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Actuel
Échiquier politique

Que veulent les Destouriens ?
Avenue Mohamed V, mi-janvier
2011, l’imposant local du
Rassemblement Constitutionnel
démocratique, RCD, est attaqué
par une foule en colère. L’un des
symboles de l’ancien régime
s’effondrait. Lors des
manifestations précédant la
chute, la population scandait,
entre autres «À bat le parti
destour !» (yaskout hezb
eddestour). Ensuite, le RCD a été
dissous par décision du tribunal
et personne à cette époque
n’imaginait un jour qu’un retour
des personnalités les plus
connues du parti ne serait
possible. Personne, hormis
quelques-uns de ses dirigeants
pour qui cette sortie de scène
constituait une injustice…
Aujourd’hui, de nombreuses
personnalités ont fait ou font leur
retour et, loin d’être un retour
timide, c’est un retour presque
triomphal. La porte du retour
n’est d’ailleurs pas celle du RCD,
mais plutôt du Destour, un
héritage national de presqu’un
siècle… En effet, certaines
d’entre elles n’ont fait qu’un court
chemin avec le parti de l’ancien
régime et étaient là depuis bien
avant 1987, d’autres, par contre,
occupaient des postes clés
jusqu’à la veille de la chute…

Q

ue s’est-il passé depuis la mi-janvier 2011 ? Que peut apporter leur
retour ? Quels sont les facteurs de
ce retour ? Que veulent-ils ?
Aux origines
Le 2 mars 1934 naissait le Néo Destour,
fondé par l’ancien président Habib Bourguiba. Il émanait d’un mouvement de

jeunes tunisiens dont l’objectif était de libérer la Tunisie de la colonisation française
et a rassemblé de nombreux courants et plusieurs orientations dont le point commun
était le patriotisme. Rebaptisé en 1964 en
«Le Parti socialiste destourien» (PSD), il
devint le parti unique en Tunisie jusqu’à
1981 et continua à être dirigé par Bourguiba, alors président de la République. En
1988 et suite au coup d’État de 1987, le
PSD devient le Rassemblement constitutionnel démocratique, le RCD.
Parti militant, ensuite parti unique et puis
jusqu’à 1986 « majoritaire » avec la légalisation d’autres partis, les destouriens ont,
malgré la dérive totalitaire, réalisé un projet
de société moderne et progressiste. Nombre
d’entre eux sont entrés en conflit avec l’ancien président pour avoir souhaité la démocratisation du système. Ensuite, au sein du
RCD et même avec un népotisme de plus

8 - RéAlités - N°1456 - du 21 au 27/11/2013

en plus ancré et une corruption rongeant le
parti, beaucoup de personnalités ont vu leur
adhésion gelée pour s’être opposé ou pour
avoir critiqué l’ancien président Ben Ali.
Le parti fut certes une machine puissante,
surtout durant les dernières décennies. Il enracinait le régime, organisait les élections et
les campagnes de soutien et les bains de
foule, participait à la vie associative, espionnait la population… Mais on ne peut
en juger en bloc. La responsabilité individuelle est très importante. Ce ne seront pas
les procès collectifs qui pourront trancher,
autrement, une injustice face à un ancien
adhérent dont les mains sont propres peut
très bien être commise. Certes, tout individu
ayant abusé de son pouvoir devrait en payer
le prix, mais est-ce au juge ou à une loi
d’exclusion générale d’en décider ? En attendant, les destouriens ne s’avouent pas
vaincus, ni évincés…
EN COUVERTURE

Le retour
On est en mesure de se demander avant de
parler d’un retour en bonne et due forme si
les destouriens, anciens militants du PSD
ou membres du RCD, avaient vraiment disparu de la scène politique.
Au lendemain de la Révolution et jusqu’aux
élections du 23 octobre et la montée, surprise, d’Al Aridha Chaâbia, ils étaient forts
présents dans les analyses politiques du Tunisien. On les accusait de tous les maux :
incendies, attaques de postes de police, vols
d’armes, magouilles politiques, politique de
la terre brûlée, faire monter Al Aridha… On
ne peut faire la part du vrai et du faux dans
toutes ces théories, on ne peut trancher
quant à leur responsabilité, mais on constate
que le Tunisien refusait en quelque sorte de
«laisser partir» le spectre de celui qu’il
considère comme l’origine de la déchéance
de ses conditions socioéconomiques et de
sa frustration politique.
Présents par ailleurs à l’ANC depuis les
élections du 23 octobre au sein du parti Al
Moubadara, on ne peut alors parler d’absence totale des destouriens de la scène politique. Des personnalités comme Kamel
Morjane et Baji Caïd Essebsi se sont vite
déclarées prêtes à continuer à servir leur
pays et n’avoir aucune raison de se retirer.
Néanmoins, il semblerait que la stratégie
politique des quelques destouriens présents
depuis plus de deux ans sur la scène ait plutôt été la position de la «non position».
Jusque-là, ils ont travaillé dans le pragmatisme et la discrétion, loin de la polémique
et des déclarations médiatiques pouvant
faire des vagues.
Une autre personnalité a toujours suscité
l’intérêt : Hamed Karoui. On lui prête un
rapprochement avec Ennahdha. Certaines
interprétations vont jusqu’à lui prêter la
mission de détruire le camp destourien.
Cela reste du domaine de la spéculation.
Mais, ayant un fils islamiste, l’ancien premier conseiller de Ben Ali, qui s’est vu
évincer dans les années 90 avec l’ascension
d’Abdelaziz Ben Dhia et de Kamel Ltaief,
a déjà eu des soucis avec l’ancien régime à

cause
de
l’appartenance de son
fils à la mouvance islamiste.
Mais la popularité de
Hamed Karoui, comme
leader politique, vient
surtout du
secteur du
football.
Hamed Karoui
Avec
lui,
l’Étoile sportive du Sahel a remporté plusieurs titres et
en Tunisie ce sport «peut tenir les gens en
liesse». Aujourd’hui, des politiciens comme
Slim Riahi suivent la même stratégie politique en ajoutant les médias au football…
Aujourd’hui, il fait un réel retour en déclarant constituer un parti et de destouriens. Le
conflit qui s’annonce est qu’il «puise» ses
potentiels militants chez les autres partis
destouriens. Cela dit, on ne peut trancher,
malgré le rapprochement apparent, d’une
éventuelle coalition entre Ennahdha et
Hamed Karoui.
Il est ainsi évident que le retour d’un grand
nombre de destouriens ne se fait pas d’une
façon homogène et en un seul clan ou parti.
D’un côté, la naissance du parti Nidaa
Tounes fondé par Béji Caïd Essebsi a été
considéré comme le retour en force des destouriens. Or, et même si l’on compte parmi
ses rangs de nombreuses personnalités et de
nombreux leaders ayant appartenu au PSD
et au RCD, Nidaa Tounes, n’est nullement
le parti destourien par excellence puisqu’il
compte également des non destouriens et
qu’il se déclare comme étant un mouvement ouvert à tous. Notons ici que le Néo
destour a été depuis sa naissance un mouvement plus qu’il n’a été un parti et qu’il
avait aussi rassemblé des militants de toutes
les écoles et nuances politiques, de la
gauche à la droite en passant par le panarabisme.
Aujourd’hui, outre le fait que Nidaa Tounes
se déclare ouvert à tous, il est considéré
comme le parti des leaders tunisois. Il est
certes difficile en théorie de concevoir les
choses ainsi, mais dans un pays comme le
nôtre où régionalisme et clanisme sont ancrés, l’appartenance à une région influence
fortement le choix du leader et du parti auquel on adhère. Au sein de Nidaa Tounes,
on parle déjà de conflits entre les différents
courants qui le constituent, notamment
entre militants de gauche, syndicalistes et
destouriens.
Il existerait alors, selon le témoignage d’un
militant dans un parti destourien sous couvert d’anonymat, un conflit entre destou-

