Pitch Calabio - Présentation Finale Incubateur Crealys - mars 2012
Guilhem Bertholet - Interview du 3 mai 2012 - Partie 1 - Le Nouvel Economiste
1. Entretien
Guilhem Bertholet, ancien dirigeant de l’incubateur d’HEC
“L’actif de la start- up est l’apprentissage
qu’elle fait de ses fausses routes”
L’expérience d’un serial-entrepreneur sur les nouveaux modèles de start up
et leurs méthodes d’incubation
Par Julien Tarby
“Une start-up est une phase temporaire vécue par d’un blog très lu sur les tendances du
un groupe de personnes qui testent des choses microcosme. Une réalité qu’il aura l’occasion
jusqu’à ce que cela fonctionne à petite échelle, puis de vérifier par lui-même lorsque, rattrapé par
qui passent à une phase de “scaling” afin d’en faire le virus, il décide à son tour de mener un projet
une grande entreprise.”Telle est la définition que de logiciel avec deux associés. En ayant recours
donne Guilhem Bertholet, infatigable aux bonnes pratiques qu’il décrit depuis des
entrepreneur et ex-dirigeant de l’incubateur années.
HEC, des start-up. Ces entreprises naissantes
qui suivent leurs propres règles, possèdent
leurs propres icônes et soulèvent de
nombreuses questions auxquelles s’attache à
“Une start-up est une phase temporaire
répondre simplement ce Lyonnais à vécue par un groupe de personnes qui
l’anglicisme facile et au vécu intéressant. Les testent des choses jusqu’à ce que cela
jeunes pousses françaises, qui ne ressemblent fonctionne à petite échelle, puis qui passent
pas forcément à leurs consœurs de la Silicon à une phase de “scaling” afin d’en faire
Valley, évoluent beaucoup selon cet animateur une grande entreprise”
“Aux Etats-Unis, c’est celui qui a créé qui est reconnu, quand en France
c’est celui qui dirige. Le fondateur qui s’en va ou qui est écarté perd
la reconnaissance. Les Anglo-Saxons savent le garder comme board member
ou président.”
“
Notre idée de logiciel d’entreprise Silicon Valley, où les comportements et les de la méthode du Kamban, la chaîne de produc- qui sont intégrés dans ces groupes. Un
a “dérapé” en parlant avec des besoins sur le Web ont mieux été analysés : plu- tion n’est pas figée ; chacun peut arrêter la pro- mécanisme trop rare en France. A part Orange
clients potentiels - responsables in- sieurs voies se sont alors ouvertes, comme un lo- duction en relevant un problème de qualité pour qui s’est illustré avec Deezer ou Dailymotion,
formatiques de moyennes entrepri- giciel RH de recrutement qui s’appuie sur les éviter de gâcher des lots. Il s’agit du même esprit c’est le désert. Les grandes sociétés essaient en
ses et dirigeants d’entreprise. Tous ont accès à réseaux sociaux, un logiciel de gestion de tréso- ici : les fondateurs essayent de mettre en place priorité de lancer les technologies en interne. Le
une myriade de logiciels adaptés à leurs besoins rerie qui analyse les flux, retire de la data et com- des cycles plus courts, de tester très vite de lien semble cassé entre les différentes couches
via le Cloud et le SaaS (software as a service), qui pare avec des entreprises similaires. petites choses. Nous émettons des hypothèses d’entreprise, alors qu’il est essentiel aux Etats-
ont eux-mêmes ouvert la voie à une myriade de que nous validons ou invalidons chez ces clients Unis où tous les grands groupes ont un
petits éditeurs de logiciels : quelques personnes La “Lean start-up” potentiels, au cours d’une étape dite “pivot”. incubateur, réalisent une veille, organisent des
dans une pièce peuvent développer un morceau Nous utilisons cette méthode qui imprime un Nous allons ainsi ajouter du contenu par petites prix pour les entrepreneurs, mettent à
de fonctionnalité, le mettre sur Internet, passer tempo et donne un état d’esprit pour “rentrer” boucles et acquérir une vraie connaissance du disposition des cadres qui vont faire des stages
quelques coups de fil et acheter des mots clés sur dans la start-up. Elle s’appuie sur le “customer marché. Cette méthode pour progresser dans le en start-up… Le cercle vertueux n’est pas enclen-
Google. Revers de la médaille, ce morcellement development”, et non sur le “product develop- brouillard est impulsée en France par les inves- ché et de ce fait il existe beaucoup moins de gens
est aussi synonyme de complexité pour l’utilisa- ment” suivi durant la première vague d’Internet. tisseurs qui ne veulent plus de business plans de expérimentés qui créent leur deuxième voire
teur. Le salarié n’a plus un simple PC avec des lo- Les gens avaient une idée, faisaient les vérifica- 40 pages ou de projections sur 10 ans, mais un leur troisième entreprise, comme c’est le cas ou-
giciels installés et un service technique à appeler tions d’usage sur le marché, puis levaient beau- prototype. De plus les jeunes créateurs se docu- tre-Atlantique.
