1. 1 - Michèle Lacrosil. ( Présentée par G. CHRISTON, Docteur ès Lettres.)
Les indications ont été fournies par l’auteur. Les propos transcrits* sont en italique, et datent des entretiens que
l’auteur a bien voulu nous accorder, et nous autoriser à publier. C’est le fruit et l’aboutissement des recherches
entreprises en Avril 2008 pour la rencontrer, d’abord le 16 juin (Remise spontanée de nombreux documents sur ses
œuvres : articles de presse etc…) puis le 25 septembre de la même année.(Entretien filmé dans son salon et son
bureau.)
« Une petite fille élevée par un père Commissaire de Police puis juge
d’Instruction à compétence étendue – fonction qu’il a exercée à Saint- Martin -
décédé trop tôt, mais aussi perdu auparavant parce qu’il avait précocement
divorcé de ma mère*. »
Voilà ce que nous déclarait Madame Galliard-Lacrosil Michèle lors d'un
entretien qu'elle nous a accordé dans son appartement parisien à la fin du mois
de septembre 2008. Mieux que nos recherches et les témoignages de quelques
rares personnes qui l'ont connue dans son pays, l'auteur de Sapotille et le serin
d’argile (1), de Cajou(2) et de Demain Jab-Herma (3) nous parle d'elle et des
premières années de sa vie passées en Guadeloupe. Le recoupage de ses propos
avec son premier ouvrage Sapotille et le serin d’argile jette la lumière sur la
vie de l’enfant qu’elle fut. Aller jusqu’à affirmer que Sapotille c’est Michèle…
fait sourire notre nonagénaire !
Michèle Lacrosil est née à Basse-Terre, chef-lieu de la Guadeloupe, le 21
février 1911. Elevée par un père fonctionnaire, et une mère au foyer, la petite
Lacrosil sera scolarisée très tôt, comme tous les enfants des parents favorisés
de cette période, au pensionnat de Versailles, chez les religieuses de Saint-
Joseph de Cluny, à Basse-Terre. Comme elle nous le précise, toute notion de
couleur de peau était anéantie tant que son père était vivant…
« Du jour au lendemain je me suis retrouvée noire*. »
Sa scolarité deviendra un vrai cauchemar dès le lendemain du décès de son
père. Le récit d’enfance contenu dans son premier ouvrage prend l’accent du
témoignage d’affreux souvenirs :
« Le cachot dans lequel était enfermée la petite Sapotille a toujours existé.
Peut-être existe-il encore !* »
Enfermée sous le moindre prétexte dans ce réduit plein de vieux livres, la petite
Sapotille s’évadera en découvrant les œuvres de Victor Hugo, de Lamartine, de
Balzac et de Chateaubriand…Elle s’en souvient encore et déclare avec un
sourire plein de malice :
« J’ai adoré ce cachot…car c’est là que j’ai pris le goût de la lecture.* »
Les vacances de la fillette se déroulaient dans la maison de la Grand-mère, à
Saint-Claude, à quelques mètres de la maison du Grand père paternel Augustin
Lacrosil. Sa sœur aînée Marcelle, de quatre ans plus âgée qu’elle, a tant compté
dans sa vie, ainsi que sa grand’mère Lucie, sa tante Bertha et son cousin Henti
Bathilde. Ces membres de sa famille ont toujours tenté de relativiser les sévices
des « bonnes sœurs »… A quatre ans Marcelle lui avait appris à lire. La
disparition de son père obligera la mère à travailler comme couturière,
1- Lacrosil M : Sapotille et le serin d’argile, Editions Gallimard, Paris 1960, 242p.
2-Idem. Cajou, Paris 1961, 238p.
3-Idem. Demain Jab-Herma,, Paris 1967, 256p
2. accueillant une importante clientèle, afin de faire vivre la famille.
« On ignorait qu’on était pauvre parce qu’on ne manquait de rien, car les
jardins familiaux des grands-parents maternels et paternels produisaient
tout.* »
Michèle Lacrosil a suivi des études primaires et secondaires au Pensionnat de
Versailles jusqu’à l’adolescence, puis à l’Ecole Normale de Pointe-à-Pitre. Elle
a été institutrice en Guadeloupe, au Moule et à Marie-Galante. Mariée à
Maurice Cassin, militaire de carrière, cousin de la famille, elle s’installa à
Basse-Terre et exerça au Lycée Gerville Réache. Elle préféra divorcer à peine
deux ans après pour mettre fin à une vie conjugale agitée, en raison
d’incompatibilité, mais surtout à cause de la conception qu’avait l’homme
antillais de l’époque, de son épouse !
« L’homme noir de notre époque considérait la femme mariée comme la
domestique numéro un.* »
Profitant d’un congé administratif elle regagne la Métropole, après une
longue traversée de l’Atlantique à bord d’un vieux bananier grec, afin de
poursuivre ses études et se soigner d’une terrible filariose, maladie tropicale
qui sévissait à l’époque. Ce long voyage fut aussi l’occasion de fuir et d’oublier
les séquelles profondes d’un divorce malheureux…
« Quand j’ai connu Maurice Cassin - on s’était toujours connu d’ailleurs -
c’était un gentil garçon. Mais quand il est revenu de la guerre et qu’on s’est
marié, ce n’était plus le même homme à cause des atrocités qu’on lui avait
faites – et je ne parle même pas des atrocités faites par les Allemands, mais par
les Français !* »
Elle fait la rencontre du Professeur Galliard Henri, membre de
l’académie de médecine, oncle du célèbre Professeur Brumpt, qui lui avait été
recommandé. Professeur de Lettres dans le Gers, puis en région parisienne – où
elle vit depuis - après avoir effectué des études de lettres à la Sorbonne,
Michèle Lacrosil n’est revenue dans son île natale que lors du Festag* en 1986.