Actuel

riens sahéliens et sfaxiens qui, pour la première fois dans notre histoire «politico-régionaliste», travailleraient ensemble. Il
semblerait également que c’est la création
de Nidaa Tounes, parti des «Baldya» qui
aurait suscité cette coalition.
D’un autre côté, on a vu se réaliser le 1er
septembre passé une fusion entre quatre
partis destouriens : la Patrie libre, présidé
par Mohamed Jegham, Al Moubadara, de
Kamel Morjane, le Parti de l’Unité et de la
Réforme, d’Ezzedine Bouafia et Zarkaa Al
Yamama, de Taoufik Hamza. La fusion a
donné naissance à «l’Initiative nationale
destourienne». C’est le plus grand rassemblement de destouriens sur la scène politique actuelle. On peut alors parler d’un
retour «dans les règles de l’art»… D’ailleurs, le front essaye aujourd’hui «d’attirer
les destouriens de Nidaa Tounes.»
Est-ce le phénix qui renaît de ses cendres ?
Quel envol prendra-t-il et quels horizons
compte-t-il «conquérir ?»
Nous avons contacté deux des leaders de
l’Initiative nationale destourienne : Messieurs Mohamed Jegham et Kamal Morjane. Éventuelles alliances, potentiel,
objectifs… Entretiens.
Mohamed Jegham
Ministre du Tourisme et de l’artisanat en
1988, de l’Intérieur en 95, ministre-directeur du cabinet présidentiel en 97 et ministre de la Défense nationale en 1999, il a
intégré le gouvernement depuis l’ère Bourguiba et est par ailleurs tombé en disgrâce
à l’époque de Ben Ali, connaissant une traversée du désert ayant duré dix ans. Il fut
tout d’abord nommé ambassadeur à Rome,
puis à Pékin en 2001, nomination qu’il
considéra comme un exil.
Ayant demandé à l’ancien président de fixer
des limites à sa famille, Mohamed Jegham
a ensuite «critiqué», devant témoins, les résultats des élections et leurs taux de 99%.
Sa présence au sein du parti le RCD fut
alors, depuis sa nomination à Rome,
presque fictive, jusqu’aux élections de 2003
où il quitte définitivement le bureau.
«Suite au 14 janvier et à la dissolution du
RCD, il fut regrettable que les destouriens
se soient terrés et éloignés de la scène. J’ai
pensé qu’il fallait rester présent, avoir le
courage de reprendre les rênes, pas du pouvoir, car les choses ont changé, certes, mais
il fallait rester dans la politique», expliquet-il.
Mohamed Jegham nous parle des sentiments d’injustice et de frustration ressentis
au lendemain du 14 janvier et aux accusations à l’encontre des destouriens.
«Après tout, les destouriens, qui sont au
nombre de centaines de milliers ont réalisé
une œuvre. Cette réalisation a commencé
avant Bourguiba et englobe l’Indépendance, la place de la femme, le planning fa-

du 21 au 27/11/2013- N°1456 - RéAlités - 9

➥
Actuel
nance à des régions.
Il ne pourrait y avoir
de coalition avec
Ennahdha vu la divergence de nos
projets
sociaux.
Quant au parti de
Hamed Karoui, il y
a certes eu des tentatives de rapprochement, mais cela n’a
rien donné. Nous lui
avons proposé la
présidence du parti,
Mohamed Jegham
mais des personnes
lui ont conseillé de
➥ milial, les principes d’ouverture de Bour- fonder un nouveau parti.
guiba. Toute cette œuvre pouvait se perdre Nous savons néanmoins qu’il est un
petit à petit», souligne Mohamed Jegham homme sage et qu’il ne compte pas établir
avant de parler de « la famille destou- d’alliance avec Ennahdha, les pourparlers
rienne» et de son rôle :
continuent avec lui. Au bout du compte, les
«Il existe une grande famille. Les hommes destouriens se retrouverons et des efforts
et les femmes qui ont construit l’État de- sont à déployer à partir de maintenant pour
vraient continuer à le faire et il serait dom- effectuer notre retour sur le devant de la
mage qu’ils ne soient pas là. Ce sont des scène. Il faut évidement que les nuages se
bâtisseurs, ils savent construire. Ne pas pro- dissipent, nous avons construit plus qu’un
fiter de leur expérience dans la construction État.
de l’État serait une perte.»
Il est nécessaire que nous soyons ensemble
Mais qui dit famille, dit cohésion, apparte- au moment des élections. Pour cela, il faut
nance, alliances et éclatements… À cela, il beaucoup de travail et la constitution des
répond : «la coalition n’a pas tout à fait bureaux régionaux, il faut également de
réussi avec quelques petits partis destou- l’argent et de la communication.»
riens. Néanmoins, il existe une tentative de Quant aux priorités et aux projets une fois
coalition avec le parti de Hamed Karoui le retour accompli, Mohamed Jegham nous
d’un côté et nous essayons d’attirer la partie explique que la première chose à faire est
destourienne de Nidâa Tounes. Il est proba- de sauver le pays et de trouver une solution
ble que nous soyons ensemble sur les listes à cette période difficile sur les plans sécuriélectorales.»
taire, environnemental, économique et soIl nous explique par ailleurs que «la diffé- cial.
rence entre Hamed Karoui et Béji Caîd Es- «Il faut un projet de la société. Où on va ?
sebsi est que le premier se concentre sur le Qu’est-ce qu’on construit ? Une société ourassemblement des destouriens dans son verte et laborieuse plus proche de l’Occiparti, alors que Béji Caïd Essebsi se voit le dent!», précise-t-il. Concernant le dialogue
leader de destouriens et de non destouriens. il souligne «Il existe un espoir minime dans
Et tant qu’il est là avec son charisme, il n’y le dialogue national. Depuis le début il y a
aura pas de problème de cohérence, mais je des différends dans chaque détail. La chose
ne sais ce qui va se passer. On est intéressé la plus importante aujourd’hui est d’arriver
par la partie destourienne du Nidâa, ils sont aux élections ; fixer la date, constituer
venus nous voir et on pourrait être ensem- l’ISIE, finir la Constitution, instaurer la loi
ble le moment venu, sur des listes com- électorale. Le deuxième point consiste en
munes par exemple.»
les personnes qui sont au pouvoir mainteLes choses ne semblent pas être simples nant : ce qu’ils font est antidémocratique.
avec les non destouriens, puisque selon Dans les pays démocratiques, ceux qui sont
Mohamed Jegham, les choses sont beau- dans l’administration sont neutres. Ce qui
coup plus faciles avec Hamed Karoui qui se fait maintenant est très grave ; nominane compte avec lui que des destouriens. La tions de délégués, de gouverneurs,
cause en est que dans Nidâa Tounes il y a «d’omda». Ils vont être au service du parti
ceux qui «ne veulent pas apparaître au côté au pouvoir.»
des destouriens». Et il insiste «J’espère que «Et quelles sont les ambitions politiques,
le moment venu nous serons tous ensemble, comment se déroule le retour ? » « Au début
car l’esprit de famille est là.»
c’était le désert. Les destouriens avaient
Concernant les éventuelles alliances et si peur après le 14 janvier. Aujourd’hui nous
oui ou non ils pourraient s’allier à Ennah- voulons revenir sur le devant de la scène
dha, il nous répond «Je construis ma politique. Il faut que les nuages se dissipent,
conception de la coalition sur le modèle de car ils ont mis tous les destouriens dans le
société beaucoup plus que sur l’apparte- même sac et on nous a accusés de tous les
10 - RéAlités - N°1456 - du 21 au 27/11/2013

