1. ARGENTEUIL - SAMEDI 18 OCTOBRE 2014
LA BANLIEUE EST-ELLE TOUJOURS DANS LA
RÉPUBLIQUE ?
Quelques articles pour aller plus loin
2. Rapport sur l'intégration: vers une laïcité de "compromis"
Par Marie Caroline Missir, publié le 13/12/2013 à 10:13
Les cinq rapports remis à JeanMarc
Ayrault le 13 novembre dernier opposent laïcité
néorépublicaine
et laïcité "inclusive". Ils proposent de repenser nos politiques d'intégration, en
commençant notamment par l'école. Que disent ces rapports? Le travail de ces groupes,
constitués de représentants d'associations, de fonctionnaires, de syndicalistes et de
chercheurs, recoupe un champ très large et traite des questions du vivre ensemble, de la
protection sociale, de la connaissance et de la mémoire, des mobilités sociales et de l'habitat. Il
est ainsi proposé de créer une "gouvernance de l'Etat" pour la lutte contre les discriminations
(création d'une autorité indépendante de lutte contre les discriminations sociales et
ethnoraciales,
d'une instance de pilotage des politiques publiques en la matière, d'un institut
nationale et d'un fond d'investissement). Le rapport propose également la création d'un délit de
harcèlement racial ou encore d'une "Cour des comptes de l'égalité".
Le rapport "faire société commune" s'attaque également à la question de la laïcité à l'école, et
plus précisément à l'encadrement des sorties scolaires. Il prend l'exemple de la circulaire
"Chatel" du 27 mars 2011, qui stipule que les parents accompagnateurs sont soumis au pincipe
de laïcité. "Cette circulaire se fonde sur une approche de la laïcité (...) orthodoxe ou
néorépublicaine
attachée à rappeler de façon descendante et universelle ses principes",
estiment les auteurs. Ils dénoncent les "effets discriminatoires" de ce texte, "fondé sur un critère
d'appartenance religieuse". Cette circulaire, estime le rapport, conduirait à un renforcement des
inégalités sociales.
A rebours d'une laïcité "orthodoxe", les auteurs proposent donc de se rallier à "une conception
inclusive et libérale de la laïcité, sensible à la fois aux contextes et aux conséquences de sa
mise en pratique", propose le rapport. Et d'expliquer: "Faire société commune dans ces
conditions ne présuppose pas que ce qui fait le commun soit prédéterminé, préétabli
par la
société majoritaire et ses élites mais au contraire soit le fruit d'un processus à la fois ascendant
et descendant, fait de coopérations, de compromis, d'apprentissages réciproques, de
confrontations pour in fine constituer le commun comme nouvelle forme d'universalité au
bénéfice de tous".
Sur ces bases, le rapport propose ainsi de revoir l'ensemble des circulaires et textes de loi
"qui comportent des mesures discriminatoires ou dont les effets induits sont des processus
discriminatoires". Le rapport dénonce également vigoureusement "la production industrielle de
l'échec scolaire en France", et "l'incapacité depuis 30 années à tarir le flux de sortants sans
diplôme qui enchaînent ensuite entre 3 et 5 ans en moyenne de parcours d'insertion incertains,
sans perspective de carrière, mais aussi par le nombre de jeunes sortant avec des diplôme
obsolètes, dont une partie est si disqualifiée dans l'éducation nationale ellemême,
qu'elle ne
débouche sur aucune poursuite d'étude". Les auteurs préconisent encore de renforcer les
méthodes pédagogiques de l'école pour les enfants de milieux populaires en difficulté, et de
repenser totalement l'orientation. Enfin, pour promouvoir la connaissance de l'immigration, les
groupes de travail proposent de repenser les programmes scolaires, afin d'intégrer, dès
l'école primaire, "l'histoire des mouvements de population dans leur globalité", "ceux liés à
l'esclavage et à la traite négrière, aux colonisation, à l'immigration économique...".
3. Institut des cultures d'islam : photos et concerts pour ouvrir le «
dialogue »
LE MONDE | 28.11.2013 à 12h59 Par
Clarisse Fabre
"Astrolabe", de Yazib Oulab, install é dans une cour ouvrant sur le hall de l'Institut des cultures de
l'islam. C'est simple, il suffit de suivre les empreintes sur le trottoir. De l'ancien bâtiment de
l'Institut des cultures d'islam (ICI), situé au 19, rue Léon, au nouvel ICI Goutted'Or,
qui ouvre ses
portes jeudi 28 novembre, au 56, rue Stephenson, il n'y a que quelques pas, matérialisés à la
peinture blanche. « L'ICI est là », liton
sur les traces au sol.
C'est un avis à la population de ce quartier populaire du 18e arrondissement de Paris ainsi
qu'aux amateurs d'art contemporain venus d'ailleurs. Le lieu culturel de la rue Léon continue de
vivre, et un nouveau centre d'art leur tend les bras. Il ne ressemble à aucun autre sur le territoire
français : à l'ICI Goutted'Or,
les visiteurs sont invités à plonger dans les cultures de l'islam,
sous toutes leurs formes (photos, concerts, performances, installations artistiques, brunchs
littéraires…), dans un élégant bâtiment à la carcasse métallique qui cohabite « dans le strict
respect de la laïcité » avec une salle de prière pour les musulmans, située au premier étage
(moquette grise épaisse, mêmes lustres au plafond que dans la salle d'exposition). Bienvenue à
tous les publics, « croyants de toutes confessions, athées ou agnostiques », liton
dans le
dossier de presse. « On est un OVNI qui suscite la curiosité. On se distingue de l'Institut du
monde arabe, à Paris, sur un point en particulier : nous sommes un lieu de dialogue avec l'islam
dans toutes les régions du monde, Afrique, Asie, MoyenOrient,
Europe… », explique la
directrice générale, Elsa Jacquemin.
La jeune femme fera équipe avec la directrice artistique francoturque,
Zeynep Morali, 36 ans.
Née à Paris, elle vient de passer dix ans à Istanbul, montant des platesformes
de danse
contemporaine, travaillant au centre d'art Depo. « Comment faire connaître l'islam d'une autre
manière, faire passer des choses sans provocation ? », s'interrogetelle,
entre deux détails
techniques à régler. L'exposition temporaire, en accès libre, intitulée « Ici, là et audelà
», qui a
lieu jusqu'au 30 mars 2014, témoigne de cette volonté d'ouverture. Les photos de l'Iranien
Abbas, de l'agence Magnum, captent des scènes de la vie quotidienne de musulmans de tous
horizons : jeunes femmes iraniennes fumant des cigarettes dans un café branché de Téhéran ;
enfants du Mali portant leurs tablettes coraniques sous le bras, comme s'ils transportaient leur
skateboard,
etc. Le photographe, habitant du 18e arrondissement, expose à l'étage des photos
prises à la Goutted'Or
durant l'été 2013, comme un écho noir et blanc à l'exposition haute en
couleur « The Goutted'Or
! », confiée à Martin Parr en 2011. D'autres artistes sont invités, telle
l'Italienne Patrizia Guerresi Maïmouna, convertie à l'islam, ou encore le FrancoAlgérien
Yazid
Oulab, lequel suspend une question au mur : un « M'aimestu
? », écrit à l'aide d'un fil barbelé.