Ses trois ouvrages ont été écrits en métropole, entre 1960 et 1967, Sapotille et
le serin d’argile, Cajou et Demain Jab-Herma.
Loin de vivre en ermite dans ses luxueux appartements de la capitale
française, la sympathique Michèle Lacrosil se tient au fait de tous les
événements qui secouent la société antillaise, reste « connectée » en
permanence avec ses rares mais fidèles contacts, « surfe » souvent sur le net, et
défie toute reclusion en accueillant dans sa magnifique « librairie » des
visiteurs triés sur le volet, avec lesquels elle aime évoquer son passé et discuter
de l’actualité. Au moment où nous écrivons ces lignes, elle vient de faire
parvenir à son éditeur le texte de son quatrième roman intitulé Les Sargasses
ont disparu. Comme elle l’explique si bien, cette allusion à la disparition de la
surface du globe de la Mer des Sargasses qui emprisonnait des navires par
l’intermédiaire de ses algues géantes, symbolise l’avènement de changements
* FESTAG : Festival des Arts de la Guadeloupe et de la Caraïbe, organisé en Juillet et Août 1986 en Guadeloupe.
** Mulâtre, Quarteron et Câpre désignent des gens de couleur nés des différents croisements ethniques aux Antilles.
3. profonds dans la société tout entière, notamment sur le plan des relations entre
Blancs et Noirs, et plus généralement dans l’acceptation de la « Diversité » et
l’éclosion d’un vrai dialogue inter –ethnique, interculturel, et profondément
international… Ecrit il y a deux ans, ce roman apparaît comme la pure
préfiguration de l’arrivée du métis Barak Obama sur la scène internationale.
N’allons pas jusqu’à attribuer des talents et dons de visionnaire à notre grande
basse-terrienne !
Si dans son premier ouvrage Michèle Lacrosil raconte la vie de la naïve et
douce Sapotille en butte à la société antillaise, et qui décide de fuir un
impitoyable racisme interne, c’est-à-dire entre Mulâtres, Quarterons et
Câpres**, pour connaître le bonheur ailleurs, plus précisément en France,
même si elle n’y est jamais allée, mais qu'elle imaginait capable de dépasser
l'apparence et la couleur de l'épiderme:
« Je savais où je voulais aller (…) Les Français ignorent le compartimentage
de la société antillaise, les interdits d’une classe à l’autre. J’ai toujours aimé
leur pays ; je ne le connais pas encore, mais je sais que c’est ma patrie ; j’y
oublierai, j’y tâcherai d’oublier Patrice et Benoît. » (1)
puis dans Cajou - qui pourrait être considéré comme la suite de Sapotille et le
serin d’argile - l’affreuse et tragique déconvenue d’une jeune femme qui
croyait trouver le bonheur en fuyant ses déceptions « antillaises », l’œuvre dans
laquelle son engagement est fermement exprimé est Demain Jab-Herma.
L’expérience de la fuite pour mettre fin aux souffrances vécues dans son propre
univers, sur sa terre natale, et plus tard la cruelle déception à la fatale
découverte de l’impossible intégration dans le monde rêvé – hélas si différent
du rêve! - seront complètement dépassées, non seulement par cette soif de
justice, mais surtout par l’aspiration à un équilibre social exprimée dans le
troisième roman. Les différents personnages de Demain Jab-Herma, acteurs de
la société antillaise de l’époque, sont confrontés au réel et puissant pouvoir du
passé esclavagiste de leur île. Les tentatives d’en effacer les stigmates se
révéleront vaines et inutiles…Toutefois l’allusion de l’auteur à un avenir
meilleur de la vie sur l’île, à l’espérance d’un idéal compromis entre passé et
futur, malgré le poids de la misère, rappelle le dénouement du drame
shakespearien.
D’une plume alerte et nette, entremêlant humour et ironie, Michèle
Lacrosil a su mettre en lumière, dans ses trois ouvrages, la complexité des
problèmes et des conflits engendrés dans la société antillaise par
l’incompréhension, l’intolérance, les incompatibilités d’humeur des individus
rendus différents seulement par leur apparence, par la nuance de la couleur de
leur épiderme, nuance rappelant trop souvent hélas, la classe sociale.
L’ouvrage qui nous semblait le plus approprié à notre étude par l’aspect
autobiographique du texte, en raison de sa richesse documentaire, est le
premier ouvrage publié par Michèle Lacrosil quelques années après son arrivée
sur le sol métropolitain. Il s’agit de Sapotille et le serin d’argile.
1 – Lacrosil M : Sapotille et le serin d’argile, Edition Gallimard, Paris, 1960, p. 18