torts. Seulement il faut bien regarder le
passé avant de s’en couper. Nous avons
construit ce pays et il ne faut pas couper la
branche sur laquelle on est assis. Il n’y a
plus d’État et la situation va achever de détruire le pays. Beaucoup d’efforts sont à déployer à partir de maintenant. Ce n’est pas
grave qu’on soit éparpillé en plusieurs partis. Le plus important est d’être ensemble le
moment venu, d’ici à la date des élections,
il nous faut beaucoup de travail, constituer
les bureaux régionaux, il nous faut de la
communication, de l’argent – qui est le nerf
de la guerre. Aujourd’hui, les choses ne sont
pas faciles mais on est prêts pour cela.»
Et de conclure «Il y a des gens qui se demandent où est-ce qu’on va. Ma réponse est
mitigée. On ne peut pas à court terme être
optimiste, on ne peut pas changer la situation en quelques semaines, mais je reste optimiste à moyen et à long termes : on ne
peut rester longtemps dans cette situation.»
Kamal Morjane
Destourien depuis son adolescence, il
adhère au Néo-Destour alors âgé de quatorze ans. À la faculté de droit, il est président de la cellule du Parti socialiste
destourien et Secrétaire général du Bureau
national des étudiants destouriens. Kamal
Morjane a également été élu membre de la
commission administrative de l'Union générale des étudiants de Tunisie, UGET.
En 1996, il est nommé ambassadeur et représentant permanent de la Tunisie auprès
de l'Office des Nations unies à Genève. En
2005, il a été ministre de la Défense et après
le 14 janvier, il est nommé, pour une courte
période, chef de la diplomatie tunisienne.
Concernant le positionnement des destouriens aujourd’hui, Kamel Morjane nous répond «on a été parmi les premiers partis à
annoncer dès le départ notre référencement
et appartenance destourienne. Avec Mohamed Jegham et Mohamed Friâa, nous avons
été le deuxième parti à apparaître sur la
scène en réclamant la référence bourguibienne destourienne. Ce parti ne doit néanmoins pas être seulement constitué de
destouriens ou d’anciens.
Aujourd’hui, la situation est différente dans
la mesure où entre-temps il y a une vingtaine de partis qui se proclament destouriens.
Les Tunisiens, même ceux qui n’étaient pas
destouriens, s’identifient inconsciemment
aujourd’hui au passé, surtout en comparant
le choix sociétal.
La famille destourienne est un peu comme
toutes les autres familles. Elle est certainement en train de connaître des changements
et elle se développe, même si elle reste très
divisée. Si ceux qui sont censé être des leaders historiques avaient pu se mettre d’accord pour réunir cette famille… À mon
avis, on ne peut imaginer la scène politique
EN COUVERTURE
tunisienne sans une présence de la sensibilité destourienne quelle que soit l’évaluation qu’on doit faire d’au moins 70 ans
d’existence. On peut même aller avant
1920, date de la création du néo-destour, en
remontant jusqu’à 1908 avec les jeunes tunisiens, car Abdelaziz Thâalbi appartenait
à ce groupe avant de créer son parti. C’est
une école réformiste, moderniste pour
l’époque, même si Bourguiba avait donné
un ton nouveau au modernisme, mais
c’était une continuité, une formation, un
autre apport européen qui n’existait pas en
1920. Cette évolution s’est faite en fonction
de la scène internationale ; les années 60,
avec l’expérience des coopératives, nous
avons eu une adaptation tunisienne d’un socialisme national.
Le parti aurait pu continuer même avec le
même nom, mais après 87, il aurait pu opter
pour autre chose tout en gardant cette référence destourienne y compris dans son
nom.»
Kamal Morjane nous fait alors une lecture
et une évaluation de plus de 70 ans d’existence:
«Les destouriens doivent faire leur lecture
de ce qui s’est passé, y compris l’autocritique, ça n’a pas été fait d’une façon méthodique.
La grande réalisation ; la lutte nationale et
l’Indépendance, personne ne peut contester
que le rôle principal a été joué par le Néodéstour, même s’il y avait d’autres forces
qui y ont contribué.
La coopérative était une façon de voir l’économie tunisienne et a été ensuite corrigée,
comme partout dans le monde. S’il y a une
distinction à faire entre destourien et autre,
bien qu’on ne soit pas les seuls détenteurs
du nationalisme, un destourien se réfère essentiellement à la Tunisie, il existe ceux qui
se réfèrent au nationalisme arabe. La
gauche à l’époque avait une référence internationale qui va au-delà de la référence tunisienne. La spécificité des destouriens est
leur référence exclusivement tunisienne et
cette école existe toujours. Chez ceux qui
ont milité avec Bourguiba et qui sont encore
en vie et aussi avec les nouvelles générations.
Au moment de l’Indépendance, la population tunisienne était au même niveau démographique que la Syrie, aujourd’hui, ils sont
23 millions d’habitants, nous en sommes à
11. Si ce n’était cette initiative courageuse
du planning familial.»
Quant aux erreurs commises, il nous répond
«On peut parler de démocratie et de liberté,
mais, là aussi, il faudra se baser sur le
contexte mondial et le contexte local quand
on fait une lecture de l’histoire.
Dans les années 50 et 60 le problème était
un problème d’indépendance, d’autonomie
dans le monde arabe, en Afrique ou même
en Asie. Le problème de la démocratie

n’était pas posé. Ensuite ce fut le développement,
pour
construire un État, il
fallait lui donner les
moyens.»
«Et depuis les années
80 ?» « Oui, j’essaye
de voir les choses par
étapes, mais il est
clair que les choses
auraient dû aller autrement depuis une
vingtaine ou une dizaine d’années. On
doit faire l’effort
d’une lecture critique.»
Kamal Morjane nous
explique également
les raisons de l’éclatement de la famille destourienne aujourd’hui et de l’éparpillement
de ses adhérents :
«Les faiblesses qu’a connues le Destour
sont dues au fait d’être resté longtemps au
pouvoir. On assume alors tout et on en paye
le prix.
La personnalisation du pouvoir crée au sein
du parti une sorte d’allégeance. On devient
un peu comme une armée qui répond aux
ordres du général et il n’y a plus de possibilité d’ouverture pour le leadership.
Après le 14 janvier, les destouriens se sont
trouvés en quelque sorte orphelins, même
ceux qui pouvaient jouer le rôle du leader
n’étaient pas préparés.
Ce n’était pas facile en février 2011 de dire
: je crée un parti et je reste fidèle à mes principes.
Il ne faut pas être pressé, on aurait voulu
que cela se passe autrement, d’une façon
plus facile pour le citoyen. Je ne crois pas
qu’il y aurait seulement 4 ou 5 partis si l’on
tenait les élections l’année prochaine. Il faut
s’attendre à une réforme concernant la formation d’alliances, mais non pas comme les
démocraties anciennes. Il faudra du temps.»
Quant à la responsabilité du régionalisme
dans l’éclatement des destouriens, aux
pourparlers avec Hamed Karoui et la partie
destourienne de Nidaa Tounes et aux éventuelles alliances, Kamel Morjane nous révèle :
«L’élément régional existe, il ne faut pas le
nier, il existe partout et c’est dommage, car
il ne doit pas être un facteur clé dans la
scène politique en Tunisie. Il ne l’est d’ailleurs pas dans mon parti. Nous avons touché d’autres régions que le Sahel lors des
élections. Peut-être que le nom a joué au
Sahel à cette période et c’est normal, car la
famille est connue là-bas. Si nous avons
quelque chose à éviter c’est bien le régionalisme, il faut que les partis politiques se
basent sur leur programmes et non sur les
régions.

