1. +
Marie-Anne Paveau, Université de Paris 13, EA Pléiade
Les pas de côté de l’analyse du discours. Du corps et de la
technique dans les corpus contemporains
ma.paveau@orange.fr
http://penseedudiscours.hypotheses.org
Colloque international
« Analyse des discours
hors-normes »
10-12/06/2015
Université de
Sherbrooke
(Québec, Canada)
2. +
Introduction. Normes des théories
du discours et normes des discours
! concept de norme : écheveau indémêlable
! langue : norme/règle, norme objective/subjective, endogène/
exogène, savantes/sociales (Siouffi 2011)
! discours : définition/description diffuse dans corpus
pédagogique, discours sociaux, capital social/culturel
! savoirs socio-cognitifs des genres (< Bakhtine) => critères
situés (historique, culturel, social, âge, etc.)
! normes du discours : entre langue et discours
! passer par le lien avec la raison < Macherey, Le sujet des
normes 2014
3. +
Introduction
! Macherey 2014 : 19
A première vue, les notions de raison et de norme sont
appariées, voire même indissociables. Normer ou normaliser,
c’est assurer, dans un domaine donné, la mise en conformité
de ses éléments à une règle commune, donc unifier un
divers conformément à l’idéal de rectitude qui inspire en
principe et dirige en fait toute opération menée sous la conduite
de la raison. […]
=> raison, commun, unification
4. +
Introduction
! Macherey 2014 : 21
Être dans la norme, ou, pour reprendre la formule qui a été
utilisée précédemment, « tomber droit », conformément à une
exigence qui cherche sa garantie ultime du côté de la raison,
c’est en réalité un état provisoire dont la stabilité est relative,
dans la mesure où elle consiste, pour reprendre le cas examiné
par Canguilhem, à « mener une existence quasi incompatible
avec la maladie » : et toute la portée de cette formule se trouve
concentrée dans le « quasi », qui en suspend le caractère
uniment positif d’intangible.
=> provisoire
5. +
! Perspective : « Analyse des discours hors-normes (HN) :
approches, concepts et méthodes » => perspective
« concept »
! Approches :
– philosophie du discours (Paveau 2010) : rendre compte des
positions philosophiques impliquées dans les productions
discursives
– épistémologie des sciences humaines et sociales :
connaissances, théories et méthodes – objets, observables et
corpus de l’AD
6. +
Introduction
! Question de recherche :
– articulation entre normes épistémologiques situées (historiques,
sociales, politiques, etc.) des théories du discours et normes
épistémologiques situées des normes du discours
=> niveau des normes des normes, approche métanormative
! Proposition :
– en France, depuis 1980 environ, la normativisation des corpus de
discours choisis et des options théoriques et méthodologiques
légitimées est due au fonctionnement normatif de la
linguistique
– la modification de cette situation passe plus par des
déplacements épistémologiques que des choix de corpus
discursifs
7. +
Plan de l’intervention
1. « La linguistique est une science normative » (Auroux
1998)
2. Normes épistémologiques de l’analyse du discours
3. Déplacer les standards. Technodiscours et corps-discours
Conclusion. Un second pas de côté pour l’AD : penser les
matières discursives composites
Références
8. +
1. « La linguistique est une
science normative »
(Auroux 1998)
9. +
1.1 Des corpus inanalysables ?
! deux exemples de corpus inanalysables dans les normes
épistémologiques actuelles :
– discours natifs du web (Paveau 2015), réseaux
socionumériques
Twitter – Pinterest – Deezer – Wattpad
– corps-discours (Paveau 2014)
Project Unbreakable – Battling Bare
19. +
1.2 La perspective de
l’épistémologie sociale
! Bouvier & Conein 2007 : 18
Le point de départ en quelque sorte naturel de l’épistémologie
sociale est de prendre acte de ce que nous n’avons aucune
« intuition » directe de bien des phénomènes ; ils ne nous sont
connus que par l’intermédiaire des autres. Alors que
l’épistémologie individuelle se focalise sur les sources dites
« directes » de la connaissance, i.e. celles auxquelles le sujet a
lui-même accès (la perception, la mémoire, le raisonnement),
l’épistémologie sociale va se soucier des sources indirectes de
la connaissance, tel le témoignage, qui reposent forcément sur la
confiance ou sur l’autorité qu’on accorde à autrui en telles ou telles
matières.
