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Mémoire de master 2 " urbanisme et aménagement "
parcours Opérateurs Urbains (OU), spécialité Expertise Internationale
des Villes en Développement (EIVD)
Année 2010
Le projet de rénovation de Süleymaniye entre intervention urbaine et
politique : La mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux
identitaires et internationaux
Lucie Renou
Encadrants : - A. Deboulet (IFU)
- M.-F. Gribet (IFU)
- Y. Morvan (IFEA)
- J.-F. Pérouse (IFEA)
- N. Seni (IFEA)
Université de Paris Est Marne la Vallée
Institut Français d’Urbanisme
2
Remerciements
Au moment où j’écris ces lignes, mon mémoire se termine, et avec lui, mon cursus
universitaire s’achève. J’adresse donc dans un premier temps, mes remerciements à toute
l’équipe enseignante de l’IFU pour m’avoir guidé tout au long de ma formation en urba-
nisme (et particulièrement aux professeurs des options Opérateurs Urbains et Expertise
Internationale des Villes en Développement que j’ai suivies).
Dans un second temps, ce mémoire est le fruit de nombreuses interactions et ren-
contres. Les personnes à remercier sont nombreuses. Je tiens ici à remercier particulière-
ment :
– Les professeurs et chercheurs, qui ont encadré ce mémoire, m’ont conseillé et mo-
tivé tout au long de sa réalisation : Agnès Déboulet, Marie-Françoise Gribet, Yoann
Morvan, Jean-François Pérouse et Nora Seni.
– Plus généralement toute l’équipe de l’IFEA, les chercheurs, les doctorants ainsi
que les stagiaires pour l’ambiance de travail agréable, mais aussi pour toutes ces
discussions enrichissantes qui ont participé à l’orientation de ce mémoire : Eloïse,
Brian, Clémence, Annabelle, Jonathan et tous les autres.
– Toutes les personnes à Istanbul qui ont accepté de me recevoir, de partager leurs
connaissances avec moi et surtout Ali, Julia, Derya, Hülya, Cihan et Murat Güvenç
pour le temps que vous m’avez accordé, votre patience et votre générosité.
– Vanessa ! Pour m’avoir consacré quinze jours de tes vacances et sans qui mon en-
quête de terrain n’aurait pas été possible. En même temps, je remercie tous les ha-
bitants et travailleurs de Süleymaniye qui ont participé à cette petite enquête, merci
pour votre hospitalité.
– Enfin, je remercie très chaleureusement mes amis et ma famille qui m’ont soutenu
et m’ont mené jusqu’ici, particulièrement mes parents, Cam, Flo et Viv, et enfin
Adrien, sans l’aide de qui la mise en page de ce mémoire n’aurait pas été la même...
J’espère que vous l’apprécierez.
REMERCIEMENTS
4
Table des matières
Remerciements 3
Table des matières i
Table des figures iii
Introduction 1
A Le projet de rénovation de Süleymaniye entre intervention urbaine et po-
litique : la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires
et internationaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
B Istanbul, une mégapole en pleine croissance . . . . . . . . . . . . . . . . 6
C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou rupture avec les
projets précédents ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
D Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
I Comprendre le projet de rénovation de Süleymaniye 19
A Injonction internationale à la restructuration urbaine . . . . . . . . . . . . 19
B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. . . . . . . 24
C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé . . . . . . . . 30
II Dimension politique du projet critiquée 49
A Le projet vu à travers ses discours : quels objectifs . . . . . . . . . . . . . 49
B La loi 5366 comme outil puissant de la politique de Kentsel Dönüsüm . . 59
C Critiques : les réactions de la société civile . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
III Des modalités d’application radicales au service d’enjeux privés et identi-
taires 71
A Façadisme et néo-ottomanisme : une vision singulière du patrimoine . . . 71
TABLE DES MATIÈRES
B Enjeux économiques : l’immobilier à l’heure de la spéculation. . . . . . . 84
C Enjeux sociaux : pour une moralisation de la péninsule. Un processus
d’expropriation violent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Conclusion 105
Bibliographie 109
ii
Table des figures
1 Carte de la croissance urbaine d’Istanbul. Source fond de carte (Pé-
rouse, 2001) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
I.1 Süleymaniye, un quartier dominant. Source : photo prise en juin 2010 . 25
I.2 Fonctions du quartier de Süleymaniye par zone. Source : d’après un
relevé effectué les 11 et 12 juillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
I.3 Fonctions du quartier de Süleymaniye par parcelle. Source : d’après
un relevé effectué les 11 et 12 juillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
I.4 Etat du bâti. Source : d’après un relevé effectué les 11 et 12 juillet . . . . 33
I.5 les différentes catégories de bâti. (a) dégradé, (b) bon état ou passable,
(c) détruit, (d) réhabilité. Source : photos prises en juin 2010 . . . . . . 34
I.6 Niveau scolaire des habitants par sous-quartier. Source : Données four-
nies par Murat Güvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
I.7 Taille des ménages des habitants par sous-quartier. Source : Données
fournies par Murat Güvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
I.8 Répartition des activités professionnelles des habitants. Femmes à
gauche ; Hommes à droite. Source : Données fournies par Murat Gü-
venç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
I.9 Répartition des secteurs d’activités des habitants. Hommes à gauche ;
Femmes à droite. Source : Données fournies par Murat Güvenç . . . . . 38
I.10 Statut d’occupation par sous-quartier. Source : Données fournies par
Murat Güvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
I.11 Lieux de naissance des habitants. Source : Données fournies par Murat
Güvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
I.12 Le Küçükpazar. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . 44
TABLE DES FIGURES
II.1 Kentsel yenileme alanı (secteur de rénovation urbaine). Source : KIP-
TAS, Süleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
II.2 Ancienne photo de Süleymaniye. Source : KIPTAS, Süleymaniye Su-
num, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
II.3 Périmètre du projet prioritaire. Source : KIPTAS, Süleymaniye Sunum,
30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
II.4 Situation de l’îlot 565 dans le quartier. Source : KIPTAS, Süleymaniye
Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
II.5 Présentation de l’îlot 565 avant et après projet. Source : KIPTAS, Sü-
leymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
II.6 Situation hier, aujourd’hui, demain. Source : KIPTAS, Süleymaniye
Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
II.7 Carte des projets de rénovation sur la rive européenne. Source : (AGFE,
2009) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
III.1 Exemple de façadisme. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . 72
III.2 Façade rénovée par KUDEB. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . 73
III.3 Réhabilitation privée d’une rue par l’architecte Monsieur Y. Source :
photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
III.4 Réhabilitation d’une rue réalisée par KUDEB. Source : photo prise en
juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
III.5 Maison réhabilitée disproportionnée. Source : photo prise en juin 2010 77
III.6 Exemples de logements construits de KIPTAS. Source : http ://www.kiptas.com.tr
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
III.7 Organigrammes du projet de Balat. Source : D’après les entreriens avec
D. Aslan et H. Gargin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
III.8 Organigrammes du projet de Süleymaniye. Source : D’après les entre-
riens avec D. Aslan et H. Gargin et Melle Z . . . . . . . . . . . . . . . . 92
III.9 Etat d’un ilôt après de multiples destructions illégales. Source : photo
prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
III.10Des enfants jouent dans les ruines d’un immeuble. Source : photo prise
en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
III.11Des enfants jouent dans les ruines d’un immeuble. Source : photo prise
en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
III.12Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
iv
Introduction
A Le projet de rénovation de Süleymaniye entre inter-
vention urbaine et politique : la mise aux normes d’un
quartier au service d’enjeux identitaires et internatio-
naux
« Réactiver la culture ottomane », « retrouver le quartier de Süleymaniye » ... tels
sont les slogans portés par les défenseurs du projet de rénovation de Süleymaniye.
Süleymaniye est un quartier de la péninsule historique d’Istanbul. Il est reconnu pour
la richesse de son patrimoine architectural, aussi bien monumental (la mosquée de Soli-
man le Magnifique) que vernaculaire (les maisons en bois). Mais il est surtout le symbole
de la grandeur ottomane. Au XVIème siècle, Süleymaniye est connu pour être le lieu
de résidence des vizirs et des grands juges. Cette caractéristique identitaire se perpétue
aujourd’hui par la présence de fondations religieuses dans le quartier. Or, il est aussi un
quartier très dégradé et stigmatisé. Dégradé, car l’état du bâti, et a fortiori, des conditions
de vie, y est déplorable. Stigmatisé, car le nom du quartier est aujourd’hui associé aux
chambres de célibataires qui le composent. Ces chambres sont louées à des jeunes tra-
vailleurs qui la partagent le temps d’accumuler de l’argent pour envoyer à leur famille,
dans l’est du pays, en Anatolie ou encore dans la région de la mer Noire. Le quartier de
Küçükpazar à Süleymaniye, est un des plus emblématiques de cette population immigrée
(de l’intérieur). Ainsi, l’état physique et le profil social du quartier en font depuis les
années 2000 un terrain de projet.
En 2006, la municipalité de l’arrondissement de Fatih déclare que Süleymaniye est
désormais classé zone de renouvellement. Si la nécessité d’une intervention n’est pas re-
mise en question, les modalités de ce projet sont pour le moins à interroger. Le tissu
urbain de Süleymaniye est classé depuis 1985 au patrimoine de l’UNESCO. Pourquoi la
INTRODUCTION
municipalité prévoit-elle un projet de rénovation plutôt qu’un projet de réhabilitation ?
Cette question se pose d’autant plus que le projet prévoit de reconstruire des maisons
ottomanes conformément à des photographies anciennes du quartier. Entre démolition et
patrimonialisation, quelles sont les motivations et les ambitions de la municipalité ? En
outre, pourquoi choisir le retour aux maisons ottomanes ? Quelle clientèle ce projet vise-
t-il ?
A.1 Un projet de rénovation et d’expulsion
La démolition fait partie intégrante du processus du projet. Sur les parcelles vidées
du bâti antérieur, naîtront de nouvelles konaks, ou maisons ottomanes. Il s’agit dès lors
de s’interroger sur le type de projet auquel on a affaire. Restauration ? Rénovation ? Des
références sont faites aux deux notions.
D’après le dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (Lévy, Lussault,
2003), la restauration comme la rénovation sont des « types d’intervention architecturale
ou urbanistique sur des espaces construits », en ce qui concerne le vocabulaire adminis-
tratif et opérationnel français bien sûr. Dans le cas de la restauration, il s’agit essentielle-
ment d’ « un rapport admiratif au passé qui vise à la conservation et implique une action
de reconstruction à l’identique »(Lévy, Lussault, 2003, p 788). Le projet de Süleymaniye
semble être dans cet esprit. Le fait qu’il ne prévoit la construction uniquement de konaks
montre bien le rapport idéalisé au passé ottoman. Toutefois, si le projet vise bien la re-
construction à l’identique, par diverses photographies anciennes du quartier, on ne peut
que remarquer qu’il ne s’agit pas de conservation, ni de réhabilitation, mais de destruction
dans un premier temps. Néanmoins, la référence à la restauration ne s’arrête pas à un rap-
port admiratif -voire nostalgique- au passé. D’une part, la restauration est une pratique
qui a des fins ludiques et touristiques. Elle utilise et appréhende l’espace urbain comme
un décor. Il s’agit bien, là, du projet de Süleymaniye dont un des premiers objectifs est de
promouvoir sur la scène internationale l’image d’une ville moderne, promotion qui passe
également par la touristification de la ville. D’autre part, elle est « un levier de gentrifica-
tion » (ibid.), utilisée essentiellement dans les centres-ville dégradés et paupérisés par le
départ des propriétaires en périphérie et permet ainsi la réalisation de plus value immobi-
lière. Ce qui est également le cas à Süleymaniye où nous sommes confrontés à un quartier
dégradé du centre ancien, dont le potentiel foncier et immobilier est très important.
En ce qui concerne l’action sur le bâti, la référence à la rénovation est aussi pertinente
puisque celle-ci fait « table rase pour édifier selon les normes en vigueur » (Lévy, Lus-
2
.A Le projet de rénovation de Süleymaniye entre intervention urbaine et politique :
la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux
sault, 2003, p789). Afin de justifier cette opération radicale, des références sont faites dans
les discours à la dégradation du bâti et au risque sismique. Lussault souligne le fait que
« la rénovation – alias destruction-reconstruction – se fait presque toujours au détriment
des populations en place et il en résulte d’importants changements de statuts fonctionnels
et sociaux de l’espace » (ibid.). C’est pourquoi cette pratique a rapidement été critiquée
en France, notamment avec l’arrivée de la loi Malraux sur les secteurs sauvegardés qui
dénonce ces pratiques bulldozers. Néanmoins, elle est toujours utilisée, même s’il s’agit
souvent d’espace moins sacré, comme dans des reconversions industrielles ou des requa-
lifications de grands ensembles...
Ainsi, le projet oscille entre deux pratiques radicales, qui sont souvent présentées
comme opposées, mais qui, dans le cadre du projet de Süleymaniye, semblent para-
doxalement complémentaires. En effet, l’esprit et les objectifs du projet relèvent de la
restauration. Est-ce l’influence des méthodes européennes et leur souci d’un retour à
l’authentique ? À ce propos, notons que cette idéologie n’est pas universelle. Les villes
asiatiques ont plus souvent opté pour un engagement dans des constructions modernes
qui soulignent une rupture avec le passé. Cette volonté, de la part des autorités turques,
de rappeler le passé ottoman se répand à plusieurs niveaux. Certains parlent même de
néo-ottomanisme ou d’ottomanisation. Ce qui pourrait être une particularité du projet.
Toutefois, il s’agit de noter que cette référence au patrimoine fait partie des pratiques
mondialisées et des atouts de ce que pourrait être une ville internationale. Enfin, il est in-
déniable que le projet emprunte les méthodes de la rénovation, qui passe par la destruction
et implique dès lors des conséquences sociales et fonctionnelles que nous analyserons.
Remarquons somme toute qu’aucune référence n’est faite à la réhabilitation dans le
projet de la municipalité. Elle est pourtant une pratique plus modérée qui vise « le réta-
blissement d’un édifice ou d’un ensemble d’immeubles dans ces capacités à abriter des
activités et des habitants ». Elle sous-entend que « les principales caractéristiques de l’ob-
jet sont préservées et insérées dans un nouveau fonctionnement adapté au temps présent ».
Or, si la mairie ne s’y réfère pas pour le projet prioritaire de Süleymaniye (périmètre KIP-
TAS 1), il s’agit de noter que des expériences de réhabilitations ont néanmoins eu lieu par
divers acteurs comme l’agence métropolitaine KUDEB 2 et les propriétaires eux-mêmes.
1. La situation géographique du quartier de Süleymaniye, ainsi que le périmètre du projet sont présentés
en annexe B, p 115
2. KUDEB est la direction de mise en oeuvre et de contrôle de la conservation. Elle est une agence
municipale qui a comme mission de délivrer les permis de construire pour des travaux mineurs de réparation.
Elle est souvent invitée à réaliser ces travaux, lorsqu’ils sont mineurs. Ils concernent souvent la façade du
bâtiment. Pour plus d’informations sur cette agence, se reporter à l’annexe C qui présente les différents
3
INTRODUCTION
On note également une réhabilitation. Celle de la mosquée de Soliman le Magnifique
lancée par la grande municipalité d’Istanbul (IBB), à l’occasion de l’événement Istanbul,
Capitale Européenne de la Culture 2010. Ceci montre un rapport différent à l’architecture
monumentale et à l’architecture vernaculaire.
De fait, malgré les différents plans de sauvegarde, l’UNESCO menace de placer Is-
tanbul sur la liste du patrimoine en danger depuis 2004. Sont remises en cause les restau-
rations mal faites et les projets destructeurs qui se développent depuis les années 2000.
En cette année 2010, alors qu’Istanbul est Capitale européenne de la Culture, l’UNESCO
a placé Istanbul sur la liste du patrimoine en danger pour une durée limitée fin juillet. Le
comité est revenu sur sa décision depuis le mois d’août, mais il demande impérativement
que des changements soient faits pour février 2011 dans plusieurs projets urbains. Parmi
les quatre principaux reproches énoncés par l’UNESCO se trouve la politique de rénova-
tion urbaine accélérée par la loi 5366, qui confère aux municipalités le droit et le pouvoir
d’exproprier à l’intérieur de « zones de renouvellement ». Comment, à travers ce projet,
les autorités turques font-elles la promotion d’un patrimoine architectural reconstitué au
détriment de la population locale et du patrimoine mémoriel, immatériel ?
A.2 Un projet politique et identitaire
Seules les illustrations de belles konaks 3 nous indiquent le type de public attendu.
En effet, ces demeures étaient réservées à l’aristocratie ottomane ou construites par de
riches particuliers. La volonté de « ré »-introduire ce genre de résidence dans le quartier
de Süleymaniye montre bien l’ambition d’en changer le profil social. Toutefois, rien n’est
mentionné quant à la composition sociale du quartier. Aucun équipement n’est prévu.
Ce projet semble être uniquement architectural, mais dans le choix de l’architecture, les
konaks, le message semble clair : il s’agit de « réanimer la culture ottomane » 4.
Ainsi, il semble d’emblée que ce projet soit un projet résidentiel pour une catégorie
sociale bien spécifique, aisée et en lien avec la culture ottomane. On note qu’une bour-
geoisie islamique émerge dans les années 1980. Elle est liée au pouvoir par un mode
de vie commun, une esthétique commune, une affinité historique, et des intérêts écono-
miques concrets. Dès lors la dimension politique du projet doublerait, ou du moins serait
acteurs intervenant dans le projet.
3. Les konak sont les palais, résidences ou grandes maisons construites durant dans l’Empire ottoman
par de riches particuliers ou membres de l’aristocratie. Elles sont souvent réalisées en bois, et comprennent
une çikma (une avancée en encorbellement qui surplombe la rue et agrandit l’espace intérieur), et une entrée
surélevée par rapport au trottoir.
4. « Osmanli Kültürünü yeniden Canlandirmak », l’express, Ayse Cavdar.
4
.A Le projet de rénovation de Süleymaniye entre intervention urbaine et politique :
la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux
lié à, son caractère identitaire. Le parti au pouvoir depuis 2002 est l’AKP. Il est le parti
de la justice et du développement. Il naît de la scission en 2001 du parti islamiste le Re-
fah, parti du bien-être, de N. Erbakan. Remarquons qu’en 2002, l’AKP obtient, avec près
de 35% des voix, la majorité absolue au Parlement turc. Il occupe dés lors 363 des 550
sièges à la grande Assemblée nationale. « Idéologiquement, il n’est pas facile de quali-
fier l’AKP. Parti islamique, parti d’islamistes, parti de l’Islam politique, Islam modéré,
néo-islamisme, démocratie musulmane... qui se définit officiellement comme démocrate
conservateur » (Chenal, 2005). Il s’agit de souligner que très récemment, le 12 septembre
2010, la montée en puissance de l’AKP a été confirmée. Le référendum proposant de ré-
viser certaines dispositions de la Constitution de 1982 a été approuvé à 58% des voix.
Ce référendum proposait en particulier de « restructurer la hiérarchie judiciaire et de sou-
mettre un peu plus l’autorité militaire à l’État de droit » (OVIPOT, Marcou, 2010). Cette
victoire aurait pour conséquences d’affaiblir l’établissement militarojudiciaire, seule ins-
tance susceptible de gêner les actions de l’AKP d’après J. Marcou (ibid.).
« Le monde de l’AKP est un monde qui se pose en tant que bourgeoisie concurrente
de celle née après la 2nde Guerre mondiale. Leur position est concurrentielle. Ils ont
décidé de la vivre en y mettant une esthétique concurrente (foulards, architecture “néo-
ottomane”...). On peut parler d’un entre soi de cette bourgeoisie non kémaliste 5, qui ne
se voit pas fondée sur les valeurs kémalistes (de la république des années 1920, jusqu’aux
années 1950). En termes de chiffres, cette bourgeoisie AKP ne représente encore que 10
% des 500 familles turques qui paient le plus d’impôts » (D’après un entretien avec Nora
Seni, juillet 2010). Mais, il semble qu’elle se développe.
La question identitaire est très importante ici. En ce sens, le projet serait instrumenta-
lisé par la politique de l’AKP. La rénovation urbaine est ici l’instrument d’enjeu politique
à court terme (élections), et d’une question identitaire à plus long terme (imposer une
nouvelle esthétique, des symboles de reconnaissance, de nouvelles valeurs). L’AKP, par
ce projet, se lierait à ses partisans en leur offrant un environnement symbolique.
Il s’agit dès lors de présenter en introduction les enjeux urbains que connaît la méga-
pole stambouliote aujourd’hui, ainsi que les projets précédents appliqués à la péninsule
historique afin de mettre en perspective le projet. Se fait-il en continuité ou rupture avec
les plans précédents ?
Dans le corps de ce mémoire, nous essaierons dans un premier temps de comprendre
5. Les kémalistes sont les partisans de la République introduite en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk.
5
INTRODUCTION
les motivations du projet en partant d’une mise en contexte du quartier de Süleymaniye
comme quartier dégradé d’une ville internationale, symbole de l’Empire ottoman, mais
aussi lieu stigmatisé par sa population. Dans un second temps, il s’agira d’analyser le
projet que propose la mairie, à travers ses différents discours et le cadre politique et ju-
ridique dans lequel il s’inscrit. Enfin, nous essaierons de comprendre les enjeux socio-
économiques et symboliques du projet qui ressortent à travers ses modalités s’application.
B Istanbul, une mégapole en pleine croissance
Trois éléments majeurs doivent être pris en considération pour comprendre la pression
foncière que connaît la ville d’Istanbul aujourd’hui, et, a fortiori, pour comprendre les
enjeux des projets de renouvellement.
B.1 Croissance démographique élevée
D’après les critères de l’ONU, Istanbul est une mégapole à l’échelle de la Turquie
et du bassin méditerranéen. En 2008, elle est une agglomération urbaine rassemblant
près de quinze millions d’habitants, soit plus que la population de l’Ile de France. En
termes démographiques, on note bien une « mégapolisation » d’Istanbul : sa population
a presque triplé depuis les années 1980 6. En outre, la place d’Istanbul dans l’armature
urbaine turque va en s’affirmant. Son aire urbaine a rattrapé les départements limitrophes,
elle s’étend sur plus de 140 km de part et d’autre du Bosphore, comme l’Ile de France qui
s’étale sur plus de 130 km d’est en ouest.