4. «Les collectifs de citoyens sont une source de pouvoir»
Libération GUILLAUME
PAJOT 17 OCTOBRE 2014
Ancien directeur de campagne de Barack Obama, William D. Burns a organisé en réseau
politique les populations issues des quartiers déshérités de Chicago. Aux EtatsUnis,
les
collectifs de citoyens, organisés autour d’intérêts communs, jouent un rôle clé dans la
construction des politiques publiques. Membre du Parti démocrate, William D. Burns, 41 ans, a
dirigé la campagne de Barack Obama lorsqu’il était candidat au Congrès en 2000. Il est
aujourd’hui membre du conseil municipal de Chicago. Depuis le début de sa carrière, son action
a été guidée par l’idée d'«empowerment». Il revient sur cette notion méconnue en France et
explique pourquoi les citoyens ont intérêt à s’organiser pour peser sur les prises de décision.
Quelle est votre définition du mot «empowerment» ?
L'«empowerment» vise à aider les citoyens à trouver la capacité de changer leurs conditions de
vie, en général à travers la création de leur propre association. Elle leur permet de rassembler
leurs forces pour faire des demandes concrètes aux élus, aux chefs d’entreprise…
Ce concept était au coeur de la campagne présidentielle d’Obama en 2008 et soustend
votre action à Chicago. Pourquoi estce
si important ?
Frederick Douglass, un célèbre abolitionniste noir du XIXe siècle, disait : «Le pouvoir ne concède
rien sans demande». Si vous voulez que quelque chose change, il vous faut du pouvoir. Et les
collectifs de citoyens sont justement une source de pouvoir. Même en tant que politicien, j’ai
besoin de ces groupes pour valider les projets que je souhaite mettre en place.
Quelle forme prend ce mouvement à Chicago ?
Dans ma circonscription, un certain nombre d’associations venant de la base de la société ont
développé un agenda politique : syndicats, groupes de quartier… La démocratie américaine
repose sur l’interaction entre ces collectifs c’est
ce que nous appelons le pluralisme. Aucun
groupe ne peut obtenir tout ce qu’il veut. Il doit forcément négocier et tenter d’arriver à un accord
satisfaisant. S’il n’en trouve pas, il rate l’opportunité d’une victoire. Et chaque victoire compte car
les gens ont besoin de sentir qu’ils peuvent gagner quelque chose pour continuer à se mobiliser.
En France, cette façon d’organiser et de défendre des intérêts particuliers est parfois
critiquée, par crainte du communautarisme…
La relation à l’Etat y est différente. Les Français attendent de l’Etat qu’il s’occupe des choses à
leur place et il n’y a pas d’organisations intermédiaires entre les citoyens et lui. Aux EtatsUnis,
nous pensons que l’Etat est contrôlé par des associations d’individus. Les intérêts des citoyens
sont assurés par ces groupes communautaires, et je ne pense pas que s’organiser autour de
critères identitaires ou géographiques soit nécessairement une mauvaise chose. Aux
EtatsUnis,
votre qualité de vie est très différente selon que vous êtes afroaméricain
ou blanc.
Comment résoudre ce problème si on ne rassemble pas les individus concernés autour de cet
enjeu ? Si le système n’est pas remis en cause, il ne changera jamais… Le communautarisme
est parfois utilisé comme un épouvantail pour démobiliser les gens et les empêcher de lutter les
discriminations.
5. La relation entre les Français et leurs représentants semble empreinte de défiance. Les
EtatsUnis
fontils
face au même désenchantement ?
Absolument. Ce dédain est compréhensible. Il y a trente ans, Ronald Reagan déclarait : «Le
gouvernement n’est pas la solution ; le gouvernement est le problème». Avant cela, le Watergate
a laissé des traces. A Chicago, chaque année, au moins un élu du conseil municipal est envoyé
en prison pour corruption ou extorsion ! La crise économique de 2008 n’a rien arrangé. Tant que
la prospérité ne sera pas au rendezvous,
nous allons devoir vivre avec cette tendance profonde
au cynisme et à la frustration, dangereuse pour le fonctionnement de la démocratie. Elle facilite
le travail de démagogues aux solutions simplistes qui expliquent qu’en expulsant les immigrés,
tous les problèmes seront réglés.
Comment inverser la tendance ?
Aux EtatsUnis,
le gouvernement fédéral est dans l’impasse, donc rien ne se passe à ce niveau.
Les innovations et les politiques progressistes sont plutôt le fait de l’Etat et de la ville. A Chicago,
beaucoup de projets sont en cours. Notre dernier effort est la création d’un salaire minimum.
J’espère que nous voterons cela en novembre ou en décembre. Ainsi, dans quatre ans, la ville
aura un salaire minimum de 13 $ de l’heure. 410 000 personnes devraient connaître une hausse
de salaire et un nombre significatif de travailleurs sortira de la pauvreté. C’est le genre
d’initiatives qui redonne foi en l’action publique.
6. «Empowerment» et «community organizing» peuvent remobiliser
les quartiers
Libération par
RÉDA DIDI, fondateur du Think Tank Graines de France 8/
10/14
Abstention, désinvestissement de la sphère associative, voilà des maux dont souffriraient
particulièrement les quartiers. Face à cela, empowerment et community organizing
apparaissent comme de nouveaux outils pour mobiliser et mettre en mouvement les sansvoix.
Pour cela, il s’agit de remobiliser
les gens et de remobiliser
l’argent. Alors que de nombreuses
enquêtes ont pointé le sentiment des habitants des quartiers de vivre en parallèle de la société
«normale», il s’agit par ces outils de les aider à construire un agenda politique centré sur leurs
conditions de vie : habitat, transport, éducation, lutte contre la drogue et contre toute forme de
radicalité, dans un contexte où les plus pauvres et les populations non issues de migrations
européennes ont souvent été regroupés.
