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LE CONCERTO DES MUSIPOUVANTAILS
© 2013 Serge Bonnafont & Claude-Catherine Suri
SERGE BONNAFONT
CLAUDE-CATHERINE SURI

LE CONCERTO
DES
MUSIPOUVANTAILS

Préface de Jean-Charles Brune
www.pierrotshop.com
AVANT-PROPOS
Le concerto des musipouvantails (formé des mots musicien et épouvantail) est
avant tout une exposition d'épouvantails musiciens. Non pas des automates. Juste une
représentation poétique et humoristique d'individus presque humains, burlesques et
chamarrés, jouant sur des instruments de musique faits d'objets détournés.
Ces personnages ont subi plusieurs transformations depuis leur création en
2004. De simples repoussoirs à oiseaux, ils sont devenus au fil des ans de vrais dandys.
Si, à leurs débuts, ils supportaient d'être vêtus d'oripeaux, aujourd'hui ils ne consentent
plus qu'à revêtir des tenues de gala. D'autre part, ils refusent catégoriquement de subir
les intempéries dans les champs et de recevoir les fientes des oiseaux, préférant les
salles d'exposition, les festivals de musique et les vernissages.
Ce livre est le résultat de ma collaboration avec Claude-Catherine Suri qui a
imaginé une histoire pour chacun des musipouvantails que j'avais créé. Après quoi, j'ai
adapté et illustré le texte au moyen de photographies ou de photo-montages. Je
remercie au passage tous les contributeurs qui, sous Licence Creative Commons,
partagent leur travail avec tout un chacun et dont j'ai utilisé des clichés pour mes
photomontages.
Remerciements particuliers au sculpteur David Lachavanne pour l'utilisation de
son œuvre « Échelle relative n° 2 » illustrant la descente de la Lune à la Terre par le
petit Pierrot, ainsi qu'à Jean-Charles Brune, l'auteur de la préface. (Pour en savoir plus
sur les plasticiens, sculpteurs & peintres, David Lachavanne et Jean-Charles Brune:
www.david-lachavanne.net & www.jean-charles-brune.com)
Que soient remerciées aussi toutes les personnes, amis ou famille, destinataires
de nos dédicaces qui à des degrés divers nous ont encouragés ou fait profiter de leurs
relectures avisées et surtout Claude-Catherine, mon écrivaine helvète qui pétille de
malice et d'imagination. Elle est un feu d'artifice d'esprit, d'humour et de poésie.

Serge Bonnafont

7
PRÉFACE
D’ordinaire, un épouvantail désigne une poupée de paille et de chiffons,
affublée de vieux vêtements, de nippes qui lui donnent une sorte d’apparence humaine.
Planté dans les champs et les jardins, il vise à protéger les plantations et les récoltes de
la voracité des animaux et plus particulièrement de celle des oiseaux. Dans le procédé,
il s’agit de faire peur, d’épouvanter. Étymologiquement, épouvanter signifie d’abord
frapper d’horreur, de terreur. C’est dire combien l’épouvantail selon le sens commun
nous met en prise avec l’effroi.
Le prodige dans ce concerto pour musipouvantails est d’avoir renversé l’ordre,
le cours ordinaire des choses. Aux préoccupations des hommes, rationaliser, produire,
posséder, s’approprier, se défendre, interdire et au besoin épouvanter, s’oppose la
candeur d’individus un peu étranges créés de toutes pièces par Serge Bonnafont, « des
êtres faits de ferraille et de plastique, de bric et de broc, vêtus d’habits chatoyants qui
étincellent de mille couleurs ». De ces créations de musipouvantails, un peu de rêve,
de la magie, tout un bric-à-brac de mots auront alors suffi pour, sous la plume de
Claude-Catherine Suri, donner vie et animer ces créatures hors du commun.
Le talent de ces musipouvantails est de pouvoir faire voltiger les notes, les
bleues bien sûr, mais aussi les notes de toutes les couleurs, de scater, chanter, prendre
un chorus, diriger le temps. Paradoxalement, ce talent tient aussi à cette candide
inaptitude à répondre aux attentes des hommes. Il y a chez ces créatures une incapacité
fondamentale à faire peur, à frapper d’horreur, à épouvanter, mais qui révèle du même
coup l’épouvantable et véritable nature des hommes qui les emploient : cupidité,
intéressement, efficacité, jugement sans appel, condamnation, que montre bien la laconique et impitoyable réponse des hommes « Et zou ! Au grenier ! » devant tant de
mauvaise volonté à faire peur.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’une opposition irréductible entre les
hommes et ces créatures étranges (d’ailleurs, leur créateur finit par les récupérer pour
les réparer, accorder leurs instruments et leur composer un concerto…), mais d’un état
d’esprit ouvrant sur l’univers étrange des musipouvantails. Ce qui est certain, c’est que
« sans excellentes références poétiques » mieux vaut s’abstenir. Autrement dit, il faut
avoir gardé un brin de son âme d’enfant, être un peu rêveur, pour chanter et danser,
converser avec les astres, faire la connaissance d’une petite souris grise nourrissant de
son bon lait trois petits chatons… « Être des badauds émerveillés ». Il y a d’un côté les
préoccupations des hommes et de l’autre, la nature, les animaux, les astres, un pierrot,
une sorcière, des enfants, un créateur et ses épouvantails musiciens, tous complices
pour agir de concert, dans un concerto pour musipouvantails « d’une beauté
inoubliable ».
Jean-Charles Brune
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PRÉLUDE
Preludio

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10
Imaginez !
Vous marchez à l’orée d’un bois par un bel après-midi d’été. Il n’y a que vous,
le bruissement des feuilles, le pépiement des oiseaux et le chant des criquets. Mais
soudain résonne au loin comme l’écho d’une drôle de musique venant de la forêt.
Intrigué, vous suivez un sentier qui s’enfonce sous les arbres. Au fur et à mesure que
vous avancez, les notes et les sons se font plus distincts et plus insolites. Un violon
mêle ses accents nostalgiques aux éclats de plusieurs trompettes, soutenu par la
pulsation lancinante d’une contrebasse; puis brusquement, une batterie se déchaîne
avec fracas avant de laisser la place aux notes discordantes d’un saxophone, rejoint par
un carillon joyeux et les trilles1 acidulés des flûtes. Après un long decrescendo
souligné par la mélopée d’un banjo, un bref silence. Vous vous rapprochez encore un
peu.
Alors, le son d’un accordéon envahit la forêt. Les arbres, attentifs, contenant le
bruissement de leurs feuilles, s’inclinent et tendent leurs branches en direction de la
musique. Une voix cristalline comme celle d’un elfe entonne une chanson étrange dans
une langue qui n’existe pas, rejointe par une voix de basse aussi profonde que la forêt.
Même le vent retient son souffle pendant le temps que dure le trio des voix et de
l’accordéon, qui se mêlent, se séparent, se rencontrent à nouveau et se fondent en une
seule note, la note bleue2. La magie de l’instant est brutalement rompue par la déflagration d’une guitare électrique survoltée aux accents métalliques et glacés.
« S'il vous plaît ! dit une voix impérieuse. Tu n’es pas en mesure, le guitariste !
Bravo les chanteurs ! C’était magnifique ! Mais attention au fa dièse de la mesure 45,
c’est toujours votre point faible. On reprend, concentre-toi un peu, le guitariste ! »
11
Piqué par la curiosité, vous faites encore quelques pas et vous débouchez dans
une clairière. Vous y découvrez tout un orchestre répétant sous la direction d’un épouvantail aux cheveux blancs qui brandit une antenne de radio en guise de baguette. Les
musiciens, eux aussi, ont l'air d'épouvantails, des êtres de ferraille et de plastique faits
de bric et de broc et vêtus d’habits chatoyants qui étincellent de mille couleurs au
milieu de la forêt. Ce sont les musipouvantails. Qui sont-ils, d’où viennent-ils, par
quels prodiges sont-ils réunis là au milieu de la forêt, à jouer cette étrange musique
venue de nulle part ? C’est ce que nous allons vous raconter.

12
LA CHANTEUSE
Allegretto grazioso

À Nicole Vautier
13
14
Comme les autres musipouvantails, la chanteuse de jazz vit le jour dans l'atelier
au fond du jardin de son créateur, le musipouvantailleur. Ce dernier, avait entrepris
d’assembler toute une série d’épouvantails à vendre sur le marché. Des épouvantails
pas comme les autres puisque, en plus d'effrayer les oiseaux, ils joueraient de la
musique. Il fallait de l’imagination, de l’inspiration, tout un bric-à-brac d'objets
hétéroclites et un peu de magie. L'artiste avait tout cela, et bien plus de magie qu’il ne
le pensait…
À peine installée sur l’étal du marché, la chanteuse attira tous les regards : étaitce à cause de sa tête faite d’un seau noir surmonté d’une cuvette jaune en guise de
chapeau, ou grâce à ses yeux en balles de ping-pong ? En tout cas, elle fut la première
à quitter le marché au petit matin sur le porte-bagage d’une moto. On l'installa au beau
milieu d’un jardin et, très fière, elle se rengorgeait comme une reine dans son palais.
Mais comment aurait-elle pu effrayer le moindre oiseau, toute pimpante qu’elle était
dans sa belle robe blanche, avec ses lunettes de star, son rouge à lèvres bien rouge et sa
fleur dans les cheveux ?
Sitôt plantée près du cerisier, elle se mit à minauder et à faire du charme à tous
les moineaux qui venaient à passer. Non contents de bien s’amuser, les oiseaux
appelèrent leurs copains à les rejoindre pour admirer la star, et bientôt l'arbre fut
couvert de becs voraces. La musipouvantaille était si fière de son succès qu’elle
commença à chanter. Puis elle entama un scat1 au micro et là, ce fut le délire !
Tous les oiseaux des champs, des rivières, de la forêt et même du bord de mer
arrivèrent à tire-d’aile. Les pinsons, les merles, les grives, les fauvettes et les geais
voletaient autour d’elle en piaillant à tue-tête. À ses pieds, deux hérons courts sur patte
(c'est un comble) et trois mouettes rieuses, sous la baguette d'un canard cabotin qui se
prenait pour Karajan2, s'égosillaient à qui mieux mieux. Les mouettes, de leur voix
criardes, reprenaient les onomatopées de la chanteuse, mais avec un léger décalage, car
elles sont moqueuses et aiment s’amuser au détriment de qui n'appartient pas à leur
famille. Ce fut la cacophonie générale.
15
Le soir venu, le cerisier n’avait plus une cerise. Chanter donne faim et soif et les
oiseaux s’étaient restaurés et désaltérés avec tous les fruits de l’arbre. Le jardin avait
triste allure : couvert de fientes, piétiné par mille petites pattes qui avaient sautillé en
dansant sur la pelouse, et saturé de plumettes qui volaient de-ci de-là. Car les oiseaux,
qui s’étaient beaucoup échauffés, s’étaient débarrassés de quelques couches de plumes
pour se rafraîchir. Bref, c’était une catastrophe !
Quand le jardinier vit le tableau, le jardin dévasté, le cerisier dépouillé de ses
cerises, sa musipouvantaille écroulée dans l'herbe et ronflant dans son micro, il fut
consterné. Et très fâché aussi. Inutile de dire que la chanteuse épouvantaille fut virée
aussi sec.
Et zou ! Au grenier !

16
LE SAXOPHONISTE
Appassionato assai

À Jean-Charles et Patricia Brune
17
18
Vous savez sûrement que le bleu est la couleur du jazz. Il y a des clubs de jazz
Blue note, des maisons de disques de jazz Blue note, l’heure bleue est celle du jazz.
C’est donc tout naturellement que le musipouvantail saxophoniste fut pourvu d’un
arrosoir bleu en guise de tête et d'un saxo en plastique de la même couleur dont il
n’était pas peu fier ! Avec sa casquette jaune vif posée à l'envers sur le crâne, sa
chemise fuchsia et ses pantalons rayés rouges et jaunes, il avait tant d’allure que rien
qu’à le regarder, on entendait déjà swinguer1 la musique.
Il avait du talent, cet épouvantail-là. Le musipouvantailleur avait été généreux
lorsqu’il l’avait doté du pouvoir de faire voltiger les notes, les bleues bien sûr, mais
aussi les notes de toutes les couleurs. Le saxophoniste était mordu de jazz et ne pensait
qu’à jouer, jouer et jouer jusqu’à ce que l’épuisement fasse retomber en guirlande des
notes éreintées qui lui demandaient grâce.
Il fut acheté au marché par un ignare inculte qui ne connaissait de la musique
que les jingles publicitaires de la télé et se fichait complètement du saxophone, du
moment que son épouvantail faisait peur aux oiseaux. Il le planta dans un champ avec
ordre de ne pas laisser la moindre corneille s’approcher des épis de maïs.
C’était le choc de deux mondes : le musipouvantail n’avait que faire des épis de
maïs; et le paysan n’aimait pas du tout le saxophone, cet instrument de barbares qui
produisait des sons auxquels il ne comprenait rien. Ils passèrent un accord tacite pour
ménager la chèvre et le chou : le saxophoniste éloignerait les oiseaux la journée, mais
il serait libre d’aller chaque nuit jouer dans des bastringues, quitte à somnoler la
journée entre deux notes noires et menaçantes lancées en direction des corneilles.
Tout se passa très bien pendant quelque temps. Au coucher du soleil, une fois
les corneilles au nid, le saxophoniste se carapatait le long des chemins creux jusqu’à la
ville. Là, il déchiffrait laborieusement les affichettes annonçant les jam-sessions 2 qu’il
se hâtait de rejoindre. Il attendait en coulisse, très discrètement, que les musiciens aient
commencé leur set3 et se glissait parmi eux, toujours en catimini, faisant semblant
d’être juste un élément du décor. Il se mettait alors à jouer doucement en se fondant
dans l’orchestre, puis il choisissait le bon moment pour entamer un de ses fameux
chorus4 de saxo qui donnait des frissons d’extase au public. Les musiciens étaient
surpris, mais l’enthousiasme dans la salle était tel qu’ils étaient bien obligés de laisser
faire.
Le succès du saxophoniste, bientôt surnommé Blue Sax, fut tel que tous les
clubs de jazz de la ville affichèrent complet chaque soir. Des critiques musicaux, des
producteurs de disques, des organisateurs de spectacles tentèrent de l’approcher, mais
en vain : un peu avant la fin du concert, il filait se cacher dans le décor et quittait les
lieux dans la nuit noire pour s'en retourner par les chemins creux à son champ de maïs.
La journée, personne ne savait où il habitait.
19
Sa renommée grandit, et grandit au point d’éclipser celle des autres musiciens
de jazz de la contrée, qui n’intéressaient plus personne. Ils en devinrent si jaloux qu’ils
se mirent d’accord pour faire cesser cette concurrence déloyale. Ils conspirèrent tout
un après-midi dans une arrière-salle de café et un beau soir, trois d’entre eux
coincèrent le saxophoniste au moment où il s’apprêtait à se fondre dans le décor à la
fin du concert. « Un pantin ! s’écria le batteur, ce n’est qu’un pantin ! — Plutôt un
épouvantail, fit le pianiste. Regardez ! Il est encore tout crotté de la terre du champ où
on l’a planté ! — Alors ça, pour une surprise ! », dirent les musiciens, soulagés de
n’avoir à faire qu’à un être de fer et de fringues. Ils lui cassèrent son saxophone
magique, lui démantelèrent un bras, lui dévissèrent à moitié la tête et pour faire bonne
mesure, lui firent manger sa belle casquette. Puis ils le jetèrent dehors sans
ménagement.
Tristement, la tête devant derrière, le pauvre saxo rentra à reculons jusqu’à son
champ. Il s’effondra de désespoir parmi les épis de maïs et s’endormit sans même
s’apercevoir que les corneilles lui picoraient le ventre, dégustant quelques notes bleues
tombées de l’alto. Leur cri en fut modifié pour toujours, devenu si mélodieux et troublant que ces oiseaux-là devinrent des stars parmi leurs semblables.
Le paysan inculte, voyant son épouvantail dans un triste état, vautré au milieu
du maïs et tout déglingué, grommela : « Un fainéant comme les autres qui se sera battu
à la sortie du bistrot ! Irrécupérable… » Alors, inutile de le dire, le saxophoniste fut
viré aussi sec.
Et zou ! Au grenier !

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LE JOUEUR DE BANJO
Con emozione

À Michel Mursic
21
22
Et voici le joueur de banjo, tout de gris-bleu vêtu. C’est un timide, lui. Voyez
comme il dissimule sa tête de pot de fleurs renversé derrière sa longue barbe en balai
de paille de riz, sa grande moustache en brosse, ses lunettes noires et son beau chapeau
d'été ! Il dépasse juste une clé à pipe qui pointe derrière tout cet attirail. Qui est-il
vraiment, ce joueur de banjo si bien caché ?
C’est un rêveur. Un poète qui rêve de grands voyages à cheval à travers pampas
et déserts. Il chevaucherait à son rythme tout en jouant de son banjo, une poêle de zinc
gris avec du cordeau à linge vert en guise de cordes.
Il fut acheté par des richards qui voulaient protéger leur verger d’arbres
exotiques sur lesquels s’acharnaient les oiseaux, avides de sensations fruitières
nouvelles. Il fut placé entre un manguier rachitique et un papayer frigorifié. Alors, il
s’ennuya à mourir. Rêver de grands espaces et finir planté entre deux arbres
déprimants, c’était à pleurer. Il lui restait heureusement son banjo et il en joua un air
nostalgique, un air à faire fondre les cactus les plus endurcis du désert, à faire tomber
les vents courant sur les plaines, un air à faire pleurer Billy the Kid lui-même.
Aussitôt, le poney des propriétaires s’approcha, fasciné. D’instinct, il se
reconnaissait dans ces notes mélancoliques qui parlaient de galopades dans des
contrées infinies; car si ce n’était qu’un poney, il n’en était pas moins un peu cheval
quand même.
Ce fut le début d’une grande amitié. Le banjoïste joua tout son répertoire et le
poney en eut la chair de poule. « Après tout, dit-il à l’épouvantail, pourquoi ne
partirions-nous pas ensemble explorer le vaste monde et les grands espaces ? Monte
sur mon dos et on y va ! »
Sitôt dit, sitôt fait. Le banjoïste et sa monture quittèrent sans regrets les arbres
transis et se lancèrent à l’assaut du grand pré dont les confins se perdaient à l’horizon
d’un petit bosquet lointain. Ils parcoururent ainsi des mètres et des mètres, peut-être
deux cents, peut-être même encore plus ! C’était si exaltant, chaque pas apportait son
lot de découvertes : une fleur inconnue, une libellule, une feuille morte, une limace. Le
banjoïste jouait à leur intention ses airs les plus sublimes et des larmes d’attendrissement perlaient sous ses lunettes.
23
Ils continuèrent longtemps avant de parvenir à la clôture du pré. Le poney était
épuisé. Le musicien avait les gants en charpie à force d’avoir joué. Ils étaient tous
deux ivres des grands espaces parcourus, saouls de sensations nouvelles. Ils s’écroulèrent à l’orée du bosquet. Plus loin, un pré identique s’étendait jusqu’à l’horizon d’un
nouveau bosquet. Le banjoïste, après réflexion, renonça à faire sauter la clôture à sa
monture, qui fut très soulagée de ne pas avoir à se ridiculiser en s’empêtrant les pattes
dans la barrière, car si le poney se sentait une âme d’alezan, il n’en avait pas tout à fait
les moyens.
Les grands voyages étant propices à la philosophie, le banjoïste se mit à philosopher. Après tout, se dit-il, ce qui compte dans le voyage, c’est le départ. La suite,
c’est tout le temps pareil : on avance, on avance et c’est toujours un peu la même
chose. Une fois qu’on a vu le pré, on a tout vu. Rien ne ressemble plus à un bosquet
qu’un autre bosquet. Alors forcément, la musique est triste. Le cow-boy et son cheval
sont solitaires. Le soleil rougeoie toujours à l’ouest. Inutile d’aller plus loin. On peut
très bien voyager rien qu'ici.
Une fois reposés, le cavalier, son banjo et sa monture reprirent leur route mélancolique de long en large du pré. Leur propriétaire les retrouva le lendemain soir tout à
l’autre bout du champ; l’épouvantail en équilibre précaire sur son poney jouait du
banjo et faisait entendre une mélopée poignante : « And so I got my banjo out, just
sittin' and collectin' dust. »
Pendant ce temps, les oiseaux se régalaient de mangues en s’étranglant de rire.
Le riche propriétaire en fut très fâché et, inutile de le dire, le joueur de banjo fut viré
aussi sec.
Et zou ! Au grenier !

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LA CONTREBASSISTE
Soporiferissimo

À Cathy
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26
Regardez bien la contrebassiste. Pas seulement sa contrebasse faite d'un
chevalet de peintre et de cintres, pas seulement ses cheveux en balai à franges roses.
Regardez son visage et, juste au-dessus, la petite trompette posée sur son chapeau, l’air
de rien… Et pourtant ! On ne voit qu’elle. C’est que la pauvre contrebassiste est en
réalité une trompettiste manquée : elle aurait tant voulu trompeter. Elle se rêvait en
Louis Armstrong galvanisant les foules au cours de jam-sessions d’enfer dans des
caves à jazz de Chicago. Ça ne s’était pas fait et voilà qu’elle était bêtement contrebassiste… Mais qui sait ? Peut-être qu’avec le temps, la petite trompette sur son béret
se mettrait à grandir jusqu’à la bonne taille et la contrebassiste lâcherait sa contrebasse
pour entonner « Hello Dolly1 » à pleins poumons…
Mais en attendant, elle fut vendue sur le marché comme les autres. Elle plut
beaucoup à un artiste-peintre qui ne la voulait pas comme épouvantail à oiseaux, mais
comme muse pour son atelier, dans la grande ville. Il l’installa sous le couvert de sa
terrasse vitrée et lui demanda de jouer, tandis qu’il peignait, assisté de son chat, le
cinquième panneau de son œuvre monumentale : les douze travaux d’Hercule2, figurés
symboliquement par d’énormes hiéroglyphes fluorescents hérissés de brins de paille
laqués de noir. Il en était à la finition du hiéroglyphe signifiant « écurie très sale »
quand il se sentit soudain fatigué. Plus que fatigué : épuisé. Plus qu’épuisé : anéanti,
écrabouillé, lessivé, foudroyé de fatigue. Soulever son pinceau, c’était trop d’effort;
d’ailleurs, ses yeux se fermaient tout seuls. Le peintre s’endormit comme une masse,
debout devant son chevalet, et glissa doucement par terre.
Le perroquet du peintre dans sa cage, le chat dans les bras de son maître, la
souris entre les pattes du chat, tous s’endormirent de la même façon, subitement.
Même les araignées aux aguets au milieu de leur toile lâchèrent prise et tombèrent au
sol.
Juste en dessous de la terrasse, la rue fut le théâtre d'un énorme embouteillage :
toutes les voitures s’étaient arrêtées brusquement, provoquant un carambolage géant.
Plus personne ne bougeait. Les piétons dormaient sur les trottoirs et les automobilistes
dans leur voiture. Et de tout ce chaos immobile montait une profonde rumeur, le
ronflement doux et cadencé de toute la ville endormie.
Pendant ce temps, la contrebassiste continuait de jouer un air que nul ne pouvait
percevoir, tant les notes étaient graves. Il s’échappait de son instrument de profondes
vibrations qui avaient le pouvoir d’endormir aussitôt tous ceux qui se trouvaient dans
les parages. La contrebasse était prodigieusement somnifère. Un sommeil heureux,
musical et apaisé s’emparait des gens et des bêtes qui ronflaient au rythme des sons
insaisissables de l’ensorcelant instrument.
La contrebassiste joua longtemps, attendant toujours qu’on lui ordonne de
s’arrêter. Mais tout le monde dormait. Ce fut le chat du peintre qui sauva la situation.
Car comme vous le savez, les prodiges (pas plus que le temps) n’atteignent particulièrement les chats, car ils sont maîtres en la matière, et aucun sortilège ne saurait les
27
affecter longtemps. Le chat ayant bien dormi se réveilla et se trouva contrarié par les
vibrations de la contrebasse qui lui picotaient les moustaches. Il miaula sèchement à la
contrebassiste de cesser de jouer et de laisser ses cordes tranquilles.
Aussitôt tout le monde se réveilla. L’agent de police saisi par le sommeil le
sifflet à la bouche, les automobilistes derrière leur volant, les gens allongés sur le
trottoir, les araignées tombées sur le carrelage, la souris entre les pattes du chat, le
perroquet dans sa mangeoire et le peintre, son pinceau coincé sous sa joue; tous
s’éveillèrent en même temps.
On se posa beaucoup de questions. Les gendarmes enquêtèrent et les journaux
en parlèrent. La télévision fit même un reportage. Le peintre, qui n’avait jamais aussi
bien dormi, contempla son grand tableau et constata objectivement qu'il était complètement raté. Il le mit au rebut et décida de partir en voyage : il était plus doué pour cela
que pour la peinture, pas la peine de s’illusionner davantage.
Le peintre repenti n’avait plus besoin de la contrebassiste puisqu’il ne pouvait
l’emmener avec lui. Alors, inutile de le dire, elle fut virée aussi sec.
Et zou ! Au grenier !