Depuis les années 1980, « un spectaculaire changement de dimension s’est opéré :
Istanbul est devenue une région urbanisée » (Pérouse, 2001, p 205). Sa croissance an-
nuelle varie autour de 4 % par an, de 250000 à 350000 habitants (à titre de comparaison,
la ville de Nantes compte plus de 290000 habitants), croissance comprenant une part dé-
terminante de dynamique migratoire. « En 1997, 63 % des habitants du département n’y
étaient pas nés » (ibid.). Une des raisons qui explique cette croissance démographique
réside dans le fait qu’Istanbul est un pôle migratoire majeur. Si depuis les années 1980,
on note que les migrants sont globalement plus urbains que ruraux, on observe que les
flux n’ont de cesse. Un flux migratoire important en provenance des régions kurdes à l’est
du pays se fait ressentir en réaction aux troubles qui sévissent dans ces régions. D’autre
part, une proportion non négligeable de migrants est composée d’étrangers en transit qui
6. On passe de 4,7 millions à plus de 15 millions d’habitants dans le département aujourd’hui.
6
.B Istanbul, une mégapole en pleine croissance
tentent de gagner l’Europe (Pérouse, 2002). Ces étrangers de passage deviennent souvent
des étrangers clandestins qui peuvent rester très longtemps dans la capitale afin d’obtenir
les visas et faux papiers.
Ce phénomène migratoire important induit de nouveaux modes d’habiter plus ou
moins temporaires, dans la capitale. Ils traduisent des mobilités entre le département
d’origine et la métropole, voire entre la métropole et l’étranger. Une des particularités
d’Istanbul est cette « population en mouvement » qui échappe au recensement (Pérouse,
2001).
B.2 Croissance économique et culturelle : volonté de faire une ville
internationale de premier rang
Istanbul concentre et produit une grande part de la richesse turque si on prend en
compte le Grand Istanbul qui va jusqu’à Izmit. Cette donnée est toutefois à nuancer par
le fait que le département d’Istanbul est classé au sixième rang national en fonction du
revenu annuel par tête d’habitants. En 1998, le Grand Istanbul concentre deux tiers des
cinquante plus grands groupes industriels de la Turquie (Philsa, Arçelik...). Sur les 10
plus grands groupes, 9 ont leur siège et leur principale unité de production dans le Grand
Istanbul. Ces chiffres officiels peuvent être revus à la hausse si on ajoute le secteur in-
formel qui est considérable à Istanbul. La moitié des secteurs industriels ou tertiaires ne
seraient pas déclarés (OCDE, 2008).
La présence des grandes holdings turques donne forme à une polarisation financière à
Istanbul. La présence boursière est également forte, l’une des plus attractives au Proche
et Moyen orient. Selon Morgan Stanley, la Turquie était même au 2e rang mondial des «
marchés financiers émergents » en 1996. En outre, l’affirmation d’ambitions internatio-
nales se fait ressentir, même si l’opacité et le dysfonctionnement administratifs freinent
cet engouement.
Ces évolutions se traduisent dans l’espace. Depuis 1985, on observe une verticalisa-
tion du bâti. Une multitude de tours dessine l’« Istanbul Manhatani » sur l’avenue Büyük-
dere qui concentre la plupart des sièges sociaux des holdings. (Alarko, Banque Turc du
Travail...) Dans les années 1980, l’architecture commerciale se diffuse. Les Turcs font
référence aux « centres commerciaux géants » (cf. Akmerkez d’Etiler). Les nouvelles
autoroutes et voies express également marquent et fracturent le paysage.
En outre, Istanbul maintient et accroît son rôle de centre culturel et attractif. 60 %
des foires et expositions turques ont lieu à Istanbul en 1997. La ville dispose des infra-
7
INTRODUCTION
structures les plus importantes (Pérouse, 2007). Dans ce contexte, le tourisme d’affaire,
et de congrès explose. Le rôle touristique d’Istanbul est aussi probant pour la Turquie. On
compte 2 millions de touristes étrangers en 2000 à Istanbul sur les 9 millions accueillis
dans toute la Turquie. Les quartiers touristiques sont essentiellement concentrés dans le
centre ancien, dans les arrondissements de Fatih, Eminönü, Beyoglu, Besiktas... Ce tou-
risme prend la forme de gros investissements, des hôtels de standing, même dans les sites
protégés et classés des rives du Bosphore, en même temps que sont prônés des efforts
en matière de qualité environnementale et de valorisation du patrimoine bâti. De 1980 à
2007, la capacité d’accueil des hôtels cinq étoiles passe de 2000 à 10199. De même, les
centres commerciaux se multiplient (AGFE, 2009). Cette ville de 8000 ans d’histoire est
peu à peu transformée en ville globale.
En 2010, Istanbul est capitale européenne de la culture. Près de 500 projets artis-
tiques sont prévus dans l’agglomération. L’organisation d’un tel événement est un grand
défi pour la Turquie entière, qui est candidate à l’entrée dans l’Union Européenne. C’est
l’occasion rêvée pour les autorités politiques de lancer des projets de « transformations
urbaines ». Il s’agit de valoriser le patrimoine, et de se montrer sur la scène internationale
comme étant une métropole moderne, contemporaine, occidentale. Toutefois, on note que
le choix des monuments et des sites concernés par la restauration, fait souvent polémique.
Korhan Gümüs, qui était directeur des projets urbains au sein du comité d’organisation
d’Istanbul 2010, met en garde contre une tendance dans laquelle « la culture a tendance à
être reléguée au rayon loisirs, ou utilisée pour servir une idéologie. Il y a deux risques :
essayer de vendre un passé glorifié, et utiliser les fonds publics accordés à la culture pour
développer le tourisme et les capacités économiques de la ville » (Perrier, le 17/01/2010,
Le Monde). En effet, on remarque dans cet événement que les dimensions marchande
et touristique prévalent sur l’éthique historique ou urbaine. Or, cette ambition d’interna-
tionalisation de la ville semble déplacée au regard des préoccupations de la majorité des
habitants, qui ne bénéficient pas de ces mutations.
D’autre part, les multiples projets ne s’inscrivent pas jusqu’à présent dans une stratégie
urbaine à l’échelle de l’agglomération, mais se font plutôt selon les opportunités foncières,
à coup de délégations aux investisseurs privés.
8
.B Istanbul, une mégapole en pleine croissance
B.3 Privatisation, spéculation et étalement urbain : une croissance
urbaine non contrôlée
Depuis les années 2000, l’État turc adopte une posture de privatisation et vend peu à
peu ses biens immobiliers et fonciers à des investisseurs privés. Cette dérégulation a pour
conséquences de multiplier les projets et la croissance urbaine au coup par coup, mais elle
provoque également une envolée des prix du foncier, due à la spéculation. On voit naître
des projets « spectaculaires » de tours de bureaux, de logements de standing ou encore
de centres commerciaux géants. Ces projets ne se font pas sans autorisations : ce sont les
mairies d’arrondissement qui délivrent les permis de construire. Toutefois, il faut noter
que ces mairies sont en concurrence les unes avec les autres pour accueillir les d’investis-
seurs, elles ne freinent pas cette dynamique (Pérouse, 2006). Un des signes de la difficulté
à gérer la croissance urbaine est la multiplication des cités privées. La production de la
ville est aux mains d’opérateurs privés qui construisent des « ensembles résidentiels com-
posés de villas et/ou d’immeubles, fermés par une enceinte protégée et dotés de services
et équipements le plus souvent réservés » (Pérouse, 2002, p27). Leur gestion échappe aux
pouvoirs publics. En 2001, on dénombre 270 cités privées, qui pourraient représenter près
de 100000 logements. Les publics cibles de ces résidences sont les « gens de la finance
et salariés des grands groupes internationaux » qui peuvent s’offrir des villas de 500000
à 2M de $ (ibid.). Dans ces cités, les habitants vivent entre eux, comme « préservés », ils
adoptent les mêmes modes de vie, achètent les mêmes voitures, mettent leurs enfants dans
les mêmes écoles. L’homogénéité et le mimétisme marquent ces quartiers qu’on promeut
comme étant sécuritaires, à haute garantie de civilité, d’environnement agréable. Chaque
opération est conçue dans l’ignorance totale de son environnement proche, ce qui produit
un paysage composite et hétéroclite. Ces cités sont l’expression de l’éclatement socio-
spatial d’Istanbul. Elles sont très liées au dépérissement des arrondissements centraux
(Pérouse, 2002).
La figure 1 montre l’évolution de l’urbanisation d’Istanbul, de la ville byzantine à
la mégapole d’aujourd’hui. On remarque que la croissance urbaine explose à partir du
XXème siècle. En effet, le schéma de l’évolution de la population interne à Istanbul est
simple. On observe une certaine dépopulation du centre-ville et un développement très
rapide des arrondissements périphériques. Par exemple, le quartier central d’Eminönü 7
perd 4,84 % de sa population entre 1990 et 1997 tandis que celui de Büyükçekmece, en
7. Il faut noter que l’arrondissement d’Eminönü n’existe plus depuis 2009, il a fusionné avec celui de
Fatih.
9
INTRODUCTION
FIGURE 1: Carte de la croissance urbaine d’Istanbul. Source fond de carte (Pérouse,
2001)
périphérie sud-ouest en a gagné 14, 5 % (Pérouse, 2001).
Plusieurs logiques contribuent à cela :
– La « citysation » de certains quartiers centraux convertis en activités commerciales
ou de bureaux, à plus grosse valeur ajoutée, au détriment de quartiers résidentiels.
– La logique de muséification du centre-ville à des fins touristiques.
– Une fuite des riches vers la périphérie pour jouir de quartiers de standing qui s’ac-
compagne d’une forte dégradation du bâti ancien. Dans l’hypercentre, un logement
sur quatre serait vacant dans le quartier de Beyoglu.
En 1990, dix arrondissements sont créés aux marges de l’aire urbaine. Leur morpho-
logie est en discontinuité avec les espaces centraux et ils sont reliés au centre par des au-
toroutes qui traversent de nombreux no man’s land. C’est ce qu’on appelle le phénomène
de périurbanisation incontrôlée 8, de mitage de plus en plus lointain impulsé par les pro-
moteurs qui cherchent les meilleures opportunités foncières. Notons que ce phénomène
est source de surcoût en termes de réseaux et d’équipements de base ainsi que d’étalement
urbain. Il traduit un décalage entre la croissance démographique et la croissance urbaine,
cette dernière ayant explosé.
8. Il s’agit du phénomène de métropolisation, dans l’acceptation anglo-saxonne du terme.
10
.C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou rupture avec les projets
précédents ?
En effet, depuis les années 2000, on note un paradoxe : alors que la croissance dé-
mographique ralentit, le parc de logement croît très rapidement. Il pourrait accueillir près
de 25 millions de personnes, ce qui représente presque le double de la population re-
censée en 2008. Ce phénomène s’explique en partie par l’arrivée de nouveaux modèles
familiaux et l’augmentation relative du niveau de vie des stambouliotes qui s’accompagne
d’un phénomène de décohabitation, de desserrement des ménages. Or, la plupart des nou-
velles opérations de promotion immobilière sont luxueuses et ne correspondent pas à la
demande d’une grande partie de la population non solvable. On observe alors un hiatus
entre la production du bâti et la demande. La démission des pouvoirs publics en termes
de stratégie foncière n’a fait qu’accélérer le développement de l’aire urbaine qui s’étale
de plus en plus (Pérouse, 2006).
C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou
rupture avec les projets précédents ?
C.1 La politique de transformation urbaine comme outil de gestion
de l’urbanisation depuis les années 2000
Certains quartiers d’Istanbul se dégradent à grande vitesse. En effet, la ville d’Istan-
bul s’est développée très rapidement avec les différentes vagues d’immigration de 1950 et
de 1970. Cet afflux de population a engendré une urbanisation informelle, dans les quar-
tiers centraux pour la première vague surtout, dans les quartiers périphériques pour les
vagues d’immigration plus récentes. Or, comme vu précédemment, les quartiers centraux
perdent de la population. Ce sont notamment les populations les plus aisées qui partent
du centre pour vivre en périphérie, dans des quartiers de standing. Ainsi, on observe deux
phénomènes. D’une part, une dégradation du bâti ancien est à l’œuvre dans ces quartiers
centraux comme Fatih. D’autre part, le bâti informel, souvent construit avec des matériaux
de récupération et de bois, est mal perçu par les autorités publiques. Cela va conduire la
puissance publique à mener une politique de transformation urbaine, kentsel dönüsüm en
turc. Ce type de bâti populaire irait à l’encontre des ambitions d’internationalisation et de
modernité d’Istanbul d’après les élites politiques.
Depuis son arrivée au pouvoir, le maire Kadir Topbas encourage les « grands projets
urbains ». Il tend à remodeler le tissu urbain pour lui conférer une image plus contempo-
raine. Les grands événements nationaux et internationaux sont dans ce contexte le prétexte
11
INTRODUCTION
pour « moderniser » la ville. C’est dans ce cadre qu’une loi est votée en 2005 sur la « réno-
vation pour la préservation et le réemploi des biens historiques et culturels immobiliers en
délabrement ». On l’appelle plus fréquemment la loi 5366. Son objectif est de permettre à
toutes les administrations de reconstruire et restaurer 9 -rénover en réalité- des biens his-
toriques et culturels immobiliers classés par le Conseil de protection des biens culturels
et naturels. Ces "zones de renouvellement" sont désignées par l’assemblée municipale, et
les projets sont réalisés par la municipalité concernée. Elle peut toutefois déléguer ce rôle
à toute autre personne morale, comme le TOKI par exemple. Le TOKI est l’administra-
tion du logement collectif. Depuis le milieu des années 1990, le TOKI s’intéresse aussi
au parc de logements anciens dans les tissus historiques 10(electrOUI, 2006).
D’après l’article 51 de cette loi sur la rénovation, des conseils locaux devaient être
créés pour suivre les travaux localement, à l’échelle du projet. L’évacuation, et la des-
truction du bâti doivent se faire d’un commun accord avec le propriétaire. Toutefois, en
cas de désaccord, l’expropriation est tout à fait possible et prévue. Ce projet de rénova-
tion urbaine s’inscrit dans une démarche de planification stratégique de la municipalité
métropolitaine, IBB 11, qui intervient dans les quartiers historiques précaires tels que Sü-
leymaniye, Sulukule, Balat et bien d’autres... Pour le seul arrondissement de Fatih, une
dizaine de projets sont prévus, ce qui est considérable. Or, on remarque rapidement que
ces projets de rénovation ne tiennent pas compte des réalités historiques de la ville. Ils se
font surtout dans le souci de procurer une image européenne 12 à Istanbul.
Ces projets sont pour la plupart des projets de destruction, reconstruction et ne pré-
voient pas de procédure de relogement pour les habitants. « Expropriations et démolitions
demeurent en effet le lot commun de millions de résidents dans le monde (Un-Habitat,
2003). Il s’agit d’un phénomène aussi massif que peu étudié, à contre-courant du credo
de régularisation -des quartiers irréguliers- martelés dans les instances internationales.
On doit ajouter que ses effets sont aujourd’hui décuplés par l’éviction du logement par
le secteur privé (Durand-Lasserve, 2006) dans les métropoles les plus tendues sur le plan
foncier et immobilier, où s’opposent constamment éviction et empiètement silencieux par
9. Le terme restaurer est employé par la grande municipalité d’Istanbul (IBB) et les défenseurs de cette
politique de transformation urbaine, mais il s’agit en réalité de rénovation, puisque l’étape de la destruction
de l’existant est omniprésente.
10. Pour plus d’informations sur le TOKI, se reporter à l’annexe C qui présente les acteurs intervenant
dans le projet de rénovation
11. Istanbul Büyüksehir Belediyesi
12. L’expression image européenne est paradoxale. Elle est utilisée ici dans le sens où les projets ont
pour objectif de donner une image moderne à Istanbul, et in fine montrer que la mégapole a sa place dans
l’Europe. Or, bien sûr, le passé historique revendiqué est ottoman.
12
.C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou rupture avec les projets
précédents ?
les populations privées de logement régulier (Bayat, 1997) » (Deboulet, 2009, p1).
Comment cela se concrétise-t-il à Istanbul ? Comment l’espace urbain de ces quar-
tiers décrétés de rénovation est-il en pleine reconfiguration sociologique ? Les stratégies
d’action sont-elles les mêmes dans ces quartiers ? Quels sont les différences ou points
communs de l’application des projets de rénovation dans ces quartiers ? Une fois, les
principaux enjeux urbains stambouliotes posés, il s’agit de se centrer un peu plus sur le
quartier à l’étude, et plus généralement sur la péninsule historique.
C.2 Des plans de protection du patrimoine qui visent le développe-
ment touristique de la péninsule historique
En 1985, l’UNESCO classe la péninsule historique au patrimoine mondial de l’Huma-
nité, d’abord par l’intermédiaire de quatre quartiers : Sultanahmet, Süleymaniye, Zeyrek
et les Murailles de Théodose II. Dix ans après, en 1995, toute la péninsule est classée. Ces
secteurs doivent alors être protégés, sauvegardés : c’est la condition. Ce n’est qu’après ce
premier classement, par une instance internationale, que la péninsule historique est ins-
crite sur le registre des biens nationaux. Plusieurs plans de protection sont alors conçus
en 1990, 1998, 2003, et enfin, en 2004 la municipalité lance le projet « Istanbul-Ville
Musée » (Istanbul Müze Kent Projesi, soit IMÜKEP). Ces plans ont comme objectif de
protéger le patrimoine. Toutefois, s’ils sont dits de « sauvegarde », ces plans n’opèrent pas
de choix clair en général. En ce qui concerne le plan de 2003 notamment, quatre scéna-
rios sont proposés, tous sont plus ou moins subordonnés à des objectifs touristiques, mais
reste construit selon des identités différentes. L’accent est mis sur les zones de logement,
de commerces, d’équipement ou de tourisme. Comment mettre en avant une fonction de
la ville au détriment des autres ? Le fait que la municipalité ne choisisse pas un seul des
quatre scénarios rend le plan inapplicable dans la pratique, car ses schémas sont contra-
dictoires sur plusieurs aspects. On note une absence de proposition concrète, ce qui remet
en question de la légitimité du plan. De plus, ces plans gardent une approche fonctionnelle
(et non territoriale). Ils ne prévoient pas d’articulation avec le grand Istanbul, la péninsule
historique y est considérée comme isolée de son contexte (Özel, 2004).
Enfin, en ce qui concerne le projet IMÜKEP, Erdogan, le premier ministre, déclare
début 2004 qu’il faut « sauver et préserver la péninsule historique, la faire « regagner »
aux Stambouliotes, à la Turquie et à l’humanité » ; il déclare également que les quartiers
de Beyoglu, Süleymaniye, Zeyrek, Fener et Balat sont part importante des projets prévus.
Pour cela, les ateliers créateurs de « pollution visuelle » seront transférés. Les « édifices
13
INTRODUCTION
ayant perdu leur identité » seront réhabilités. La presse annonce que pour Eminönü 4834
ateliers doivent fermer et déménager (Pérouse, 2007). Il s’agit de faire du centre-ville his-
torique, un lieu protégé et touristique avant tout. Comme zones pilotes sont choisis les
quartiers de Zeyrek et Süleymaniye. Mais ce projet n’a jamais été mis en œuvre concrète-
ment. Les projets de rénovation l’ont doublé. En outre, on remarque que depuis l’arrivée
au pouvoir de l’AKP dans les années 1990-2000, un seul aspect du patrimoine est reven-
diqué : celui de la période ottomane. « La chambre des architectes dénonce fermement
une conception sélective de la protection du patrimoine dans ce plan de sauvegarde. Une
conception nationaliste qui tend à protéger tout ce qui concerne la période ottomane et
rien d’autre » (Özel, 2004).
Ainsi, les projets précédents sont essentiellement des projets à des fins de protection
du patrimoine et de développement touristique. Le projet de rénovation s’inscrit-il dans
cette politique ?
C.3 Un projet résidentiel qui semble inédit
Afin d’introduire le projet de Süleymaniye, partons de la source principale et première
du projet : son document de promotion. En effet, le projet en tant que tel n’est absolument
pas communiqué par les instances municipales. Il s’agit de s’en tenir à la promotion qui
en est faite sur le site internet de la mairie de l’arrondissement de Fatih, d’analyser cette
source publique, de la mettre en perspective, de la relativiser et d’en comprendre les li-
mites, sa dimension marketing. Quelle clientèle ce document vise-t-il ? À qui vend-on ce
projet ?
Tout d’abord, ce document est situé sur le site internet de la municipalité de Fatih, et
non de la grande municipalité d’Istanbul. On peut alors en conclure que c’est la munici-
palité d’arrondissement qui est à l’initiative du projet, qu’elle en est le maître d’ouvrage.
Ceci est possible depuis la loi 5366 de 2005 présentée en amont. On trouve ce document
dans la rubrique projeler, (projets), et dans le chapitre Yenileme projeleri (projets de réno-
vation). Le document présenté est daté du 28 octobre 2009, ce qui est très tardif comparé
à la mise en œuvre du projet qui commença dès 2006. Cela souligne un manque de com-
munication remarquable de la part de la mairie. Le projet intervient dans le cadre d’une
politique de kentsel dönüsüm, qui signifie « transformation urbaine » 13. Cette politique
est symptomatique de l’intervention urbaine par les instances publiques depuis les années
2000. Elle est à l’origine de tous les projets de rénovation lancés depuis le vote de la loi
13. Nous détaillerons cette notion dans la partie 1
14
.C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou rupture avec les projets
précédents ?
5366. « Le projet porte sur le patrimoine historique et culturel de Süleymaniye, zone dé-
clarée de renouvellement le 24/06/2006 (publié au JO 2006/10501), il a pour ambition de
renouveler l’utilisation du patrimoine immobilier » 14.
À la suite de ce préambule, un paragraphe retrace brièvement l’histoire du quartier
afin d’en montrer l’importance et le symbole. C’est un quartier né avec la construction de
la grande mosquée et du complexe de Süleymaniye, tous deux commandés par Soliman
le Magnifique au XVIe siècle. Le texte exprime clairement que ce quartier était réservé
à une classe spécifique et riche durant l’Empire ottoman, et que depuis le XXe siècle, il
s’est paupérisé et a connu des dégradations, des incendies... Mais qu’aujourd’hui des «
priorités » touristiques ont gagné le quartier.
Les objectifs du projet sont de « créer un système fiable, un habitat vivable et du-
rable ; lutter contre les dangers et risques des dégradations de l’architecture ; et de profiter
de l’effet positif national et international de la nomination d’Istanbul comme capitale
européenne de la culture pour développer les valeurs historiques et culturelles de Fatih
(en développant les secteurs des services, commercial, touristique et culturel) ». Et ce,
en suivant trois règles : « savoir gérer le changement, respecter les valeurs humaines et
historiques, et enfin, avoir une approche globale et participative » 15. Voilà la déclaration
d’intention de la mairie. Elle est illustrée de quelques plans, coupes et perspectives mon-
trant « hier », « aujourd’hui » et « demain ». Notons que rien n’est mentionné quant à
l’aménageur, le maître d’œuvre, les financements, les temps et les modalités du projet.
