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Symbioses, Coévolution, 
Immunité et Écologie 
Interpréter le vivant 
Gilles St-Pierre 
Vie aquatique Gilles Nadeau
Les images fractales 
• Nos merveilleux outils informatiques et les 
mathématiques du chaos permettent la création d’images 
qui évoquent bien l’unité du vivant dans son intériorité, sa 
complexité, sa plasticité, sa temporalité. On croit voir les 
boucles de rétroaction, les réseaux d’interactions, 
d’intrications et d’inscriptions de la mémoire dans le 
vivant. C’est pourquoi j’ai décidé de vous présenter en 
parallèle à cet exposé les tableaux d’art fractal de Gilles 
Nadeau, un des meilleurs dans cette discipline. 
Cette faculté de mémoire a peut-être même précédé 
l’apparition de la vie sur terre comme en témoigne Yves 
Couder, physicien des systèmes complexes, récemment 
admis à l’Académie des Sciences de 
France: « Actuellement, nous étudions une goutte d’huile 
qui surfe sur les ondes qu’elle crée sur un bain d’huile en 
vibration. Ces ondes contiennent dans leur structure une 
mémoire de la trajectoire antérieure. La fascination pour 
ce système vient de ses régimes spécifiques d’auto-organisation, 
quasi-biologiques, où l’information codée 
dans le passé contribue à déterminer le présent. » 
• « De la même manière, l’apparition du nombre de 
Fibonacci dans les spirales végétales a un rapport profond 
avec les quasi-cristaux. » 
Gaz incandescent Gilles Nadeau
Le tourbillon de la vie 
• Au XIXe siècle le grand physiologiste Claude Bernard 
introduisit le concept de milieu intérieur qui, d’une 
certaine façon, équivaut à parler d’une écologie 
intérieure. Au XXe siècle la biologie moléculaire et la 
génétique nous ont révélé des acteurs toujours plus 
nombreux et insoupçonnés de la vie. Il semble que 
même dans le noyau de la cellule, des virus ont été 
recrutés ou domestiqués pour devenir des collaborateurs 
de la cellule. Avec Lynn Margulis, nous verrons que 
l’endosymbiose devient un facteur décisif d’évolution 
chez les eucaryotes. L’histoire de cette chercheuse hors 
du commun nous permettra de réfléchir sur les liens 
entre la philosophie de la biologie et la recherche 
strictement scientifique. Puis, nous inspirant des travaux 
de Philippe J. Sansonetti et de Jules Hoffman, nous 
verrons que l’homme lui-même est un hybride 
eucaryote-procaryote. Nous nous tournerons ensuite 
vers les symbioses dans le monde végétal, par exemple, 
les relations tellement existentielles entre champignons 
et arbres, pour nous concentrer finalement sur la 
relation homme-nature. À toutes les échelles, nous 
assistons à des dialogues moléculaires, cellulaires, 
tissulaires, etc. Nous sommes devant des messages et 
des voies de signalisation et nous parlerons d’une 
branche négligée de l’éthologie : la biosémiotique. À 
toutes ces échelles aussi, nous verrons combien une 
approche toute génétique nous a embrouillé la vue. 
Oiseaux de nuit Gilles Nadeau
Changement de paradigme? 
• En séquençant le génome, les généticiens ont en 
quelque sorte scié la branche sur laquelle ils 
étaient assis : la génétique des populations. Et 
comme la biologie avait mis la génétique des 
populations au centre de son interprétation du 
vivant, tout s’écroule. Il serait plus juste, peut-être, 
de parler d’un Titanic conceptuel, réputé 
insubmersible, qui s’enfonce lentement dans 
l’océan, après avoir percuté un iceberg : 
l’épigénétique. 
• Que reste-t-il de la génétique classique? 2% du 
génome, le fameux code génétique, qui s’avère 
finalement être un clavier sur lequel la vie joue. 
• Voici quelques phrases tirées de la conclusion de 
la présentation du programme de cours « Analyse 
des génomes 2013-2014 » à l’Institut Pasteur : 
« Mais s’il est si difficile de définir les modèles de 
gènes, il ne faut pas oublier qu’en définitive 
chaque génome n’est en réalité que l’instantané 
d’un processus de changements permanents. » 
• « Si, à force de mieux connaître les gènes, on ne 
sait plus très bien ce qu'ils sont, c'est peut-être 
qu'en réalité, ils n'existent pas. Du moins pas 
comme objet moléculaire précisément 
définissable » 
Embrangle (lumière diffuse) Gilles Nadeau
L’ampleur de notre ignorance 
• Les plus récentes études concernant les virus indiquent qu’il 
existe entre 10 milliards et 1000 milliards d’espèces de virus! 
Nous en connaissons 10 000. (Didier Raoult 2013, L’Autre en 
nous) Allons-nous continuer de leur donner des noms? 
• « De l’ordre de dix milliards de virus sont détectables dans un 
litre d’eau de mer, et parfois davantage dans les eaux douces, 
ce qui peut donner lieu à 10 23 infections de bactéries par 
seconde (Hendrix 2003). Ceci laisse imaginer le nombre de 
transferts de gènes qui s’opère à chaque seconde dans tous les 
milieux aquatiques. » (Yves Chupeau 2013) 
• Il y a entre 100,000 et 1 million d’ « espèces » de protéines en 
nous: marge d’erreur de 900 000… 
• L’ARN , jadis simple messager unidirectionnel, devient 
multiforme, et multifonctionnel; c’est souvent l’ARN qui 
décide! Nous en avons découvert des milliers de variétés, 
petits et longs. Ils agissent parfois comme des enzymes, c’est à 
dire des protéines, et ont parfois des double brins, comme 
l’ADN. Ils changent de costumes et de rôles. Le concept de 
gène s’est dissous et les codons sont souvent dégénérés ou 
synonymes: il y a beaucoup d’exceptions à la règle, au code. Le 
modèle génétique traditionnel paraît maintenant simpliste. 
L’inné et l’acquis semblent bien inextricablement liés et tous 
ces processus sont en nous, comme une mémoire organique du 
passé. 
Seulement 2% du génome code pour des protéines, ce qui était 
notre définition d’un gène. Plus de 45% de notre ADN serait 
d’origine rétrovirale. 
Spirit of Buddharot Gilles Nadeau
Plasticité du vivant et même du noyau 
• Darwin avait souligné l’unité du vivant, mais celle 
que nous découvrons est plus profonde, car elle 
implique de nombreux acteurs agissant dans des 
réseaux d’une complexité insoupçonnée. Elle est 
doublée d’une plasticité que la génétique 
classique excluait. On est pris d’un certain vertige 
devant tant de complexité. 
• La biologie semble maintenant dans une impasse 
( Michel Morange Contre la pensée unique en biologie), elle fait 
face au retour des deux hérésies qu’elle avait 
crues définitivement éliminées, le lamarckisme 
et le vitalisme. 
