Mondialisation / Globalization & French Exporters 2010
Ariane de Rothschild, Portrait
1. Portrait Ariane de Rothschild, présidente du comex d'Edmond de Rothschild
Depuis un an, cetteforte personnalité préside la banquefondée
par son beau-père. Pugnace, dotée d'une vraie vision pour le groupe,
elle a/ait taire ceux qui ne voyaient en elle qu'une «femme de».
sans p,évenfr, il fuse. New York. Pour l'assureur améri- schild,cousin de Benjamin,a bâti
Enorme,franc,irrésistible. cain AIG,qu'elle rejoint en1990,elle son propre empire àParis.
Une joyeuse cascade alto UNE PRO DE est chargée de lancer la filiale pari- Au mitan des années 2000,la crise
dans une débauche d'émail. LARNANCE sienne. Sa carrière s'arrête tout net fait bouger les lignes et les rôles.En
En une fraction de seconde,le rire 1965 en 1993,après un rendez-vous avec Suisse,centrenévralgiquedugroupe,
d'Ariane de Rothschild fait tout ou- Naissance un client nomméBenjamin deRoth- le secret bancaire est menacé. En
blier. Son rôle de présidente du co- au Salvador. schild. Coup de foudre.A 31 ans,il Europe,untsunami de nouvelles ré-
mité exécutifdu groupe Edmond de 1988 est porteur d'un nom mythique.Fils glementations s'abat. Il est temps
Rothschild, son allure de blonde Analyste de Nadine,comédienne reconvertie d'adapter labanqueàces mutations.
hitchcockienne, son titre de ba- financière en prêtresse du savoir-vivre,il est Tandis que Bertjamin,trop absorbé
ronne,le somptueux bureau où elle à la Société appelé à prendre les commandes de par ses passions,ne veut pas assu-
reçoit,àun jet de pierre de l'Elysée. générale. la banque privée fondée en 1953 par mer la gestion courante,Ariane ma-
Elle rit comme elle pilote sabanque. 1990 son père,Edmond. nifeste,elle,le désir de mener ces
Avec une énergie naturelle. Depuis Responsable changements. Elle est entrée au
unan,cetteforte personnalité dirige du développement De Paris au lac Léman conseil de surveillance en 2008,end'AIG Trading
et incarne le groupe fondé par son en Europe. Le couple s'installe à Paris. Elle se devientvice-présidente en 2009.
beau-père,Edmond de Rothschild. 1993 consacre à l'éducation des enfants
Un défi à ceux qui avaient voulu la Rencontre - quatre filles - et aux activités non Baronne contre «barons»
cantonner à son rôle d'actionnaire, Benjamin de financières,commelaphilanthropie Accoutumés à une grande autono-
ou la renvoyer à celui d'épouse dé- Rothschild. ou le vignoble. Lui,à la Compagnie mie,lespatronsdefilialesviventmal
corative. Un gant jeté aux persi- 2008 Benjamin de Rothschild (CBR), l'intrusion d'une femme dans leurs
fleurs qui la jugeaient incapable de Membre du « banque dans la banque» qu'il a affaires. Encore moins d'une pièce
diriger un établissement gérant conseil de créée en attendant d'hériter. « Pour rapportée... Pendant plusieurs an-
130 milliards d'euros.Un challenge surveillance du unefmnmefandamenuùementlibre nées,une guerre larvée,étouffée par
personnel aussi que. cette fonceuse groupe Edmond
d'esprit, être l'épouse d'un Roth- l'épaisse moquette verte aux armoi-de Rothschild.
a relevé. « J'ai eu un doute au dé-
2015
schild et se couler dans les codes ries des Rothschild,oppose la ba-
part, mais qui est vite passé », Présidente du d'un monde très conservateur qui ronne aux« barons».« Leur erreur
confie-t-elle. comité exécutif du n'était pas le sienfut un véritable a été de prendre pour une "blonde"
groupe Edmond defi », confie Fïroz Ladak,le patron cettefmnme très intelligente »,ré-
Enfance nomade de Rothschild. des activités philanthropiques du sume un observateur. Et les em-
Et pourtant,la finance,elleconnaît. groupe,qui la connaît depuis l'en- bûches stimulent la combative
«Beaucoup de gens s'étonnent: "Ça fance.Après le décès d'Edmond,le Ariane. « Je ne suis pas amère,
t'intéresse,la banque?" Ça mefait couplemigresur lesrives duLéman, mais au contraire très reconnais-
rire quand j'entends cela», s'es- au château de Prégny,où ils officia- sante aux barons. C'était sans pi-
claffe-t-elle. Ariane Langner,fille lisentleurunion en 1999.La mariée tié. n n'y a eu aucun passe-droit.