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L’ACCORDÉONISTE
Molto malinconico

À Marie-Noëlle Stutterheim
29
30
C’est un accordéoniste spectaculaire qui sortit de l’atelier du musipouvantailleur. Sa chemise rouge et or s’harmonisait parfaitement avec la cuvette rouge qui
lui servait de chapeau, et ses gants bleus répondaient au bleu de sa tête rectangulaire
faite d’une poubelle de salle de bain. Le pinceau qui lui faisait une jolie moustache
pointait vers l’accordéon constitué d’un clavier d’ordinateur blanc et d’une vieille
machine à écrire rouge.
Il tapa dans l’œil d’un maraîcher qui voulait protéger sa plantation de pruniers.
Le maraîcher ne pouvait pas le deviner, mais il avait fait un très mauvais achat. Le
musipouvantail accordéoniste était par principe contre le renvoi des oiseaux chez eux.
Il les appréciait et trouvait qu’ils avaient le droit de vivre ici comme tout le monde,
puisqu’ils faisaient partie de la nature. Il y avait bien assez de prunes pour les partager
entre tous, hommes et oiseaux, non ? On l’avait mis là sans lui demander son avis,
alors il était bien décidé à saboter le boulot. De toute manière, tout ce qui l’intéressait,
c’était l’accordéon. Il était accordéoniste par passion et savait que les oiseaux, c’est un
fait, adorent le son de l’accordéon. Ça leur fait danser l’âme et ça leur donne de petits
frissons qui leur rebroussent délicieusement les plumes.
À peine posté sous les arbres, il se mit à jouer sans même s’occuper de son
nouveau propriétaire; de toute façon, la plupart des gens ordinaires ne sont pas
capables de percevoir les sons de l’accordéon des musipouvantails. Seuls les oiseaux
et les enfants y parviennent. Et parfois, certains adultes particulièrement poètes. Vous
qui nous lisez, vous êtes peut-être juste assez poètes pour entendre cette musique…
Dès que l’accordéoniste commença à jouer, tous les oiseaux des alentours
dressèrent les plumes qui leur cachaient les oreilles, attentifs. « Wouah ! C'est trop
beau ! Ça vient d'où ? demanda un moineau au rouge-gorge d'à côté. — Du verger làbas; viens, on y vole, cette musique, ça me fait planer ! » En un clin d'ailes, ils se
retrouvèrent dans une véritable volière en compagnie de tous les piafs, mésanges,
grives, pinsons et autres volatiles du pays, serrés sur les branches des pruniers. Mais,
fait rare pour une réunion d'oiseaux, tous étaient silencieux, pas un pépiement ne se
faisait entendre. L'accordéoniste en les voyant fut pris d'un terrible accès de mélancolie : « Je ne suis qu'un pauvre épouvantail cloué au sol, dans la boue des jardins, les
pieds chatouillés par les souris, avec pour seul horizon une rangée de pruniers. Alors
que j'aurais tant voulu fendre les airs en tourbillonnant, glisser sur le vent comme sur
un toboggan, monter d'un coup d'aile jusque dans les nuages, sautiller sur un rebord de
fenêtre pour guigner les humains… être libre comme l'air, gai comme un pinson,
bavard comme une pie, moqueur comme un merle. Mais je ne suis qu'un triste
accordéoniste. »
31
L’air qu’il jouait devint si nostalgique que peu à peu, tous les oiseaux fondirent
en larmes. Avez-vous déjà vu des larmes d’oiseaux ? Ce sont de bien jolies larmes. On
dirait des petites étoiles, elles brillent et scintillent en roulant doucement sur les
feuilles et les fruits. Là, elles se transforment en caramel salé, et si vous avez la chance
de manger un jour une de ces prunes enrobée de larme d'oiseau, elle vous fondra dans
la bouche avec un goût de roudoudou, mmmmmmmmm…
L’accordéoniste joua jusqu’à la nuit tombée. Les oiseaux versèrent tant et tant
de larmes délicieuses que les prunes en furent toutes recouvertes. Quand le maraîcher
vint inspecter ses arbres le lendemain matin, il n'en crut pas ses yeux. Tous ses fruits
étaient devenus de grosses perles irisées et craquantes brillant au soleil. C'était magnifique, mais pour cet homme-là, l'esthétique comptait peu et tout ce qu'il voyait, c'était
que sa récolte étaient devenue immangeable. Du moins le crut-il, car il eut le grand tort
de ne pas y goûter. De toute façon, il n'avait plus l'âge d'aimer le goût du roudoudou.
Il ne lui restait donc plus qu'à tout jeter. Il en fut très fâché et, inutile de le dire,
l’épouvantail à l’accordéon fut viré aussi sec.
Et zou ! Au grenier !

32
LE CARILLONNEUR
Sordo senza brillante

À Jacques Plainfossé
33
34
Ce musipouvantail-là ne passe pas inaperçu. On le voit de très loin, avec sa
veste jaune soleil, si éblouissante qu’il doit porter des lunettes de soudeur de jour
comme de nuit. Les cloches de son carillon tubulaire 1 sont des quilles de plastique aux
couleurs éclatantes. Au marché, il ne tarda pas à être acheté par un vigneron qui le
voulait pour se débarrasser une fois pour toutes des piafs et autres moineaux qui
décimaient ses raisins.
Le vigneron avait ses propres idées sur la façon d’éloigner les oiseaux :
puisqu’ils volaient en l’air, il fallait mettre l’épouvantail en l’air lui aussi, pour qu’il
effraie les volatiles directement là d’où ils venaient. Il le jucha au sommet d'un très
long pieu en bois, perché à dix mètres au-dessus des ceps. Il comptait sur le ramdam
de l’instrument pour éloigner radicalement le moindre oiseau ayant l’outrecuidance de
survoler sa vigne.
Hélas, le vigneron se trompait sur toute la ligne. D’abord, parce que les bêtes à
plumes n’étaient pas si bêtes qu’il le pensait. Certes, un peu effrayés par le curieux
attirail de cet épouvantail perché, les oiseaux eurent vite fait de comprendre qu’il leur
suffisait de passer par-dessous, de sautiller à la hauteur des ceps et de voler en rasemottes pour picorer sans le moindre risque. Le festin des piafs et autres moineaux,
interrompu un bref instant, reprit donc de plus belle. Ensuite, le vigneron ignorait que
le son des baguettes sur des quilles de plastique multicolores est si mat qu’aucune
oreille d’oiseau ne peut le percevoir, ou alors très fugitivement, comme un désagrément qui leur fait grincer du bec, sans plus. Mais le vigneron était si confiant dans
l’ingéniosité de son dispositif qu’il ne vint pas inspecter sa vigne avant qu’il ne fût
trop tard.
Pendant ce temps, la parcelle de vigne était le théâtre d’un double carnage. Les
raisins étaient mangés par les oiseaux et ceux-ci étaient mangés par les chats du
voisinage, qui voyaient leur chasse grandement facilitée par l’approche au sol et en
rase-mottes des piafs et autres moineaux. Écœuré par le spectacle, le carillonneur décida de tourner son regard vers le ciel et les étoiles, où les mœurs semblaient autrement
plus civilisées. Il cessa de jouer de jour, préférant dormir pour échapper aux horreurs
qui se déroulaient à ses pieds, mais chaque nuit, il donnait un concert à l’intention des
astres. Après un long voyage dans l’espace, les notes de musique parvinrent jusqu’aux
étoiles qui n’avaient jamais rien entendu de plus beau que l’écho de ces vibrations
délicieuses venues de la Terre, ni de plus doux, ni de plus nostalgique que le son mat
des baguettes sur le plastique. Pour mieux écouter, elles projetèrent aussi loin que
possible leurs branches scintillantes, puis pour mieux entendre encore, elles se mirent
en route à travers la nuit, convergeant tout ouïe au-dessus de la Terre.
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Ce fut une nuit fantasmagorique. Le ciel était si rempli d’étoiles que leur clarté
chassait l’obscurité. Personne ne comprenait rien à ce qui se passait et les astronomes
se trituraient la barbe avec perplexité. Le carillonneur au comble du bonheur jouait, et
jouait encore. Les étoiles se rapprochèrent tant et si bien que la branche de l’une
d’elles toucha la Terre et quelques fées en profitèrent pour débarquer clandestinement,
mais ça, c’est une autre histoire.
Cela dura jusqu’à ce que les garnements du village y mettent fin. En quête
d’une bêtise à commettre, ils entamèrent un jeu de massacre aux dépens du carillonneur. Une à une, les quilles colorées du carillon se décrochèrent sous l’assaut des
balles et s’écrasèrent au sol en poussant des cris déchirants. Terrifiées, les étoiles
prirent la fuite jusqu’aux confins de l’Univers. Et ce fut la nuit la plus noire de toutes
les nuits noires qu’on ait pu connaître de mémoire d’homme. Plus une seule étoile
dans le ciel.
Personne n’y comprenait rien et les astronomes s’arrachaient les cheveux avec
perplexité. Le carillonneur, sans public et sans instrument, se désespérait. Seule la
Lune, cette opportuniste, ne tarda pas à tirer parti de la situation. Désormais sans
concurrence, elle enfla de satisfaction et devint si pleine qu’il s’en fallut de peu qu’elle
n’éclatât. Boursouflée et arrogante, elle baignait les nuits terrestres de sa lumière
froide qui faisait hurler les bêtes et donnait des cauchemars aux hommes. Alors,
l’étoile la plus proche de la Terre, Proxima du Centaure, remit la Lune à l’ordre en la
piquant de sa branche la plus pointue, juste assez pour la faire dégonfler, et les astres
revinrent occuper leur place habituelle. Les astronomes recollèrent leurs cheveux et
recoiffèrent leur barbe, tout en restant perplexes sur ces mystères que personne ne sut
jamais expliquer.
Mais pour notre pauvre carillonneur, la situation était catastrophique. Quand le
vigneron vint enfin inspecter sa vigne, il ne restait plus un seul grain de raisin. Les
chats, devenus obèses, dormaient comme des souches au pied des ceps. L’épouvantail
dégarni faisait triste mine sur son estrade et il n’avait manifestement servi à rien.
Alors, inutile de le dire, le carillonneur fut viré aussi sec.
Et zou ! Au grenier !

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LES TROMPETTISTES
Piu brillante

À Clément et Laurine
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Et voici les trompettistes. Ces musipouvantails-là ont comme un air de famille,
avec leur tête en forme d’arrosoir à l’envers, grand, petit, moyen, rouge, bleu, argenté,
fleuri ou métallisé. Chacun d’eux a sa personnalité. Celui-là, avec sa chemise orange et
sa trompette noire et or, c’est le papa. On ne le dirait pas, à le voir comme ça, mais
c’est un grand sentimental. Son créateur l’avait assemblé dans son atelier, habillé,
coiffé et chaussé.
Dès qu’il lui mit ses lunettes sur le nez, le trompettiste ouvrit les yeux et
s’éveilla complètement à la vie. Il aperçut alors un petit garçon et une toute petite fille
qui le regardaient de leurs grands yeux bleus. Il en fut émerveillé. Le petit garçon dit :
« Toi, t’es trompettiste comme papa et grand-père ! et la toute petite fille le montra du
doigt en disant : Là ! ». Une voix grave au-dessus des enfants confirma : « Oui, c’est
ça. Trompettiste, je te présente mes petits-enfants, Clément et Laurine ». Le musipouvantail souffla dans son instrument pour saluer, mais comme il n’était pas encore
bien accordé, il n’en sortit qu’un affreux couac et les enfants pouffèrent de rire. La
petite Laurine toucha le bas de sa chemise en levant les bras bien haut; Clément lui fit
des grimaces pour voir s’il en riait. Mais le trompettiste ne savait pas rire, et d’ailleurs,
comment rire avec une trompette, je vous le demande ? Pour montrer qu’il appréciait
les grimaces, souffler dans sa trompette était la seule chose qu’il savait faire, alors il fit
toute une série de couacs pour répondre aux mimiques des enfants : « couac ! crouik !
couic ! ».
Les enfants le trouvèrent si drôle que Laurine en réclama un second : « Grandpère, un autre ! — Une autre, on va lui donner une compagne, répondit la voix grave. »
Le lendemain, une trompettiste au chapeau rose se tenait avec élégance à côté
du trompettiste en orange. Un duo de trompette retentit dans la véranda, un duo
magnifique et bien synchronisé : faits l’un pour l’autre, ces deux-là s’étaient tout de
suite accordés et l’on n’entendit plus le moindre couac.
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« Nous avons les parents, se dit le musipouvantailleur, pourquoi ne pas
compléter la famille ? » Trois enfants trompettistes émerveillèrent bientôt Clément et
Laurine : un garçon à marinière blanche, une fille tout en rose et une petite dernière
aux bas rayés multicolores.
Mais à la grande déception des enfants, les trompettistes furent mis en vente sur
le marché. Ils espéraient que les parents d’une famille nombreuse les achèteraient pour
qu’ils puissent jouer avec leurs enfants. Mais ce fut une vieille grand-mère qui les prit
tous pour protéger son champ de fraises des merles voraces.
Les cinq trompettistes furent installés tout près du chemin qui conduisait à
l’école du village. Un long supplice commença pour eux : non seulement ils trouvaient
le temps long, mais ils voyaient quatre fois par jour passer Clément et Laurine qui
sautillaient et couraient le long du chemin avec leurs cartables sur le dos. Les enfants
leur faisaient des signes d’amitié, mais les musipouvantails ne pouvaient que leur
répondre d’une note gaie de leur instrument; ils auraient bien voulu jouer avec eux,
mais comment faire pour les rejoindre ? Le papa trompettiste se désespérait et
maigrissait tant que ses habits flottaient autour de lui. Sa compagne était si triste que sa
belle blouse rose en fut toute ternie. Les enfants pleuraient dans leur trompette, ce qui
faisait rire les oiseaux sans les effrayer le moins du monde.
Un beau jour, le trompettiste se pencha si fort du côté du chemin qu’il faillit
tomber à la renverse. Pour se retenir, il eut le réflexe d'avancer une jambe. Tout
étonné, il vit qu’il avait fait un pas. Il fit de même avec l’autre jambe : il avait fait un
second pas. Il poussa une note triomphale à la trompette. Il savait marcher !
Il se hâta d’apprendre à sa compagne et à ses enfants à faire de même.
L’élégante trompettiste eut très peur de tomber et de salir ses beaux atours, ce qui
aurait été très dommage, en effet. Mais finalement, elle se décida à avancer à petits pas
prudents en direction du chemin. Ils allaient enfin pouvoir rejoindre les enfants ! Les
voici justement qui apparaissaient au détour du virage.
Tout enthousiastes, les petits écoliers conduisirent la famille trompettiste à
l’école maternelle. Ils firent une entrée triomphale, entourés d’une douzaine de gosses
réjouis et de Clément et Laurine accrochés aux pans de leurs habits. La maîtresse,
ravie de l’aubaine, les accueillit très gentiment et les installa à la place d’honneur, au
centre de la classe. Toute la matinée, on chanta et dansa autour des cinq musipouvantails. Ils étaient si heureux qu’ils émirent quelques pouets de bonheur, et jouèrent
aussi les airs préférés des enfants. L’après-midi, les trompettistes se reposèrent bien au
chaud, tandis que la maîtresse détaillait de quoi ils étaient faits : des arrosoirs, une
cuvette renversée, des ronds de serviette, des bouteilles de plastique vides, et bien
d’autres choses encore que nous tiendrons cachées, car ce sont des secrets de
fabrication !
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Mais hélas, à la fin de la classe, les enfants rentrèrent chez eux et la maîtresse,
qui avait reconnu les trompettistes, les rapporta chez la vieille grand-mère, leur
légitime propriétaire. La vieille dame n’était pas enchantée de récupérer ces épouvantails fugueurs et désespérés qui pleuraient dans leur trompette et réclamaient de retourner à l’école avec les enfants. De toute façon, ils avaient été incapables d’éloigner les
merles qui ne les craignaient pas. Alors, inutile de le dire, les cinq trompettistes furent
virés aussi sec.
Et zou ! Au grenier !

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LA BATTEUSE
Staccato agitato

À Gilles & Annick Dalbis
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Chez les musipouvantails, le batteur est une batteuse, une percussionniste pas
tout à fait comme les autres. D’abord, elle trône assise derrière sa belle batterie
blanche. Et surtout, mais cela ne se voit pas tout de suite, elle déborde de vitalité, elle
en a tant qu’elle en a trop; quand elle joue, on croirait voir s’envoler les cymbales et
exploser les tambours. On pense qu’elle a été fabriquée un jour où le musipouvantailleur était de si bonne humeur qu’il a dû forcer un peu sur l’énergie vitale qu’il lui
donna. Il faut dire qu’il n’avait pas lésiné sur le matériel : des couvercles de casserole
en guise de cymbales, un tamis de maçon comme caisse claire, des seaux pour les
toms, de splendides tapettes à mouches pour les baguettes et un plateau de table de
jardin renversé pour la grosse caisse qu'il avait décorée de la photo du Boss, le plus
grand « drummer » de tous les temps.
Au marché, un amateur de musique rythmée trouva amusant de l’acheter pour la
poser dans son jardin. Juste comme ça, pour décorer, car il n’avait rien à protéger des
oiseaux.
La batteuse fut somptueusement installée au milieu de la pelouse, à côté de la
mare, près des chaises longues de son propriétaire. On lui expliqua qu’elle n’avait rien
à faire, sauf être jolie et agrémenter le jardin de sa lumineuse présence. Tout alla très
bien pour commencer. Les invités de la maison se relayaient pour l’admirer jusqu’à ce
que l’un d’eux trouve malin de frapper sur l’un de ses tambours. Il ne savait pas ce
qu’il avait déclenché.
Lorsqu’elle entendit le son du tambour, la musipouvantaille qui s’ennuyait
ferme sur la pelouse retrouva d’un coup ses instincts de musicienne. Une baguette,
puis l’autre se soulevèrent et s’abattirent sur la batterie et ce fut le début d’un charivari
échevelé, d’un tohu-bohu tonitruant, d’un furieux raffut et d’un barouf ébouriffant. Les
baguettes dansaient comme des éclairs sur les instruments malmenés. Les cymbales
trépidaient aux éclats et les tambours roulaient en rafale. La batteuse en délire secouait
la tête comme une possédée. Il fut impossible de l’arrêter.
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Pendant des heures et des heures, animaux et humains se tinrent le plus loin
possible du jardin et de la percussionniste. Mais l’air et le sol transmettaient les vibrations. Il y eut des crises de nerfs chez les mulots, les taupes devinrent complètement
sourdes, le chat de la maison déménagea pour toujours et le chien hurla à la mort.
Même les plantes furent gravement incommodées, d’autant plus qu’elles ne pouvaient
pas fuir : les tournesols rentrèrent la tête sous terre, les rosiers se replièrent sur euxmêmes au point qu’il fut impossible de démêler leurs branches accrochées par les épines. Le propriétaire et sa famille s’étaient enfoncé plusieurs couches de coton dans les
oreilles et les plus téméraires des invités tentaient de s’approcher de la musipouvantaille pour lui confisquer ses baguettes. Mais ce n’était pas chose facile, car cellesci bougeaient si vite qu’on ne les voyait même plus.
Le chien finit par sauver la situation bien involontairement. Devenu presque
fou, il zigzaguait en hurlant sur la pelouse et dans son affolement, il bouscula la batteuse. Elle se retrouva dans la mare, tous ses fûts, tambours et cymbales renversés sur
la pelouse... Le silence qui suivit était irréel, d’autant plus étrange que la musipouvantaille immergée jusqu'à la taille dans l'eau vaseuse continuait de frapper dans le
vide, encore et encore, en balançant la tête, encore et encore…
Sans sa batterie, la batteuse endiablée et ruisselante perdait tout son intérêt et
dans ces conditions, inutile de le dire, elle fut virée aussi sec, si l'on peut dire.
Et zou ! Au grenier !

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LE PUNK
Eletrico e furioso

À Monique Masini
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Celui-ci, c’est le punk. On s’en doute bien, à voir la brosse rouge du balai
surmontant l’arrosoir qui lui sert de tête. Il arbore des piercing en forme d’épingle à
nourrice et deux boucles d’oreilles agressives : une seringue et un couteau suisse.
Brrr…
Quand le punk joue de sa bouée en forme de guitare électrique… eh bien, ça
décoiffe ! Il fut vendu à un fermier qui cherchait pour son champ un épouvantail
vraiment épouvantable. Lorsqu’elle l’aperçut sur le marché, sa petite fille eut si peur
qu’elle se mit à pleurer. Alors le fermier se dit que ça devait coller, car les oiseaux, ce
n’est pas si différent que ça des petites filles, non ?
Il partit avec le punk sous le bras. Celui-ci était furieux : « Ça, c’est le comble,
me faire acheter par un bouseux arriéré et me retrouver seul en pleine cambrousse, à
faire le tincré au milieu des poireaux ! Encore heureux que j’aie ma guitare ! Je vais te
les réveiller, moi, ces péouses qui ne connaissent même pas Guérilla Poubelle 1 ou Les
Béruriers Noirs2 » ! Sitôt planté dans son champ, il profita de la nuit tombée pour aller
discrètement brancher sa guitare sur le circuit électrifié de la clôture. Et à cinq heures
du matin, il commença son concert. Il avait tellement « boosté » sa guitare que c’était à
peine si l’on distinguait quelques notes derrière les vibrations. On aurait dit un concert
de marteaux-piqueurs sur trois tons. Il en vibrait tant lui-même que les yeux lui
sortaient de la tête et que ses cheveux lançaient des éclairs.
Ce fut très efficace contre les oiseaux. Ça, rien à dire ! Mais pour le reste, quelle
débâcle ! Les quarante vaches broutant dans le pré furent saisies de tels tremblements
que leur lait tourna en beurre : pour les traire, le fermier dut chauffer leurs mamelles au
sèche-cheveux afin de faire couler le beurre fondu par les pis. Et que vous voulez-vous
qu’il en fasse, de tout ce beurre fondu, je vous le demande ? Mais là n’était pas le
pire : toutes les chèvres s’échappèrent d’autant plus facilement que la clôture n’était
plus électrifiée, puisque tout le courant passait dans la guitare. Elles filèrent si loin que
le fermier ne les retrouva jamais. Et les insectes ! Ils moururent tous en même temps,
foudroyés par les décibels. Plus une seule abeille pour polliniser les plantes, plus de
coccinelles pour manger les pucerons.
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Finalement, du champ voisin décolla une escadrille de frelons kamikazes. Ils
foncèrent droit sur la guitare du punk et la firent éclater en la transperçant de leurs
dards acérés. La guitare eut un court circuit et explosa. On entendit mourir les paroles
de la chanson du punk secoué : « Aujourd’hui j'suis punk c’est plus marran…
an..an..ant ». Sa guitare anéantie, le punk en colère cria : « No future3 ! » et s’écroula
dans l’herbe.
C’est ainsi que le fermier le trouva un peu plus tard, dormant au milieu des
abeilles mortes et des vaches énervées. Il en fut très fâché et, inutile de le dire, le punk
à la guitare fut viré aussi sec.
Et zou ! Au grenier !