Actuel

Kamel Morjane

Nous avons toujours dit qu’on se situait au
centre entre Ennahdha, parti de droite et la
gauche avec toutes ses composantes. Le
Destour a toujours été de centre et s’il a
réussi, c’est parce qu’il a toujours rassemblé
plusieurs tendances même idéologiques, capitalistes, socialistes, communistes… Il est
tout à fait normal qu’on soit au centre et
qu’on essaye d’avoir de bonnes relations
des deux côtés.
On était en contact avec Hamed Karoui, on
croyait qu’il allait jouer un rôle au sein du
parti ; il n’y a néanmoins aucun contact formel et officiel pour constituer une alliance.
Cela reste possible, les relations existent,
elles sont bonnes et on verra selon l’évolution de la situation. Cela n’est pas exclu,
mais il n’y a pas de négociations pour aller
jusqu’aux alliances.
Aujourd’hui, ce qui nous intéresse, ce ne
sont pas les alliances, mais comment faire
sortir le pays de la crise et on est prêt à collaborer avec ceux qui ont la même attitude
posée de réconciliation nationale que nous.
Si on peut jouer le rôle de conciliateur, on
le fera.
Nous pensons nécessairement à arriver à un
pacte national, à un programme économique et social commun.
Il faut voir un peu plus loin, même très loin
et si l’on veut sauver le pays c’est avec un
programme d’au moins une décennie. Nous
ne sommes pas une démocratie établie.
Nous sommes un pays qui ne peut pas être
dirigé avec 51% des voix. Il faudra qu’il y
ait une majorité qualifiée et substantielle
pour que le gouvernement puisse gouverner.
«Y a-t-il une possibilité d’alliance avec Ennahdha?», «Je ne fuis pas la question, mais
ce n’est pas le moment. Le premier objectif
est de rassembler la famille destourienne
qui doit se retrouver avec son expérience,
ses compétences, sa lecture critique de ce
qui s’est passé.
Notre alliance doit se faire avec ceux qui

du 21 au 27/11/2013- N°1456 - RéAlités - 11

➥
Actuel

EN COUVERTURE

Mustapha Filali

Le RCD est une erreur historique
Un aperçu historique de l’évolution et du rendement du parti
destourien ?
Il faut distinguer deux volets d’un point de vue épistémologique :
celui des structures et des personnes d’une part et le volet des programmes et du contenu, d’autre part. Il existe les idées politiques
et les faits politiques.
Je préfère parler de ce courant politique dans la situation actuelle
et dans les possibilités d’avenir. Il est inutile de rappeler que le parti
destourien de Bourguiba - je ne parle pas du comité exécutif antérieur à 1934 - a créé l’unité du peuple tunisien. Il a inculqué la notion de l’État, en atténuant autant que possible l’appartenance
clanique.
Il a donné à la jeunesse tunisienne un avenir, il a agi selon une vision d’avenir et d’un programme d’actions pour la réaliser. Aujourd’hui, le peuple a un État, donc on n’a pas besoin d’en créer
un, mais de le consolider.
Le peuple tunisien, par contre, traverse une période d’incertitude,
d’opacité et de manque de visibilité par rapport à l’avenir et je crois
que le rôle fondamental d’un parti politique qu’on veut ressusciter
ou dont on veut assurer la continuité est de donner à la génération
actuelle de Tunisiens un projet d’avenir. Ce projet doit se caractériser par deux facteurs essentiels, de rupture et de continuité.
La rupture doit s’opérer sur le plan politique, concernant le mode
de gouvernance et le modèle de société, c’est-à-dire le modèle de
vie. La continuité répond à l’exigence logique qu’aucun avenir
n’est vivable sans un passé sur lequel il s’appuie et dans lequel il
puise les valeurs fondamentales de son identité. L’identité s’appuie
sur les trois facteurs classiques : la religion (la foi), la croyance, la
langue et l’histoire. Monroe a ajouté un quatrième facteur : la volonté de vivre ensemble, de bâtir un avenir commun. La continuité
du projet destourien réside justement dans l’attachement qu’il faut
maintenir avec ces valeurs d’identité.
Amine Maalouf, a écrit Les identités meurtrières, un ouvrage très
réfléchi dans lequel il évoque une certaine conception de l’appartenance religieuse dans les sociétés arabes modernes. Je crois que
les peuples tunisien, égyptien, syrien et autres, sont en train de revivre la tragédie de l’identité meurtrière, car les fruits des révolutions opérées depuis 2011 s’avèrent dans un certain sens être des
fruits amers. La conception que le parti à tendance salafiste se fait
de l’État et du modèle de société est une conception atemporelle
située en dehors de l’histoire, en contresens de la logique fondamentale de l’évolution et de la loi de l’évolution culturelle, économique et sociale de toute société.
Leur expérience a, de ce fait, échoué dans la responsabilité assumée
à la tête des États tunisiens et égyptiens.
La philosophie du Destour, depuis ses origines jusqu’à la disparition de sa présence politique, réside dans une attitude rationnelle

➥ partagent avec nous le modèle social de

Bourguiba. Nous restons ouverts, sur la
gauche ou la droite. Je ne suis pas de ceux
qui croient que la Tunisie va être partagée
en deux surtout pas en destouriens et islamistes, la gauche sera toujours là et représentative d’une philosophie qui a toujours
existé.»
À cause de sa longue expérience dans les
conflits internationaux, nous lui avons demandé si l’on était à la veille d’un conflit
interne ? Il nous répond :
«On n’en est pas encore là, ma position est
posée, car j’ai vécu des conflits réels, mon
évaluation reste optimiste même si je suis
inquiet. L’État tunisien existe toujours et je
pense que c’est grâce à ce que Bourguiba et

et rationnalisante à l’égard des
attributs de l’identité.
Ceci doit être considéré comme
des leviers et non comme des
freins, comme une provision de
rationalité et de spiritualité et
non comme une déification ou
sacralisation d’un salafisme attardé.
Quelles sont les erreurs commises par le Destour ?
Le RCD n’est pas une continuité du Néo-destour, c’est une erreur
historique, voyez-vous. La politique, n’est jamais séparable de la
morale et dans l’introduction d’Ibn Khaldoun, il y a des pages pertinentes sur le lien fonctionnel entre morale et politique. Le parti
destourien était un parti à connotation morale parce qu’à sa tête trônait un homme doué d’une profonde moralité, Habib Bourguiba,
mais le RCD est un parti d’aventures, d’aventuriers politiques et
économiques. Si les destouriens se mêlent aujourd’hui dans la bataille politique qui se joue dans notre pays, ils doivent se conformer
à la loi de la moralité de ses anciens dirigeants. Je crois que dans
l’arêne politique où se joue la bataille du pouvoir, le succès sera du
côté de ceux qui sauront faire valoir à l’opinion des Tunisiens et
des Tunisiennes des valeurs morales plus que des compétences politiques. Or la rumeur persiste dans l’opinion publique, aujourd’hui,
de la perversité d’un nombre considérable de dirigeants politiques
appartenant à des partis prédateurs qui considèrent que l’activité
politique est une bonne occasion pour faire fructifier les avantages
personnels ou familiaux. Ensuite et c’est l’essentiel, il importe de
présenter à l’opinion un programme, une vision d’avenir qui puisse
être mobilisatrice des énergies de la jeunesse tunisienne, car la politique, autant que la nature, a horreur du vide, et je crois que notre
pays traverse une période de vide aussi bien politique que culturel
(dans le sens le plus large de ce mot.)
Chacun peut jouer un rôle à la mesure de son énergie, mais le rôle
est voué à avoir une permanence et une durée dans l’avenir. Il y a
des rôles éphémères même s’ils durent 20 ans et il y a des rôles
chargés de fruits et d’espoirs d’avenir même si l’expérience a été
décevante. Parmi la génération des destouriens, ceux qui se réclament du Destour dans sa forme initiale ou dans sa continuité du
RCD, ne sont pas à pied d’égalité. Il y a les promus au succès et il
y a les retardataires. Je crois que seule l’authenticité saura sauver
un être qui a des intentions sincères et authentiques et qui a la capacité d’être humble et de s’effacer devant la tâche et la conscience
publique. Seul celui-là peut sauver ou apporter quelque chose, les
retardataires qui prennent le train à la dernière minute sont des
atomes éphémères et seront condamnés à l’oubli.
H.A

les destouriens ont fait. On a un État fort,
j’espère que ceux qui sont aujourd’hui au
pouvoir arrivent à sauver l’État. J’ai vécu
l’Afghanistan, le Rwanda, la Somalie… je
ne pense pas qu’on soit aujourd’hui dans
cette situation et on en est très loin s’il y a
une prise de conscience de la part de ceux
qui veulent aider ce pays et arriver à une réconciliation nationale.
Je reste optimiste, l’optimisme de la volonté. On n’a pas le choix, on doit vivre ensemble, sans exclusion, et je ne parle pas de
l’exclusion des destouriens. La réconciliation doit se faire sur une base solide, sur le
respect de l’autre en laissant la justice faire
son travail.
Je vous cite l’expérience française de la IVe

