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03 fueraventura
- 1. Lire la photo avec l’Agence France-Presse
© CRDP de l’académie de Versailles – 2008
14 août 2004. Fuerteventura, Espagne
Un immigrant malien marche sur la plage après être arrivé par bateau.
AFP/Samuel ARANDA
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- 2. Lire la photo avec l’Agence France-Presse © CRDP de l’académie de Versailles – 2008
Ces traversées sont terribles. Longues parfois de mille kilomètres entre les côtes de
l'ouest de l'Afrique et les Îles Canaries, effectuées sur des barques de pêcheurs qui se
prêtent peu à l'exploit, elles se soldent souvent par des noyades.
Arrivés sur le sol espagnol – et il y a malice à parler d'Espagne : Fuerteventura n'est de
l'Espagne qu'un petit morceau de rêve d'empire perdu en face de l'Afrique –, les survi-
vants sont arrêtés et internés dans des centres d'hébergement. Plusieurs semaines de
conditions épouvantables avant de recevoir un avis d'expulsion. Vers où ? Qu'ils viennent
du Sénégal, du Cap-Vert, du Mali ou d'ailleurs, ils sont dépourvus de tout document attes-
tant de leur nationalité. Ils sont alors transférés vers l'Espagne – la vraie – et parfois sim-
plement abandonnés dans la rue. Ainsi commence leur vie d'immigrés clandestins.
Mais lui n'en est pas là. Émigrant, pas encore immigré, il est de ceux qui ont touché l'au-
tre côté.
Est-il un miséreux, un déraciné ; ou un hippie le lendemain du concert de Jimi Hendrix, au
troisième jour du coup d'envoi du Summer of Love à Monterey, en 1967 ; ou un « teu-
feur » rescapé d'une rave de printemps sur les côtes bretonnes ?
Dans l'instant du cliché pour le moins, il touche à peine terre ! La tête au ciel, dans les
nuages, il vit un moment de son rêve. Présent plein cadre, en contre-plongée, c'est un
homme en surplomb du monde. Un vainqueur. Loin, derrière lui, presque cachés, petits et
flous, d'improbables baigneurs figés ont l'air d'avoir froid, quand lui, de face, regarde
yeux grands ouverts le soleil levant avec un presque-sourire sérieux.
Il nous étonne en fait de son assurance, tant nous sommes conditionnés à toujours rabat-
tre la figure du migrant sur la misère, la guerre, les persécutions et les catastrophes. Hé
quoi ! Ne pourraient-ils être à la fois « mendiants et orgueilleux »1?
À bien souvent ne les considérer que comme réfugiés, demandeurs d'asile – aliénés donc
–, étrangers en premier lieu à eux-mêmes puisqu'ayant coupé leurs racines, ne fait-on pas
l'impasse sur la noblesse du défi que constitue le partir ?
Émigrer, partir, quitter sa terre présente forcément un caractère agonistique. Un arra-
chement, certes, mais qui hisse un instant – même fugace – le migrant au-dessus de la
misère de sa condition humaine. Un potlatch où l'on brûle sa vie propre.
« Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu'importe !
Là-haut chante pour eux un mystère profond.
À l'haleine du vent inconnu qui les porte
Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont.
(...)
Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,
C'est l'horizon perdu par-delà les sommets,
C'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève
Où votre espoir banal n'abordera jamais. »2
Entre les écueils jumeaux du misérabilisme et du mépris, du compassionnel et de la
haine, et sans que pour autant le monde n'en change d'un iota, reconnaître au moins,
quand elle passe, la beauté du geste.
1. Un emprunt à Albert Cossery.
2. Jean Richepin « Les oiseaux de passage » in « La chanson des gueux » 1876.
Le fils de la Chimère
François-Xavier Vial
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