=> dépendance et déférence épistémique
=> construction sociale et collective de la connaissance
20. +
! dimension normative de l’épistémologie sociale : porte
jugements de validité sur normes mises en pratiques par les
acteurs décrits => norme de la norme : métanorme
! Kitcher 2007 : 56
Dans notre pensée abstraite comme dans notre expérience
perceptuelle, les conclusions que nous tirons dépendent du
répertoire conceptuel que nous utilisons et de nos habitudes
à activer ou inhiber les croyances que nous avons apprises.
L’absorption précoce des traditions de notre société nous
influence même sur des points pour lesquels nous paraissons
les plus capables de tenir nos vies épistémiques entre nos
mains.
21. +
1.3 « Le corpus n’abolit pas la
norme » (Auroux 1998)
! Auroux 1998 chapitre 3 « La linguistique est une science normative » =>
inéliminabilité des normes
233 Une science non normative, au premier abord, c’est un ensemble de
descriptions, c’est-à-dire de constatations empiriques et de lois, soumis
aux principes de confirmation et de falsification empirique.
240 La norme descriptive part des faits, c’est-à-dire en linguistique des actes
singuliers de parole ou encore de l’usage (au sens de la méthode du
corpus). C’est l’observation de l’usage ou des actes de parole qui
semble éliminer la normativité. Il est clair qu’il y a des régularités dans
l’usage. Une théorie linguistique peut-elle s’en tenir à la description de ces
régularités ? Nous pensons qu’assurer l’élimination de la normativité par
ce biais est une solution illusoire, et qu’elle peut être contestée par de
nombreux arguments. Si vous observez une régularité vous laissez
entier le problème de l’explication des phénomènes. Or le recours à
la norme est une façon d’expliquer les régularités […].
23. +
2.1 Le premier pas de côté de
l’analyse du discours en France
! expression Pas de côté < psychanalyse : décrire propositions
qui s’écartent d’un courant principal, un mainstream – une
réflexivité spatialisée
! Michel de Certeau : le meilleur regard sur le monde n’est pas
forcément le plus direct et le plus scrutateur - « faire un pas de
côté » : manière d’inventer l’histoire (< Luce Giard)
! désigne un placement du corps en boxe (également équitation)
24. + ! Wikipédia, article Pas de côté (sport de combat)
Un pas de côté, (en anglais, side-step), dans les sports de combat, est
un placement du corps hors de l’axe d’attaque adverse par
déplacement d’un ou de deux appuis. Certains spécialistes parlent
également de « décalage » (un pied en dehors du couloir direct
d’affrontement) et de « débordement » lorsque l’on sort du couloir
direct d’affrontement.
25. +
! origines de l’AD en France groupe Pêcheux & Dubois (< traduction
Harris Langages 1969) : « pas de côté » épistémologique =>
notion de discours & linguistiques TDI
! à l’époque : la notion même de discours est hors-norme (limites
de la phrase et frontières de la linguistique)
! années 1960-70 analyse interne phrastique normée, l’AD (TDI) est
hors-norme / actuellement coexistence de deux normes
épistémologiques (mais AD-TDI souvent exclue de l’énoncé des
normes de la linguistique)
! premiers corpus écrit normé voire cultivé : restriction conjoncturelle
! => insuffisant de faire peser les normativités sur les seules formes
des discours => prises dans les normativités ou hors-normativités
produites par les théories du discours
26. +
! très tôt dans l’AD réflexion sur la normativité des corpus
! Pêcheux 1981 :
! Gadet Mazière 1986 : 38 sur « la façon dont l’oral “fait discours” » :
L'histoire de la grammaire nous a cependant habitués à distinguer
réel de la langue et système descriptif. L'absence de
recouvrement total entre faits et description n'est-elle pas surtout
due à l'habitude de ne poser des questions que dans les termes
de l'écrit ?