d'une Française et d'un Allemand, est enceinte de huit mois,la noce, Zéro. Un parcours très riche, qui
cadre dans l'industrie pharmaceu- intime.Brillant etvisionnaire,Bertja- m'a obligée à être très convaincue et
tique,passe une enfance de globe- min confie les rênes des trois déterminée», juge-t-elle.La guerre
trotteuse. Bangladesh, Mozam- banques - Suisse,Luxembourg et se solde par le départdes dirigeants
biqu_e,Zaïre,jamais plus de cinq ans Portrait
Paris - à des managers qu'il associe historiques: début 2012,Michel Ci-Ariane de Rothschild,
dans lemême pays.AprèsSciences- photographiée dans au capital. Le groupe multiplie par curel,le patron des activités fran-
Po et un MBA à New York,elle dé- ses bureaux parisiens, cinqsesactifs,enprospérantdans la çaises pendant treize ans,part fon-
marre savie professionnelle dans la le 21 décembre 2015, gestion d'actifs et de fortune. Deux der La Maison. Le Suisse Claude
banque. A 21 ans,elle débute à la
parStéphane
métiers bien distincts des fusions- Messulam quitte aussi le groupe,Lagoutte,
Société générale comme analyste à pour Challenges. acquisitions, où David de Roth- après vingt et un ans de ser- .........
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2. Portrait
Ariane de Rothschild, aux commandes
1. En 2011, dans
la réserve de Nlassa,
au Mozambique.
Citoyenne du monde
et polyglotte, la
dirigeante possède
une ferme là-bas.
Pour elle, la finance
doit être utile.
Elle a créé un fonds
dédié à l'Afrigue.
3. En 2014, avec son mari, Benjamin, â Paris. Le coup
de foudre entre ces deux anticonformistes remonte à
1993, lorsqu'elle était chargée de la filiale parisienne
de l'assureur américain AIG. Benjamin était son client.
4. En Juin 2015, dans la chapelle des Beaux-Arts,
avec des écoliers de Saint-Ouen, dans le cadre du
programme AIMS. Elle a conçu ce projet après une
rencontre avec l'ex-maire communiste de Saint-Ouen.
Des artistes des Beaux-Arts reçoivent une bourse
et se rendent dans les écoles de la commune.
5. En septembre 2015, â Lorient, avec le skipper
Sébastien Josse, lors du baptême du Gltana 16.
La navigation est depuis toujours la passion familiale.
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2. En 2013, avec Christophe de
Backer, au siège du groupe
Edmond de Rothschild, â Paris.
Nommé par la vice-présidente
pour réorganiser le groupe,
le directeur général est mal
accepté dans la maison et
finit par partir début 2015.
Il est remplacé par... Ariane de
Rothschild.
..,..,.., vice, puisc'est au tour de Fré
déric Otto, le patron de la filiale
luxembourgeoise. L'intéressée as
sume : «L'entreprise devaitse réin
venter. Après vingt ans de crois
sance, la même équipe ne pouvait
pas gérer la période compliquée où
sont entrées les banques. Pour la
crise, üfaut des gens très centrés,
avec de vraies valeurs humaines. »
Durant ces années charnières,
Ariane tisse son fil. D'abord, elle
décide d'unifier sous la marque
unique d'Edmond de Rothschild les
diverses banques qui s'étaient do
tées de noms disparates.Pour accé
lérer le dossier « US Program » - la
régularisation de la clientèle améri
caine, négociée avec les autorités-,
elle décide de changer les conseils
de la banque. « Une vraie décision
de patronne. Sans cela, les négo
ciations auraient sans doute pris
un autre tour», admire Jean-Lau
rent Bellue, administrateur du
groupe.