12 - RéAlités - N°1456 - du 21 au 27/11/2013

république : les gouvernements se faisaient
et défaisaient tous les jours. C’est une
grande instabilité pour un pays comme le
nôtre et ce n’est pas le même environnement qu’a vécu la France au lendemain de
la guerre mondiale, mais on doit toujours se
comparer à des pays ayant une démocratie.
Les problèmes de démocratie et de liberté
ne se poseront plus si on s’effondre économiquement. Merkel va constituer un gouvernement de coalition avec le SPD, c’est
un exemple qu’on doit considérer.
Les destouriens qu’on attaque ont au moins
préparé le peuple à être démocrate, même
s’ils n’ont pas préparé la démocratie.»
Hajer Ajroudi

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"Que veulent les Destouriens" article paru le 21 nov 2013 sur Réalités. Hajer AJROUDI

  • 1. Actuel Échiquier politique Que veulent les Destouriens ? Avenue Mohamed V, mi-janvier 2011, l’imposant local du Rassemblement Constitutionnel démocratique, RCD, est attaqué par une foule en colère. L’un des symboles de l’ancien régime s’effondrait. Lors des manifestations précédant la chute, la population scandait, entre autres «À bat le parti destour !» (yaskout hezb eddestour). Ensuite, le RCD a été dissous par décision du tribunal et personne à cette époque n’imaginait un jour qu’un retour des personnalités les plus connues du parti ne serait possible. Personne, hormis quelques-uns de ses dirigeants pour qui cette sortie de scène constituait une injustice… Aujourd’hui, de nombreuses personnalités ont fait ou font leur retour et, loin d’être un retour timide, c’est un retour presque triomphal. La porte du retour n’est d’ailleurs pas celle du RCD, mais plutôt du Destour, un héritage national de presqu’un siècle… En effet, certaines d’entre elles n’ont fait qu’un court chemin avec le parti de l’ancien régime et étaient là depuis bien avant 1987, d’autres, par contre, occupaient des postes clés jusqu’à la veille de la chute… Q ue s’est-il passé depuis la mi-janvier 2011 ? Que peut apporter leur retour ? Quels sont les facteurs de ce retour ? Que veulent-ils ? Aux origines Le 2 mars 1934 naissait le Néo Destour, fondé par l’ancien président Habib Bourguiba. Il émanait d’un mouvement de jeunes tunisiens dont l’objectif était de libérer la Tunisie de la colonisation française et a rassemblé de nombreux courants et plusieurs orientations dont le point commun était le patriotisme. Rebaptisé en 1964 en «Le Parti socialiste destourien» (PSD), il devint le parti unique en Tunisie jusqu’à 1981 et continua à être dirigé par Bourguiba, alors président de la République. En 1988 et suite au coup d’État de 1987, le PSD devient le Rassemblement constitutionnel démocratique, le RCD. Parti militant, ensuite parti unique et puis jusqu’à 1986 « majoritaire » avec la légalisation d’autres partis, les destouriens ont, malgré la dérive totalitaire, réalisé un projet de société moderne et progressiste. Nombre d’entre eux sont entrés en conflit avec l’ancien président pour avoir souhaité la démocratisation du système. Ensuite, au sein du RCD et même avec un népotisme de plus 8 - RéAlités - N°1456 - du 21 au 27/11/2013 en plus ancré et une corruption rongeant le parti, beaucoup de personnalités ont vu leur adhésion gelée pour s’être opposé ou pour avoir critiqué l’ancien président Ben Ali. Le parti fut certes une machine puissante, surtout durant les dernières décennies. Il enracinait le régime, organisait les élections et les campagnes de soutien et les bains de foule, participait à la vie associative, espionnait la population… Mais on ne peut en juger en bloc. La responsabilité individuelle est très importante. Ce ne seront pas les procès collectifs qui pourront trancher, autrement, une injustice face à un ancien adhérent dont les mains sont propres peut très bien être commise. Certes, tout individu ayant abusé de son pouvoir devrait en payer le prix, mais est-ce au juge ou à une loi d’exclusion générale d’en décider ? En attendant, les destouriens ne s’avouent pas vaincus, ni évincés…
  • 2. EN COUVERTURE Le retour On est en mesure de se demander avant de parler d’un retour en bonne et due forme si les destouriens, anciens militants du PSD ou membres du RCD, avaient vraiment disparu de la scène politique. Au lendemain de la Révolution et jusqu’aux élections du 23 octobre et la montée, surprise, d’Al Aridha Chaâbia, ils étaient forts présents dans les analyses politiques du Tunisien. On les accusait de tous les maux : incendies, attaques de postes de police, vols d’armes, magouilles politiques, politique de la terre brûlée, faire monter Al Aridha… On ne peut faire la part du vrai et du faux dans toutes ces théories, on ne peut trancher quant à leur responsabilité, mais on constate que le Tunisien refusait en quelque sorte de «laisser partir» le spectre de celui qu’il considère comme l’origine de la déchéance de ses conditions socioéconomiques et de sa frustration politique. Présents par ailleurs à l’ANC depuis les élections du 23 octobre au sein du parti Al Moubadara, on ne peut alors parler d’absence totale des destouriens de la scène politique. Des personnalités comme Kamel Morjane et Baji Caïd Essebsi se sont vite déclarées prêtes à continuer à servir leur pays et n’avoir aucune raison de se retirer. Néanmoins, il semblerait que la stratégie politique des quelques destouriens présents depuis plus de deux ans sur la scène ait plutôt été la position de la «non position». Jusque-là, ils ont travaillé dans le pragmatisme et la discrétion, loin de la polémique et des déclarations médiatiques pouvant faire des vagues. Une autre personnalité a toujours suscité l’intérêt : Hamed Karoui. On lui prête un rapprochement avec Ennahdha. Certaines interprétations vont jusqu’à lui prêter la mission de détruire le camp destourien. Cela reste du domaine de la spéculation. Mais, ayant un fils islamiste, l’ancien premier conseiller de Ben Ali, qui s’est vu évincer dans les années 90 avec l’ascension d’Abdelaziz Ben Dhia et de Kamel Ltaief, a déjà eu des soucis avec l’ancien régime à cause de l’appartenance de son fils à la mouvance islamiste. Mais la popularité de Hamed Karoui, comme leader politique, vient surtout du secteur du football. Hamed Karoui Avec lui, l’Étoile sportive du Sahel a remporté plusieurs titres et en Tunisie ce sport «peut tenir les gens en liesse». Aujourd’hui, des politiciens comme Slim Riahi suivent la même stratégie politique en ajoutant les médias au football… Aujourd’hui, il fait un réel retour en déclarant constituer un parti et de destouriens. Le conflit qui s’annonce est qu’il «puise» ses potentiels militants chez les autres partis destouriens. Cela dit, on ne peut trancher, malgré le rapprochement apparent, d’une éventuelle coalition entre Ennahdha et Hamed Karoui. Il est ainsi évident que le retour d’un grand nombre de destouriens ne se fait pas d’une façon homogène et en un seul clan ou parti. D’un côté, la naissance du parti Nidaa Tounes fondé par Béji Caïd Essebsi a été considéré comme le retour en force des destouriens. Or, et même si l’on compte parmi ses rangs de nombreuses personnalités et de nombreux leaders ayant appartenu au PSD et au RCD, Nidaa Tounes, n’est nullement le parti destourien par excellence puisqu’il compte également des non destouriens et qu’il se déclare comme étant un mouvement ouvert à tous. Notons ici que le Néo destour a été depuis sa naissance un mouvement plus qu’il n’a été un parti et qu’il avait aussi rassemblé des militants de toutes les écoles et nuances politiques, de la gauche à la droite en passant par le panarabisme. Aujourd’hui, outre le fait que Nidaa Tounes se déclare ouvert à tous, il est considéré comme le parti des leaders tunisois. Il est certes difficile en théorie de concevoir les choses ainsi, mais dans un pays comme le nôtre où régionalisme et clanisme sont ancrés, l’appartenance à une région influence fortement le choix du leader et du parti auquel on adhère. Au sein de Nidaa Tounes, on parle déjà de conflits entre les différents courants qui le constituent, notamment entre militants de