacobé et Salomé, que la piété des pèlerins,
surtout des Bohémiens, ne sépare pas de ses
augustes maîtresses.
Les mettre à mort eût été trop compromet
tant. On se contenta de les embarquer sur un
petit navire sans voile, sans rames, sans pilote,
r
J s ans provisions de bouche, et de les exposer
ainsi, soit à un naufrage certain, soit à la mort
angoissante de la faim. Une pieuse légende
ajoute que Sara avait été laissée sur la plage
33. 30 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
au moment de l'embarquement. Désolée de se
séparer de ses maîtresses, elle les supplie de
ne pas l'abandonner. Salomé lui jette son man
teau, et l'humble servante s'en sert comme
d'un radeau pour atteindre la barque et y
prendre place parmi les exilés.
La Providence veille sur les serviteurs de
Dieu, qui voulait se servir d'eux pour porter
la foi à des contrées lointaines. Après bien des
vicissitudes, la barque vient échouer sur les
côtes de Provence, dans l'île de Camargue
formée par les embouchures du Rhône (1).
C'est là que va être plantée la première Croix,
là que va être célébrée la première Messe sur
la terre des Gaules. C'est de là que va partir
l'étincelle qui portera la lumière de l'Evangile
à la Provence (les deux Narbonnaises) d'abord,
ensuite au reste de la France. C'est là que les
peuples reconnaissants viendront remercier les
Saintes et retremper leur foi à la source même
(1) Voir l'Appendice II, à la fin du volume; et
F. Rllynaud, La Tradition des Saintes Maries, Appen
àice III. pp. 95 et 96.
34. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 31
d'où elle a jailli, comme le chante le poète
arlésien Meste Eisseto :
De l'cn aut de vosti toune
Vesès courre
Tout lou Miejour Catouli ;
Es l'antico fe de Franço
Que s'avanço
Vers lou Brès ounte a'speli (1).
Dès qu'ils ont mis le pied sur cette terre
hospitalière, la première pensée des exilés est
de remercier le Ciel de la protection miracu
leuse dont ils ont été l'objet. Un autel en terre
pétrie est élevé par leurs soins sur la plage, et '
Saint Maximin avec les autres disciples y célè
bre les saints Mystères. L'existence de cet autel
est mentionnée par Gervais de Tilbury, Maré
chal du royaume d'Arles (2), et par Durand,
Evêque de Mende (3). On le retrouva en 1448,
(1) « Du sommet de vos tours - Vous voyez accou
rir - Tout le Midi catholique; - C'est l'antique foi
d~!!l<.e _. Qui s'avance - Vers le bercéiïu où 'eIlê
est éclose ».
(2) De Otio lmperiali, 1212. livre II, De divisione
Orbis et provinciarum.
(3) Ralionale dil'inorum Officiorum, fin du XIII' siè
cle.
35. 32 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
lors des fouilles opérées, par ordre du roi
René, pour rechercher les corps des Saintes
eachés pendant les invasions des Sarrasins.
En même temps jaillit miraculeusement une
source d'eau douce, comme pour inviter les
Saintes Maries à fixer leur demeure en ce lieu.
Les Saints proscrits se séparent bientôt,
après avoir construit et dédié à la Mère de
Dieu un modeste Oratoire, qui fut probable
ment le premier temple chrétien élevé sur la
terre des Gaules. Sainte Marthe va évangéliser
la région de Tarascon et Avignon. Lazare,
Marie Madeleine, Maximin et Sidoine prennent
la route de Marseille, probablement par voie de
mer : car, selon une antique tradition, ils
firent escale à l'est du Cap Couronne, à un
endroit nommé Sainte-Terre, où se trouve une
vénérable Chapelle dédiée à la Sainte Croix.
De Marseille, Maximin et Sidoine montent à
Aix, où ils établissent le siège épiscopal qu'ils
occupent l'un après l'autre. Madeleine reste
quelque temps à Marseille avec son frère
Lazare, qui devient le premier Evêque de cette
ville et qui y meurt martyr. Elle va ensuite
36. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINA(XE 33
rejoindre Maximin et Sidoine, dont elle par-
tage l' Apos~olat, puis se retire au désert, où
elle vit les trente dernières années de sa vie
dans une grotte connue depuis sous le nom de
Sainte-Baume.
Quant à Marie Jacobé et Marie Salomé, elles
fixèrent leur résidence, avec Sara leur ser-
vante, à côté du petit oratoire. Mais leur zèle
pour la propagation de l'Evangile ne pouvait
rester inactif. Les bords de la mer et des
étangs étaient habités par des pêcheurs, les
autres parties de la Camargue par des cultiva-
teurs et des bergers. Aux uns et aux autres
elles firent connaître Jésus-Christ et sa doc-
trine. En reconnaissance, les habitants de l'île
pourvoyaient à leurs besoins matériels, comme
elles avaient fait elles-mêmes à l'égard de
Notre-Seigneur.
A peu près à la même époque, Saint Pierre
avait envoyé de Rome en Gaule sept Evêques
pour y prêcher la foi en Jésus-Christ.
C'étaient : Trophime, disciple de Saint Paul,
qui fixa sa résidence à Arles ; Paul à Nar-
~onne ; Martial à, Limoges ; Austremoine à
37. 34 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
Clermont ; Gatien, li. Tours ; Saturnin, à
Toulouse ; Valère, à Trèves.
La Tradition nous rapporte que Saint Tro
phime, quand il parcourait l'ile de la Camar
gue, ne manqua.it pas de venir visiter les
Saintes Femmes qu'il avait connues en Judée
38. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 35
et de leur procurer le bonheur de recevoir la
Sainte Eucharistie.
Lorsque, après une vie de labeurs, de prières
et de pénitences, les Saintes Maries apprirent
que leur fin approchait, elles firent prévenir
l'Evêque d'Arles. Celui-ci accourut, les nourrit
une dernière fois du pain céleste, reçut leur
dernier soupir et leur procura, avec l'aide des
chrétiens qu'elles avaient évangélisés, les hon
neurs de la sépulture. Selon la tradition, Marie
Jacobé mourut la première. Quelque temps
après, Marie Salomé alla la rejoindre au Ciel.
Sara ne tarda pas non plus à recevoir, par une
sainte mort, la récompense de sa foi et de son
dévouement.
Les habitants de l'île se firent un devoir de
visiter leurs tombeaux, les yeux remplis de
larmes et se recommandant aux prières de
celles que désormais ils considéraient comme
leurs patronnes et leurs avocates auprès de
Dieu. '
~
39.
40. ~~~~
LE CULTE DES SAINTES MARIES
ORIGINE DES PÈLERINAGES
UTOUR des tombeaux des Saintes peu à peu
A des habitations se construisirent. Les·
miracles qui s'y opéraient commencèrent à
attirer les foules qui voulaient vénérer leurs
reliques et se mettre sous leur protection.
La rapidité avec laquelle se répandit en
dehors de l'île le culte des Saintes Maries pour
rait s'expliquer par l'existence en ce lieu d'un
temple païen dont quelques restes ont été
conservés. Un autel de 1 25 de haut sur
DI
<} 75 de large se voit dans la crypte de
DI
l'église ; des colonnes ont été utilisées pour hl
décoration de ,l'abside ; deux chapiteaux en
marbre blanc, qui sont recueillis au presbytère,
représentent les danses pratiquées probable
ment autour du temple, les jours de fête.
.P lusieurs ont pensé que ce temple était dédié
41. 38 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
au dieu Mithra. D'après Strabon (1), les Mar
seillais firent bâtir un temple à Diane
d'Ephèse, sur un terrain auquel les bouches du
Rhône donnent la forme d'une tIe. Quelle que
soit la divinité à laquelle ce temple avait été
dédié, les peuples de toute la contrée devaient
s'y rendre à c.ertains jours de fête. Devenus
chrétiens par les prédications des Saintes, le
temple fut abandonné par eux : le petit ora
toire, surtout quand les corps des Saintes y
furent ensevelis, devint tout naturellement
l'objet de leur pèlerinage, comme l'avait été
précédemment le temple païen.
Parmi les pèlerins se trouvaient aussi des
tribus de nomades appelés bohémiens, tziga
nes, caraques, qui n'ont jamais cessé de venir
aux Saintes-Maries pour la. fête du 25 Mai.
Sans négliger, bien au contraire, les deux
Saintes Maries Jacobé iet Salomé, ils rendent
un culte spécial à Sainte Sara, qu'ils invoquent
comme leur patronne. Leur religion assez
fruste et peu éclairée aurait conservé, dit-on,
certains rites d'origine païenne, qu'ils inter
(1) Strabon. Géogr., Uv. IV. - Voir l'Appendice III.
A la fin du volume.
42. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 39
rompent dès qu'un profane vient se mêler à
eux.
Le culte des Saintes Maries allait toujours
grandissant. Vers le IV' siècle on éprouva le
besoin de remplacer l'oratoire primitif par un
édifice plus vaste, quoique encore de modeste
apparence. Comme l'oratoire, l'église fut
dédi~e à la Sainte Vierge et s'appela Sane/a
MariC:L-de-Ratis, que l'on a traduit par Sainte
Marie-de-la-Barque.