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LA VIOLONISTE
Capricciosamente

À Armelle Tourenne
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Dans tout orchestre, il faut un violoniste. Ou mieux encore, une violoniste. Le
musipouvantailleur en façonna donc une, mais quel tintouin elle lui donna ! C’est
qu’elle n’était jamais satisfaite. Elle n’aimait pas du tout la tête qu’on lui avait faite. Et
ce chapeau panier ! Qui porte encore aujourd’hui des chapeaux paniers ? En plus, on
l’avait faite trop grosse; ses cheveux étaient ridicules; l’archet de son violon trop fin…
Douze fois le musipouvantailleur remit l’ouvrage sur le métier. Onze fois la violoniste
fit au mieux la moue, au pire, une scène.
De lassitude, il faillit renoncer, mais comment concevoir un orchestre sans
violon ? Il finit par comprendre que sa violoniste voulait des vêtements à fleurs pour
accompagner les romances susurrées par son instrument dans les jardins des palais
royaux où elle se voyait déjà jouer. Bon, elle trouvait que sa perruque jaune aurait pu
être plus chic, mais ça irait. Son port de reine ferait oublier ce petit défaut. Par contre,
son violon était parfait : la scie à métaux rouge et bleue était un excellent archet et le
soufflet de cheminée se laissait si bien tenir en main dans ses moufles jaunes !
Elle fut vendue au marché à un paysan qui avait trois petites filles adorant les
fleurs, qui repérèrent tout de suite la violoniste. Ce n’était pas le palais royal dont elle
rêvait, mais elle se crut achetée par trois fées vêtues de ciel des pieds à la tête, avec
souliers vernis et sac de perles pervenche assortis. Ce n'était donc pas si mal. On la
plaça au milieu d’un verger. C’est alors que survint un gros problème : lorsqu’elle
voulut racler son violon pour éloigner les corneilles (qui détestent cet instrument bon
pour les mésanges ou les pinsons), la violoniste s’aperçut qu’elle ne savait pas en
jouer. Son créateur avait oublié de lui donner ce talent. Le violon allait devoir rester
muet, laissant la violoniste désœuvrée et pleine de regrets. De temps en temps, elle
était certes distraite par les trois petites fées qui venaient s’amuser auprès d’elle. Mais
le reste de la journée, elle s’assoupissait pour faire passer le temps.
Toutefois, ce temps ne fut pas perdu pour tout le monde. Une petite chatte
noire, si menue qu’elle en était minuscule, cherchait dans le verger une cachette sûre
pour y abriter ses chatons à naître. La violoniste endormie paraissait lui offrir d’intéressantes possibilités. Elle décida de faire ses petits sous les pieds de la musipouvantaille et de les dissimuler ensuite à l’intérieur du violon.
Le lendemain, la chatte glissa à travers les ouïes 1 du violon trois chatons
nouveau-nés lilliputiens. Elle les laissa là, le temps de vaquer à quelques-unes des activités essentielles à la vie féline, comme grincer des dents en regardant les oiseaux, se
laver consciencieusement derrière les oreilles et sous les pattes, courir après un lézard
et surtout, dormir longuement. Lorsqu’elle revint, elle s’allongea sur le violon et
appela ses minous pour la tétée. Mais couchés tout au fond de l’instrument, ceux-ci
étaient incapables de remonter jusqu’à elle. La chatte n’avait pas bien réfléchi. « Tant
pis, se dit-elle, à la garde de Dieu, et si ces petits chatons-là sont perdus, il n’y aura
qu’à en faire d’autres ». Elle s’en alla d’un pas faussement indifférent, un peu vexée
tout de même. « La maternité, c’est pas mon point fort, je ne maîtrise pas encore bien
le sujet ».
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Il advint cependant qu’une petite souris grise qui passait par là entendit les
appels déchirants des chatons délaissés. N’écoutant que son instinct (car cette souris-là
était, quant à elle, une mère chevronnée), elle grimpa sur le violon et se faufila par les
ouïes jusqu’aux pauvres petits. Elle les réchauffa, les réconforta et finalement, les
nourrit de son bon lait de souris même si elle peinait à suivre, tant les minous étaient
gloutons.
La violoniste ne s’aperçut de rien tandis que la petite famille prospérait. Une
fois qu’ils furent un peu plus gros, la souris les sortit du violon et les installa dans les
moufles pour les materner un peu plus au large. C’est alors que la violoniste, brusquement réveillée, lâcha son instrument et se mit à agiter les bras comme une hystérique,
car les petites pattes des chatons lui démangeaient terriblement les doigts. Tout le
monde accourut pour voir ce phénomène. Ce fut amusant quelques jours, puis les trois
petites fées bleu ciel se lassèrent.
Un beau matin, une étrange procession sortit des moufles de la violoniste : une
souris grise à l’air fatigué, mais contente, suivie de trois chatons gris à queue de souris,
qui couinaient comme des souris, ouvrant tout grand leurs yeux de chat aux pupilles
fendues. Ils ronronnaient du bonheur de partir à la découverte du vaste monde. La
violoniste put enfin cesser d’agiter les bras et se rendormit aussitôt.
Le paysan constata que la violoniste, non seulement ne savait pas jouer, mais
qu'en plus elle était inefficace comme épouvantail, car elle dormait tout le temps et les
oiseaux ne la craignaient pas. Alors dans ces conditions, inutile de dire qu’elle fut
virée aussi sec.
Et zou ! Au grenier !

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LE CHARMEUR DE SERPENTS
Lascivo e rettile

À Suzanne Barennes
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Et voici l’Indien, l'épouvantail charmeur de serpents 1. Comme tous les musipouvantails, il est un petit peu magicien. Son talent magique consiste à hypnotiser un
redoutable serpent à lunettes prêt à mordre, un naja en flexible de douche (ce sont les
reptiles les plus dangereux !), ondulant lentement au son du pungi2 et agitant sa langue
fourchue, ses yeux fixes d'animal à sang froid devenant comme deux gouttes de
mercure sous l’effet de la transe.
Sitôt sur le marché, le musicien eut un énorme succès. Il fit son numéro mainte
et mainte fois, entouré d’un cercle de badauds émerveillés par la pureté de la musique
et les oscillations sinueuses du reptile dont les écailles argentées étincelaient au soleil.
On se battait pour l’acheter. Le directeur d’un cirque ambulant remporta la bataille, car
le créateur du charmeur de serpent avait depuis toujours un faible pour la piste.
Mais dans cirque-là, on vivait à la dure. L'Indien et son naja passèrent une nuit
glaciale debout dans un coin venté de la Place des Fêtes, à somnoler et à grelotter en
attendant impatiemment l’arrivée des rayons du soleil. Ce fut la pluie qui les réveilla.
Le charmeur de serpent habitué au climat chaud de l’Inde attrapa un refroidissement. Il
était incapable de souffler dans son instrument tant il était enrhumé. Quand le directeur
du cirque le vit dans cet état, il le remisa bien au chaud dans sa roulotte pour lui laisser
le temps de se soigner avant la prochaine représentation. Un énorme chat noir se glissa
furtivement vers lui et se coucha sur sa poitrine pour mieux lui réchauffer les
bronches.
Le lendemain soir, l'Indien était suffisamment guéri pour assurer son numéro de
charmeur et il fut conduit en grande pompe jusqu’au milieu de la piste par deux
écuyères blondes et vêtues de paillettes. Monsieur Loyal 3 et l’orchestre annoncèrent
bruyamment son numéro. Impressionné, le charmeur de serpent souffla dans son pungi
et fit une ou deux fausses notes, mais il se reprit rapidement et joua enfin la musique
qu’il fallait pour que le naja sorte la tête de son panier. Il joua, joua, mais le serpent
restait caché. Impatient, il secoua brusquement la corbeille d'osier et l’on vit enfin
émerger un petit bout de langue fourchue toute tremblotante, suivie de la petite
frimousse du reptile frissonnant aux yeux battus.
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L'Indien avait passé son rhume au serpent à lunettes qui, malgré son sang froid
et ses écailles waterproof, avait une fièvre carabinée. Au son de la musique, le naja
tout entier se déroula dans des soubresauts pitoyables et fit une tentative d’enroulement gracieux et d’ondulation langoureuse qui se transforma en un zigzag désordonné.
On aurait dit qu’il avait la danse de Saint-Guy. Il se mit alors à éternuer et je ne sais
pas si vous avez déjà vu un éternuement de serpent, mais je peux vous affirmer que ce
n’est pas agréable : sa poche à venin projette des gouttelettes de poison dans toutes les
directions et mieux vaut ne pas être dans les parages ! L'Indien tout immunisé qu’il fût,
en resta paralysé pour plusieurs heures. On l’emporta rapidement dans les coulisses où
il fut abandonné comme un pestiféré dans un recoin sombre.
Le numéro était un fiasco. Dans nos climats capricieux, exhiber un charmeur de
serpent contagieux affublé d’un serpent à lunettes à la santé fragile, c’était assurément
une folie, constata le directeur du cirque. Alors, inutile de le dire, l'Indien fut viré aussi
sec.
Et zou ! Au grenier !

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LE CHEF D'ORCHESTRE
Imperioso

À Daniel Nicolet
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Le vieux musipouvantail aux cheveux blancs et à la moustache imposante faite
d’un cordon électrique en spirale, c'est le chef d’orchestre. Il naquit dans l’atelier du
musipouvantailleur en même temps que tous les autres; mais en réalité, tout au fond de
lui, il était très, très vieux. Son esprit avait erré de longues années, des siècles et des
millénaires, avant de trouver où se poser pour donner toute la mesure de son talent.
Mais ça, l’artiste ne le savait pas…
Il fut vendu sur le marché comme ses camarades, mais resta plus longtemps
sans trouver preneur. Il fixait les badauds de ses yeux de billes de verre, si froids que
les amateurs d’épouvantails se sentaient mal à l’aise. Il fut finalement acheté par un
père de famille nombreuse dont les six enfants étaient très turbulents, et qui comptait
sur l’air sévère du maestro pour les impressionner et les faire marcher à la baguette. Si
en plus de ça, il éloignait les oiseaux, ce serait encore mieux.
Le chef d’orchestre fut placé au beau milieu de la pelouse de la villa familiale,
face à la cabane de jeu des enfants et près d’un banc pour les adultes qui les
surveillaient. Les affreux jojos se précipitèrent pour jouer avec lui; les plus petits
maculèrent ses beaux pantalons jaunes de leurs doigts pleins de chocolat et les plus
grands se hissèrent sur la pointe des pieds pour lui tirer la moustache. Le vieux
maestro trouva cela insupportable. Il était trop âgé pour subir de telles atteintes à sa
dignité. Il allait faire cesser ces amusements grotesques : c’était le moment d’user de
tous ses talents.
Il leva bien haut sa baguette en antenne de radio, l’abaissa et commença le
premier mouvement de sa Grande Symphonie1 du Temps. Car nul ne le savait, mais ce
chef d’orchestre-là était si vieux qu’il savait diriger le Temps. D'abord, il le suspendit.
Tout s’arrêta net. Les enfants restèrent figés autour de lui, leurs parents immobilisés en
pleins travaux de jardinage; le chien resta bloqué une patte levée, les oiseaux et les
insectes demeurèrent accrochés en l’air, stoppés en plein vol. Seul le chat ne fut pas
concerné, car il dormait immobile et de toute façon, les chats n’ont que faire du temps.
Le musicien profita longuement de la paix retrouvée.
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Après quoi, le deuxième mouvement de la Grande Symphonie du Temps prit
possession des lieux. Tour à tour, le temps recula ou avança, tourna sur lui-même et
enfla, reflua et se fit tout petit pour éclater ensuite avec d’autant plus d’intensité. Les
enfants devenaient bébés puis disparaissaient, la maison était en chantier puis s’escamotait pour laisser place à des prés, et brusquement des dinosaures y broutaient.
Au troisième mouvement, le temps explosa en mille éclats et se recomposa. Un
grand building de verre et de glace grouillant de gens vêtus de plastique blanc s’éleva
autour du maestro qui le réexpédia dans le futur d’un geste du petit doigt.
Le mouvement final fut étourdissant et quand la Symphonie du Temps fut enfin
terminée, les enfants, chiens, oiseaux, insectes et tous les êtres vivants loin à la ronde
se retrouvèrent tout ahuris, avec le vertige et un peu mal au cœur. Alors, de crainte que
le chef d’orchestre ne recommence à jouer du Temps, les parents décidèrent de s’en
séparer. Et inutile de le dire, il fut viré aussi sec.
Et zou ! Au grenier !

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LA FLÛTISTE
Pomposamente ma non troppo

À Fabienne Vautier
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On pense souvent que les flûtistes sont de doux personnages paisibles et
modestes qui jouent discrètement de leur instrument aux sonorités printanières. Mais
ce n’était pas le cas de celle-ci, oh! non, pas du tout. Elle avait une très haute opinion
d’elle-même. D’abord, elle savait qu’elle était belle, élégante dans ses vêtements chics
avec juste ce qu’il fallait de tissu brillant, mais pas trop, son chapeau couleur de soleil
couchant accordé à son rouge à lèvres. Ensuite, elle avait la conviction d’être non
seulement la meilleure flûtiste de tous les temps, mais aussi une musicienne ensorceleuse si l’occasion s’en présentait. C'eût été l’insulter de lui dire que sa flûte ressemblait à une pompe à vélo ! Elle se voulait la fille spirituelle du joueur de flûte de
Hamelin1; vous savez, celui qui en jouant de cet instrument, avait attiré tous les rats de
la ville pour les noyer dans la rivière, il y a très, très longtemps.
Elle ne fut pas étonnée d’être l’une des premières à être vendue au marché. Elle
était si délicieuse qu’il aurait été normal que les acheteurs se battent pour l’avoir,
n’est-ce pas ? C’était en tout cas son avis.
Elle fut installée dans une vigne et prit tout de suite son rôle très au sérieux. Elle
était efficace pour éloigner les corneilles, qui ne supportaient pas les sons aigus de sa
flûte, car ça leur décoiffait les plumes et rebroussait leurs ailes. Mais perfectionniste
comme elle l’était, la musipouvantaille ne tarda pas à s’apercevoir que les oiseaux
n’étaient pas les seuls visiteurs indésirables de la vigne : les mulots, ces rats des
champs, s’affairaient beaucoup au pied des ceps. Sans leur faire le moindre mal bien
sûr, mais enfin, ils étaient là et ça dérangeait le bon ordre des lieux. La flûtiste se dit
que c’était une occasion en or d’exercer ses dons d’ensorceleuse, comme son lointain
ancêtre le joueur de Hamelin. Elle allait débarrasser toute la vigne de ses rats et de ses
souris.
La flûtiste se mit à jouer les sons magiques appropriés mais cela ne se passa pas
tout à fait comme prévu. À la place des mulots, un premier chat arriva, puis un second
accourut, et un troisième, un quatrième, et d’autres encore, des chats de gouttière, des
chats noirs, des chartreux, des rayés jaunes, des siamois et même un persan. Tous se
pressèrent contre la musicienne qui les avait en horreur. Ils furent bientôt une bonne
centaine, tous les chats du voisinage étaient là. Les plus hardis lui grimpaient dessus et
un chaton tigré très entreprenant s’était installé sur son épaule gauche, les griffes
plantées dans sa belle blouse blanche. La flûtiste était paralysée par la peur, mais le
sortilège avait pris possession d’elle : elle ne pouvait plus s’arrêter de jouer.
Et maintenant que faire ? se lamentait-elle tout en essayant de forcer ses mains à
lâcher la flûte ensorcelée. Où aller, avec tous ces chats ? Les noyer, oui ! Mais où ?
Pas la moindre rivière, pas de lac ni d’étang dans les parages. Juste une fontaine, mais
bien trop petite pour une centaine de chats. Et le pire, c’était l’humiliation : la joueuse
de flûte voyait tous les mulots et les souris s’étrangler de rire et jouer à mordiller la
queue des chats trop subjugués par le sortilège pour les attaquer. Elle était la risée des
rongeurs. Son lointain ancêtre le flûtiste de Hamelin devait se retourner dans sa tombe.
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Le vigneron finit par remarquer le remue-ménage des félins et vint se rendre
compte sur place de ce qui se passait. Il n’en crut pas ses yeux. Sa vigne grouillait de
chats qui se grimpaient les uns sur les autres pour se rapprocher de son épouvantail.
Ses grappes étaient lacérées par des dizaines de griffes, écrasées, fichues. Un désastre.
Impossible de s’approcher de la flûtiste qui jouait toujours. Pour arrêter cette catastrophe, il prit les grands moyens : le tuyau d’arrosage à plein jet afin d’éloigner les
chats. Mais l’envoûtement était plus fort que leur crainte de l’eau et ils ne s’enfuirent
pas. Toutefois, le vigneron avait aussi arrosé la musipouvantaille dont la flûte s’était
remplie d’eau. Il n’en sortait plus que des sons mouillés et chuintants qui brisèrent
enfin le sortilège. Les chats, libérés, mais dégouttant et dégoûtés, s’en allèrent d’un pas
peu concerné, comme s’ils n’étaient pas là, comme si ce n’était pas eux, bref,
« circulez, y a rien à voir ».
La flûtiste se retrouva toute seule au milieu de la vigne dévastée, ses beaux
habits griffés, salis, détrempés, pendouillant lamentablement sur son armature. Elle en
pleura sans aucun doute, même si personne ne s’en rendit compte, car ses larmes se
mêlaient aux gouttes d’eau qui dégoulinaient sur son visage.
Alors dans ces conditions, inutile de le dire, la flûtiste fut virée aussi sec.
Et zou ! Au grenier !

Mais le vigneron près de ses sous se ravisa très vite et la rapporta chez le
créateur des musipouvantails pour se faire rembourser. À la suite d’un échange un peu
vif, la flûtiste réintégra l’atelier de sa naissance où elle fut réconfortée et pomponnée,
en attendant que le destin lui donne une seconde chance.
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LA SORCIÈRE
Con fuoco

À Soizig Tchang
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Tremblez, enfants jeunes et grands ! Faites-vous tout petits, car voici la
sorcière ! Noir est son regard plein de maléfices, noire est sa redingote et noires sont
ses bottes, noir est son chapeau pointu comme une flèche gothique. Sa tête faite d’une
cafetière, son nez en trompe d’éléphant pour mieux tromper son monde sont certes
jaunes, mais d’un jaune soufre mêlé de gris fumée. Sur son épaule gauche, une chouette aux yeux glacés et au corps en lame de scie monte la garde. Cette sorcière-là joue du
tam-tam sur le fond de son chaudron retourné. Vous n’avez encore jamais entendu cet
instrument ? Tant mieux pour vous, car si vous l’entendez, c’est que la sorcière et ses
sortilèges ne sont pas loin ! Restez sur vos gardes et vérifiez qu’aucun chapeau pointu
noir de suie ne s’approche en catimini.
Justement à cause de son air redoutable, la sorcière trouva tout de suite
acquéreur au marché. Un vieil homme aguerri qui ne craignait plus personne la prit
pour son champ de colza régulièrement dévasté par les pigeons et les étourneaux. Il
avait déjà tout essayé, mais en vain, car son colza était un délice et rien ne pouvait
dissuader les oiseaux d’y goûter.
La sorcière était si effrayante qu’elle éloigna définitivement les ravageurs. Elle
avait parfaitement bien rempli sa mission et l’histoire se serait arrêtée là si le vieux
paysan n’avait pas balayé sa cour. Sitôt qu’elle vit le balai, un instinct profond se
réveilla chez elle. Car vous le savez comme nous, le balai est tout pour ces créatures :
leur étendard, leur véhicule, leur principal attribut. Or celle-ci n’en avait pas, car elle
n’avait pas été conçue pour s’en aller courir la campagne les nuits de pleine lune, mais
pour épouvanter les oiseaux. Mais il est vain de vouloir lutter contre l’instinct profond
des sorcières. Elle voulut donc à tout prix un balai, et tout de suite.
À la nuit tombée, elle tenta de dérober le balai du paysan, mais il l’avait rangé
dans la remise fermée à clé et la sorcière ne connaissait pas la formule qui ouvrait cette
serrure. Elle erra dans la maison et trouva dans un placard un balai à frange rose
bonbon qu’elle s’appropria aussitôt. Elle le chevaucha et après quelques ratés, car elle
ne savait pas conduire, elle finit par s’envoler dans la nuit noire. Le balai se dirigea
tout seul vers le rassemblement de sorcières le plus proche et la nôtre s’approcha de
ses consœurs en voletant avec grâce. À son arrivée, elles éclatèrent toutes de rire et se
tordirent les côtes de leurs doigts crochus. On n’avait encore jamais vu tant de
ridicule : une sorcière assise en amazone sur un balai à franges roses qui pendouillaient
lamentablement !
« Retourne chez la fée Clochette, fais-toi donner un chapeau en sucre, un
chaudron en nougat et une chouette en peluche, et reviens nous voir, qu’on rie
encore ! », ricanaient les harpies en se roulant par terre.
Humiliée, notre sorcière s’en alla le chapeau bas, désespérée de s’être fait
moquer par ses collègues. Mais où trouver un balai adéquat ? C’est qu’il y avait balai
et balai ! Elle décida de rentrer chez son créateur pour exiger un vrai balai de sorcière
de la meilleure qualité qui soit.
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Lorsqu’il la vit arriver dans son jardin sur son balai à franges roses, le
musipouvantailleur eut bien de la peine à garder son sérieux. Pour la taquiner, il
l’interpella : « Non, mais j’y crois pas ! Un balai à franges roses ! Pour une sorcière ?
Tu es complètement grotesque, tu es virée ! »
« Et zou ! Au grenier ! »

Puis, devant sa mine dépitée, il éclata de rire : « Mais non ! Je plaisante ! Allons
voir ce que je peux faire pour ton balai. » Il lui en fabriqua un bon, en fagots, costaud
et imposant, et lui dit : « Voilà, tu as ton balai maintenant. Va, et reviens dire bonjour
si l’envie t’en prend, entre deux sorcelleries ! »
Alors elle s’envola fièrement sur son beau balai neuf. La reverrons-nous ? Peutêtre… car on ne sait jamais, avec les sorcières.
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LE PIERROT
Amorosamente

À Stefan Roumen

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Celui-ci est si connu qu’il n’est pas nécessaire de le présenter : avec ses
vêtements blancs satinés, sa collerette autour du cou, son visage crayeux et sa larme
éternelle coulant le long de sa joue, avec ses gants rouges et sa grille de barbecue en
guise de mandoline, mais oui ! C’est le Pierrot, notre Ami Pierrot !
Pour lui, son créateur prévoyait un destin d’exception. Tout en ajustant le
chapeau en corbeille d’osier sur le seau de peinture qui lui servait de tête, il décida que
son Pierrot ne serait pas destiné à finir planté dans n’importe quel verger ou dans un
quelconque champ de maïs. Il ne terminerait pas ses jours sous les fientes d’oiseaux,
méprisé par tout un chacun comme un vulgaire épouvantail fiché en terre. Non, le
musipouvantailleur l’aimait trop pour cela. Et puis, Pierrot, c’est quelqu’un, tout de
même ! Sa larme éternelle devait couler pour qui le mériterait vraiment.
Il ne fut pas vendu sur le marché comme les autres. Le musipouvantailleur
passa une annonce dans la presse universelle : « A vendre musipouvantail d’exception,
grand, de première qualité, musique céleste, larme authentique de diamant serti de noir
sidéral, prix exorbitant, mais justifié. Acheteurs sans excellentes références poétiques
s’abstenir. »
Ce fut la Lune qui passa commande. Le prix ne lui importait guère, elle payait
en clairs de Lune et n’était donc jamais à court de monnaie. La larme éternelle de
Pierrot faisait écho à ses cratères, car vous l’ignorez peut-être, mais les cratères de la
Lune sont autant de traces des larmes amères que l’astre a coutume de verser à
chacune de ses disputes avec la Terre. Elle avait besoin d’un bon épouvantail pour
effrayer les météorites, ces oiseaux du ciel qui la menaçaient et la blessaient en la
frappant de plein fouet. Le marché fut conclu et la Lune fit descendre sur la mare du
sculpteur un pont des fées1 pour permettre à Pierrot de monter jusqu’à elle.
La Lune fut très contente de son acquisition, car la seule présence de Pierrot
dissuadait les météorites d’alunir : celles qui s’approchaient de trop près se désintégraient d’émotion en entendant sa musique et en le voyant pleurer. Mais le problème,
c’était que Pierrot à lui tout seul ne pouvait protéger qu’une seule face de l’astre, et
tous les météorites se concentraient désormais sur l’autre. Il fallait donc un second
musipouvantail. Cela tombait bien, puisqu’il restait la flûtiste à recaser. Toute retapée
et gonflée de son importance, celle-ci grimpa par le pont des fées et débarqua, triomphante et superbe, sur la Grande Place lunaire où veillait le Pierrot. La rencontre fit
grand bruit : entre Pierrot et la flûtiste, ce fut le coup de foudre immédiat et la Lune
vibra et vacilla sous la violence du tonnerre. Elle tenta de les séparer pour envoyer la
flûtiste sur sa face cachée, mais ne put y parvenir tant ils étaient soudés l’un à l’autre.
Faute de mieux, elle les déplaça ensemble sur la ligne de démarcation entre les deux
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faces, leur enjoignant de jouer de la musique en direction des deux pans du ciel pour
limiter les dégâts tant que faire se pouvait. Elle tenta bien de se plaindre auprès du
musipouvantailleur, mais il lui rappela qu’elle avait présenté d’excellentes références
poétiques et qu’il espérait qu’elle ne le décevrait pas en se montrant insensible à
l’intensité romantique des amours de Pierrot et de la flûtiste sur l’astre au front
d’argent. Et que voulez-vous répondre à cela ?
Le couple lunaire vécut alors des jours heureux; ils éloignèrent certes quelques
météorites ici ou là, mais ils réalisèrent surtout un prodige bien plus inouï : ils eurent
ensemble un petit Pierrot, qui avait la même tête que son papa et la même flûte en
pompe à vélo que sa maman.
La Lune ne fut pas ravie. « Je voulais deux musipouvantails efficaces pour
éloigner poétiquement les oiseaux du ciel, et me voici avec une famille nombreuse à
loger, dont il faudra supporter les pleurs des enfants et les cris des parents à longueur
de nuits. Ah ! ça non ! Il ne me reste plus qu’à les virer. »
Et zou ! Au grenier !