Patronne hyperactive
Surtout, elle entend faire fonction
ner plus efficacement cette coopé
rative de petites banques qui se
concurrencent les unes les autres.
« C'était une absolue nécessité»,
souligne encoreBellue. Le chantier
est confié à Christophe de Backer,
directeur général d'HSBC France,
en avril 2012.Le « CEO » installe la
nouvelle organisation voulue par
l'actionnaire. « ll s'est tapé le sale
boulot», décode un manager. « na
apportéla premièrepierre duchan
gement, ce qui n'était pasfacüe »,
abondeAriane de Rothschild.
Un euphémisme... Dans cette mai
son où les salariés marchent à l'af
fect, le style raide et moqueur de
ChristophedeBacker-filsd'officier,
habitué àunegrande machine anglo
saxonne- ne passe pas.Une hémor
ragie de cadresalimentelemalaiseet
nourrit la rumeur du départ duCEO.
Et l'hyperactivité de la vice-prési
dente ne lui facilite pas la tâche.
« C'était un système de doubles
commandes, avec un CEO qui était
actionnaire, un autre qui ne l'était
pas», décode un administrateur.En
janvier 2015, une double annonce
metfin aux ambiguïtés : Christophe
de Backer s'en va, remplacé par...
Ariane de Rothschild. Et là, c'est le
soulagement dans les rangs. Quel
3. meilleur garant des intérêts de la
banque que l'actionnaire lui-même?
« Tout I.e monde se demandait quel
patron allait nous tomber sur la
œte», se souvientVincent Taupin, le
patron de la filiale française. En réa
lité, l'arrivée de la baronne aux com
mandes ne surprend personne. Pour
Maurice Lévy, président du direc
toire de Publicis et ami de la famille,
c'était même un« aboutissement
naturel».
Bataille patronymique
Mais Ariane de Rothschild gagne
vraiment ses galons le 30 mars 2015
en assignant enjustice la branche
parisienne, celle de David. Alors
qu'elle a fait l'effort de clarifier sa
marque à elle, elle reproche au
cousin d'accaparer le nom Roth
schild. L'élégant banquierd'affaires a
la fâcheuse tendance à utiliser le pa
tronyme légendaire en oubliant le
suffixe« & Cie». L'affaire fait grand
bruit et, en interne, les troupes font
corps autour deleurdirigeante.«Les
salariés ont découvert sa pugnaci
té »,juge Vincent Taupin. Vexé d'ap
prendre l'assignation par voie de
presse,David de Rothschild déplore
que l'épisode« ne se soit pas réglé
par une discussion ». En réalité, les
discussions entre les cousinsetleurs
avocats traînaient depuis cinq ans.
« La confusion n'est salutaire pour
personne »,souligneAriane deRoth
schild, précisant que la procédure
suit son cours.« Elle a fait un tra
vaü approfondi sur ce que veut dire
êtreRothschüd. Elleestimeque pour
exister, ce mythe doit rester vivant,
pleinement dans son temps», dé
code Olivier Colom,le secrétaire gé
néral adjoint du groupe.
La baronne ne serait donc pas la
femme impulsive dépeinte par ses
ennemis.« Elle ne s'arrête pas à
l'écume. EUe entre en profondeur
dans les sujets», souligne Maurice
Lévy.« Je tourbiUonne, mais cela
fait vingt-cinq ans queje suis très
concentrée », ajoute l'intéressée.
A peine aux commandes, elle s'est
attaquée à la refonte des systèmes
d'information,chantiervital pourun
groupe bancaire. « J'ai dédié un
temps fou à comprendre, débattre,
regarder f.es diverses structures »,
raconte-t-elle. Une analyse qui dé
bouchera cette année sur « une
importante bascule sur des plate-
Ce qu'ils disent d'elle
Maurice Lévy, président du
directoire de Publicis : • Elle est
tout à fait légitime; précise
et impliquée, engagée dans
Johnny el-Hachem, directeur général
d'Edmond de Rothschild Private Equity :
« Au quotidien, elle cherche à récompenser
le talent. Comme un capitaine de foot,
la défense patrimoniale de la banque. » elle cherche à nous fédérer. »
Véronique Morali, présidente de Fimalac
Développement : • Elle a élargi les
horizons et les façons de voir dugroupe,
elle lui a donné un coup de fouet.