En 512, Saint Césaire, Evêque d'Arles, avait
fondé dans cette ville, sous le vocable de Saint
Jean, un monastère de Religieuses, dont il
confia la direction à sa sœur Sainte Césarie.
Quelques années plus tard, il envoya un petit
groupe de ces Religieuses aux Saintes-Maries,
pour être les gardiennes de l'église et du tom
beau. Dans son testament, il lègue à l'abbaye
des Religieuses d'Arles la terre forestière,
agellum sylvanum, dont un copiste a précisé
la situation: ln quo sita est eeelesia Sanctœ
Mariœ-de-Ratis.
Du VIII" au X' siècle, les Sarrasins envahi
rent et dévastèrent le Midi de la France.
43. 40 LES SAlNTES-MARIES-DE-LA-MER
L'Aquitaine, le Languedoc et la Provence
eurent particulièrement à souffrir de leur bar
barie. Battus par Charles Martel à Tours et
à Poitiers (737), puis en Provence (739), ils
revinrent au temps de Charlemagne qui leur
infligea de sanglantes défaites. Ils ne furent
définitivement chassés de Provence qu'à la fin
du X· siècle. Venant d'Espagne, ils se divi
saient en plusieurs bandes, dont les unes tra
versaient les Pyrénées, les autres arrivaient
par mer et remontaient le cours 'du Rhône. La
Camargue devait naturellement recevoir le
premier choc. Aussi les habitants des ,Saintes
Maries s'empressèrent, à l'approche des bar
bares, de mettre en sûreté les Reliques de
leurs Patronnes, qui étaient leur trésor le plus
précieux. Et pendant plusieurs siècles aucun
signe extérieur ne put faire connaitre l'endroit
où les saints Corps étaient cachés.
~
44. ~-
L'ÉGLISE DES SAINTES MARIES
fallait se défendre contre les invasions et
L
I abriter en même temps les précieuses Reli
ques. On trouva tout naturel de construire une
nouvelle église et de lui donner les caractères
d'une forteresse. Ses murailles épaisses, ses
créneaux, ses mâchicoulis, son chemin de
ronde serviraient à la défense, .tandis que la
source d'eau douce fournirait aux divers
besoins des assiégés.
45. 42. LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
Les documents contemporains font défaut
pour assigner une date précise à cette merveil·
leuse construction. On en est réduit aux
conjectures. D'~près la Statistique du Dépar
tement des Bouches-du-Rhône (1), la fondation
de l'Eglise des Saintes-Maries eut lieu après
l'an 981, lorsque Guillaume le., victorieux des
Sarrasins, vint fixer sa résidence à 'Arles, où·
Conrad le., roi de Bourgogne, lui laissa exercer
librement l'autorité souveraine. - Charles
Lenormand (2) et l'architecte Revoil (3) sont
du même sentiment. - M. Reynaud, Archi
viste-adjoint du Département des Bouches-du
Rhône (4), estime que l'église était achevée
vers la fin du règne du comte Bertrand, et que
les auteurs en sont Geoffroy (1018-1063) et
Bertrand son fils (1063-1092).
M. Ach. Gautier-Descottes (5), croit que
l'église a été construite en même temps que
les églises de Maguelonne, de Frontignan, de
(1) Tom. II, p. 1128.
'(2) Beaux-Arts et Voyages, tom. II, pp. 53 et suiv.
(3) L'Architecture romane du Midi de la Gaule.
(4) La Tradition des Saintes Maries, pp. 12, 91-94.
(5) L'Eglise des Saintes-Maries, pp. 4-18.
46. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLElUNAGE 43
et que d'autres temples-citadelles, élevés
pour la défense de nos côtes contre les Sarra
siq.s, les Arag~mais et les Catalans, qui infes
tèrent successivement le Golfe du Lion. Il se
demande si les chapiteaux de l'abside n'ont
pas été mis en place postérieurement, c'est-à
dire au temps de la construction du cloître de
Saint-Trophime d'Arles. Si l'on considère la
forme ou le mode de construction, poursuit-il,
on se trouverait en présence de la nef romane
ayant succédé, avec ses trois travées ordinai
res (les autres ayant été ajoutées postérieure
ment) à l'ancienne basilique romaine. Voilà
pour l'intérieur. Quant à l'extérieur. l'Eglise
des Saintes-Maries a surtout le caractère d'un
ouvrage militaire du VIII" siècle. Historique
mcn,t, en tenant compte des motifs particuliers
et des intérêts politiques qui ont pu imposer
à l'architecte certaines conditions spéciales,
on ne peut raisOJ;mablement assigner à cette
construction qu'une date contemporaine des
invasions sarrasines, c'est-à-dire de ï35, épo
que de la première invasion, jusqu'en. 980,
époque où Guillaume le., et son fils Guil
laume II, petit-fils de Bozon deuxième du nom,
47. 44 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
écrasèrent les Sarrasins· dans leur dernier
repaire de La Garde-Freynet. Postérieurement
rien n'aurait motivé l'élévation d'édifices aussi
considérables et d'appareil aussi militaire.
M. Gautier-Descottes pense que l'idée première
de la construction de l'Eglise-Citadelle date de
l'an 812, sous le pontificat de l'Archevêque.
Jean II, ami de Charlemagne. Il conclut que ce
n'est ni à l'Empereur, ni aux Rois, ni. aux.
Comtes de Provence que cette construction est
due, mais aux Archevêques d'Arles, défenseurs
du pays, en cette période où l'autorité civile
manquait souvent de stabilité. L'Eglise de
Notre-Dame-de-la-Mer, commencée par Jean II.
continuée par Nothon (819-850), aurait été
achevée et fortifiée par Rotland (850-869), vers
le milieu du IX' siècle.
C'est probablement au cours d'une de ses
visites faites pour surveiller les travaux de
défense de Notre-Dame-de-Ia-Mer et de la
Camargue, que l'Archevêque Rotland fu t sur
pris par les Sarrasins avec son escorte sur les
bords du Vaccarès. Ses hommes furent massa
crés au nombre de 300, et lui-même fut fait
prisonnier et soumis aux plus mauvais traite
48. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 45
ents. Informés du désastre, les gouverneurs
la ville d'Arles envoyèrent une députation
p ur traiter de la rançon de leur Pasteur. Ils
a ordèrent tout ce qu'on exigea : 150 livres
d' l'gent, 150 manteaux, 150 épées, 150 escla-
ve' Pendant qu'on négociait ~a délivrance,
l'A chevêque succomba aux mauvais traite-
ments qu'il avait subis (18 Septembre 869).
Le·s Sarrasins, craignant de perdre la rançon
convenue, avertirent les Arlésiens de la verser
en toute hâte, parce qu'ils allaient quitter la
Camargue. Au jour fixé, ils vêtirent Rotland
de son costume d'Evêque, et l'ayant mis sur
un siège, le déposèrent sur la rive avec des
marques d'un grand respect. Les Arlésiens,
croyant leur Archevêque vivant, payèrent la
rançon. Mais quand ils s'approchèrent de lui
pour le ramener, ils s'aperçurent que ce n'était
qu'un cadavre. Consternés, ils l'emportèrent à
Arles, et l'ensevelirent avec honneur dans
l'église de Saint-Honorat.
Quelle que soit d'ailleurs la date ex.acte de
la construction de l'Eglise-Citadelle, il est un
point sur lequel il nous paraît impossible de
dire, avec la plupart des auteurs insuffisam~
49. 46 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
ment informés, qu'elle a été élevée sur le
ruines de l'église précédente. On ne s'expliqu d
rait· pas, en effet, l'existence, au XV· Siè~'
d'une chapelle ,assez allongée, fermée en av t
par un portail de fer à claire-voie (cledassi ),
et sur les trois autres côtés par des murs de
pierre de taille. Cette chapelle occupait le n
tre de l'église, entre la nef et le chœur ; pour
aller de la nef au chœur, il fallait passer par
les couloirs sitoés entre les murs de la chapelle
et ceux de l'église (1). Il n'est pas admissible
que cette chapelle ait été construite en même
temps que l'église, ou postérieurement, de
façon à masquer aux fidèles se trouvant dans
la nef la yue des cérémonies du culte célébrées
dans le chœur. Pour nous, cette chapelle
n'était pas autre chose que l'Eglise existant
déjà du temps de Saint Césaire, au VI" siècle.
Par là on s'explique facilement pourquoi le
niveau de toute l'Eglise était sensiblement le
même que le niveau actuel de la crypte. En
conservant pieusement le vieil édifice, on ne
pouvait faire autrement que d'établi~ le pavé
(1) Procès-verbal de l'Invention des Reliques, en
1448.
50. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLEIUNAGE 47
d la nouvelle Eglise en contre-bas ùes terrains
en ·ronnants, qui avaient été surélevés pen
da t plusieurs siècles par les inondations du
Rh e, dont une branche, le Rhône de Saint
Fer éol, passait tout à côté de la petite Ville
de 1 Mer.
Pe dant les invasions, les religieuses pré
posée. à la garde du tombeau et de l'Eglise des
uaintes, avaient dù abandonner le pays.
En 992, le Comte Guillaume 1er restitua au
monastère de Saint-Césaire 1 l'Eglise et ses
dépendances (1). Cette possession ne fut pas
de longue durée.
