Méthodes et outils en intelligence économique territoriale
Veille terminologie
1. Congrès ASAC-IFSAM 2000 François Brouard (étudiant)
Montréal, Québec Doctorat en administration
Canada Université du Québec à Trois-Rivières
QUE LA VEILLE STRATÉGIQUE SE LÈVE :
FAISONS LE POINT SUR LA TERMINOLOGIE ET LE CONCEPT1
La terminologie utilisée pour décrire le concept de la veille stratégique est très variée. La
terminologie couvre deux dimensions différentes, soit le résultat et le processus, et varie
selon les pays et la langue. Après avoir décrit le rôle et les types de veille, souligné le
contexte historique et suggéré des termes en français et en anglais, les caractéristiques de la
veille stratégique sont identifiées afin de s’entendre sur le concept et le définir.
Introduction
Qu’elles soient économiques, politiques, technologiques ou sociales, diverses transformations
s’opèrent au sein de la société (Rondeau, 1999). Ces transformations ne sont pas nouvelles, mais elles
sont maintenant plus accélérées que jamais. Les différentes transformations, qui sont comprises sous
chaque dimension, ont une influence à des degrés divers sur les individus, les organisations, les
industries et la société en général. À titre d’exemple, mentionnons uniquement l’impact des
technologies de l’information et des communications pour illustrer les changements de
l’environnement dans lequel opèrent les individus et les organisations (Rivard et al., 1999).
Face à ces changements, les gestionnaires doivent reconnaître les mouvements de l’environnement
afin d’apporter les actions qui s’imposent (Nutt et Backoff, 1997). Au cours des dernières années,
de nombreux chercheurs se sont attardés à l’étude du changement organisationnel (Demers, 1999)
et à la stratégie (Mintzberg et al., 1999). L’importance de l’information et de la connaissance pour
effectuer ces changements sont reconnues (Hafsi et Toulouse, 1996; Jacob et al., 1997; Nonaka,
1994). Chaque entreprise doit devenir une «entreprise intelligente» possédant certaines «qualités qui
se manifestent dans son comportement global : rapidité d’action, adaptabilité à des situations
changeantes, souplesse de fonctionnement, habileté dans les relations humaines, dynamisme,
intuition, ouverture, imagination, innovation» (De Rosnay, 1995, p.258).
Jacob et al. (1997) ont identifié quatre leviers de l’apprentissage collectif. Ces leviers sont
l’apprentissage qualifiant, l’information structurante, l’information circulante et la concurrence/
coopération. L’un de ces leviers, l’information structurante, comprend le concept de veille
stratégique. La veille correspond aux activités d’anticipation des changements et ces activités se
retrouvent dans les pratiques organisationnelles tant en Asie, en Europe qu’en Amérique du Nord
(Aguilar, 1967; Kahaner, 1996). Par l’information structurante, la veille stratégique peut donc jouer
un rôle dans l’atteinte de cet apprentissage et aider les entreprises à atteindre leurs objectifs.
Toutefois, même s’il s’agit d’un moyen reconnu et utilisé pour surveiller les mouvements de
l’environnement (Subramanan et Ishak, 1998), la terminologie employée pour décrire les activités
de veille est nombreuse et confuse, et ce, tant en français qu’en anglais. Cette diversité
terminologique amène des problèmes de compréhension pour les praticiens et les chercheurs (Lesca,
1994). L’objet du présent texte vise à souligner la confusion terminologique, à proposer des
expressions françaises et anglaises reflétant les dimensions principales du concept de veille et à
présenter les caractéristiques pour définir la veille stratégique.
1
L’auteur remercie Louis Raymond et Camille Carrier de l’UQTR et Louise Briand de l’UQAH pour les
judicieux conseils et les encouragements.
