Compte-rendu de l'atelier "Ouvrir les données publiques : pourquoi, comment ?" qui s'est tenue à Rennes lors Rencontres Nouvelles Technologies du 10 février 2010.
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"Ouverture des données publiques : faire émerger l’intelligence créative du territoire"
1. Compte-rendu de Conférence
L’ouverture des données publiques : faire émerger l’intelligence créative du territoire
Xavier Crouan
Cap’ Com - Rencontres Nouvelles Technologies – 10 février 2010
L'ouverture des données publiques fait aujourd'hui l'actualité ! Un simple effet de mode ?
On peut effectivement le penser au regard de l'intérêt grandissant porté à cette thématique tant au
niveau des territoires qu'au niveau des médias et bientôt des entreprises privées. Et cet intérêt pourrait
retomber dans les oubliettes de l'histoire comme beaucoup d'autres sujets d'innovation qui avaient
pour vocation à révolutionner notre environnement. Et pourtant, le phénomène est plus profond qu’il
n’y parait et des raisons expliquent cet engouement justifié.
L’ouverture des données publiques, c’est quoi ?
En tant qu’institution territoriale, nous disposons d’un certain nombre de données qui servent à
quantifier, à alimenter et à améliorer nos propres services publics (ce sont des capteurs, des éléments
géographiques, des flux, des localisations d’éléments sur l’espace public). Ces informations collectées
restaient jusqu’à présent à l’intérieur du service public.
L’enjeu est de rendre accessible ces données pour en permettre une réutilisation par les citoyens,
notamment en permettant le croisement de plusieurs données. La mise à disposition des données
publiques va pouvoir créer de nouveaux savoirs, que nous ne sommes pas encore capable d’imaginer.
Cette démarche d’ouverture et de géolocalisation de la donnée ne date pas d’aujourd’hui : lors d’une
épidémie de choléra ayant touché Londres en 1854, un médecin anglais, John Snow, a croisé les
adresses des personnes atteintes de la maladie avec les données sur l’emplacement des points d’eau en
les positionnant sur une carte. Il s’est aperçu qu’il y avait une correspondance entre les contaminations
et les points d’eau, montrant ainsi que c’était à travers l’eau que se propageait le virus, et non dans l’air
contrairement à ce qui était cru jusqu’alors.
Que signifie ouverture des données ?
Ce phénomène aussi appelé Open Data provient du monde anglo-saxon, des Etats-Unis et de Nouvelle-
Zélande. Il a permis de créer des plates-formes de données, au niveau fédéral, au niveau étatique, mais
aussi au niveau municipal.
En Europe, l’ouverture de données est désormais une obligation. Tout est partie d’une directive
européenne de 2003 transposée par ordonnance dans le droit français en 2005, qui stipule clairement,
que les données publiques doivent être mises à disposition. Cette loi est également valable pour les
délégataires des services publics, car les informations dont disposent ces sociétés privée continue à
appartenir aux institutions.
Selon cette même ordonnance, les données doivent être accessibles et réutilisables à des fins
commerciales ou non. L’institution ne peut pas s’opposer à une commercialisation de sa donnée par des
tiers, et elles doivent être accessibles d’une manière non discriminatoire et non-exclusive, à des coûts
n’excédant pas ceux de production de la donnée.
Le législateur dit clairement que la donnée ne peut pas faire l’objet par l’institution d’un commerce,
d’une rentrée financière. Son montant ne peut couvrir que le coût de sa production. Parmi les
exceptions à la mise à disposition de données : celles liées à la sécurité et à la donnée nominative à
dimension personnelle ou individuelle.
2. Pourquoi cette actualité autour de l’ouverture de la donnée publique aujourd'hui ?
Plusieurs phénomènes expliquent cette actualité. Au-delà de la dimension technologique qui facilite
l'accès à ces données via des entrepôts de données (datawarehouse) sur Internet, plusieurs
phénomènes majeurs apparaissent en termes de nouvelles pratiques, de nouveaux usages.
L’essor de l’internet mobile
Demain l’accès à Internet via la téléphonie mobile sera majoritaire : selon le cabinet d’étude Date, le
taux de pénétration de l’internet mobile au niveau mondial passera de 15% en 2009 à 38% en 2015. En
Europe ce taux d’usage de l’internet par le mobile atteindra 85% en 2015. Et selon le Gartner Group, 8,2
milliards d’applications ont été téléchargés en 2010. 17,7 milliards devraient l’être en 2011.