En 1061, l'Archevêque Raimbaud donna au
t::hapitre d'Arles l'Eglise de Notre-Dame de
Ratis « en vue d'obtenir le salut pour lui, pour
son frère Foulques et pour leur père et mère».
Il menace d'anathème ceux qui voudraient
s'opposer à l'effet de cette donation (2).
(1) POllti{icium Arelatense, in-4°, 1629. Ex archivis
Virginum S. Cœsarii Arelatensis.
(2) Archives Départementales des Bouches-du:'Rhône;
Répertoire général de tous les titres et documents,
Archevêché d'Arles, fol. 6; Livre Noir de l'Archev.,
fol. 49 ; Faillon, Monuments inédits, tome II,.col. 609.
51. 48 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
Vers 1075, le comte Bertrand cède au C'Ia
pitre d'Arles tous ses droits sur l'Eglise/de
. Notre-Dame de Ratis (1).
Vers 1080, Aicard, Archevêque d'
donne, conjointement avec son Ch;itre,
l'Eglise de Notre-Dame de Ratis à l'Abba e de
Montmajour .c moyennant une redeva e de
300 sous melgoriens à chaque fête de la Tous
saint, deux cierges de bonne cire à l'anniver
saire de la Consécration de l'Eglise, deux
autres le jour de l'Assomption, titulaire de
l'Eglise, et avec l'obligation de tenir deux
desservants aux Saintes-Maries~ (2). - Cette
donation fut confirmée par les Papes Pascal II
(1114), Gélase II (1119), Calixte II (1123),
Eugène III (1152) et Innocent III (1204).
Les moines de Montmajour conservèrent la
possession de l'Eglise jusqu'à la suppression
de l'Abbaye, en 1786.
(l) Paillon. t. II, col. 611 ; Authentique du Chapitre
d'ATles, fol. 126 ; Histoire des Comtes de Provence, par
Antoine de Rum~ p. 62.
(2) Archives de Montmajour, ancien N° 1746.
52. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 49
Au commencement du XII" siècle, le titre de
S~cta-Maria de Ratis, tombé en désuétude,
1'u remplacé par celui de Sancla-Maria de Mari
(S nte-Marie-de-Ia-Mer), seul employé désor-·
-ma s dans les Actes officiels.
. ~
53.
54. ç-
CULTE DES SAINTES MARIES
AU MOYEN-AGE
'AUTEUR de l'Histoire de Sainte Marie
L Jacobé et de Sainte Marie Salomé (1) rap
porte à l'an 1315 l'établissement de la Confré
rie des Saintes-Maries. La première mention
qui en est faite dans les Actes date de
l'année 1338 (2).
Mais dès ce moment, dit M. Reynaud (3), on
la voit puissamment installée; elle occupe une
place si importante dans les affaires de la
Commune, qu'on serait tenté, n'était son
caractère éminemment religieux, de la com
parer aux Confréries du Saint-Esprit, qui,
dans les plus grands centres, jouèrent un rôle
si considérable. Cette Confrérie a eu en quel
(l) Par un prêtre du Clergé, 1750.
(2) Archives. des Saintes-Maries, Charte nO 38, du
29 Nov. 1338.
(3) La Tradition des Saintes Maries, pp. 23 et suiv.
55. 52 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
que sorte un caractère public : c'est la
Confrérie de la Ville (confratria ville), par
opposition aux Confréries de N.-S.-J.-C. ou de
l'Ascension, de Saint-Antoine ou de Saint.,
Claude. Les deux sexes sont admis à en faire
partie, et on compte parmi ses membres les
plus riches habitants de la ville, qui n'ont
garde de l'oublier dans leur testament... Aussi
cette confrérie avait-elle des propriété_s, et la
Commune parait avoir fait à sa caisse, à la
fin du XIV' siècle ou au commencement
du XV', un emprunt dont elle se libérait par
des paiements partiels.
Peu à peu s'enrôlèrent dans la Confrérie de
nombreux pèlerins étrangers à la Commune.
Plusieurs Indulgences furent accordées par les
Souverains Pontifes aux membres de la
Confrérie, notamment par Benoit XJV dans
une Bulle adressée, le 17 Févrie'r 1743, à
l'Archevêque d'Arles.
Au début du XIV' siècle, les 3.000 habitants
de l~ Ville étaient administrés par trois
consuls, assistés d'un Conseil où les trois clas
ses de citoyens, divites, mediocres, pallperes,
56. lIj
1 LEUR tGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 53·
étaient représentées. L'affluence des pèlerins
les enrichissaient. Les Princes les comblaient
de privilèges : d'anciennes ordonnances font
défense aux collecteurs d'imI>ôts de saisir les
valeurs, les armes, les meubles, le bétail des
habitants ; Raymond Bérenger V accorde aux
Consuls l'exemption de la gabelle, permet aux
habitants d'entourer la ville de murailles et de
prendre du bois de construction dans la forêt
de la Pinède ; le roi Robert, en 1332, les dis
pense de tout service militaire, toutes les fois
que les armements seront composés de moins
J
de dix galères ; la reine Jeanne et les rois de
France eux-mêmes témoignent hautement de
l'intérêt .qu'ils portent aux habitants des
Saintes-Maries.
Au nombre des pèlerins illustres on trouve,
en 1332, Pierre de Nantes, Evêque de Saint
Pol-de-Léon', en Bretagne. Atteint de la goutte
et privé depuis longtemps de l'usage de ses
membres, il implore la protection de la Sainte
Vierge et des Saintes Maries, et fait vœu d'aller
visiter leur Eglise, s'il obtient sa guérison.
L'hymne qu'il composa en vers latins exprime
la simplicité et la vivacité de sa foi et de sa
57. 54 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
piété. L'hymne achevé, l'Evêque s'endort d'un
profond sommeil, pendant lequel les Saintes
lui apparaissent faisant des onctions sur ses
membres souffrants, et l'assurant de sa guéri
son. A son réveil il est en effet guéri. Il part
bientôt pour accomplir son vœu. Après son
retour il dédie à ses puissantes protectrices
trois autels : l'un à Nantes', sa ville natale,
dans :l'Eglise de Saint-Pierre son Patron ; le
second au Val des Ecoliers, à Longjumeau près
de Paris ; le troisième à Paris, dans l'Eglise 1
des Carmes. Il compose un Office propre, qu'il
récite tous les jours ; et chaque année, le
25 Mai, il fait célébrer une fête en l'honneur
des Saintes Maries. - L'histoire de cette gué
rison est racontée, en 1357, p~r Jean de
Venette, Carme du Couvent de Paris, dans un
poème en vers français intitulé Les Trois
Maries (1).
En 1343, Foulque II, Evêquc de Paris, fait
le pèlerinage des Saintes-Maries, et, à son
retour, institue dans son diocèse les fêtes de
(1) Manuscrit de la Bibliothèque Royale, 7581, p. 437.
58. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 55
Sainte Marie Jacobé le 25 Mai, et de Sainte
Marie Salomé le 22 Octobre.
•
Monseigneur Derquiry, Evêque de Coutan
ces, fait une semblable ordonnance pour son
diocèse. De nombreux diocèses de France
s'unissent à ce concert de louanges. Le diocèse
de Chartres se fait particulièrement remar
quer. Partout les Saintes Maries y ont des
autels et des Confréries. On voit encore à
Mignières une église du XI" siècle dédiée aux
Trois Maries. De temps immémorial on s'y
rend en pèlerinage de la Beauce et du Perche
pour y vénérer leurs reliques ainsi que celles
de Sainte Marthe et de Saint Lazare (1).
Vers la fin du XIV· siècle, sous Louis II, la
Ville de la Mer fut assiégée par les Aragonais,
qui brûlèrent la façade de l'Eglise. Les deux
dernières travées n'étaient probablement pas
encore achevées, et ne le furent qu'après
l'incendie, avec des pierres de taille de Beau
caire. La ville de Châteaurenard envoya cent
hommes pour soutenir les Saintains, qui, à
leur tour, contribuèrent à la défense de Châ
teaurenard.
(1) Notice sur Les Trois Maries, par l'abbé Cintrat,
curé de Mignières.
59.
60. INVENTION DES RELIQUES
EN 1448
les Corps des Saintes, cachés
C pendant
EPENDANT
les invasions des Sarrasins~.
demeuraient . enfouis dans l'intérieur de
l'Eglise, sans aucune indication de l'endroit
précis où ils reposaient. Jugeant que l'heure
était venue de rendre à ces Reliques vénérées
le cuIte qui leur était dû, le pieux Prince René
d'Anjou, roi de Sicile et de Jérusalem, Comt~
de Proven.~e, forma le projet de les faire
rechercher et de leur donner une place d'hon
neur.
Encouragé par le P. Adhémar, de l'Ordre
des Frères Prêcheurs, il demande au Pape
Nicolas V l'autorisation de faire des fouilles
dans l'Eglise de N.-D. de la Mer pour découvrir
les Reliques.
Entre temps il envoie sur les lieux l'Arche
vêque d'Aix, Robert Damien, qui recueille
61. 58 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
auprès des habitants les renseignements néces
saires. D'après les témoins entendus, on croit
que les Corps reposent dans la Chapelle située
au centre de l'Eglise.