2. L’étude se divise en quatre grandes sections. La première section s’attarde au contexte historique
dans lequel la veille s’est développée. La deuxième section présente les rôles de la veille et les types
de veille. Dans la troisième section, la confusion terminologique entourant le sujet est soulignée et
les termes utilisés pour décrire la veille sont classés selon qu’il s’agit d’un résultat ou d’un processus.
Le choix de l’expression «veille stratégique» est justifié. La quatrième section énumère des
caractéristiques afin de formuler une définition du concept de la veille stratégique. En conclusion,
le texte rappelle les idées développées et indique des pistes de recherche.
Contexte historique de la veille
Le développement de ce concept est à la fois ancien et nouveau. Des exemples permettent de retracer
une origine plutôt lointaine. Notons simplement la légende du soldat de Marathon qui mourut pour
informer les Athéniens de leur victoire sur les Perses, les réseaux de veille développés par les Fuggers
au 15e siècle, les Rothschild au 19e siècle, la république de Venise et l’église catholique (Amabile,
1999; Dedijer, 1999). Il existe toutefois peu de travaux documentant et reliant les différents exemples
historiques de veille en dehors des travaux militaires (Dedijer, 1999). Comme l’illustre le tableau
A, qui résume les principales périodes du développement récent de la veille, ce développement
s’échelonne sur trois phases. Le développement ne s’est pas fait au même rythme dans tous les pays.
Le gouvernement japonais aurait implanté un système de veille au milieu du 19e siècle et aurait fait
du renseignement une ressource collective. Aux États-Unis, ce n’est que vers la fin des années 1950,
que les grandes entreprises ont commencé à implanter des services de veille (Jakobiak, 1998). En
France, l’engouement pour la veille n’a eu lieu que vers la fin des années 1980 (Bourthoumieu et al,
1999). L’intérêt des américains et des français seraient attribuables à une réaction face à la menace
étrangère, en particulier celle du Japon (Bourthoumieu et al, 1999; Jakobiak, 1998).
Tableau A
Principales phases du développement récent de la veille 1960-1990
Période Phase Particularités de la veille
Recherche peu ou pas
1960- mode orientation personnel =
d’information sur les d’analyse des
1970 informel tactique libraire / marketing
compétiteurs données
Analyse des personnel =
mode orientation analyse
1980 compétiteurs et de marketing /
formel tactique quantitative
l’industrie planification
personnel =
Intelligence de orientations analyse
mode marketing /
1990 l’entreprise pour des tactique et quantitative
formel planification /
décisions stratégiques stratégique et qualitative
cellule de veille
Source : adapté de Prescott (1995) selon Attaway (1998)
C’est au cours du dernier tiers du 20e siècle que les processus de veille s’ancrent dans les pratiques
organisationnelles, en particulier avec les travaux d’Aguilar (1967) (Amabile, 1999). Une
constatation qui ressort du tableau A est la place importante de la fonction marketing dans le
développement de la veille et une évolution vers une analyse des données plus étendue .
3. Rôles et types de veille
Peu importe sous quel angle la veille est abordée, l’enjeu central «reste toujours la survie de
l’entreprise.» (Bourthoumieu et al., 1999, p.2). La prise de décision pour assurer cette survie est au
coeur des activités de veille. D’ailleurs, comme le souligne Amabile (1999, p.20) : «... il apparaît que
la plupart des auteurs justifient les activités de veille par "l’incertitude" qui caractérise
"l’environnement"».
La veille sert quatre fonctions : (1) appuyer la prise de décision stratégique, (2) servir d’avertissement
pour les occasions et les menaces, (3) évaluer les compétiteurs et les suivre, (4) appuyer la
planification stratégique et son implantation (Attaway, 1998). Le CCSE (1999) voit dans le concept
d’intelligence économique un rôle pour la cohésion sociale, pour les entreprises et pour l’État. Cette
cohésion sociale permet le maintien du tissu social par l’instauration de relations entre l’État et les
acteurs.