• Le néodarwinisme est une théorie externaliste de 
l’évolution. Les organismes ne participent pas à 
leur transformation évolutive, ils sont « agis », ils 
subissent l’évolution. Selon l’expression 
consacrée, ils sont le fruit du hasard et de la 
nécessité. Sans nier complètement le rôle du 
hasard, je défendrai l’idée qu’il y a bien dans le 
vivant une intériorité, qui correspond plus ou 
moins au « Conatus » de Spinoza, à la « Volonté 
de puissance » de Nietzsche, à « l’Intention » de 
Husserl, ou à « l’Élan vital » de Bergson. Toutes 
ces philosophies ont en commun la notion de 
désir. La vie, c’est le désir. perroquet Gilles Nadeau
La génétique classique et l’ADN 
égoïste 
• Au début du XXe siècle, on redécouvre les travaux du moine Gregor Mendel qui, en étudiant l’hérédité chez les 
petits pois, avait fondé la génétique. Les biologistes sont encore en majorité « lamarckiens » et acceptent 
difficilement que la sélection naturelle de Darwin suffise à comprendre l’évolution des espèces. C’est August 
Weismann qui sépare complètement l’inné de l’acquis, l’intérieur de l’extérieur, le passé du futur, en coupant des 
queues de souris sur 40 générations. Les souriceaux naissent avec de queues normales et ceci démontre que 
Lamarck avait tort. Weissmann prouve ainsi la non héritabilité des mutilations ! 
• 50 ans plus tard, Francis Crick impose le dogme central de la génétique : dans la cellule vivante, l’information ne 
circule que dans un sens. Du noyau, vers l’extérieur. 
• ADN >ARN > protéines. C'est Francis Crick lui-même qui le baptise « dogme central ». C’est un monologue, une 
fermeture du noyau qui permet de sauver une théorie mécaniste de la vie. Les gènes sont les particules de l’hérédité. 
Spirale marchante Gilles Nadeau
Séquençage de nouvelle génération 
• 50 ans plus tard, le séquençage de nouvelle 
génération (NGS) permet d’analyser le 
transcriptome et l’épigénome, c’est-à-dire la 
façon dont l’ADN est lu dans les cellules 
vivantes. C’est seulement à ce moment qu’on 
réalise que la différenciation cellulaire est un 
phénomène épigénétique. 
• 2% de l’ADN code pour des protéines. Dans le 
98% qui reste, et qu’on avait qualifié d’ADN 
« poubelle », on sait maintenant que 80% 
transcrit quelque chose et 45% transcrit en sens 
inverse en association avec une enzyme 
présente partout dans le vivant, la transcriptase 
inverse. 
• Il est maintenant démontré que les 
rétrotransposons LINE 1 (pour Long 
interspersed Nuclear Element, Long élément 
nucléaire disséminé) jouent un rôle clé dans le 
génome humain. En utilisant la transcription 
inverse, ces gènes sauteurs violent le dogme 
central de la génétique. Ils sont environ 30 fois 
plus nombreux que les « vrais gènes » dans le 
génome. On les considère généralement comme 
des rétrovirus qui auraient envahi l’ADN. Le dinausore disparu Gilles Nadeau
Protéine > ARN > ADN ? 
• « La rétrotransposition est un 
mécanisme commun à tous les 
génomes eucaryotes. Il a largement 
contribué à l’évolution et à la 
plasticité des génomes. Chez l’homme 
les rétrotransposons LINE-1 (Long 
Interspersed Nucleotidic Elements-1) 
représentent plus de 17% du génome. 
Il est le seul élément mobile 
autonome actif et est responsable de 
l’amplification de rétrotransposons 
non autonomes tels que les 
séquences Alu et les 
rétropseudogènes. Ainsi, au cours de 
l’évolution, LINE-1 a contribué à la 
formation de près d’un tiers de la 
masse de notre génome. » Génomique, 
génétique, bioinformatique et biologie systémique (Blanc SVSE 6) 
2012 : projet RETROGENO Agence nationale de recherche Fr. 
Slope embrangle Gilles Nadeau
Une autre interprétation 
• M. Patrick Forterre a présenté dernièrement une 
nouvelle théorie sur l’origine de l’ADN à partir 
d’un monde à ARN. Dans ce scénario les virus 
auraient créé l’ADN. Il est important de savoir 
que l’origine de la vie et en particulier du code 
génétique demeure tout à fait mystérieuse. 
Cependant, il apparaît de plus en plus clairement 
que l’ARN a précédé l’ADN dans l’évolution de 
la vie. 
• « Il est de plus en plus couramment admis 
aujourd’hui que les interactions compétitives ou 
symbiotiques entre virus et cellules représentent 
le principal moteur de l’évolution 
biologique ». (Forterre et Prangishvili, 2013 ; Koonin et Dolja, 
2013) 
• Les virus à ARN (rétrovirus) produisent des 
molécules complexes et certains d’entre eux sont 
capables de réparer leur ARN. Le virus peut 
créer de nouvelles protéines. Il y a de nouveaux 
gènes chez les virus ce qui est inattendu. Les 
virus créent de la nouveauté. 
• Dans cette interprétation, les virus n’ont pas 
seulement envahi le génome, ils l’ont inventé. nuit étoilée Gilles Nadeau
Yamanaka, le retour de l’embryologie 
• Le prix Nobel de biologie 2012, M. Yamanaka a étonné la 
communauté scientifique en produisant les premières 
cellules IPS (induced pluripotent stemcells). Avec 
seulement quatre facteurs de transcriptions, il a réussi à 
ramener une cellule adulte différenciée à l’état de 
pluripotence. Ceci était réputé impossible. 
• La cascade d’interactions qu’il déclenche doit être très 
complexe et utiliser des réseaux à niveaux multiples, mais 
il réussit à l’induire sans comprendre tous les rouages de 
la machinerie. L’important, c’est d’avoir le bon message; 
dans ce cas, quatre facteurs de transcription. M. Yamanaka 
est parti de 24 facteurs de transcription (protéines) qu’il 
avait repérés en étudiant les cellules souches 
embryonnaires. Il a essayé toutes sortes de combinaisons 
pour finalement constater qu’avec seulement quatre 
protéines, et en utilisant un virus comme cheval de Troie, 
on pouvait reprogrammer une cellule. Ceci ouvre la voie à 
des thérapies et certaines leucémies incurables sont 
maintenant guéries en utilisant des techniques 
semblables. 
• D’autres voies sont possibles. Il faut trouver le bon coktail. 
Des petits ARN, la vitamine C peuvent améliorer 
l’efficacité du procédé. 