Par uI1e Bulle datée du 3 Août 1448, le Pape
accorde l'autorisation demandée et délègue
comme Commissaires Apostoliques l'Archevê
que d'Aix et Nicolas de Brancas, évêque de
Marseille. Sans perdre de temps, l'Archevêque
charge le Chevalier Jean Arlatan de diriger les
travaux. Celui-ci se rend directement à la Ville
de la Mer, et les fouilles sont faites sous sa ,
direction par des ouvriers assermentés. Vers
le milieu d'Août les travaux sont achevés.
Le Roi, qui avait été tenu au courant du
résultat des fouilles, en fit part au Souverain
Pontife, et celui-ci, par sa Bulle du 20 Octobre
suivant, délégua le Cardinal Pierre de Foix,
Evêque d'Albano et Légat du Saint-Siège à
Avignon, pour procéder à la reconnaissance et
à la Translation des Saints Corps.
De concert avec le Roi, le Cardinal chargea
l'Evêque de Marseille de faire l'information
canonique préliminaire. Nicolas de Brancas se
rendit à Arles pour commencer son enquête.
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&.EGItNDIt
A Petite porte du Nord, - B Grande
PQl'te du MidI. - C Le puits d'eau douce.
_ D T~te d'homme. - EE Restes d'un
ancien mur. - F Petite grotte. - G Autel
en terre pétrie. - HH Corps des Saintes.
- 1 Tétes d'enrants.
63. 60 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
Le dimanche 17 Novembre, à l'Auberge du
Mouton, le Chanoine Albaleti, Prévôt, Vicaire
Général et Official de l'Archevêché d'Arles, lui
présenta les Lettres Apostoliques le dési
gnant, conjointement avec l'Archevêque d'Aix,
comme Commissaire du Pape pour la présente
affaire. Le Vicaire Général lui montra en
outre: la Légende (1) qui est lue chaque année
dans l'Eglise d'Arles et partout où l'on célèbre
la fête des Saintes Maries ; un extrait de
l'ouvrage de Gervais de Tilbury, intitulé De
Otio lmperiali, contenant des détails sur la
Camargue, l'Eglise et le Tombeau des Saintes
Maries; un autre extrait du Ratiollale Divi
norum Olficiorum, de Durand Evêque de
Mende, mentionnant l'existence, dans l'église
de N.-D. de la Mer, d'un autel en terre élevé
par les disciples du Christ en arriv.ant sur la
plage de la Camargue.
(1) Dans le langage liturgique, on appelle Légende
ou Leçon, un abrégé de la Vie d'un Saint qui doit être
lu (Legenda) à l'Office de la fête de ce Saint. Ce n'est
pas un récit inventé par l'imagination populaire,
comme on se le figure trop communément; mais une
pièce historique, qui peut contenir quelqpes erreurs
de détail mais dont le fond doit être tenu pour vrai,
vu la sévérité et la prudence de l'Eglise dans ces
matières.
64. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 61
L'Evêque de Marseille interrogea ensuite,
sous la foi du serment, divers personnages de
la Ville d'Arles, entre autres l'Archiprêtre et le
Pr.ecentor de cette Eglise. Tous rendirent
témoignage de la tradition immémoriale
concernant la Sépulture des glorieuses Saintes
dans l'église de N.-D. de la Mer, l'affluence des
pèlerins, surtout aux jours de leurs fêtes, et
les grâces obtenues près de leurs tombeaux.
Le Mardi 19 Novembre, Nicolas de Brancas
se rend à la Ville de la Mer, accompagné par
le chevalier Jean Arlatan, le notaire Humbert
de la Rote, et ses familiers. Dès qu'ils sont
arrivés, il ordonne au chevalier de faire appe
l'er le Bayle du Roi, les Syndics de la Ville et
ceux qui avaient fait les fouilles.
Tous ensemble ils se rendent à l'Eglise. Avec
eux se trouvent Giraud Samson, prieur, et
Hugues Rolland, vice-curé de N.-D. de la Mer.
e: Nous avons examiné ladite Eglise, dit l'Evê
« que de Marseille, et nous avons reconnu
c: qu'elle n'avait de l'extérieur que deux
« portes, l'une plus grande que J'autre, savoir
e: une porte sur chacun des côtés. Nous avons
e: constaté ensuite que l'Eglise elle-même est
65. 62 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
« divisée en trois parties, savoir : une nef
« pour la première partie ; une chapelle assez
« allongée, fermée sur le devant par une grille
« (cledassio) en fer, et sur les deux côtés et .
« le fond par un mur en pierre de taille, pour
« la seconde partie ; un chœur ou enceinte
« réservée aux Clercs qui chantent l'Office,
« pour la troisième et dernière partie. On n'a
« d'accès de l'Eglise à cette troisième partie
« que par un long couloir formé par le mur
« latéral de ladite chapelle ). Telle est la
description de l'Eglise au milieu du XV· siècle.
L'Evêque examine les fouilles. La chapelle
intérieure avait été creusée de part en part. On
avait cru d'abord que les Corps des Saintes
étaient ensevelis au pied de l'autel principal
de cette chapelle. Or, on ne trouva au milieu
de la chapelle que le puits et la. source d'eau
douce. C'est de cette eau, dit le procès-verbal,
que l'on avait coutume de donner aux pèlerins
et aux malades mordus par des chiens enragés.
On passe à la troisième partie de l'église.
Voici ce que l'Evêque enquêteur apprit de la
bouche du chevalier et de ceux qui avaient
exécuté les travaux.
66. LEUR tGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 63
N'ayant rien trouvé que le puits dans la
chapelle, on avait continué le's fouilles dans le
couloir de droite qui conduisait au Chœur. Au
bout du couloir, à l'entrée du Chœur, on avait
trouvé une tête d'homme assez grosse, entou
rée d'une lame de plomb, mais pas d'osse~
meats. On creusa dans le Chœur lui-même.
Vers le milieu, et non loin de la chapelle
susdite, on trouva une petite grotte renfermant
des écuelles en terre, les unes entières, les
autres brisées, et une certaine quantité de
cendres avec des charbons noirs. Entre la
grotte et le mur de la chapelle se trouvaient les
restes d'un autre mur qui traversait le chœur
dans toute sa largeur. Dans ce mur il y avait
une petite porte permettant d'aller de la grotte
dans la chapelle où se trouvait le puits.
Continuant les fouilles dans la direction du
Maitre-Autel qui occupait le fond du Chœur et
de l'Eglise, on trouva à une canne (deux
mètres) de l'autel, une grande quantité de terre
pétrie, très différente de la terre remuée dans
le Chœur. Dans cette terre pétrie était dressée
une petite colonne de pierre blanche très
corrodée, et surmontée d'une petite pierre de
67. 64 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
marbre en forme d'autel portatif~ qui fut brisée
accidentellement par III pioche de l'un des
fossoyeurs. S'avançant toujours du Maitre
Autel, du côté gauche où l'on dit l'Evangile.
on trouva une tête puis tous les ossements d'un
corps humain enseveli dàns la terre. ayant les
pieds sous la pierre de l'autel et les mains
croisées sur la poitrine, et d'où s'échappait un
parfum très agréable. On se dirigea sur la
droite, et, à la distance d'environ trois pieds,
on trouva un second corps dans la même posi
tion que le premier,. mais entouré de pierres
minces appelées vulgairement lauses. On
arrêta les fouilles de ce côté, craignant
d'ébranler les fondements de l'église, et l'on
revint du côté gauche creuser à l'entrée du
Chœur, vis à vis de l'endroit où l'on avait
trouvé la tête entourée de plomb. Après de
longues recherches on découvrit trois têtes
plus petites disposées en forme de triangle, et
pas d'ossements. Par ordre du chevalier Jean
Arlatan, les têtes furent déposées à la Sacris
tie ; les deux corps restèrent sur place, chacun
sous un cadre de bois recouvert d'une étoffe
<le soie..
68. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 65
Tel fut le récit des témoins convoqnés par
l'Evêque de Marseille. On ajouta que, par
respect pour les corps des Saintes, il n'ava.it
jamais été permis d'enscv~lir dans l'église le
corps d'un défunt quelconque, et que les
sépultures s'étaient toujours faites dllns le
cimetière à côté de l'église.
L'Evêque se rend ensuite à l'auberge de la
ville, où il recueille séparément et sous la foi
du serment les témoignages, tous concordants,
de chacune des personnes qui avaieht coopéré
aux fouilles et qui viennent d'assister à l'exa
nien de l'église.
Le lendemain mercredi, après avoir fait
rédiger par le notaire le procès-verbal de tout
ce qu'il a vu et entendu, Nicolas de Brancas
repart pour Avignon où il arrive le lendemain
jeudi.
Le samedi 23 novembre,. clans l'Eglise
majeure d'Avignon, le roi René, accompagné
de plusieurs Evêques, Prélats, Chevaliers et
autres notables de ses E~ats, se présente au
Cardinal Légat, entouré également d'Evêques,
Prélats, Chevaliers et notables de la Ville et du
Comtat. Discours du vénérable maître Adhé
69. 66 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
mal', confesseur du Roi, suppliant, au nom du
Prince, le Cardinal de vouloir bien accepter la
mission, qui lui est confiée par le Pape, de
procéder à la reconnaissance et à l'Elévation
des Reliques des glorieuses Saintes Maries
Jacobé et Salomé. Le Roi, lui-même présente
les Lettres du Pape au Cardinal qui les reçoit
avec respect, les fait lire à l{aute voix par le
notaire, ct promet son concours personnel
pour l'exécution desdites Lettres Apostoliques.
