L'étalement urbain et les mobilités: liberté ou asservissement? par Jean Pierre Orfeuil, professeur à l’Institut d’Urbanisme de Paris de l’université Paris XII et à l’École des
Ponts et Chaussées.
1. Mobilités d’aujourd’hui et de
demain: contraintes et
opportunités
Jean-Pierre Orfeuil orfeuil@univ-paris12.fr
ITS Bretagne / Certu
Rennes, 10 février 2011
2. Les contraintes
• Une mobilité à dominante voiture (83 %) qui contribue au
changement climatique
• Entre « peak oil » et instabilités géopolitiques, le yoyo des
prix du brut, qui peuvent monter on ne sait où
• Un espace public urbain non extensible
• Une sécurité mal assurée pour les usagers vulnérables
• Des finances publiques non extensibles
• Un « stock permanent » de personnes en difficulté non
résorbable (40 km / jour en voiture= 23 % du Smic)
3. Développement des TC
Un succès: en 10 ans + 1/3 (trafics), + 1/4 (recettes)
mais explosion de la dépense publique pour les TC du
quotidien: de 10,1 Md€ en 2000 à 17,5 Md€ en 2008
soit 0,27 € / km voyageur, et près de trois fois plus en TCU
province
Des contributions publiques en croissance de 4 %/an (euros
constants) pour les TCU
Pour le TER (en 2009), dépense publique: 3,2 milliards d’ €
contre 2 en 2002
Globalement, une part de contribution privée inférieure au
ticket modérateur de la sécu
4. Développement des TC
De vraies difficultés: la faiblesse des clientèles de départ
(83 %: VP), l’évolution de la géographie des
déplacements, les attentes à satisfaire
En France, 10 % de la population adulte utilise les TC quotidiennement,
17 % au moins une fois par semaine
(Sofres pour Keolis, 2007)
Au quotidien, les échanges VC-VC et VC-banlieue ne représentent plus
que que 21 % des km parcourus tous modes (Entd 2008)
Attentes: couverture spatiale pour les « captifs », vitesse pour les
transferts de la voiture
5. Insécurité
• Le tribut payé par les automobilistes: 100-150 kg de plus par
voiture pour la sécurité, au prix de consommations plus
élevées, notamment en ville
• Le tribut payé par les usagers des deux roues motorisés: un
risque 23 fois plus élevé au km parcouru que pour les
automobilistes
• Malgré cela, les deux roues sont le mode en plus forte
progression dans les grandes villes (Entd 2008)
6. Question sociale
• Des « pauvres » souvent dans des zones peu
denses, avec des emplois dans ces zones ou
en périphérie de ville (« zones industrielles
ou commerciales)
• Une certaine gentrification des centres
• Des aides à la mobilité encore très focalisées
sur la desserte des centres
7. Les opportunités
• La valorisation de la voiture en chute libre
• Un « désir de ville » important
• Un consommateur plus prêt à « mettre la main à la
pâte » (Ikea, longs surfs internet, vélo…)
• Un « politique » plus que jamais nécessaire, mais
conscient de devoir se repenser
• Des « croyances » moins solidement établies, par
exemple que l’aptitude d’une « bonne offre TC » suffit
à susciter des transferts de la VP
• Des « technologies facilitatrices » à foison
8. Repenser le politique, repartir des fins
publiques sans préjuger des meilleurs moyens:
• Les fins: développement, cohésion, sobriété, urbanité
• Les moyens: des véhicules à forte urbanité, des véhicules
partagés
• Un « juge de paix »: l’atteinte des fins (les changements de
comportements) aux coûts individuels et collectifs les plus
faibles
• Un guide: le degré de participation des individus à la
réalisation du déplacement
9. Repenser le politique, repartir de ce qui guide
l’individu dans ses choix de localisation et de
déplacement
Localisation résidentielle: la conviction que le droit- liberté d’installation
sera suivi de droits-créance (école, services, desserte TC du périurbain,
droit de stationnement résidentiel en ville…):
Une question générique: quelle limite aux droits créance?
Modes de déplacement: des arbitrages entre prix marginal (carburant,
ticket), coût d’équipement, temps et prévisibilité du temps de
déplacement, (In)confort, (In)sécurité:
Une question générique: pourquoi une société obsédée par la sécurité
assure-t-elle si mal la sécurité des usagers vulnérables?