• « And thus the wonderful truth became manifest that a 
single cell may contain within its microscopic compass the 
sum total of the heritage of the species. » EB Wislon 
1900. « Ainsi, la merveilleuse vérité s’est manifestée: une 
simple cellule pourrait contenir dans ses étendues 
microscopiques, la somme totale de l’héritage des 
espèces. » 
Reflets dans l’eau Gilles Nadeau
La mémoire cellulaire, l’épigénétique 
• Nous assistons donc à l’intérieur de la cellule à des 
dialogues moléculaires beaucoup plus complexes que 
ce qu’on attendait. (On attendait un monologue, un 
réflexe.) Pendant le développement embryonnaire, la 
cellule souche totipotente interprète le génome selon 
les circonstances temporelles et selon son paysage, 
c’est à dire son milieu. C’est la cellule qui choisit la 
recette, pas ses gènes. On pourrait donc considérer que 
la matière noire du génome (ADN poubelle) constitue 
une mémoire, un livre de recettes ou un répertoire de 
l’évolution passée. Il y a des boucles de rétroaction 
partout. 
• Cette hypothèse rappelle une vieille tradition oubliée 
en biologie: la mémoire organique. Au début du XXe 
siècle, Richard Semon s’est enlevé la vie quand sa 
théorie de la « mémoire organique » fut ruinée par le 
triomphe apparent de la théorie génétique d’August 
Weissman. Richard Semon avait inventé les concepts de 
« mnèmes » et d’ engrammes biologiques. 
• Des expériences récentes d’utilisation de l’ADN pour 
stocker de l’information ont bien démontré la 
gigantesque capacité de stockage de l’information de la 
double hélice. OEuf décoratif Gilles Nadeau
Lynn Margulis, les symbioses 
• Lynn Margulis passera sûrement à la 
postérité. Elle sera reconnue comme un 
personnage marquant de l’histoire de la 
biologie. Elle a défendu contre vents et 
marées une autre approche en biologie. 
Critique sévère du néodarwinisme, et 
pourtant généticienne, elle s’est fait 
beaucoup d’ennemis. C’est en allant 
fouiller dans de vieux papiers qu’elle a 
ressuscité des théories 
discréditées(Merezhkovsky). 
• Son parcours démontre qu’un chercheur 
isolé, armé d’une approche 
philosophique différente et ouverte à 
autre chose que la nouveauté, peut 
arriver à des résultats extraordinaires. Il 
lui a fallu faire preuve de beaucoup 
d’audace et de ténacité pour faire 
admettre son point de vue qui est 
aujourd’hui accepté et enseigné. 
Coquille de pierre Gilles Nadeau
Symbioses, endosymbioses 
• On peut certes penser qu’elle est allée trop 
loin, mais on ne peut nier que la symbiose des 
chloroplastes chez les végétaux et celle des 
mitochondries chez les animaux et les 
végétaux constituent des étapes 
fondamentales dans l’évolution des 
espèces. On découvre de plus en plus 
d’animaux utilisant les chloroplastes 
(bactéries bioluminescentes). 
• Considérant la théorie « Gaïa » qu’elle a 
développée avec James Lovelock, on peut 
aussi considérer qu’elle est allée trop loin. 
Mais il n’empêche qu’il est vrai que 
l’atmosphère et la température terrestres ont 
été modifiées par l’activité du vivant. On 
regarde à l’envers quand on dit que la vie ne 
fait que réagir à l’environnement. C’est la vie 
elle-même qui l’a d’abord changé. Il s’agit 
donc d’un dialogue et non d’un monologue. 
Encore ici, il y a une boucle de rétroaction. 
Loupe Gilles Nadeau
Symbioses dans la symbiose 
Au cours des dernières années, on a vu exploser le 
nombre de découvertes révélant l’importance des 
symbioses dans le monde vivant. 
• Tous les eucaryotes connus ont ou ont eu des 
mitochondries. Des gènes sont transférés de la 
mitochondrie au noyau. La mitochondrie perd de son 
autonomie, mais reçoit des protéines en retour. 
• Un eucaryote incorpore un autre eucaryote. Beaucoup 
d’endosymbioses secondaires, pertes d’endosymbioses 
secondaires puis endosymbiose tertiaire. Réacquisition 
secondaire etc. Endosymbioses avec bactéries, 
eucaryotes unicellulaires, champignons ou protistes. 
Symbiose des légumineuses avec des rhizobiums qui 
permettent la fixation de l’azote, essentiel à leur 
métabolisme. 
• Autour des volcans sous-marins, une incroyable 
diversité d’êtres utilisent la chimiosynthèse. C’est une 
autre biochimie. Des moules, des clams et des vers qui 
autorisent des infections bactériennes seulement dans 
certaines sections de leur corps. 
On observe une réduction de la taille du génome du 
symbiote (bactérie). L’évolution va souvent du 
complexe vers le simple. Two spheres for Keith Gilles Nadeau
Avalanche de symbioses 
Fourmis, pucerons, mouches tsé-tsé 
intègrent différents types de 
bactéries qui viennent combler leurs 
carences en acides aminés et en 
vitamines. 
• Quand l’insecte change de régime 
alimentaire, une nouvelle carence 
amène une nouvelle symbiose. Il y a 
reconnaissance mutuelle des 
partenaires et ces symbioses sont 
intimement liées à l’immunité. 
Remarquez que des symbiontes et 
des symbiotes différents produisent 
des protéines différentes en 
utilisant les mêmes voies de 
signalisation. François Lallier (conférence Académie 
des sciences; symbioses et évolution des eucaryotes)17 sept. 
2013 
Tête de tyrannausore Gilles Nadeau
Immunité, microbiote, supersymbiose 
• Les découvertes récentes concernant le microbiote, le 
système immunitaire et les interactions génétiques et 
épigénétiques entre les flores bactériennes et la physiologie 
ont encore compliqué notre compréhension de la biologie. 
• Le système immunitaire inné peut reconnaître une centaine 
d’ennemis. Il existe déjà chez les organismes les plus 
simples. Comme pour le code génétique, son origine est 
totalement mystérieuse. Jusqu’à récemment, on ne 
connaissait même pas son existence. Il est indispensable au 
démarrage du système immunitaire acquis. 
• Le système immunitaire induit ou acquis peut reconnaître 
des millions, peut-être des milliards de structures 
microbiennes. Ses possibilités d’adaptation semblent 
infinies. La muqueuse intestinale dépliée aurait la taille d’un 
terrain de tennis. Quelle interface! Quel terrain de jeu pour 
des milliards de bactéries et de virus. La capacité de 
discriminer entre un commensal et un pathogène afin de 
respecter le microbiote et de détruire les pathogènes peut 
être vue comme un moteur essentiel de l’évolution du 
système immunitaire. 
• Dans une perspective co-évolutionniste, le microbiote et les 
pathogènes ont forgé le système immunitaire et en retour 
le système immunitaire sculpte le microbiote et élimine les 
pathogènes. loupes Gilles Nadeau
L’épithélium, un terrain fertile 
• Les souris axéniques (sans flore bactérienne) 
semblent incapables d’extraire efficacement les 
calories des aliments. Elles sont aussi très agitées. La 
flore intestinale pourrait donc influencer l’humeur et 
le comportement. 