Le lendemain dimanche, dans la mêmc
Eglise d'Avignon, l'Evêque de Conserans
chante la Messe solennelle du Saint-Esprit,
pendant laquelle le Père Martial d'Auribeau,
dominicain, fait l'éloge du pieux dévouement
du Roi et annonce quc la cérémonie de l'Eléva
~ion des corps des Saintes Maries commencera
le lundi 2 Décembre suivan t.
Vn témoin oculaire, Jean Eustache, abbé de
Sainte-Marie-de-Nizelle, au diocèse de Cam
brai, raconte que le Cardinal Légat partit
d'Avignon en bateau, avec sa suite, le samedi
30 Novembre, et arriva sur le soir à Arles. Au
port du Rhône l'attendait l'Archevêque d'Aix,
assisté de nombreux Prélats. Le Roi lui-même
70. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 67
vint prendre le Cardinal sur le bateau pour le
conduire à l'intérieur de la ville, à travers la
foule immense du peuple.
La journée du dimanche se passe à Arles.
Le lundi 2 Décembre, d'assez bonne heure,
tout le monde est rendu à la Ville de la Mer.
L'Evêque d'Orange chante les Vêpres. Après
quoi le Roi Hené présente au Cardinal le
Procès-Verbal de l'enquête faite par l'Evêque
de Marseille, ainsi que les autres écrits déjà
présentés audit ~vêque enquêteur.
Le Cardinal entre alors en conférence avec
les Evêques, Abbés, Prélats et Docteurs appe
lés à cette cérémonie. C'étaient les RR.: Robert
Damien, Archevêque d'Aix; Antoine Ferrier,
Evêque d'Orange ; Pierre Nasond, Evêque
d'Apt; Jean de Colliargis, Evêque de Troie
Gaucher de Forcalquier, Evèque de Gap
Guillaume Soybert, Evêque de Carpentras
Nicolas de Brancas, Evêque de Marseille
Tristand de l'Aure, Evêque de Conserans
Pierre Turelure, Evêque de Digne ; Palamède
de Carret, Evêque de Cavaillon ; Guillaume
Guezi, Evêqlle de Grasse ; Pierre Marin, Evê
que de Glandèves ; Pons de Sadone, Evêque
,J,
71. 68 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
de Vaison ; Pierre du Lac, Abbé de Saint
Victor de Marseille ; Arnaud de Saint-Félix,
Abbé de Psalmodi ; Jean Préverand, Abbé de
Saint-Gilles ; Jean Eustache, Abbé de Sainte
Marie-de-Nizelle ; Adhémar Fidèle, Prieur de
Saint-Maximin ; Jean de Badoire, Prieur de
Bedoin au diocèse de Carpentras; Jean Alba
let, Vicaire Général d'Arles ; Louis de Fras
senges, Doyen de la Collégiale de Saint-Pierre
d'Avignon; Jean de Paillères, Archidiacre de
Carpentras ; Arnaud Guillaume de Sansac,
Chanoine d'Adura ; Jacques Guillot, Docteur
en Droit canonique d'Orléans ; Guillaume
d'Harencourt, Jean Huet et Marquet de Ricci,
Protonotaires assistants du Saint-Siège Ap.os
tolique.
A la suite de cette conférence, le Cardinal
Légat, monté sur une estrade servant de Tri
bunal, au nom du Saint-Siège Apostolique,
/~~v prononce la sentence sur l'authenticité des
Reliques des Saintes Maries trouvées dans
l'Eglise, et ordonne qu'elles soient enfermées
dans une Châsse convenable et placées en lieu
honorable dans l'Eglise. Outre les personnages
nommés plus haut, étaient présents : le Roi
72. LEUR ÉGLISE ET l.EUH PÈLERINAGE 69
René et la Reine Isabelle, leur gendre, Frédéric
de Lorraine, et plus de 300 Seigneurs ou gens
de qualité appelés comme témoins.
La foule nombreuse de pèlerins accourus de
toutes parts passa la nuit dans l'Eglise auprès
des Saintes Reliques.
Le jour suivant, mardi 3 Décembre, la
Grand'Messe pontificale est chantée par le
Légat assisté par les Evêques et les autres
Ecclésiastiques. Le gendre du Roi et le Séné-
chal de Provence servent à l'Autel. La Messe
dite, le Cardinal prend les Saints ossements et
les dépose sur une table. Les Evêques de Mar-
seille et de Conserans les lavent, selon l'usage,
avec du vin blanc dans des vases d'argent. Le
Légat les place successivement dans une
châsse à double compartiment, préalablement
bénite et magnifiquement décorée.
Après le repas de midi, on sort la Châsse sur
la place publique. Le P. Adhémar prononce le
panégyrique des Saintes. Puis les ossements
sont montrés l'un après l'autre à toute l'assis-
tance et remis dans la Châsse qui est reportée
dans l'Eglise.
73. 70 LES SAINTE5-MAlUE5-DE-LA-lIlEH
Le lendemain 4 Décembre, le Cardinal
dépose dans une autre châsse en bois de noyer
les têtes et les autres reliques trouvées dans
l'église près des Corps des Saintes Maries.
Cette châsse est placée dans la Sacrislie pour
y être conservée jusqu'à ce qu'il en soit décidé
autrement. La Châsse renfermant les Corps
des Saintes Maries est fermée à quatre clefs,
puis montée dans la Chapelle de Saint-Michel,
qui est située au-dessus du Chœur et que le
Roi René a restaurée et préparée pour recevoir
ce précieux trésor. Des quatre clefs, deux sont
confiées au Roi, deux au Prieur claustral du
Monastère de Montmajour, duquel dépend
l'Eglise de Notre-Dame de la Mer.
Après le chant cl II Te Deum, le Cardinal
chante l'Oraison, donne la bénédiction et
congédie l'Assemblée. Pal' son ordre, Maître
Humbert de la Rote, de Mâcon, citoyen d'Avi
gnon et Notaire Apostollql1~, impérial et royd,
rédige el signe le Procès-Verbal de tout ce qui
vient de s'accompllr. Les Prélats et Dignitaires
présents y ajoutent leurs t€mùignagcs avec
appension de .lèurs sccflllx. La minute de ce
Procès-Verbal sur parchemin est conservée
74. 71
aux Saintes-Maries; une copie se trouve aux
Archives Départementales dt's Douches-du
Rhône.
A la demande du Roi René, son conseiller
l'Abbé de Sainte-Marie-dc-Nizelle improvise
un poème en vers lalins rimés, faisant le récit
des fêtes de l'Elévation des Reliqurs. Celle
pièce a été publiée cn 1874, par M. F. Reynaud,
Archiviste-Adjoint des Bouches-du-Rhône,
dans sa brochure sur la Tradition des Saintes
Maries (1). NOl1s y avons puisé quelques détails
laissés de côté par le Procès-Verbal du Carcli
nal Lég~t.
Qç'
(1) Pages 51 il 65, 564 ligues.
75.
76. :"::
DE L'INVENTION DES RELIQUËS
A LA RÉVOLUTION
l'époque de la construction de l'Eglise,
A comme nous l'avons dit plus haut, sans
doute pour respecter et conserver la Chapelle
ou Eglise précédente, vénérable par son anti
quité et les souvenirs qui s'y rattachaient, on
avait établi le pavé à l'ancien niveau, notable
ment inférieur à celui des terrains enviroll
nants. De ce fait le pavé de l'Eglise devait être
très humi.de, et cette chapelle centrale empê
chait les fidèles de la nef de suivre les oflices
célébrés dans le chœur. Pour supprimer ces
deux inconvénients, immédiatement après
l'Elévalion des Reliques, le roi René fit démo
lir la Chapelle et relever le pavé de la nef (1).
(1) En 1907, les ouvriers qui cnt travaillé à la réfec
tion du pavé ont trouvé, vis-à-Vrs de la porte du midi,
plusieurs m'arches d'e!calier r.:ouvertes par les ter
rassements de 1448.
77. •
7:1 J,E5 SAINTES-MAUIES-DE-LA-lIIER
Il fit construh-e la vaille en pierre de taille sous
laquelle désermais se trouva une crypte que
l'on appelle la chapelle de Sainte Sara, parce
qu'elle renferme les l'cliques de la servànte
dévouée des Saintes Maries. Ces travaux
durent êtl'e menés rapide111ent : car dans le
Règlement de Nicolas de Brancus, Evêque ile
Marsci1l3, daté du 7 Janvier 14i!9, il est dit que
« le Prieur de l'Eglise sera tenu de faire célé
brer chaque jour les Messes accoutumées dans
la Ch3pclle iar:Sricnre que fait taire notre
Sérénissime Seigneur Roi ». « It~m quod die
tus Prior tencatur racere cclebrare Oluni die
in capella inferiori guum facît fillri Serenissi
mus Dominus noste1' l~cx, de Mi~sis tamen
consuetis... » (F. Heynaud, La Tradition des
Saintes l',Jades, p. 69).