27. +
2.2 La « force oppressive des
standards » (Kitcher 2007)
! le fait du discours normé n’est pas dépendant de la théorie du
discours
! plus domination que norme, plus politique que scientifique ou
social ou de société
! modèles dominants, légitimés, assénés et imposés comme
mainstreams incontournables : normativisation des approches =>
restriction types de corpus analysables & silence sur traits
spécifiques de certains corpus mais bénéfices
! Kitcher 2007 : 76
Le défi […] est de répondre aux inquiétudes légitimes concernant la
force oppressive des standards sans abandonner les bénéfices
que la recherche de tels standards rend possibles.
28. +
! Exemple du dialogisme : définition et une description théorique,
regard sur le discours vs écrit / de l’ordre de la matière
discursive objective
! programmation épistémique qui a donné lieu à une
essentialisation (Paveau 2010) – notion non linguistique –
Moirand : « un concept pour penser avec »
! pas de retour critique, accord théorique et méthodologique
général et pourtant : dialogisme option théorique reposant sur
choix philosophiques vs description de la nature de la
production langagière
! => norme épistémologique située
30. + 3.1 Du logocentrisme à la technodiscursivité/
corpodiscursivité
! Logocentrisme deux dimensions :
– attribuer/conserver une nature langagière aux discours natifs du
web (DNW)
– analyser les DNW par extraction dans leur dimension langagière
seule
mais :
– technodiscursivité : formes composites [langage + technique]
– l’écosystème du web/environnement constitutif de la discursivité
=> propositions de l’ADN (analyse du discours numérique)
31. + Dimension technique des formes langagières
! question à laquelle la discipline SL ne peut pas répondre : comment
rendre compte en termes linguistiques de la forme langagière des mots
cliquables, hypertextuels, qui rendent un énoncé navigable en contexte
connecté ?
! pas de description pour :
– pseudos Twitter : [@ + segment langagier]
– hashtags : [# + segment langagier avec contraintes graphiques] =>
redumentation
– liens : INF chaîne de caractères ASCII ≠ LING « suite de segments
langagiers et chiffrés et autres signes » : phrase ? locution ?
– plus généralement pour tous les mots cliquables (par ex : mots-
consignes des RSN)
– et comment intégrer la couleur à la description linguistique ?
! technomot : segment (entier de discours) cliquable doté de traits
technolangagiers (@, #, couleur…) permettant la navigation hypertextuelle
(accès à d’autres technodiscours) et éventuellement la redocumentation
(cas du hashtag et des tags en général)
33. + 3.2 Séparabilité du contexte : les limitations
actuelles
! Rappel : il est question du mainstream
! Kerbrat-Orecchioni 2012. Notion d’influence et interne vs externe <
position dualiste
– « 2. Contexte défini comme “ensemble d’éléments qui influencent
l’interprétation” vs contexte comme “pur environnement” »
– « Cette définition distingue deux types de contextes qui sont en
réalité tous deux susceptibles d’avoir de l’influence sur l’unité
envisagée […] Mais pour l’heure, intéressons-nous à la diversité des
influences qu’ils peuvent exercer sur un segment discursif
quelconque, et en particulier sur les effets possibles du contexte sur
l’interprétation. »
34. +
! « […] deux grands types de contextes, le contexte interne
(contexte « linguistique », « discursif », « endogène » ou
« séquentiel » […]) vs externe (« extralinguistique » ou
« exogène »). »
! « Si donc la distinction entre données « internes » et « externes »
n’est pas une vue de l’esprit (il y a bien des énoncés, et des
choses autour), d’un point de vue descriptif la question pertinente
se pose en ces termes : quels sont les types de savoirs
nécessaires à l’interprétation du segment discursif soumis à
l’analyse […] ? »
35.
36. + 3.3 Linéarisme des énoncés : vers la
délinéarisation
! délinéarisation en réception comme en production
! sur le web 2.0 conversationnel, la distinction lire/écrire
s’efface : concept de « read-write »
! phénomènes de délinéarisation :
– liens hypertexte en lecture et production (EX)
– économie des « pages » (colonnes, widgets, bookmarklets sur
barres d’outils, alertes diverses, etc.)