Mais la Lune s’avisa qu’elle n’avait pas de grenier. Il lui faudrait donc bien
trouver autre chose.
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LE PETIT PIERROT
Patetico e lacrimoso

À Matthieu Gigon
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La famille Pierrot coulait sur la Lune des jours sans nuages. Le petit Pierrot
grandissait vite et apprenait à jouer de sa petite flûte en pompe à vélo. Le reste du
temps, il jouait au sable dans les cratères.
Mais une nuit, la Lune vagabonde, qui avait un peu trop fait la fête à la soirée
d’anniversaire de la planète Mars, se mit à tournoyer sur elle-même et à zigzaguer tant
et plus. Le grand Pierrot et sa compagne en eurent le mal de ciel : c’est comme le mal
de mer, mais bien pire ! À force de slalomer et de virevolter, l’astre insouciant se
rapprocha beaucoup de la Terre. Le petit Pierrot avait très mal au cœur et ses parents
avaient été si sévères avec lui tantôt qu’il en pleurait de grosses larmes qui mouillaient
sa collerette. Au plus profond de son désespoir, il aperçut… vous ne devinerez jamais
quoi ! Il aperçut le haut d’une échelle juste sous l’horizon, une échelle de bois
interminable qui scintillait au clair de lune et montait depuis la Terre ! À l’autre bout,
loin tout en bas, une ribambelle d’enfants dont Clément et Laurine ne désiraient
qu’une chose, quant à eux, c’était aller sur la Lune. Dans le préau de l’école, ils
avaient construit patiemment, barreau après barreau, une si longue échelle qu’elle
touchait presque le bord des nuages. Alors que leurs parents les croyaient dans leur lit,
les enfants, déjà grimpés assez haut, virent au-dessus de leur tête les pieds de Petit
Pierrot qui commençait à descendre. Juste à ce moment-là, la Lune s’éloigna dans une
embardée.
La lune désormais hors d'atteinte, Petit Pierrot descendit, descendit et descendit
encore, pas trop rassuré. Les enfants intrigués l'attendirent et l’escortèrent jusqu'à terre.
Et là, Petit Pierrot eut une violente crise de désespoir ! Il pleurait comme jamais vous
n’avez vu pleurer un Pierrot. Les enfants le firent asseoir sur un banc et se serrèrent
contre lui pour le réconforter. Une petite fille dans les bras, un gamin sur son genou et
un chaton perché sur son épaule, Petit Pierrot se lamentait : « Mon papa et ma maman
m’ont puni parce que je n’avais pas fait mes gammes et j’ai mal au cœur; je n’aime pas
vivre sur la Lune et j’ai voulu découvrir la Terre. Oh ! pauvre de moi. Je suis tout seul
ici, je ne connais personne et puis ce n’est pas bleu du tout, contrairement à ce qu’on
m’avait dit ! C’est gris et sombre et c’est pas beau ! Je veux rentrer à la maison… »
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Clément et Laurine le réconfortèrent en lui prêtant leurs jouets préférés et Petit
Pierrot se calma peu à peu. Ils lui expliquèrent qu’au lever du soleil, tout serait beaucoup plus bleu. Ils lui chantèrent des chansons pour l’encourager et il chanta avec eux.
Au point du jour, Petit Pierrot rasséréné sécha ses larmes et décida de partir
explorer le vaste monde. Il fit aux enfants des adieux émus, versant encore une larme
ou deux, mais c’était là des larmes douces, et il s’en alla.
Mais hélas, Petit Pierrot n’alla pas loin. Jusqu’au bout du village, en fait. Il se
fit capturer en traître par un cultivateur qui avait besoin d’un épouvantail pour son
champ et trouva très pratique de s’emparer de celui-ci, qui tombait du ciel pour ainsi
dire. Et hop, emprisonné dans un champ grillagé avec ordre d’éloigner les oiseaux !
Ça n’alla pas du tout. Petit Pierrot, qui détestait le vert, en était entouré de toutes parts et pour ne plus le voir, il fermait les yeux. Il n’aurait donc pu repérer un seul
oiseau. Il se mit à jouer un air si triste et nostalgique que les tournesols qu’il était censé
protéger se fanèrent d’un seul coup sans même donner de graines.
Quand il vit ça, le cultivateur grommela : « Voilà ce que c’est de ramasser
n’importe qui dans la rue » ! Et inutile de le dire, Petit Pierrot fut viré aussi sec.
Et zou ! Au grenier !

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CODA

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Pendant tout ce temps, le musipouvantailleur s’ennuyait ferme. D'accord, il
avait récupéré la flûtiste en triste état, l’avait retapée et remise d’aplomb. D’accord, il
avait eu la visite de la sorcière en plein doute, l’avait réconfortée et réexpédiée sur le
bon balai. Mais ça ne suffisait pas à occuper ses journées désormais oisives et
solitaires.
Il commença par faire un épouvantail de plus, un chanteur. Il l’habilla somptueusement de rouge et de noir et le gratifia de cheveux de prix en fourrure blanche
surmontant sa tête de bouilloire. Mais bof, le chanteur avait beau s’égosiller a capella,
c’était un peu austère et assez lassant, car il n’avait qu’une seule chanson à son
répertoire. Le musipouvantailleur commençait à regretter de les avoir tous vendus.
« Que sont-ils devenus, mes musipouvantails ? Dans quel champ boueux, dans quel
verger aux arbres dégouttant de pluie, dans quels jardins sans fantaisie ont-ils abouti ?
Sont-ils heureux, au moins ? » se demandait-il de plus en plus souvent.
Finalement, il décida d’aller leur rendre visite. Il parcourut les champs et les
vergers, guignant par-dessus les clôtures des jardins et fouinant partout, mais il ne les
trouva nulle part. Survint alors un gros chat noir qui se frotta à ses jambes. Il miaula
avec insistance et le précéda de quelques pas. Sans même savoir pourquoi, le
musipouvantailleur le suivit, juste parce que c’était un chat noir et qu’il ne faut jamais
contrarier ces animaux-là, comme vous le savez bien entendu. Le long des sentiers et à
travers champs, le chat lui fit faire tout un périple entrecoupé de fréquents arrêts pour
tendre quelques embuscades aux mulots et faire une ou deux siestes. Ils parvinrent
enfin aux abords de la ville, dans une zone désolée pleine de hangars et d’entrepôts.
L’un d’eux, ouvert à tous les vents, arborait une enseigne de guingois : « Au coup de
pot – vide-grenier, brocante, antiquités ». Le chat se glissa par la porte entrebâillée et
le musipouvantailleur le suivit. Une fois accoutumé à l’obscurité, il découvrit un
spectacle affligeant, pour ne pas dire tragique : une demi-douzaine de ses musipouvantails se balançaient au gré des courants-d'air, pendus à d'énormes chaînes qui
grinçaient sinistrement. D'autres, démantibulés, la tête détachée du corps, le regard
vide, étaient éparpillés au quatre coins de l'entrepôt. Presque toutes ses créatures se
trouvaient rassemblées là, bradées pour une bouchée de pain par leurs anciens
propriétaires à un brocanteur cupide qui faisait la tournée des greniers. Le sang de leur
créateur ne fit qu’un tour et il prit les mesures qui s’imposaient : il les racheta aussitôt
au vendeur malgré le prix exorbitant.
Un peu plus tard, on vit passer sur les routes du canton un curieux équipage. Un
tracteur conduit par le musipouvantailleur tirait lentement une charrette d’où
dépassaient les têtes pittoresques des musipouvantails brinquebalant au gré des cahots
du chemin. Ils rentraient à la maison.
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Le lendemain, les musipouvantails avaient retrouvé la sécurité de l’atelier, où
leur créateur les répara, nettoya leurs instruments et les accorda. Il se maudit de ne pas
avoir songé avant qu'ils n’étaient pas faits pour moisir chacun dans un champ. Il allait
composer un concerto1 tout exprès pour eux ainsi que pour Clément et Laurine, qui
tiendraient les parties de trompette et de clarinette avec leurs instruments de musique
en plastique. Le chef d’orchestre dirigerait les répétitions, puis tout le monde partirait
en tournée dans les villages et les bourgs de la contrée. Certes, il manquait les parents
du petit Pierrot, ainsi que la sorcière et sa chouette. Mais bah, on ferait sans eux !
Quelques jours plus tard, tandis que l'orchestre répétait, on entendit un grand
remue-ménage près du portail du jardin. Des voix enfantines toutes excitées se
mêlaient à des notes de flûte et à des appels pressants : « Pierrot mon tout petit, notre
bébé-Pierrot, es-tu là ? Nous te cherchons partout ! » C’était les parents de Petit
Pierrot, escortés par Clément et Laurine qui tentaient de raconter une histoire à
laquelle nul ne comprenait rien, tant ils parlaient tous en même temps. Une histoire où
il était question d’une échelle en bois pour aller sur la Lune, abandonnée dans une cour
d’école, par laquelle étaient descendus Pierrot et sa compagne flûtiste qui cherchaient
désespérément leur enfant perdu. La Lune, bonne fille malgré ses fréquents éclats,
s’était rapprochée suffisamment pour leur permettre de rejoindre la Terre, mais il ne
fallait pas le répéter, car c’était assez mal vu.
Les retrouvailles furent émouvantes. On s’embrassa et chacun raconta ses
aventures. On fit de la musique et on dansa jusque tard dans la nuit. Au cours de la
soirée, le chanteur tomba amoureux de la chanteuse et pour leur duo d’amour, il fallut
relier leurs micros par une corde à sauter sur laquelle se balançait un grand cœur rose.
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Après quelques semaines de répétitions, les musipouvantails furent au point et
un beau soir, tous les poneys, chiens, vaches, hérissons, chèvres, dindes et oiseaux du
voisinage se réunirent dans le jardin pour assister au premier concert. Le public
bruissait d’impatience. Le chef d’orchestre leva bien haut sa baguette, l’abattit vigoureusement et alors s’éleva dans les airs une musique… une musique, comment dire ?
Une musique... cacophonique et épouvantable. Les instruments désaccordés grinçaient
et crissaient, couinaient et larmoyaient, les voix chevrotantes geignaient et gémissaient, tout cela dans le plus affreux désordre. Le chef était consterné, les musiciens
n’y comprenaient rien et le public s’enfonçait sous terre pour ne plus entendre ces sons
abominables.
L’orchestre arrêta de jouer et dans le silence heureusement revenu, on entendit
un ricanement de sorcière venu des airs :
« Yark, yark, yark ! Vous ne m’attendiez pas, n’est-ce pas ? Eh bien, même non
convoquée, je suis là et si vous êtes très très gentils avec moi, alors peut-être que
j’essaierai de défaire le sort qui ensorcelle vos instruments et vos voix. Peut-être… »
Il fallut beaucoup parlementer car les sorcières sont dures en affaires. Elle
exigea sept nouveaux balais de première qualité, un pour chaque jour de la semaine; la
transformation de sa chouette en scie musicale pour occuper dans l’orchestre une place
de choix; l’astiquage complet de son chaudron une fois par semaine avant le sabbat;
des araignées grillées tous les soirs pour l’apéritif. Et d’autres choses encore. Le
musipouvantailleur fut bien obligé de céder pour avoir un orchestre en état de jouer.
On jura sur le Grimoire et la sorcière, satisfaite, alluma le feu sous le chaudron et prit
tout son temps pour défaire le sortilège compliqué lancé aux musiciens.

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Il fallut encore faire sortir le public de terre et accorder de nouveau les instruments.
Et ce ne fut qu’aux douze coups de minuit que retentirent enfin les premières notes du
magnifique concerto des musipouvantails, dont les échos montèrent très loin dans le
ciel nocturne. Alors, il arriva une de ces féeries comme seule la Lune en est capable, et
encore, une fois ou deux par millénaire seulement. Elle fut si émue par le concerto
qu’elle laissa glisser jusque sur la Terre une larme d’un éclat incomparable qui baigna
la planète entière.
Chacun en sentit furtivement la caresse : un moment de bonheur inexpliqué, une
sensation de bien-être sans cause, un chatoiement nostalgique, un sourire imprévu.
Et pour ceux qui dormaient et rêvaient à cette heure-ci, un rêve irisé d’une
beauté inoubliable.
D'ailleurs toi, tu te souviens certainement de ce rêve délicieux, si lumineux et si
doux, qui accompagna ton sommeil cette nuit-là et que jamais tu ne pourras oublier.
Un rêve de larme de Lune.
Un rêve de magie
de musipouvantails.

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GLOSSAIRE

P. 11 PRÉLUDE
1

Trille Ornementation musicale consistant à alterner très rapidement une note avec la note
voisine supérieure.
2
La note bleue Cette expression employée en 1881 par George Sand dans son livre intitulé
« Impressions et souvenirs » à l'écoute de la musique de Chopin et jamais réutilisée par elle ensuite,
intrigue : « Nos yeux se remplissent peu à peu des teintes douces qui correspondent aux suaves
ondulations saisies par le sens auditif. Et puis la note bleue résonne et nous voilà dans l'azur de la
nuit transparente. » Car les notes bleues, blue notes en anglais, qualifient le plus souvent certaines
notes caractéristiques du blues puis, plus tard, du jazz. Les théoriciens du blues se sont-ils inspirés de
l'écrivaine ? Le contraire est peu plausible, la première apparition du terme aux États-Unis ne datant
que du début du XXe siècle.
P. 15 LA CHANTEUSE
1
2

Scat Solo vocal improvisé en onomatopées.
Herbert von Karajan Célèbre chef d'orchestre autrichien du XXe siècle.

P. 19 LE SAXOPHONISTE
1

Swing Balancement rythmique caractéristique du jazz.
Jam-session Concert de jazz improvisé et informel.
3
Set Partie d'un concert de jazz avant ou après un entracte.
4
Chorus Solo instrumental ou vocal improvisé.
2

P. 24 LE JOUEUR DE BANJO
1

And so I got my banjo out, just sittin' and collectin' dust Extrait de « Washington
Square », chanson composée en 1964 par Bob Goldstein et David Shire. La musique a été reprise plus
tard par Sacha Distel qui adapta des paroles françaises sous le titre de « Un Air De Banjo ».
P. 27 LA CONTREBASSISTE
1

« Hello, Dolly ! » Célèbre chanson tirée du film musical non moins célèbre, Hello, Dolly !
réalisé par Gene Kelly en 1969 et que chantait Louis Armstrong.
2

« Les travaux d'Hercule » Conte de la mythologie grecque et source d'inspiration picturale
et plastique pour les artistes occidentaux. Le nettoyage des Écuries d'Augias est le cinquième des
douze travaux d'Hercule.
P. 35 LE CARILLONNEUR
1

Carillon tubulaire Instrument de la famille des percussions appelé aussi cloche tubulaire (de l'anglais tubular bell) ou cloches d'orchestre.

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P. 49 & 50 LE PUNK
1

« Guérilla Poubelle » Groupe de punk rock parisien créé en 2003.

2

« Les Béruriers Noirs » Groupe punk français des années 1980.

3

« No future » Slogan des Sex Pistols, célèbre groupe punk formé en 1975 à Londres.

P. 53 LA VIOLONISTE
1

Ouïes Ce sont deux ouvertures étroites découpées dans la table d'harmonie du violon qui
modifient les propriétés acoustiques.
P. 57 LE CHARMEUR DE SERPENTS
1

Charmeur de serpents Le charmeur de serpents paraît hypnotiser le redoutable naja en
jouant de son instrument. En réalité, le reptile, sourd, est sensible aux vibrations du martèlement au sol
du pied du musicien.
2

Pungi Constitué d'une embouchure à anche simple, d'un tuyau en bambou pour bourdon, un
autre percé de trous de jeu pour jouer la mélodie et d'une courge évidée pour caisse de résonance, le
pungi, punga ou murli est l'instrument à vent des charmeurs de serpent indiens
3

« Monsieur Loyal » Régisseur de piste qui présente les numéros et sert de faire-valoir aux
clowns, aux acrobates et aux jongleurs.
P. 61 LE CHEF D'ORCHESTRE
1

Symphonie Pièce musicale pour grand orchestre comportant plusieurs parties appelées mouvements. Il n'y a pas de solistes comme dans le concerto.
P. 65 LA FLÛTISTE
1

« Le joueur de flûte de Hamelin » Légende allemande, transcrite par les frères Grimm. Elle
met en scène un joueur de flûte qui, grâce à sa musique, attira les rats qui infestaient la ville de
Hamelin et les noya dans la rivière voisine.
P. 73 LE PIERROT
1

Pont des fées Reflets du clair de lune dans l'eau.

P. 82 CODA
1

Concerto Composition instrumentale pour un ou plusieurs solistes et orchestre.
90
CREDITS PHOTOGRAPHIQUES
Couverture : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), dinosaure de Anthony Bonnafont,
arrière-plan Chicago de David B. Gleason, chef d'orchestre de Serge Bonnafont.
La chanteuse P. 14 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Yuri Levchenko
La chanteuse P. 16 : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), arrière-plan de cod_gabriel,
3 mouettes de Yabosid, autres oiseaux de Simon Carrasco, chanteuse de Serge Bonnafont.
Le saxophoniste P. 18 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Erich Ferdinand.
Blue Sax démantibulé P. 20 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Marcelo Braga.
Le joueur de banjo P. 22: Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Shagshag.
La contrebassiste P. 26 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Frédéric Buisson, chat
noir de Dan4th Nichola.
La contrebassiste page P. 28 : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), arrière-plan de
Frédéric Buisson, chat noir de Alisha Vargas, souris de Eddy Van 300, araignée de Peter Harrison,
perroquet de Robert Hoge, cage à oiseaux de AJARI, poids en fonte de Coyau@WikimediaCommons,
contrebassiste de Serge Bonnafont.
L’accordéoniste P. 30 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Sarah B Brooks, oiseaux
de Wagner Machado Carlos Lemes, Alejandro Erickson, Nijaba, Oznya.
L’accordéoniste P. 30 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, grappes de prunes de Olibac.
Le carillonneur P. 34 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, Ciel et oiseaux de Andy Rusch, flore de
Jean-Louis Zimmermann.
Le carillonneur P. 36 : Détail ciel étoilé de la NASA. Domaine public.
Les trompettistes au grenier P. 42 : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), arrière-plan
de Mr. Moment, armure de ozz13x, heaume de Griolin, épée de Soren Niedziella, meubles de Mark Eslick,
trompettistes de Serge Bonnafont.
La batteuse P. 46 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, chien par Chris_Parfitt.
Le punk P. 48 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de John Fowler, mitraillette de
Aaron Chase - Official U.S. Navy Imagery, marteau-piqueur de JOSHUA J. WAHL, tronçonneuse de Ryan
Hagerty (domaine public).

91
La violoniste P. 52 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Porsche Brosseau.
La violoniste P. 52 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, chaton de Laure Dujardin.
Le charmeur de serpents P. 56 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Tyler Yeo.
Le chef d’orchestre P. 60: Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, partition du domaine public.
Le chef d’orchestre P. 62 : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), dinosaure de
Anthony Bonnafont, arrière-plan Chicago de David B. Gleason, chef d'orchestre de Serge Bonnafont.
La flûtiste P. 64 : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), arrière-plan vignoble de
Lapastoure Didier, Chats de Laure Dujardin, Nicole Moutel, Rosana Prada, roberto shabs, A. Davey,
fujitariuji, Takashi Hososhima, Martie Swart, Petr Kratochvil, Hans Pama, Yinghai, Luis Miguel Bugallo
Sánchez, Geoff Doggett, Tclddn, Russell Smith, hisashi_0822, Paul Lucas, Dominique Bruyneel, Chronos
Tachyon, Ângela Antunes, chispita_666, yoppy, CinCool, roroproject, Tatiana Duiker, jeffreyw, flûtiste de
Serge Bonnafont.
La sorcière P. 68 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Claude-Catherine Suri.
La sorcière P. 70 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Riccardo Palazzani, crapaud de
Kirill_M
Le Pierrot P. 74 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, lune et espace de la NASA.
Le petit Pierrot P. 76 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan et terre de la NASA, échelle
sculptée de David Lachavanne photographiée par Jean-Charles Brune.
Coda P. 80 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, sellette de Al Pavangkana et commode du
L.A.C.M.A domaine public.
Coda P. 82 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de E. Dronkert.
Coda P. 83 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, lune de Klearchos Kapoutsis.
Coda P. 85 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, crapaud de Sam Fraser-Smith.
Coda P. 88 : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), arrière-plan nuit de Paul Botu, lune
de Jorge Mejia Peralta, terre NASA , yeux de Maria Morri, bouche de Aimee Ardel.