Ces chiffres nous montrent que le canal mobile deviendra le canal majoritaire pour accéder à Internet.
Cela entraîne une modification des comportements. L’usager aura accès dans sa main à toute une série
d’information. Il sera connecté, géolocalisé et pourra trouver l’information recherché à tout instant.
Nous passons d’une logique web « je cherche quelque chose » à une logique mobile où « je suis ici et je
veux savoir ce qu’il y a autour de moi pour consommer instantanément ». C’est que l’on appelle, en
termes de comportement, le « maintenantisme » : l’accès à tout, immédiatement. On ne veut plus
attendre, nous vivons dans l’instant. Nous nous ne tolérerons plus toute rupture avec cette immédiateté
de la réponse attendue, la moindre interruption de service.
Vers plus de transparence et de participation
La transparence vis-à-vis des institutions émerge de partout. Elle a toujours existé, mais l’actuelle
dimension numérique renforce cet aspect. A l’exemple du site www.nosdeputes.fr , les citoyens
prennent en main ce qui n’était pas organisé pour eux. Ce site organisé par un collectif de citoyens
« Regards citoyens » permet de suivre et de vérifier l’activité de nos députés.
Autre exemple, le site www.wheredoesmymoneygo.org dont l’objectif est de promouvoir plus de
transparence et d’engagement citoyen à travers la représentation graphique compréhensible de
données budgétaires du gouvernement anglais.
Nous voyons apparaitre une dynamique participative de plus en plus affirmée dans nos territoires, dans
laquelle les citoyens se prennent eux-mêmes en main. Je fais ici référence aux mouvements
transitionnels de certaines villes où les citoyens se regroupent et s’organisent pour réfléchir
communément à l’après-pétrole : www.transitiontowntotnes.org mais aussi aux Wiki territoriaux
comme www.wiki-rennes.fr
Voilà les raisons profondes pour lesquelles, cette ouverture des données publiques n’est pas qu’un
phénomène de mode.
Vers de nouveaux modèles d’échanges
A travers ces multiples exemples, l’ouverture des données apparaît comme un levier pour créer un
nouveau modèle d’échanges et de participation démocratique. L'information, la donnée publique et son
accessibilité devient au centre d'un tryptique qui s'affirme et permet le développement de la e-société
au regard de l'acteur public dans un rapport nouveau entre le politique, l'administration et le citoyens,
l'usager ou l'habitant. La gestion de la relation au citoyen est là aussi au cœur du dispositif : dans une
dynamique relationnelle avec le citoyen, l’habitant, l’usager.
3. Vers de nouvelles missions de l’institution
La plupart des analyses sociologiques et économiques tendent à démontrer que l’on est en train de
changer de civilisation. Nous ne savons pas vers quoi nous allons, puisque la société se construit à
travers les décisions du quotidien. Mais nous percevons quelques éléments, constitutifs de cette société
en devenir. Notre mission, en tant qu’acteur de la transformation publique, est d’accompagner ce
changement. Nous devons déceler les signaux et accompagner les mouvements de rénovation sociale.
En effet, partout émergent déjà des réponses totalement nouvelles, qui sont autant de révolutions
"créatives" et installent de nouvelles formes d'être au monde. C'est sur ce magma que s'invente le
nouveau monde. Pendant que nos dirigeants tentent d'apporter des solutions aux grands défis
planétaires, la société du quotidien se transforme en profondeur à travers mille et une petites
expériences locales, qui constituent autant de réponses concrètes à ces défis et posent les premières
pierres d'une nouvelle forme de "vivre ensemble". Ces initiatives spontanées réinventent la manière de
se loger, de se nourrir, de se cultiver, de financer ses projets, de bien vieillir, etc.
L’ouverture des données de ce qu’elle sous-tend des changements de société, bouscule nos métiers et
nos méthodes de management. Une des conclusions que nous avons tirée de cette expérience est de
l’impérieuse nécessité de rénover la manière de travailler dans le champ public.
Une autre conception du changement éclot sous nos yeux, très différente de celle qui a été le moteur de
nos sociétés occidentales depuis des siècles. Le changement ne vient plus d'en haut, il ne vient plus de
la techno-structure mais il vient de la société elle-même en dehors des cadres établis et des institutions.
Cette société en mouvement constitue la première source d'innovation et d'avenir. Ces citoyens qui sont
à la base de cette innovation sociale, constituent ces classes créatives sur lesquelles la société de
demain se crée et s'invente.