De leur côté, Hassid et al. (1997) identifient huit rôles à l’intelligence économique, soit : (1)
l’information comme un instrument de stratégie, (2) la logique réseau en interne et la mobilisation
des hommes, (3) la logique réseau externe pour renforcer la synergie public-privé et interentreprises,
(4) les stratégies indirectes et les ruses de l’intelligence, (5) l’usage offensif et défensif de
l’information, (6) l’information comme instrument d’influence et de lobbying, (7) la prise en compte
des facteurs culturels et (8) une gestion différente de la problématique coopération-concurrence.
Plusieurs types de veille comblent les fonctions qui lui sont attribuées. Chaque type de veille permet
de combler des besoins particuliers. Quatre types de veille peuvent être soulignés, soit : la veille
technologique, la veille concurrentielle, la veille commerciale et la veille sociétale (Martinet et
Ribault, 1989). La veille stratégique englobe l’ensemble des veilles particulières (Pateyron, 1998).
D’autres auteurs expriment des types de veille distincts qui peuvent toutefois être inclus dans les
catégories énumérées. Villain (1990) et Verna (1999) se servent du modèle de Porter (1982) sur
l’analyse de la concurrence pour distinguer les types de veille. Le tableau B illustre certains types
spécifiques de veille, leurs axes de surveillance et les forces selon le modèle de Porter (1982).
Confusion terminologique
Constats sur les termes utilisés
L’analyse de la documentation portant sur la veille amène plusieurs constatations utiles pour préciser
l’objet. Une première constatation est le nombre élevé d’expressions pour exprimer ce concept. En
effet, comme le montre l’annexe A, le nombre d’expressions gravitant autour du concept de veille
est particulièrement élevé, soit plus d’une quarantaine. Une distinction est donc nécessaire pour
regrouper les expressions et leur donner un sens. Une explication à cette prolifération pourrait être
l’absence d’un cadre conceptuel accepté (Bergeron, 1997).
Une deuxième constatation nous amène à affirmer que les expressions utilisées expriment à la fois
un volet processus et un volet résultat. Bernhardt (1994) est l’un des rares auteurs à effectuer
explicitement ce constat. Comme l’indique l’annexe A, il nous semble pertinent de distinguer les
expressions selon qu’il s’agit d’un résultat, par exemple le renseignement, ou d’un processus, comme
la veille.
4. Tableau B
Axes de surveillance selon les différents types de veille
Types de veille Axes de surveillance
Sujets privilégiés Forces de Porter (1982)
- acquis scientifiques et technologies
veille
- systèmes d’information produits substituts
technologique
- matériaux, produits et procédés
s concurrents directs et
t - stratégie des concurrents
veille concurrents potentiels
r concurrentielle
v
a - clients
e
t clients
i
é - clients communs et
l
g fournisseurs
l veille - clients et marchés
i
e commerciale - fournisseurs et main d’oeuvre
q
u
- environnement économique
e
- environnement socio-culturel
veille
- environnement politique et juridique
sociétale
- environnement écologique
- démographie
Troisièmement, certaines expressions correspondent à des concepts plus généraux et englobant. Cette
constatation se vérifie au niveau du volet processus. Par exemple, les expressions «scanning» et
«veille» englobent d’autres expressions comme «environmental scanning», «veille technologique»,
«veille commerciale» et «veille compétitive» (Ashton et Stacey, 1995; Bergeron, 1995; Martinet et
Ribault, 1989; Verna, 1999). Cette constatation se vérifie aussi au niveau du volet résultat. Par
exemple, des expressions comme «business intelligence», «intelligence économique» et «intelligence
de l’entreprise» englobent des concepts plus spécifiques comme «competitive intelligence»,
«competitive technical intelligence» et «renseignement concurrentiel» (Ashton et Stacey, 1995).