en cas de problème. Il a une profusion de mots de coup d’argent sur d’ambitieux business plans et mentent,lisent des blogs,décryptent les réussites
passe à gérer. L’entreprise donne plus ou moins embauchaient énormément. Ils s’attaquaient à américaines et comprennent qu’ils ne doivent L’innovation non technologique
accès à certains services, estime mal les risques des cathédrales et au bout de 2 ans le verdict tom- pas construire un château de cartes pendant 6 C’est l’autre vecteur de changement de l’écosys-
en matière de sécurité, ne sait qui a accès à quoi bait. L’usine à gaz pouvait donner lieu à un im- mois ; qu’ils ne doivent plus s’enfermer dans leur tème. La France a longtemps privilégié l’accom-
et surtout combien cela coûte. Nous créons donc mense gâchis, avec un marché qui n’existait plus business plan. pagnement technologique, par Oséo ou les
une plateforme pour répondre à cette probléma- ou qui n’était pas encore assez mature. Le “cus- incubateursAllègre.Partant du constat que nous
tique. Le salarié a une entrée, le manager aussi, tomer development” consiste à trouver des astu- Les investisseurs avions une superbe recherche, les pouvoirs
ce qui lui permet de mieux se repérer et de savoir ces pour faire parler les clients et mieux les Ils sont indéniablement plus nombreux et assu- publics ont mis en place des structures facilitant
quels sont les logiciels concurrents à sa rent un plus gros volume. Les lois Tepa et la les transferts de technologies et la création d’en-
disposition sur le marché. “Cet apprentissage continu est volonté de financer de belles aventures ont aidé. treprise.Mais tous les projets touchant à Internet
impulsé par les investisseurs qui ne Seulement il subsiste un véritable problème d’ef- ont vite été recalés parce qu’ils n’impliquaient
L’idée de départ veulent plus de business plans de 40 ficacité de l’argent en France. Où sont les “home pas une R&D de très haut niveau. Pendant plu-
C’est sûrement l’un des principaux freins à la runs”, ces sorties mirifiques ? PriceMinister ou sieurs années,nous n’avons donc pas été éligibles.
création.Les sondages montrent que les Français
pagesou de projections sur 10 ans” Seloger.com sont des exemples encore trop rares.
retrouvent l’esprit entrepreneurial qu’ils avaient La filière semble plus patiente et a compris que
“L’innovation de marché, de process,
perdu ; seulement les gens n’ont pas l’idée révo- comprendre. Il s’agit d’interroger des personnes la période mythique des 3 ans était trop courte.
lutionnaire et se disent qu’il vaut mieux attendre, neutres et hors du cercle immédiat pour les ame- Mais les sorties honorables manquent à l’appel, de positionnement, de marketing ne
pour finalement ne rien faire. Erreur. Je ne suis ner à mettre elles-mêmes le doigt sur le car il n’existe pas en France de monstres techno- rentrait pas dans les cases”
plus un “jeune” entrepreneur naïf. Nous avons problème. La présentation de la solution, même logiques tels Google, Facebook, Microsoft ou de-
avec mon associé - le troisième nous a rejoints au travers d’un croquis, doit les intéresser. Nous main Foursquare et Twitter qui atteignent une Au début des années 2000, quelques formats
plus tard – passé 6 mois à nous mettre d’accord réalisons ensuite le plus vite possible le masse critique et enchaînent les rachats. Ceux- d’incubateurs pour le Web sont apparus : les in-
“minimum viable product” - un prototype qui vestisseurs avaient de grands locaux et ac-
n’est ni complet ni beau, mais qui doit faire mou- cueillaient nombre de projets, mutualisant un
“Les gens n’ont pas l’idée che. L’approche est délicate en France où les ré- “Il subsiste un véritable problème maximum. Mais la démarche était spontanée.
révolutionnaire et se disent ponses sont souvent biaisées parce que, d’efficacité de l’argent en France. Les écoles commeTelecom Paris ou HEC ont ac-
qu’il vaut mieux attendre, conformément à une culture très latine, on ne Où sont les “home runs”, ces sorties compli un bon travail, mais il a fallu changer les
pour finalement ne rien faire” veut pas vexer l’entrepreneur.Aux Etats-Unis, au mirifiques ?” mentalités. En octobre 2008, j’ai écris dans un
contraire, il est possible d’obtenir un entretien mémo que “mon plus gros problème était la non-
sur le type d’aventure que nous recherchions, avec un grand patron. Lui n’hésitera pas à dire ci n’hésitent pas, lorsqu’ils veulent proposer une reconnaissance de l’innovation non technolo-
comme l’utilisation de technologie pour le BtoB, que le projet ne vaut rien. Le créateur ne se lance nouvelle fonctionnalité, à poser sur la table 60 gique”. L’innovation de marché, de process, de
les valeurs à suivre dans l’entreprise, l’échéance donc pas dans de grands développements avant millions de dollars pour une jeune pousse de 60 positionnement, de marketing ne rentrait pas
de 8 à 10 ans.Et ce,sans avoir d’idée au préalable. d’avoir la certitude que des personnes sont prêtes personnes qui la maîtrise. Tout le monde est dans les cases. Au début, nous avons observé les
Puis nous avons observé ce qui se faisait dans la à acheter son idée.Dans le“lean manufacturing” content, les investisseurs mais aussi les créateurs pratiques en vigueur sur le plateau de Saclay ou
28 Le nouvel Economiste - n°1611 - Cahier n°2 - Du 3 au 9 mai 2012 - Hebdomadaire