2. 2
À l’issue de mon stage final en décembre 2004, j’ai élaboré un mémoire sur les
créances classées: ampleur et effets sur l’activité bancaire, une étude en deux étapes (une
analyse financière puis une étude économétrique) sur un échantillon des 10 premières
banques commerciales Tunisienne pendant une période allant de 1996 à 2003.
Les résultats obtenus ont montré surtout que :
•Pour les banques tunisiennes, et en tenant compte des spécificités de chaque banque
(modèle M2), le taux de créances classées est le facteur le plus important qui
entraîne la dégradation de ce rendement.
•Mais, d’une manière globale (modèle M1), le rendement de crédit (et donc la marge
d’intermédiation) reste le facteur le plus prépondérant du rendement des fonds propres.
J’ai pu constater que la corrélation recherchée entre le taux de créances classées et le
rendement boursier malgré qu’elle soit négative, et contrairement à la corrélation avec le
rendement des fonds propres, n’était pas du tout significative ??? Ainsi, les
informations financières n’ont pas été réellement intégrées dans les cours des
actions des banques et les dividendes distribués n’ont pas reflété pas les
performances enregistrées par les banques. 2
3. Modèle ROE (pour ROE variable à expliquer)
•1er cas : M1 le modèle choisi (ne tient pas compte des hétérogénéités entre
banques), on a obtenu, par ordre décroissant d’importance des facteurs, les résultats
suivante:
(*) significatif à 1%
(**)significatif à 5%
(***) significatif à 10%
•2ème cas : M2 le modèle choisi (il tient compte des hétérogénéités entre banques),
on a obtenu, par ordre décroissant d’importance des facteurs, les résultats suivants :
(*) significatif à 1%
(**)significatif à 5%
(***) significatif à 10%
• Modèle RB (pour RB variable à expliquer)
•M2 : le modèle choisi (il tient compte des hétérogénéités entre banques), on a
obtenu les résultats suivants :
(*) significatif à 1%
(**)significatif à 5%
(***) significatif à 10% 3
Variable Coefficient t-Statistic
?RC 2.387621 3.538366*
?CEX -0.093601 -2.313100**
?NPL -0.144779 -2.184558**
?TD -0.121835 -2.058681**
C 11.16737 1.439377
Variable Coefficient t-Statistic
?NPL -0.403450 -2.814026*
?RC 1.771935 2.102056**
?TD -0.174857 1.851643***
?CEX -0.062646 -1.326539
4. Aussi, après la publication du rapport du Fonds Monétaire International (FMI) en
2002 qui a révélé que malgré sa baisse, le niveau des créances classées ou prêts
improductifs « Non Performing Loans » (NPL) est resté élevé, il était clair que les
années 2002 et 2003 ont connu une période difficile et une montée des créances classées
qui, malgré l’effort de provisionnement relativement faible, ont contribué à une forte
régression du rendement des fonds propres. Certainement, ces créances douteuses
sont le résultat d’une pratique de crédit instable et d’une mauvaise application de
la réglementation prudentielle.
Les résultats constatés montrent bien qu’il y avait des pratiques poussées à l’extrême
qui ont mis à mal les banques : De quoi conclure que la confiance est un objectif qui
devait être atteint pendant la période 2005-2011. Afin de rétablir la confiance, la Banque
Centrale devait bien réhabiliter un ambitieux programme de réforme de la
réglementation bancaire qui répond aux besoins de l’économie tunisienne et qui est
adapté aux attentes des investisseurs étrangers. Mais de l’autre côté, des banques ont été
privatisées, délivrées ou prises, sans précautions et sans que ce programme n’ait pu être
réhabilité ni adapté. 4
5. Par ailleurs, le document de Abdelkader Boudriga, Neila Boulila Taktak, Sana
Jellouli, (2009) "Le contrôle bancaire et les prêts improductifs: une analyse
transversale de pays" montre en développant un modèle global appuyé sur les données
de l’environnement juridique pour un panel de 59 pays sur la période 2002-2006
que le moyen efficace de réduire les créances douteuses est de renforcer le système
juridique et d'accroître la transparence et la démocratie, plutôt que de se
concentrer sur les questions de réglementation et de surveillance.