À ce stade, il apparaît que le projet de rénovation s’inscrit bien en continuité avec les
plans précédents. Il s’agit avant tout d’embellir le quartier à des fins touristiques. Cepen-
dant, rien n’est mentionné sur le public visé. Pour en savoir plus, il s’agit d’analyser la
programmation du projet.
D’après un entretien avec une architecte de KIPTAS 16 il apparaît que le projet soit
essentiellement résidentiel. A priori, quasiment aucun équipement touristique ne serait
prévu. Comme vu en amont, ce projet serait destiné à une catégorie sociale bien spéci-
fique, aisée et en lien avec la culture ottomane 17. C’est cet enjeu identitaire du projet qui
semble créer une rupture avec les plans précédents et même avec les autre projets de ré-
novation. Il s’agit dès lors de s’interroger sur les fondements, les cadres et les modalités
14. Traduction du site internet de la municipalité de Fatih consulté le 10 mai 2010.
15. Traduction du site internet de la municipalité de Fatih consulté le 10 mai 2010.
16. KIPTAS la société immobilière de construction d’Istanbul, elle appartient à 50% à la grande munici-
palité d’Istanbul, (IBB). Pour plus de détails, se reporter à l’annexe C. Le chapitre III-C fait aussi l’analyse
de cet acteur.
17. L’analyse des discours et de la programmation du projet est plus détaillée dans le chapitre II-A, p49.
15
INTRODUCTION
d’application de ce projet.
D Méthodologie
Ce mémoire a été rédigé à l’issue d’un stage de trois mois à l’IFEA (Institut Français
d’Etudes Anatoliennes) à Istanbul, du 21 avril au 23 juillet. C’est grâce à ce stage que les
données concernant le projet de Süleymaniye ont pu être récoltées et analysées.
En effet, les données qu’elles soient sur le quartier de Süleymaniye ou sur le projet
lui-même sont rares. Tandis que d’autres projets de rénovation comme ceux de Balat ou de
Sulukule ont été beaucoup traités, aucun article francophone ou anglophone n’a été écrit
sur le projet de Süleymaniye. Le contraste entre ce quartier et d’autres est remarquable.
On ressent une certaine concentration des recherches européennes sur quelques quartiers,
plus médiatisés, ou qui portent un intérêt plus symbolique d’un point de vue européen.
Par exemple, Sulukule était l’un des plus vieux quartiers d’implantation Rom. En outre,
les données socio-économiques locales officielles semblent inaccessibles étant donné les
problèmes auxquels est confronté le quartier. La municipalité ne communique aucune
donnée comme les recensements, les enquêtes, ni même les projets de façon précise. J’ai
ainsi appréhendé le projet grâce à des entretiens avec divers acteurs.
Deux moments d’enquête sont à dissocier dans mon travail de terrain. D’une part, une
série d’entretiens a été menée auprès d’acteurs en lien plus ou moins étroit avec le projet.
Il s’agit d’acteurs municipaux, de professionnels de l’aménagement, de chercheurs ou
encore de mouvement en réaction à ce projet... etc 18. Ces entretiens ont le plus souvent
été réalisés en anglais et à deux, avec Annabelle Lopez réalisant le même travail sur
un autre quartier de la péninsule historique. D’autre part, une courte enquête auprès des
habitants a été menée sur place. Ce travail dans le quartier a été mené sur une période de
quinze jours. Sur cette période, cinq jours entiers ont été consacrés à un travail d’enquête
auprès des habitants, commerçants et autres personnes fréquentant le quartier, soit les 3,
8, 9, 15 et 17 juin. Pour ce travail, une étudiante en sociologie, turque et francophone,
m’a accompagnée. Elle me traduisait régulièrement le sujet de la conversation pour que je
puisse réagir le cas échéant, mais nous veillions à ne pas casser l’entretien. Nous faisions
un point à chaque fin d’entretien pour prendre en notes tout ce qui avait été mentionné,
surtout quand l’entretien n’avait pas pu être enregistré. Notons également que nous avons
choisi un point de repère, une lokanta (restaurant populaire) où nous allions à chaque
18. Voir la liste des personnes interviewées en annexe.
16
.D Méthodologie
fois. Nous avons ainsi pu interroger le tenant de cette lokanta, un client habitué... Ce
repère nous a été précieux pour un certain nombre d’informations et de contacts.
Ces entretiens ont été de réelles sources pour mon mémoire, et revêtent deux dimen-
sions : un aspect informationnel et un aspect qualitatif. L’aspect informationnel est surtout
valable pour la première série d’entretiens qui m’a donné des informations sur le contexte
des projets de la péninsule historique et le cadre juridico-politique du projet. Toutefois, le
projet de Süleymaniye reste très peu connu, même à l’échelle de ces acteurs. L’aspect qua-
litatif est surtout valable pour l’enquête de terrain dans laquelle quatre thèmes ressortent
du croisement des entretiens :
– les parcours personnels et résidentiels des personnes interrogées
– leur rapport au quartier et l’histoire récente - les évolutions récentes – qu’ils en font
– leur appréhension du projet
– leur connaissance des détails du projet
Il s’agit désormais de souligner l’utilisation d’autres sources comme les sources biblio-
graphiques, la presse, les sites internet des municipalités et de leurs entreprises, et enfin
les rapports officiels de certaines institutions comme l’UNESCO, l’OCDE, Un-habitat...
Elles ont également été prises en compte et analysées. À cet égard, une monographie sur
Istanbul a été rédigée avant de partir en stage, dans le cadre de l’option Expertise Interna-
tionale des Villes en Développement. Elle nous a permis de construire une bibliographie
préalable au stage. La base de données de l’IFEA, fut sur place, d’un grand soutien.
Enfin, d’autres sources moins formelles ont aussi influencé mon travail en m’aidant à
m’imprégner du contexte stambouliote. Il s’agit d’échanges avec d’autres étudiants, sta-
giaires, doctorants, chercheurs, concernant de près ou de loin le sujet ; de la participation
à des visites (excursions urbaines et expositions), des forums (comme le forum social eu-
ropéen), des conférences, encadrées ou non par l’IFEA, des évènements de solidarité...
A ce titre le personnel administratif, les stagiaires et surtout les chercheurs présents à
l’IFEA, ainsi que les professeurs qui encadrent ce mémoire, m’ont été d’une grande aide.
Les conseils donnés, tant au niveau du travail de terrain qu’au niveau de l’organisation du
mémoire, m’ont été précieux. Ce mémoire est donc le fruit d’une étude encadrée et menée
sur sept mois, dont trois mois sur place. Les recherches sur les projets de rénovation en
général à Istanbul ont commencé dès fin janvier dans le cadre de l’option EIVD et se sont
perpétuées jusqu’à la fin de la rédaction du mémoire en septembre 2010.
17
INTRODUCTION
18
Chapitre I
Comprendre le projet de rénovation de
Süleymaniye
Dans ce chapitre nous essaierons de déterminer les principales causes ou motivations
du projet. Pourquoi Süleymaniye, qui est terrain de projet de protection depuis de nom-
breuses années, fait-il depuis 2006 l’objet d’un projet de rénovation ? Il s’agit de montrer
dans un premier temps que le contexte de la mondialisation pousse, depuis les années
1990, à des projets de restructuration dans les villes dites internationales. Toutefois, le
quartier de Süleymaniye n’est pas ordinaire, ni pour Istanbul ni pour le pouvoir en place,
il est le symbole du passé ottoman de la ville. Son projet sera donc d’autant plus sin-
gulier. Enfin, quel état physique, fonctionnel et sociologique peut-on dresser du quartier
aujourd’hui ?
A Injonction internationale à la restructuration urbaine
A.1 L’injonction au marketing urbain...
D’après les auteurs de l’ouvrage villes internationales publié en 2007, un des effets
de la mondialisation est l’injonction au marketing urbain qui impose des restructurations
aussi bien urbaines qu’économiques, et donc des marchés de l’emploi, dans les villes dites
internationales. Une compétition internationale est à l’œuvre, notamment dans les villes
émergentes, pour donner une image moderne. « De nombreuses métropoles du Sud par-
ticipent pleinement à des manifestations multiformes d’internationalisation qui dépassent
les seuls échanges économiques » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007,
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
p8). Il s’agit de se situer dans le réseau archipel de grands pôles économiques afin d’atti-
rer les flux internationaux d’investissements (Veltz, 1996). Cette internationalisation passe
pour Istanbul par la reconquête du centre historique et des territoires indûment accaparés,
la reproduction d’archétype architecturaux comme le néo-ottomanisme, l’établissement
de population aux revenus élevés pour qui sont destinés ces projets, la promotion de
l’atout culturel, confirmé par le fait qu’en 2006 Istanbul est élue capitale européenne de la
culture pour 2010... D’ailleurs, l’événement Istanbul, Capitale Européenne de la Culture
2010, montre bien un paradoxe. A la fois, en cette année 2010 on prône les valeurs mul-
ticulturelles d’Istanbul. A ce titre, un festival tzigane, le festival hidrillez, est reprit par
l’organisation Istanbul 2010. Et, en même temps, on expulse des milliers de roms de leur
quartier avec le projet de Sulukule... Comme pour les autres métropoles en compétition
sur la scène mondiale, on note à Istanbul une certaine uniformisation des modèles urba-
nistiques et la croissance du rôle des organismes transnationaux et des entreprises privées
dans l’application de ces politiques urbaines. D’après JF Pérouse, il s’agit d’une « mise
aux normes, mise en marque » qui se traduit par trois déclinaisons : l’inflation de projets
de transformation urbaine, le déploiement d’une politique de tourisme international, d’af-
faires et de congrès, et enfin le développement de technopôles comme outils de prestige.
Cette internationalisation dirigée par les autorités turques depuis les années 1990 vise à
pourvoir Istanbul d’un certain nombre d’ « atouts distinctifs sans lesquels elle ne pourrait
participer à la grande compétition » (Pérouse, 2007, p32). L’argument du risque sismique
est ici mis à profit pour justifier cette politique qui touche aussi bien les centres histo-
riques dégradés que les quartiers spontanés, gecekondu, en périphérie. En effet, d’après
un document de promotion de la politique de kentsel dönüsüm 1 réalisé par la mairie de
l’arrondissement de Fatih en 2007 :
« Les problèmes qui doivent être résolus en termes de construction et
d’urbanisme sont les suivants :
– L’urbanisation non planifiée
– Le fait que notre arrondissement possède les caractéristiques physiques
et sociales négatives de zones gâchées à cause des vagues de migra-
tions depuis les années 1950 et d’une mauvaise économie.
– Le risque sismique.
/.../ Des solutions durables sont nécessaires pour créer des établissements
en sécurité et protéger les bâtiments historiques. À cet égard, les secteurs
1. Kentsel Dönüsüm signifie transformation urbaine, le développement de cette notion depuis les années
2000 est étudié dans le chapitre II-B.
20
I.A Injonction internationale à la restructuration urbaine
ayant besoin d’une intervention urgente ont été déclarés zones de rénovation
». (Mairie de Fatih, 2007).
Cette présentation montre que trois caractères pèsent sur l’image et l’ambition d’in-
ternationalisation de la part de mairie de Fatih : le risque sismique, les caractéristiques
physiques et sociales et enfin le caractère non planifié de la ville. En ce qui concerne les
caractéristiques physico-sociales du quartier, il s’avère que le profil social semble poser
problème et être responsable de l’état de dégradation du quartier. Le discours de la mairie
de Fatih est conservateur, il s’agit de :
– Réduire l’insécurité
– Réduire le risque sismique
– Récréer un environnement ottoman en protégeant les monuments historiques.
– « Remoraliser » la péninsule historique.
En ce qui concerne le fait que l’urbanisation soit non planifiée, deux plans de pla-
nification, un élaboré en 2006 et un en 2009, ont été présentés. Or, ils n’ont jamais été
ratifiés, notamment à cause des contestations des agences traditionnelles de planifications
et d’urbanisme, comme la chambre des architectes (IMMOB). Istanbul reste dans un vide
de planification. C’est pourquoi des projets opportunistes comme celui du pont du futur
métro sur la Corne d’Or peuvent se réaliser. Cet exemple montre comment la logique
de projet est utilisée pour produire la ville à Istanbul. Il prévoit de dresser deux cornes
dorées de plus de 100m de haut de part et d’autre du pont, sans prendre en compte son
environnement. Il a été fortement critiqué par les professionnels de l’urbanisme qui lui
reprochent de faire fi de la silhouette de la péninsule historique. Ce projet se glisse dans
les failles du système. De même, les projets de rénovation sont prévus et menés à l’échelle
de l’arrondissement au mieux, sans cohérence globale. L’ambition de la municipalité de
Fatih de pallier au manque de planification est justifiée. En revanche, il semble qu’elle ne
se pose pas à l’échelle de l’arrondissement, mais plutôt du Grand Istanbul.
On retrouve également cette injonction à la restructuration dans le discours du Prof.
Dr. Ilber Ortayli, qui pointe en 2005 les dévastations de la péninsule historique, et déclare
qu’il faut absolument opérer « un nettoyage physique et de la population » (Demirci S.,
17.09.2009, Milliyet) dans le quartier de Süleymaniye. Ainsi, il s’agit bien comme le
souligne JF Pérouse d’une volonté de nettoyer Istanbul qui passe par la restructuration
urbaine afin de lui donner un caractère plus international, plus moderne (Pérouse, 2007).
Or, il s’avère que ces restructurations suscitent « la mise en tension » d’une fraction
importante de la population (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). Elles
21
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
affecteraient le rapport des individus au marché du travail ainsi qu’au logement.
A.2 ... Au détriment des populations fragiles.
D’après l’ouvrage villes internationales, trois types de politiques sont les cibles de ces
restructurations : la politique de l’emploi, la politique migratoire et la politique urbaine.
Ainsi, les espaces migratoires, la précarisation du travail et la mutation de la ville sont
autant de cadres instables qui participeraient à la division socio-spatiale des villes inter-
nationales. Istanbul correspond bien ici à la figure de la ville internationale. Comme vu
en introduction, elle est un pôle migratoire important et s’est engagée depuis les années
2000 dans une politique de rénovation urbaine, kentsel dönüsüm en turc, qui touche en
particulier « les secteurs paupérisés, dégradés ou à reconquérir et sollicitent la mobilité
contrainte des riverains, des populations flottantes ou migrantes, faiblement stabilisées »
(Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). Une certaine « pression au chan-
gement » serait mise en œuvre par ces projets ponctuels de restructuration et se traduit
notamment par l’augmentation des valeurs foncières et immobilières. Les villes seraient
en quelques sortes devenues otages d’une urgence esthétique et les habitants contraints
par « la conformité et l’adaptation coûteuse à ces logiques de restructuration » (ibid.).
Toutefois, face à cette pression s’imposent de plus en plus de nouveaux réseaux inter-
nationaux pour défendre les droits des habitants, le droit à la ville. A Istanbul, les confron-
tation entre les activistes qui soutiennent les habitants et les autorités stambouliotes sont
de plus en plus ouvertes. JF Pérouse relate quelques expériences qui ont permis d’arrê-
ter des opérations commerciales et immobilières grâce à la mobilisation des habitants à
l’aide de chambres de professionnels, comme la chambre des architectes. Ces revendica-
tions ont majoritairement pour cible la loi 5366, qui permet l’application de ces projets
de rénovation depuis 2005 2. En effet, les habitants concernés par ces projets se sentent de
plus en plus ségrégués, menacés d’éviction à des fins de revalorisation de l’image de la
métropole. Ces populations sont « confrontées à des expériences d’injustice urbaine [...
] et vivent des lésions identitaires au cours desquelles leur rapport positif à elles-mêmes
est mis en péril, [ce] qui les conduit dans certains cas à réagir, se mobiliser, lutter, dans
d’autres cas à subir, souffrir » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). A
Istanbul notamment, la politique de kentsel dönüsüm est teintée de discours stigmatisant
l’immigration anatolienne et faisant la promotion d’une identité stambouliote moderne.
Cette volonté repose d’après JF Pérouse sur « une vision élitiste et sélective de l’interna-
2. Les revendications ainsi que la loi seront présentés en partie II.
22
I.A Injonction internationale à la restructuration urbaine
tionalité » (Pérouse, 2007).
Ainsi, le projet de rénovation de Süleymaniye, quartier dégradé du centre historique,
est bien l’expression d’une certaine volonté de moderniser, voire d’occidentaliser Istanbul,
dans le but que la métropole soit toujours plus compétitive sur la scène internationale.
Toutefois, le projet semble également revêtir d’autres origines.
23
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question
identitaire.
« Süleymaniye, ce domaine de 1,5 kilomètres carrés
Est notre identité, notre passeport.
C’est le titre de propriété de notre patrie.
Notre comportement est imprudent ici,
- D’abandonner ce domaine pour le tumulte de la grande ville au loin,
Est un simple suicide.
Et il est nécessaire de dire que c’est un suicide
Et que nous devrions avoir honte pour les générations futures » 3
Surplombant la corne d’or et coiffé par la mosquée de Soliman le magnifique, le quar-
tier de Süleymaniye, jadis peuplé de la haute société ottomane est aujourd’hui majori-
tairement habité par des immigrés. Comme le mentionne Ilber Ortayli 4, Süleymaniye est
bien plus qu’un quartier, il serait la "carte d’identité" des Turcs. Une identité pourtant bien
mise de côté pendant le siècle républicain. Süleymaniye, de par son histoire, et le sym-
bole qu’il représente pour l’Empire ottoman, est un quartier à part. Le projet de rénovation
qu’il connaît est dès lors d’autant plus singulier.
B.1 Süleymaniye comme symbole de l’empire ottoman
Le quartier est construit sur une colline, connue pour être la plus haute des sept collines
initiales d’Istanbul. La mosquée de Soliman le Magnifique datant du XVIème siècle est
l’éponyme du quartier. Elle est le chef-d’œuvre du célèbre architecte Mimar Sinan. Près
d’un siècle après la conquête ottomane de la ville en 1453, la péninsule historique était
très peuplée, à la fois de nouveaux habitants et de fondations religieuses. La construction
du complexe de Süleymaniye vers 1550 nécessita des délocalisations, ce qui augmenta la
valeur du quartier. De même, il faut souligner que la construction du complexe engendra
une concentration d’institutions éducatives et religieuses de prestige, qui participa à la
richesse du quartier. C’est sans doute une des raisons expliquant pourquoi le quartier
de Süleymaniye avait la réputation d’être riche. Süleymaniye aux XVIème et XVIIème
3. Poème extrait de Osmanli’yi Yeniden Kesfetmek, écrit par Ilber Ortayli, 2006, p. 25. Ce passage est
traduit du turc vers l’anglais par Julia Strutz,(Strutz, 2009).
4. Nous avons déjà cité Ilber Ortayli au début du chapitre alors qu’il revendiquait le besoin de faire un
nettoyage physique et social de la péninsule historique.
24
I.B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire.
FIGURE I.1: Süleymaniye, un quartier dominant. Source : photo prise en juin 2010
siècles est connu pour être « le lieu des vizirs et des plus grands juges » (Strutz, 2009,
p45). Toutefois, « la nature de cette richesse reste bien peu connue [mais] (...) il semble
qu’il existe un accord sur la richesse et l’intégrité sociale du quartier tout au long de
quatre siècles » (ibid. p47). Dans le discours actuel, Süleymaniye est devenu un symbole,
un lieu de mémoire, au moins pour une certaine couche de la société turque - la civilisation
islamique. Comment l’espace urbain était-il perçu et organisé dans la société ottomane 5 ?
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
La structure du mahalle, du quartier, est un bon exemple d’héritage ottoman qui per-
dure aujourd’hui. Le mahalle à l’époque ottomane est un quartier organisé sur base com-
munautaire avec un Imam et un Muezzin. Ce sont ces mahalles qui font office de société
civile durant l’empire. Ils se forment sur la base d’une identité religieuse et ethnique
exerce un contrôle social et familial remarquable. Leur image persiste encore aujourd’hui
quand on pense aux quartiers de Süleymaniye, Fener, et Balat. En effet, ces quartiers
5. L’usage de l’espace urbain est règlementé par l’État ottoman jusqu’au XIXème siècle. En 1881 en
effet, paraît encore une circulaire (un édit royal) règlementant l’usage que font les femmes ainsi que les
minorités ethnicoreligieuses de l’espace urbain. Il est interdit aux femmes « de paraître dans les lieux publics
(...) de se promener dans les quartiers de Beyazit, de Shehzadebasi et d’Aksaray, (...) de se rassembler en
groupe en public ». D’autre part, des normes vestimentaires régissent leur accoutrement. Les minorités
ethnicoreligieuses se voient attribuer « à chaque minorité (...) une couleur de turban, de manteau et de
bottines » (Seni, 1984).
25
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
ont des identités fortes. Süleymaniye est un symbole de la civilisation ottomane, tandis
que Balat est connu pour être un quartier juif... C’est pourquoi Istanbul est divisée en
sous agglomération et en sous-quartier d’habitation jusqu’à la fin XVIII. Le mahalle est
un voisinage qui partage le même culte et communique par la même langue. Dans ces
quartiers, se côtoient les maisons chics et les maisons nécessiteuses, les quartiers chics
n’apparaissent qu’au XIX. Cette structure communautaire est le relais du pouvoir central.
Il est important de souligner que le mahalle est un quartier résidentiel pour les familles.
Les célibataires n’y habitent pas, mais plutôt dans des chambres ou immeubles de céliba-
taires (bekar odalari / hanlari), dans des centres commerciaux ou en périphérie urbaine
(Seni, 1984). Ce qui explique en partie la « honte », qu’exprime Ilber Ortayli, de voir
que le quartier fondateur de la culture ottomane, « titre de propriété de [leur] patrie » est
aujourd’hui connu pour ses chambres de célibataires. Il s’agit de noter que les mahalles
gardent une fonction importante aujourd’hui. En effet, le mahalle est une unité adminis-
trative encadrée par le muhtar, élu au suffrage universel direct pour cinq ans 6. Mais il
est considéré en Turquie comme une réalité urbaine définissant fortement la composition
et l’appropriation de l’espace par ses habitants. Ces « microstructures » constituent un
milieu urbain très important aux yeux des habitants. C’est à cette échelle que l’on trouve
les commerces de proximité, les petites activités économiques, les centres culturels, les
cafés, les écoles, les associations de quartier... Les principales compétences de la mairie
de quartier sont les questions liées à l’état civil. Ainsi, les huit mahalles qui composent le
quartier Süleymaniye, sont des héritages du passé ottoman. La municipalité de Fatih, par
l’intermédiaire du projet, revendique cette identité ottomane. Un autre héritage de l’em-
pire marque également le quartier de Süleymaniye. Il s’agit des fondations religieuses.