D’origine anglosaxonne,
ces outils peuvent faire craindre à une communautarisation de la
société. Cependant, la communauté de quartier sur laquelle ces outils s’appuient, renvoie
davantage à une communauté d’intérêts et de vie commune, à la communauté locale plus
qu’aux seules communautés ethnique et religieuse. La mobilisation pour améliorer les conditions
de vie au quotidien permet en même temps d’élargir sans cesse les communautés
d’appartenance des individus. C’est par des actions collectives que les individus de ces
quartiers peuvent sortir de l’entresoi
culturel dont on les accuse régulièrement. En outre, la
mobilisation des habitants, à partir de leur quotidien, ne vise pas uniquement à les aider à
résoudre leurs problèmes à l’échelle du quartier, voire audelà
: elle permet de leur faire croire à
nouveau au politique comme source de changement. Concernant l’argent, les ONG se heurtent
souvent à plusieurs difficultés: pour aller chercher des subventions publiques ou privées, il faut
maîtriser une culture de l’écrit. Or les couches populaires se caractérisent par trois éléments :
un statut socioprofessionnel modeste, des ressources économiques faibles et une fragilité du
rapport à l’écrit. Ce dernier aspect, conjugué au caractère peu lisible du paysage des
subventions publiques et privées, rend la recherche de financements ardue pour les petites
structures non professionnelles.
Dans un contexte de forte défiance envers les institutions et le personnel politique,
empowerment et community organizing doivent être considérés comme des outils permettant
de remobiliser «par le bas», les Français, notamment ceux appartenant aux couches les plus
populaires, en repartant de leur quotidien et ce afin de promouvoir de nouvelles façons de
concevoir les constructions de pouvoirs locaux. C’est ce que fait Graines de France, un cercle
de réflexion créé en 2010 pour traiter des différentes problématiques liées aux quartiers
populaires, au travers de formations à destination du public associatif des quartiers.
Réda DIDI (Fondateur du think tank Graines de France)
7. Quand les héroïnes de banlieue tiennent le haut de l’affiche
LE MONDE | 16.10.2014 à 17h25 Par
Sandrine Marques
Dominé par un regard masculin, le film « de banlieue » bouge sous le coup d’une déflagration
nommée Bande de filles (sortie le 22 octobre), la troisième réalisation de Céline Sciamma. Dans
ce récit d’émancipation féminine, nous suivons l’itinéraire complexe de Marieme, une lycéenne
de 16 ans qui se lie d’amitié avec trois filles affranchies. A leur contact, elle se libère de ses
entraves. Interprété par quatre actrices noires dans les rôles principaux, le film marque une
rupture avec les conventions d’un genre où les identités masculines tiennent le haut de l’affiche.
Là où leur sexe et la couleur de leur peau les ont longtemps condamnés à l’invisibilité, Céline
Sciamma donne à ses héroïnes un corps, une parole et un imaginaire.
L’atelle
fait en réaction aux codes édictés par un genre, né officiellement en 1995 avec La
Haine, de Mathieu Kassovitz ? Elle argumente : « Mon film ne s’est pas construit “contre” mais
“pour”. C’est une subtilité qui a son importance. L’idée était de ne regarder que mes héroïnes, de
leur faire toute la place à un endroit où elles n’en ont aucune. Mon film est postbanlieues
telles
qu’on les a représentées depuis vingt ou trente ans. Je suis d’abord spectatrice des énergies de
groupe dans l’espace public, de la façon dont les filles se l’approprient. A chaque fois que je les
croise, il y a quelque chose qui est de l’ordre de la fascination, de l’empathie. Et évidemment, ça
se double très vite d’une réflexion sur le fait que ce sont des invisibles. Comment vaton
les
déplier dans ce qui n’est pas une théorisation mais une incarnation de tous leurs contrastes ?
C’était le projet de mon film. »
PRISE DE CONSCIENCE D’UN ÉCHEC URBANISTIQUE ET SOCIÉTAL
Totalement absente de l’univers viril filmé par Kassovitz, l’ostracisation dont les filles de banlieue
font l’objet au cinéma renverraitelle
à celle qu’elles subissent dans leur milieu, où elles n’existent
qu’à la marge ? L’hypothèse est à nuancer. Entre 1982 et 1994, des films à l’économie modeste,
tournés par des réalisateurs débutants, souvent euxmêmes
issus de la banlieue, consacrent la
jeunesse masculine des cités HLM. Ces « documents » sont toutefois traversés par des
présences féminines : des mères ou des épouses, garantes d’un équilibre vacillant. On pense, à
ce titre, au Thé au harem d’Archimède (1985), de Medhi Charef, situé dans la cité des 4000 à La
Courneuve (SeineSaintDenis).
Ce film, né comme les autres à la faveur de la prise de
conscience d’un échec urbanistique et sociétal et d’un métissage croissant, reconduit une
histoire difficile de la postcolonisation.
Cette marginalisation s’estompe plus franchement au milieu des années 1990. Les femmes
occupent une place importante dans Douce France de Malik Chibane, qui sort en 1995, au
moment de l’avènement du « banlieuefilm
». Le genre va faire florès avec, entre autres
productions emblématiques, Krim de Ahmed Bouchaala (1995), Etat des lieux de JeanFrançois
Richet (1995), Petits Frères de Jacques Doillon (1999) ou encore Cour interdite de Djamel
Ouahab (1999). Malik Chibane est le premier réalisateur à faire le portrait de femmes. Il leur
trace une trajectoire romanesque et traite ouvertement de la question du voile et de
l’émancipation. Une approche qu’on retrouve dans l’ensemble de sa trilogie urbaine, qui compte
aussi Hexagone (1994) et Voisins, voisines (2005).
8. FILM FÉMINISTE DE VENGEANCE ET D’AMITIÉ
Mais c’est vraiment dans les années 2000 que les lignes bougent de façon notoire. Les fictions
sur la périphérie s’organisent dorénavant autour de destins féminins – dans Voyous, voyelles
(2000), de Serge Meynard, et surtout dans L’Esquive (2004), d’Abdellatif Kechiche, qui va faire
date. Les filles maîtrisent la langue, le jeu de la séduction (un marivaudage moderne) et, par là
même, leur environnement. Les voici même dotées d’un corps. Comme dans Samia (2000), de
Philippe Faucon, où des jeunes filles d’origine maghrébine, issues des quartiers nord de
Marseille, se baignent en bikini en compagnie de garçons, ouvrant une brèche transgressive et
sensuelle. Dans son essai intitulé Le Cinéma de banlieue : un genre instable (Mise au Point,
mars 2012), la chercheuse en cinéma Carole Milleliri souligne que « la place nouvelle accordée
aux femmes apparaît comme l’activation d’un élément sémantique jusqu’à présent secondaire
dans l’identité d’un genre. (…) Les films de banlieue des années 2000 montreraient les cités,
non plus seulement comme des espaces d’oppression (même si elles ne cessent pas de l’être),
mais aussi comme le terreau d’une possible émancipation culturelle et sociale. »
C’est ce qui est à l’oeuvre dans La Squale de Fabrice Genestal (2000), qui achève de
reconfigurer le genre en le déplaçant sur le terrain d’une lutte contre un ordre patriarcal,
dynamité par une Salomé noire des temps modernes. Film féministe de vengeance et d’amitié, il
entretient avec Bande de filles un horizon d’attente similaire, en accordant aux jeunes femmes le
droit d’être violentes, de disposer de leur corps et d’en jouir. En jouant tout à la fois avec les
codes de la virilité et ceux d’une féminité affichée.