92
TABLE DES MATIERES
AVANT-PROPOS

7

PRÉFACE

8

LE CONCERTO DES MUSIPOUVANTAILS
Prélude

9

La chanteuse

13

Le saxophoniste

17

Le joueur de banjo

21

La contrebassiste

25

L'accordéoniste

29

Le carillonneur

33

Les trompettistes

37

La batteuse

43

Le punk

47

La violoniste

51

Le charmeur de serpents

55

Le chef d'orchestre

59

La flûtiste

63

La sorcière

67

Le Pierrot

71

Le petit Pierrot

75

Coda

79

GLOSSAIRE

89

93
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LE PAYS AU MILIEU DES CONFINS DU RÊVE
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94
95
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DO PALÁCIO À ASSEMBLEIA .
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Le concerto des musipouvantails

  • 1.
  • 2.
  • 3. LE CONCERTO DES MUSIPOUVANTAILS
  • 4. © 2013 Serge Bonnafont & Claude-Catherine Suri
  • 5. SERGE BONNAFONT CLAUDE-CATHERINE SURI LE CONCERTO DES MUSIPOUVANTAILS Préface de Jean-Charles Brune www.pierrotshop.com
  • 6.
  • 7. AVANT-PROPOS Le concerto des musipouvantails (formé des mots musicien et épouvantail) est avant tout une exposition d'épouvantails musiciens. Non pas des automates. Juste une représentation poétique et humoristique d'individus presque humains, burlesques et chamarrés, jouant sur des instruments de musique faits d'objets détournés. Ces personnages ont subi plusieurs transformations depuis leur création en 2004. De simples repoussoirs à oiseaux, ils sont devenus au fil des ans de vrais dandys. Si, à leurs débuts, ils supportaient d'être vêtus d'oripeaux, aujourd'hui ils ne consentent plus qu'à revêtir des tenues de gala. D'autre part, ils refusent catégoriquement de subir les intempéries dans les champs et de recevoir les fientes des oiseaux, préférant les salles d'exposition, les festivals de musique et les vernissages. Ce livre est le résultat de ma collaboration avec Claude-Catherine Suri qui a imaginé une histoire pour chacun des musipouvantails que j'avais créé. Après quoi, j'ai adapté et illustré le texte au moyen de photographies ou de photo-montages. Je remercie au passage tous les contributeurs qui, sous Licence Creative Commons, partagent leur travail avec tout un chacun et dont j'ai utilisé des clichés pour mes photomontages. Remerciements particuliers au sculpteur David Lachavanne pour l'utilisation de son œuvre « Échelle relative n° 2 » illustrant la descente de la Lune à la Terre par le petit Pierrot, ainsi qu'à Jean-Charles Brune, l'auteur de la préface. (Pour en savoir plus sur les plasticiens, sculpteurs & peintres, David Lachavanne et Jean-Charles Brune: www.david-lachavanne.net & www.jean-charles-brune.com) Que soient remerciées aussi toutes les personnes, amis ou famille, destinataires de nos dédicaces qui à des degrés divers nous ont encouragés ou fait profiter de leurs relectures avisées et surtout Claude-Catherine, mon écrivaine helvète qui pétille de malice et d'imagination. Elle est un feu d'artifice d'esprit, d'humour et de poésie. Serge Bonnafont 7
  • 8. PRÉFACE D’ordinaire, un épouvantail désigne une poupée de paille et de chiffons, affublée de vieux vêtements, de nippes qui lui donnent une sorte d’apparence humaine. Planté dans les champs et les jardins, il vise à protéger les plantations et les récoltes de la voracité des animaux et plus particulièrement de celle des oiseaux. Dans le procédé, il s’agit de faire peur, d’épouvanter. Étymologiquement, épouvanter signifie d’abord frapper d’horreur, de terreur. C’est dire combien l’épouvantail selon le sens commun nous met en prise avec l’effroi. Le prodige dans ce concerto pour musipouvantails est d’avoir renversé l’ordre, le cours ordinaire des choses. Aux préoccupations des hommes, rationaliser, produire, posséder, s’approprier, se défendre, interdire et au besoin épouvanter, s’oppose la candeur d’individus un peu étranges créés de toutes pièces par Serge Bonnafont, « des êtres faits de ferraille et de plastique, de bric et de broc, vêtus d’habits chatoyants qui étincellent de mille couleurs ». De ces créations de musipouvantails, un peu de rêve, de la magie, tout un bric-à-brac de mots auront alors suffi pour, sous la plume de Claude-Catherine Suri, donner vie et animer ces créatures hors du commun. Le talent de ces musipouvantails est de pouvoir faire voltiger les notes, les bleues bien sûr, mais aussi les notes de toutes les couleurs, de scater, chanter, prendre un chorus, diriger le temps. Paradoxalement, ce talent tient aussi à cette candide inaptitude à répondre aux attentes des hommes. Il y a chez ces créatures une incapacité fondamentale à faire peur, à frapper d’horreur, à épouvanter, mais qui révèle du même coup l’épouvantable et véritable nature des hommes qui les emploient : cupidité, intéressement, efficacité, jugement sans appel, condamnation, que montre bien la laconique et impitoyable réponse des hommes « Et zou ! Au grenier ! » devant tant de mauvaise volonté à faire peur. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une opposition irréductible entre les hommes et ces créatures étranges (d’ailleurs, leur créateur finit par les récupérer pour les réparer, accorder leurs instruments et leur composer un concerto…), mais d’un état d’esprit ouvrant sur l’univers étrange des musipouvantails. Ce qui est certain, c’est que « sans excellentes références poétiques » mieux vaut s’abstenir. Autrement dit, il faut avoir gardé un brin de son âme d’enfant, être un peu rêveur, pour chanter et danser, converser avec les astres, faire la connaissance d’une petite souris grise nourrissant de son bon lait trois petits chatons… « Être des badauds émerveillés ». Il y a d’un côté les préoccupations des hommes et de l’autre, la nature, les animaux, les astres, un pierrot, une sorcière, des enfants, un créateur et ses épouvantails musiciens, tous complices pour agir de concert, dans un concerto pour musipouvantails « d’une beauté inoubliable ». Jean-Charles Brune 8
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  • 11. Imaginez ! Vous marchez à l’orée d’un bois par un bel après-midi d’été. Il n’y a que vous, le bruissement des feuilles, le pépiement des oiseaux et le chant des criquets. Mais soudain résonne au loin comme l’écho d’une drôle de musique venant de la forêt. Intrigué, vous suivez un sentier qui s’enfonce sous les arbres. Au fur et à mesure que vous avancez, les notes et les sons se font plus distincts et plus insolites. Un violon mêle ses accents nostalgiques aux éclats de plusieurs trompettes, soutenu par la pulsation lancinante d’une contrebasse; puis brusquement, une batterie se déchaîne avec fracas avant de laisser la place aux notes discordantes d’un saxophone, rejoint par un carillon joyeux et les trilles1 acidulés des flûtes. Après un long decrescendo souligné par la mélopée d’un banjo, un bref silence. Vous vous rapprochez encore un peu. Alors, le son d’un accordéon envahit la forêt. Les arbres, attentifs, contenant le bruissement de leurs feuilles, s’inclinent et tendent leurs branches en direction de la musique. Une voix cristalline comme celle d’un elfe entonne une chanson étrange dans une langue qui n’existe pas, rejointe par une voix de basse aussi profonde que la forêt. Même le vent retient son souffle pendant le temps que dure le trio des voix et de l’accordéon, qui se mêlent, se séparent, se rencontrent à nouveau et se fondent en une seule note, la note bleue2. La magie de l’instant est brutalement rompue par la déflagration d’une guitare électrique survoltée aux accents métalliques et glacés. « S'il vous plaît ! dit une voix impérieuse. Tu n’es pas en mesure, le guitariste ! Bravo les chanteurs ! C’était magnifique ! Mais attention au fa dièse de la mesure 45, c’est toujours votre point faible. On reprend, concentre-toi un peu, le guitariste ! » 11
  • 12. Piqué par la curiosité, vous faites encore quelques pas et vous débouchez dans une clairière. Vous y découvrez tout un orchestre répétant sous la direction d’un épouvantail aux cheveux blancs qui brandit une antenne de radio en guise de baguette. Les musiciens, eux aussi, ont l'air d'épouvantails, des êtres de ferraille et de plastique faits de bric et de broc et vêtus d’habits chatoyants qui étincellent de mille couleurs au milieu de la forêt. Ce sont les musipouvantails. Qui sont-ils, d’où viennent-ils, par quels prodiges sont-ils réunis là au milieu de la forêt, à jouer cette étrange musique venue de nulle part ? C’est ce que nous allons vous raconter. 12
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  • 15. Comme les autres musipouvantails, la chanteuse de jazz vit le jour dans l'atelier au fond du jardin de son créateur, le musipouvantailleur. Ce dernier, avait entrepris d’assembler toute une série d’épouvantails à vendre sur le marché. Des épouvantails pas comme les autres puisque, en plus d'effrayer les oiseaux, ils joueraient de la musique. Il fallait de l’imagination, de l’inspiration, tout un bric-à-brac d'objets hétéroclites et un peu de magie. L'artiste avait tout cela, et bien plus de magie qu’il ne le pensait… À peine installée sur l’étal du marché, la chanteuse attira tous les regards : étaitce à cause de sa tête faite d’un seau noir surmonté d’une cuvette jaune en guise de chapeau, ou grâce à ses yeux en balles de ping-pong ? En tout cas, elle fut la première à quitter le marché au petit matin sur le porte-bagage d’une moto. On l'installa au beau milieu d’un jardin et, très fière, elle se rengorgeait comme une reine dans son palais. Mais comment aurait-elle pu effrayer le moindre oiseau, toute pimpante qu’elle était dans sa belle robe blanche, avec ses lunettes de star, son rouge à lèvres bien rouge et sa fleur dans les cheveux ? Sitôt plantée près du cerisier, elle se mit à minauder et à faire du charme à tous les moineaux qui venaient à passer. Non contents de bien s’amuser, les oiseaux appelèrent leurs copains à les rejoindre pour admirer la star, et bientôt l'arbre fut couvert de becs voraces. La musipouvantaille était si fière de son succès qu’elle commença à chanter. Puis elle entama un scat1 au micro et là, ce fut le délire ! Tous les oiseaux des champs, des rivières, de la forêt et même du bord de mer arrivèrent à tire-d’aile. Les pinsons, les merles, les grives, les fauvettes et les geais voletaient autour d’elle en piaillant à tue-tête. À ses pieds, deux hérons courts sur patte (c'est un comble) et trois mouettes rieuses, sous la baguette d'un canard cabotin qui se prenait pour Karajan2, s'égosillaient à qui mieux mieux. Les mouettes, de leur voix criardes, reprenaient les onomatopées de la chanteuse, mais avec un léger décalage, car elles sont moqueuses et aiment s’amuser au détriment de qui n'appartient pas à leur famille. Ce fut la cacophonie générale. 15
  • 16. Le soir venu, le cerisier n’avait plus une cerise. Chanter donne faim et soif et les oiseaux s’étaient restaurés et désaltérés avec tous les fruits de l’arbre. Le jardin avait triste allure : couvert de fientes, piétiné par mille petites pattes qui avaient sautillé en dansant sur la pelouse, et saturé de plumettes qui volaient de-ci de-là. Car les oiseaux, qui s’étaient beaucoup échauffés, s’étaient débarrassés de quelques couches de plumes pour se rafraîchir. Bref, c’était une catastrophe ! Quand le jardinier vit le tableau, le jardin dévasté, le cerisier dépouillé de ses cerises, sa musipouvantaille écroulée dans l'herbe et ronflant dans son micro, il fut consterné. Et très fâché aussi. Inutile de dire que la chanteuse épouvantaille fut virée aussi sec. Et zou ! Au grenier ! 16
  • 17. LE SAXOPHONISTE Appassionato assai À Jean-Charles et Patricia Brune 17
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  • 19. Vous savez sûrement que le bleu est la couleur du jazz. Il y a des clubs de jazz Blue note, des maisons de disques de jazz Blue note, l’heure bleue est celle du jazz. C’est donc tout naturellement que le musipouvantail saxophoniste fut pourvu d’un arrosoir bleu en guise de tête et d'un saxo en plastique de la même couleur dont il n’était pas peu fier ! Avec sa casquette jaune vif posée à l'envers sur le crâne, sa chemise fuchsia et ses pantalons rayés rouges et jaunes, il avait tant d’allure que rien qu’à le regarder, on entendait déjà swinguer1 la musique. Il avait du talent, cet épouvantail-là. Le musipouvantailleur avait été généreux lorsqu’il l’avait doté du pouvoir de faire voltiger les notes, les bleues bien sûr, mais aussi les notes de toutes les couleurs. Le saxophoniste était mordu de jazz et ne pensait qu’à jouer, jouer et jouer jusqu’à ce que l’épuisement fasse retomber en guirlande des notes éreintées qui lui demandaient grâce. Il fut acheté au marché par un ignare inculte qui ne connaissait de la musique que les jingles publicitaires de la télé et se fichait complètement du saxophone, du moment que son épouvantail faisait peur aux oiseaux. Il le planta dans un champ avec ordre de ne pas laisser la moindre corneille s’approcher des épis de maïs. C’était le choc de deux mondes : le musipouvantail n’avait que faire des épis de maïs; et le paysan n’aimait pas du tout le saxophone, cet instrument de barbares qui produisait des sons auxquels il ne comprenait rien. Ils passèrent un accord tacite pour ménager la chèvre et le chou : le saxophoniste éloignerait les oiseaux la journée, mais il serait libre d’aller chaque nuit jouer dans des bastringues, quitte à somnoler la journée entre deux notes noires et menaçantes lancées en direction des corneilles. Tout se passa très bien pendant quelque temps. Au coucher du soleil, une fois les corneilles au nid, le saxophoniste se carapatait le long des chemins creux jusqu’à la ville. Là, il déchiffrait laborieusement les affichettes annonçant les jam-sessions 2 qu’il se hâtait de rejoindre. Il attendait en coulisse, très discrètement, que les musiciens aient commencé leur set3 et se glissait parmi eux, toujours en catimini, faisant semblant d’être juste un élément du décor. Il se mettait alors à jouer doucement en se fondant dans l’orchestre, puis il choisissait le bon moment pour entamer un de ses fameux chorus4 de saxo qui donnait des frissons d’extase au public. Les musiciens étaient surpris, mais l’enthousiasme dans la salle était tel qu’ils étaient bien obligés de laisser faire. Le succès du saxophoniste, bientôt surnommé Blue Sax, fut tel que tous les clubs de jazz de la ville affichèrent complet chaque soir. Des critiques musicaux, des producteurs de disques, des organisateurs de spectacles tentèrent de l’approcher, mais en vain : un peu avant la fin du concert, il filait se cacher dans le décor et quittait les lieux dans la nuit noire pour s'en retourner par les chemins creux à son champ de maïs. La journée, personne ne savait où il habitait. 19
  • 20. Sa renommée grandit, et grandit au point d’éclipser celle des autres musiciens de jazz de la contrée, qui n’intéressaient plus personne. Ils en devinrent si jaloux qu’ils se mirent d’accord pour faire cesser cette concurrence déloyale. Ils conspirèrent tout un après-midi dans une arrière-salle de café et un beau soir, trois d’entre eux coincèrent le saxophoniste au moment où il s’apprêtait à se fondre dans le décor à la fin du concert. « Un pantin ! s’écria le batteur, ce n’est qu’un pantin ! — Plutôt un épouvantail, fit le pianiste. Regardez ! Il est encore tout crotté de la terre du champ où on l’a planté ! — Alors ça, pour une surprise ! », dirent les musiciens, soulagés de n’avoir à faire qu’à un être de fer et de fringues. Ils lui cassèrent son saxophone magique, lui démantelèrent un bras, lui dévissèrent à moitié la tête et pour faire bonne mesure, lui firent manger sa belle casquette. Puis ils le jetèrent dehors sans ménagement. Tristement, la tête devant derrière, le pauvre saxo rentra à reculons jusqu’à son champ. Il s’effondra de désespoir parmi les épis de maïs et s’endormit sans même s’apercevoir que les corneilles lui picoraient le ventre, dégustant quelques notes bleues tombées de l’alto. Leur cri en fut modifié pour toujours, devenu si mélodieux et troublant que ces oiseaux-là devinrent des stars parmi leurs semblables. Le paysan inculte, voyant son épouvantail dans un triste état, vautré au milieu du maïs et tout déglingué, grommela : « Un fainéant comme les autres qui se sera battu à la sortie du bistrot ! Irrécupérable… » Alors, inutile de le dire, le saxophoniste fut viré aussi sec. Et zou ! Au grenier ! 20
  • 21. LE JOUEUR DE BANJO Con emozione À Michel Mursic 21
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  • 23. Et voici le joueur de banjo, tout de gris-bleu vêtu. C’est un timide, lui. Voyez comme il dissimule sa tête de pot de fleurs renversé derrière sa longue barbe en balai de paille de riz, sa grande moustache en brosse, ses lunettes noires et son beau chapeau d'été ! Il dépasse juste une clé à pipe qui pointe derrière tout cet attirail. Qui est-il vraiment, ce joueur de banjo si bien caché ? C’est un rêveur. Un poète qui rêve de grands voyages à cheval à travers pampas et déserts. Il chevaucherait à son rythme tout en jouant de son banjo, une poêle de zinc gris avec du cordeau à linge vert en guise de cordes. Il fut acheté par des richards qui voulaient protéger leur verger d’arbres exotiques sur lesquels s’acharnaient les oiseaux, avides de sensations fruitières nouvelles. Il fut placé entre un manguier rachitique et un papayer frigorifié. Alors, il s’ennuya à mourir. Rêver de grands espaces et finir planté entre deux arbres déprimants, c’était à pleurer. Il lui restait heureusement son banjo et il en joua un air nostalgique, un air à faire fondre les cactus les plus endurcis du désert, à faire tomber les vents courant sur les plaines, un air à faire pleurer Billy the Kid lui-même. Aussitôt, le poney des propriétaires s’approcha, fasciné. D’instinct, il se reconnaissait dans ces notes mélancoliques qui parlaient de galopades dans des contrées infinies; car si ce n’était qu’un poney, il n’en était pas moins un peu cheval quand même. Ce fut le début d’une grande amitié. Le banjoïste joua tout son répertoire et le poney en eut la chair de poule. « Après tout, dit-il à l’épouvantail, pourquoi ne partirions-nous pas ensemble explorer le vaste monde et les grands espaces ? Monte sur mon dos et on y va ! » Sitôt dit, sitôt fait. Le banjoïste et sa monture quittèrent sans regrets les arbres transis et se lancèrent à l’assaut du grand pré dont les confins se perdaient à l’horizon d’un petit bosquet lointain. Ils parcoururent ainsi des mètres et des mètres, peut-être deux cents, peut-être même encore plus ! C’était si exaltant, chaque pas apportait son lot de découvertes : une fleur inconnue, une libellule, une feuille morte, une limace. Le banjoïste jouait à leur intention ses airs les plus sublimes et des larmes d’attendrissement perlaient sous ses lunettes. 23
  • 24. Ils continuèrent longtemps avant de parvenir à la clôture du pré. Le poney était épuisé. Le musicien avait les gants en charpie à force d’avoir joué. Ils étaient tous deux ivres des grands espaces parcourus, saouls de sensations nouvelles. Ils s’écroulèrent à l’orée du bosquet. Plus loin, un pré identique s’étendait jusqu’à l’horizon d’un nouveau bosquet. Le banjoïste, après réflexion, renonça à faire sauter la clôture à sa monture, qui fut très soulagée de ne pas avoir à se ridiculiser en s’empêtrant les pattes dans la barrière, car si le poney se sentait une âme d’alezan, il n’en avait pas tout à fait les moyens. Les grands voyages étant propices à la philosophie, le banjoïste se mit à philosopher. Après tout, se dit-il, ce qui compte dans le voyage, c’est le départ. La suite, c’est tout le temps pareil : on avance, on avance et c’est toujours un peu la même chose. Une fois qu’on a vu le pré, on a tout vu. Rien ne ressemble plus à un bosquet qu’un autre bosquet. Alors forcément, la musique est triste. Le cow-boy et son cheval sont solitaires. Le soleil rougeoie toujours à l’ouest. Inutile d’aller plus loin. On peut très bien voyager rien qu'ici. Une fois reposés, le cavalier, son banjo et sa monture reprirent leur route mélancolique de long en large du pré. Leur propriétaire les retrouva le lendemain soir tout à l’autre bout du champ; l’épouvantail en équilibre précaire sur son poney jouait du banjo et faisait entendre une mélopée poignante : « And so I got my banjo out, just sittin' and collectin' dust. » Pendant ce temps, les oiseaux se régalaient de mangues en s’étranglant de rire. Le riche propriétaire en fut très fâché et, inutile de le dire, le joueur de banjo fut viré aussi sec. Et zou ! Au grenier ! 24
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  • 27. Regardez bien la contrebassiste. Pas seulement sa contrebasse faite d'un chevalet de peintre et de cintres, pas seulement ses cheveux en balai à franges roses. Regardez son visage et, juste au-dessus, la petite trompette posée sur son chapeau, l’air de rien… Et pourtant ! On ne voit qu’elle. C’est que la pauvre contrebassiste est en réalité une trompettiste manquée : elle aurait tant voulu trompeter. Elle se rêvait en Louis Armstrong galvanisant les foules au cours de jam-sessions d’enfer dans des caves à jazz de Chicago. Ça ne s’était pas fait et voilà qu’elle était bêtement contrebassiste… Mais qui sait ? Peut-être qu’avec le temps, la petite trompette sur son béret se mettrait à grandir jusqu’à la bonne taille et la contrebassiste lâcherait sa contrebasse pour entonner « Hello Dolly1 » à pleins poumons… Mais en attendant, elle fut vendue sur le marché comme les autres. Elle plut beaucoup à un artiste-peintre qui ne la voulait pas comme épouvantail à oiseaux, mais comme muse pour son atelier, dans la grande ville. Il l’installa sous le couvert de sa terrasse vitrée et lui demanda de jouer, tandis qu’il peignait, assisté de son chat, le cinquième panneau de son œuvre monumentale : les douze travaux d’Hercule2, figurés symboliquement par d’énormes hiéroglyphes fluorescents hérissés de brins de paille laqués de noir. Il en était à la finition du hiéroglyphe signifiant « écurie très sale » quand il se sentit soudain fatigué. Plus que fatigué : épuisé. Plus qu’épuisé : anéanti, écrabouillé, lessivé, foudroyé de fatigue. Soulever son pinceau, c’était trop d’effort; d’ailleurs, ses yeux se fermaient tout seuls. Le peintre s’endormit comme une masse, debout devant son chevalet, et glissa doucement par terre. Le perroquet du peintre dans sa cage, le chat dans les bras de son maître, la souris entre les pattes du chat, tous s’endormirent de la même façon, subitement. Même les araignées aux aguets au milieu de leur toile lâchèrent prise et tombèrent au sol. Juste en dessous de la terrasse, la rue fut le théâtre d'un énorme embouteillage : toutes les voitures s’étaient arrêtées brusquement, provoquant un carambolage géant. Plus personne ne bougeait. Les piétons dormaient sur les trottoirs et les automobilistes dans leur voiture. Et de tout ce chaos immobile montait une profonde rumeur, le ronflement doux et cadencé de toute la ville endormie. Pendant ce temps, la contrebassiste continuait de jouer un air que nul ne pouvait percevoir, tant les notes étaient graves. Il s’échappait de son instrument de profondes vibrations qui avaient le pouvoir d’endormir aussitôt tous ceux qui se trouvaient dans les parages. La contrebasse était prodigieusement somnifère. Un sommeil heureux, musical et apaisé s’emparait des gens et des bêtes qui ronflaient au rythme des sons insaisissables de l’ensorcelant instrument. La contrebassiste joua longtemps, attendant toujours qu’on lui ordonne de s’arrêter. Mais tout le monde dormait. Ce fut le chat du peintre qui sauva la situation. Car comme vous le savez, les prodiges (pas plus que le temps) n’atteignent particulièrement les chats, car ils sont maîtres en la matière, et aucun sortilège ne saurait les 27