• L’accouchement naturel et l’allaitement sont très 
importants. Pendant la première année de vie 
certaines bactéries vont former une niche et 
entraîner l’expression d’enzymes qui vont à leur tour 
créer un environnement favorable à d’autres 
microbes. Le microbiome doit être construit. 
• Les greffes ou transplatations fécales sont 
maintenant reconnues comme des thérapies 
efficaces et permettent de court-circuiter toute la 
génétique impliquée dans les maladies du système 
digestif. 
Il faut adopter une vision plus large que celle de 
Koch et de Pasteur. La réalité biologique relève 
plutôt d’une écologie interne et d’équilibres entre 
des populations de microbes. Il faudrait remplacer la 
notion de pathogène par celle de dysbiose 
(déséquilibre dans le microbiote, pas 
nécessairement pathogène). 
Petit bonhomme vert Gilles Nadeau
Les mychorhizes ou l’évolution par 
coopération 
C’est une symbiose entre un 
champignon et une algue bleue 
qui créa les lichens, flore 
inaugurale des milieux 
terrestres. 
• « La presque totalité des 
plantes vertes terrestres 
prospèrent grâce à la symbiose 
mycorhizienne. Une vieille et 
heureuse relation avec les 
champignons datant de plus de 
400 millions d’années. Un 
véritable moteur d’évolution. » 
André Fortin (Découvrir Le magazine de l’ACFAS mars 2014) Roches magnétiques Gilles Nadeau
Biosémiotique 
• Nous venons de voir que les symbioses 
ont joué un rôle majeur dans l’évolution. 
À la base de la photosynthèse chez les 
végétaux et de la respiration chez les 
animaux, c’est aussi une symbiose qui a 
permis la sortie de l’eau des êtres vivants 
et la création du placenta pour les 
mammifères. Pourquoi la théorie de 
l’endosymbiose a-t-elle été si longtemps 
rejetée? Elle contredit l’évolution 
graduelle et court-circuite l’hérédité 
verticale car elle est source de transferts 
horizontaux de gènes. 
Ces transferts sont beaucoup plus 
courants qu’on ne le croyait. « Les 
associations symbiotiques sont la règle 
plutôt que l’exception. Tout 
développement est un co-développement. 
Tout organisme est 
mixte, hétérogène, non pur. C’est l’unité 
dans la pluralité. » Thomas Pradeu, 
(development, information and causation) 
6 déc 2013 Collège de France. 
La sympathie biologique existe-t-elle? 
Bois sculpté Gilles Nadeau
La logique du vivant: un langage? 
• Depuis plus de cent ans, la biologie s’est inspirée de la science 
physique en aspirant au même statut qu’elle. De nombreux 
penseurs proposent que la complexité du système génétique 
serait bien mieux comprise comme un langage naturel. En 
effet, les gènes rappellent les mots, la séquence évoque la 
phrase, et le code, la syntaxe et/ou la grammaire. Dans le 
langage, toute règle a ses exceptions. La langue est vivante. 
C’est une construction historique, contingente, plastique et 
créative. Un bricolage. Comme il a fallu créer de nouvelles 
protéines pour faire face à l’imprévu, il faut de nouveaux mots 
pour enrichir la pensée, et ce processus ne semble pas avoir de 
limites. Le sens même des mots change avec les siècles. Mais 
encore selon leur position dans la phrase et un petit accent 
peut signifier beaucoup. Le langage possède ce caractère fluide 
et plastique qui singularise le vivant. Le langage naturel 
dépasse largement le langage mathématique en matière de 
souplesse. 
• Le mot « sens » a trois sens. Perception, orientation, 
signification. Une bactérie perçoit et s’oriente pour survivre et 
se reproduire. Même dans son petit monde, son « umwelt » et 
sans être consciente de la signification de ces concepts, elle les 
vit, les incarne. 
• Il existe une branche négligée de l’éthologie qu’on appelle la 
biosémiotique. 
• La perception est signification, avant même les mots et les 
concepts. 
Plantes tropicales Gilles Nadeau
Charles Peirce, Jacob von Uexküel 
• Inspirée de Charles Peirce et de sa triade sémiotique 
(le signe, l’objet, l’interprète), la biosémiotique s’est 
développée dans l’approche de Jacob von Uexküel. À 
l’opposé du behaviorisme de Watson et de 
Skinner,(réflexes) Von Uexküel propose une 
éthologie où chaque organisme interprète le monde 
selon ses besoins, le forgeant lui-même de plusieurs 
manières. Même si Von Uexküel a inspiré des 
penseurs comme Heidegger, Gilles Deleuze, 
Merleau-Ponty, Georges Canguilhem et de nombreux 
autres, son école de pensée est demeurée 
minoritaire. Jusqu’à récemment, c’est la 
sociobiologie qui dominait en éthologie. Richard 
Dawkins est éthologiste. 
• Joseph Hoffmeyer écrit : « Les cellules, comme les 
organismes, sont des entités historiques portant 
dans leur cytosquelette et dans leur ADN des traces 
de leur passé remontant à plus de trois milliards 
d'années. Elles mesurent perpétuellement les 
situations actuelles par rapport à ce fond ancestral, 
et font des choix basés sur de telles interprétations. 
Ainsi, on pourrait dire que le signe, plutôt que la 
molécule, est l'unité de base pour étudier la vie » 
(Hoffmeyer, 1996). 
Yin-Yang Gilles Nadeau
L’écologie 
• À l’heure où l’humanité doit 
faire face à des défis 
écologiques planétaires, 
comment pourrait-elle y 
arriver armée d’une théorie 
qui semble maintenant 
presque « fixiste » et d’une 
philosophie qui déclare sans 
ambages que la conscience 
et la liberté sont des illusions 
? (Daniel Dennett) Nous voici 
à la croisée des chemins. 
Après plus d’un siècle de 
génétique mendélienne, on 
n’a toujours pas trouvé la vie, 
ce qui amena plusieurs 
scientifiques à déclarer 
qu’elle n’existe pas! 
Pleine lune Gilles Nadeau
Bergson 
« Quant à l’idée que le corps humain pourrait être soumis par quelque calculateur surhumain au même 
traitement mathématique que notre système solaire, elle est sortie peu à peu d’une certaine 
métaphysique qui a pris une forme plus précise depuis les découvertes physiques de Galilée […]. Sa clarté 
apparente, notre impatient désir de la trouver vraie, l’empressement avec lequel tant d’excellents esprits 
l’acceptent sans preuve, toutes les séductions enfin qu’elle exerce sur notre pensée devraient nous mettre 
en garde contre elle. » (Henri Bergson, L’évolution créatrice, p. 20) 
Chaotic phoenix Gilles Nadeau
La mémoire 
• « Mais la mise en garde de Bergson 
n’a pas été prise au sérieux par les 
biologistes, trop préoccupés qu’ils 
étaient à faire rentrer le vivant dans 
le cadre scientifique de la physique 
de l’époque. En dehors du cercle des 
philosophes, les thèses de Bergson 
furent déformées, voire même 
ridiculisées. L’élan vital dont il parle 
fut confondu avec un vitalisme 
primaire. Le malentendu est fort 
salutaire, parce qu’il permet d’un 
seul coup de discréditer tous les 
arguments présentés. Bergson se 
montrait pourtant d’une prudence 
qui fait défaut à ses protagonistes. 