L'Acte de Nicolas de Brancus, qui agissait
en sa qualité de Commissaire Apostolique,
règle aussi la mnnière de procéder à l'ostention
des Reliques, à la conservation des dons e~,
des ex-voto, et il l'attribution des offrandes. Il
décide enfin (Illê les Chàsses renfermant les
Reliques des Saintes Maries ne seront descen
dues que pour les fêtes des Saintes, 25 Mai et
78. LEU'R ÉGLISl: ET LEUR PÈLERINAGE 75
22 Octobre, et de la Ré;vélation des Reliques,
le 3 Décembre ; ou sur l'ordre du Roi Séré
nissime, ou lorsque un Roi ou Comte de la
Ma.ison de France, ou un Cardinal viendrait.
pour visiter les Saints Corps.
L'église n'ayant pas de sacristie proprement
dite, on construisit, en 1455, un mur en pierre
de taille qui sépara l'abside du reste du chœur,
et contre lequel s'npp11ya le MaUre-Autel. Un
grand parchemi.n conservé au Presbytère
donne tons les détllils de la com-entioll passée
entre les représentants de la Communauté (les
Saintes-Maries et des entrepreneurs de la yme
d'Arles pour la' construction de ce mur, qni
n'a été démoli qu'au milieu du XIX· siècle.
On voit par là l'inanité cle la fable d'après
laquelle on possédait, aux Saintes l,T aries, le
privilège de dire la Messe face au peuple,
comme dans certaines Basiliques de Rome.
Nos ancêtres étaient trop jaloux de leurs tra
ditions et de leurs privilèges pour laisser abolir
celui-là, s'il avait existé. La lecture du procès
verbal de 1448 ne permet pas, d'aüleurs, de
supposer à cette épaque l'existence d'un pareil
privilège.
79. 76 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
Les événements de 1448 eurent un retentis
sement considérable, qui amena à la Ville de
la Mer un nombre de plus en plus grand de
pèlerins. En reconnaissance des grâces obte
nues, tous faisaient à l'église des dons
généreux.
Au mois de Mai 1576, une bande de fanati
ques tenta de s'emparer <les Reliques des
Saintes et· des richesses de leur église. Le
chevalier de Beaujeu et le consul Sabatier,
venus pour les arrêter à la tête de 80 cavaliers
arlésiens, furent battus. Sabatier mourut des
suitcs des blessures reçues dans cette ren
contre. Des renforts arrivés d'Arles mirent en
fuite les nouveaux Vandales.
Les témoignages de la protection des Saintes
Maries pendant cette période sont nombreux.
Qu'il nous suffise d'en mentionner deux :
Le 25 Mai 1591, jour de la fête des Saintes,
un enfant, Jean Anthaume, fils d'Honoré, se
trouvant avec sa mère Marguerite Morel sur
le chemin de ronde qui surplombe l'église,
passe accidentellement par une des meürtriè
l'es et vient s'abatlrf; sur le sol. La mère a vu
le danger : 4: Hélas ! Sàintes Mari{ 1 et Saint
1"
80. ''EUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 77
Anthoi~auvez mon enfant! • s'écda-l-elle.
On accourt, ,t l'on trouve l'enfant assis à terre,
sans aucun Ifial. - Une petite peinture, que
l'on voit à la Chapelle Haute, raconte le fait
avec une touchante naïveté.
Quelques années plus tard, en 1596, de
graves dissensions s'élèvent à Arles, à l'occa
sion des troubles de la Ligue. Impuissants à
conjurer les malheurs qui menacent la ville,
les Consuls font vœu d'offrir aux Saintes
Maries un souvenir de leur gratitude, si le
calme se rétablit. Leur confiance est aussitôt
récompensée : l'esprit de paix succède à l'agi
tation des jours précédents, ct la ville recouvre
sa tranquillité. Le 15 Septembre, les Consuls,
le Chapitre et plus de 6.000 pèlerins se rendent
aux Saintes-Maries pour offrir à leurs libéra
trices le témoignage de leur reconnaissance.
C'étaient une croix en vermeil et une magnifi
que pièce d'orfèvrerie représentant la ville
d'Arles. Les deux Saintes y paraissaient
debout, et une femme agenouillée tenait à la
main une banderolle avec l'inscription : Sa~n
tes Maries Jacobé et Salomé, intercédez pour
les habitants de la Ville d'Arles. Pendant la
81. 78 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
/'
Révolution de 1793 cet ex-voto. a d~paru avec
bien d'autres trésors de l'église.
La foi des peuples était telle, qu'on avait
recours aux Saintes dans toutes les circonstan
ces importantes ou pénibles de la vie ; contre
toutes sortes de maladies, surtout contre la
fièvre ; pour la délivrance des femmes en
couches. Nous avons vu, dans un chapitre
précédent, qu'on faisait boire de l'eau du puits
aux personnes mordues par des chiens enra
gés. Les témoins entendus en 1448 affirmèrent
qu'aucune de ces personnes n'avait été atteinte
de la terrible maladie. Un Manuel de dévotion,
imprimé en 1750, contenait la Messe propre
que l'on disait pour ces personnes.
82. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERIN.;GE 79
D'apI' les documents (procès-verbaux, etc.)
conservés ux Archives départementales, les
Châsses des aintes Maries ont été ouvertes et
les Reliques 'riflées:
En 1655, par Monseigneur François de Gri
gnan, Archevêque d'Arles : procès-verbal très
détaillé. - En 1662, l'Archevêque reste à N.-D.
de la Mer du 15 au 25 Décembre; ce jour de
Noël il fait descendre les Châsses dans l'Eglise.
On respectait alors les droits de l'Archevêque.
En 1686, pal' Monseigneur Jean-Baptiste de
Grignan, Archevêque d'Arles, neveu du pré
cédent. Les Châsses sont ouvertes avec les clefs
du Prieur de l"Iontmajour et des Commissaires
de la Chambre des Comptes. Description très
détaillée des Reliques et des documents ;
En 1709, par Monseigneur François de
Mailly, Archevêque d'Arles. Le procès-verbal
original a dû être brûlé avec les Châsses le
5 Mars 1794. Son attestation munie de son
sceau fut enlevée des Châsses, avec une partie
des reliques, par M. Abri!, le 22 Octobre 1793,
et remise dans les nouvelles Châsses le 21 :Mai
1797 ;
83. 80 LES SAINTES-MAHIES-JiE-LA-MEU
En 1710, par Monseigneur Louis dé" Roque
martine, Evêque de Saint-Paulirois-Châ
teaux. Même remarque que ci-delus ;
Le 25 Mai 1719, par Monseignéur de Forbin
.Janson. Procès-verbal détaillé, dont une copie
aux Archives départementales.
En moins d'un siècle les Châsses ont ùonc
été ouvertes cinq fois. Ces faits détruisent
absolument la légende d'après laquelle elles
ne sont ouvertes qu'une fois tous les cent ans.
D'après le droit canonique, les Evêques ont en
effet la faculté et même le devoir de vérifier,
quand ils le jugent utile ou nécessaire, toutes
les Reliques conservées dans les différentes
églises de leurs diocèses.
~
84. SAINTES MARIES
PBNDANT LA RÉVOLUTION
'EGLISE des Saintes-Mal:ies ne pouvait. pas
L échapper aux. dévastatIons de la pénode
révolutionnaire. Le 8 Mai 1793, des envoyés du
District d'Arles firent main basse sur la plu-
part des objets précieux, ne laissant que ceux
strictement nécessaires à l'exercice du culte.
85. 82 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
mais sans cependant toucher aux Reliqbes des
Saintes.
,
Le curé constitutionnel Antoine;Abril, crai
gnant le retour des révolutionnaires et la
profanation des Reliques, se concerte avec un
paroissien fidèle, Antoine Molinier, pour les
mettre en lieu sûr. Dans la nuit de la fête des
Saintes Maries, 22 Octobre 1793, ils se rendent
à l'Eglise, ouvrent les châsses exposées au
milieu du chœur, et en retirent environ le tiers
des ossements des deux Saintes, dont ils font
deux paquets qu'ils transportent d'abord à la
cure. Après mûre délibération, ils décident de
les enterrer dans le bûcher (bouscatiero) atte
nant à une maison que Molinier tient à ferme
au nord du cimetière. Le secret le plus absolu
a été gardé jusqu'au mois de Mai 1797.