Plus encore aujourd'hui, l'innovation est porteuse d'une rupture par rapport à l'ordre établi qu'il soit
social, culturel, juridique ou économique. Certains vont jusqu'à parler d'une trangression.
A travers la libération des données publiques, à travers des politiques publiques innovantes, les acteurs
publics, doivent se placer en tant que provocateurs et porteurs de ce risque de l’innovation, ils
deviennent des révélateurs de ces classes créatives en leur donnant la capacité d'élaborer et
d'expérimenter ces nouvelles idées, ces nouvelles approches.
Nous avons très vite perçu, que derrière l’ouverture de données, il y a aussi et surtout la capacité à
transformer les méthodes de travail et la relation au territoire et aux citoyens. L’ouverture des données
publiques, c’est à la fois un projet, un programme et une méthode qui tend, dans sa toute modestie, à
rénover la manière dont on travaille et dont on communique. La manière dont on manage la
communication publique pour transformer l’action publique.
Vers de nouvelles interrogations
Le récit présenté ici semble radieux comme les cités d'autrefois. La réalité sera sans doute toute autre. Il
y a un autre versant à cette démarche et le délégué général de la FING, Daniel Kaplan a commencé à
explorer, avec justesse, les conséquences possibles de l'ouverture des données dans un article intitulé
« L’ouverture des données et après ? ».
L’histoire de l’ouverture des données s’écrit notamment grâce à l’expérience menée par Rennes.
L’observation ne sera pas tout. Il nous faut anticiper, évaluer les risques et avancer avec méthode et
réflexion.
L’ouverture des données posent toute une série de questionnements politiques qu’il convient
d’anticiper :
La donnée doit-elle être gratuite ? En cas de gratuité absolue comment éviter de se faire piller ce
patrimoine immatériel par des acteurs internationaux ? Quels types de licences utiliser pour permettre à
la fois l’ouverture et la réutilisation des données tout en protégeant l’institution ? Les services issus de
4. ces données ne seront-ils accessibles qu’aux consommateurs solvables ? Le politique doit-il se
positionner sur les services issus de cette libération ? Quels sont les limites de la transparence ? Doit-on
et peut-on ouvrir toutes les données ? Comment faire en sorte que l’usage ne soit pas commun de
certains activistes ? Comment éviter les manipulations et démonstrations mensongères ? Sommes-nous
face à une plus grande co-production au sein de la cité ? Quelles conséquences sur la gouvernance entre
citoyens, élus et institutions ? Doit-on imaginer un accompagnement public, une médiation entre ceux
qui ouvrent et ceux qui réutilisent ? Comment réfléchir à ses questions ?
Vers la cité des idées
Dans les années 2000, nous avons créé avec l’informatique des ruptures sociales et générationnelles.
Aujourd’hui les outils numériques facilitent la relation sociale et permettent à ceux qui étaient éloignés
de cette société de la connaissance, d’y revenir. Nos villes exclues et engendrent de la souffrance, de la
solitude. Notre stratégie à Rennes c’est mettre le numérique au service d’une dynamique sociale, c’est
de recréer ce lien social. L’ouverture des données publiques ce n’est que l’un des leviers des politiques
publics, au même titre que le logement social, que les politiques d’accessibilité, etc.
Comme toujours, face à l'innovation, de nouveaux usages apparaissent générant de nouveaux risques
pour la société. L’ouverture des données porte certains risques (tel celui des activistes qui possèderont
les moyens d’être plus influents) mais de nouveaux usages vont aussi en découler. C’est le rôle de
l’acteur public que d’assumer ce changement. Une institution qui porte stratégiquement ces évolutions
permet en corollaire l’éclosion de l’innovation et offre les conditions de réalisation aux classes créatives.
Cela participe aussi à l’attractivité rennaise.
L’ouverture des données publiques c'est tout sauf un effet de mode. C'est un révélateur d'une société
en devenir, c'est un révélateur d'une nouvelle gouvernance en cours de construction.
C’est croire en la capacité créative et d’innovation des citoyens et des forces vives du territoire, en
l’intelligence collective. C’est placer l’acteur public comme révélateur de cette créativité, c’est mettre le
numérique au service d'une dynamique sociale. C’est cela vivre en intelligence. C'est cela à Rennes, la
cité des idées…
POUR EN SAVOIR PLUS
« Ouverture des données publiques : et après ? » Daniel KAPLAN sur www.internetactu.org
www.data.rennes-metropole.fr