D’ailleurs l’exemple Tunisien illustre parfaitement ce résultat:
En effet, malgré la politique de la Banque centrale de plus en plus sévère en matière
de provisionnement qui a orienté les banques ces dernières années, à accroître le
provisionnement des créances classées, les faits rapportés à la suite du renversement
de l’ancien régime, pourraient avoir un impact sur cet effort d’assainissement des
portefeuilles d’actifs dans les années qui vont suivre, et remettraient en question les
taux encourageants déjà atteints.
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6. Selon les estimations, près de 7 % des prêts bancaires étaient accordés à des sociétés
aux mains de la famille de l’ancien président et son entourage. La plupart de ces prêts
ne seront pas remboursés tant que les actifs n’auront pas été juridiquement établis.
Après avoir étudié les comptes de 220 entreprises tunisiennes contrôlées par le
régime de Ben Ali, la Banque mondiale a conclu, dans un rapport publié jeudi 27 mars
2014, que le clan de l’ancien président récoltait plus de 21 % des bénéfices réalisés par
le secteur privé :
• "L'ancien régime tunisien utilisait les réglementations existantes et en édictait de
nouvelles pour en faire bénéficier les membres de la famille Ben Ali et ceux qui
étaient proches du régime"
• Selon Bob Rijkers, un des auteurs de ce rapport, l’'intervention de l'État dans la
politique industrielle était finalement "un écran de fumée dissimulant des situations
de rente".
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7. 7
Au fait, la réputation de la place financière de Tunis a beaucoup souffert des
agissements de l’ancien régime et de ses clans. Les banques tunisiennes ont souffert de
la faiblesse de gouvernance d’entreprise. Sous l’ancien régime, leurs décisions de
prêts et leurs structures d’actionnariat étaient sujets aux interférences politiques :
• D’abord, son enrichissement par l’entremise des crédits sans garanties accordés par
les banques nationales en plus des banques de développement qui se sont
transformées en banques universelles (1996-2003).
• Et ensuite, pour avoir les coudées franches, le clan a décidé de s’approprier des
institutions financières sous couvert d’un vaste programme de privatisation (2005-
2010) et de financer ses projets par crédits à faibles taux souvent sans les garanties
nécessairement demandées «bad loans for good friends» :
• Certaines banques appartenaient soit directement, soit indirectement à
l’entourage de l’ancien président
• De plus, les membres des conseils d’administration manquaient parfois de
l’indépendance et leur nomination pouvait être influencée plus par leur
position politique que par leur compétence. 7
8. 8
Selon les rapports des instances financières internationales et nationales, le système
bancaire se heurte à des difficultés considérables en raison de la sous-capitalisation, la
mauvaise qualité des actifs et l’insuffisance des provisions constituées pour couvrir le
risque de défaut.
M. Laurent Gonnet, spécialiste en chef du secteur financier à la Banque Mondiale, a
avancé que le taux des créances douteuses des banques tunisiennes est très élevé,
atteignant 13,5%.
Plusieurs raisons peuvent expliquer le niveau très élevé du taux de créances douteuses
de la Tunisie, en particulier l’inefficacité des mécanismes de gouvernance et les pressions
politiques exercées à la fois sur les dirigeants des banques et sur les organes de
supervision de la Banque Centrale. La réglementation bancaire était politisé, avec un
comportement de recherche de rente politique : intervention dans l'octroi de licences et
faiblesse dans les capacités de réglementation et supervision des banques. Ce processus
de politisation était responsable d’une déficience en matière de supervision et de contrôle
du système.
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9. 9
De plus, notre système bancaire traîne derrière l’économie après avoir servi de
marchepied à l’ascension de l'entourage familial du président déchu, alors qu’il doit
se mettre à niveau et les banques doivent devenir de véritables moteurs pour
l’économie en engageant des réformes structurelles.
Pour l’ensemble du secteur bancaire, et selon les scénarios du dernier FSAP (FMI –
Banque Mondiale) de 2012, le besoin de recapitalisation nécessite de lourds
financements estimés à près de 7% du PIB.
Malgré que certaines exigences de la population aient certes été satisfaites-le
président est déchu, son Gouvernement est tombé, la tête de l’autorité de contrôle du
secteur bancaire a été remplacée et, avec la fin du RCD, une assemblée élue a rédigé
la nouvelle Constitution-, mais le vieux système perdure encore.