La précaution était bonne. Le 5 Mars 1794,
des gens à triste mirte, venus d'Arles, sèment
la terreur dans la paroisse. Le curé Abri! avait
disparu dans le courant de l'hiver. Les châsses
sont descendues par le tour et 'transportées sur
la place méridionale de l'Eglisè. On les ouvre
à coups de hache, on y introduit des sarments
et on y met le feu. On brûle aussi avec les
86. " LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 83
châsses, des Missels, des Livres de Chœur et
autres Livres liturgiques, des ex-vota de la
Chapelle Haute et des statues de Saints, pen~
dant que des danses macabres sont exécutées
autour du feu. Les cendres sont ensuite dis~
persées sur la place, et quelques personnes, des
enfants surtout, réussissent à recueillir une
certaine quantité d'ossements calcinés. Ces
reliques ont été pieusement conservées dans
'quelques familles jusqu'en 1863, comme nous
le verrons plus loin. La population est conster
née. Une femme est tellement affectée de ces
horreurs, qu'elle en devient folle et meurt
quelque temps après ; dans ses accès de folie
elle ne cessait de répéter, se tenant la tête dans
les mains : « On a brûlé les Saintes ! On a
brùlé les Saintes ! »
Avant de se retirer, les sectaires mutilent les
belles boiseries qui décorent les murs de la
Chapelle Haute, en enlevant au ciseau les
sculptures en relief des quatre panneaux les
plus près de l'autel. L'un des représentants du
District emporte à Arles, pour être monnayés,
les deux reliquaires d'argent en forme de bras
87. 8'1 LES SAINTES-~fARIES·DE-Li·MER
confectionnés avec les bassins de même métal
donnés en 1448 par le R<;>i ~eué.
Le 27 Mars de la même Juuée, des envoyés
du District brisent l'autel en bronze de la
crypte et en emportent à Arles, le métal pesant
cinq quintaux. Dans cet autel formant reli
quaire se trouvaient, depuis le XV' siècle, les
reliques de Sainte Sara, ainsi que l'autel en
terre et ses accessoires découverts en 1448.
Au début de l'année 1797, le calme com
mence à renaitre pour l'Eglise de France. La
déportation des prêtres insermentés est abolie.
Le 4 Mars, un prêtre originaire des Saintes
Maries, M. Barrachin, ancien dominicain,
arrive d'Arles et instruit la municipalité qu'il
vient d'être relevé det"la suspense et que le
P. Joubert, de l'Oratoire, nommé Vicaire Géné
ral du diocèse d'Arles, par Monseigneur de
Belloy, Evêque de Marseille et Administrateur
dudit Diocèse sede vacante Cl), l'a délégué
pour bénir l'Eglise paroissiale et y exercer les
t'onctions curiales, en l'absence du légitime
(1) Monseigneur du Lau, Archevêque d'Arles, avait
été massacré en Septembre 1792. dans la prison des
Cannes, à Paris.
88. LEUR ÉGLISE ET LEUR ptLERINAGE 85
curé dont on n'a aucune nouvelle depuis bien
longtemps. Avec l'aide de la Municipalité, il
se met immédiatement à l'œuvre. Dans la
petite sacristie de la Chapelle Haute il trouve
intacte la caisse renfermant quelques osse
ments que l'on dit être les reliques du SaInt
ApÔtre Jacques le Mineur (1), ou des Saints
Innocents. - Le 13 Mars, le Receveur des
Domaines nationaux fait enlever les scellés de
la sacristie de l'Eglise et remettre au curé les
rares effets ou ornements qui s'y trouvent. Des
personnes de bonne volonté recueillent d'ahon
dantes offrandes, et le notaire Jacques Martin
apporte de Nimes les objets du culte indispen
sabies qui manquent encore.
Cependant la municipalité fait arracher les
-.
arbres de la liberté. Le 3 Avril, en enlevant
celui qui se trouve sur la place vis-à-vis la
porte de l'Eglise, on retrouve le marbre appelé
Coussin des Saintes, dont on s'était servi pour
Je consolider. On rétablit ce marbre dans
l'Eglise, à l'endroit où il était anciennement
vis-à-vis la chaire. C'était, dit-on, SUl' ce mal'
(1) Ou plutôt de Saint Jacques le Majeur.
89. 86 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-lIIER
"
bre que reposait la tête d'une des Saintes, lors
de la découverte des corps, en 1448.
Le 16 Avril, jour de Pâques, a lieu la béné
diction solennelle de l'Eglise et de la Chapelle
Haute, suivie de la célébration de la Messe et
des autres offices de la journée.
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Le 16 Mai, 27 floréal an V, le citoyen Julien
Marteau, Officier de Santé en pharmacie, ori
90. LEU~ ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 87
ginaire d'Arles et résidant à Saint-Gilles,
apporte l'un des bras d'argent emportés à
Arles avec toute l'argenterie de l'Eglise, le
5 Mars 1794. Julien Marteau avait trouvé ce
reliquaire dans un tiroir du bureau, lors de
son entrée en fonctions comme administrateur
du District d'Arles. Le Procès-verbal de cette
restitution se trouve au Presbytère. Une copie
est insérée dans le Registre de Catholicité
de 1797.
Le dimanche 21 Mai, Antoine Molinier fait
connaître à la Municipalité l'endroit où sont
cachées les Reliques enlevées des châsses le
22 Octobre 1793. On se rend au bûcher et l'on
déterre les deux paquets. M. Barrachin, auto
risé préalablement par le Vicaire Général,
prend les paquets et les porte respectueuse
ment à l'Eglise. Dans l'un des paquets se
trouve une inscription portant, à côté du nom
de François de Mahi (sic) Archevêque d'Arles,
la mention Attest. Ossa Sanctœ Llfal'iœ Salome.
Dans l'autre paquet, une inscription porte, à
côté du nom de Louis, Evêque et Comte de
Trois-Châteaux, la mention Ossa Sanctœ
lIfariœ Jacobi. Attest., puis une autre inscrip
91. 88 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
tion portant ces mots : Franc. de Mali Archie
pûs Arelatensisj et plus bas: Ossa Sanctœ,
Mariœ Jacobi. Ces attestations sont revêtues
des sceaux des Prêlats qui les avaient for
mulées.
Le citoyen Joseph Gondran, Officier de
Santé, examine ensuite les Reliques et trouve :
Dans le paquet de Sainte Marie Salomé, un os
cipital entier (nous respectons l'orthographe
du Procès-verbal), la partie antérieure et supé
rieure de la mâchoire inférieure avec une dent
molaire et deux fragmants des deux dents
incisives, un homo-plato entier du côté droit,
lIne clavicule entière, une des premières cottes,
deux fragmants d'autres cottes, quatre frag
II1an~s des os tibia, un os péroné entier, un
h'agmant de l'autre péroné ; dans le paquet
de Sainte Marie Jacobé, un os des pariéto, une
partie de la machoire inférieure, nne des pre
mières cottes entière, deux autres cottes en
fragmant, des fragmants d'un os cubitus, un
os radius entier, des fragmants d'un autre
radius, un os fœmur en fragmant, un os tibia
en 'ragman!, un os péroné entier.
Dans la caisse à double compartiment que
92. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈJ,ERINAGE 89
l'on avait confectionnée semblable à l'an
cienne, M. Barrachin place respectueusement
.les ossements, chaque paquet enveloppé d;un
linge blanc, puis recouverts, l'un d'une écharpe
en soie bleue, l'autre d'une écharpe en soie
rouge. Les Châsses fermées, on chante Je Tc
Deum, suivi des Vêpres solennelles. Enfin les
Reliques sont montées à la Chapelle Haute, à
la. place qu'elles occupaient autrefois, et la
cérémonie se termine par la Bénédiction du
Saint-Sacrement. Le procès-verbal de. cette
Révélation des Reliques, extrait des Châsses
en 1839, est conservé au Presbytère; une copie
es t insérée au Registre de Catholicité de 1797.
La veille de ce jour, le 20 Mai, M, Barrachin
avait trouvé, dans un angle ùe la Chapelle qui
fait face à la porte sud de l'Eglise, une caisse
remplie d'ossements. Deux femmes, Justine
Lieutaud épouse Conseil, et Marguerite net'·
trand veuve Martin, déclarent que ce sont les
ossements de Sainte Sara. Le jour ùe.la des
truction de l'autel de la Crypte, 27 Mars 1794,
elles les avaient elles-mêmes ramtlssés dans
les déeornbres et conservés soigneusettlent,
93. 90 LES SAINTES-},[,RIES-DE-LA-Mrm
puis placés dans cette caisse. Ces ossements
ont repris leur place dans la Crypte.
M. Barrachin meurt en Janvier 1801. Ses
~uccesseurs s'occupent de remettre en état
l'Eglise dévastée par la tourmente. Le pèleri
nage reprend, les grâces obtenues se multi
plient et attirent de nouveaux pèlerins.
M. l'Abbé Gazan est curé des Saintes-Maries
du mois de Janvier 1831 au mois de Mai 1845.
Sous son administration a lieu le 21 Juin 1839,
la reconnaissance des Reliques pal' M. Jaque
met, Vicaire Générul délégué de Monseigneur
Bernet Archevêque d'Aix. Arrivé la veille,
M. le Vicaire Général avertit la population de
l'objet de sa visite. Excités par de faux bruits
les habitants croient qu'on vient leur enlever
leur précieux trésor, ct à dix heures du soir ils
envahissent l'église ct la cour du presbytère.
On arrive peu à peu à les rassurer, li1ais il
faut leur permettre de passer la nuit dans
l'église. Quand, le lendemain, les Messes dites,
on va procéder à la cérémonie, on s'aperçoit
que le tour qui sert à descendre les Châsses a
disparu. Pendant ·la nuit un fabricien zélé
l'avait jeté dans le cimetière, olt l'on finit par
94. LEVH. ÉGLISE ET LEUR PÈLEH.INAGE 91
le trouver. Tout se passe ensuite suivant le rit
habituel. Les Reliques sont trouvées dans l'état
où les avait laissées, en 1797, M. Barrachin.