B.2 L’implantation de fondations religieuses comme signe actuel du
rôle symbolique de Süleymaniye
Plusieurs fondations religieuses, reconnues comme telle ou non, sont implantées à
dans le quartier. Elles prônent la nécessité du projet, rendre à Istanbul son quartier fon-
dateur, retrouver un profil de population plus moral. Il s’agit par exemple des fondations
KOCAV (Kültür Ocagi Vakfi, fondation de la culture) et BISAV (Bilim ve Sanat Vakfi,
fondation des sciences et des arts).
La présence de ces fondations à Süleymaniye est un signe du rôle symbolique qui se
perpétue aujourd’hui dans le quartier. D’après F. Bilici, « la régression des idéologies,
6. Pour plus de détails sur le système de gouvernance stambouliote, se reporter à l’annexe C
26
I.B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire.
la crise de légitimité qui frappe les États et l’échec de l’importation des modèles occi-
dentaux incitent les sociétés musulmanes à instrumentaliser les références historiques,
imaginaires ou réelles, tout en essayant de leur trouver des justifications dans le répertoire
des systèmes occidentaux. (...) Avec le vakıf 7 turc, nous sommes précisément devant un
produit historique (traditionnel), cristallisant le montage d’un système social juridique et
particulier » (Bilici 1993). Le vakıf dans ce contexte tenterait de remplir un espace social
vacant dû à la légitimité encore faible d’autres formes d’organisation sociale comme les
associations, les syndicats, les partis politiques, les clubs... etc.
L’institutionnalisation du vakıf, depuis les vingt dernières années, montre l’émergence
d’une classe d’entrepreneurs culturels et politiques turcs qui ont dépassé le stade d’imi-
tation à tout prix de toutes formes de mobilisation sociale occidentale. Cette période
d’imitation est datée d’après F. Bilici de la fin du XIXème siècle, jusqu’aux années 1950.
Elle correspond à la période républicaine et kémaliste. Le grand retour des vakıfs serait
donc le signe d’une ré-ottomanisation. Leur présence à Süleymaniye, à cet égard, n’est
pas un hasard. « Le vakıf turc en général participe non pas à un retour, mais plutôt d’une
réactivation de la tradition sous forme moderne, montrant des capacités d’adaptation de
sociétés musulmanes » (Bilici, 1993). Ces fondations seraient à mi-chemin entre la fon-
dation américaine et l’association française. Elles se concrétisent en une forme d’orga-
nisation et de structure juridique tirant sa légitimité du droit et des traditions islamiques,
acquis durant une longue période ottomane, et des codes civils occidentaux. D’après l’au-
teur, ces vakıfs se montrent d’ « une vitalité exceptionnelle, tant sur le plan économique
que sociologique » en Turquie, plus que dans d’autres pays musulmans. Elles sont super-
visées par la Direction Générale des Vakıfs dépendant du premier ministre et du ministère
des Finances. Leur développement exceptionnel depuis les années 1980 correspondrait
à l’idéologie ultralibérale en vigueur accordant une grande liberté d’action à l’initiative
privée afin qu’elle assume une partie des fonctions de l’État et se répande dans la so-
ciété. Elles sont de plus en plus fondées par des musulmans pratiquants et ont trouvé un
appui financier considérable auprès de la bourgeoisie turque et des sociétés financières
saoudiennes et koweitiennes introduites en Turquie dans les années 1983. L’hypothèse
qu’émet l’article est que « ces vakıfs sont utilisées par différents courants islamistes turcs
7. « Le mot vakıf signifie arrêter, immobiliser. En termes juridiques, constituer un vakıf, c’est immobi-
liser un bien et affecter son produit à une œuvre pieuse ou charitable, dotée de la personnalité morale. Celui
qui constitue le vakıf est nommé vâkif ; l’acte de fondation est appelé vakfiye. Dans le droit musulman
classique, le bien immobilisé est normalement et théoriquement « consacré à Dieu ». A ce titre, il devient
inaliénable, c’est-à-dire qu’il ne peut plus faire l’objet de vente, achat , expropriation, hypothèque, saisie. »
(Bilici, 1993)
27
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
comme base juridique, économique, sociale et politique pour une réislamisation par le bas
ou en profondeur de la société musulmane » (Bilici, 1993).
En effet, l’émancipation de ces fondations se cristallise, dans le cas turc, dans l’im-
plosion du système politique kémaliste de la République, basé sur un contrôle strict du
religieux. Elle témoignerait également de la naissance d’une nouvelle élite islamiste. En
1970, on note effectivement la naissance du premier parti islamiste. Il a été dissout plu-
sieurs fois et s’est réorganisé finalement en 1983 sous le nom de parti de Prospérité : le
Refah. Il est re-dissout en 1998. De cette nouvelle scission naîtra deux partis actuels :
l’AKP, au pouvoir, parti pour la justice et le développement, et le Saadet, parti de la féli-
cité. Les vakıfs islamiques ont été largement aidées par l’arrivée des sociétés arabes et isla-
miques à partir de 1983, comme Al-Braka turkish finance house, Saudi american bank...
Elles prennent alors la forme de fondations islamiques d’entraide, de solidarité et d’édu-
cation destinées aux jeunes de milieu populaire, ou encore de fondations de recherche,
d’études islamiques, donnant lieu à des publications d’ouvrages savants, de revues... Les
deux fondations de Süleymaniye appartiennent à cette seconde catégorie. Elles se disent
fondations pour la culture, ou pour la science, mais elles publient et commercialisent des
ouvrages à tendance islamique, voire islamiste. Un Symposium est organisé en 2007 par
la fondation BISAV (Bilim ve Sanat Vakfi, fondation des sciences et des arts) pour prôner
la nécessité et les biens faits du projet de rénovation de Süleymaniye.
Enfin, d’après F. Bilici, ces fondations seraient les « antichambres des partis politiques
(...) Elles fonctionnent par un système de coopération, de clientélisme et de reproduction
». Nombreuses sont celles fondées par des hommes politiques, du parti de l’ANAP en
particulier. Le parti de l’ANAP est le parti de la mère patrie. Il fusionne en 2007 avec le
parti de la juste voie pour former le parti démocrate. L’auteur souligne que ces fondations
sont utilisées par les islamistes comme des instruments de légitimation et d’action sociale.
Elles joueraient plus ou moins le rôle de vecteur de sociabilité que ne jouent plus ni la
mosquée, ni les associations. Elles propageraient un Islam social par leurs multiples ac-
tivités et leur dynamisme (publication, réunion, conférence...) et grignoteraient ainsi peu
à peu les fonctions de l’État. Ce qui est d’après F. Bilici une caractéristique fondamen-
tale de la politique turque et particulièrement des partis conservateurs. Notons à cet égard
que le parti au pouvoir, l’AKP est un parti islamo-conservateur. Il ne cesse de monter en
puissance depuis 2002.
Ainsi, à travers l’exemple des fondations religieuses, nous pouvons voir que Süley-
maniye occupe toujours une place symbolique et idéologique aux yeux du parti et des
partisans de l’AKP. Rappelons désormais rapidement l’assise qu’à ce parti en Turquie.
28
I.B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire.
Dès 1950, le parti républicain du peuple, kémaliste, perd le pouvoir. C’est à partir de là
que les mesures laïques sont assouplies. L’appel à la prière et l’enseignement coranique
en arabe sont rétablis, l’éducation religieuse dans les écoles publiques réintroduite, la po-
lygamie et les usages vestimentaires traditionnels sont tolérés... « Force est de constater
qu’au cours du XXème siècle, la laïcité en Turquie a le plus souvent été imposée ou réta-
blie par la force et l’intervention répétée de l’armée (1913, 1923-4, 1971, 1980), alors que
les avancées de la démocratie participative sont plutôt traduites par un retour de la tradi-
tion religieuse (1950-1983) » (Marcou, Burdy, 1994). Le projet de Süleymaniye serait ici
l’occasion pour les autorités turques au pouvoir de mettre la main sur un quartier chargé
symboliquement. Cette dimension identitaire est en partie à l’origine du projet. Or, qu’en
est-il de l’état du quartier ?
29
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stig-
matisé
Après avoir présenté le contexte international et la dimension symbolique du projet, il
s’agit de s’interroger sur l’état local du quartier. Aux vues des caractéristiques physique,
fonctionnelle et sociale du quartier, une rénovation est-elle nécessaire ?
C.1 Approche statistique
C.1.1 Un quartier résidentiel et industriel
FIGURE I.2: Fonctions du quartier de Süleymaniye par zone. Source : d’après un
relevé effectué les 11 et 12 juillet
30
I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé
FIGURE I.3: Fonctions du quartier de Süleymaniye par parcelle. Source : d’après un
relevé effectué les 11 et 12 juillet
On remarque avec les figures I.2 et I.3 que le quartier s’il est résidentiel en son centre,
est entouré de commerces et d’ateliers. Les bâtiments IMC, notamment, Istanbul Manu-
fakturcilar Carsisi, sont les quatre gros blocs dans lesquels se fait le commerce de gros de
la ville. Ces bâtiments ont été conçus dans les années 1950 par Dogan Tekeli et Sami Sisa,
deux architectes républicains. Ils bordent le quartier à l’ouest et servent d’espace tampon
entre la zone résidentielle du quartier et le boulevard Atatürk. Les ateliers, très nombreux,
sont pour la plupart informels. Les branches en priorités concernées pour l’ancien arron-
dissement d’Eminönü sont : « accessoires pour automobile, chimie, agroalimentaire et
31
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
commerce de gros alimentaire, quincaillerie en gros, production textile, meuble, papiers,
imprimerie, travail de l’or et de l’argent, plasturgie, métallurgie et entrepôt » (Pérouse,
2007). Le quartier a donc une fonction commerciale et industrielle non négligeable, ce
qui est confirmé par le profil social de la population. Le type de commerce est en général
du commerce de gros lié aux ateliers voisins. On y confectionne des cuillères, des cein-
tures, des pièces spéciales, des balances, des machines à coudre... qui sont vendues dans
le quartier. C’est là que viennent se fournir de nombreux artisan, restaurateur ou autres
vendeurs d’Istanbul. Dès lors se pose la question de l’implantation de ces ateliers en
centre-ville. Sont-ils implantés dans ce quartier pour la main d’oeuvre, le prix du foncier
ou bien la proximité d’un marché ? Les ateliers implantés dans le centre d’une mégapole
comme Istanbul doivent avoir une grande raison d’être, une grande valeur ajoutée (comme
la haute couture par exemple).
Des décisions de décentralisation à propos des petites entreprises d’Eminönü étaient
prévues dans le plan de protection de 2003. Or, d’après Alev Erkilet, sociologue à l’agence
de planification du grand Istanbul (IMP 8), l’arrondissement d’Eminönü est sujet à une
transformation duelle : les grosses entreprises voient la décentralisation comme une op-
portunité pour grossir et d’augmenter leur capacité, en revanche les petites entreprises
n’ont « nulle part où aller », et « pas assez de capital » pour déménager. La plupart n’ont
pas de véhicules et ont à peine le capital suffisant pour payer leurs charges. D’autre part,
les locaux commerciaux prévus pour accueillir les activités en périphéries sont très grands
et inadaptés aux petits entrepreneurs locaux. Les loyers élevés, les faibles marges béné-
ficiaires possibles et les coûts de transport rendent impossible de quitter les magasins à
bas prix du centre-ville pour les petits fabricants (Erkilet, 2009). La question du devenir
de ces ateliers se pose, leur conservation n’étant absolument pas prévue par le projet de
rénovation. Au contraire, ce caractère industrieux du quartier paraît gêner les autorités
locales.
C.1.2 Un quartier dégradé et en partie détruit
La figure I.4 montre, sur un échantillon important du périmètre du projet, la forte dé-
gradation du bâti. Elle montre également l’avancée des destructions effectuées par KIP-
TAS au mois de juillet en 2010. Nous remarquons bien ici le tracé du futur métro évoqué
en introduction. Il sera en partie souterrain mais ressortira, comme le tracé des destruc-
tions l’indique, au pied de la colline et se dirigera vers la Corne d’Or. Ce projet de métro,
8. Pour plus de détails sur l’IMP, se reporter à l’annexe C
32
I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé
FIGURE I.4: Etat du bâti. Source : d’après un relevé effectué les 11 et 12 juillet
ou plutôt, le fait qu’il traverse la Corne d’Or sur un pont démesuré, est fortement critiqué
par l’UNESCO comme par les professionnels de l’urbanisme. Nous pouvons également
voir sur la carte, la seule rue qui a été réhabilitée (en bleu). Nous évoquerons ces réha-
bilitations ultérieurement. La figure I.5 montre des exemples d’état de bâti pour chaque
catégorie. Notons que les maisons en bois de Süleymaniye, classées aux registres des
biens nationaux et au patrimoine mondial de l’UNESCO, représentent les 2/3 des mai-
sons en bois restantes à Istanbul. Elles sont malgré tout très dégradées. La plupart seront
détruites comme le prévoit le projet de rénovation (un grand nombre l’a déjà été).
33
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
(a) (b)
(c) (d)
FIGURE I.5: les différentes catégories de bâti. (a) dégradé, (b) bon état ou passable,
(c) détruit, (d) réhabilité. Source : photos prises en juin 2010
L’état de dégradation physique du quartier pourrait justifier à lui seul l’initiative d’un
projet d’amélioration du cadre bâti. L’opportunité de la rénovation sera discuttée dans le
chapitre trois. Toutefois, il s’agit de noter que le quartier se dégrade et se détruit d’autant
plus vite depuis le début du projet en 2006 qui marque le départ des propriétaires. En
outre, on peut s’interroger sur l’origine de ces dégradations. S’il n’y a pas eu d’action
menée sur le bâti avant le projet de rénovation, c’est probablement parceque la dimension
physique n’est pas la plus importante aux yeux des autorités.
34
I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé
C.1.3 Un profil social gênant
Les données statistiques sont rares, ou bien très peu communiquées. Les résultats du
recensement ne sont pas publics et très difficilement accessibles. Après plusieurs vaines
tentatives auprès de la mairie de Fatih pour se procurer des données démographiques
sur le quartier de Süleymaniye, nous avons pris contact avec un professeur cartographe :
Murat Güvenç. Ce dernier a développé toute une cartographie d’Istanbul en fonction de
données sociodémographiques. Son travail de fourmi se concrétise en un véritable at-
las de la ville d’Istanbul. Il est mis en scène dans l’exposition Istanbul 1910-2010, qui
a lieu ce septembre 2010. Grâce à son aide, nous avons pu récolter quelques données
très précises, mais difficilement manipulables concernant le quartier de Süleymaniye. Ces
données ont été recensées en 2000 par un type particulier de recensement qu’est le re-
censement de facto. Le recensement de facto comptabilise la population présente et non
la population légale comme le ferait un recensement de jure effectif en France ou autres
pays développés, qui s’appuie sur une base de population enregistrée. Le recensement de
2000 est le dernier recensement de facto de Turquie. Les figures I.6 I.7 I.8 I.9 I.10 I.11 ont
été construite à partir des données fournies par Murat Güvenç. Il est important de noter
que ces figures font référence aux huit mahalles de Süleymaniye, dont un est également
nommé Süleymaniye.
35
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYENiveauscolaireAnalphabètesNonNiveauNiveauNiveauNiveau
diplomésécoleprimairecollègelycéeuniversité
Demirtas8114858166777
HacıKadin13123877010414011
HocaGıyasettin420552165223829245
Kalenderhane31822916335024
MollaHusrev14120381613439989
SarıDemir22255121
Süleymaniye991073806521733
YavuzSinan899769010414915
Totaux994(10%)1429(14%)5205(51%)779(8%)1636(16%)225(2%)
Totalpopulation:10268
FIGUREI.6:Niveauscolairedeshabitantsparsous-quartier.Source:DonnéesfourniesparMuratGüvenç
Surleniveaud’éducation(cf.figureI.6),notonsqueletauxd’analphabètesestd’environ10%(letauxd’alphabétisationen
2000enTurquieestde82,3%)etdenondiplômésde14%.CequirestedestauxélevéspourIstanbul.Lapopulationduquartiera
globalementunfaibleniveaud’éducation,leniveauécoleprimaireestleplusrépandu,50%delapopulationontceniveau.
36
I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé
Taille des ménages 1 à 3 pers 4 à 6 pers 7 à 9 pers 10 et plus Total ménages
Demirtas 38 44 10 5 97
Hacı Kadin 77 91 46 14 228
Hoca Gıyasettin 161 171 61 29 422
Kalenderhane 24 37 3 0 64
Molla Husrev 50 72 27 6 155
Sarı Demir 1 1 0 0 2
Süleymaniye 39 38 17 2 96
Yavuz Sinan 41 32 12 11 96
Totaux 431 (37%) 486 (42%) 176 (15%) 67 (6%) 1160
Total habitants 5445
FIGURE I.7: Taille des ménages des habitants par sous-quartier. Source : Données
fournies par Murat Güvenç
La répartition de la population dans les différents mahalles est assez inégale. On voit
que les quartiers concernés par le projet prioritaire sont les plus peuplés (Hacı Kadin,
Hoca Gıyasettin, Demirtas et Yavuz Sinan). Ils représentent à eux seuls 74% de la popu-
lation de Süleymaniye. Le mahalle de Sarı Demir est très faiblement représenté. En effet,
il borde la Corne d’Or et reste très peu urbanisé. Comme le montre la figure I.7, la taille
moyenne de ménage est de 4 à 6 personnes.
FIGURE I.8: Répartition des activités professionnelles des habitants. Femmes à
gauche ; Hommes à droite. Source : Données fournies par Murat Güvenç
Les deux professions dominant le quartier sont les employés dans le commerce et la
vente ainsi que les ouvriers industriels, dans tous mahalles confondus. Ceci est confirmé
37
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYE
FIGURE I.9: Répartition des secteurs d’activités des habitants. Hommes à gauche ;
Femmes à droite. Source : Données fournies par Murat Güvenç
par la domination des secteurs d’activités du commerce, de la production et de l’industrie
que l’on peut voir dans la figure I.9 et également par la présence de nombreux ateliers et
de commerces de gros dans le quartier.
Enfin, en ce qui concerne le type de propriété, on note d’une part qu’une écrasante ma-
jorité des habitants sont locataires. Or, nous avons vu dans les documents de promotion
du projet que la municipalité ne s’adressait qu’aux propriétaires. D’autre part, à Istanbul,
et ceci a été confirmé par les muhtars 9 à Süleymaniye, il y a beaucoup de « share pro-
perties », de propriétés partagées entre plusieurs actionnaires. C’est un système original
mais très fréquent en Turquie. Un même bien foncier ou immobilier a souvent plusieurs
propriétaires. Cela peut arriver quand les propriétaires d’une maison décèdent et lèguent
la propriété à leurs enfants. Le processus de morcellement de la propriété commence là.
Les enfants sont ensuite libres de revendre leur part à des particuliers... etc.
9. Les muhtars sont les maires de quartier. Leur unité administrative est le mahalle et leur compétence
concerne essentiellement l’état civil. Cf. Annexe C
38
I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé
Statut d’occupation Propriétaires Locataire Autres Non défini
Demirtas 14 75 8 0
Hacı Kadin 24 163 38 3
Hoca Gıyasettin 67 323 22 10
Kalenderhane 18 27 12 7
Molla Husrev 41 85 23 6
Sarı Demir 0 1 1 0
Süleymaniye 21 63 11 1
Yavuz Sinan 4 79 12 1
Totaux 189 (16%) 816 (70%) 127 28
Total population : 1160
FIGURE I.10: Statut d’occupation par sous-quartier. Source : Données fournies par
Murat Güvenç
39
CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE
SÜLEYMANIYELieudenaissanceIstanbulMalatyaAdiyamanDıyarbakirDıgerdevMardınNıgdeAutresÉtrangerNon
Turquiedéfini
Demirtas9316512875365811233265
HacıKadin345100139584981406154110
HocaGıyasettin4432833333963192399511742678
Kalenderhane12266702232466470343
MollaHusrev190178971187866419913451
SarıDemir102000003500
Süleymaniye1411538941322316434120
YavuzSinan8326103617992120586112
Totaux14279739597716256054304637164149
(13%)(9%)(9%)(7%)(6%)(6%)(4%)(43%)(2%)(1%)
Populationtotale10740
Populationétrangère3%
Populationimmigréeintérieure84%
Populationstambouliote13%
FIGUREI.11:Lieuxdenaissancedeshabitants.Source:DonnéesfourniesparMuratGüvenç
Onnoteiciunforttauxd’immigrationinterne(84%).Trèspeud’individussontoriginairesd’Istanbuldanscequartier.Celaest
liéauxdifférentesvaguesd’immigrationsprésentéesenintroduction.Onremarquequ’ilyaunpotentielkurdeimportantpuisque
lesvillestellesqueMalatya,DiyarbakiretMardinsontsituéesdanslesudestdelaTurquie.
40
I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé
Nous avons construit ces tableaux à partir des résultats du recensement que Murat Gü-
venç nous a livrés. Or, on se rend vite compte que les données semblent soit erronées, soit
contradictoires. En effet, si l’on tente de comptabiliser la population totale du quartier, on
compte 10 270 personnes d’après les tableaux sur le niveau d’éducation de la population,
5 378 d’après celui sur la taille des ménages, 4 879 d’après le tableau sur le type de pro-
fession ou de secteur d’activité et enfin 1 160 d’après celui du type de propriété. Or, les
muhtars du quartier disent que la population de Süleymaniye est comprise entre 3000 et
6000 habitants.
J’émets l’hypothèse que comme ces données ont été relevées lors d’un recensement
de facto, il est possible que les données acquises comprennent la population travaillant
dans le quartier, et non la seule population habitant le quartier. Ainsi, toute la population
travaillant et habitant le quartier aurait répondu aux questions relatives au niveau d’édu-
cation et aux secteurs d’activité, totalisant environ 10 000 personnes, (environ 5 000 sans
comprendre les enfants ou personnes ne travaillant pas). Les questions relatives au do-
micile, comme celles sur le type de propriété et celles sur la taille du ménage révèlent
une population habitante d’environ 5 000 personnes. En effet, si on multiplie le nombre
de propriétés (1 160), par la taille moyenne des ménages (5,5), on obtient une population
d’environ 5 500, ce qui confirme le nombre d’habitants donné par le tableau sur la taille
des ménages de 5 378 personnes.