– partage & technodiscours rapporté
37. + Exemple : le lien dans un billet de blog
! geste de technécriture dans le blogging : insertion de lien à
valeur énonciative (assure l’hétérogénéité discursive par
mention hypertextuelle d’un discours autre)
! 4 étapes : marquer le segment, ouvrir une fenêtre d’insertion,
copier le lien, insérer le lien
=> délinéarisation du fil du discours en production, possibilité
délinéarisante en réception (couleur)
38. + Exemple. Le lien dans un billet de blog. Étape
1 surligner le segment à marquer
39. + Le lien. Étape 2 ouvrir la fenêtre « insérer/
modérer un lien »
43. + 3.4 La prévisibilité des énoncés : vers la
dépendance algorithmique et l’augmentation
! imprévisibilité des énoncés en ligne :
– hors ligne, ce que j’écris correspond à ce que j’ai eu l’intention
d’écrire, je maîtrise ma production (≠ réception)
– en ligne :
1. algorithmes, templates, clients, outils divers formatent le
discours (EX)
2. commentaires augmentent les énoncés (billets de blog,
statuts Facebook, Tweets, etc.)
=> je ne sais pas exactement ce que devient ce que j‘écris
44. + Contraintes des algorithmes et templates :
exemple @=>FB et clients & outils Twitter
57. + 3.5 De l’objectivisation à la contextualisation
technorelationnelle
Subjectivité intrinsèque des corpus des RSN
! rendre compte de la contextualité particulière des comptes RSN –
contextes absolument individuels => corpus subjectifs - réseaux de liens
! proposition ADN : notion de contextualisation technorelationnelle
! deux points de réflexion :
– nécessité d’être usager.e/praticien.ne pour les DNW
– accessibilité / représentativité des corpus – comptes Facebook, client
Twitter pour gérer les conversations
– interrogation de la validité des grands corpus ≠ presse par ex (identité
des énoncés en production), car les énoncés des RSN n’ont pas
d’existence objective en production comme en réception
58.
59.
60.
61. + Conclusion. Un second pas de côté pour l’AD :
penser les matières discursives composites
! => discours HN sont hors des normes épistémologiques et
institutionnelles des disciplines
! => modifier la nature de l’objet et de l’observable – abandonner
le logocentrisme, prendre comme objet l’environnement /
l’écosystème en intégrant l’usager et ses subjectivités
! => modifier la définition de la matière langagière et du discours
=> matières composites des technodiscours et corps-discours
62. +
Références
! Auroux Sylvain, 1998, La raison, le langage et les normes, Paris,
PUF.
! Bouvier Alban, Conein Bernard, 2007, L’épistémologie sociale.
Une théorie sociale de la connaissance, Paris, Éditions de l’École
des Hautes Études en Sciences Sociales.
! Certeau Michel (de), 1990 [1980], L'invention du quotidien, I : Arts
de faire, Éd. Luce Giard, Paris, Gallimard.
! Gadet Françoise, Mazière Francine, 1986, « Effets de langue
orale », Langages 81, 57-73.
! Kerbrat-Orecchioni C., 2012, « Le contexte revisité », CORELA -
RJC Cotexte, contexte, situation :
http://corela.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=2627
! Kitcher Philip, 2007, « Contraster les différebtes conceptions de
l’épistélmologie sociale », trad. N. Baumard, dans Bouvier Alban,
Conein Bernard, 2007, L’épistémologie sociale. Une théorie
sociale de la connaissance, Paris, Éditions de l’École des Hautes
Études en Sciences Sociales, 55-80.
63. +
! Macherey Pierre, 2014, Le sujet des normes, Paris, Éditions
Amsterdam.
! Paveau Marie-Anne
– 2010 : « La norme dialogique. Propositions critiques en philosophie
du discours », Semen 29, 127-146, http://semen.revues.org/8793
– 2014 : « Quand les corps s’écrivent. Discours de femmes à l’ère du
numérique », dans Bidaud É. (dir.), Recherches de visages. Une
approche psychanalytique, Paris, Hermann, p. 207-241.
– 2015 [2014], « Ce qui s’écrit dans les univers numériques.
Matières technolangagières et formes technodiscursives »,
Itinéraires ltc, 2015 [2014-1], http://itineraires.revues.org/2313
! Pêcheux Michel, 1981, « L’étrange miroir de l’analyse du
discours », Langages 62, 5-8.
! Siouffi Gilles, 2011, « Les variantes ont-elles une normativité ? »,
dans Bertrand O. et Schaffner I. (dir.), Variétés, variations et
formes du français, Palaiseau, Presses de l'École Polytechnique,
13-30.