L'original du procès-verbal est placé dans les
Chûsses ; une copie est insérée au Registre des
Actes de Catholicité àe 1839.
M. l'Abbé Gilles succède à M. Gazan en 1845.
Il a la satisfaction, en 1854, de voir l'Eglise des
Saintes-Maries classée parmi les Monuments
historiques. Quelques années après, les tra-
vaux de restauration commencent par la
démolition du mur construit en 1455. L'abside
apparaît alors dans toute sa beauté.
Au mois de Février 1831, M. Gilles se retire
du ministère paroissial pour raison de santé.
Il est remplacé par M. ElIcombard, précédem-
ment curé de Villeneuve-Gageron en Camar-
gue.
M. Escombard se donne tout entier à sa
paroisse, à son église et à son pèlerinage.
Dès 1861, le 19 Mat, une cloche pesant
700 kilog., fondue par la maison Baudoin de
Marseille, est installée dans le clocher. Des
barres de fer sont placées au-dessus des
m~chicoulis pour empêcher les chutes possi-
95. 92 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
bles. Le peintre Allègre, de Bagnols-sur-Cèze,
décore l'autel de la Chapelle Haute de peintu
res sur toile représentant les Sainte~.
En 1862 a lieu, pour la première fois depuis
la Révolution, la Procession à la plage et la
bénédiction de la mer.
En 1863, réparation de la tour de l'horloge
- ancienne tour de la vigie - à l'angle sud
de la façàde de l'Eglise.
Le nombre des pèlerins augmentant tou
jours pour les fêtes de Mai et d'Octobre,
M. Escombard fait construite, en 1865, la
grande tribune du premier étage au bas de
l'église. En 1873 il Y ajoute la série des petites
tribunes qui font le tour de l'édifice. La même
année 1873 on continue les réparations et l'on
rétablit les créneaux démolis pendant la Révo
lution. La fenêtre par où descendent les
Châsses avait été refaite en 1867.
En 1885, l'architecte Revoil fait construire
le nouveau Maitre-Autel porté sur cinq colon
nes. L'ancien autel, formé d'une partie d'un
sarcophage antique, est transporté dans la
Crypte.
96. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 93
Des soucis d'un autre ordre occupent l'esprit
de M. l'abbé Escombard. Que sont devenues les
reliques brûlées le 5 :Mars 1794 ? C'est la ques
tion qu'il se posait peu de temps après son
arrivée dans la paroisse. En 1863, une circons
tance fortuite lui apprend que plusieurs
familles sont en possession de reliques des
Saintes Maries, recueillies dans les cendres
de l'incendie des Châsses. Autorisé par
Monseigneur Chalendon, Archevêque d'Aix,
M. Escombard commence une enquête canoni
que qui dure quatre ans. De nombreuses
personnes sont entendues sous la foi du
serment : quatre d'entre elles avaient été
témoins oculaires de l'incendie des Châsses,
deux avaient elles-mêmes sauvé des reliques.
Le procès-verbal de cette enquête est soumis,
le 12 Mai 1867, à Monseigneur l'Archevêque,
qui délegue son Vicaire Général M. Conil pour
faire la reconnaissance de ces reliques et ·en
prononcer l'authenticité. Le 18 Mai, M. Conil
porte, aux Saintes-Maries, le décret d'authen
ticité, qui est approuvé par l'Archevêque le
8 Octobre. Le dimanche 27 Octobre, jour où
"on célèbre la fête de Sainte Marie Salomé,
97. 94 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
M. Escombard, à ce délégué, place les reliques
sauvées du feu dans un reliquaire en bronze
doré, qui est placé au-dessus de l'Autel de la
Chapelle Haute.
Ce reliquaire contient : 1 ° portion du tiers
inférieur du tibia droit; 2° fragment inférieur
du radius ; 3° fragment de mâchoire infé
rieure ; 4° fragment de mâchoire inférieure du
côté droit avec portion de l'apophyse mon
tante ; 5° portion présumée d'un bassin de
femme appartenant à l'os des îles gauches ;
6° fragment d'os de membres inférieurs ;
III 7° portion de tête de fémur gauche; 8° por
tion présumée du radius ; 9° portion de la
1
1
l'
l tête d'un fémur droit ; 10° fragment de
1
98. LEUH ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 95
membre inférieur ; 11 fragment de membre
0
inférieur.
Pour réparer dans la mesure du possible le
crime commis en 1794, il est ordonné que
chaque année, le 5 Mars, aura lieu une céré
monie expiatoire dans l'Eglise et à la Chapelle
Haute.
Monseigneur Augustin Forcade, nouvel
Archevêque d'Aix, fait sa première visite
pastorale aux Saintes-Maries au mois de Mai
1874. Il arrive le 25, avec de nombreux pèle
rins,· un peu avant les Vêpres, et il assiste à
la montée des Châsses. I;.e lendemain 26 il
chante la Grand'Messe et administre le Sacre
ment de Confirmation. Usant de son droit de
visite, il aurait voulu faire redescendre les
Châsses et procéder à la reconnaissance des
Reliques ; il en est empêché par la violence
de quelques habitants dont l'entêtement égale
la profonde ignorance en matière de droit
canonique.
La magnifique impulsion donnée au pèleri
nage des Saintes-Maries par M. Escombard ne
se ralentit pas sous ses successeurs. Et les
Saintes semblent vouloir récompenser, par de
99. 96 LES SAINTES-MARIES-DE-LA-MER
nombl'eux bienfaits, la foi des peuples qui
implorent leurs secours. Les limites que nous
nous sommes tracées en écrivant cette notice
ne nous permettent pas de raconter ce qui est
mentionné à ce sujet dans des registres
spéciaux conservés aux Archives de la
paroisse.
M. Escombard, à bout de force.s, quitte les
Saintes-Maries le 23 Mars 1893 pour se repo
ser à Châteaurenard, son pays natal. Huit
jours après, le 31 Mars, jour du Vendredi
Saint, il couronne, par une mort édifiante, une
vie toute de dévouement pour la gloire de Dieu
et de ses Saintes, Il avait été curé des Saintes
IIaries pendant 32 ans.
M. Roux est installé le 21 Mai suivant, jour
de la Pentecôte. Quelques dates importantes·
sillonnent les neuf années de son ministère.
Au mois d'Août de l'année précédente la
ligne de Chemin de fer de la Camargue avait
commencé à fonctionner: ce qui accrut encore
le nombre des pèlerins et des visiteurs aux
Saintes-Maries.
Nous ne dirons pas ici ce que le voyageur
contemple de la passerelle d'un wagon. Il faut
100. LEUR ÉGLISE ET LEUR PÈLERINAGE 97
le voir soi-même, et ne pas s{} fier à certains
écrivains qui ont cru apercevoir l'étang du
Vaccarès, lequel en vérité est situé bien loin
de là et masqué par de longs rideaux d'arbres;
ou qui ont décrit l'engano immense à perte de
vue, parsemée de maigres salicornes: ignorant
que l'engano est le nom provençal de la
salicorne elle-même. '
En 1894 on débarrasse les belles boiseries de
la Chapelle Haute des ex-volo qui les tapis
saient, et on en rafraichit la peinture.
Le campanile avait été modifié, en 1832,
d'une façon regrettable. Un coup de foudre
l'avait plus tard découronné. En 1897 on le
,l'établit dans la forme ancienne, tel qu'il est
représenté par un ex-vota de tMll, exposé il
la Chapelle Haute.
La même année on enlève le badigeon dont
on avait eu; en 1837, l'idée bizarre de revêtir
tout l'intérieur de l'Eglise.
Le 13 Octobre 1897, le Cardinal Vaughan,
Archevêque de Westminster, Monseigneur
Bourne, Evêque de Southwark, Monseigneur
Béguinot, Evêque de Nimes, les, Prélats et
Chanoines qui venaient de célébrer à Arles les
101. ------ = •
98 LES S.J.NTES-MARmS-DE-L.-?,mn
fêtes treize fois séculaires de la consécration
épiscopale de Saint-l-hlguslin, .Apôtre de
l'Angleterre, se rendent p~ll' truin spécial aux
Saintcs Maries pOUl' vénérer les Reliques de
nos glorieuses Patronnes.
En 1898, on refait la porte principale de la
façade ouest de l'Eglise.
Le G Mai 1~99, Monseigneur Gouthe-Soulard,
Archevêque d'Aix, bénit solennellement le
grand Réservoir et les hornes-fontaines que, la
Commune vient de construire pour distribuer
les eaux amenées du Rhône. La prise est à
14 kilomètres en amont de la ville.
Un pèlerinage extr~lOrdinaire a lieu le
10 Octobre 1899. Une Croix apportée de Jéru
salem par' les pèlerin!> français des Lieux
Saints, est plantée sur les dnnc~ qui avoisinent
la mer. Le nombre des pèlerins venus de toute
la Provence, duLanguedoc et du Comtat, n'est
pas inférieur à dix mille. La fête est présidée
par Monseigneur l'Archevêque d'Aix. Un très
beau discours sur le tex.te de Saint Panl :
Servate traditiones vestras, est donné par
Monseigneur Béguinot, Evêque de Nimes.