Une quatrième constatation est l’évolution selon l’espace géographique. En se concentrant sur la
veille technologique, Julien (1999) illustre les différences entre les termes utilisés dans plusieurs
langues. Au Québec, l’expression «veille» semble l’expression la plus courante (Bergeron, 1995;
Jacob et al., 1997). Du côté américain, les expressions «competitive intelligence», «business
intelligence» et «environmental scanning» semblent les plus courantes. Suite à une enquête utilisant
sept appellations, Lesca (1994) conclut que les expressions «intelligence de l’entreprise» et
«perception de l’environnement de l’entreprise» devance le concept de «veille stratégique» en
France. L’État français préconise l’expression «intelligence économique», qui toutefois arrive au 5e
rang dans l’étude de Lesca (1994). Les expressions répertoriées à l’annexe A le sont pour illustrer
la diversité. Plusieurs autres expressions sont utilisées mais ne sont pas mentionnées ici (Cartier,
1998, 1999).
Une cinquième constatation liée à l’aspect temporel est l’utilisation actuelle, à quelques exceptions
près, de toutes les expressions. Il ne semble pas y avoir d’expressions qui datent et qui ne seraient
plus utilisées. Cette constatation pourrait s’expliquer par la nouveauté relative du domaine. Toutefois,
certaines expressions comme «environmental assessment», «environmental intelligence», «strategic
environmental scanning» et «strategic information scanning system» sont moins fréquentes.
5. Sixièmement, certaines expressions correspondent à des étapes du processus. Par exemple, les
expressions «monitoring» et «assessment» peuvent se concevoir comme des étapes d’un processus
pour arriver au résultat final (Ashton et Stacey, 1995). Aguilar (1967) distingue deux volets, soit
l’observation et la recherche. Pour sa part, Huber (1991) distingue le «noticing», le «search», le
«monitoring» et le «scanning». Ces distinctions au niveau des termes correspondent à des degrés
différents d’efforts de veille.
Une septième constatation est l’absence d’une définition généralement reconnue qui pourrait faire
l’unanimité parmi les auteurs. Cela fait en sorte de retrouver plusieurs expressions pour exprimer le
concept général de veille stratégique (Lesca, 1994). Même aujourd’hui, Aguilar (1967) constitue la
référence principale. Préparés par deux organisations importantes, deux définitions sont notables,
l’une preparée pour le gouvernement français et l’autre rédigée par la Society of Competitive
Intelligence Professionals (SCIP).
Le rapport Martre publié en 1994 en France définit l’intelligence économique comme «l’ensemble
des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation,
de l’information utile aux agents économiques» (Jakobiak, 1998, p.23).
L’association SCIP (1999) définit la veille concurrentielle comme ceci :
«Competitive intelligence (CI) is the process of monitoring the competitive environment. CI
enables senior managers in companies of all sizes to make informed decisions about
everything from marketing, R&D, and investing tactics to long-term business strategies.
Effective CI is a continuous process involving the legal and ethical collection of information,
analysis that doesn't avoid unwelcome conclusions, and controlled dissemination of
actionable intelligence to decision makers.»
Justification du choix des expressions «veille stratégique»et «intelligence de l’entreprise»
Compte tenu de la diversité des expressions et en l’absence d’une définition généralement reconnue,
il importe de proposer des expressions en les justifiant. Premièrement, il est important de distinguer
le processus et le résultat de ce processus. Cette distinction permet de mieux saisir les nuances au
niveau du résultat obtenu. Par exemple, Kalb (1999) établit une distinction selon plusieurs niveaux
que sont les données, l’information, les connaissances, l’intelligence, l’éclairage et la sagesse. Ces
nuances reflètent une différence dans les étapes du cycle de la veille.
Deuxièmement, l’interprétation du terme «veille», qui marque «bien l’idée de vigilance et d’attention
par rapport à ce qui existe ou ce qui s’en vient dans le secteur», est plus précise (Julien, 1999, p.1).