Affublée des oripeaux masculins (veste et pantalon de jogging) qui visent à neutraliser une
féminité à fleur de peau, l’héroïne de La Squale se transforme à mesure qu’elle accomplit sa
vengeance. Chez Céline Sciamma, Merieme se métamorphose également. Lors d’un rite de
passage, elle devient « Vic » et son apparence oscille dès lors entre la dissimulation de sa
féminité sous des vêtements masculins et son exposition agressive. Céline Sciamma entend à
son tour déminer les assignations, en réinvestissant précisément les archétypes : « Mon héroïne
éprouve les identités qui sont à sa disposition dans la banlieue. Des identités qui sont
archétypales. Elle les vit à chaque fois pleinement, comme des hypothèses d’ellemême,
avec
une féminité plus offensive ou une virilité accommodante et confortable, qui lui permet d’avoir de
la tranquillité. »
Cet effacement du corps féminin, dans l’espace de la périphérie, est rendu nécessaire par
l’hostilité d’un milieu que contrôlent les hommes et la crainte de la « mauvaise réputation ».
Cette dialectique agitait précisément l’édifiant documentaire Les Roses noires, réalisé par
Hélène Milano en 2012. Celleci
donnait la parole exclusivement à des filles des quartiers nord
de Marseille et de la SeineSaintDenis.
C’est à ces jeunes femmes, qui dissimulent leur
féminité face à la pression religieuse, culturelle et familiale, que renvoient les « roses noires » du
titre.
CONSTAT SOCIOLOGIQUE
Dans Corps de banlieues, une enquête ethnologique menée pour une association de prévention
spécialisée du Vald’Oise
(Journal des anthropologues, 2008),les anthropologues Véronique
Duchesne et Francine Fourmaux font un constat similaire. « Les filles doivent jouer entre
séduction/transgression et discrétion/dissimulation. Plusieurs étaient préoccupées par la
question de “montrer ses formes” ou non, de porter des vêtements près du corps ou non. La
norme serait de ne pas laisser voir la morphologie, en particulier dans ses différenciations
9. sexuées, et en particulier aux garçons et aux hommes du quartier. Mais quelquesunes
transgressent cet interdit en portant un pantalon moulant. (…) Là encore, il s’agit moins de se
distinguer par le corps, de séduire, que de conformer son image de soi, montrer son
appartenance au groupe. »
Ces paroles convergentes autour de la difficulté d’être une femme en banlieue stigmatisent une
situation d’enfermement, qui répond à un confinement spatial. Mais certaines osent franchir le
pas et finissent par quitter leur milieu d’origine pour que leurs corps ne soient plus contrôlés,
comme on peut le voir dans Les Roses noires. C’est aussi la trajectoire de Vic dans Bande de
filles. La fiction de Céline Sciamma reconduit donc un constat sociologique. Mais au lieu de
filmer caméra à l’épaule et sans éclairage, la réalisatrice pare son film d’une dimension onirique
qui rompt avec un pacte naturaliste tenace : « On me reproche de styliser la banlieue. Ce qui
veut dire qu’il n’y aurait qu’une seule façon de la filmer pour ne pas la trahir. Mais filmer la
banlieue, caméra à l’épaule avec une lumière morose, c’est la styliser. C’est une stylisation
naturaliste, mais c’en est une quand même. Moi, je compose mon cadre et pose ma caméra.
C’est un trajet émotif, assez fantasmatique, qui convoque des outils du cinéma et passe par la
transfiguration de mes actrices. » L’ambition était de montrer des personnages féminins pluriels,
là où les expériences cinématographiques précédentes les cantonnaient souvent à un
archétype.
À VOIR
« Bande de filles », film français de Céline Sciamma (1 h 52). En salles le 22 octobre.
10. Seul un Français sur six dit appartenir à une «communauté» liée à
son origine
SYLVAIN MOUILLARD 15/10/2014
La Licra publie ce mercredi les résultats d'une étude OpinionWay sur les Français et le communautarisme.
La France connaîtelle
un repli communautariste, comme le serine le polémiste Zemmour ? Pas vraiment, à
en croire les principaux intéressés, les Français. Selon un sondage OpinionWay pour la Licra (1) rendu
public ce mercredi matin, seules 17% des personnes interrogées ont le sentiment d’appartenir à une
communauté spécifique du fait de leur origine. Les convictions religieuses ne semblent pas non plus prendre
une part prépondérante dans l’identification des sondés. 13% d’entre eux disent appartenir à une
communauté spécifique du fait de ce critère. Pour les trois quarts, il s’agit de la religion catholique.
«J’aimerais que ces Français puissent répondre aux oiseaux de mauvais augure comme Zemmour sur les
plateaux télé», explique Alain Jakubowicz. Au total, et certains étant dans les deux catégories, 22% des
Français disent appartenir à une communauté. Rassuré par ces chiffres, le président de la Licra se félicite
également du plébiscite accordé aux valeurs de la République, «prétendument ringardes et passéistes».
92% des sondés, qu’ils déclarent un attachement communautaire ou non, disent «tenir» au triptyque
«libertéégalitéfraternité
». 91% estiment que la laïcité est un «bon principe» pour la société française. Si le
«repli communautariste» apparaît donc comme largement fantasmé, cela n’empêche pas 72% des
personnes interrogées d’estimer que la France accorde «plus d’importance aux difficultés subies par
certaines minorités». Un sentiment de deux poidsdeux
mesures qui bénéficierait aux juifs et aux
musulmans (cités par 13% des sondés à chaque fois), ainsi qu’aux «immigrés, étrangers et sanspapiers
»
(18% au total). «Les gens estiment majoritairement qu’ils n’appartiennent à aucune communauté, mais ils
trouvent quand même qu’on s’intéresse plus aux autres qu’à eux, analyse Alain Jakubowicz. Il faut vider cet
abcès.»
11. Etrange laïcité à l'allemande
LE MONDE | 03.12.2012 à 14h42 Frédéric
Lemaître
Le vingtcinquième
congrès de la CDU ouvrira officiellement ses portes mardi 4 décembre à
Hanovre, à 10 h 30. En fait, les choses sont un peu plus compliquées : dès 8 h 30, ceux qui le
souhaitent peuvent participer à un office religieux oecuménique.