• Sans doute, se défend-il, le “principe 
vital” n’explique pas grand-chose : du 
moins a-t-il l’avantage d’être une 
espèce d’écriteau posé sur notre 
ignorance et qui pourra nous la 
rappeler à l’occasion, tandis que le 
mécanisme nous invite à l’oublier. » 
(E.C., p. 42) 
• Gérard Nissim Amzallag 
Vincent Gilles Nadeau
Le temps vécu 
« Partout où quelque chose vit, il y a, ouvert 
quelque part, un registre où le temps 
s’inscrit.» E.C, p. 16.

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Symbioses4

  • 1. Symbioses, Coévolution, Immunité et Écologie Interpréter le vivant Gilles St-Pierre Vie aquatique Gilles Nadeau
  • 2. Les images fractales • Nos merveilleux outils informatiques et les mathématiques du chaos permettent la création d’images qui évoquent bien l’unité du vivant dans son intériorité, sa complexité, sa plasticité, sa temporalité. On croit voir les boucles de rétroaction, les réseaux d’interactions, d’intrications et d’inscriptions de la mémoire dans le vivant. C’est pourquoi j’ai décidé de vous présenter en parallèle à cet exposé les tableaux d’art fractal de Gilles Nadeau, un des meilleurs dans cette discipline. Cette faculté de mémoire a peut-être même précédé l’apparition de la vie sur terre comme en témoigne Yves Couder, physicien des systèmes complexes, récemment admis à l’Académie des Sciences de France: « Actuellement, nous étudions une goutte d’huile qui surfe sur les ondes qu’elle crée sur un bain d’huile en vibration. Ces ondes contiennent dans leur structure une mémoire de la trajectoire antérieure. La fascination pour ce système vient de ses régimes spécifiques d’auto-organisation, quasi-biologiques, où l’information codée dans le passé contribue à déterminer le présent. » • « De la même manière, l’apparition du nombre de Fibonacci dans les spirales végétales a un rapport profond avec les quasi-cristaux. » Gaz incandescent Gilles Nadeau
  • 3. Le tourbillon de la vie • Au XIXe siècle le grand physiologiste Claude Bernard introduisit le concept de milieu intérieur qui, d’une certaine façon, équivaut à parler d’une écologie intérieure. Au XXe siècle la biologie moléculaire et la génétique nous ont révélé des acteurs toujours plus nombreux et insoupçonnés de la vie. Il semble que même dans le noyau de la cellule, des virus ont été recrutés ou domestiqués pour devenir des collaborateurs de la cellule. Avec Lynn Margulis, nous verrons que l’endosymbiose devient un facteur décisif d’évolution chez les eucaryotes. L’histoire de cette chercheuse hors du commun nous permettra de réfléchir sur les liens entre la philosophie de la biologie et la recherche strictement scientifique. Puis, nous inspirant des travaux de Philippe J. Sansonetti et de Jules Hoffman, nous verrons que l’homme lui-même est un hybride eucaryote-procaryote. Nous nous tournerons ensuite vers les symbioses dans le monde végétal, par exemple, les relations tellement existentielles entre champignons et arbres, pour nous concentrer finalement sur la relation homme-nature. À toutes les échelles, nous assistons à des dialogues moléculaires, cellulaires, tissulaires, etc. Nous sommes devant des messages et des voies de signalisation et nous parlerons d’une branche négligée de l’éthologie : la biosémiotique. À toutes ces échelles aussi, nous verrons combien une approche toute génétique nous a embrouillé la vue. Oiseaux de nuit Gilles Nadeau
  • 4. Changement de paradigme? • En séquençant le génome, les généticiens ont en quelque sorte scié la branche sur laquelle ils étaient assis : la génétique des populations. Et comme la biologie avait mis la génétique des populations au centre de son interprétation du vivant, tout s’écroule. Il serait plus juste, peut-être, de parler d’un Titanic conceptuel, réputé insubmersible, qui s’enfonce lentement dans l’océan, après avoir percuté un iceberg : l’épigénétique. • Que reste-t-il de la génétique classique? 2% du génome, le fameux code génétique, qui s’avère finalement être un clavier sur lequel la vie joue. • Voici quelques phrases tirées de la conclusion de la présentation du programme de cours « Analyse des génomes 2013-2014 » à l’Institut Pasteur : « Mais s’il est si difficile de définir les modèles de gènes, il ne faut pas oublier qu’en définitive chaque génome n’est en réalité que l’instantané d’un processus de changements permanents. » • « Si, à force de mieux connaître les gènes, on ne sait plus très bien ce qu'ils sont, c'est peut-être qu'en réalité, ils n'existent pas. Du moins pas comme objet moléculaire précisément définissable » Embrangle (lumière diffuse) Gilles Nadeau
  • 5. L’ampleur de notre ignorance • Les plus récentes études concernant les virus indiquent qu’il existe entre 10 milliards et 1000 milliards d’espèces de virus! Nous en connaissons 10 000. (Didier Raoult 2013, L’Autre en nous) Allons-nous continuer de leur donner des noms? • « De l’ordre de dix milliards de virus sont détectables dans un litre d’eau de mer, et parfois davantage dans les eaux douces, ce qui peut donner lieu à 10 23 infections de bactéries par seconde (Hendrix 2003). Ceci laisse imaginer le nombre de transferts de gènes qui s’opère à chaque seconde dans tous les milieux aquatiques. » (Yves Chupeau 2013) • Il y a entre 100,000 et 1 million d’ « espèces » de protéines en nous: marge d’erreur de 900 000… • L’ARN , jadis simple messager unidirectionnel, devient multiforme, et multifonctionnel; c’est souvent l’ARN qui décide! Nous en avons découvert des milliers de variétés, petits et longs. Ils agissent parfois comme des enzymes, c’est à dire des protéines, et ont parfois des double brins, comme l’ADN. Ils changent de costumes et de rôles. Le concept de gène s’est dissous et les codons sont souvent dégénérés ou synonymes: il y a beaucoup d’exceptions à la règle, au code. Le modèle génétique traditionnel paraît maintenant simpliste. L’inné et l’acquis semblent bien inextricablement liés et tous ces processus sont en nous, comme une mémoire organique du passé. Seulement 2% du génome code pour des protéines, ce qui était notre définition d’un gène. Plus de 45% de notre ADN serait d’origine rétrovirale. Spirit of Buddharot Gilles Nadeau