D’ailleurs, Prescott (1995) (selon Attaway, 1998) distingue trois grandes catégories d’activités liées
à l’intelligence, soit le renseignement militaire, la sécurité nationale et la veille stratégique. La veille
stratégique est liée aux organisations, sauf pour le rôle de protection joué de l’État.
Troisièmement, la notion de «veille» comprend différents pôles, qui sont indissociables et
indivisibles (Bergeron, 1995; Julien, 1999; Martinet et Ribault, 1989). Ces pôles peuvent être la
technologie, la concurrence, la clientèle, les fournisseurs et l’environnement général (Martinet et
Ribault, 1989). Ces pôles servent à orienter la stratégie, qui représente une finalité de l’entreprise
(Hafsi et Toulouse, 1996).
Quatrièmement, le qualificatif «stratégique» est ajouté au concept de veille pour souligner
l’importance de cette activité pour tous les membres d’une entité, incluant la haute direction.
L’information n’est pas intrinsèquement stratégique, mais elle le devient par son utilisation face à
des problèmes (Aguilar, 1967).
Cinquièmement, les deux grandes expressions françaises «veille stratégique» et «intelligence
économique» se distinguent par leur source d’inspiration. La veille stratégique est d’inspiration
universitaire et fait référence à l’information, alors que l’intelligence économique est d’inspiration
militaire et fait référence à la notion de renseignement (Pateyron, 1998). L’expression «veille
6. stratégique» est reconnue par divers auteurs dans des écrits récents et pourraient s’imposer (Cartier,
1998; Jakobiak, 1998; Jacob et al., 1997; Lesca, 1994; Pateyron, 1998).
Sixièmement, l’expression «intelligence de l’entreprise» et davantage générale que l’expression
«intelligence économique», qui peut être perçue comme représentant uniquement les renseignements
économiques, délaissant ainsi les autres types de renseignements fournis par tous les types de veille.
Les expressions françaises proposées sont «veille stratégique» au niveau du processus et «intelligence
de l’entreprise» au niveau du résultat. Les expressions anglaises seraient «strategic scanning»ou
«strategic monitoring» pour le processus et «business intelligence» au niveau du résultat. Les
traductions anglaises à l’égard du processus reflètent mieux l’aspect stratégique qui est absent de
l’expression «environmental scanning». L’expression «business intelligence» est plus générale que
«competitive intelligence», expression jugée restreinte à un seul type de veille, soit celle au niveau
des concurrents (Kalb, 1999).
Définition de la veille stratégique
Caractéristiques pour formuler une définition de la veille stratégique
Afin de mieux cerner et définir la veille stratégique, certaines caractéristiques ou dimensions, qui
composent ce concept, sont retenues. Quatre caractéristiques sont identifiées :
(1) finalité, (2) objet, (3) processus et (4) environnement.
Examinons brièvement chaque caractéristique.
(1) La finalité correspond à l’objectif poursuivi (Lesca, 1994). La finalité est liée à l’action et
aux décisions à prendre. Cette finalité est également liée au respect des besoins des
utilisateurs, qui sert de point de départ aux activités de veille stratégique. La réduction de
l’incertitude représente un exemple de finalité.
(2) L’objet représente les changements sous observation et analyse. Les changements peuvent
se manifester par des signaux, des événements, des tendances et des relations (Cartier, 1998).
Des pôles ou des sujets particuliers constituent l’objet du processus de la veille stratégique
(Bergeron, 1995; Julien et al., 1997). Il peut s’agir d’identifier les changements d’un ou
plusieurs pôles, tels la technologie, les produits et procédés, les concurrents, les clients, les
fournisseurs et les tendances lourdes de la société.