  • 28. affecter longtemps. Le chat ayant bien dormi se réveilla et se trouva contrarié par les vibrations de la contrebasse qui lui picotaient les moustaches. Il miaula sèchement à la contrebassiste de cesser de jouer et de laisser ses cordes tranquilles. Aussitôt tout le monde se réveilla. L’agent de police saisi par le sommeil le sifflet à la bouche, les automobilistes derrière leur volant, les gens allongés sur le trottoir, les araignées tombées sur le carrelage, la souris entre les pattes du chat, le perroquet dans sa mangeoire et le peintre, son pinceau coincé sous sa joue; tous s’éveillèrent en même temps. On se posa beaucoup de questions. Les gendarmes enquêtèrent et les journaux en parlèrent. La télévision fit même un reportage. Le peintre, qui n’avait jamais aussi bien dormi, contempla son grand tableau et constata objectivement qu'il était complètement raté. Il le mit au rebut et décida de partir en voyage : il était plus doué pour cela que pour la peinture, pas la peine de s’illusionner davantage. Le peintre repenti n’avait plus besoin de la contrebassiste puisqu’il ne pouvait l’emmener avec lui. Alors, inutile de le dire, elle fut virée aussi sec. Et zou ! Au grenier ! 28
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  • 31. C’est un accordéoniste spectaculaire qui sortit de l’atelier du musipouvantailleur. Sa chemise rouge et or s’harmonisait parfaitement avec la cuvette rouge qui lui servait de chapeau, et ses gants bleus répondaient au bleu de sa tête rectangulaire faite d’une poubelle de salle de bain. Le pinceau qui lui faisait une jolie moustache pointait vers l’accordéon constitué d’un clavier d’ordinateur blanc et d’une vieille machine à écrire rouge. Il tapa dans l’œil d’un maraîcher qui voulait protéger sa plantation de pruniers. Le maraîcher ne pouvait pas le deviner, mais il avait fait un très mauvais achat. Le musipouvantail accordéoniste était par principe contre le renvoi des oiseaux chez eux. Il les appréciait et trouvait qu’ils avaient le droit de vivre ici comme tout le monde, puisqu’ils faisaient partie de la nature. Il y avait bien assez de prunes pour les partager entre tous, hommes et oiseaux, non ? On l’avait mis là sans lui demander son avis, alors il était bien décidé à saboter le boulot. De toute manière, tout ce qui l’intéressait, c’était l’accordéon. Il était accordéoniste par passion et savait que les oiseaux, c’est un fait, adorent le son de l’accordéon. Ça leur fait danser l’âme et ça leur donne de petits frissons qui leur rebroussent délicieusement les plumes. À peine posté sous les arbres, il se mit à jouer sans même s’occuper de son nouveau propriétaire; de toute façon, la plupart des gens ordinaires ne sont pas capables de percevoir les sons de l’accordéon des musipouvantails. Seuls les oiseaux et les enfants y parviennent. Et parfois, certains adultes particulièrement poètes. Vous qui nous lisez, vous êtes peut-être juste assez poètes pour entendre cette musique… Dès que l’accordéoniste commença à jouer, tous les oiseaux des alentours dressèrent les plumes qui leur cachaient les oreilles, attentifs. « Wouah ! C'est trop beau ! Ça vient d'où ? demanda un moineau au rouge-gorge d'à côté. — Du verger làbas; viens, on y vole, cette musique, ça me fait planer ! » En un clin d'ailes, ils se retrouvèrent dans une véritable volière en compagnie de tous les piafs, mésanges, grives, pinsons et autres volatiles du pays, serrés sur les branches des pruniers. Mais, fait rare pour une réunion d'oiseaux, tous étaient silencieux, pas un pépiement ne se faisait entendre. L'accordéoniste en les voyant fut pris d'un terrible accès de mélancolie : « Je ne suis qu'un pauvre épouvantail cloué au sol, dans la boue des jardins, les pieds chatouillés par les souris, avec pour seul horizon une rangée de pruniers. Alors que j'aurais tant voulu fendre les airs en tourbillonnant, glisser sur le vent comme sur un toboggan, monter d'un coup d'aile jusque dans les nuages, sautiller sur un rebord de fenêtre pour guigner les humains… être libre comme l'air, gai comme un pinson, bavard comme une pie, moqueur comme un merle. Mais je ne suis qu'un triste accordéoniste. » 31
  • 32. L’air qu’il jouait devint si nostalgique que peu à peu, tous les oiseaux fondirent en larmes. Avez-vous déjà vu des larmes d’oiseaux ? Ce sont de bien jolies larmes. On dirait des petites étoiles, elles brillent et scintillent en roulant doucement sur les feuilles et les fruits. Là, elles se transforment en caramel salé, et si vous avez la chance de manger un jour une de ces prunes enrobée de larme d'oiseau, elle vous fondra dans la bouche avec un goût de roudoudou, mmmmmmmmm… L’accordéoniste joua jusqu’à la nuit tombée. Les oiseaux versèrent tant et tant de larmes délicieuses que les prunes en furent toutes recouvertes. Quand le maraîcher vint inspecter ses arbres le lendemain matin, il n'en crut pas ses yeux. Tous ses fruits étaient devenus de grosses perles irisées et craquantes brillant au soleil. C'était magnifique, mais pour cet homme-là, l'esthétique comptait peu et tout ce qu'il voyait, c'était que sa récolte étaient devenue immangeable. Du moins le crut-il, car il eut le grand tort de ne pas y goûter. De toute façon, il n'avait plus l'âge d'aimer le goût du roudoudou. Il ne lui restait donc plus qu'à tout jeter. Il en fut très fâché et, inutile de le dire, l’épouvantail à l’accordéon fut viré aussi sec. Et zou ! Au grenier ! 32
  • 33. LE CARILLONNEUR Sordo senza brillante À Jacques Plainfossé 33
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  • 35. Ce musipouvantail-là ne passe pas inaperçu. On le voit de très loin, avec sa veste jaune soleil, si éblouissante qu’il doit porter des lunettes de soudeur de jour comme de nuit. Les cloches de son carillon tubulaire 1 sont des quilles de plastique aux couleurs éclatantes. Au marché, il ne tarda pas à être acheté par un vigneron qui le voulait pour se débarrasser une fois pour toutes des piafs et autres moineaux qui décimaient ses raisins. Le vigneron avait ses propres idées sur la façon d’éloigner les oiseaux : puisqu’ils volaient en l’air, il fallait mettre l’épouvantail en l’air lui aussi, pour qu’il effraie les volatiles directement là d’où ils venaient. Il le jucha au sommet d'un très long pieu en bois, perché à dix mètres au-dessus des ceps. Il comptait sur le ramdam de l’instrument pour éloigner radicalement le moindre oiseau ayant l’outrecuidance de survoler sa vigne. Hélas, le vigneron se trompait sur toute la ligne. D’abord, parce que les bêtes à plumes n’étaient pas si bêtes qu’il le pensait. Certes, un peu effrayés par le curieux attirail de cet épouvantail perché, les oiseaux eurent vite fait de comprendre qu’il leur suffisait de passer par-dessous, de sautiller à la hauteur des ceps et de voler en rasemottes pour picorer sans le moindre risque. Le festin des piafs et autres moineaux, interrompu un bref instant, reprit donc de plus belle. Ensuite, le vigneron ignorait que le son des baguettes sur des quilles de plastique multicolores est si mat qu’aucune oreille d’oiseau ne peut le percevoir, ou alors très fugitivement, comme un désagrément qui leur fait grincer du bec, sans plus. Mais le vigneron était si confiant dans l’ingéniosité de son dispositif qu’il ne vint pas inspecter sa vigne avant qu’il ne fût trop tard. Pendant ce temps, la parcelle de vigne était le théâtre d’un double carnage. Les raisins étaient mangés par les oiseaux et ceux-ci étaient mangés par les chats du voisinage, qui voyaient leur chasse grandement facilitée par l’approche au sol et en rase-mottes des piafs et autres moineaux. Écœuré par le spectacle, le carillonneur décida de tourner son regard vers le ciel et les étoiles, où les mœurs semblaient autrement plus civilisées. Il cessa de jouer de jour, préférant dormir pour échapper aux horreurs qui se déroulaient à ses pieds, mais chaque nuit, il donnait un concert à l’intention des astres. Après un long voyage dans l’espace, les notes de musique parvinrent jusqu’aux étoiles qui n’avaient jamais rien entendu de plus beau que l’écho de ces vibrations délicieuses venues de la Terre, ni de plus doux, ni de plus nostalgique que le son mat des baguettes sur le plastique. Pour mieux écouter, elles projetèrent aussi loin que possible leurs branches scintillantes, puis pour mieux entendre encore, elles se mirent en route à travers la nuit, convergeant tout ouïe au-dessus de la Terre. 35
  • 36. Ce fut une nuit fantasmagorique. Le ciel était si rempli d’étoiles que leur clarté chassait l’obscurité. Personne ne comprenait rien à ce qui se passait et les astronomes se trituraient la barbe avec perplexité. Le carillonneur au comble du bonheur jouait, et jouait encore. Les étoiles se rapprochèrent tant et si bien que la branche de l’une d’elles toucha la Terre et quelques fées en profitèrent pour débarquer clandestinement, mais ça, c’est une autre histoire. Cela dura jusqu’à ce que les garnements du village y mettent fin. En quête d’une bêtise à commettre, ils entamèrent un jeu de massacre aux dépens du carillonneur. Une à une, les quilles colorées du carillon se décrochèrent sous l’assaut des balles et s’écrasèrent au sol en poussant des cris déchirants. Terrifiées, les étoiles prirent la fuite jusqu’aux confins de l’Univers. Et ce fut la nuit la plus noire de toutes les nuits noires qu’on ait pu connaître de mémoire d’homme. Plus une seule étoile dans le ciel. Personne n’y comprenait rien et les astronomes s’arrachaient les cheveux avec perplexité. Le carillonneur, sans public et sans instrument, se désespérait. Seule la Lune, cette opportuniste, ne tarda pas à tirer parti de la situation. Désormais sans concurrence, elle enfla de satisfaction et devint si pleine qu’il s’en fallut de peu qu’elle n’éclatât. Boursouflée et arrogante, elle baignait les nuits terrestres de sa lumière froide qui faisait hurler les bêtes et donnait des cauchemars aux hommes. Alors, l’étoile la plus proche de la Terre, Proxima du Centaure, remit la Lune à l’ordre en la piquant de sa branche la plus pointue, juste assez pour la faire dégonfler, et les astres revinrent occuper leur place habituelle. Les astronomes recollèrent leurs cheveux et recoiffèrent leur barbe, tout en restant perplexes sur ces mystères que personne ne sut jamais expliquer. Mais pour notre pauvre carillonneur, la situation était catastrophique. Quand le vigneron vint enfin inspecter sa vigne, il ne restait plus un seul grain de raisin. Les chats, devenus obèses, dormaient comme des souches au pied des ceps. L’épouvantail dégarni faisait triste mine sur son estrade et il n’avait manifestement servi à rien. Alors, inutile de le dire, le carillonneur fut viré aussi sec. Et zou ! Au grenier ! 36
  • 37. LES TROMPETTISTES Piu brillante À Clément et Laurine 37
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  • 39. Et voici les trompettistes. Ces musipouvantails-là ont comme un air de famille, avec leur tête en forme d’arrosoir à l’envers, grand, petit, moyen, rouge, bleu, argenté, fleuri ou métallisé. Chacun d’eux a sa personnalité. Celui-là, avec sa chemise orange et sa trompette noire et or, c’est le papa. On ne le dirait pas, à le voir comme ça, mais c’est un grand sentimental. Son créateur l’avait assemblé dans son atelier, habillé, coiffé et chaussé. Dès qu’il lui mit ses lunettes sur le nez, le trompettiste ouvrit les yeux et s’éveilla complètement à la vie. Il aperçut alors un petit garçon et une toute petite fille qui le regardaient de leurs grands yeux bleus. Il en fut émerveillé. Le petit garçon dit : « Toi, t’es trompettiste comme papa et grand-père ! et la toute petite fille le montra du doigt en disant : Là ! ». Une voix grave au-dessus des enfants confirma : « Oui, c’est ça. Trompettiste, je te présente mes petits-enfants, Clément et Laurine ». Le musipouvantail souffla dans son instrument pour saluer, mais comme il n’était pas encore bien accordé, il n’en sortit qu’un affreux couac et les enfants pouffèrent de rire. La petite Laurine toucha le bas de sa chemise en levant les bras bien haut; Clément lui fit des grimaces pour voir s’il en riait. Mais le trompettiste ne savait pas rire, et d’ailleurs, comment rire avec une trompette, je vous le demande ? Pour montrer qu’il appréciait les grimaces, souffler dans sa trompette était la seule chose qu’il savait faire, alors il fit toute une série de couacs pour répondre aux mimiques des enfants : « couac ! crouik ! couic ! ». Les enfants le trouvèrent si drôle que Laurine en réclama un second : « Grandpère, un autre ! — Une autre, on va lui donner une compagne, répondit la voix grave. » Le lendemain, une trompettiste au chapeau rose se tenait avec élégance à côté du trompettiste en orange. Un duo de trompette retentit dans la véranda, un duo magnifique et bien synchronisé : faits l’un pour l’autre, ces deux-là s’étaient tout de suite accordés et l’on n’entendit plus le moindre couac. 39
  • 40. « Nous avons les parents, se dit le musipouvantailleur, pourquoi ne pas compléter la famille ? » Trois enfants trompettistes émerveillèrent bientôt Clément et Laurine : un garçon à marinière blanche, une fille tout en rose et une petite dernière aux bas rayés multicolores. Mais à la grande déception des enfants, les trompettistes furent mis en vente sur le marché. Ils espéraient que les parents d’une famille nombreuse les achèteraient pour qu’ils puissent jouer avec leurs enfants. Mais ce fut une vieille grand-mère qui les prit tous pour protéger son champ de fraises des merles voraces. Les cinq trompettistes furent installés tout près du chemin qui conduisait à l’école du village. Un long supplice commença pour eux : non seulement ils trouvaient le temps long, mais ils voyaient quatre fois par jour passer Clément et Laurine qui sautillaient et couraient le long du chemin avec leurs cartables sur le dos. Les enfants leur faisaient des signes d’amitié, mais les musipouvantails ne pouvaient que leur répondre d’une note gaie de leur instrument; ils auraient bien voulu jouer avec eux, mais comment faire pour les rejoindre ? Le papa trompettiste se désespérait et maigrissait tant que ses habits flottaient autour de lui. Sa compagne était si triste que sa belle blouse rose en fut toute ternie. Les enfants pleuraient dans leur trompette, ce qui faisait rire les oiseaux sans les effrayer le moins du monde. Un beau jour, le trompettiste se pencha si fort du côté du chemin qu’il faillit tomber à la renverse. Pour se retenir, il eut le réflexe d'avancer une jambe. Tout étonné, il vit qu’il avait fait un pas. Il fit de même avec l’autre jambe : il avait fait un second pas. Il poussa une note triomphale à la trompette. Il savait marcher ! Il se hâta d’apprendre à sa compagne et à ses enfants à faire de même. L’élégante trompettiste eut très peur de tomber et de salir ses beaux atours, ce qui aurait été très dommage, en effet. Mais finalement, elle se décida à avancer à petits pas prudents en direction du chemin. Ils allaient enfin pouvoir rejoindre les enfants ! Les voici justement qui apparaissaient au détour du virage. Tout enthousiastes, les petits écoliers conduisirent la famille trompettiste à l’école maternelle. Ils firent une entrée triomphale, entourés d’une douzaine de gosses réjouis et de Clément et Laurine accrochés aux pans de leurs habits. La maîtresse, ravie de l’aubaine, les accueillit très gentiment et les installa à la place d’honneur, au centre de la classe. Toute la matinée, on chanta et dansa autour des cinq musipouvantails. Ils étaient si heureux qu’ils émirent quelques pouets de bonheur, et jouèrent aussi les airs préférés des enfants. L’après-midi, les trompettistes se reposèrent bien au chaud, tandis que la maîtresse détaillait de quoi ils étaient faits : des arrosoirs, une cuvette renversée, des ronds de serviette, des bouteilles de plastique vides, et bien d’autres choses encore que nous tiendrons cachées, car ce sont des secrets de fabrication ! 40
  • 41. Mais hélas, à la fin de la classe, les enfants rentrèrent chez eux et la maîtresse, qui avait reconnu les trompettistes, les rapporta chez la vieille grand-mère, leur légitime propriétaire. La vieille dame n’était pas enchantée de récupérer ces épouvantails fugueurs et désespérés qui pleuraient dans leur trompette et réclamaient de retourner à l’école avec les enfants. De toute façon, ils avaient été incapables d’éloigner les merles qui ne les craignaient pas. Alors, inutile de le dire, les cinq trompettistes furent virés aussi sec. Et zou ! Au grenier ! 41
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  • 43. LA BATTEUSE Staccato agitato À Gilles & Annick Dalbis 43
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  • 45. Chez les musipouvantails, le batteur est une batteuse, une percussionniste pas tout à fait comme les autres. D’abord, elle trône assise derrière sa belle batterie blanche. Et surtout, mais cela ne se voit pas tout de suite, elle déborde de vitalité, elle en a tant qu’elle en a trop; quand elle joue, on croirait voir s’envoler les cymbales et exploser les tambours. On pense qu’elle a été fabriquée un jour où le musipouvantailleur était de si bonne humeur qu’il a dû forcer un peu sur l’énergie vitale qu’il lui donna. Il faut dire qu’il n’avait pas lésiné sur le matériel : des couvercles de casserole en guise de cymbales, un tamis de maçon comme caisse claire, des seaux pour les toms, de splendides tapettes à mouches pour les baguettes et un plateau de table de jardin renversé pour la grosse caisse qu'il avait décorée de la photo du Boss, le plus grand « drummer » de tous les temps. Au marché, un amateur de musique rythmée trouva amusant de l’acheter pour la poser dans son jardin. Juste comme ça, pour décorer, car il n’avait rien à protéger des oiseaux. La batteuse fut somptueusement installée au milieu de la pelouse, à côté de la mare, près des chaises longues de son propriétaire. On lui expliqua qu’elle n’avait rien à faire, sauf être jolie et agrémenter le jardin de sa lumineuse présence. Tout alla très bien pour commencer. Les invités de la maison se relayaient pour l’admirer jusqu’à ce que l’un d’eux trouve malin de frapper sur l’un de ses tambours. Il ne savait pas ce qu’il avait déclenché. Lorsqu’elle entendit le son du tambour, la musipouvantaille qui s’ennuyait ferme sur la pelouse retrouva d’un coup ses instincts de musicienne. Une baguette, puis l’autre se soulevèrent et s’abattirent sur la batterie et ce fut le début d’un charivari échevelé, d’un tohu-bohu tonitruant, d’un furieux raffut et d’un barouf ébouriffant. Les baguettes dansaient comme des éclairs sur les instruments malmenés. Les cymbales trépidaient aux éclats et les tambours roulaient en rafale. La batteuse en délire secouait la tête comme une possédée. Il fut impossible de l’arrêter. 45
  • 46. Pendant des heures et des heures, animaux et humains se tinrent le plus loin possible du jardin et de la percussionniste. Mais l’air et le sol transmettaient les vibrations. Il y eut des crises de nerfs chez les mulots, les taupes devinrent complètement sourdes, le chat de la maison déménagea pour toujours et le chien hurla à la mort. Même les plantes furent gravement incommodées, d’autant plus qu’elles ne pouvaient pas fuir : les tournesols rentrèrent la tête sous terre, les rosiers se replièrent sur euxmêmes au point qu’il fut impossible de démêler leurs branches accrochées par les épines. Le propriétaire et sa famille s’étaient enfoncé plusieurs couches de coton dans les oreilles et les plus téméraires des invités tentaient de s’approcher de la musipouvantaille pour lui confisquer ses baguettes. Mais ce n’était pas chose facile, car cellesci bougeaient si vite qu’on ne les voyait même plus. Le chien finit par sauver la situation bien involontairement. Devenu presque fou, il zigzaguait en hurlant sur la pelouse et dans son affolement, il bouscula la batteuse. Elle se retrouva dans la mare, tous ses fûts, tambours et cymbales renversés sur la pelouse... Le silence qui suivit était irréel, d’autant plus étrange que la musipouvantaille immergée jusqu'à la taille dans l'eau vaseuse continuait de frapper dans le vide, encore et encore, en balançant la tête, encore et encore… Sans sa batterie, la batteuse endiablée et ruisselante perdait tout son intérêt et dans ces conditions, inutile de le dire, elle fut virée aussi sec, si l'on peut dire. Et zou ! Au grenier ! 46
  • 47. LE PUNK Eletrico e furioso À Monique Masini 47
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  • 49. Celui-ci, c’est le punk. On s’en doute bien, à voir la brosse rouge du balai surmontant l’arrosoir qui lui sert de tête. Il arbore des piercing en forme d’épingle à nourrice et deux boucles d’oreilles agressives : une seringue et un couteau suisse. Brrr… Quand le punk joue de sa bouée en forme de guitare électrique… eh bien, ça décoiffe ! Il fut vendu à un fermier qui cherchait pour son champ un épouvantail vraiment épouvantable. Lorsqu’elle l’aperçut sur le marché, sa petite fille eut si peur qu’elle se mit à pleurer. Alors le fermier se dit que ça devait coller, car les oiseaux, ce n’est pas si différent que ça des petites filles, non ? Il partit avec le punk sous le bras. Celui-ci était furieux : « Ça, c’est le comble, me faire acheter par un bouseux arriéré et me retrouver seul en pleine cambrousse, à faire le tincré au milieu des poireaux ! Encore heureux que j’aie ma guitare ! Je vais te les réveiller, moi, ces péouses qui ne connaissent même pas Guérilla Poubelle 1 ou Les Béruriers Noirs2 » ! Sitôt planté dans son champ, il profita de la nuit tombée pour aller discrètement brancher sa guitare sur le circuit électrifié de la clôture. Et à cinq heures du matin, il commença son concert. Il avait tellement « boosté » sa guitare que c’était à peine si l’on distinguait quelques notes derrière les vibrations. On aurait dit un concert de marteaux-piqueurs sur trois tons. Il en vibrait tant lui-même que les yeux lui sortaient de la tête et que ses cheveux lançaient des éclairs. Ce fut très efficace contre les oiseaux. Ça, rien à dire ! Mais pour le reste, quelle débâcle ! Les quarante vaches broutant dans le pré furent saisies de tels tremblements que leur lait tourna en beurre : pour les traire, le fermier dut chauffer leurs mamelles au sèche-cheveux afin de faire couler le beurre fondu par les pis. Et que vous voulez-vous qu’il en fasse, de tout ce beurre fondu, je vous le demande ? Mais là n’était pas le pire : toutes les chèvres s’échappèrent d’autant plus facilement que la clôture n’était plus électrifiée, puisque tout le courant passait dans la guitare. Elles filèrent si loin que le fermier ne les retrouva jamais. Et les insectes ! Ils moururent tous en même temps, foudroyés par les décibels. Plus une seule abeille pour polliniser les plantes, plus de coccinelles pour manger les pucerons. 49
  • 50. Finalement, du champ voisin décolla une escadrille de frelons kamikazes. Ils foncèrent droit sur la guitare du punk et la firent éclater en la transperçant de leurs dards acérés. La guitare eut un court circuit et explosa. On entendit mourir les paroles de la chanson du punk secoué : « Aujourd’hui j'suis punk c’est plus marran… an..an..ant ». Sa guitare anéantie, le punk en colère cria : « No future3 ! » et s’écroula dans l’herbe. C’est ainsi que le fermier le trouva un peu plus tard, dormant au milieu des abeilles mortes et des vaches énervées. Il en fut très fâché et, inutile de le dire, le punk à la guitare fut viré aussi sec. Et zou ! Au grenier ! 50