  • 6. Plasticité du vivant et même du noyau • Darwin avait souligné l’unité du vivant, mais celle que nous découvrons est plus profonde, car elle implique de nombreux acteurs agissant dans des réseaux d’une complexité insoupçonnée. Elle est doublée d’une plasticité que la génétique classique excluait. On est pris d’un certain vertige devant tant de complexité. • La biologie semble maintenant dans une impasse ( Michel Morange Contre la pensée unique en biologie), elle fait face au retour des deux hérésies qu’elle avait crues définitivement éliminées, le lamarckisme et le vitalisme. • Le néodarwinisme est une théorie externaliste de l’évolution. Les organismes ne participent pas à leur transformation évolutive, ils sont « agis », ils subissent l’évolution. Selon l’expression consacrée, ils sont le fruit du hasard et de la nécessité. Sans nier complètement le rôle du hasard, je défendrai l’idée qu’il y a bien dans le vivant une intériorité, qui correspond plus ou moins au « Conatus » de Spinoza, à la « Volonté de puissance » de Nietzsche, à « l’Intention » de Husserl, ou à « l’Élan vital » de Bergson. Toutes ces philosophies ont en commun la notion de désir. La vie, c’est le désir. perroquet Gilles Nadeau
  • 7. La génétique classique et l’ADN égoïste • Au début du XXe siècle, on redécouvre les travaux du moine Gregor Mendel qui, en étudiant l’hérédité chez les petits pois, avait fondé la génétique. Les biologistes sont encore en majorité « lamarckiens » et acceptent difficilement que la sélection naturelle de Darwin suffise à comprendre l’évolution des espèces. C’est August Weismann qui sépare complètement l’inné de l’acquis, l’intérieur de l’extérieur, le passé du futur, en coupant des queues de souris sur 40 générations. Les souriceaux naissent avec de queues normales et ceci démontre que Lamarck avait tort. Weissmann prouve ainsi la non héritabilité des mutilations ! • 50 ans plus tard, Francis Crick impose le dogme central de la génétique : dans la cellule vivante, l’information ne circule que dans un sens. Du noyau, vers l’extérieur. • ADN >ARN > protéines. C'est Francis Crick lui-même qui le baptise « dogme central ». C’est un monologue, une fermeture du noyau qui permet de sauver une théorie mécaniste de la vie. Les gènes sont les particules de l’hérédité. Spirale marchante Gilles Nadeau
  • 8. Séquençage de nouvelle génération • 50 ans plus tard, le séquençage de nouvelle génération (NGS) permet d’analyser le transcriptome et l’épigénome, c’est-à-dire la façon dont l’ADN est lu dans les cellules vivantes. C’est seulement à ce moment qu’on réalise que la différenciation cellulaire est un phénomène épigénétique. • 2% de l’ADN code pour des protéines. Dans le 98% qui reste, et qu’on avait qualifié d’ADN « poubelle », on sait maintenant que 80% transcrit quelque chose et 45% transcrit en sens inverse en association avec une enzyme présente partout dans le vivant, la transcriptase inverse. • Il est maintenant démontré que les rétrotransposons LINE 1 (pour Long interspersed Nuclear Element, Long élément nucléaire disséminé) jouent un rôle clé dans le génome humain. En utilisant la transcription inverse, ces gènes sauteurs violent le dogme central de la génétique. Ils sont environ 30 fois plus nombreux que les « vrais gènes » dans le génome. On les considère généralement comme des rétrovirus qui auraient envahi l’ADN. Le dinausore disparu Gilles Nadeau
  • 9. Protéine > ARN > ADN ? • « La rétrotransposition est un mécanisme commun à tous les génomes eucaryotes. Il a largement contribué à l’évolution et à la plasticité des génomes. Chez l’homme les rétrotransposons LINE-1 (Long Interspersed Nucleotidic Elements-1) représentent plus de 17% du génome. Il est le seul élément mobile autonome actif et est responsable de l’amplification de rétrotransposons non autonomes tels que les séquences Alu et les rétropseudogènes. Ainsi, au cours de l’évolution, LINE-1 a contribué à la formation de près d’un tiers de la masse de notre génome. » Génomique, génétique, bioinformatique et biologie systémique (Blanc SVSE 6) 2012 : projet RETROGENO Agence nationale de recherche Fr. Slope embrangle Gilles Nadeau
  • 10. Une autre interprétation • M. Patrick Forterre a présenté dernièrement une nouvelle théorie sur l’origine de l’ADN à partir d’un monde à ARN. Dans ce scénario les virus auraient créé l’ADN. Il est important de savoir que l’origine de la vie et en particulier du code génétique demeure tout à fait mystérieuse. Cependant, il apparaît de plus en plus clairement que l’ARN a précédé l’ADN dans l’évolution de la vie. • « Il est de plus en plus couramment admis aujourd’hui que les interactions compétitives ou symbiotiques entre virus et cellules représentent le principal moteur de l’évolution biologique ». (Forterre et Prangishvili, 2013 ; Koonin et Dolja, 2013) • Les virus à ARN (rétrovirus) produisent des molécules complexes et certains d’entre eux sont capables de réparer leur ARN. Le virus peut créer de nouvelles protéines. Il y a de nouveaux gènes chez les virus ce qui est inattendu. Les virus créent de la nouveauté. • Dans cette interprétation, les virus n’ont pas seulement envahi le génome, ils l’ont inventé. nuit étoilée Gilles Nadeau
  • 11. Yamanaka, le retour de l’embryologie • Le prix Nobel de biologie 2012, M. Yamanaka a étonné la communauté scientifique en produisant les premières cellules IPS (induced pluripotent stemcells). Avec seulement quatre facteurs de transcriptions, il a réussi à ramener une cellule adulte différenciée à l’état de pluripotence. Ceci était réputé impossible. • La cascade d’interactions qu’il déclenche doit être très complexe et utiliser des réseaux à niveaux multiples, mais il réussit à l’induire sans comprendre tous les rouages de la machinerie. L’important, c’est d’avoir le bon message; dans ce cas, quatre facteurs de transcription. M. Yamanaka est parti de 24 facteurs de transcription (protéines) qu’il avait repérés en étudiant les cellules souches embryonnaires. Il a essayé toutes sortes de combinaisons pour finalement constater qu’avec seulement quatre protéines, et en utilisant un virus comme cheval de Troie, on pouvait reprogrammer une cellule. Ceci ouvre la voie à des thérapies et certaines leucémies incurables sont maintenant guéries en utilisant des techniques semblables. • D’autres voies sont possibles. Il faut trouver le bon coktail. Des petits ARN, la vitamine C peuvent améliorer l’efficacité du procédé. • « And thus the wonderful truth became manifest that a single cell may contain within its microscopic compass the sum total of the heritage of the species. » EB Wislon 1900. « Ainsi, la merveilleuse vérité s’est manifestée: une simple cellule pourrait contenir dans ses étendues microscopiques, la somme totale de l’héritage des espèces. » Reflets dans l’eau Gilles Nadeau