gauche, syndicalistes et destouriens. Il existerait alors, selon le témoignage d’un militant dans un parti destourien sous couvert d’anonymat, un conflit entre destou- Actuel riens sahéliens et sfaxiens qui, pour la première fois dans notre histoire «politico-régionaliste», travailleraient ensemble. Il semblerait également que c’est la création de Nidaa Tounes, parti des «Baldya» qui aurait suscité cette coalition. D’un autre côté, on a vu se réaliser le 1er septembre passé une fusion entre quatre partis destouriens : la Patrie libre, présidé par Mohamed Jegham, Al Moubadara, de Kamel Morjane, le Parti de l’Unité et de la Réforme, d’Ezzedine Bouafia et Zarkaa Al Yamama, de Taoufik Hamza. La fusion a donné naissance à «l’Initiative nationale destourienne». C’est le plus grand rassemblement de destouriens sur la scène politique actuelle. On peut alors parler d’un retour «dans les règles de l’art»… D’ailleurs, le front essaye aujourd’hui «d’attirer les destouriens de Nidaa Tounes.» Est-ce le phénix qui renaît de ses cendres ? Quel envol prendra-t-il et quels horizons compte-t-il «conquérir ?» Nous avons contacté deux des leaders de l’Initiative nationale destourienne : Messieurs Mohamed Jegham et Kamal Morjane. Éventuelles alliances, potentiel, objectifs… Entretiens. Mohamed Jegham Ministre du Tourisme et de l’artisanat en 1988, de l’Intérieur en 95, ministre-directeur du cabinet présidentiel en 97 et ministre de la Défense nationale en 1999, il a intégré le gouvernement depuis l’ère Bourguiba et est par ailleurs tombé en disgrâce à l’époque de Ben Ali, connaissant une traversée du désert ayant duré dix ans. Il fut tout d’abord nommé ambassadeur à Rome, puis à Pékin en 2001, nomination qu’il considéra comme un exil. Ayant demandé à l’ancien président de fixer des limites à sa famille, Mohamed Jegham a ensuite «critiqué», devant témoins, les résultats des élections et leurs taux de 99%. Sa présence au sein du parti le RCD fut alors, depuis sa nomination à Rome, presque fictive, jusqu’aux élections de 2003 où il quitte définitivement le bureau. «Suite au 14 janvier et à la dissolution du RCD, il fut regrettable que les destouriens se soient terrés et éloignés de la scène. J’ai pensé qu’il fallait rester présent, avoir le courage de reprendre les rênes, pas du pouvoir, car les choses ont changé, certes, mais il fallait rester dans la politique», expliquet-il. Mohamed Jegham nous parle des sentiments d’injustice et de frustration ressentis au lendemain du 14 janvier et aux accusations à l’encontre des destouriens. «Après tout, les destouriens, qui sont au nombre de centaines de milliers ont réalisé une œuvre. Cette réalisation a commencé avant Bourguiba et englobe l’Indépendance, la place de la femme, le planning fa- du 21 au 27/11/2013- N°1456 - RéAlités - 9 ➥
  • 3. Actuel nance à des régions. Il ne pourrait y avoir de coalition avec Ennahdha vu la divergence de nos projets sociaux. Quant au parti de Hamed Karoui, il y a certes eu des tentatives de rapprochement, mais cela n’a rien donné. Nous lui avons proposé la présidence du parti, Mohamed Jegham mais des personnes lui ont conseillé de ➥ milial, les principes d’ouverture de Bour- fonder un nouveau parti. guiba. Toute cette œuvre pouvait se perdre Nous savons néanmoins qu’il est un petit à petit», souligne Mohamed Jegham homme sage et qu’il ne compte pas établir avant de parler de « la famille destou- d’alliance avec Ennahdha, les pourparlers rienne» et de son rôle : continuent avec lui. Au bout du compte, les «Il existe une grande famille. Les hommes destouriens se retrouverons et des efforts et les femmes qui ont construit l’État de- sont à déployer à partir de maintenant pour vraient continuer à le faire et il serait dom- effectuer notre retour sur le devant de la mage qu’ils ne soient pas là. Ce sont des scène. Il faut évidement que les nuages se bâtisseurs, ils savent construire. Ne pas pro- dissipent, nous avons construit plus qu’un fiter de leur expérience dans la construction État. de l’État serait une perte.» Il est nécessaire que nous soyons ensemble Mais qui dit famille, dit cohésion, apparte- au moment des élections. Pour cela, il faut nance, alliances et éclatements… À cela, il beaucoup de travail et la constitution des répond : «la coalition n’a pas tout à fait bureaux régionaux, il faut également de réussi avec quelques petits partis destou- l’argent et de la communication.» riens. Néanmoins, il existe une tentative de Quant aux priorités et aux projets une fois coalition avec le parti de Hamed Karoui le retour accompli, Mohamed Jegham nous d’un côté et nous essayons d’attirer la partie explique que la première chose à faire est destourienne de Nidâa Tounes. Il est proba- de sauver le pays et de trouver une solution ble que nous soyons ensemble sur les listes à cette période difficile sur les plans sécuriélectorales.» taire, environnemental, économique et soIl nous explique par ailleurs que «la diffé- cial. rence entre Hamed Karoui et Béji Caîd Es- «Il faut un projet de la société. Où on va ? sebsi est que le premier se concentre sur le Qu’est-ce qu’on construit ? Une société ourassemblement des destouriens dans son verte et laborieuse plus proche de l’Occiparti, alors que Béji Caïd Essebsi se voit le dent!», précise-t-il. Concernant le dialogue leader de destouriens et de non destouriens. il souligne «Il existe un espoir minime dans Et tant qu’il est là avec son charisme, il n’y le dialogue national. Depuis le début il y a aura pas de problème de cohérence, mais je des différends dans chaque détail. La chose ne sais ce qui va se passer. On est intéressé la plus importante aujourd’hui est d’arriver par la partie destourienne du Nidâa, ils sont aux élections ; fixer la date, constituer venus nous voir et on pourrait être ensem- l’ISIE, finir la Constitution, instaurer la loi ble le moment venu, sur des listes com- électorale. Le deuxième point consiste en munes par exemple.» les personnes qui sont au pouvoir mainteLes choses ne semblent pas être simples nant : ce qu’ils font est antidémocratique. avec les non destouriens, puisque selon Dans les pays démocratiques, ceux qui sont Mohamed Jegham, les choses sont beau- dans l’administration sont neutres. Ce qui coup plus faciles avec Hamed Karoui qui se fait maintenant est très grave ; nominane compte avec lui que des destouriens. La tions de délégués, de gouverneurs, cause en est que dans Nidâa Tounes il y a «d’omda». Ils vont être au service du parti ceux qui «ne veulent pas apparaître au côté au pouvoir.» des destouriens». Et il insiste «J’espère que «Et quelles sont les ambitions politiques, le moment venu nous serons tous ensemble, comment se déroule le retour ? » « Au début car l’esprit de famille est là.» c’était le désert. Les destouriens avaient Concernant les éventuelles alliances et si peur après le 14 janvier. Aujourd’hui nous oui ou non ils pourraient s’allier à Ennah- voulons revenir sur le devant de la scène dha, il nous répond «Je construis ma politique. Il faut que les nuages se dissipent, conception de la coalition sur le modèle de car ils ont mis tous les destouriens dans le société beaucoup plus que sur l’apparte- même sac et on nous a accusés de tous les 10 - RéAlités - N°1456 - du 21 au 27/11/2013 torts. Seulement il faut bien regarder le passé avant de s’en couper. Nous avons construit ce pays et il ne faut pas couper la branche sur laquelle on est assis. Il n’y a plus d’État et la situation va achever de détruire le pays. Beaucoup d’efforts sont à déployer à partir de maintenant. Ce n’est pas grave qu’on soit éparpillé en plusieurs partis. Le plus important est d’être ensemble le moment venu, d’ici à la date des élections, il nous faut beaucoup de travail, constituer les bureaux régionaux, il nous faut de la communication, de l’argent – qui est le nerf de la guerre. Aujourd’hui, les choses ne sont pas faciles mais on est prêts pour cela.» Et de conclure «Il y a des gens qui se demandent où est-ce qu’on va. Ma réponse est mitigée. On ne peut pas à court terme être optimiste, on ne peut pas changer la situation en quelques