10. Repenser le politique, redéfinir les frontières
public / privé
• Le modèle canonique « voiture »: Je m’installe où je veux, je fais (presque) tout le
travail de mobilité, je suis sécurisé, et je paie (presque) tout, cher, sauf le
stationnement en bas de chez moi: problème de sobriété et d’urbanité
• Le modèle canonique TC: je m’installe où c’est possible, la collectivité fait
(presque) tout le travail de mobilité, paie (presque) tout: problème d’explosion
des finances publiques et de limitation à certaines OD
• Le modèle canonique deux roues motorisés: je fais tout dans un environnement
qui m’ignore, je paie presque tout, mais moins cher qu’en voiture (temps, argent)
problème de sécurité, donc marginalité durable
• Le modèle canonique « partage »: un partage des coûts et des responsabilités
entre les extrêmes VP et TC: problème de « lock in » par les autres solutions
11. L’enjeu aujourd’hui:
Passer d’une image mentale « couteau
suisse » pour la voiture, service universel
pour les TC, à une image mentale « boite à
outil diversifiée et adaptée à chaque
territoire », à l’aide des produits et services
de l’âge des possibles là où ils sont
pertinents
12. Des conditions préalables: culture, espace
public et stationnement
• Sortir d’une culture de stigmatisation(les méchants
automobilistes), et d’adoration (les bons TC), aller vers une
culture d’effectivité et de sortie du lock-in:
• Ralentissement de la croissance du stationnement privé (et
taxation), meilleur contrôle du stationnement public,
stationnement payant partout où il y a risque de saturation,
modération dans le traitement de faveur aux résidents,
priorité au stationnement des véhicules à forte urbanité
• Cohérence des vitesses avec l’environnement urbain, le souci
des usagers vulnérables, le projet urbain et contrôle strict
des vitesses
13. Des conditions préalables: TC
Des Autorités organisatrices de transport
• plus conscientes de la dimension régionale et multipolaire, de
l’imbrication des échelles (coordination région, départements, agglos)
• qui contrôlent mieux (y compris par mises en concurrence diversifiées)
les coûts et la qualité de service des opérateurs,
•
• qui les incitent à innover (billétique), qui revoient les structures tarifaires
en faveur des occasionnels, qui segmentent mieux l’offre en fonction de
la demande (actifs, étudiants, autres), qui coordonnent mieux
développement urbain et transport, qui renoncent au « social pour
tous »
14. Quelques pistes: Tc
• Développer beaucoup plus, comme en Allemagne et au Royaume Uni, les
services d’autocars express sur voie rapide
• Gérer les vitesses sur autoroutes régionales dans une perspective
d’« autoroutes apaisées »
• Développer la coordination urbanisme transport (contrats d’axe:
Toulouse, « Divat », Lille)
• Augmenter la capacité d’accueil des parcs relais en privilégiant les deux
roues et les covoitureurs
15. Quelques pistes:labelliser des véhicules à forte
urbanité et inciter à leur usage
Un véhicule à forte urbanité est:
• Peu encombrant en circulation et en stationnement
• Entièrement propre et silencieux
• De vitesse de pointe limitée (40-50 km /h)
• De portée adaptée à la majorité des déplacements (30 km /
jour)
Ex: les 2 /3 roues électriques, présents à plus de 100 millions
d’exemplaires en Chine
16. Un objectif public: aider à leur
production, détention, usage
• Un cahier des charges à l’initiative des villes européennes
• Des garanties de volume d’achat au départ et des primes à
l’achat, des assurances adaptées
• Des facilités de stationnement et de circulation
• Des conditions de sécurisation fortes des usages
Un potentiel important: environ 2/3 des citadins et 1/4 des
circulations automobiles
17. Quelques pistes: le partage des
véhicules conventionnels
• Autopartage,
• Covoiturage structurel ou occasionnel,
• Location sociale
18. Autopartage
• Intérêt: soulager la demande de stationnement, répondre aux besoins des
personnes faiblement dépendantes de la voiture et de TPE ne voulant /
pouvant pas gérer de parcs
• Moyens: des entreprises dédiées ou des concessions auto (ex: Mu by
Peugeot)
• Limites techniques: zones denses bien desservies par TC, gestion des pointes
de demande
• Limites politiques: développement si suppression des avantages au
stationnement résidentiel
• Potentiel: limité, 500000 abonnés et environ 60000 véhicules si la France
était la Suisse, leader incontesté de la pratique, de 1 % à 2 % des circulations
• Facteur favorable au développement: coupler autopartage « urbain » et
location « traditionnelle »
19. Covoiturage structurel
(régulier, vers le travail)
• Intérêt principal: déplacements longs et coûteux vers le
travail, aide aux non motorisés (y compris ex chômeurs) vers
lieux de travail mal desservis par TC, réduction des besoins
de stationnement dans les parcs saturés (entreprises, parcs
relais)
• Conditions de développement: dans les mains des
entreprises ET des collectivités, en particulier communes
périurbaines
• Potentiel maximal: 10 % des actifs, réduction de 5 % des
circulations auto totales
20. Covoiturage occasionnel
• Organisé à l’avance (Expérience de l’Oisans vers Grenoble,
ou déplacements longs via sites publics ou privés, ou « en
temps réel » via réseaux sociaux ou autres
• Limites « techniques »: confiance
• Limites politiques: risque de prendre plus de clients aux TC
(y compris train) qu’à la voiture
• Potentiel: sans doute important, mais mal connu
21. Location sociale
• Principe : prêt pour une durée limité (3 mois) d’un véhicule sous
condition de ressource et de réinsertion
• Intérêt principal: aider les « exclus » ne pouvant s’offrir les frais fixes
d’une voiture à aller au travail quand ils en ont retrouvé un
• Champ principal: milieu rural, villes petites et moyennes
• Potentiel: faible en termes de transport, important en termes de
politique sociale, en croissance du fait de l’inaccessibilité croissante du
logement en ville
• Caractéristique: du « social » assez peu coûteux
22. Taxis, Tad, ville à domicile
• Intérêt : répondre aux besoins de personnes dépendantes (enfants,
personnes très âgées ou handicapés) en offrant l’accès à la ville ou la
ville chez soi
• Enjeu: aider les professions du « care » à se développer, les retraités à
« valoriser leur « capital conduite » en maîtrisant les coûts de
déplacements et en les facilitant: entrée de retraités chauffeurs
(papymobile), mutualisation de flottes diversifiées, apprentissage du
« deux roues sûr », etc.