Toutefois, même cette hypothèse s’avérait être juste, les chiffres datent de 2000. Le
projet ayant commencé en 2006, la situation a énormément changé depuis. Le nombre
d’électeurs du quartier le plus peuplé (Hoca Giyasettin) « est passé de 2300 à 800 de
2007 à 2009 » 10. Néanmoins, le profil social du quartier se dessine : une majorité de lo-
cataires, à faible niveau d’éducation, travaillant dans la vente, la production ou l’industrie.
Il est nécessaire d’ajouter que la plupart sont également immigrés, internes ou internatio-
naux.
L’enquête menée dans le quartier de Süleymaniye durant la première quinzaine de juin
a permis de recueillir les propos d’une dizaine de personnes sur le projet, mais également
sur leur perception et leur rapport à ce quartier et à son histoire. Voyons si ces propos vont
ou non dans le sens des données statistiques.
1. L’origine des habitants
L’échantillon enquêté indique en effet que la plupart des habitants de Süleymaniye,
10. D’après l’entretien passé le 20 juillet 2010 avec la muhtar d’Hoca Giyasettin
41
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Lucie renou projet de rnovation de suleymaniye - ifu - 2010

  • 1. Mémoire de master 2 " urbanisme et aménagement " parcours Opérateurs Urbains (OU), spécialité Expertise Internationale des Villes en Développement (EIVD) Année 2010 Le projet de rénovation de Süleymaniye entre intervention urbaine et politique : La mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux Lucie Renou Encadrants : - A. Deboulet (IFU) - M.-F. Gribet (IFU) - Y. Morvan (IFEA) - J.-F. Pérouse (IFEA) - N. Seni (IFEA) Université de Paris Est Marne la Vallée Institut Français d’Urbanisme
  • 2. 2
  • 3. Remerciements Au moment où j’écris ces lignes, mon mémoire se termine, et avec lui, mon cursus universitaire s’achève. J’adresse donc dans un premier temps, mes remerciements à toute l’équipe enseignante de l’IFU pour m’avoir guidé tout au long de ma formation en urba- nisme (et particulièrement aux professeurs des options Opérateurs Urbains et Expertise Internationale des Villes en Développement que j’ai suivies). Dans un second temps, ce mémoire est le fruit de nombreuses interactions et ren- contres. Les personnes à remercier sont nombreuses. Je tiens ici à remercier particulière- ment : – Les professeurs et chercheurs, qui ont encadré ce mémoire, m’ont conseillé et mo- tivé tout au long de sa réalisation : Agnès Déboulet, Marie-Françoise Gribet, Yoann Morvan, Jean-François Pérouse et Nora Seni. – Plus généralement toute l’équipe de l’IFEA, les chercheurs, les doctorants ainsi que les stagiaires pour l’ambiance de travail agréable, mais aussi pour toutes ces discussions enrichissantes qui ont participé à l’orientation de ce mémoire : Eloïse, Brian, Clémence, Annabelle, Jonathan et tous les autres. – Toutes les personnes à Istanbul qui ont accepté de me recevoir, de partager leurs connaissances avec moi et surtout Ali, Julia, Derya, Hülya, Cihan et Murat Güvenç pour le temps que vous m’avez accordé, votre patience et votre générosité. – Vanessa ! Pour m’avoir consacré quinze jours de tes vacances et sans qui mon en- quête de terrain n’aurait pas été possible. En même temps, je remercie tous les ha- bitants et travailleurs de Süleymaniye qui ont participé à cette petite enquête, merci pour votre hospitalité. – Enfin, je remercie très chaleureusement mes amis et ma famille qui m’ont soutenu et m’ont mené jusqu’ici, particulièrement mes parents, Cam, Flo et Viv, et enfin Adrien, sans l’aide de qui la mise en page de ce mémoire n’aurait pas été la même... J’espère que vous l’apprécierez.
  • 5. Table des matières Remerciements 3 Table des matières i Table des figures iii Introduction 1 A Le projet de rénovation de Süleymaniye entre intervention urbaine et po- litique : la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 B Istanbul, une mégapole en pleine croissance . . . . . . . . . . . . . . . . 6 C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou rupture avec les projets précédents ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 D Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 I Comprendre le projet de rénovation de Süleymaniye 19 A Injonction internationale à la restructuration urbaine . . . . . . . . . . . . 19 B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. . . . . . . 24 C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé . . . . . . . . 30 II Dimension politique du projet critiquée 49 A Le projet vu à travers ses discours : quels objectifs . . . . . . . . . . . . . 49 B La loi 5366 comme outil puissant de la politique de Kentsel Dönüsüm . . 59 C Critiques : les réactions de la société civile . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 III Des modalités d’application radicales au service d’enjeux privés et identi- taires 71 A Façadisme et néo-ottomanisme : une vision singulière du patrimoine . . . 71
  • 6. TABLE DES MATIÈRES B Enjeux économiques : l’immobilier à l’heure de la spéculation. . . . . . . 84 C Enjeux sociaux : pour une moralisation de la péninsule. Un processus d’expropriation violent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Conclusion 105 Bibliographie 109 ii
  • 7. Table des figures 1 Carte de la croissance urbaine d’Istanbul. Source fond de carte (Pé- rouse, 2001) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 I.1 Süleymaniye, un quartier dominant. Source : photo prise en juin 2010 . 25 I.2 Fonctions du quartier de Süleymaniye par zone. Source : d’après un relevé effectué les 11 et 12 juillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 I.3 Fonctions du quartier de Süleymaniye par parcelle. Source : d’après un relevé effectué les 11 et 12 juillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 I.4 Etat du bâti. Source : d’après un relevé effectué les 11 et 12 juillet . . . . 33 I.5 les différentes catégories de bâti. (a) dégradé, (b) bon état ou passable, (c) détruit, (d) réhabilité. Source : photos prises en juin 2010 . . . . . . 34 I.6 Niveau scolaire des habitants par sous-quartier. Source : Données four- nies par Murat Güvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 I.7 Taille des ménages des habitants par sous-quartier. Source : Données fournies par Murat Güvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 I.8 Répartition des activités professionnelles des habitants. Femmes à gauche ; Hommes à droite. Source : Données fournies par Murat Gü- venç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 I.9 Répartition des secteurs d’activités des habitants. Hommes à gauche ; Femmes à droite. Source : Données fournies par Murat Güvenç . . . . . 38 I.10 Statut d’occupation par sous-quartier. Source : Données fournies par Murat Güvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 I.11 Lieux de naissance des habitants. Source : Données fournies par Murat Güvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 I.12 Le Küçükpazar. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . 44
  • 8. TABLE DES FIGURES II.1 Kentsel yenileme alanı (secteur de rénovation urbaine). Source : KIP- TAS, Süleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 II.2 Ancienne photo de Süleymaniye. Source : KIPTAS, Süleymaniye Su- num, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 II.3 Périmètre du projet prioritaire. Source : KIPTAS, Süleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 II.4 Situation de l’îlot 565 dans le quartier. Source : KIPTAS, Süleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 II.5 Présentation de l’îlot 565 avant et après projet. Source : KIPTAS, Sü- leymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 II.6 Situation hier, aujourd’hui, demain. Source : KIPTAS, Süleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 II.7 Carte des projets de rénovation sur la rive européenne. Source : (AGFE, 2009) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 III.1 Exemple de façadisme. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . 72 III.2 Façade rénovée par KUDEB. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . 73 III.3 Réhabilitation privée d’une rue par l’architecte Monsieur Y. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 III.4 Réhabilitation d’une rue réalisée par KUDEB. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 III.5 Maison réhabilitée disproportionnée. Source : photo prise en juin 2010 77 III.6 Exemples de logements construits de KIPTAS. Source : http ://www.kiptas.com.tr . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 III.7 Organigrammes du projet de Balat. Source : D’après les entreriens avec D. Aslan et H. Gargin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 III.8 Organigrammes du projet de Süleymaniye. Source : D’après les entre- riens avec D. Aslan et H. Gargin et Melle Z . . . . . . . . . . . . . . . . 92 III.9 Etat d’un ilôt après de multiples destructions illégales. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 III.10Des enfants jouent dans les ruines d’un immeuble. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 III.11Des enfants jouent dans les ruines d’un immeuble. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 III.12Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 iv
  • 9. Introduction A Le projet de rénovation de Süleymaniye entre inter- vention urbaine et politique : la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internatio- naux « Réactiver la culture ottomane », « retrouver le quartier de Süleymaniye » ... tels sont les slogans portés par les défenseurs du projet de rénovation de Süleymaniye. Süleymaniye est un quartier de la péninsule historique d’Istanbul. Il est reconnu pour la richesse de son patrimoine architectural, aussi bien monumental (la mosquée de Soli- man le Magnifique) que vernaculaire (les maisons en bois). Mais il est surtout le symbole de la grandeur ottomane. Au XVIème siècle, Süleymaniye est connu pour être le lieu de résidence des vizirs et des grands juges. Cette caractéristique identitaire se perpétue aujourd’hui par la présence de fondations religieuses dans le quartier. Or, il est aussi un quartier très dégradé et stigmatisé. Dégradé, car l’état du bâti, et a fortiori, des conditions de vie, y est déplorable. Stigmatisé, car le nom du quartier est aujourd’hui associé aux chambres de célibataires qui le composent. Ces chambres sont louées à des jeunes tra- vailleurs qui la partagent le temps d’accumuler de l’argent pour envoyer à leur famille, dans l’est du pays, en Anatolie ou encore dans la région de la mer Noire. Le quartier de Küçükpazar à Süleymaniye, est un des plus emblématiques de cette population immigrée (de l’intérieur). Ainsi, l’état physique et le profil social du quartier en font depuis les années 2000 un terrain de projet. En 2006, la municipalité de l’arrondissement de Fatih déclare que Süleymaniye est désormais classé zone de renouvellement. Si la nécessité d’une intervention n’est pas re- mise en question, les modalités de ce projet sont pour le moins à interroger. Le tissu urbain de Süleymaniye est classé depuis 1985 au patrimoine de l’UNESCO. Pourquoi la
  • 10. INTRODUCTION municipalité prévoit-elle un projet de rénovation plutôt qu’un projet de réhabilitation ? Cette question se pose d’autant plus que le projet prévoit de reconstruire des maisons ottomanes conformément à des photographies anciennes du quartier. Entre démolition et patrimonialisation, quelles sont les motivations et les ambitions de la municipalité ? En outre, pourquoi choisir le retour aux maisons ottomanes ? Quelle clientèle ce projet vise- t-il ? A.1 Un projet de rénovation et d’expulsion La démolition fait partie intégrante du processus du projet. Sur les parcelles vidées du bâti antérieur, naîtront de nouvelles konaks, ou maisons ottomanes. Il s’agit dès lors de s’interroger sur le type de projet auquel on a affaire. Restauration ? Rénovation ? Des références sont faites aux deux notions. D’après le dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (Lévy, Lussault, 2003), la restauration comme la rénovation sont des « types d’intervention architecturale ou urbanistique sur des espaces construits », en ce qui concerne le vocabulaire adminis- tratif et opérationnel français bien sûr. Dans le cas de la restauration, il s’agit essentielle- ment d’ « un rapport admiratif au passé qui vise à la conservation et implique une action de reconstruction à l’identique »(Lévy, Lussault, 2003, p 788). Le projet de Süleymaniye semble être dans cet esprit. Le fait qu’il ne prévoit la construction uniquement de konaks montre bien le rapport idéalisé au passé ottoman. Toutefois, si le projet vise bien la re- construction à l’identique, par diverses photographies anciennes du quartier, on ne peut que remarquer qu’il ne s’agit pas de conservation, ni de réhabilitation, mais de destruction dans un premier temps. Néanmoins, la référence à la restauration ne s’arrête pas à un rap- port admiratif -voire nostalgique- au passé. D’une part, la restauration est une pratique qui a des fins ludiques et touristiques. Elle utilise et appréhende l’espace urbain comme un décor. Il s’agit bien, là, du projet de Süleymaniye dont un des premiers objectifs est de promouvoir sur la scène internationale l’image d’une ville moderne, promotion qui passe également par la touristification de la ville. D’autre part, elle est « un levier de gentrifica- tion » (ibid.), utilisée essentiellement dans les centres-ville dégradés et paupérisés par le départ des propriétaires en périphérie et permet ainsi la réalisation de plus value immobi- lière. Ce qui est également le cas à Süleymaniye où nous sommes confrontés à un quartier dégradé du centre ancien, dont le potentiel foncier et immobilier est très important. En ce qui concerne l’action sur le bâti, la référence à la rénovation est aussi pertinente puisque celle-ci fait « table rase pour édifier selon les normes en vigueur » (Lévy, Lus- 2
  • 11. .A Le projet de rénovation de Süleymaniye entre intervention urbaine et politique : la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux sault, 2003, p789). Afin de justifier cette opération radicale, des références sont faites dans les discours à la dégradation du bâti et au risque sismique. Lussault souligne le fait que « la rénovation – alias destruction-reconstruction – se fait presque toujours au détriment des populations en place et il en résulte d’importants changements de statuts fonctionnels et sociaux de l’espace » (ibid.). C’est pourquoi cette pratique a rapidement été critiquée en France, notamment avec l’arrivée de la loi Malraux sur les secteurs sauvegardés qui dénonce ces pratiques bulldozers. Néanmoins, elle est toujours utilisée, même s’il s’agit souvent d’espace moins sacré, comme dans des reconversions industrielles ou des requa- lifications de grands ensembles... Ainsi, le projet oscille entre deux pratiques radicales, qui sont souvent présentées comme opposées, mais qui, dans le cadre du projet de Süleymaniye, semblent para- doxalement complémentaires. En effet, l’esprit et les objectifs du projet relèvent de la restauration. Est-ce l’influence des méthodes européennes et leur souci d’un retour à l’authentique ? À ce propos, notons que cette idéologie n’est pas universelle. Les villes asiatiques ont plus souvent opté pour un engagement dans des constructions modernes qui soulignent une rupture avec le passé. Cette volonté, de la part des autorités turques, de rappeler le passé ottoman se répand à plusieurs niveaux. Certains parlent même de néo-ottomanisme ou d’ottomanisation. Ce qui pourrait être une particularité du projet. Toutefois, il s’agit de noter que cette référence au patrimoine fait partie des pratiques mondialisées et des atouts de ce que pourrait être une ville internationale. Enfin, il est in- déniable que le projet emprunte les méthodes de la rénovation, qui passe par la destruction et implique dès lors des conséquences sociales et fonctionnelles que nous analyserons. Remarquons somme toute qu’aucune référence n’est faite à la réhabilitation dans le projet de la municipalité. Elle est pourtant une pratique plus modérée qui vise « le réta- blissement d’un édifice ou d’un ensemble d’immeubles dans ces capacités à abriter des activités et des habitants ». Elle sous-entend que « les principales caractéristiques de l’ob- jet sont préservées et insérées dans un nouveau fonctionnement adapté au temps présent ». Or, si la mairie ne s’y réfère pas pour le projet prioritaire de Süleymaniye (périmètre KIP- TAS 1), il s’agit de noter que des expériences de réhabilitations ont néanmoins eu lieu par divers acteurs comme l’agence métropolitaine KUDEB 2 et les propriétaires eux-mêmes. 1. La situation géographique du quartier de Süleymaniye, ainsi que le périmètre du projet sont présentés en annexe B, p 115 2. KUDEB est la direction de mise en oeuvre et de contrôle de la conservation. Elle est une agence municipale qui a comme mission de délivrer les permis de construire pour des travaux mineurs de réparation. Elle est souvent invitée à réaliser ces travaux, lorsqu’ils sont mineurs. Ils concernent souvent la façade du bâtiment. Pour plus d’informations sur cette agence, se reporter à l’annexe C qui présente les différents 3
  • 12. INTRODUCTION On note également une réhabilitation. Celle de la mosquée de Soliman le Magnifique lancée par la grande municipalité d’Istanbul (IBB), à l’occasion de l’événement Istanbul, Capitale Européenne de la Culture 2010. Ceci montre un rapport différent à l’architecture monumentale et à l’architecture vernaculaire. De fait, malgré les différents plans de sauvegarde, l’UNESCO menace de placer Is- tanbul sur la liste du patrimoine en danger depuis 2004. Sont remises en cause les restau- rations mal faites et les projets destructeurs qui se développent depuis les années 2000. En cette année 2010, alors qu’Istanbul est Capitale européenne de la Culture, l’UNESCO a placé Istanbul sur la liste du patrimoine en danger pour une durée limitée fin juillet. Le comité est revenu sur sa décision depuis le mois d’août, mais il demande impérativement que des changements soient faits pour février 2011 dans plusieurs projets urbains. Parmi les quatre principaux reproches énoncés par l’UNESCO se trouve la politique de rénova- tion urbaine accélérée par la loi 5366, qui confère aux municipalités le droit et le pouvoir d’exproprier à l’intérieur de « zones de renouvellement ». Comment, à travers ce projet, les autorités turques font-elles la promotion d’un patrimoine architectural reconstitué au détriment de la population locale et du patrimoine mémoriel, immatériel ? A.2 Un projet politique et identitaire Seules les illustrations de belles konaks 3 nous indiquent le type de public attendu. En effet, ces demeures étaient réservées à l’aristocratie ottomane ou construites par de riches particuliers. La volonté de « ré »-introduire ce genre de résidence dans le quartier de Süleymaniye montre bien l’ambition d’en changer le profil social. Toutefois, rien n’est mentionné quant à la composition sociale du quartier. Aucun équipement n’est prévu. Ce projet semble être uniquement architectural, mais dans le choix de l’architecture, les konaks, le message semble clair : il s’agit de « réanimer la culture ottomane » 4. Ainsi, il semble d’emblée que ce projet soit un projet résidentiel pour une catégorie sociale bien spécifique, aisée et en lien avec la culture ottomane. On note qu’une bour- geoisie islamique émerge dans les années 1980. Elle est liée au pouvoir par un mode de vie commun, une esthétique commune, une affinité historique, et des intérêts écono- miques concrets. Dès lors la dimension politique du projet doublerait, ou du moins serait acteurs intervenant dans le projet. 3. Les konak sont les palais, résidences ou grandes maisons construites durant dans l’Empire ottoman par de riches particuliers ou membres de l’aristocratie. Elles sont souvent réalisées en bois, et comprennent une çikma (une avancée en encorbellement qui surplombe la rue et agrandit l’espace intérieur), et une entrée surélevée par rapport au trottoir. 4. « Osmanli Kültürünü yeniden Canlandirmak », l’express, Ayse Cavdar. 4
  • 13. .A Le projet de rénovation de Süleymaniye entre intervention urbaine et politique : la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux lié à, son caractère identitaire. Le parti au pouvoir depuis 2002 est l’AKP. Il est le parti de la justice et du développement. Il naît de la scission en 2001 du parti islamiste le Re- fah, parti du bien-être, de N. Erbakan. Remarquons qu’en 2002, l’AKP obtient, avec près de 35% des voix, la majorité absolue au Parlement turc. Il occupe dés lors 363 des 550 sièges à la grande Assemblée nationale. « Idéologiquement, il n’est pas facile de quali- fier l’AKP. Parti islamique, parti d’islamistes, parti de l’Islam politique, Islam modéré, néo-islamisme, démocratie musulmane... qui se définit officiellement comme démocrate conservateur » (Chenal, 2005). Il s’agit de souligner que très récemment, le 12 septembre 2010, la montée en puissance de l’AKP a été confirmée. Le référendum proposant de ré- viser certaines dispositions de la Constitution de 1982 a été approuvé à 58% des voix. Ce référendum proposait en particulier de « restructurer la hiérarchie judiciaire et de sou- mettre un peu plus l’autorité militaire à l’État de droit » (OVIPOT, Marcou, 2010). Cette victoire aurait pour conséquences d’affaiblir l’établissement militarojudiciaire, seule ins- tance susceptible de gêner les actions de l’AKP d’après J. Marcou (ibid.). « Le monde de l’AKP est un monde qui se pose en tant que bourgeoisie concurrente de celle née après la 2nde Guerre mondiale. Leur position est concurrentielle. Ils ont décidé de la vivre en y mettant une esthétique concurrente (foulards, architecture “néo- ottomane”...). On peut parler d’un entre soi de cette bourgeoisie non kémaliste 5, qui ne se voit pas fondée sur les valeurs kémalistes (de la république des années 1920, jusqu’aux années 1950). En termes de chiffres, cette bourgeoisie AKP ne représente encore que 10 % des 500 familles turques qui paient le plus d’impôts » (D’après un entretien avec Nora Seni, juillet 2010). Mais, il semble qu’elle se développe. La question identitaire est très importante ici. En ce sens, le projet serait instrumenta- lisé par la politique de l’AKP. La rénovation urbaine est ici l’instrument d’enjeu politique à court terme (élections), et d’une question identitaire à plus long terme (imposer une nouvelle esthétique, des symboles de reconnaissance, de nouvelles valeurs). L’AKP, par ce projet, se lierait à ses partisans en leur offrant un environnement symbolique. Il s’agit dès lors de présenter en introduction les enjeux urbains que connaît la méga- pole stambouliote aujourd’hui, ainsi que les projets précédents appliqués à la péninsule historique afin de mettre en perspective le projet. Se fait-il en continuité ou rupture avec les plans précédents ? Dans le corps de ce mémoire, nous essaierons dans un premier temps de comprendre 5. Les kémalistes sont les partisans de la République introduite en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk. 5