  • 12. La mémoire cellulaire, l’épigénétique • Nous assistons donc à l’intérieur de la cellule à des dialogues moléculaires beaucoup plus complexes que ce qu’on attendait. (On attendait un monologue, un réflexe.) Pendant le développement embryonnaire, la cellule souche totipotente interprète le génome selon les circonstances temporelles et selon son paysage, c’est à dire son milieu. C’est la cellule qui choisit la recette, pas ses gènes. On pourrait donc considérer que la matière noire du génome (ADN poubelle) constitue une mémoire, un livre de recettes ou un répertoire de l’évolution passée. Il y a des boucles de rétroaction partout. • Cette hypothèse rappelle une vieille tradition oubliée en biologie: la mémoire organique. Au début du XXe siècle, Richard Semon s’est enlevé la vie quand sa théorie de la « mémoire organique » fut ruinée par le triomphe apparent de la théorie génétique d’August Weissman. Richard Semon avait inventé les concepts de « mnèmes » et d’ engrammes biologiques. • Des expériences récentes d’utilisation de l’ADN pour stocker de l’information ont bien démontré la gigantesque capacité de stockage de l’information de la double hélice. OEuf décoratif Gilles Nadeau
  • 13. Lynn Margulis, les symbioses • Lynn Margulis passera sûrement à la postérité. Elle sera reconnue comme un personnage marquant de l’histoire de la biologie. Elle a défendu contre vents et marées une autre approche en biologie. Critique sévère du néodarwinisme, et pourtant généticienne, elle s’est fait beaucoup d’ennemis. C’est en allant fouiller dans de vieux papiers qu’elle a ressuscité des théories discréditées(Merezhkovsky). • Son parcours démontre qu’un chercheur isolé, armé d’une approche philosophique différente et ouverte à autre chose que la nouveauté, peut arriver à des résultats extraordinaires. Il lui a fallu faire preuve de beaucoup d’audace et de ténacité pour faire admettre son point de vue qui est aujourd’hui accepté et enseigné. Coquille de pierre Gilles Nadeau
  • 14. Symbioses, endosymbioses • On peut certes penser qu’elle est allée trop loin, mais on ne peut nier que la symbiose des chloroplastes chez les végétaux et celle des mitochondries chez les animaux et les végétaux constituent des étapes fondamentales dans l’évolution des espèces. On découvre de plus en plus d’animaux utilisant les chloroplastes (bactéries bioluminescentes). • Considérant la théorie « Gaïa » qu’elle a développée avec James Lovelock, on peut aussi considérer qu’elle est allée trop loin. Mais il n’empêche qu’il est vrai que l’atmosphère et la température terrestres ont été modifiées par l’activité du vivant. On regarde à l’envers quand on dit que la vie ne fait que réagir à l’environnement. C’est la vie elle-même qui l’a d’abord changé. Il s’agit donc d’un dialogue et non d’un monologue. Encore ici, il y a une boucle de rétroaction. Loupe Gilles Nadeau
  • 15. Symbioses dans la symbiose Au cours des dernières années, on a vu exploser le nombre de découvertes révélant l’importance des symbioses dans le monde vivant. • Tous les eucaryotes connus ont ou ont eu des mitochondries. Des gènes sont transférés de la mitochondrie au noyau. La mitochondrie perd de son autonomie, mais reçoit des protéines en retour. • Un eucaryote incorpore un autre eucaryote. Beaucoup d’endosymbioses secondaires, pertes d’endosymbioses secondaires puis endosymbiose tertiaire. Réacquisition secondaire etc. Endosymbioses avec bactéries, eucaryotes unicellulaires, champignons ou protistes. Symbiose des légumineuses avec des rhizobiums qui permettent la fixation de l’azote, essentiel à leur métabolisme. • Autour des volcans sous-marins, une incroyable diversité d’êtres utilisent la chimiosynthèse. C’est une autre biochimie. Des moules, des clams et des vers qui autorisent des infections bactériennes seulement dans certaines sections de leur corps. On observe une réduction de la taille du génome du symbiote (bactérie). L’évolution va souvent du complexe vers le simple. Two spheres for Keith Gilles Nadeau
  • 16. Avalanche de symbioses Fourmis, pucerons, mouches tsé-tsé intègrent différents types de bactéries qui viennent combler leurs carences en acides aminés et en vitamines. • Quand l’insecte change de régime alimentaire, une nouvelle carence amène une nouvelle symbiose. Il y a reconnaissance mutuelle des partenaires et ces symbioses sont intimement liées à l’immunité. Remarquez que des symbiontes et des symbiotes différents produisent des protéines différentes en utilisant les mêmes voies de signalisation. François Lallier (conférence Académie des sciences; symbioses et évolution des eucaryotes)17 sept. 2013 Tête de tyrannausore Gilles Nadeau
  • 17. Immunité, microbiote, supersymbiose • Les découvertes récentes concernant le microbiote, le système immunitaire et les interactions génétiques et épigénétiques entre les flores bactériennes et la physiologie ont encore compliqué notre compréhension de la biologie. • Le système immunitaire inné peut reconnaître une centaine d’ennemis. Il existe déjà chez les organismes les plus simples. Comme pour le code génétique, son origine est totalement mystérieuse. Jusqu’à récemment, on ne connaissait même pas son existence. Il est indispensable au démarrage du système immunitaire acquis. • Le système immunitaire induit ou acquis peut reconnaître des millions, peut-être des milliards de structures microbiennes. Ses possibilités d’adaptation semblent infinies. La muqueuse intestinale dépliée aurait la taille d’un terrain de tennis. Quelle interface! Quel terrain de jeu pour des milliards de bactéries et de virus. La capacité de discriminer entre un commensal et un pathogène afin de respecter le microbiote et de détruire les pathogènes peut être vue comme un moteur essentiel de l’évolution du système immunitaire. • Dans une perspective co-évolutionniste, le microbiote et les pathogènes ont forgé le système immunitaire et en retour le système immunitaire sculpte le microbiote et élimine les pathogènes. loupes Gilles Nadeau
  • 18. L’épithélium, un terrain fertile • Les souris axéniques (sans flore bactérienne) semblent incapables d’extraire efficacement les calories des aliments. Elles sont aussi très agitées. La flore intestinale pourrait donc influencer l’humeur et le comportement. • L’accouchement naturel et l’allaitement sont très importants. Pendant la première année de vie certaines bactéries vont former une niche et entraîner l’expression d’enzymes qui vont à leur tour créer un environnement favorable à d’autres microbes. Le microbiome doit être construit. • Les greffes ou transplatations fécales sont maintenant reconnues comme des thérapies efficaces et permettent de court-circuiter toute la génétique impliquée dans les maladies du système digestif. Il faut adopter une vision plus large que celle de Koch et de Pasteur. La réalité biologique relève plutôt d’une écologie interne et d’équilibres entre des populations de microbes. Il faudrait remplacer la notion de pathogène par celle de dysbiose (déséquilibre dans le microbiote, pas nécessairement pathogène). Petit bonhomme vert Gilles Nadeau