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  • 53. Dans tout orchestre, il faut un violoniste. Ou mieux encore, une violoniste. Le musipouvantailleur en façonna donc une, mais quel tintouin elle lui donna ! C’est qu’elle n’était jamais satisfaite. Elle n’aimait pas du tout la tête qu’on lui avait faite. Et ce chapeau panier ! Qui porte encore aujourd’hui des chapeaux paniers ? En plus, on l’avait faite trop grosse; ses cheveux étaient ridicules; l’archet de son violon trop fin… Douze fois le musipouvantailleur remit l’ouvrage sur le métier. Onze fois la violoniste fit au mieux la moue, au pire, une scène. De lassitude, il faillit renoncer, mais comment concevoir un orchestre sans violon ? Il finit par comprendre que sa violoniste voulait des vêtements à fleurs pour accompagner les romances susurrées par son instrument dans les jardins des palais royaux où elle se voyait déjà jouer. Bon, elle trouvait que sa perruque jaune aurait pu être plus chic, mais ça irait. Son port de reine ferait oublier ce petit défaut. Par contre, son violon était parfait : la scie à métaux rouge et bleue était un excellent archet et le soufflet de cheminée se laissait si bien tenir en main dans ses moufles jaunes ! Elle fut vendue au marché à un paysan qui avait trois petites filles adorant les fleurs, qui repérèrent tout de suite la violoniste. Ce n’était pas le palais royal dont elle rêvait, mais elle se crut achetée par trois fées vêtues de ciel des pieds à la tête, avec souliers vernis et sac de perles pervenche assortis. Ce n'était donc pas si mal. On la plaça au milieu d’un verger. C’est alors que survint un gros problème : lorsqu’elle voulut racler son violon pour éloigner les corneilles (qui détestent cet instrument bon pour les mésanges ou les pinsons), la violoniste s’aperçut qu’elle ne savait pas en jouer. Son créateur avait oublié de lui donner ce talent. Le violon allait devoir rester muet, laissant la violoniste désœuvrée et pleine de regrets. De temps en temps, elle était certes distraite par les trois petites fées qui venaient s’amuser auprès d’elle. Mais le reste de la journée, elle s’assoupissait pour faire passer le temps. Toutefois, ce temps ne fut pas perdu pour tout le monde. Une petite chatte noire, si menue qu’elle en était minuscule, cherchait dans le verger une cachette sûre pour y abriter ses chatons à naître. La violoniste endormie paraissait lui offrir d’intéressantes possibilités. Elle décida de faire ses petits sous les pieds de la musipouvantaille et de les dissimuler ensuite à l’intérieur du violon. Le lendemain, la chatte glissa à travers les ouïes 1 du violon trois chatons nouveau-nés lilliputiens. Elle les laissa là, le temps de vaquer à quelques-unes des activités essentielles à la vie féline, comme grincer des dents en regardant les oiseaux, se laver consciencieusement derrière les oreilles et sous les pattes, courir après un lézard et surtout, dormir longuement. Lorsqu’elle revint, elle s’allongea sur le violon et appela ses minous pour la tétée. Mais couchés tout au fond de l’instrument, ceux-ci étaient incapables de remonter jusqu’à elle. La chatte n’avait pas bien réfléchi. « Tant pis, se dit-elle, à la garde de Dieu, et si ces petits chatons-là sont perdus, il n’y aura qu’à en faire d’autres ». Elle s’en alla d’un pas faussement indifférent, un peu vexée tout de même. « La maternité, c’est pas mon point fort, je ne maîtrise pas encore bien le sujet ». 53
  • 54. Il advint cependant qu’une petite souris grise qui passait par là entendit les appels déchirants des chatons délaissés. N’écoutant que son instinct (car cette souris-là était, quant à elle, une mère chevronnée), elle grimpa sur le violon et se faufila par les ouïes jusqu’aux pauvres petits. Elle les réchauffa, les réconforta et finalement, les nourrit de son bon lait de souris même si elle peinait à suivre, tant les minous étaient gloutons. La violoniste ne s’aperçut de rien tandis que la petite famille prospérait. Une fois qu’ils furent un peu plus gros, la souris les sortit du violon et les installa dans les moufles pour les materner un peu plus au large. C’est alors que la violoniste, brusquement réveillée, lâcha son instrument et se mit à agiter les bras comme une hystérique, car les petites pattes des chatons lui démangeaient terriblement les doigts. Tout le monde accourut pour voir ce phénomène. Ce fut amusant quelques jours, puis les trois petites fées bleu ciel se lassèrent. Un beau matin, une étrange procession sortit des moufles de la violoniste : une souris grise à l’air fatigué, mais contente, suivie de trois chatons gris à queue de souris, qui couinaient comme des souris, ouvrant tout grand leurs yeux de chat aux pupilles fendues. Ils ronronnaient du bonheur de partir à la découverte du vaste monde. La violoniste put enfin cesser d’agiter les bras et se rendormit aussitôt. Le paysan constata que la violoniste, non seulement ne savait pas jouer, mais qu'en plus elle était inefficace comme épouvantail, car elle dormait tout le temps et les oiseaux ne la craignaient pas. Alors dans ces conditions, inutile de dire qu’elle fut virée aussi sec. Et zou ! Au grenier ! 54
  • 55. LE CHARMEUR DE SERPENTS Lascivo e rettile À Suzanne Barennes 55
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  • 57. Et voici l’Indien, l'épouvantail charmeur de serpents 1. Comme tous les musipouvantails, il est un petit peu magicien. Son talent magique consiste à hypnotiser un redoutable serpent à lunettes prêt à mordre, un naja en flexible de douche (ce sont les reptiles les plus dangereux !), ondulant lentement au son du pungi2 et agitant sa langue fourchue, ses yeux fixes d'animal à sang froid devenant comme deux gouttes de mercure sous l’effet de la transe. Sitôt sur le marché, le musicien eut un énorme succès. Il fit son numéro mainte et mainte fois, entouré d’un cercle de badauds émerveillés par la pureté de la musique et les oscillations sinueuses du reptile dont les écailles argentées étincelaient au soleil. On se battait pour l’acheter. Le directeur d’un cirque ambulant remporta la bataille, car le créateur du charmeur de serpent avait depuis toujours un faible pour la piste. Mais dans cirque-là, on vivait à la dure. L'Indien et son naja passèrent une nuit glaciale debout dans un coin venté de la Place des Fêtes, à somnoler et à grelotter en attendant impatiemment l’arrivée des rayons du soleil. Ce fut la pluie qui les réveilla. Le charmeur de serpent habitué au climat chaud de l’Inde attrapa un refroidissement. Il était incapable de souffler dans son instrument tant il était enrhumé. Quand le directeur du cirque le vit dans cet état, il le remisa bien au chaud dans sa roulotte pour lui laisser le temps de se soigner avant la prochaine représentation. Un énorme chat noir se glissa furtivement vers lui et se coucha sur sa poitrine pour mieux lui réchauffer les bronches. Le lendemain soir, l'Indien était suffisamment guéri pour assurer son numéro de charmeur et il fut conduit en grande pompe jusqu’au milieu de la piste par deux écuyères blondes et vêtues de paillettes. Monsieur Loyal 3 et l’orchestre annoncèrent bruyamment son numéro. Impressionné, le charmeur de serpent souffla dans son pungi et fit une ou deux fausses notes, mais il se reprit rapidement et joua enfin la musique qu’il fallait pour que le naja sorte la tête de son panier. Il joua, joua, mais le serpent restait caché. Impatient, il secoua brusquement la corbeille d'osier et l’on vit enfin émerger un petit bout de langue fourchue toute tremblotante, suivie de la petite frimousse du reptile frissonnant aux yeux battus. 57
  • 58. L'Indien avait passé son rhume au serpent à lunettes qui, malgré son sang froid et ses écailles waterproof, avait une fièvre carabinée. Au son de la musique, le naja tout entier se déroula dans des soubresauts pitoyables et fit une tentative d’enroulement gracieux et d’ondulation langoureuse qui se transforma en un zigzag désordonné. On aurait dit qu’il avait la danse de Saint-Guy. Il se mit alors à éternuer et je ne sais pas si vous avez déjà vu un éternuement de serpent, mais je peux vous affirmer que ce n’est pas agréable : sa poche à venin projette des gouttelettes de poison dans toutes les directions et mieux vaut ne pas être dans les parages ! L'Indien tout immunisé qu’il fût, en resta paralysé pour plusieurs heures. On l’emporta rapidement dans les coulisses où il fut abandonné comme un pestiféré dans un recoin sombre. Le numéro était un fiasco. Dans nos climats capricieux, exhiber un charmeur de serpent contagieux affublé d’un serpent à lunettes à la santé fragile, c’était assurément une folie, constata le directeur du cirque. Alors, inutile de le dire, l'Indien fut viré aussi sec. Et zou ! Au grenier ! 58
  • 59. LE CHEF D'ORCHESTRE Imperioso À Daniel Nicolet 59
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  • 61. Le vieux musipouvantail aux cheveux blancs et à la moustache imposante faite d’un cordon électrique en spirale, c'est le chef d’orchestre. Il naquit dans l’atelier du musipouvantailleur en même temps que tous les autres; mais en réalité, tout au fond de lui, il était très, très vieux. Son esprit avait erré de longues années, des siècles et des millénaires, avant de trouver où se poser pour donner toute la mesure de son talent. Mais ça, l’artiste ne le savait pas… Il fut vendu sur le marché comme ses camarades, mais resta plus longtemps sans trouver preneur. Il fixait les badauds de ses yeux de billes de verre, si froids que les amateurs d’épouvantails se sentaient mal à l’aise. Il fut finalement acheté par un père de famille nombreuse dont les six enfants étaient très turbulents, et qui comptait sur l’air sévère du maestro pour les impressionner et les faire marcher à la baguette. Si en plus de ça, il éloignait les oiseaux, ce serait encore mieux. Le chef d’orchestre fut placé au beau milieu de la pelouse de la villa familiale, face à la cabane de jeu des enfants et près d’un banc pour les adultes qui les surveillaient. Les affreux jojos se précipitèrent pour jouer avec lui; les plus petits maculèrent ses beaux pantalons jaunes de leurs doigts pleins de chocolat et les plus grands se hissèrent sur la pointe des pieds pour lui tirer la moustache. Le vieux maestro trouva cela insupportable. Il était trop âgé pour subir de telles atteintes à sa dignité. Il allait faire cesser ces amusements grotesques : c’était le moment d’user de tous ses talents. Il leva bien haut sa baguette en antenne de radio, l’abaissa et commença le premier mouvement de sa Grande Symphonie1 du Temps. Car nul ne le savait, mais ce chef d’orchestre-là était si vieux qu’il savait diriger le Temps. D'abord, il le suspendit. Tout s’arrêta net. Les enfants restèrent figés autour de lui, leurs parents immobilisés en pleins travaux de jardinage; le chien resta bloqué une patte levée, les oiseaux et les insectes demeurèrent accrochés en l’air, stoppés en plein vol. Seul le chat ne fut pas concerné, car il dormait immobile et de toute façon, les chats n’ont que faire du temps. Le musicien profita longuement de la paix retrouvée. 61
  • 62. Après quoi, le deuxième mouvement de la Grande Symphonie du Temps prit possession des lieux. Tour à tour, le temps recula ou avança, tourna sur lui-même et enfla, reflua et se fit tout petit pour éclater ensuite avec d’autant plus d’intensité. Les enfants devenaient bébés puis disparaissaient, la maison était en chantier puis s’escamotait pour laisser place à des prés, et brusquement des dinosaures y broutaient. Au troisième mouvement, le temps explosa en mille éclats et se recomposa. Un grand building de verre et de glace grouillant de gens vêtus de plastique blanc s’éleva autour du maestro qui le réexpédia dans le futur d’un geste du petit doigt. Le mouvement final fut étourdissant et quand la Symphonie du Temps fut enfin terminée, les enfants, chiens, oiseaux, insectes et tous les êtres vivants loin à la ronde se retrouvèrent tout ahuris, avec le vertige et un peu mal au cœur. Alors, de crainte que le chef d’orchestre ne recommence à jouer du Temps, les parents décidèrent de s’en séparer. Et inutile de le dire, il fut viré aussi sec. Et zou ! Au grenier ! 62
  • 63. LA FLÛTISTE Pomposamente ma non troppo À Fabienne Vautier 63
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  • 65. On pense souvent que les flûtistes sont de doux personnages paisibles et modestes qui jouent discrètement de leur instrument aux sonorités printanières. Mais ce n’était pas le cas de celle-ci, oh! non, pas du tout. Elle avait une très haute opinion d’elle-même. D’abord, elle savait qu’elle était belle, élégante dans ses vêtements chics avec juste ce qu’il fallait de tissu brillant, mais pas trop, son chapeau couleur de soleil couchant accordé à son rouge à lèvres. Ensuite, elle avait la conviction d’être non seulement la meilleure flûtiste de tous les temps, mais aussi une musicienne ensorceleuse si l’occasion s’en présentait. C'eût été l’insulter de lui dire que sa flûte ressemblait à une pompe à vélo ! Elle se voulait la fille spirituelle du joueur de flûte de Hamelin1; vous savez, celui qui en jouant de cet instrument, avait attiré tous les rats de la ville pour les noyer dans la rivière, il y a très, très longtemps. Elle ne fut pas étonnée d’être l’une des premières à être vendue au marché. Elle était si délicieuse qu’il aurait été normal que les acheteurs se battent pour l’avoir, n’est-ce pas ? C’était en tout cas son avis. Elle fut installée dans une vigne et prit tout de suite son rôle très au sérieux. Elle était efficace pour éloigner les corneilles, qui ne supportaient pas les sons aigus de sa flûte, car ça leur décoiffait les plumes et rebroussait leurs ailes. Mais perfectionniste comme elle l’était, la musipouvantaille ne tarda pas à s’apercevoir que les oiseaux n’étaient pas les seuls visiteurs indésirables de la vigne : les mulots, ces rats des champs, s’affairaient beaucoup au pied des ceps. Sans leur faire le moindre mal bien sûr, mais enfin, ils étaient là et ça dérangeait le bon ordre des lieux. La flûtiste se dit que c’était une occasion en or d’exercer ses dons d’ensorceleuse, comme son lointain ancêtre le joueur de Hamelin. Elle allait débarrasser toute la vigne de ses rats et de ses souris. La flûtiste se mit à jouer les sons magiques appropriés mais cela ne se passa pas tout à fait comme prévu. À la place des mulots, un premier chat arriva, puis un second accourut, et un troisième, un quatrième, et d’autres encore, des chats de gouttière, des chats noirs, des chartreux, des rayés jaunes, des siamois et même un persan. Tous se pressèrent contre la musicienne qui les avait en horreur. Ils furent bientôt une bonne centaine, tous les chats du voisinage étaient là. Les plus hardis lui grimpaient dessus et un chaton tigré très entreprenant s’était installé sur son épaule gauche, les griffes plantées dans sa belle blouse blanche. La flûtiste était paralysée par la peur, mais le sortilège avait pris possession d’elle : elle ne pouvait plus s’arrêter de jouer. Et maintenant que faire ? se lamentait-elle tout en essayant de forcer ses mains à lâcher la flûte ensorcelée. Où aller, avec tous ces chats ? Les noyer, oui ! Mais où ? Pas la moindre rivière, pas de lac ni d’étang dans les parages. Juste une fontaine, mais bien trop petite pour une centaine de chats. Et le pire, c’était l’humiliation : la joueuse de flûte voyait tous les mulots et les souris s’étrangler de rire et jouer à mordiller la queue des chats trop subjugués par le sortilège pour les attaquer. Elle était la risée des rongeurs. Son lointain ancêtre le flûtiste de Hamelin devait se retourner dans sa tombe. 65
  • 66. Le vigneron finit par remarquer le remue-ménage des félins et vint se rendre compte sur place de ce qui se passait. Il n’en crut pas ses yeux. Sa vigne grouillait de chats qui se grimpaient les uns sur les autres pour se rapprocher de son épouvantail. Ses grappes étaient lacérées par des dizaines de griffes, écrasées, fichues. Un désastre. Impossible de s’approcher de la flûtiste qui jouait toujours. Pour arrêter cette catastrophe, il prit les grands moyens : le tuyau d’arrosage à plein jet afin d’éloigner les chats. Mais l’envoûtement était plus fort que leur crainte de l’eau et ils ne s’enfuirent pas. Toutefois, le vigneron avait aussi arrosé la musipouvantaille dont la flûte s’était remplie d’eau. Il n’en sortait plus que des sons mouillés et chuintants qui brisèrent enfin le sortilège. Les chats, libérés, mais dégouttant et dégoûtés, s’en allèrent d’un pas peu concerné, comme s’ils n’étaient pas là, comme si ce n’était pas eux, bref, « circulez, y a rien à voir ». La flûtiste se retrouva toute seule au milieu de la vigne dévastée, ses beaux habits griffés, salis, détrempés, pendouillant lamentablement sur son armature. Elle en pleura sans aucun doute, même si personne ne s’en rendit compte, car ses larmes se mêlaient aux gouttes d’eau qui dégoulinaient sur son visage. Alors dans ces conditions, inutile de le dire, la flûtiste fut virée aussi sec. Et zou ! Au grenier ! Mais le vigneron près de ses sous se ravisa très vite et la rapporta chez le créateur des musipouvantails pour se faire rembourser. À la suite d’un échange un peu vif, la flûtiste réintégra l’atelier de sa naissance où elle fut réconfortée et pomponnée, en attendant que le destin lui donne une seconde chance. 66
  • 67. LA SORCIÈRE Con fuoco À Soizig Tchang 67
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  • 69. Tremblez, enfants jeunes et grands ! Faites-vous tout petits, car voici la sorcière ! Noir est son regard plein de maléfices, noire est sa redingote et noires sont ses bottes, noir est son chapeau pointu comme une flèche gothique. Sa tête faite d’une cafetière, son nez en trompe d’éléphant pour mieux tromper son monde sont certes jaunes, mais d’un jaune soufre mêlé de gris fumée. Sur son épaule gauche, une chouette aux yeux glacés et au corps en lame de scie monte la garde. Cette sorcière-là joue du tam-tam sur le fond de son chaudron retourné. Vous n’avez encore jamais entendu cet instrument ? Tant mieux pour vous, car si vous l’entendez, c’est que la sorcière et ses sortilèges ne sont pas loin ! Restez sur vos gardes et vérifiez qu’aucun chapeau pointu noir de suie ne s’approche en catimini. Justement à cause de son air redoutable, la sorcière trouva tout de suite acquéreur au marché. Un vieil homme aguerri qui ne craignait plus personne la prit pour son champ de colza régulièrement dévasté par les pigeons et les étourneaux. Il avait déjà tout essayé, mais en vain, car son colza était un délice et rien ne pouvait dissuader les oiseaux d’y goûter. La sorcière était si effrayante qu’elle éloigna définitivement les ravageurs. Elle avait parfaitement bien rempli sa mission et l’histoire se serait arrêtée là si le vieux paysan n’avait pas balayé sa cour. Sitôt qu’elle vit le balai, un instinct profond se réveilla chez elle. Car vous le savez comme nous, le balai est tout pour ces créatures : leur étendard, leur véhicule, leur principal attribut. Or celle-ci n’en avait pas, car elle n’avait pas été conçue pour s’en aller courir la campagne les nuits de pleine lune, mais pour épouvanter les oiseaux. Mais il est vain de vouloir lutter contre l’instinct profond des sorcières. Elle voulut donc à tout prix un balai, et tout de suite. À la nuit tombée, elle tenta de dérober le balai du paysan, mais il l’avait rangé dans la remise fermée à clé et la sorcière ne connaissait pas la formule qui ouvrait cette serrure. Elle erra dans la maison et trouva dans un placard un balai à frange rose bonbon qu’elle s’appropria aussitôt. Elle le chevaucha et après quelques ratés, car elle ne savait pas conduire, elle finit par s’envoler dans la nuit noire. Le balai se dirigea tout seul vers le rassemblement de sorcières le plus proche et la nôtre s’approcha de ses consœurs en voletant avec grâce. À son arrivée, elles éclatèrent toutes de rire et se tordirent les côtes de leurs doigts crochus. On n’avait encore jamais vu tant de ridicule : une sorcière assise en amazone sur un balai à franges roses qui pendouillaient lamentablement ! « Retourne chez la fée Clochette, fais-toi donner un chapeau en sucre, un chaudron en nougat et une chouette en peluche, et reviens nous voir, qu’on rie encore ! », ricanaient les harpies en se roulant par terre. Humiliée, notre sorcière s’en alla le chapeau bas, désespérée de s’être fait moquer par ses collègues. Mais où trouver un balai adéquat ? C’est qu’il y avait balai et balai ! Elle décida de rentrer chez son créateur pour exiger un vrai balai de sorcière de la meilleure qualité qui soit. 69
  • 70. Lorsqu’il la vit arriver dans son jardin sur son balai à franges roses, le musipouvantailleur eut bien de la peine à garder son sérieux. Pour la taquiner, il l’interpella : « Non, mais j’y crois pas ! Un balai à franges roses ! Pour une sorcière ? Tu es complètement grotesque, tu es virée ! » « Et zou ! Au grenier ! » Puis, devant sa mine dépitée, il éclata de rire : « Mais non ! Je plaisante ! Allons voir ce que je peux faire pour ton balai. » Il lui en fabriqua un bon, en fagots, costaud et imposant, et lui dit : « Voilà, tu as ton balai maintenant. Va, et reviens dire bonjour si l’envie t’en prend, entre deux sorcelleries ! » Alors elle s’envola fièrement sur son beau balai neuf. La reverrons-nous ? Peutêtre… car on ne sait jamais, avec les sorcières. 70
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  • 73. Celui-ci est si connu qu’il n’est pas nécessaire de le présenter : avec ses vêtements blancs satinés, sa collerette autour du cou, son visage crayeux et sa larme éternelle coulant le long de sa joue, avec ses gants rouges et sa grille de barbecue en guise de mandoline, mais oui ! C’est le Pierrot, notre Ami Pierrot ! Pour lui, son créateur prévoyait un destin d’exception. Tout en ajustant le chapeau en corbeille d’osier sur le seau de peinture qui lui servait de tête, il décida que son Pierrot ne serait pas destiné à finir planté dans n’importe quel verger ou dans un quelconque champ de maïs. Il ne terminerait pas ses jours sous les fientes d’oiseaux, méprisé par tout un chacun comme un vulgaire épouvantail fiché en terre. Non, le musipouvantailleur l’aimait trop pour cela. Et puis, Pierrot, c’est quelqu’un, tout de même ! Sa larme éternelle devait couler pour qui le mériterait vraiment. Il ne fut pas vendu sur le marché comme les autres. Le musipouvantailleur passa une annonce dans la presse universelle : « A vendre musipouvantail d’exception, grand, de première qualité, musique céleste, larme authentique de diamant serti de noir sidéral, prix exorbitant, mais justifié. Acheteurs sans excellentes références poétiques s’abstenir. » Ce fut la Lune qui passa commande. Le prix ne lui importait guère, elle payait en clairs de Lune et n’était donc jamais à court de monnaie. La larme éternelle de Pierrot faisait écho à ses cratères, car vous l’ignorez peut-être, mais les cratères de la Lune sont autant de traces des larmes amères que l’astre a coutume de verser à chacune de ses disputes avec la Terre. Elle avait besoin d’un bon épouvantail pour effrayer les météorites, ces oiseaux du ciel qui la menaçaient et la blessaient en la frappant de plein fouet. Le marché fut conclu et la Lune fit descendre sur la mare du sculpteur un pont des fées1 pour permettre à Pierrot de monter jusqu’à elle. La Lune fut très contente de son acquisition, car la seule présence de Pierrot dissuadait les météorites d’alunir : celles qui s’approchaient de trop près se désintégraient d’émotion en entendant sa musique et en le voyant pleurer. Mais le problème, c’était que Pierrot à lui tout seul ne pouvait protéger qu’une seule face de l’astre, et tous les météorites se concentraient désormais sur l’autre. Il fallait donc un second musipouvantail. Cela tombait bien, puisqu’il restait la flûtiste à recaser. Toute retapée et gonflée de son importance, celle-ci grimpa par le pont des fées et débarqua, triomphante et superbe, sur la Grande Place lunaire où veillait le Pierrot. La rencontre fit grand bruit : entre Pierrot et la flûtiste, ce fut le coup de foudre immédiat et la Lune vibra et vacilla sous la violence du tonnerre. Elle tenta de les séparer pour envoyer la flûtiste sur sa face cachée, mais ne put y parvenir tant ils étaient soudés l’un à l’autre. Faute de mieux, elle les déplaça ensemble sur la ligne de démarcation entre les deux 73