semaines, mais je reste optimiste à moyen et à long termes : on ne peut rester longtemps dans cette situation.» Kamal Morjane Destourien depuis son adolescence, il adhère au Néo-Destour alors âgé de quatorze ans. À la faculté de droit, il est président de la cellule du Parti socialiste destourien et Secrétaire général du Bureau national des étudiants destouriens. Kamal Morjane a également été élu membre de la commission administrative de l'Union générale des étudiants de Tunisie, UGET. En 1996, il est nommé ambassadeur et représentant permanent de la Tunisie auprès de l'Office des Nations unies à Genève. En 2005, il a été ministre de la Défense et après le 14 janvier, il est nommé, pour une courte période, chef de la diplomatie tunisienne. Concernant le positionnement des destouriens aujourd’hui, Kamel Morjane nous répond «on a été parmi les premiers partis à annoncer dès le départ notre référencement et appartenance destourienne. Avec Mohamed Jegham et Mohamed Friâa, nous avons été le deuxième parti à apparaître sur la scène en réclamant la référence bourguibienne destourienne. Ce parti ne doit néanmoins pas être seulement constitué de destouriens ou d’anciens. Aujourd’hui, la situation est différente dans la mesure où entre-temps il y a une vingtaine de partis qui se proclament destouriens. Les Tunisiens, même ceux qui n’étaient pas destouriens, s’identifient inconsciemment aujourd’hui au passé, surtout en comparant le choix sociétal. La famille destourienne est un peu comme toutes les autres familles. Elle est certainement en train de connaître des changements et elle se développe, même si elle reste très divisée. Si ceux qui sont censé être des leaders historiques avaient pu se mettre d’accord pour réunir cette famille… À mon avis, on ne peut imaginer la scène politique
  • 4. EN COUVERTURE tunisienne sans une présence de la sensibilité destourienne quelle que soit l’évaluation qu’on doit faire d’au moins 70 ans d’existence. On peut même aller avant 1920, date de la création du néo-destour, en remontant jusqu’à 1908 avec les jeunes tunisiens, car Abdelaziz Thâalbi appartenait à ce groupe avant de créer son parti. C’est une école réformiste, moderniste pour l’époque, même si Bourguiba avait donné un ton nouveau au modernisme, mais c’était une continuité, une formation, un autre apport européen qui n’existait pas en 1920. Cette évolution s’est faite en fonction de la scène internationale ; les années 60, avec l’expérience des coopératives, nous avons eu une adaptation tunisienne d’un socialisme national. Le parti aurait pu continuer même avec le même nom, mais après 87, il aurait pu opter pour autre chose tout en gardant cette référence destourienne y compris dans son nom.» Kamal Morjane nous fait alors une lecture et une évaluation de plus de 70 ans d’existence: «Les destouriens doivent faire leur lecture de ce qui s’est passé, y compris l’autocritique, ça n’a pas été fait d’une façon méthodique. La grande réalisation ; la lutte nationale et l’Indépendance, personne ne peut contester que le rôle principal a été joué par le Néodéstour, même s’il y avait d’autres forces qui y ont contribué. La coopérative était une façon de voir l’économie tunisienne et a été ensuite corrigée, comme partout dans le monde. S’il y a une distinction à faire entre destourien et autre, bien qu’on ne soit pas les seuls détenteurs du nationalisme, un destourien se réfère essentiellement à la Tunisie, il existe ceux qui se réfèrent au nationalisme arabe. La gauche à l’époque avait une référence internationale qui va au-delà de la référence tunisienne. La spécificité des destouriens est leur référence exclusivement tunisienne et cette école existe toujours. Chez ceux qui ont milité avec Bourguiba et qui sont encore en vie et aussi avec les nouvelles générations. Au moment de l’Indépendance, la population tunisienne était au même niveau démographique que la Syrie, aujourd’hui, ils sont 23 millions d’habitants, nous en sommes à 11. Si ce n’était cette initiative courageuse du planning familial.» Quant aux erreurs commises, il nous répond «On peut parler de démocratie et de liberté, mais, là aussi, il faudra se baser sur le contexte mondial et le contexte local quand on fait une lecture de l’histoire. Dans les années 50 et 60 le problème était un problème d’indépendance, d’autonomie dans le monde arabe, en Afrique ou même en Asie. Le problème de la démocratie n’était pas posé. Ensuite ce fut le développement, pour construire un État, il fallait lui donner les moyens.» «Et depuis les années 80 ?» « Oui, j’essaye de voir les choses par étapes, mais il est clair que les choses auraient dû aller autrement depuis une vingtaine ou une dizaine d’années. On doit faire l’effort d’une lecture critique.» Kamal Morjane nous explique également les raisons de l’éclatement de la famille destourienne aujourd’hui et de l’éparpillement de ses adhérents : «Les faiblesses qu’a connues le Destour sont dues au fait d’être resté longtemps au pouvoir. On assume alors tout et on en paye le prix. La personnalisation du pouvoir crée au sein du parti une sorte d’allégeance. On devient un peu comme une armée qui répond aux ordres du général et il n’y a plus de possibilité d’ouverture pour le leadership. Après le 14 janvier, les destouriens se sont trouvés en quelque sorte orphelins, même ceux qui pouvaient jouer le rôle du leader n’étaient pas préparés. Ce n’était pas facile en février 2011 de dire : je crée un parti et je reste fidèle à mes principes. Il ne faut pas être pressé, on aurait voulu que cela se passe autrement, d’une façon plus facile pour le citoyen. Je ne crois pas qu’il y aurait seulement 4 ou 5 partis si l’on tenait les élections l’année prochaine. Il faut s’attendre à une réforme concernant la formation d’alliances, mais non pas comme les démocraties anciennes. Il faudra du temps.» Quant à la responsabilité du régionalisme dans l’éclatement des destouriens, aux pourparlers avec Hamed Karoui et la partie destourienne de Nidaa Tounes et aux éventuelles alliances, Kamel Morjane nous révèle : «L’élément régional existe, il ne faut pas le nier, il existe partout et c’est dommage, car il ne doit pas être un facteur clé dans la scène politique en Tunisie. Il ne l’est d’ailleurs pas dans mon parti. Nous avons touché d’autres régions que le Sahel lors des élections. Peut-être que le nom a joué au Sahel à cette période et c’est normal, car la famille est connue là-bas. Si nous avons quelque chose à éviter c’est bien le régionalisme, il faut que les partis politiques se basent sur leur programmes et non sur les régions. Actuel Kamel Morjane Nous avons toujours dit qu’on se situait au centre entre Ennahdha, parti de droite et la gauche avec toutes ses composantes. Le Destour a toujours été de centre et s’il a réussi, c’est parce qu’il a toujours rassemblé plusieurs tendances même idéologiques, capitalistes, socialistes, communistes… Il est tout à fait normal qu’on soit au centre et qu’on essaye d’avoir de bonnes relations des deux côtés. On était en contact avec Hamed Karoui, on croyait qu’il allait jouer un rôle au sein du parti ; il n’y a néanmoins aucun contact formel et officiel pour constituer une alliance. Cela reste possible, les relations existent, elles sont bonnes et on verra selon l’évolution de la situation. Cela n’est pas exclu, mais il n’y a pas de négociations pour aller jusqu’aux alliances. Aujourd’hui, ce qui nous intéresse, ce ne sont pas les alliances, mais comment faire sortir le pays de la crise et on est prêt à collaborer avec ceux qui ont la même attitude posée de réconciliation nationale que nous. Si on peut jouer le rôle de conciliateur, on le fera. Nous pensons nécessairement à arriver à un pacte national, à un programme économique et social commun. Il faut voir un peu plus loin, même très loin et si l’on veut sauver le pays c’est avec un programme d’au moins une décennie. Nous ne sommes pas une démocratie établie. Nous sommes un pays qui ne peut pas être dirigé avec 51% des voix. Il faudra qu’il y ait une majorité qualifiée et substantielle pour que le gouvernement puisse gouverner. «Y a-t-il une possibilité d’alliance avec Ennahdha?», «Je ne fuis pas la question, mais ce n’est pas le moment. Le premier objectif est de rassembler la famille destourienne qui doit se retrouver avec son expérience, ses compétences, sa lecture critique de ce qui s’est passé. Notre alliance doit se faire avec ceux qui du 21 au 27/11/2013- N°1456 - RéAlités - 11 ➥