Comme les années précédentes, Angela Merkel devrait y assister. Bien que la Loi fondamentale
prévoit une séparation de l'Eglise et de l'Etat, les deux institutions sont rarement éloignées en
Allemagne. Comme l'a rappelé la chancelière allemande le 6 novembre dans un discours
prononcé devant le synode des églises protestantes d'Allemagne, le préambule de la
Constitution (en français sur le site du Bundestag) commence d'ailleurs par "conscient de sa
responsabilité devant Dieu et les hommes (...) le peuple allemand s'est donné la présente Loi
fondamentale". Rien n'illustre mieux cette proximité que l'engagement religieux de nombreux
responsables politiques.
Dans l'ordre protocolaire, le premier personnage de l'Etat, le président de la République Joachim
Gauck, est pasteur. Le deuxième personnage, Norbert Lammert (CDU), président du
Bundestag, est un catholique pratiquant. La troisième, la chancelière, est fille de pasteur. Quant
au quatrième, c'est le président du Bundesrat. Ce poste honorifique est pour un an occupé par
le président du BadeWurtemberg,
Winfried Kretschmann, pour l'instant seul élu Vert à présider
un Etatrégion.
"Kretsch", comme le surnomment les Verts, est un catholique pratiquant. Le 8
décembre, l'Académie catholique de Berlin l'invite d'ailleurs à plancher sur un thème allemand
en diable : "liberté religieuse active : une séparation coopérative de l'Etat et de l'Eglise".
"Séparation coopérative" : un oxymore qui fournit une précieuse clé pour comprendre la vie
politique allemande. Car le who's who politicoreligieux
berlinois réserve bien des surprises pour
un laïc français. Ainsi, à quel parti peut bien appartenir l'auteur d'un récent essai intitulé "la
religion n'est pas une affaire privée", qui, dans la presse, explique que"l'absence de religion peut
être dangereuse. Pensez seulement aux pires criminels dépourvus de religion du XXe siècle :
Staline, Hitler, Mao, Pol Pot" ? Adhèretil
à la démocratie chrétienne ? Au parti libéral ? Perdu :
Fervent catholique, Wolfgang Thierse est membre du parti socialdémocrate
(SPD) et même
l'un des viceprésidents
du Bundestag. Comme Katrin GöringEckardt.
Cette autre
viceprésidente
du Bundestag est une députée écologiste qui a fait des études de théologie et
qui cumule ses mandats politiques avec la présidence du synode des églises protestantes.
Quelques jours après avoir reçu Angela Merkel, Katrin GöringEckardt
a été désignée candidate
des Verts pour affronter la chancelière lors des prochaines élections générales, en 2013.
Les protestants qui
représentent, comme les catholiques, environ 30 % des Allemands sont
bien placés dans les allées du pouvoir. Sous l'autorité directe d'Angela Merkel, le secrétaire
général de la CDU, Hermann Gröhe, a, lui aussi, été membre du synode protestant. Le SPD
n'est pas en reste. FranckWalter
Steinmeier, président du groupe socialdémocrate
au
Bundestag, est un protestant convaincu. Le candidat du parti contre Angela Merkel, Peer
Steinbrück, a dû expliquer lors de son premier grand talkshow
télévisé qu'il avait rompu avec le
protestantisme quand il était jeune, mais avait renoué avec l'Eglise voici quelques années. Et au
gouvernement, Annette Schavan, ministre de la formation et de la recherche est une catholique
convaincue, tandis que Thomas de Maizière, ministre de la défense, s'exprime presque aussi
12. souvent sur l'importance du protestantisme dans sa vie que sur l'engagement de la Bundeswehr
en Afghanistan.
Si le SPD a longtemps été considéré comme plutôt protestant et la CDU plutôt catholique, les
frontières deviennent plus floues. La religion permet aussi à des opposants politiques de se
retrouver. Angela Merkel organisetelle
à la chancellerie un dîner pour les 70 ans d'un ancien
dirigeant protestant ? Katrin GöringEckardt
et FranckWalter
Steinmeier sont bien sûr invités.
Quand Norbert Lammert se rend au Vatican au printemps 2011 pour discuter de la visite de
Benoît XVI en Allemagne, il emmène sa viceprésidente
écologiste. Alors que l'Allemagne se
prépare à célébrer, en 2017, le 500e anniversaire de la Réforme luthérienne, le catholique
Norbert Lammert et le leader de l'opposition, le protestant FranckWalter
Steinmeier ont initié en
septembre un appel intitulé " un Dieu, une foi, une Eglise" qui prône le retour des protestants
dans l'Eglise de Rome. Tout cela crée des liens, influe sur le climat mais aussi sur le débat
politique. Lors de son discours devant les protestants, Angela Merkel a annoncé qu'un des
objectifs explicites de la politique étrangère allemande était le combat contre les persécutions
dont sont victimes les minorités religieuses, notamment les chrétiens. Par ailleurs les pouvoirs
publics se reposent largement sur les associations caritatives liées aux églises pour effectuer
de nombreuses tâches sociales. Deuxième employeur après l'Etat, les églises sont d'ailleurs
régies par un droit du travail spécifique qui, par exemple, ne reconnaît pas le droit de grève. Si en
Allemagne, l'Etat et la religion sont séparés, la laïcité n'y a manifestement pas la même
signification qu'en France.
13. Un chef d'entreprise se met hors la loi pour relancer le débat sur
la laïcité
LE MONDE | 10.02.2014 à 11h33 | Par Denis Cosnard
L'entreprise privée doitelle
devenir un lieu laïc, neutre, où le port de tout signe religieux
ostensible est prohibé, comme dans les services publics ? JeanLuc
Petithuguenin, le PDG et
fondateur du groupe Paprec, spécialisé dans la collecte et le recyclage des vieux papiers, des
piles, etc., en est convaincu. Et ce patron, militant antiraciste revendiqué, a décidé de joindre le
geste à la parole.
FAVORISER LE « VIVREENSEMBLE
»
Inquiet de la montée tant de l'intégrisme que du Front national, il vient de rédiger une « charte de
la laïcité et de la diversité » pour que son entreprise reste, ditil,
un havre de paix, où les salariés
travaillent ensemble quelles que soient leurs origines et leurs convictions. Pour relancer le
débat, aussi, après l'affaire de la crèche Baby Loup, à ChantelouplesVignes
(Yvelines), où une
salariée voilée a été licenciée en 2008. Validé par le personnel, le texte doit être présenté lors
d'une conférence de presse, mardi 11 février. Il est désormais censé s'appliquer aux 4 000
salariés du groupe fondé à La Courneuve (SeineSaintDenis).