  • 14. INTRODUCTION les motivations du projet en partant d’une mise en contexte du quartier de Süleymaniye comme quartier dégradé d’une ville internationale, symbole de l’Empire ottoman, mais aussi lieu stigmatisé par sa population. Dans un second temps, il s’agira d’analyser le projet que propose la mairie, à travers ses différents discours et le cadre politique et ju- ridique dans lequel il s’inscrit. Enfin, nous essaierons de comprendre les enjeux socio- économiques et symboliques du projet qui ressortent à travers ses modalités s’application. B Istanbul, une mégapole en pleine croissance Trois éléments majeurs doivent être pris en considération pour comprendre la pression foncière que connaît la ville d’Istanbul aujourd’hui, et, a fortiori, pour comprendre les enjeux des projets de renouvellement. B.1 Croissance démographique élevée D’après les critères de l’ONU, Istanbul est une mégapole à l’échelle de la Turquie et du bassin méditerranéen. En 2008, elle est une agglomération urbaine rassemblant près de quinze millions d’habitants, soit plus que la population de l’Ile de France. En termes démographiques, on note bien une « mégapolisation » d’Istanbul : sa population a presque triplé depuis les années 1980 6. En outre, la place d’Istanbul dans l’armature urbaine turque va en s’affirmant. Son aire urbaine a rattrapé les départements limitrophes, elle s’étend sur plus de 140 km de part et d’autre du Bosphore, comme l’Ile de France qui s’étale sur plus de 130 km d’est en ouest. Depuis les années 1980, « un spectaculaire changement de dimension s’est opéré : Istanbul est devenue une région urbanisée » (Pérouse, 2001, p 205). Sa croissance an- nuelle varie autour de 4 % par an, de 250000 à 350000 habitants (à titre de comparaison, la ville de Nantes compte plus de 290000 habitants), croissance comprenant une part dé- terminante de dynamique migratoire. « En 1997, 63 % des habitants du département n’y étaient pas nés » (ibid.). Une des raisons qui explique cette croissance démographique réside dans le fait qu’Istanbul est un pôle migratoire majeur. Si depuis les années 1980, on note que les migrants sont globalement plus urbains que ruraux, on observe que les flux n’ont de cesse. Un flux migratoire important en provenance des régions kurdes à l’est du pays se fait ressentir en réaction aux troubles qui sévissent dans ces régions. D’autre part, une proportion non négligeable de migrants est composée d’étrangers en transit qui 6. On passe de 4,7 millions à plus de 15 millions d’habitants dans le département aujourd’hui. 6
  • 15. .B Istanbul, une mégapole en pleine croissance tentent de gagner l’Europe (Pérouse, 2002). Ces étrangers de passage deviennent souvent des étrangers clandestins qui peuvent rester très longtemps dans la capitale afin d’obtenir les visas et faux papiers. Ce phénomène migratoire important induit de nouveaux modes d’habiter plus ou moins temporaires, dans la capitale. Ils traduisent des mobilités entre le département d’origine et la métropole, voire entre la métropole et l’étranger. Une des particularités d’Istanbul est cette « population en mouvement » qui échappe au recensement (Pérouse, 2001). B.2 Croissance économique et culturelle : volonté de faire une ville internationale de premier rang Istanbul concentre et produit une grande part de la richesse turque si on prend en compte le Grand Istanbul qui va jusqu’à Izmit. Cette donnée est toutefois à nuancer par le fait que le département d’Istanbul est classé au sixième rang national en fonction du revenu annuel par tête d’habitants. En 1998, le Grand Istanbul concentre deux tiers des cinquante plus grands groupes industriels de la Turquie (Philsa, Arçelik...). Sur les 10 plus grands groupes, 9 ont leur siège et leur principale unité de production dans le Grand Istanbul. Ces chiffres officiels peuvent être revus à la hausse si on ajoute le secteur in- formel qui est considérable à Istanbul. La moitié des secteurs industriels ou tertiaires ne seraient pas déclarés (OCDE, 2008). La présence des grandes holdings turques donne forme à une polarisation financière à Istanbul. La présence boursière est également forte, l’une des plus attractives au Proche et Moyen orient. Selon Morgan Stanley, la Turquie était même au 2e rang mondial des « marchés financiers émergents » en 1996. En outre, l’affirmation d’ambitions internatio- nales se fait ressentir, même si l’opacité et le dysfonctionnement administratifs freinent cet engouement. Ces évolutions se traduisent dans l’espace. Depuis 1985, on observe une verticalisa- tion du bâti. Une multitude de tours dessine l’« Istanbul Manhatani » sur l’avenue Büyük- dere qui concentre la plupart des sièges sociaux des holdings. (Alarko, Banque Turc du Travail...) Dans les années 1980, l’architecture commerciale se diffuse. Les Turcs font référence aux « centres commerciaux géants » (cf. Akmerkez d’Etiler). Les nouvelles autoroutes et voies express également marquent et fracturent le paysage. En outre, Istanbul maintient et accroît son rôle de centre culturel et attractif. 60 % des foires et expositions turques ont lieu à Istanbul en 1997. La ville dispose des infra- 7
  • 16. INTRODUCTION structures les plus importantes (Pérouse, 2007). Dans ce contexte, le tourisme d’affaire, et de congrès explose. Le rôle touristique d’Istanbul est aussi probant pour la Turquie. On compte 2 millions de touristes étrangers en 2000 à Istanbul sur les 9 millions accueillis dans toute la Turquie. Les quartiers touristiques sont essentiellement concentrés dans le centre ancien, dans les arrondissements de Fatih, Eminönü, Beyoglu, Besiktas... Ce tou- risme prend la forme de gros investissements, des hôtels de standing, même dans les sites protégés et classés des rives du Bosphore, en même temps que sont prônés des efforts en matière de qualité environnementale et de valorisation du patrimoine bâti. De 1980 à 2007, la capacité d’accueil des hôtels cinq étoiles passe de 2000 à 10199. De même, les centres commerciaux se multiplient (AGFE, 2009). Cette ville de 8000 ans d’histoire est peu à peu transformée en ville globale. En 2010, Istanbul est capitale européenne de la culture. Près de 500 projets artis- tiques sont prévus dans l’agglomération. L’organisation d’un tel événement est un grand défi pour la Turquie entière, qui est candidate à l’entrée dans l’Union Européenne. C’est l’occasion rêvée pour les autorités politiques de lancer des projets de « transformations urbaines ». Il s’agit de valoriser le patrimoine, et de se montrer sur la scène internationale comme étant une métropole moderne, contemporaine, occidentale. Toutefois, on note que le choix des monuments et des sites concernés par la restauration, fait souvent polémique. Korhan Gümüs, qui était directeur des projets urbains au sein du comité d’organisation d’Istanbul 2010, met en garde contre une tendance dans laquelle « la culture a tendance à être reléguée au rayon loisirs, ou utilisée pour servir une idéologie. Il y a deux risques : essayer de vendre un passé glorifié, et utiliser les fonds publics accordés à la culture pour développer le tourisme et les capacités économiques de la ville » (Perrier, le 17/01/2010, Le Monde). En effet, on remarque dans cet événement que les dimensions marchande et touristique prévalent sur l’éthique historique ou urbaine. Or, cette ambition d’interna- tionalisation de la ville semble déplacée au regard des préoccupations de la majorité des habitants, qui ne bénéficient pas de ces mutations. D’autre part, les multiples projets ne s’inscrivent pas jusqu’à présent dans une stratégie urbaine à l’échelle de l’agglomération, mais se font plutôt selon les opportunités foncières, à coup de délégations aux investisseurs privés. 8
  • 17. .B Istanbul, une mégapole en pleine croissance B.3 Privatisation, spéculation et étalement urbain : une croissance urbaine non contrôlée Depuis les années 2000, l’État turc adopte une posture de privatisation et vend peu à peu ses biens immobiliers et fonciers à des investisseurs privés. Cette dérégulation a pour conséquences de multiplier les projets et la croissance urbaine au coup par coup, mais elle provoque également une envolée des prix du foncier, due à la spéculation. On voit naître des projets « spectaculaires » de tours de bureaux, de logements de standing ou encore de centres commerciaux géants. Ces projets ne se font pas sans autorisations : ce sont les mairies d’arrondissement qui délivrent les permis de construire. Toutefois, il faut noter que ces mairies sont en concurrence les unes avec les autres pour accueillir les d’investis- seurs, elles ne freinent pas cette dynamique (Pérouse, 2006). Un des signes de la difficulté à gérer la croissance urbaine est la multiplication des cités privées. La production de la ville est aux mains d’opérateurs privés qui construisent des « ensembles résidentiels com- posés de villas et/ou d’immeubles, fermés par une enceinte protégée et dotés de services et équipements le plus souvent réservés » (Pérouse, 2002, p27). Leur gestion échappe aux pouvoirs publics. En 2001, on dénombre 270 cités privées, qui pourraient représenter près de 100000 logements. Les publics cibles de ces résidences sont les « gens de la finance et salariés des grands groupes internationaux » qui peuvent s’offrir des villas de 500000 à 2M de $ (ibid.). Dans ces cités, les habitants vivent entre eux, comme « préservés », ils adoptent les mêmes modes de vie, achètent les mêmes voitures, mettent leurs enfants dans les mêmes écoles. L’homogénéité et le mimétisme marquent ces quartiers qu’on promeut comme étant sécuritaires, à haute garantie de civilité, d’environnement agréable. Chaque opération est conçue dans l’ignorance totale de son environnement proche, ce qui produit un paysage composite et hétéroclite. Ces cités sont l’expression de l’éclatement socio- spatial d’Istanbul. Elles sont très liées au dépérissement des arrondissements centraux (Pérouse, 2002). La figure 1 montre l’évolution de l’urbanisation d’Istanbul, de la ville byzantine à la mégapole d’aujourd’hui. On remarque que la croissance urbaine explose à partir du XXème siècle. En effet, le schéma de l’évolution de la population interne à Istanbul est simple. On observe une certaine dépopulation du centre-ville et un développement très rapide des arrondissements périphériques. Par exemple, le quartier central d’Eminönü 7 perd 4,84 % de sa population entre 1990 et 1997 tandis que celui de Büyükçekmece, en 7. Il faut noter que l’arrondissement d’Eminönü n’existe plus depuis 2009, il a fusionné avec celui de Fatih. 9
  • 18. INTRODUCTION FIGURE 1: Carte de la croissance urbaine d’Istanbul. Source fond de carte (Pérouse, 2001) périphérie sud-ouest en a gagné 14, 5 % (Pérouse, 2001). Plusieurs logiques contribuent à cela : – La « citysation » de certains quartiers centraux convertis en activités commerciales ou de bureaux, à plus grosse valeur ajoutée, au détriment de quartiers résidentiels. – La logique de muséification du centre-ville à des fins touristiques. – Une fuite des riches vers la périphérie pour jouir de quartiers de standing qui s’ac- compagne d’une forte dégradation du bâti ancien. Dans l’hypercentre, un logement sur quatre serait vacant dans le quartier de Beyoglu. En 1990, dix arrondissements sont créés aux marges de l’aire urbaine. Leur morpho- logie est en discontinuité avec les espaces centraux et ils sont reliés au centre par des au- toroutes qui traversent de nombreux no man’s land. C’est ce qu’on appelle le phénomène de périurbanisation incontrôlée 8, de mitage de plus en plus lointain impulsé par les pro- moteurs qui cherchent les meilleures opportunités foncières. Notons que ce phénomène est source de surcoût en termes de réseaux et d’équipements de base ainsi que d’étalement urbain. Il traduit un décalage entre la croissance démographique et la croissance urbaine, cette dernière ayant explosé. 8. Il s’agit du phénomène de métropolisation, dans l’acceptation anglo-saxonne du terme. 10
  • 19. .C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou rupture avec les projets précédents ? En effet, depuis les années 2000, on note un paradoxe : alors que la croissance dé- mographique ralentit, le parc de logement croît très rapidement. Il pourrait accueillir près de 25 millions de personnes, ce qui représente presque le double de la population re- censée en 2008. Ce phénomène s’explique en partie par l’arrivée de nouveaux modèles familiaux et l’augmentation relative du niveau de vie des stambouliotes qui s’accompagne d’un phénomène de décohabitation, de desserrement des ménages. Or, la plupart des nou- velles opérations de promotion immobilière sont luxueuses et ne correspondent pas à la demande d’une grande partie de la population non solvable. On observe alors un hiatus entre la production du bâti et la demande. La démission des pouvoirs publics en termes de stratégie foncière n’a fait qu’accélérer le développement de l’aire urbaine qui s’étale de plus en plus (Pérouse, 2006). C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou rupture avec les projets précédents ? C.1 La politique de transformation urbaine comme outil de gestion de l’urbanisation depuis les années 2000 Certains quartiers d’Istanbul se dégradent à grande vitesse. En effet, la ville d’Istan- bul s’est développée très rapidement avec les différentes vagues d’immigration de 1950 et de 1970. Cet afflux de population a engendré une urbanisation informelle, dans les quar- tiers centraux pour la première vague surtout, dans les quartiers périphériques pour les vagues d’immigration plus récentes. Or, comme vu précédemment, les quartiers centraux perdent de la population. Ce sont notamment les populations les plus aisées qui partent du centre pour vivre en périphérie, dans des quartiers de standing. Ainsi, on observe deux phénomènes. D’une part, une dégradation du bâti ancien est à l’œuvre dans ces quartiers centraux comme Fatih. D’autre part, le bâti informel, souvent construit avec des matériaux de récupération et de bois, est mal perçu par les autorités publiques. Cela va conduire la puissance publique à mener une politique de transformation urbaine, kentsel dönüsüm en turc. Ce type de bâti populaire irait à l’encontre des ambitions d’internationalisation et de modernité d’Istanbul d’après les élites politiques. Depuis son arrivée au pouvoir, le maire Kadir Topbas encourage les « grands projets urbains ». Il tend à remodeler le tissu urbain pour lui conférer une image plus contempo- raine. Les grands événements nationaux et internationaux sont dans ce contexte le prétexte 11
  • 20. INTRODUCTION pour « moderniser » la ville. C’est dans ce cadre qu’une loi est votée en 2005 sur la « réno- vation pour la préservation et le réemploi des biens historiques et culturels immobiliers en délabrement ». On l’appelle plus fréquemment la loi 5366. Son objectif est de permettre à toutes les administrations de reconstruire et restaurer 9 -rénover en réalité- des biens his- toriques et culturels immobiliers classés par le Conseil de protection des biens culturels et naturels. Ces "zones de renouvellement" sont désignées par l’assemblée municipale, et les projets sont réalisés par la municipalité concernée. Elle peut toutefois déléguer ce rôle à toute autre personne morale, comme le TOKI par exemple. Le TOKI est l’administra- tion du logement collectif. Depuis le milieu des années 1990, le TOKI s’intéresse aussi au parc de logements anciens dans les tissus historiques 10(electrOUI, 2006). D’après l’article 51 de cette loi sur la rénovation, des conseils locaux devaient être créés pour suivre les travaux localement, à l’échelle du projet. L’évacuation, et la des- truction du bâti doivent se faire d’un commun accord avec le propriétaire. Toutefois, en cas de désaccord, l’expropriation est tout à fait possible et prévue. Ce projet de rénova- tion urbaine s’inscrit dans une démarche de planification stratégique de la municipalité métropolitaine, IBB 11, qui intervient dans les quartiers historiques précaires tels que Sü- leymaniye, Sulukule, Balat et bien d’autres... Pour le seul arrondissement de Fatih, une dizaine de projets sont prévus, ce qui est considérable. Or, on remarque rapidement que ces projets de rénovation ne tiennent pas compte des réalités historiques de la ville. Ils se font surtout dans le souci de procurer une image européenne 12 à Istanbul. Ces projets sont pour la plupart des projets de destruction, reconstruction et ne pré- voient pas de procédure de relogement pour les habitants. « Expropriations et démolitions demeurent en effet le lot commun de millions de résidents dans le monde (Un-Habitat, 2003). Il s’agit d’un phénomène aussi massif que peu étudié, à contre-courant du credo de régularisation -des quartiers irréguliers- martelés dans les instances internationales. On doit ajouter que ses effets sont aujourd’hui décuplés par l’éviction du logement par le secteur privé (Durand-Lasserve, 2006) dans les métropoles les plus tendues sur le plan foncier et immobilier, où s’opposent constamment éviction et empiètement silencieux par 9. Le terme restaurer est employé par la grande municipalité d’Istanbul (IBB) et les défenseurs de cette politique de transformation urbaine, mais il s’agit en réalité de rénovation, puisque l’étape de la destruction de l’existant est omniprésente. 10. Pour plus d’informations sur le TOKI, se reporter à l’annexe C qui présente les acteurs intervenant dans le projet de rénovation 11. Istanbul Büyüksehir Belediyesi 12. L’expression image européenne est paradoxale. Elle est utilisée ici dans le sens où les projets ont pour objectif de donner une image moderne à Istanbul, et in fine montrer que la mégapole a sa place dans l’Europe. Or, bien sûr, le passé historique revendiqué est ottoman. 12
  • 21. .C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou rupture avec les projets précédents ? les populations privées de logement régulier (Bayat, 1997) » (Deboulet, 2009, p1). Comment cela se concrétise-t-il à Istanbul ? Comment l’espace urbain de ces quar- tiers décrétés de rénovation est-il en pleine reconfiguration sociologique ? Les stratégies d’action sont-elles les mêmes dans ces quartiers ? Quels sont les différences ou points communs de l’application des projets de rénovation dans ces quartiers ? Une fois, les principaux enjeux urbains stambouliotes posés, il s’agit de se centrer un peu plus sur le quartier à l’étude, et plus généralement sur la péninsule historique. C.2 Des plans de protection du patrimoine qui visent le développe- ment touristique de la péninsule historique En 1985, l’UNESCO classe la péninsule historique au patrimoine mondial de l’Huma- nité, d’abord par l’intermédiaire de quatre quartiers : Sultanahmet, Süleymaniye, Zeyrek et les Murailles de Théodose II. Dix ans après, en 1995, toute la péninsule est classée. Ces secteurs doivent alors être protégés, sauvegardés : c’est la condition. Ce n’est qu’après ce premier classement, par une instance internationale, que la péninsule historique est ins- crite sur le registre des biens nationaux. Plusieurs plans de protection sont alors conçus en 1990, 1998, 2003, et enfin, en 2004 la municipalité lance le projet « Istanbul-Ville Musée » (Istanbul Müze Kent Projesi, soit IMÜKEP). Ces plans ont comme objectif de protéger le patrimoine. Toutefois, s’ils sont dits de « sauvegarde », ces plans n’opèrent pas de choix clair en général. En ce qui concerne le plan de 2003 notamment, quatre scéna- rios sont proposés, tous sont plus ou moins subordonnés à des objectifs touristiques, mais reste construit selon des identités différentes. L’accent est mis sur les zones de logement, de commerces, d’équipement ou de tourisme. Comment mettre en avant une fonction de la ville au détriment des autres ? Le fait que la municipalité ne choisisse pas un seul des quatre scénarios rend le plan inapplicable dans la pratique, car ses schémas sont contra- dictoires sur plusieurs aspects. On note une absence de proposition concrète, ce qui remet en question de la légitimité du plan. De plus, ces plans gardent une approche fonctionnelle (et non territoriale). Ils ne prévoient pas d’articulation avec le grand Istanbul, la péninsule historique y est considérée comme isolée de son contexte (Özel, 2004). Enfin, en ce qui concerne le projet IMÜKEP, Erdogan, le premier ministre, déclare début 2004 qu’il faut « sauver et préserver la péninsule historique, la faire « regagner » aux Stambouliotes, à la Turquie et à l’humanité » ; il déclare également que les quartiers de Beyoglu, Süleymaniye, Zeyrek, Fener et Balat sont part importante des projets prévus. Pour cela, les ateliers créateurs de « pollution visuelle » seront transférés. Les « édifices 13
  • 22. INTRODUCTION ayant perdu leur identité » seront réhabilités. La presse annonce que pour Eminönü 4834 ateliers doivent fermer et déménager (Pérouse, 2007). Il s’agit de faire du centre-ville his- torique, un lieu protégé et touristique avant tout. Comme zones pilotes sont choisis les quartiers de Zeyrek et Süleymaniye. Mais ce projet n’a jamais été mis en œuvre concrète- ment. Les projets de rénovation l’ont doublé. En outre, on remarque que depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP dans les années 1990-2000, un seul aspect du patrimoine est reven- diqué : celui de la période ottomane. « La chambre des architectes dénonce fermement une conception sélective de la protection du patrimoine dans ce plan de sauvegarde. Une conception nationaliste qui tend à protéger tout ce qui concerne la période ottomane et rien d’autre » (Özel, 2004). Ainsi, les projets précédents sont essentiellement des projets à des fins de protection du patrimoine et de développement touristique. Le projet de rénovation s’inscrit-il dans cette politique ? C.3 Un projet résidentiel qui semble inédit Afin d’introduire le projet de Süleymaniye, partons de la source principale et première du projet : son document de promotion. En effet, le projet en tant que tel n’est absolument pas communiqué par les instances municipales. Il s’agit de s’en tenir à la promotion qui en est faite sur le site internet de la mairie de l’arrondissement de Fatih, d’analyser cette source publique, de la mettre en perspective, de la relativiser et d’en comprendre les li- mites, sa dimension marketing. Quelle clientèle ce document vise-t-il ? À qui vend-on ce projet ? Tout d’abord, ce document est situé sur le site internet de la municipalité de Fatih, et non de la grande municipalité d’Istanbul. On peut alors en conclure que c’est la munici- palité d’arrondissement qui est à l’initiative du projet, qu’elle en est le maître d’ouvrage. Ceci est possible depuis la loi 5366 de 2005 présentée en amont. On trouve ce document dans la rubrique projeler, (projets), et dans le chapitre Yenileme projeleri (projets de réno- vation). Le document présenté est daté du 28 octobre 2009, ce qui est très tardif comparé à la mise en œuvre du projet qui commença dès 2006. Cela souligne un manque de com- munication remarquable de la part de la mairie. Le projet intervient dans le cadre d’une politique de kentsel dönüsüm, qui signifie « transformation urbaine » 13. Cette politique est symptomatique de l’intervention urbaine par les instances publiques depuis les années 2000. Elle est à l’origine de tous les projets de rénovation lancés depuis le vote de la loi 13. Nous détaillerons cette notion dans la partie 1 14