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10. Conjuguées à une dégradation de l’environnement économique qui pourrait
également compromettre la performance du secteur bancaire, les faiblesses du
secteur se sont amplifiées.
l’impact économique de la révolution et les préoccupations de la croissance et
l’emploi ont induit :
• d’une part, le Gouvernement à négliger les tendances des banques à assumer
des risques excessives mais sans pour autant augmenter leur capital et à sous
estimer leurs dangers
• et d’autre part, la Banque Centrale a renoncé inévitablement aux décisions
effectives de maîtrise d’inflation qui risque de déstabiliser le système financier.
Une séparation de la fonction de supervision bancaire de la banque centrale de
Tunisie serait-elle une bonne idée pour résoudre ce qui semble un conflit d'intérêts
entre les deux missions, à savoir, la réglementation bancaire et la politique
monétaire? 10
11. Le manque de contrôle a fait du secteur bancaire un réservoir inépuisable de bonnes
affaires, et les histoires d'opérations douteuses réalisées par la «First Family" sont
nombreuses. Il sera en outre urgent de rendre aux rouages de l’Etat chargés du contrôle,
leur indépendance et leur pleine efficacité.
Maintenant, la reprise économique dépend de la restructuration bancaire qui passe
inévitablement par un processus de consolidation. Aussi, il serait opportun de renforcer
l’environnement de supervision et du risque mangement effectif contraignant le système
bancaire à lever des fonds pour augmenter leur capital.
Mais les déficits démocratiques persistent, ils continuent à influencer négativement les
prêts bancaires et de déterminer les limites du pouvoir de la réglementation.
Il est devenu clair que la décision du Gouvernement pour la réforme du secteur a été
principalement motivé par les perspectives de recevoir un soutien financier du FMI et que
la mise en œuvre de le programme du FMI a été faible. 11
12. Certes, les privatisations, les fusions et les acquisitions ont un rôle important à
jouer qui influence la concentration du marché, mais la nouvelle phase de la
restructuration du secteur bancaire peut conduire, à l’instar de l’ancienne phase,
à plusieurs phénomènes interdépendants: une augmentation frappante de la
concentration du marché, plus de pénétration des banques étrangères , une moindre
participation des banques nationales et une hausse de la rentabilité des banques.
Une nouvelle régulation nécessaire pour le secteur doit être menée, en plus du
lobbying international (FMI, Banque Mondiale, BAD, BEI…), avec une composante
nationale de soutien, qui peut ainsi contribuer à démanteler la recherche de rente
caractérisant la réforme précédente .
Toutefois , la supervision bancaire, la protection des consommateurs et la
réglementation de la concurrence dans le secteur bancaire , qui présentent un intérêt
public vital , doivent figurer dans le ordre du jour de cette nouvelle régulation.
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13. Pour réaliser le changement institutionnel et la diffusion de pratiques ou de règles à
l'intérieur du secteur bancaire, les deux composantes qui soutiennent les institutions
doivent être à la base d'une forme d'évaluation de la légitimité de l'action: d’une part la
composante formelle réglementaire et de l’autre la composante informelle normative et
cognitive:
la composante formelle réglementaire comprend l'indépendance réelle de la
banque centrale et des organes réglementaires de puissantes influences politiques
et sociales ainsi que l'efficacité de la coordination et la collaboration
bureaucratique, et l'existence de mécanismes institutionnalisés de résolution des
conflits.
la composante informelle normative et cognitive comprend les idées de
réglementation et de supervision bancaire. Le manque d’infrastructure
institutionnelle cognitive (par exemple approche de notation interne) et
normative (par exemple, la culture de gestion des risques) a conduit à des
potentielles défaillances de la réglementation et de la surveillance dans le future.
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14. Un nouveau programme doit reposer sur deux piliers principaux:
le premier est la nationalisation et la réhabilitation des banques insolvables,
et la restructuration des banques publiques.
Le deuxième pilier de la restructuration est la création des fondements
institutionnels de la réglementation.
Mais avant tout, il s’agit de réaliser un check-up général des banques publiques
gangrenées par deux décennies de corruption, de mauvaise gestion et de crédits
accrochés et de proposer ainsi, les grandes lignes d’une stratégie de réforme du secteur
afin de le mettre au diapason des normes internationales, notamment en matière de
règles et dispositions prudentielles. Une action qui devrait inciter toutes les banques
privées à se soumettre à un audit.
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