David de Rothschild, associé gérant
statutaire de Rothschild & Cie, à propos
du procès qu'elle lui intente : « Je ne
voudrais pas que l'on accorde à cet
épisode plus d'importance qu'il n'en a. »C'est une businesswoman, une battante,
et quelqu'un de très humain et sensible. »
Laurent Dassault, directeur général
délégué du groupe Marcel Dassault :
Luc Rlgouzzo, managing partner à Amethis
Finance : • Elle a rapidement compris les
mutations que vit le business mode/ des
banques privées. Elle a donc une vision de
long terme et est très courageuse
« Il était indispensable qu'elle reprenne
les manettes. Mais elle donne l'impression
d'être trop seule. » et volontaire. Elle assume ses choix. »
ELLE AIME
L'Afrique.
Marcher
pieds nus.
Recevoir.
ELLE N'AIME PAS
Les baronnies.
L'immobilisme.
Les codes
dépassés.
formes informatiques en Suisse et
auLu:œmbourg ».
Pas question de déléguer.« Travail
leuse acharnée, elle a besoin de
s'awroprier en profondeur les su
jets », observe sa directrice finan
cière, Cynthia Tobiano. Entrée au
comité exécutif début 2014, cette
ancienne de Goldman Sachs est, à
38 ans, un pilier de l'équipe consti
tuée par Ariane de Rothschild. Une
équipe rajeunie, féminisée. Sans
surprise,la boss se montre plus sen
sible aux compétences qu'aux di
plômes :« Ce sont des gens sur qui
je compte beaucoup, et que j'ai
choisis aussi pour leurs qualités
humaines. » La nouvelle directrice
des opérations, Sabine Rabald, cu
mule dix-neuf années d'expérience
maison. Ariane de Rothschild ne
s'interdit pas pour autant de recru
ter à l'extérieur. Fin décembre, elle
a nommé ainsi comme économiste
en chef Mathilde Lemoine, la direc
trice des études d'HSBC France.
Goût pour la philanthropie
Déterminée à« énergiser» l'entre
prise et à la faire entrer dans le
XXI" siècle,Ariane de Rothschild as
sume l'héritage en revenant à ses
sources. « Les gens ont oublié ce
qui a fait la force de cette famille
pendant sept générations : sacapa
cité d'anticipation, d'adaptation et
de prise de risques », dit-elle.
Elle a déjà prouvé sa capacité à
transformer un autre legs Roth-
schild : la philanthropie. Sous son
impulsion, les douze fondations in
ternationales lancées par Edmond
de Rothschild se sont professionna
lisées et enrichies de projets auda
cieux dans les arts et l'éducation,
avec toujours une dimension so
ciale. Après une rencontre avec la
maire de Saint-Ouen, la« baronne»
a ainsiétéàl'origine d'AlMS,un pro
gramme permettant à dejeunes ar
tistes de l'Ecole des beaux-arts de
recevoir une bourse et d'intervenir
dans des écoles de la commune.
Les activités de private equity
portent elles aussi la patte de ladiri
geante. Convaincue que la finance
se doit d'être utile, elle a soutenu la
création de fonds dans des géogra
phies nouvelles ou des thèmes pion
niers. Ginko,un fonds se consacrant
à la dépollution de friches indus
trielles, ou Amethis Finance, un
fonds dédié à l'Afrique.
Un pari africain qui reflète l'ouver
ture de cette citoyenne du monde,
dont le bureau est un récit de voyage.
Au mur, des photos saisissantes de
gangs sud-américains d'Isabel
Muiioz. Sur une console, les vases
modernes d'un céramiste italien. Et
de fabuleuses coiffestribales.« Je la
vois plus pieds nus dans la savane
du Mozambique qu'en talons ai
guiUes dans un salon parisien, ri
gole Hugo Ferreira, ex-directeur gé
néral de la CBR. Multiculturelle,
parlant cinq langues; elle s'adapte
partout. Delphine Déchaux
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