Plusieurs des huit points de cette charte relèvent de la déclaration de bonnes intentions. Il s'agit
de favoriser « la cohésion d'entreprise, le respect de toutes les diversités et le vivreensemble
»,
indique, ainsi, le premier paragraphe.
« DEVOIR DE NEUTRALITÉ »
JeanLuc
Petithuguenin entend à la fois formaliser ce qui se pratique déjà dans le groupe, où
coexistent 52 nationalités, et poser des règles pour l'avenir. Un exemple ? « Nous n'avons pas
de salle de prière,indique le PDG. Avec ce corps de doctrine, nous pourrons dire niet si des
salariés en font la demande. ». Deux paragraphes vont nettement plus loin. L'un assigne un «
devoir de neutralité » aux salariés : « Ils ne doivent pas manifester leurs convictions politiques
ou religieuses dans l'exercice de leur travail. »
L'autre édicte une seconde interdiction : « Le port de signes ou tenues par lesquels les
collaborateurs manifestent ostensiblement une appartenance religieuse n'est pas autorisé. »
Cela vise en particulier le foulard islamique. Avec ces deux principes, la direction de Paprec va
audelà
de la loi. La législation française donne la priorité à la liberté de conviction, qui comprend
celle de manifester sa religion. Dans ces conditions, « l'entreprise ne peut être érigée en lieu
neutre », rappelle le gouvernement dans son guide La Gestion du fait religieux dans l'entreprise
privée, publié midécembre
2013.
« ON PREND LE RISQUE D'ÊTRE ATTAQUÉS AU TRIBUNAL »
« L'interdiction générale de toute conversation à caractère religieux ou du port de tout signe
religieux ne peut être imposée aux salariés »,confirme l'Association française des manageurs
de la diversité, en rappelant la jurisprudence du Conseil d'Etat : « Imposer un devoir de neutralité
14. serait une négation de la liberté religieuse. ». Seules sont autorisées des limitations précises,
justifiées, par exemple, par l'hygiène ou la sécurité : un maçon ne peut pas refuser de mettre
son casque au motif que ses convictions lui interdisent de couper ses cheveux.
Ces règles, le patron de Paprec les connaît, et ses juristes les lui ont rappelées. C'est en
connaissance de cause qu'il a choisi de s'inscrire hors la loi. « C'est vrai, en théorie, on peut
venir au travail avec des signes distinctifs religieux, reconnaît M. Petithuguenin. Mais nous n'en
voulons pas. On prend le risque d'être attaqués au tribunal. ». Un risque mûrement pesé. Le
patron estime que sa charte s'appuie sur une forte légitimité. Elle a été validée par les délégués
du personnel, et par référendum dans les usines où il n'y en a pas. « On a obtenu 100 % »,se
félicite le PDG.
« MONTÉE DU FANATISME »
« En Yougoslavie, j'ai vu la montée du fanatisme, appuie Miroslav Rancic, l'un des délégués.
Cela a commencé par de petites blagues entre collègues. Quand je vois comment cela monte
aujourd'hui en France, cela fait peur. ». Surtout, M. Petithuguenin juge nécessaire de « faire
bouger les lignes ».Il espère que d'autres patrons le suivront, et que les règles changeront. Le
terrain peut être jugé favorable. Actuellement, la justice peine à fixer sa doctrine sur la laïcité
dans les secteurs associatif ou privé, comme l'ont montré les multiples rebondissements de
l'affaire de la crèche Baby Loup. En mai 2013, le député (UMP) Eric Ciotti a voulu clarifier la
situation et a rédigé une proposition de loi visant à interdire tout port de signe religieux dans les
entreprises. Elle n'a pas été adoptée, mais le sujet pourrait revenir à l'ordre du jour, d'autant que
les demandes à caractère religieux sur le lieu de travail tendent à augmenter.
Mais, en lançant le débat, le PDG de Paprec prend un autre risque. Celui de susciter des
crispations, alors que, reconnaîtil,
le sujet n'a, pour l'heure, provoqué aucun problème dans son
groupe
15. Hélène, 17 ans, de la crise d'adolescence à l'islam intégriste
LE MONDE | 03.10.2014 à 11h33 Par
Soren Seelow
La chambre d'Hélène a vue sur son ancienne école maternelle. Derrière le voile rose des
rideaux de sa chambre, Hélène a vue sur les platanes de la cour de récréation de son ancienne
école maternelle. Des enfants y jouent à la marelle. Le toboggan n'a pas bougé. Hélène a 17
ans. Elle habite avec sa mère, enseignante près de Paris, dans un grand appartement de
fonction au premier étage d'une école de briques rouges. Voilà des semaines qu'elle n'est pas
sortie de chez elle. Cinq fois par jour, à heure fixe, elle file dans la salle de bains, enfile une
ample combinaison et se prosterne sur son tapis à poils roses pour la prière. Hélène n'a plus
d'amis garçons. Elle n'écoute plus de musique. La trousse de maquillage dont elle abusait il y a
encore quelques mois a fini à la poubelle. Elle a décroché les photos d'elle et de ses amis qui
formaient un grand coeur audessus
de son lit. Elle s'est acheté deux jilbeb, de longues robes
amples couvrant les cheveux et les formes du corps : un noir et un de couleur aubergine.
Cloîtrée dans sa chambre d'enfant, Hélène attend sa majorité : à 18 ans, elle ira au Caire
épouser son petit ami égyptien. Elle l'a écrit en lettres capitales en tête de ses vingtsix
« grands
objectifs » il y a un mois : « A mes 18 ans, mettre de l'argent de côté pour partir vite et pratiquer
ma religion. » Les deux amoureux comptent s'installer dans un pays qui respecte la charia pour
qu'Hélène réalise son rêve : porter le niqab et être « soumise à son mari », comme elle l'a
expliqué à Claire, sa mère.