  • 23. .C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou rupture avec les projets précédents ? 5366. « Le projet porte sur le patrimoine historique et culturel de Süleymaniye, zone dé- clarée de renouvellement le 24/06/2006 (publié au JO 2006/10501), il a pour ambition de renouveler l’utilisation du patrimoine immobilier » 14. À la suite de ce préambule, un paragraphe retrace brièvement l’histoire du quartier afin d’en montrer l’importance et le symbole. C’est un quartier né avec la construction de la grande mosquée et du complexe de Süleymaniye, tous deux commandés par Soliman le Magnifique au XVIe siècle. Le texte exprime clairement que ce quartier était réservé à une classe spécifique et riche durant l’Empire ottoman, et que depuis le XXe siècle, il s’est paupérisé et a connu des dégradations, des incendies... Mais qu’aujourd’hui des « priorités » touristiques ont gagné le quartier. Les objectifs du projet sont de « créer un système fiable, un habitat vivable et du- rable ; lutter contre les dangers et risques des dégradations de l’architecture ; et de profiter de l’effet positif national et international de la nomination d’Istanbul comme capitale européenne de la culture pour développer les valeurs historiques et culturelles de Fatih (en développant les secteurs des services, commercial, touristique et culturel) ». Et ce, en suivant trois règles : « savoir gérer le changement, respecter les valeurs humaines et historiques, et enfin, avoir une approche globale et participative » 15. Voilà la déclaration d’intention de la mairie. Elle est illustrée de quelques plans, coupes et perspectives mon- trant « hier », « aujourd’hui » et « demain ». Notons que rien n’est mentionné quant à l’aménageur, le maître d’œuvre, les financements, les temps et les modalités du projet. À ce stade, il apparaît que le projet de rénovation s’inscrit bien en continuité avec les plans précédents. Il s’agit avant tout d’embellir le quartier à des fins touristiques. Cepen- dant, rien n’est mentionné sur le public visé. Pour en savoir plus, il s’agit d’analyser la programmation du projet. D’après un entretien avec une architecte de KIPTAS 16 il apparaît que le projet soit essentiellement résidentiel. A priori, quasiment aucun équipement touristique ne serait prévu. Comme vu en amont, ce projet serait destiné à une catégorie sociale bien spéci- fique, aisée et en lien avec la culture ottomane 17. C’est cet enjeu identitaire du projet qui semble créer une rupture avec les plans précédents et même avec les autre projets de ré- novation. Il s’agit dès lors de s’interroger sur les fondements, les cadres et les modalités 14. Traduction du site internet de la municipalité de Fatih consulté le 10 mai 2010. 15. Traduction du site internet de la municipalité de Fatih consulté le 10 mai 2010. 16. KIPTAS la société immobilière de construction d’Istanbul, elle appartient à 50% à la grande munici- palité d’Istanbul, (IBB). Pour plus de détails, se reporter à l’annexe C. Le chapitre III-C fait aussi l’analyse de cet acteur. 17. L’analyse des discours et de la programmation du projet est plus détaillée dans le chapitre II-A, p49. 15
  • 24. INTRODUCTION d’application de ce projet. D Méthodologie Ce mémoire a été rédigé à l’issue d’un stage de trois mois à l’IFEA (Institut Français d’Etudes Anatoliennes) à Istanbul, du 21 avril au 23 juillet. C’est grâce à ce stage que les données concernant le projet de Süleymaniye ont pu être récoltées et analysées. En effet, les données qu’elles soient sur le quartier de Süleymaniye ou sur le projet lui-même sont rares. Tandis que d’autres projets de rénovation comme ceux de Balat ou de Sulukule ont été beaucoup traités, aucun article francophone ou anglophone n’a été écrit sur le projet de Süleymaniye. Le contraste entre ce quartier et d’autres est remarquable. On ressent une certaine concentration des recherches européennes sur quelques quartiers, plus médiatisés, ou qui portent un intérêt plus symbolique d’un point de vue européen. Par exemple, Sulukule était l’un des plus vieux quartiers d’implantation Rom. En outre, les données socio-économiques locales officielles semblent inaccessibles étant donné les problèmes auxquels est confronté le quartier. La municipalité ne communique aucune donnée comme les recensements, les enquêtes, ni même les projets de façon précise. J’ai ainsi appréhendé le projet grâce à des entretiens avec divers acteurs. Deux moments d’enquête sont à dissocier dans mon travail de terrain. D’une part, une série d’entretiens a été menée auprès d’acteurs en lien plus ou moins étroit avec le projet. Il s’agit d’acteurs municipaux, de professionnels de l’aménagement, de chercheurs ou encore de mouvement en réaction à ce projet... etc 18. Ces entretiens ont le plus souvent été réalisés en anglais et à deux, avec Annabelle Lopez réalisant le même travail sur un autre quartier de la péninsule historique. D’autre part, une courte enquête auprès des habitants a été menée sur place. Ce travail dans le quartier a été mené sur une période de quinze jours. Sur cette période, cinq jours entiers ont été consacrés à un travail d’enquête auprès des habitants, commerçants et autres personnes fréquentant le quartier, soit les 3, 8, 9, 15 et 17 juin. Pour ce travail, une étudiante en sociologie, turque et francophone, m’a accompagnée. Elle me traduisait régulièrement le sujet de la conversation pour que je puisse réagir le cas échéant, mais nous veillions à ne pas casser l’entretien. Nous faisions un point à chaque fin d’entretien pour prendre en notes tout ce qui avait été mentionné, surtout quand l’entretien n’avait pas pu être enregistré. Notons également que nous avons choisi un point de repère, une lokanta (restaurant populaire) où nous allions à chaque 18. Voir la liste des personnes interviewées en annexe. 16
  • 25. .D Méthodologie fois. Nous avons ainsi pu interroger le tenant de cette lokanta, un client habitué... Ce repère nous a été précieux pour un certain nombre d’informations et de contacts. Ces entretiens ont été de réelles sources pour mon mémoire, et revêtent deux dimen- sions : un aspect informationnel et un aspect qualitatif. L’aspect informationnel est surtout valable pour la première série d’entretiens qui m’a donné des informations sur le contexte des projets de la péninsule historique et le cadre juridico-politique du projet. Toutefois, le projet de Süleymaniye reste très peu connu, même à l’échelle de ces acteurs. L’aspect qua- litatif est surtout valable pour l’enquête de terrain dans laquelle quatre thèmes ressortent du croisement des entretiens : – les parcours personnels et résidentiels des personnes interrogées – leur rapport au quartier et l’histoire récente - les évolutions récentes – qu’ils en font – leur appréhension du projet – leur connaissance des détails du projet Il s’agit désormais de souligner l’utilisation d’autres sources comme les sources biblio- graphiques, la presse, les sites internet des municipalités et de leurs entreprises, et enfin les rapports officiels de certaines institutions comme l’UNESCO, l’OCDE, Un-habitat... Elles ont également été prises en compte et analysées. À cet égard, une monographie sur Istanbul a été rédigée avant de partir en stage, dans le cadre de l’option Expertise Interna- tionale des Villes en Développement. Elle nous a permis de construire une bibliographie préalable au stage. La base de données de l’IFEA, fut sur place, d’un grand soutien. Enfin, d’autres sources moins formelles ont aussi influencé mon travail en m’aidant à m’imprégner du contexte stambouliote. Il s’agit d’échanges avec d’autres étudiants, sta- giaires, doctorants, chercheurs, concernant de près ou de loin le sujet ; de la participation à des visites (excursions urbaines et expositions), des forums (comme le forum social eu- ropéen), des conférences, encadrées ou non par l’IFEA, des évènements de solidarité... A ce titre le personnel administratif, les stagiaires et surtout les chercheurs présents à l’IFEA, ainsi que les professeurs qui encadrent ce mémoire, m’ont été d’une grande aide. Les conseils donnés, tant au niveau du travail de terrain qu’au niveau de l’organisation du mémoire, m’ont été précieux. Ce mémoire est donc le fruit d’une étude encadrée et menée sur sept mois, dont trois mois sur place. Les recherches sur les projets de rénovation en général à Istanbul ont commencé dès fin janvier dans le cadre de l’option EIVD et se sont perpétuées jusqu’à la fin de la rédaction du mémoire en septembre 2010. 17
  • 27. Chapitre I Comprendre le projet de rénovation de Süleymaniye Dans ce chapitre nous essaierons de déterminer les principales causes ou motivations du projet. Pourquoi Süleymaniye, qui est terrain de projet de protection depuis de nom- breuses années, fait-il depuis 2006 l’objet d’un projet de rénovation ? Il s’agit de montrer dans un premier temps que le contexte de la mondialisation pousse, depuis les années 1990, à des projets de restructuration dans les villes dites internationales. Toutefois, le quartier de Süleymaniye n’est pas ordinaire, ni pour Istanbul ni pour le pouvoir en place, il est le symbole du passé ottoman de la ville. Son projet sera donc d’autant plus sin- gulier. Enfin, quel état physique, fonctionnel et sociologique peut-on dresser du quartier aujourd’hui ? A Injonction internationale à la restructuration urbaine A.1 L’injonction au marketing urbain... D’après les auteurs de l’ouvrage villes internationales publié en 2007, un des effets de la mondialisation est l’injonction au marketing urbain qui impose des restructurations aussi bien urbaines qu’économiques, et donc des marchés de l’emploi, dans les villes dites internationales. Une compétition internationale est à l’œuvre, notamment dans les villes émergentes, pour donner une image moderne. « De nombreuses métropoles du Sud par- ticipent pleinement à des manifestations multiformes d’internationalisation qui dépassent les seuls échanges économiques » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007,
  • 28. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE p8). Il s’agit de se situer dans le réseau archipel de grands pôles économiques afin d’atti- rer les flux internationaux d’investissements (Veltz, 1996). Cette internationalisation passe pour Istanbul par la reconquête du centre historique et des territoires indûment accaparés, la reproduction d’archétype architecturaux comme le néo-ottomanisme, l’établissement de population aux revenus élevés pour qui sont destinés ces projets, la promotion de l’atout culturel, confirmé par le fait qu’en 2006 Istanbul est élue capitale européenne de la culture pour 2010... D’ailleurs, l’événement Istanbul, Capitale Européenne de la Culture 2010, montre bien un paradoxe. A la fois, en cette année 2010 on prône les valeurs mul- ticulturelles d’Istanbul. A ce titre, un festival tzigane, le festival hidrillez, est reprit par l’organisation Istanbul 2010. Et, en même temps, on expulse des milliers de roms de leur quartier avec le projet de Sulukule... Comme pour les autres métropoles en compétition sur la scène mondiale, on note à Istanbul une certaine uniformisation des modèles urba- nistiques et la croissance du rôle des organismes transnationaux et des entreprises privées dans l’application de ces politiques urbaines. D’après JF Pérouse, il s’agit d’une « mise aux normes, mise en marque » qui se traduit par trois déclinaisons : l’inflation de projets de transformation urbaine, le déploiement d’une politique de tourisme international, d’af- faires et de congrès, et enfin le développement de technopôles comme outils de prestige. Cette internationalisation dirigée par les autorités turques depuis les années 1990 vise à pourvoir Istanbul d’un certain nombre d’ « atouts distinctifs sans lesquels elle ne pourrait participer à la grande compétition » (Pérouse, 2007, p32). L’argument du risque sismique est ici mis à profit pour justifier cette politique qui touche aussi bien les centres histo- riques dégradés que les quartiers spontanés, gecekondu, en périphérie. En effet, d’après un document de promotion de la politique de kentsel dönüsüm 1 réalisé par la mairie de l’arrondissement de Fatih en 2007 : « Les problèmes qui doivent être résolus en termes de construction et d’urbanisme sont les suivants : – L’urbanisation non planifiée – Le fait que notre arrondissement possède les caractéristiques physiques et sociales négatives de zones gâchées à cause des vagues de migra- tions depuis les années 1950 et d’une mauvaise économie. – Le risque sismique. /.../ Des solutions durables sont nécessaires pour créer des établissements en sécurité et protéger les bâtiments historiques. À cet égard, les secteurs 1. Kentsel Dönüsüm signifie transformation urbaine, le développement de cette notion depuis les années 2000 est étudié dans le chapitre II-B. 20
  • 29. I.A Injonction internationale à la restructuration urbaine ayant besoin d’une intervention urgente ont été déclarés zones de rénovation ». (Mairie de Fatih, 2007). Cette présentation montre que trois caractères pèsent sur l’image et l’ambition d’in- ternationalisation de la part de mairie de Fatih : le risque sismique, les caractéristiques physiques et sociales et enfin le caractère non planifié de la ville. En ce qui concerne les caractéristiques physico-sociales du quartier, il s’avère que le profil social semble poser problème et être responsable de l’état de dégradation du quartier. Le discours de la mairie de Fatih est conservateur, il s’agit de : – Réduire l’insécurité – Réduire le risque sismique – Récréer un environnement ottoman en protégeant les monuments historiques. – « Remoraliser » la péninsule historique. En ce qui concerne le fait que l’urbanisation soit non planifiée, deux plans de pla- nification, un élaboré en 2006 et un en 2009, ont été présentés. Or, ils n’ont jamais été ratifiés, notamment à cause des contestations des agences traditionnelles de planifications et d’urbanisme, comme la chambre des architectes (IMMOB). Istanbul reste dans un vide de planification. C’est pourquoi des projets opportunistes comme celui du pont du futur métro sur la Corne d’Or peuvent se réaliser. Cet exemple montre comment la logique de projet est utilisée pour produire la ville à Istanbul. Il prévoit de dresser deux cornes dorées de plus de 100m de haut de part et d’autre du pont, sans prendre en compte son environnement. Il a été fortement critiqué par les professionnels de l’urbanisme qui lui reprochent de faire fi de la silhouette de la péninsule historique. Ce projet se glisse dans les failles du système. De même, les projets de rénovation sont prévus et menés à l’échelle de l’arrondissement au mieux, sans cohérence globale. L’ambition de la municipalité de Fatih de pallier au manque de planification est justifiée. En revanche, il semble qu’elle ne se pose pas à l’échelle de l’arrondissement, mais plutôt du Grand Istanbul. On retrouve également cette injonction à la restructuration dans le discours du Prof. Dr. Ilber Ortayli, qui pointe en 2005 les dévastations de la péninsule historique, et déclare qu’il faut absolument opérer « un nettoyage physique et de la population » (Demirci S., 17.09.2009, Milliyet) dans le quartier de Süleymaniye. Ainsi, il s’agit bien comme le souligne JF Pérouse d’une volonté de nettoyer Istanbul qui passe par la restructuration urbaine afin de lui donner un caractère plus international, plus moderne (Pérouse, 2007). Or, il s’avère que ces restructurations suscitent « la mise en tension » d’une fraction importante de la population (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). Elles 21
  • 30. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE affecteraient le rapport des individus au marché du travail ainsi qu’au logement. A.2 ... Au détriment des populations fragiles. D’après l’ouvrage villes internationales, trois types de politiques sont les cibles de ces restructurations : la politique de l’emploi, la politique migratoire et la politique urbaine. Ainsi, les espaces migratoires, la précarisation du travail et la mutation de la ville sont autant de cadres instables qui participeraient à la division socio-spatiale des villes inter- nationales. Istanbul correspond bien ici à la figure de la ville internationale. Comme vu en introduction, elle est un pôle migratoire important et s’est engagée depuis les années 2000 dans une politique de rénovation urbaine, kentsel dönüsüm en turc, qui touche en particulier « les secteurs paupérisés, dégradés ou à reconquérir et sollicitent la mobilité contrainte des riverains, des populations flottantes ou migrantes, faiblement stabilisées » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). Une certaine « pression au chan- gement » serait mise en œuvre par ces projets ponctuels de restructuration et se traduit notamment par l’augmentation des valeurs foncières et immobilières. Les villes seraient en quelques sortes devenues otages d’une urgence esthétique et les habitants contraints par « la conformité et l’adaptation coûteuse à ces logiques de restructuration » (ibid.). Toutefois, face à cette pression s’imposent de plus en plus de nouveaux réseaux inter- nationaux pour défendre les droits des habitants, le droit à la ville. A Istanbul, les confron- tation entre les activistes qui soutiennent les habitants et les autorités stambouliotes sont de plus en plus ouvertes. JF Pérouse relate quelques expériences qui ont permis d’arrê- ter des opérations commerciales et immobilières grâce à la mobilisation des habitants à l’aide de chambres de professionnels, comme la chambre des architectes. Ces revendica- tions ont majoritairement pour cible la loi 5366, qui permet l’application de ces projets de rénovation depuis 2005 2. En effet, les habitants concernés par ces projets se sentent de plus en plus ségrégués, menacés d’éviction à des fins de revalorisation de l’image de la métropole. Ces populations sont « confrontées à des expériences d’injustice urbaine [... ] et vivent des lésions identitaires au cours desquelles leur rapport positif à elles-mêmes est mis en péril, [ce] qui les conduit dans certains cas à réagir, se mobiliser, lutter, dans d’autres cas à subir, souffrir » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). A Istanbul notamment, la politique de kentsel dönüsüm est teintée de discours stigmatisant l’immigration anatolienne et faisant la promotion d’une identité stambouliote moderne. Cette volonté repose d’après JF Pérouse sur « une vision élitiste et sélective de l’interna- 2. Les revendications ainsi que la loi seront présentés en partie II. 22
  • 31. I.A Injonction internationale à la restructuration urbaine tionalité » (Pérouse, 2007). Ainsi, le projet de rénovation de Süleymaniye, quartier dégradé du centre historique, est bien l’expression d’une certaine volonté de moderniser, voire d’occidentaliser Istanbul, dans le but que la métropole soit toujours plus compétitive sur la scène internationale. Toutefois, le projet semble également revêtir d’autres origines. 23
  • 32. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. « Süleymaniye, ce domaine de 1,5 kilomètres carrés Est notre identité, notre passeport. C’est le titre de propriété de notre patrie. Notre comportement est imprudent ici, - D’abandonner ce domaine pour le tumulte de la grande ville au loin, Est un simple suicide. Et il est nécessaire de dire que c’est un suicide Et que nous devrions avoir honte pour les générations futures » 3 Surplombant la corne d’or et coiffé par la mosquée de Soliman le magnifique, le quar- tier de Süleymaniye, jadis peuplé de la haute société ottomane est aujourd’hui majori- tairement habité par des immigrés. Comme le mentionne Ilber Ortayli 4, Süleymaniye est bien plus qu’un quartier, il serait la "carte d’identité" des Turcs. Une identité pourtant bien mise de côté pendant le siècle républicain. Süleymaniye, de par son histoire, et le sym- bole qu’il représente pour l’Empire ottoman, est un quartier à part. Le projet de rénovation qu’il connaît est dès lors d’autant plus singulier. B.1 Süleymaniye comme symbole de l’empire ottoman Le quartier est construit sur une colline, connue pour être la plus haute des sept collines initiales d’Istanbul. La mosquée de Soliman le Magnifique datant du XVIème siècle est l’éponyme du quartier. Elle est le chef-d’œuvre du célèbre architecte Mimar Sinan. Près d’un siècle après la conquête ottomane de la ville en 1453, la péninsule historique était très peuplée, à la fois de nouveaux habitants et de fondations religieuses. La construction du complexe de Süleymaniye vers 1550 nécessita des délocalisations, ce qui augmenta la valeur du quartier. De même, il faut souligner que la construction du complexe engendra une concentration d’institutions éducatives et religieuses de prestige, qui participa à la richesse du quartier. C’est sans doute une des raisons expliquant pourquoi le quartier de Süleymaniye avait la réputation d’être riche. Süleymaniye aux XVIème et XVIIème 3. Poème extrait de Osmanli’yi Yeniden Kesfetmek, écrit par Ilber Ortayli, 2006, p. 25. Ce passage est traduit du turc vers l’anglais par Julia Strutz,(Strutz, 2009). 4. Nous avons déjà cité Ilber Ortayli au début du chapitre alors qu’il revendiquait le besoin de faire un nettoyage physique et social de la péninsule historique. 24
  • 33. I.B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. FIGURE I.1: Süleymaniye, un quartier dominant. Source : photo prise en juin 2010 siècles est connu pour être « le lieu des vizirs et des plus grands juges » (Strutz, 2009, p45). Toutefois, « la nature de cette richesse reste bien peu connue [mais] (...) il semble qu’il existe un accord sur la richesse et l’intégrité sociale du quartier tout au long de quatre siècles » (ibid. p47). Dans le discours actuel, Süleymaniye est devenu un symbole, un lieu de mémoire, au moins pour une certaine couche de la société turque - la civilisation islamique. Comment l’espace urbain était-il perçu et organisé dans la société ottomane 5 ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? La structure du mahalle, du quartier, est un bon exemple d’héritage ottoman qui per- dure aujourd’hui. Le mahalle à l’époque ottomane est un quartier organisé sur base com- munautaire avec un Imam et un Muezzin. Ce sont ces mahalles qui font office de société civile durant l’empire. Ils se forment sur la base d’une identité religieuse et ethnique exerce un contrôle social et familial remarquable. Leur image persiste encore aujourd’hui quand on pense aux quartiers de Süleymaniye, Fener, et Balat. En effet, ces quartiers 5. L’usage de l’espace urbain est règlementé par l’État ottoman jusqu’au XIXème siècle. En 1881 en effet, paraît encore une circulaire (un édit royal) règlementant l’usage que font les femmes ainsi que les minorités ethnicoreligieuses de l’espace urbain. Il est interdit aux femmes « de paraître dans les lieux publics (...) de se promener dans les quartiers de Beyazit, de Shehzadebasi et d’Aksaray, (...) de se rassembler en groupe en public ». D’autre part, des normes vestimentaires régissent leur accoutrement. Les minorités ethnicoreligieuses se voient attribuer « à chaque minorité (...) une couleur de turban, de manteau et de bottines » (Seni, 1984). 25
  • 34. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE ont des identités fortes. Süleymaniye est un symbole de la civilisation ottomane, tandis que Balat est connu pour être un quartier juif... C’est pourquoi Istanbul est divisée en sous agglomération et en sous-quartier d’habitation jusqu’à la fin XVIII. Le mahalle est un voisinage qui partage le même culte et communique par la même langue. Dans ces quartiers, se côtoient les maisons chics et les maisons nécessiteuses, les quartiers chics n’apparaissent qu’au XIX. Cette structure communautaire est le relais du pouvoir central. Il est important de souligner que le mahalle est un quartier résidentiel pour les familles. Les célibataires n’y habitent pas, mais plutôt dans des chambres ou immeubles de céliba- taires (bekar odalari / hanlari), dans des centres commerciaux ou en périphérie urbaine (Seni, 1984). Ce qui explique en partie la « honte », qu’exprime Ilber Ortayli, de voir que le quartier fondateur de la culture ottomane, « titre de propriété de [leur] patrie » est aujourd’hui connu pour ses chambres de célibataires. Il s’agit de noter que les mahalles gardent une fonction importante aujourd’hui. En effet, le mahalle est une unité adminis- trative encadrée par le muhtar, élu au suffrage universel direct pour cinq ans 6. Mais il est considéré en Turquie comme une réalité urbaine définissant fortement la composition et l’appropriation de l’espace par ses habitants. Ces « microstructures » constituent un milieu urbain très important aux yeux des habitants. C’est à cette échelle que l’on trouve les commerces de proximité, les petites activités économiques, les centres culturels, les cafés, les écoles, les associations de quartier... Les principales compétences de la mairie de quartier sont les questions liées à l’état civil. Ainsi, les huit mahalles qui composent le quartier Süleymaniye, sont des héritages du passé ottoman. La municipalité de Fatih, par l’intermédiaire du projet, revendique cette identité ottomane. Un autre héritage de l’em- pire marque également le quartier de Süleymaniye. Il s’agit des fondations religieuses. B.2 L’implantation de fondations religieuses comme signe actuel du rôle symbolique de Süleymaniye Plusieurs fondations religieuses, reconnues comme telle ou non, sont implantées à dans le quartier. Elles prônent la nécessité du projet, rendre à Istanbul son quartier fon- dateur, retrouver un profil de population plus moral. Il s’agit par exemple des fondations KOCAV (Kültür Ocagi Vakfi, fondation de la culture) et BISAV (Bilim ve Sanat Vakfi, fondation des sciences et des arts). La présence de ces fondations à Süleymaniye est un signe du rôle symbolique qui se perpétue aujourd’hui dans le quartier. D’après F. Bilici, « la régression des idéologies, 6. Pour plus de détails sur le système de gouvernance stambouliote, se reporter à l’annexe C 26