  • 5. Actuel EN COUVERTURE Mustapha Filali Le RCD est une erreur historique Un aperçu historique de l’évolution et du rendement du parti destourien ? Il faut distinguer deux volets d’un point de vue épistémologique : celui des structures et des personnes d’une part et le volet des programmes et du contenu, d’autre part. Il existe les idées politiques et les faits politiques. Je préfère parler de ce courant politique dans la situation actuelle et dans les possibilités d’avenir. Il est inutile de rappeler que le parti destourien de Bourguiba - je ne parle pas du comité exécutif antérieur à 1934 - a créé l’unité du peuple tunisien. Il a inculqué la notion de l’État, en atténuant autant que possible l’appartenance clanique. Il a donné à la jeunesse tunisienne un avenir, il a agi selon une vision d’avenir et d’un programme d’actions pour la réaliser. Aujourd’hui, le peuple a un État, donc on n’a pas besoin d’en créer un, mais de le consolider. Le peuple tunisien, par contre, traverse une période d’incertitude, d’opacité et de manque de visibilité par rapport à l’avenir et je crois que le rôle fondamental d’un parti politique qu’on veut ressusciter ou dont on veut assurer la continuité est de donner à la génération actuelle de Tunisiens un projet d’avenir. Ce projet doit se caractériser par deux facteurs essentiels, de rupture et de continuité. La rupture doit s’opérer sur le plan politique, concernant le mode de gouvernance et le modèle de société, c’est-à-dire le modèle de vie. La continuité répond à l’exigence logique qu’aucun avenir n’est vivable sans un passé sur lequel il s’appuie et dans lequel il puise les valeurs fondamentales de son identité. L’identité s’appuie sur les trois facteurs classiques : la religion (la foi), la croyance, la langue et l’histoire. Monroe a ajouté un quatrième facteur : la volonté de vivre ensemble, de bâtir un avenir commun. La continuité du projet destourien réside justement dans l’attachement qu’il faut maintenir avec ces valeurs d’identité. Amine Maalouf, a écrit Les identités meurtrières, un ouvrage très réfléchi dans lequel il évoque une certaine conception de l’appartenance religieuse dans les sociétés arabes modernes. Je crois que les peuples tunisien, égyptien, syrien et autres, sont en train de revivre la tragédie de l’identité meurtrière, car les fruits des révolutions opérées depuis 2011 s’avèrent dans un certain sens être des fruits amers. La conception que le parti à tendance salafiste se fait de l’État et du modèle de société est une conception atemporelle située en dehors de l’histoire, en contresens de la logique fondamentale de l’évolution et de la loi de l’évolution culturelle, économique et sociale de toute société. Leur expérience a, de ce fait, échoué dans la responsabilité assumée à la tête des États tunisiens et égyptiens. La philosophie du Destour, depuis ses origines jusqu’à la disparition de sa présence politique, réside dans une attitude rationnelle ➥ partagent avec nous le modèle social de Bourguiba. Nous restons ouverts, sur la gauche ou la droite. Je ne suis pas de ceux qui croient que la Tunisie va être partagée en deux surtout pas en destouriens et islamistes, la gauche sera toujours là et représentative d’une philosophie qui a toujours existé.» À cause de sa longue expérience dans les conflits internationaux, nous lui avons demandé si l’on était à la veille d’un conflit interne ? Il nous répond : «On n’en est pas encore là, ma position est posée, car j’ai vécu des conflits réels, mon évaluation reste optimiste même si je suis inquiet. L’État tunisien existe toujours et je pense que c’est grâce à ce que Bourguiba et et rationnalisante à l’égard des attributs de l’identité. Ceci doit être considéré comme des leviers et non comme des freins, comme une provision de rationalité et de spiritualité et non comme une déification ou sacralisation d’un salafisme attardé. Quelles sont les erreurs commises par le Destour ? Le RCD n’est pas une continuité du Néo-destour, c’est une erreur historique, voyez-vous. La politique, n’est jamais séparable de la morale et dans l’introduction d’Ibn Khaldoun, il y a des pages pertinentes sur le lien fonctionnel entre morale et politique. Le parti destourien était un parti à connotation morale parce qu’à sa tête trônait un homme doué d’une profonde moralité, Habib Bourguiba, mais le RCD est un parti d’aventures, d’aventuriers politiques et économiques. Si les destouriens se mêlent aujourd’hui dans la bataille politique qui se joue dans notre pays, ils doivent se conformer à la loi de la moralité de ses anciens dirigeants. Je crois que dans l’arêne politique où se joue la bataille du pouvoir, le succès sera du côté de ceux qui sauront faire valoir à l’opinion des Tunisiens et des Tunisiennes des valeurs morales plus que des compétences politiques. Or la rumeur persiste dans l’opinion publique, aujourd’hui, de la perversité d’un nombre considérable de dirigeants politiques appartenant à des partis prédateurs qui considèrent que l’activité politique est une bonne occasion pour faire fructifier les avantages personnels ou familiaux. Ensuite et c’est l’essentiel, il importe de présenter à l’opinion un programme, une vision d’avenir qui puisse être mobilisatrice des énergies de la jeunesse tunisienne, car la politique, autant que la nature, a horreur du vide, et je crois que notre pays traverse une période de vide aussi bien politique que culturel (dans le sens le plus large de ce mot.) Chacun peut jouer un rôle à la mesure de son énergie, mais le rôle est voué à avoir une permanence et une durée dans l’avenir. Il y a des rôles éphémères même s’ils durent 20 ans et il y a des rôles chargés de fruits et d’espoirs d’avenir même si l’expérience a été décevante. Parmi la génération des destouriens, ceux qui se réclament du Destour dans sa forme initiale ou dans sa continuité du RCD, ne sont pas à pied d’égalité. Il y a les promus au succès et il y a les retardataires. Je crois que seule l’authenticité saura sauver un être qui a des intentions sincères et authentiques et qui a la capacité d’être humble et de s’effacer devant la tâche et la conscience publique. Seul celui-là peut sauver ou apporter quelque chose, les retardataires qui prennent le train à la dernière minute sont des atomes éphémères et seront condamnés à l’oubli. H.A les destouriens ont fait. On a un État fort, j’espère que ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir arrivent à sauver l’État. J’ai vécu l’Afghanistan, le Rwanda, la Somalie… je ne pense pas qu’on soit aujourd’hui dans cette situation et on en est très loin s’il y a une prise de conscience de la part de ceux qui veulent aider ce pays et arriver à une réconciliation nationale. Je reste optimiste, l’optimisme de la volonté. On n’a pas le choix, on doit vivre ensemble, sans exclusion, et je ne parle pas de l’exclusion des destouriens. La réconciliation doit se faire sur une base solide, sur le respect de l’autre en laissant la justice faire son travail. Je vous cite l’expérience française de la IVe 12 - RéAlités - N°1456 - du 21 au 27/11/2013 république : les gouvernements se faisaient et défaisaient tous les jours. C’est une grande instabilité pour un pays comme le nôtre et ce n’est pas le même environnement qu’a vécu la France au lendemain de la guerre mondiale, mais on doit toujours se comparer à des pays ayant une démocratie. Les problèmes de démocratie et de liberté ne se poseront plus si on s’effondre économiquement. Merkel va constituer un gouvernement de coalition avec le SPD, c’est un exemple qu’on doit considérer. Les destouriens qu’on attaque ont au moins préparé le peuple à être démocrate, même s’ils n’ont pas préparé la démocratie.» Hajer Ajroudi