PLUS DE PORC AU CLUB MED
Sur la table du salon, Claire étale énergiquement des dossiers, des albums photos, un
téléphone portable et allume son ordinateur. Echanges de SMS, courriers administratifs, profils
Facebook… Toutes les étapes de la radicalisation de son enfant, les signes de son « lavage de
cerveau », sont consignées. Hélène n'a jamais reçu d'éducation religieuse. Ses parents sont
athées et elle a grandi dans les locaux d'une école publique. C'est au printemps 2012, à l'âge de
15 ans, que la jeune fille s'est convertie à l'islam. Avec deux amies de collège, elle a prononcé
cette phrase : « Il n'y a de dieu qu'Allah et Mohammed est son messager. » Elle a cessé de
manger du porc et s'est mise à faire le ramadan, en cachette. Sa mère s'en est aperçue
pendant les vacances d'été au Club Med de Djerba, en Tunisie. Elle ne s'en est pas émue outre
mesure. Claire montre des photos de sa fille Hélène. Sa fille lui annonce alors qu'elle a décidé
d'arrêter de fumer, de ne jamais boire d'alcool, ni de sortir avec des garçons. « Elle semblait
chercher un cadre, une rigueur que nous ne lui avions peutêtre
pas offerte. Nous avons toujours
été un peu laxistes, surtout son père, dont je me suis séparée quand elle avait 6 ans, raconte
Claire, en quête perpétuelle de réponses. J'ai accepté sa conversion car elle ne semblait pas
porter à conséquence. »
Au début de cette année, la métamorphose de la jeune fille s'accélère. Hélène cesse de s'épiler
les sourcils, troque ses jeans slim contre d'amples vêtements. Elle rompt avec ses copains –
dont plusieurs musulmans – par refus de la mixité, abandonne le gospel. Un jour, devant sa
mère stupéfaite, elle déchire une photo d'elle enfant. Dans un mail de plusieurs pages à sa
famille, ponctué de sourates du Coran, elle annonce finalement sa volonté de porter le voile.
16. LES DÉCAPITATIONS ? « JE NE PEUX PAS JUGER »
Claire commence à s'alarmer. Elle se renseigne sur l'islam, engage de longues discussions
avec sa fille et lui montre des interviews d'Elisabeth Badinter, philosophe et féministe, ou de
l'imam de Bordeaux sur le port du voile. Sa fille lui répond que ceux qui ne respectent pas à la
lettre le Coran et la sunna, l'ensemble des règlements divins, ne sont pas de vrais musulmans.
« Je ne le savais pas encore, mais ma fille était en train de devenir salafiste », résume Claire. Si
les salafistes privilégient une lecture littérale des textes religieux, tous ne professent pas le
djihad. Hélène n'a jamais manifesté le désir de partir pour la Syrie. Tout laisse à penser qu'elle
s'identifie au mouvement quiétiste, axé sur la prédication. Mais cette petite fille qui n'a pas fini de
grandir a intégré des notions mal apprises dans la plus grande confusion. Hélène ne croit pas ce
que disent les médias. Elle regarde des vidéos de Nabil AlAwadi,
un prédicateur koweïtien
soupçonné d'être un des grands argentiers de l'« Etat islamique » (EI). « Des films qui
démontent la théorie de Darwin, parlent de fin du monde, de l'enfer et du paradis… », soupire sa
mère. Terrorisée à l'idée que sa fille puisse partir pour la Syrie, Claire arrive parfois à la
convaincre de regarder des reportages sur l'EI. Elle lui demande ce qu'elle pense des
décapitations. Sa fille répond : « Je ne peux pas juger, je ne crois que ce que je vois. C'est
peutêtre
un montage des Américains. – Et les prises d'otages ? – Ça dépend de la cause, ils
sont parfois bien traités. »
A la maison, Claire, la mère d'Hélène, a écrit noir sur blanc une série de règles de vie, comme
"ne pas se cacher les cheveux". Claire panique, emmène Hélène aux urgences psychiatriques.
Elle est énervée, sa fille calme. Le médecin lui explique qu'elle est fatiguée, qu'elle doit respecter
la foi de son enfant : « Ils ne comprenaient pas que je ne parlais pas de religion, mais de
manipulation mentale ! ». C'est le 20 mai que Claire a pris conscience que la conversion de sa
fille n'avait rien de spontané. Hélène est amoureuse d'un jeune Egyptien, Adham, rencontré en
3e au collège JansondeSailly
(Paris 16e). Le jeune homme lui envoie régulièrement des vidéos
salafistes et s'occupe de son éducation religieuse.
Claire saisit le smartphone posé sur la table du salon, qu'elle a confisqué à sa fille, et fait défiler
les messages. « Quand j'ai découvert cette correspondance, il m'a fallu une nuit pour tout lire.
Je n'y croyais pas, c'était horrible. Le lendemain matin, j'ai vomi. Puis je suis allée porter plainte
pour abus de faiblesse et emprise mentale, et j'ai formulé une opposition à la sortie du territoire à
la préfecture. » Les SMS que s'échangent Hélène et son petit ami égyptien sont empreints de
rigorisme religieux. Adham, qu'Hélène appelle « Nounours », est rentré au Caire au printemps. Il
téléguide sa promise, lui interdisant, entre des icônes en forme de coeur et des « MDR » (« mort
de rire »), tout contact avec les hommes. Il lui défend d'aller au cinéma, un acte de « mécréance
», et l'incite à rompre avec sa famille. La correspondance, intense et obsessionnelle, compte
des dizaines de SMS par jour.
« Pas de bises à personne, même si on te tue. Je te fais confiance (…). T'arrive à éviter les
hommes quand y a des invités ?
– Jvais essayer inch Allah
– Toucher homme étranger pubère = fornication. C'est un des trucs qui pourra annuler le
mariage (…). Bonne nuit mon coeur, ma vie, mon amour, ma princesse, ma femme, mon bébé.
17. – Tu vas annuler parce qu'on m'a forcée à serrer la main à un mec ? Je pourrais pas toujours
éviter Nounours, je fais ce que je peux, inch Allah
– Je rigole pas, tu fais pas ce que tu peux, tu le fais tout court (…). La religion passe avant tout.
Je t'aurais prévenue, c'est sérieux. ALLAH TE VOIT ! »
Adham promet à Hélène de l'emmener dans un Etat qui respecte la charia, comme Brunei, «
pays 100 % musulman ». Il la rebaptise « Sarah » – « ça passe mieux » – et lui explique que sa
mère est une « mécréante ». Hélène accuse Claire d'être « intolérante », rompt avec son
demifrère
et se fait exclure du stage de coiffure dans un salon mixte, qui devait valider son CAP.
Depuis quelques semaines, Claire a mis en place une tactique de « désendoctrinement »,
qu'elle appelle la « stratégie du rose » : « Faire appel à la raison est devenu impossible. J'essaye
de la guérir par l'amour. » Elle convainc sa fille de jeter son tapis de prière usé, lui offre un
chaton et l'emmène chez Ikea. Elle lui achète un tapis rose et un arbre à chat. Hélène ne jure
plus que par le petit chat, au point d'en oublier l'heure des prières. Elle s'est remise à lire les
livres qu'elle aimait enfant : les contes de Grimm et les Mille et Une Nuits. Mais le compte à
rebours a commencé dans la tête de Claire : dans onze mois, sa fille aura 18 ans.
18. Joël Mergui : “ Notre signal d’alerte doit être pris au sérieux”
LE MONDE | 18.09.2014 à 11h01 Propos
recueillis par Cécile Chambraud
Joël Mergui, président du Consistoire central, à Sarcelles (Vald'Oise),
le 21 juillet
Président du Consistoire central, la structure chargée d'organiser la vie cultuelle de la
communauté juive, Joël Mergui appelle à une réaction de la société française contre la montée
de l'antisémitisme.