  • 74. faces, leur enjoignant de jouer de la musique en direction des deux pans du ciel pour limiter les dégâts tant que faire se pouvait. Elle tenta bien de se plaindre auprès du musipouvantailleur, mais il lui rappela qu’elle avait présenté d’excellentes références poétiques et qu’il espérait qu’elle ne le décevrait pas en se montrant insensible à l’intensité romantique des amours de Pierrot et de la flûtiste sur l’astre au front d’argent. Et que voulez-vous répondre à cela ? Le couple lunaire vécut alors des jours heureux; ils éloignèrent certes quelques météorites ici ou là, mais ils réalisèrent surtout un prodige bien plus inouï : ils eurent ensemble un petit Pierrot, qui avait la même tête que son papa et la même flûte en pompe à vélo que sa maman. La Lune ne fut pas ravie. « Je voulais deux musipouvantails efficaces pour éloigner poétiquement les oiseaux du ciel, et me voici avec une famille nombreuse à loger, dont il faudra supporter les pleurs des enfants et les cris des parents à longueur de nuits. Ah ! ça non ! Il ne me reste plus qu’à les virer. » Et zou ! Au grenier ! Mais la Lune s’avisa qu’elle n’avait pas de grenier. Il lui faudrait donc bien trouver autre chose. 74
  • 75. LE PETIT PIERROT Patetico e lacrimoso À Matthieu Gigon 75
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  • 77. La famille Pierrot coulait sur la Lune des jours sans nuages. Le petit Pierrot grandissait vite et apprenait à jouer de sa petite flûte en pompe à vélo. Le reste du temps, il jouait au sable dans les cratères. Mais une nuit, la Lune vagabonde, qui avait un peu trop fait la fête à la soirée d’anniversaire de la planète Mars, se mit à tournoyer sur elle-même et à zigzaguer tant et plus. Le grand Pierrot et sa compagne en eurent le mal de ciel : c’est comme le mal de mer, mais bien pire ! À force de slalomer et de virevolter, l’astre insouciant se rapprocha beaucoup de la Terre. Le petit Pierrot avait très mal au cœur et ses parents avaient été si sévères avec lui tantôt qu’il en pleurait de grosses larmes qui mouillaient sa collerette. Au plus profond de son désespoir, il aperçut… vous ne devinerez jamais quoi ! Il aperçut le haut d’une échelle juste sous l’horizon, une échelle de bois interminable qui scintillait au clair de lune et montait depuis la Terre ! À l’autre bout, loin tout en bas, une ribambelle d’enfants dont Clément et Laurine ne désiraient qu’une chose, quant à eux, c’était aller sur la Lune. Dans le préau de l’école, ils avaient construit patiemment, barreau après barreau, une si longue échelle qu’elle touchait presque le bord des nuages. Alors que leurs parents les croyaient dans leur lit, les enfants, déjà grimpés assez haut, virent au-dessus de leur tête les pieds de Petit Pierrot qui commençait à descendre. Juste à ce moment-là, la Lune s’éloigna dans une embardée. La lune désormais hors d'atteinte, Petit Pierrot descendit, descendit et descendit encore, pas trop rassuré. Les enfants intrigués l'attendirent et l’escortèrent jusqu'à terre. Et là, Petit Pierrot eut une violente crise de désespoir ! Il pleurait comme jamais vous n’avez vu pleurer un Pierrot. Les enfants le firent asseoir sur un banc et se serrèrent contre lui pour le réconforter. Une petite fille dans les bras, un gamin sur son genou et un chaton perché sur son épaule, Petit Pierrot se lamentait : « Mon papa et ma maman m’ont puni parce que je n’avais pas fait mes gammes et j’ai mal au cœur; je n’aime pas vivre sur la Lune et j’ai voulu découvrir la Terre. Oh ! pauvre de moi. Je suis tout seul ici, je ne connais personne et puis ce n’est pas bleu du tout, contrairement à ce qu’on m’avait dit ! C’est gris et sombre et c’est pas beau ! Je veux rentrer à la maison… » 77
  • 78. Clément et Laurine le réconfortèrent en lui prêtant leurs jouets préférés et Petit Pierrot se calma peu à peu. Ils lui expliquèrent qu’au lever du soleil, tout serait beaucoup plus bleu. Ils lui chantèrent des chansons pour l’encourager et il chanta avec eux. Au point du jour, Petit Pierrot rasséréné sécha ses larmes et décida de partir explorer le vaste monde. Il fit aux enfants des adieux émus, versant encore une larme ou deux, mais c’était là des larmes douces, et il s’en alla. Mais hélas, Petit Pierrot n’alla pas loin. Jusqu’au bout du village, en fait. Il se fit capturer en traître par un cultivateur qui avait besoin d’un épouvantail pour son champ et trouva très pratique de s’emparer de celui-ci, qui tombait du ciel pour ainsi dire. Et hop, emprisonné dans un champ grillagé avec ordre d’éloigner les oiseaux ! Ça n’alla pas du tout. Petit Pierrot, qui détestait le vert, en était entouré de toutes parts et pour ne plus le voir, il fermait les yeux. Il n’aurait donc pu repérer un seul oiseau. Il se mit à jouer un air si triste et nostalgique que les tournesols qu’il était censé protéger se fanèrent d’un seul coup sans même donner de graines. Quand il vit ça, le cultivateur grommela : « Voilà ce que c’est de ramasser n’importe qui dans la rue » ! Et inutile de le dire, Petit Pierrot fut viré aussi sec. Et zou ! Au grenier ! 78
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  • 81. Pendant tout ce temps, le musipouvantailleur s’ennuyait ferme. D'accord, il avait récupéré la flûtiste en triste état, l’avait retapée et remise d’aplomb. D’accord, il avait eu la visite de la sorcière en plein doute, l’avait réconfortée et réexpédiée sur le bon balai. Mais ça ne suffisait pas à occuper ses journées désormais oisives et solitaires. Il commença par faire un épouvantail de plus, un chanteur. Il l’habilla somptueusement de rouge et de noir et le gratifia de cheveux de prix en fourrure blanche surmontant sa tête de bouilloire. Mais bof, le chanteur avait beau s’égosiller a capella, c’était un peu austère et assez lassant, car il n’avait qu’une seule chanson à son répertoire. Le musipouvantailleur commençait à regretter de les avoir tous vendus. « Que sont-ils devenus, mes musipouvantails ? Dans quel champ boueux, dans quel verger aux arbres dégouttant de pluie, dans quels jardins sans fantaisie ont-ils abouti ? Sont-ils heureux, au moins ? » se demandait-il de plus en plus souvent. Finalement, il décida d’aller leur rendre visite. Il parcourut les champs et les vergers, guignant par-dessus les clôtures des jardins et fouinant partout, mais il ne les trouva nulle part. Survint alors un gros chat noir qui se frotta à ses jambes. Il miaula avec insistance et le précéda de quelques pas. Sans même savoir pourquoi, le musipouvantailleur le suivit, juste parce que c’était un chat noir et qu’il ne faut jamais contrarier ces animaux-là, comme vous le savez bien entendu. Le long des sentiers et à travers champs, le chat lui fit faire tout un périple entrecoupé de fréquents arrêts pour tendre quelques embuscades aux mulots et faire une ou deux siestes. Ils parvinrent enfin aux abords de la ville, dans une zone désolée pleine de hangars et d’entrepôts. L’un d’eux, ouvert à tous les vents, arborait une enseigne de guingois : « Au coup de pot – vide-grenier, brocante, antiquités ». Le chat se glissa par la porte entrebâillée et le musipouvantailleur le suivit. Une fois accoutumé à l’obscurité, il découvrit un spectacle affligeant, pour ne pas dire tragique : une demi-douzaine de ses musipouvantails se balançaient au gré des courants-d'air, pendus à d'énormes chaînes qui grinçaient sinistrement. D'autres, démantibulés, la tête détachée du corps, le regard vide, étaient éparpillés au quatre coins de l'entrepôt. Presque toutes ses créatures se trouvaient rassemblées là, bradées pour une bouchée de pain par leurs anciens propriétaires à un brocanteur cupide qui faisait la tournée des greniers. Le sang de leur créateur ne fit qu’un tour et il prit les mesures qui s’imposaient : il les racheta aussitôt au vendeur malgré le prix exorbitant. Un peu plus tard, on vit passer sur les routes du canton un curieux équipage. Un tracteur conduit par le musipouvantailleur tirait lentement une charrette d’où dépassaient les têtes pittoresques des musipouvantails brinquebalant au gré des cahots du chemin. Ils rentraient à la maison. 81
  • 82. Le lendemain, les musipouvantails avaient retrouvé la sécurité de l’atelier, où leur créateur les répara, nettoya leurs instruments et les accorda. Il se maudit de ne pas avoir songé avant qu'ils n’étaient pas faits pour moisir chacun dans un champ. Il allait composer un concerto1 tout exprès pour eux ainsi que pour Clément et Laurine, qui tiendraient les parties de trompette et de clarinette avec leurs instruments de musique en plastique. Le chef d’orchestre dirigerait les répétitions, puis tout le monde partirait en tournée dans les villages et les bourgs de la contrée. Certes, il manquait les parents du petit Pierrot, ainsi que la sorcière et sa chouette. Mais bah, on ferait sans eux ! Quelques jours plus tard, tandis que l'orchestre répétait, on entendit un grand remue-ménage près du portail du jardin. Des voix enfantines toutes excitées se mêlaient à des notes de flûte et à des appels pressants : « Pierrot mon tout petit, notre bébé-Pierrot, es-tu là ? Nous te cherchons partout ! » C’était les parents de Petit Pierrot, escortés par Clément et Laurine qui tentaient de raconter une histoire à laquelle nul ne comprenait rien, tant ils parlaient tous en même temps. Une histoire où il était question d’une échelle en bois pour aller sur la Lune, abandonnée dans une cour d’école, par laquelle étaient descendus Pierrot et sa compagne flûtiste qui cherchaient désespérément leur enfant perdu. La Lune, bonne fille malgré ses fréquents éclats, s’était rapprochée suffisamment pour leur permettre de rejoindre la Terre, mais il ne fallait pas le répéter, car c’était assez mal vu. Les retrouvailles furent émouvantes. On s’embrassa et chacun raconta ses aventures. On fit de la musique et on dansa jusque tard dans la nuit. Au cours de la soirée, le chanteur tomba amoureux de la chanteuse et pour leur duo d’amour, il fallut relier leurs micros par une corde à sauter sur laquelle se balançait un grand cœur rose. 82
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  • 84. Après quelques semaines de répétitions, les musipouvantails furent au point et un beau soir, tous les poneys, chiens, vaches, hérissons, chèvres, dindes et oiseaux du voisinage se réunirent dans le jardin pour assister au premier concert. Le public bruissait d’impatience. Le chef d’orchestre leva bien haut sa baguette, l’abattit vigoureusement et alors s’éleva dans les airs une musique… une musique, comment dire ? Une musique... cacophonique et épouvantable. Les instruments désaccordés grinçaient et crissaient, couinaient et larmoyaient, les voix chevrotantes geignaient et gémissaient, tout cela dans le plus affreux désordre. Le chef était consterné, les musiciens n’y comprenaient rien et le public s’enfonçait sous terre pour ne plus entendre ces sons abominables. L’orchestre arrêta de jouer et dans le silence heureusement revenu, on entendit un ricanement de sorcière venu des airs : « Yark, yark, yark ! Vous ne m’attendiez pas, n’est-ce pas ? Eh bien, même non convoquée, je suis là et si vous êtes très très gentils avec moi, alors peut-être que j’essaierai de défaire le sort qui ensorcelle vos instruments et vos voix. Peut-être… » Il fallut beaucoup parlementer car les sorcières sont dures en affaires. Elle exigea sept nouveaux balais de première qualité, un pour chaque jour de la semaine; la transformation de sa chouette en scie musicale pour occuper dans l’orchestre une place de choix; l’astiquage complet de son chaudron une fois par semaine avant le sabbat; des araignées grillées tous les soirs pour l’apéritif. Et d’autres choses encore. Le musipouvantailleur fut bien obligé de céder pour avoir un orchestre en état de jouer. On jura sur le Grimoire et la sorcière, satisfaite, alluma le feu sous le chaudron et prit tout son temps pour défaire le sortilège compliqué lancé aux musiciens. 84
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  • 86. Il fallut encore faire sortir le public de terre et accorder de nouveau les instruments. Et ce ne fut qu’aux douze coups de minuit que retentirent enfin les premières notes du magnifique concerto des musipouvantails, dont les échos montèrent très loin dans le ciel nocturne. Alors, il arriva une de ces féeries comme seule la Lune en est capable, et encore, une fois ou deux par millénaire seulement. Elle fut si émue par le concerto qu’elle laissa glisser jusque sur la Terre une larme d’un éclat incomparable qui baigna la planète entière. Chacun en sentit furtivement la caresse : un moment de bonheur inexpliqué, une sensation de bien-être sans cause, un chatoiement nostalgique, un sourire imprévu. Et pour ceux qui dormaient et rêvaient à cette heure-ci, un rêve irisé d’une beauté inoubliable. D'ailleurs toi, tu te souviens certainement de ce rêve délicieux, si lumineux et si doux, qui accompagna ton sommeil cette nuit-là et que jamais tu ne pourras oublier. Un rêve de larme de Lune. Un rêve de magie de musipouvantails. 86
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  • 89. GLOSSAIRE P. 11 PRÉLUDE 1 Trille Ornementation musicale consistant à alterner très rapidement une note avec la note voisine supérieure. 2 La note bleue Cette expression employée en 1881 par George Sand dans son livre intitulé « Impressions et souvenirs » à l'écoute de la musique de Chopin et jamais réutilisée par elle ensuite, intrigue : « Nos yeux se remplissent peu à peu des teintes douces qui correspondent aux suaves ondulations saisies par le sens auditif. Et puis la note bleue résonne et nous voilà dans l'azur de la nuit transparente. » Car les notes bleues, blue notes en anglais, qualifient le plus souvent certaines notes caractéristiques du blues puis, plus tard, du jazz. Les théoriciens du blues se sont-ils inspirés de l'écrivaine ? Le contraire est peu plausible, la première apparition du terme aux États-Unis ne datant que du début du XXe siècle. P. 15 LA CHANTEUSE 1 2 Scat Solo vocal improvisé en onomatopées. Herbert von Karajan Célèbre chef d'orchestre autrichien du XXe siècle. P. 19 LE SAXOPHONISTE 1 Swing Balancement rythmique caractéristique du jazz. Jam-session Concert de jazz improvisé et informel. 3 Set Partie d'un concert de jazz avant ou après un entracte. 4 Chorus Solo instrumental ou vocal improvisé. 2 P. 24 LE JOUEUR DE BANJO 1 And so I got my banjo out, just sittin' and collectin' dust Extrait de « Washington Square », chanson composée en 1964 par Bob Goldstein et David Shire. La musique a été reprise plus tard par Sacha Distel qui adapta des paroles françaises sous le titre de « Un Air De Banjo ». P. 27 LA CONTREBASSISTE 1 « Hello, Dolly ! » Célèbre chanson tirée du film musical non moins célèbre, Hello, Dolly ! réalisé par Gene Kelly en 1969 et que chantait Louis Armstrong. 2 « Les travaux d'Hercule » Conte de la mythologie grecque et source d'inspiration picturale et plastique pour les artistes occidentaux. Le nettoyage des Écuries d'Augias est le cinquième des douze travaux d'Hercule. P. 35 LE CARILLONNEUR 1 Carillon tubulaire Instrument de la famille des percussions appelé aussi cloche tubulaire (de l'anglais tubular bell) ou cloches d'orchestre. 89
  • 90. P. 49 & 50 LE PUNK 1 « Guérilla Poubelle » Groupe de punk rock parisien créé en 2003. 2 « Les Béruriers Noirs » Groupe punk français des années 1980. 3 « No future » Slogan des Sex Pistols, célèbre groupe punk formé en 1975 à Londres. P. 53 LA VIOLONISTE 1 Ouïes Ce sont deux ouvertures étroites découpées dans la table d'harmonie du violon qui modifient les propriétés acoustiques. P. 57 LE CHARMEUR DE SERPENTS 1 Charmeur de serpents Le charmeur de serpents paraît hypnotiser le redoutable naja en jouant de son instrument. En réalité, le reptile, sourd, est sensible aux vibrations du martèlement au sol du pied du musicien. 2 Pungi Constitué d'une embouchure à anche simple, d'un tuyau en bambou pour bourdon, un autre percé de trous de jeu pour jouer la mélodie et d'une courge évidée pour caisse de résonance, le pungi, punga ou murli est l'instrument à vent des charmeurs de serpent indiens 3 « Monsieur Loyal » Régisseur de piste qui présente les numéros et sert de faire-valoir aux clowns, aux acrobates et aux jongleurs. P. 61 LE CHEF D'ORCHESTRE 1 Symphonie Pièce musicale pour grand orchestre comportant plusieurs parties appelées mouvements. Il n'y a pas de solistes comme dans le concerto. P. 65 LA FLÛTISTE 1 « Le joueur de flûte de Hamelin » Légende allemande, transcrite par les frères Grimm. Elle met en scène un joueur de flûte qui, grâce à sa musique, attira les rats qui infestaient la ville de Hamelin et les noya dans la rivière voisine. P. 73 LE PIERROT 1 Pont des fées Reflets du clair de lune dans l'eau. P. 82 CODA 1 Concerto Composition instrumentale pour un ou plusieurs solistes et orchestre. 90
  • 91. CREDITS PHOTOGRAPHIQUES Couverture : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), dinosaure de Anthony Bonnafont, arrière-plan Chicago de David B. Gleason, chef d'orchestre de Serge Bonnafont. La chanteuse P. 14 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Yuri Levchenko La chanteuse P. 16 : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), arrière-plan de cod_gabriel, 3 mouettes de Yabosid, autres oiseaux de Simon Carrasco, chanteuse de Serge Bonnafont. Le saxophoniste P. 18 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Erich Ferdinand. Blue Sax démantibulé P. 20 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Marcelo Braga. Le joueur de banjo P. 22: Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Shagshag. La contrebassiste P. 26 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Frédéric Buisson, chat noir de Dan4th Nichola. La contrebassiste page P. 28 : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), arrière-plan de Frédéric Buisson, chat noir de Alisha Vargas, souris de Eddy Van 300, araignée de Peter Harrison, perroquet de Robert Hoge, cage à oiseaux de AJARI, poids en fonte de Coyau@WikimediaCommons, contrebassiste de Serge Bonnafont. L’accordéoniste P. 30 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Sarah B Brooks, oiseaux de Wagner Machado Carlos Lemes, Alejandro Erickson, Nijaba, Oznya. L’accordéoniste P. 30 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, grappes de prunes de Olibac. Le carillonneur P. 34 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, Ciel et oiseaux de Andy Rusch, flore de Jean-Louis Zimmermann. Le carillonneur P. 36 : Détail ciel étoilé de la NASA. Domaine public. Les trompettistes au grenier P. 42 : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), arrière-plan de Mr. Moment, armure de ozz13x, heaume de Griolin, épée de Soren Niedziella, meubles de Mark Eslick, trompettistes de Serge Bonnafont. La batteuse P. 46 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, chien par Chris_Parfitt. Le punk P. 48 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de John Fowler, mitraillette de Aaron Chase - Official U.S. Navy Imagery, marteau-piqueur de JOSHUA J. WAHL, tronçonneuse de Ryan Hagerty (domaine public). 91
  • 92. La violoniste P. 52 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Porsche Brosseau. La violoniste P. 52 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, chaton de Laure Dujardin. Le charmeur de serpents P. 56 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Tyler Yeo. Le chef d’orchestre P. 60: Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, partition du domaine public. Le chef d’orchestre P. 62 : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), dinosaure de Anthony Bonnafont, arrière-plan Chicago de David B. Gleason, chef d'orchestre de Serge Bonnafont. La flûtiste P. 64 : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), arrière-plan vignoble de Lapastoure Didier, Chats de Laure Dujardin, Nicole Moutel, Rosana Prada, roberto shabs, A. Davey, fujitariuji, Takashi Hososhima, Martie Swart, Petr Kratochvil, Hans Pama, Yinghai, Luis Miguel Bugallo Sánchez, Geoff Doggett, Tclddn, Russell Smith, hisashi_0822, Paul Lucas, Dominique Bruyneel, Chronos Tachyon, Ângela Antunes, chispita_666, yoppy, CinCool, roroproject, Tatiana Duiker, jeffreyw, flûtiste de Serge Bonnafont. La sorcière P. 68 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Claude-Catherine Suri. La sorcière P. 70 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de Riccardo Palazzani, crapaud de Kirill_M Le Pierrot P. 74 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, lune et espace de la NASA. Le petit Pierrot P. 76 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan et terre de la NASA, échelle sculptée de David Lachavanne photographiée par Jean-Charles Brune. Coda P. 80 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, sellette de Al Pavangkana et commode du L.A.C.M.A domaine public. Coda P. 82 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, arrière-plan de E. Dronkert. Coda P. 83 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, lune de Klearchos Kapoutsis. Coda P. 85 : Photomontage ©2013 Serge Bonnafont, crapaud de Sam Fraser-Smith. Coda P. 88 : Photomontage sous licence Creative Commons (BY SA), arrière-plan nuit de Paul Botu, lune de Jorge Mejia Peralta, terre NASA , yeux de Maria Morri, bouche de Aimee Ardel. 92
  • 93. TABLE DES MATIERES AVANT-PROPOS 7 PRÉFACE 8 LE CONCERTO DES MUSIPOUVANTAILS Prélude 9 La chanteuse 13 Le saxophoniste 17 Le joueur de banjo 21 La contrebassiste 25 L'accordéoniste 29 Le carillonneur 33 Les trompettistes 37 La batteuse 43 Le punk 47 La violoniste 51 Le charmeur de serpents 55 Le chef d'orchestre 59 La flûtiste 63 La sorcière 67 Le Pierrot 71 Le petit Pierrot 75 Coda 79 GLOSSAIRE 89 93
  • 94. DES MÊMES AUTEURS DAVANTAGE DE MUSIPOUVANTAILS SUR LE SITE L'ÉCHOPPE DE PIERROT www.pierrotshop.com LE PLOMBIER DÉZINGUEUR Claude-Catherine Suri © www.pierrotshop.com 2008 BIRDLAND, LE JARDIN AUX MUSIPOUVANTAILS Serge Bonnafont & Claude-Catherine Suri © www.pierrotshop.com 2009 FANGO FUNÈBRE Claude-Catherine Suri © www.pierrotshop.com 2010 INCIDENT MAJEUR Claude-Catherine Suri © www.pierrotshop.com 2010 LE PAYS AU MILIEU DES CONFINS DU RÊVE Serge Bonnafont & Claude-Catherine Suri © www.pierrotshop.com 2012 94
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