(3) Le processus correspond à la transformation nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis
(Aguilar, 1967; Bergeron, 1995; Calof, 1997). L’anticipation des changements requiert
d’être à l’écoute de leurs manifestations. Une méthodologie est généralement associée au
processus de veille stratégique. Il s’agit des méthodes, outils et techniques pour réussir la
transformation des données en information, en connaissances et en intelligence. Le choix de
la méthodologie découle des conceptions et des théories privilégiées par le veilleur, par les
gestionnaires et par l’organisation (Zou et Cavusgil, 1996). Le processus de la veille
stratégique se conçoit comme une série continuelle et perpétuelle d’étapes. Ces étapes sont
la planification, la collecte, l’analyse et la diffusion (Kahaner, 1996). Chaque étape se
compose d’activités, qui permettent d’opérationnaliser la démarche.
(4) L’environnement comprend l’ensemble des facteurs qui entourent le cycle de la veille
stratégique. L’environnement est externe et interne. L’environnement externe comprend le
macro-environnement et les détenteurs d’enjeux (Aguilar, 1967; Calof, 1997).
L’environnement interne correspond aux ressources, à la culture, aux stratégies, à la
direction et à la structure (Liu, 1998; Jacob et al., 1997). L’environnement amène les
changements et une incertitude qui obligent les décideurs à modifier leur stratégie.
7. Définition proposée du concept
S’appuyant sur les quatre caractéristiques identifiées, une définition du concept de la veille
stratégique est proposée.
Définition retenue
La veille stratégique est un processus informationnel par lequel une
organisation se met à l’écoute de son environnement pour décider et
agir dans la poursuite de ses objectifs.
Conclusion
Il existe une confusion terminologique, tant en français qu’en anglais, pour décrire la veille
stratégique. Cette confusion est alimentée notamment par un nombre important de termes. En effet,
le nombre d’expressions gravitant autour du concept de veille s’élève à plus d’une quarantaine. Cette
confusion provient aussi de l’utilisation de termes qui représentent simultanément deux éléments, soit
le processus de la veille et le résultat de ce processus. Les termes varient aussi selon l’espace
géographique et la langue utilisée. Ces différences pourraient s’expliquer par un développement
relativement récent de la veille et par l’absence d’un cadre conceptuel accepté (Bergeron, 1997).
L’expression «veille stratégique» est suggérée pour décrire le processus et l’expression «intelligence
de l’entreprise» est suggérée pour décrire le résultat final résultant de ce processus. Les expressions
anglaises «strategic scanning», «strategic monitoring» et «business intelligence» sont suggérées pour
décrire respectivement le processus et le résultat. Quatre caractéristiques sont identifiées et servent
de base à une définition du concept et du construit de la veille stratégique. Ces caractéristiques sont
la finalité, l’objet, le processus et l’environnement.
La présente étude s’inscrit dans une démarche d’études doctorales et constitue une première étape
dans l’étude de ce phénomène. Cette première étape laisse entrevoir des pistes de recherche
intéressantes. Au delà de la sémantique, une analyse s’appuyant sur les courants épistémologiques
pourrait permettre de faire ressortir les fondements des termes utilisés et d’expliquer l’origine des
termes différents et de comprendre les distinctions au niveau du sens dans l’utilisation d’un même
terme.
8. Annexe A
Survol des principaux termes français et anglais utilisés
et classification selon les résultats et les processus
Résultats Processus
Termes français Termes anglais Termes anglais Termes français
principal secondaire
gestion
savoir knowledge du savoir
management
connaissance (KM) gestion de la
connaissance
scanning
intelligence
intelligence monitoring veille vigie
renseignement
search
environmental
scanning
veille quête
intelligence de strategic stratégique
l’entreprise monitoring
business veille industrielle
intelligence intelligence (BI) strategic
économique veille traque
information
scanning intégrée
system
renseignement competitive veille
concurrentiel intelligence (CI) concurrentielle
technological
competitive scanning veille
technical
technological technologique
intelligence
monitoring
marketing veille
intelligence commerciale
strategic
information information environmental
scanning veille
sociétale
environmental antenne
environmental analysis veille de veille
intelligence environnementale
environmental
observatoire
assessment
business espionnage espionnage
espionage industriel économique
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