  • 19. Les mychorhizes ou l’évolution par coopération C’est une symbiose entre un champignon et une algue bleue qui créa les lichens, flore inaugurale des milieux terrestres. • « La presque totalité des plantes vertes terrestres prospèrent grâce à la symbiose mycorhizienne. Une vieille et heureuse relation avec les champignons datant de plus de 400 millions d’années. Un véritable moteur d’évolution. » André Fortin (Découvrir Le magazine de l’ACFAS mars 2014) Roches magnétiques Gilles Nadeau
  • 20. Biosémiotique • Nous venons de voir que les symbioses ont joué un rôle majeur dans l’évolution. À la base de la photosynthèse chez les végétaux et de la respiration chez les animaux, c’est aussi une symbiose qui a permis la sortie de l’eau des êtres vivants et la création du placenta pour les mammifères. Pourquoi la théorie de l’endosymbiose a-t-elle été si longtemps rejetée? Elle contredit l’évolution graduelle et court-circuite l’hérédité verticale car elle est source de transferts horizontaux de gènes. Ces transferts sont beaucoup plus courants qu’on ne le croyait. « Les associations symbiotiques sont la règle plutôt que l’exception. Tout développement est un co-développement. Tout organisme est mixte, hétérogène, non pur. C’est l’unité dans la pluralité. » Thomas Pradeu, (development, information and causation) 6 déc 2013 Collège de France. La sympathie biologique existe-t-elle? Bois sculpté Gilles Nadeau
  • 21. La logique du vivant: un langage? • Depuis plus de cent ans, la biologie s’est inspirée de la science physique en aspirant au même statut qu’elle. De nombreux penseurs proposent que la complexité du système génétique serait bien mieux comprise comme un langage naturel. En effet, les gènes rappellent les mots, la séquence évoque la phrase, et le code, la syntaxe et/ou la grammaire. Dans le langage, toute règle a ses exceptions. La langue est vivante. C’est une construction historique, contingente, plastique et créative. Un bricolage. Comme il a fallu créer de nouvelles protéines pour faire face à l’imprévu, il faut de nouveaux mots pour enrichir la pensée, et ce processus ne semble pas avoir de limites. Le sens même des mots change avec les siècles. Mais encore selon leur position dans la phrase et un petit accent peut signifier beaucoup. Le langage possède ce caractère fluide et plastique qui singularise le vivant. Le langage naturel dépasse largement le langage mathématique en matière de souplesse. • Le mot « sens » a trois sens. Perception, orientation, signification. Une bactérie perçoit et s’oriente pour survivre et se reproduire. Même dans son petit monde, son « umwelt » et sans être consciente de la signification de ces concepts, elle les vit, les incarne. • Il existe une branche négligée de l’éthologie qu’on appelle la biosémiotique. • La perception est signification, avant même les mots et les concepts. Plantes tropicales Gilles Nadeau
  • 22. Charles Peirce, Jacob von Uexküel • Inspirée de Charles Peirce et de sa triade sémiotique (le signe, l’objet, l’interprète), la biosémiotique s’est développée dans l’approche de Jacob von Uexküel. À l’opposé du behaviorisme de Watson et de Skinner,(réflexes) Von Uexküel propose une éthologie où chaque organisme interprète le monde selon ses besoins, le forgeant lui-même de plusieurs manières. Même si Von Uexküel a inspiré des penseurs comme Heidegger, Gilles Deleuze, Merleau-Ponty, Georges Canguilhem et de nombreux autres, son école de pensée est demeurée minoritaire. Jusqu’à récemment, c’est la sociobiologie qui dominait en éthologie. Richard Dawkins est éthologiste. • Joseph Hoffmeyer écrit : « Les cellules, comme les organismes, sont des entités historiques portant dans leur cytosquelette et dans leur ADN des traces de leur passé remontant à plus de trois milliards d'années. Elles mesurent perpétuellement les situations actuelles par rapport à ce fond ancestral, et font des choix basés sur de telles interprétations. Ainsi, on pourrait dire que le signe, plutôt que la molécule, est l'unité de base pour étudier la vie » (Hoffmeyer, 1996). Yin-Yang Gilles Nadeau
  • 23. L’écologie • À l’heure où l’humanité doit faire face à des défis écologiques planétaires, comment pourrait-elle y arriver armée d’une théorie qui semble maintenant presque « fixiste » et d’une philosophie qui déclare sans ambages que la conscience et la liberté sont des illusions ? (Daniel Dennett) Nous voici à la croisée des chemins. Après plus d’un siècle de génétique mendélienne, on n’a toujours pas trouvé la vie, ce qui amena plusieurs scientifiques à déclarer qu’elle n’existe pas! Pleine lune Gilles Nadeau
  • 24. Bergson « Quant à l’idée que le corps humain pourrait être soumis par quelque calculateur surhumain au même traitement mathématique que notre système solaire, elle est sortie peu à peu d’une certaine métaphysique qui a pris une forme plus précise depuis les découvertes physiques de Galilée […]. Sa clarté apparente, notre impatient désir de la trouver vraie, l’empressement avec lequel tant d’excellents esprits l’acceptent sans preuve, toutes les séductions enfin qu’elle exerce sur notre pensée devraient nous mettre en garde contre elle. » (Henri Bergson, L’évolution créatrice, p. 20) Chaotic phoenix Gilles Nadeau
  • 25. La mémoire • « Mais la mise en garde de Bergson n’a pas été prise au sérieux par les biologistes, trop préoccupés qu’ils étaient à faire rentrer le vivant dans le cadre scientifique de la physique de l’époque. En dehors du cercle des philosophes, les thèses de Bergson furent déformées, voire même ridiculisées. L’élan vital dont il parle fut confondu avec un vitalisme primaire. Le malentendu est fort salutaire, parce qu’il permet d’un seul coup de discréditer tous les arguments présentés. Bergson se montrait pourtant d’une prudence qui fait défaut à ses protagonistes. • Sans doute, se défend-il, le “principe vital” n’explique pas grand-chose : du moins a-t-il l’avantage d’être une espèce d’écriteau posé sur notre ignorance et qui pourra nous la rappeler à l’occasion, tandis que le mécanisme nous invite à l’oublier. » (E.C., p. 42) • Gérard Nissim Amzallag Vincent Gilles Nadeau
  • 26. Le temps vécu « Partout où quelque chose vit, il y a, ouvert quelque part, un registre où le temps s’inscrit.» E.C, p. 16.