  • 35. I.B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. la crise de légitimité qui frappe les États et l’échec de l’importation des modèles occi- dentaux incitent les sociétés musulmanes à instrumentaliser les références historiques, imaginaires ou réelles, tout en essayant de leur trouver des justifications dans le répertoire des systèmes occidentaux. (...) Avec le vakıf 7 turc, nous sommes précisément devant un produit historique (traditionnel), cristallisant le montage d’un système social juridique et particulier » (Bilici 1993). Le vakıf dans ce contexte tenterait de remplir un espace social vacant dû à la légitimité encore faible d’autres formes d’organisation sociale comme les associations, les syndicats, les partis politiques, les clubs... etc. L’institutionnalisation du vakıf, depuis les vingt dernières années, montre l’émergence d’une classe d’entrepreneurs culturels et politiques turcs qui ont dépassé le stade d’imi- tation à tout prix de toutes formes de mobilisation sociale occidentale. Cette période d’imitation est datée d’après F. Bilici de la fin du XIXème siècle, jusqu’aux années 1950. Elle correspond à la période républicaine et kémaliste. Le grand retour des vakıfs serait donc le signe d’une ré-ottomanisation. Leur présence à Süleymaniye, à cet égard, n’est pas un hasard. « Le vakıf turc en général participe non pas à un retour, mais plutôt d’une réactivation de la tradition sous forme moderne, montrant des capacités d’adaptation de sociétés musulmanes » (Bilici, 1993). Ces fondations seraient à mi-chemin entre la fon- dation américaine et l’association française. Elles se concrétisent en une forme d’orga- nisation et de structure juridique tirant sa légitimité du droit et des traditions islamiques, acquis durant une longue période ottomane, et des codes civils occidentaux. D’après l’au- teur, ces vakıfs se montrent d’ « une vitalité exceptionnelle, tant sur le plan économique que sociologique » en Turquie, plus que dans d’autres pays musulmans. Elles sont super- visées par la Direction Générale des Vakıfs dépendant du premier ministre et du ministère des Finances. Leur développement exceptionnel depuis les années 1980 correspondrait à l’idéologie ultralibérale en vigueur accordant une grande liberté d’action à l’initiative privée afin qu’elle assume une partie des fonctions de l’État et se répande dans la so- ciété. Elles sont de plus en plus fondées par des musulmans pratiquants et ont trouvé un appui financier considérable auprès de la bourgeoisie turque et des sociétés financières saoudiennes et koweitiennes introduites en Turquie dans les années 1983. L’hypothèse qu’émet l’article est que « ces vakıfs sont utilisées par différents courants islamistes turcs 7. « Le mot vakıf signifie arrêter, immobiliser. En termes juridiques, constituer un vakıf, c’est immobi- liser un bien et affecter son produit à une œuvre pieuse ou charitable, dotée de la personnalité morale. Celui qui constitue le vakıf est nommé vâkif ; l’acte de fondation est appelé vakfiye. Dans le droit musulman classique, le bien immobilisé est normalement et théoriquement « consacré à Dieu ». A ce titre, il devient inaliénable, c’est-à-dire qu’il ne peut plus faire l’objet de vente, achat , expropriation, hypothèque, saisie. » (Bilici, 1993) 27
  • 36. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE comme base juridique, économique, sociale et politique pour une réislamisation par le bas ou en profondeur de la société musulmane » (Bilici, 1993). En effet, l’émancipation de ces fondations se cristallise, dans le cas turc, dans l’im- plosion du système politique kémaliste de la République, basé sur un contrôle strict du religieux. Elle témoignerait également de la naissance d’une nouvelle élite islamiste. En 1970, on note effectivement la naissance du premier parti islamiste. Il a été dissout plu- sieurs fois et s’est réorganisé finalement en 1983 sous le nom de parti de Prospérité : le Refah. Il est re-dissout en 1998. De cette nouvelle scission naîtra deux partis actuels : l’AKP, au pouvoir, parti pour la justice et le développement, et le Saadet, parti de la féli- cité. Les vakıfs islamiques ont été largement aidées par l’arrivée des sociétés arabes et isla- miques à partir de 1983, comme Al-Braka turkish finance house, Saudi american bank... Elles prennent alors la forme de fondations islamiques d’entraide, de solidarité et d’édu- cation destinées aux jeunes de milieu populaire, ou encore de fondations de recherche, d’études islamiques, donnant lieu à des publications d’ouvrages savants, de revues... Les deux fondations de Süleymaniye appartiennent à cette seconde catégorie. Elles se disent fondations pour la culture, ou pour la science, mais elles publient et commercialisent des ouvrages à tendance islamique, voire islamiste. Un Symposium est organisé en 2007 par la fondation BISAV (Bilim ve Sanat Vakfi, fondation des sciences et des arts) pour prôner la nécessité et les biens faits du projet de rénovation de Süleymaniye. Enfin, d’après F. Bilici, ces fondations seraient les « antichambres des partis politiques (...) Elles fonctionnent par un système de coopération, de clientélisme et de reproduction ». Nombreuses sont celles fondées par des hommes politiques, du parti de l’ANAP en particulier. Le parti de l’ANAP est le parti de la mère patrie. Il fusionne en 2007 avec le parti de la juste voie pour former le parti démocrate. L’auteur souligne que ces fondations sont utilisées par les islamistes comme des instruments de légitimation et d’action sociale. Elles joueraient plus ou moins le rôle de vecteur de sociabilité que ne jouent plus ni la mosquée, ni les associations. Elles propageraient un Islam social par leurs multiples ac- tivités et leur dynamisme (publication, réunion, conférence...) et grignoteraient ainsi peu à peu les fonctions de l’État. Ce qui est d’après F. Bilici une caractéristique fondamen- tale de la politique turque et particulièrement des partis conservateurs. Notons à cet égard que le parti au pouvoir, l’AKP est un parti islamo-conservateur. Il ne cesse de monter en puissance depuis 2002. Ainsi, à travers l’exemple des fondations religieuses, nous pouvons voir que Süley- maniye occupe toujours une place symbolique et idéologique aux yeux du parti et des partisans de l’AKP. Rappelons désormais rapidement l’assise qu’à ce parti en Turquie. 28
  • 37. I.B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. Dès 1950, le parti républicain du peuple, kémaliste, perd le pouvoir. C’est à partir de là que les mesures laïques sont assouplies. L’appel à la prière et l’enseignement coranique en arabe sont rétablis, l’éducation religieuse dans les écoles publiques réintroduite, la po- lygamie et les usages vestimentaires traditionnels sont tolérés... « Force est de constater qu’au cours du XXème siècle, la laïcité en Turquie a le plus souvent été imposée ou réta- blie par la force et l’intervention répétée de l’armée (1913, 1923-4, 1971, 1980), alors que les avancées de la démocratie participative sont plutôt traduites par un retour de la tradi- tion religieuse (1950-1983) » (Marcou, Burdy, 1994). Le projet de Süleymaniye serait ici l’occasion pour les autorités turques au pouvoir de mettre la main sur un quartier chargé symboliquement. Cette dimension identitaire est en partie à l’origine du projet. Or, qu’en est-il de l’état du quartier ? 29
  • 38. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stig- matisé Après avoir présenté le contexte international et la dimension symbolique du projet, il s’agit de s’interroger sur l’état local du quartier. Aux vues des caractéristiques physique, fonctionnelle et sociale du quartier, une rénovation est-elle nécessaire ? C.1 Approche statistique C.1.1 Un quartier résidentiel et industriel FIGURE I.2: Fonctions du quartier de Süleymaniye par zone. Source : d’après un relevé effectué les 11 et 12 juillet 30
  • 39. I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé FIGURE I.3: Fonctions du quartier de Süleymaniye par parcelle. Source : d’après un relevé effectué les 11 et 12 juillet On remarque avec les figures I.2 et I.3 que le quartier s’il est résidentiel en son centre, est entouré de commerces et d’ateliers. Les bâtiments IMC, notamment, Istanbul Manu- fakturcilar Carsisi, sont les quatre gros blocs dans lesquels se fait le commerce de gros de la ville. Ces bâtiments ont été conçus dans les années 1950 par Dogan Tekeli et Sami Sisa, deux architectes républicains. Ils bordent le quartier à l’ouest et servent d’espace tampon entre la zone résidentielle du quartier et le boulevard Atatürk. Les ateliers, très nombreux, sont pour la plupart informels. Les branches en priorités concernées pour l’ancien arron- dissement d’Eminönü sont : « accessoires pour automobile, chimie, agroalimentaire et 31
  • 40. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE commerce de gros alimentaire, quincaillerie en gros, production textile, meuble, papiers, imprimerie, travail de l’or et de l’argent, plasturgie, métallurgie et entrepôt » (Pérouse, 2007). Le quartier a donc une fonction commerciale et industrielle non négligeable, ce qui est confirmé par le profil social de la population. Le type de commerce est en général du commerce de gros lié aux ateliers voisins. On y confectionne des cuillères, des cein- tures, des pièces spéciales, des balances, des machines à coudre... qui sont vendues dans le quartier. C’est là que viennent se fournir de nombreux artisan, restaurateur ou autres vendeurs d’Istanbul. Dès lors se pose la question de l’implantation de ces ateliers en centre-ville. Sont-ils implantés dans ce quartier pour la main d’oeuvre, le prix du foncier ou bien la proximité d’un marché ? Les ateliers implantés dans le centre d’une mégapole comme Istanbul doivent avoir une grande raison d’être, une grande valeur ajoutée (comme la haute couture par exemple). Des décisions de décentralisation à propos des petites entreprises d’Eminönü étaient prévues dans le plan de protection de 2003. Or, d’après Alev Erkilet, sociologue à l’agence de planification du grand Istanbul (IMP 8), l’arrondissement d’Eminönü est sujet à une transformation duelle : les grosses entreprises voient la décentralisation comme une op- portunité pour grossir et d’augmenter leur capacité, en revanche les petites entreprises n’ont « nulle part où aller », et « pas assez de capital » pour déménager. La plupart n’ont pas de véhicules et ont à peine le capital suffisant pour payer leurs charges. D’autre part, les locaux commerciaux prévus pour accueillir les activités en périphéries sont très grands et inadaptés aux petits entrepreneurs locaux. Les loyers élevés, les faibles marges béné- ficiaires possibles et les coûts de transport rendent impossible de quitter les magasins à bas prix du centre-ville pour les petits fabricants (Erkilet, 2009). La question du devenir de ces ateliers se pose, leur conservation n’étant absolument pas prévue par le projet de rénovation. Au contraire, ce caractère industrieux du quartier paraît gêner les autorités locales. C.1.2 Un quartier dégradé et en partie détruit La figure I.4 montre, sur un échantillon important du périmètre du projet, la forte dé- gradation du bâti. Elle montre également l’avancée des destructions effectuées par KIP- TAS au mois de juillet en 2010. Nous remarquons bien ici le tracé du futur métro évoqué en introduction. Il sera en partie souterrain mais ressortira, comme le tracé des destruc- tions l’indique, au pied de la colline et se dirigera vers la Corne d’Or. Ce projet de métro, 8. Pour plus de détails sur l’IMP, se reporter à l’annexe C 32
  • 41. I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé FIGURE I.4: Etat du bâti. Source : d’après un relevé effectué les 11 et 12 juillet ou plutôt, le fait qu’il traverse la Corne d’Or sur un pont démesuré, est fortement critiqué par l’UNESCO comme par les professionnels de l’urbanisme. Nous pouvons également voir sur la carte, la seule rue qui a été réhabilitée (en bleu). Nous évoquerons ces réha- bilitations ultérieurement. La figure I.5 montre des exemples d’état de bâti pour chaque catégorie. Notons que les maisons en bois de Süleymaniye, classées aux registres des biens nationaux et au patrimoine mondial de l’UNESCO, représentent les 2/3 des mai- sons en bois restantes à Istanbul. Elles sont malgré tout très dégradées. La plupart seront détruites comme le prévoit le projet de rénovation (un grand nombre l’a déjà été). 33
  • 42. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE (a) (b) (c) (d) FIGURE I.5: les différentes catégories de bâti. (a) dégradé, (b) bon état ou passable, (c) détruit, (d) réhabilité. Source : photos prises en juin 2010 L’état de dégradation physique du quartier pourrait justifier à lui seul l’initiative d’un projet d’amélioration du cadre bâti. L’opportunité de la rénovation sera discuttée dans le chapitre trois. Toutefois, il s’agit de noter que le quartier se dégrade et se détruit d’autant plus vite depuis le début du projet en 2006 qui marque le départ des propriétaires. En outre, on peut s’interroger sur l’origine de ces dégradations. S’il n’y a pas eu d’action menée sur le bâti avant le projet de rénovation, c’est probablement parceque la dimension physique n’est pas la plus importante aux yeux des autorités. 34
  • 43. I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé C.1.3 Un profil social gênant Les données statistiques sont rares, ou bien très peu communiquées. Les résultats du recensement ne sont pas publics et très difficilement accessibles. Après plusieurs vaines tentatives auprès de la mairie de Fatih pour se procurer des données démographiques sur le quartier de Süleymaniye, nous avons pris contact avec un professeur cartographe : Murat Güvenç. Ce dernier a développé toute une cartographie d’Istanbul en fonction de données sociodémographiques. Son travail de fourmi se concrétise en un véritable at- las de la ville d’Istanbul. Il est mis en scène dans l’exposition Istanbul 1910-2010, qui a lieu ce septembre 2010. Grâce à son aide, nous avons pu récolter quelques données très précises, mais difficilement manipulables concernant le quartier de Süleymaniye. Ces données ont été recensées en 2000 par un type particulier de recensement qu’est le re- censement de facto. Le recensement de facto comptabilise la population présente et non la population légale comme le ferait un recensement de jure effectif en France ou autres pays développés, qui s’appuie sur une base de population enregistrée. Le recensement de 2000 est le dernier recensement de facto de Turquie. Les figures I.6 I.7 I.8 I.9 I.10 I.11 ont été construite à partir des données fournies par Murat Güvenç. Il est important de noter que ces figures font référence aux huit mahalles de Süleymaniye, dont un est également nommé Süleymaniye. 35
  • 44. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYENiveauscolaireAnalphabètesNonNiveauNiveauNiveauNiveau diplomésécoleprimairecollègelycéeuniversité Demirtas8114858166777 HacıKadin13123877010414011 HocaGıyasettin420552165223829245 Kalenderhane31822916335024 MollaHusrev14120381613439989 SarıDemir22255121 Süleymaniye991073806521733 YavuzSinan899769010414915 Totaux994(10%)1429(14%)5205(51%)779(8%)1636(16%)225(2%) Totalpopulation:10268 FIGUREI.6:Niveauscolairedeshabitantsparsous-quartier.Source:DonnéesfourniesparMuratGüvenç Surleniveaud’éducation(cf.figureI.6),notonsqueletauxd’analphabètesestd’environ10%(letauxd’alphabétisationen 2000enTurquieestde82,3%)etdenondiplômésde14%.CequirestedestauxélevéspourIstanbul.Lapopulationduquartiera globalementunfaibleniveaud’éducation,leniveauécoleprimaireestleplusrépandu,50%delapopulationontceniveau. 36
  • 45. I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé Taille des ménages 1 à 3 pers 4 à 6 pers 7 à 9 pers 10 et plus Total ménages Demirtas 38 44 10 5 97 Hacı Kadin 77 91 46 14 228 Hoca Gıyasettin 161 171 61 29 422 Kalenderhane 24 37 3 0 64 Molla Husrev 50 72 27 6 155 Sarı Demir 1 1 0 0 2 Süleymaniye 39 38 17 2 96 Yavuz Sinan 41 32 12 11 96 Totaux 431 (37%) 486 (42%) 176 (15%) 67 (6%) 1160 Total habitants 5445 FIGURE I.7: Taille des ménages des habitants par sous-quartier. Source : Données fournies par Murat Güvenç La répartition de la population dans les différents mahalles est assez inégale. On voit que les quartiers concernés par le projet prioritaire sont les plus peuplés (Hacı Kadin, Hoca Gıyasettin, Demirtas et Yavuz Sinan). Ils représentent à eux seuls 74% de la popu- lation de Süleymaniye. Le mahalle de Sarı Demir est très faiblement représenté. En effet, il borde la Corne d’Or et reste très peu urbanisé. Comme le montre la figure I.7, la taille moyenne de ménage est de 4 à 6 personnes. FIGURE I.8: Répartition des activités professionnelles des habitants. Femmes à gauche ; Hommes à droite. Source : Données fournies par Murat Güvenç Les deux professions dominant le quartier sont les employés dans le commerce et la vente ainsi que les ouvriers industriels, dans tous mahalles confondus. Ceci est confirmé 37
  • 46. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYE FIGURE I.9: Répartition des secteurs d’activités des habitants. Hommes à gauche ; Femmes à droite. Source : Données fournies par Murat Güvenç par la domination des secteurs d’activités du commerce, de la production et de l’industrie que l’on peut voir dans la figure I.9 et également par la présence de nombreux ateliers et de commerces de gros dans le quartier. Enfin, en ce qui concerne le type de propriété, on note d’une part qu’une écrasante ma- jorité des habitants sont locataires. Or, nous avons vu dans les documents de promotion du projet que la municipalité ne s’adressait qu’aux propriétaires. D’autre part, à Istanbul, et ceci a été confirmé par les muhtars 9 à Süleymaniye, il y a beaucoup de « share pro- perties », de propriétés partagées entre plusieurs actionnaires. C’est un système original mais très fréquent en Turquie. Un même bien foncier ou immobilier a souvent plusieurs propriétaires. Cela peut arriver quand les propriétaires d’une maison décèdent et lèguent la propriété à leurs enfants. Le processus de morcellement de la propriété commence là. Les enfants sont ensuite libres de revendre leur part à des particuliers... etc. 9. Les muhtars sont les maires de quartier. Leur unité administrative est le mahalle et leur compétence concerne essentiellement l’état civil. Cf. Annexe C 38
  • 47. I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé Statut d’occupation Propriétaires Locataire Autres Non défini Demirtas 14 75 8 0 Hacı Kadin 24 163 38 3 Hoca Gıyasettin 67 323 22 10 Kalenderhane 18 27 12 7 Molla Husrev 41 85 23 6 Sarı Demir 0 1 1 0 Süleymaniye 21 63 11 1 Yavuz Sinan 4 79 12 1 Totaux 189 (16%) 816 (70%) 127 28 Total population : 1160 FIGURE I.10: Statut d’occupation par sous-quartier. Source : Données fournies par Murat Güvenç 39
  • 48. CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DE SÜLEYMANIYELieudenaissanceIstanbulMalatyaAdiyamanDıyarbakirDıgerdevMardınNıgdeAutresÉtrangerNon Turquiedéfini Demirtas9316512875365811233265 HacıKadin345100139584981406154110 HocaGıyasettin4432833333963192399511742678 Kalenderhane12266702232466470343 MollaHusrev190178971187866419913451 SarıDemir102000003500 Süleymaniye1411538941322316434120 YavuzSinan8326103617992120586112 Totaux14279739597716256054304637164149 (13%)(9%)(9%)(7%)(6%)(6%)(4%)(43%)(2%)(1%) Populationtotale10740 Populationétrangère3% Populationimmigréeintérieure84% Populationstambouliote13% FIGUREI.11:Lieuxdenaissancedeshabitants.Source:DonnéesfourniesparMuratGüvenç Onnoteiciunforttauxd’immigrationinterne(84%).Trèspeud’individussontoriginairesd’Istanbuldanscequartier.Celaest liéauxdifférentesvaguesd’immigrationsprésentéesenintroduction.Onremarquequ’ilyaunpotentielkurdeimportantpuisque lesvillestellesqueMalatya,DiyarbakiretMardinsontsituéesdanslesudestdelaTurquie. 40
  • 49. I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé Nous avons construit ces tableaux à partir des résultats du recensement que Murat Gü- venç nous a livrés. Or, on se rend vite compte que les données semblent soit erronées, soit contradictoires. En effet, si l’on tente de comptabiliser la population totale du quartier, on compte 10 270 personnes d’après les tableaux sur le niveau d’éducation de la population, 5 378 d’après celui sur la taille des ménages, 4 879 d’après le tableau sur le type de pro- fession ou de secteur d’activité et enfin 1 160 d’après celui du type de propriété. Or, les muhtars du quartier disent que la population de Süleymaniye est comprise entre 3000 et 6000 habitants. J’émets l’hypothèse que comme ces données ont été relevées lors d’un recensement de facto, il est possible que les données acquises comprennent la population travaillant dans le quartier, et non la seule population habitant le quartier. Ainsi, toute la population travaillant et habitant le quartier aurait répondu aux questions relatives au niveau d’édu- cation et aux secteurs d’activité, totalisant environ 10 000 personnes, (environ 5 000 sans comprendre les enfants ou personnes ne travaillant pas). Les questions relatives au do- micile, comme celles sur le type de propriété et celles sur la taille du ménage révèlent une population habitante d’environ 5 000 personnes. En effet, si on multiplie le nombre de propriétés (1 160), par la taille moyenne des ménages (5,5), on obtient une population d’environ 5 500, ce qui confirme le nombre d’habitants donné par le tableau sur la taille des ménages de 5 378 personnes. Toutefois, même cette hypothèse s’avérait être juste, les chiffres datent de 2000. Le projet ayant commencé en 2006, la situation a énormément changé depuis. Le nombre d’électeurs du quartier le plus peuplé (Hoca Giyasettin) « est passé de 2300 à 800 de 2007 à 2009 » 10. Néanmoins, le profil social du quartier se dessine : une majorité de lo- cataires, à faible niveau d’éducation, travaillant dans la vente, la production ou l’industrie. Il est nécessaire d’ajouter que la plupart sont également immigrés, internes ou internatio- naux. L’enquête menée dans le quartier de Süleymaniye durant la première quinzaine de juin a permis de recueillir les propos d’une dizaine de personnes sur le projet, mais également sur leur perception et leur rapport à ce quartier et à son histoire. Voyons si ces propos vont ou non dans le sens des données statistiques. 1. L’origine des habitants L’échantillon enquêté indique en effet que la plupart des habitants de Süleymaniye, 10. D’après l’entretien passé le 20 juillet 2010 avec la muhtar d’Hoca Giyasettin 41