Le nombre de juifs français qui partent en Israël augmente nettement cette année.
Pourquoi ?
L'inquiétude est profonde chez les juifs de France. La remontée de l'antisémitisme à partir des
années 2000, que l'on espérait conjoncturelle, est devenue chronique. Le pic actuel des départs,
le plus important depuis la création de l'Etat d'Israël, est la conséquence de l'augmentation des
actes antisémites et, de manière quasi directe, des attentats de Toulouse et de Montauban en
2012. Le temps que les familles prennent conscience que Toulouse n'a pas donné un coup de
frein, mais un nouvel élan à l'antisémitisme, puis qu'elles organisent un départ, il faut quelques
mois.
En quoi les attentats de Toulouse et Montauban ontils
donné de « l'élan » à
l'antisémitisme ?
On aurait pu penser qu'après un acte aussi dramatique, il y ait une réaction de honte, une prise
de conscience. Au contraire, dans les jours qui ont suivi, on a vu sur le Net des gens s'identifier
à l'assassin. Le mal a continué de progresser. Il n'y a pas eu de réveil des consciences. Depuis,
un jeune Français [Mehdi Nemmouche] a commis une tuerie à Bruxelles, des djihadistes sont
partis en Syrie, certains sont revenus. Ces attentats ont décomplexé une catégorie d'individus
qui expriment leur haine des juifs de façon publique, comme on l'a vu dans les manifestations en
juillet.
Quelles peuvent être les conséquences de ces départs ?
Mes prédécesseurs ont géré la croissance de la communauté juive. Aujourd'hui, nous risquons
de devoir gérer sa décroissance. Elle a cru en la France. Elle s'interroge aujourd'hui sur son
avenir. De l'attitude de la société française, de sa réactivité au moment présent dépendra l'avenir
de la communauté. Le djihadisme, qui fait partie de cette nouvelle forme d'antisémitisme, c'est
une haine des juifs et de l'Occident, une haine des valeurs de la République qui sont
complètement parallèles aujourd'hui. J'appelle notre société à voir ce parallélisme avant qu'il ne
soit trop tard. Il y a une nouvelle forme d'antisémitisme en France. Ce signal d'alerte que la
communauté juive, par son histoire, est en mesure de lancer à la France et à l'Europe doit être
pris très au sérieux.
Qu'attendezvous
de l'Etat ?
Les pouvoirs publics ont pris conscience de la gravité de la situation. Des mesures de protection
de nos lieux de culte ont été prises. Mais on ne peut pas s'en contenter. J'ai envie que la France
trouve d'autres solutions que de nous mettre sous protection policière permanente. Il faut des
résultats. Pour cela, nous demandons un plan d'action contre le racisme et spécifiquement
contre l'antisémitisme. Cette action doit impliquer plusieurs ministères. Peutêtre
fautil
un
19. ministère spécifique. Il faut une coordination entre police et justice et intervenir à l'école. Les
attentats contre la communauté, il y a quelques décennies, étaient commandités de l'étranger.
Merah et Nemmouche ont grandi dans l'école de la République. Il faut un travail de prévention et
d'éducation au travail, sur Internet, dans les prisons… Les relais d'opinion se sont trop peu
exprimés : enseignants, sportifs, artistes, parents, journalistes. L'antisémitisme n'est pas que le
problème des juifs. Le malaise des juifs dans une société signifie nécessairement que cette
société commence à aller mal. Elle doit se réveiller.
Quels témoignages recevezvous
de l'inquiétude au quotidien des juifs de France ?
Les chiffres publiés, importants, sont sousévalués.
Me sont rapportées quotidiennement de très
nombreuses agressions, des menaces, des insultes dans la rue, la voiture qui accélère très vite
à côté de vous… Vous n'allez pas porter plainte pour ça ! Dernièrement à Béziers , des jeunes
m'ont dit qu'ils avaient été insultés dans la rue et m'ont demandé ce que je leur aurais conseillé
de faire. Je n'ai pas su quoi répondre. Cela fait quinze ans que nous leur demandons de la
retenue et de rester dignes, et ils en souffrent même si, hélas, ils se sont habitués ! Je ne veux
pas que nos enfants s'habituent à être insultés dans la rue !
Les chiffres de l'alya sont un signal d'alarme. Une partie de la communauté a envie de
m'entendre dire qu'il faut partir. On nous demande : s'il le faut, saurezvous
nous donner le
signal du départ à temps ? Je ne me déroberai pas si je vois qu'effectivement une page se
tourne pour nous en France, mais j'espère vraiment n'avoir pas un jour à en arriver là.
20. Des imams à l’école pour se former à l’« islam de France »
LE MONDE | 23.04.2014 à 11h31 Par
Stéphanie Le Bars
A Lyon, un cursus original (ici le 7 avril 2014) aide les cadres musulmans à prévenir la
radicalisation de certains fidèles. Ils le disent euxmêmes
: ils n'auraient jamais dû être imams.
Venus du Maghreb et d'Afrique poursuivre leurs études de linguistique ou de management en
France, Mohammed, Youssef et Toufik n'envisageaient pas de carrière religieuse. Mais les
mosquées de France, en manque de cadres, ont happé ces trentenaires diplômés. Leur
connaissance de l'islam et du Coran, appris par coeur dans leur pays d'origine, l'opportunité de
s'installer dans la société française les ont amenés à prendre leur place dans la communauté
musulmane. A SaintEtienne
pour les uns, dans la banlieue lyonnaise pour d'autres.
Ce lundi matin d'avril, comme toutes les semaines depuis janvier, ils retrouvent une dizaine
d'acteurs du monde musulman, hommes et femmes, dans un local sommaire loué par l'institut
de formation de la grande mosquée, au coeur d'un quartier populaire de Lyon. Azzedine Gaci,
recteur de la mosquée de Villeurbanne, professeur à l'Ecole de chimie et de physique de Lyon et
figure incontournable de l'islam rhônealpin,
les met à niveau en droit musulman. L'aprèsmidi,
les étudiants rallieront l'Université catholique de Lyon pour un cours sur l'histoire des religions.
Droits des associations et histoire de la laïcité complètent ce programme inédit concocté pour la
deuxième année par l'université LyonIII,
l'Université catholique et la grande mosquée de Lyon.
Une formation subventionnée par l'Etat dans l'espoir de construire « un islam de France » et de
servir « l'intérêt général » ainsi que l'expliquait le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, en octobre
2013, lors de la remise des premiers diplômes. Pour coller à l'actualité, les formateurs ont prévu
fin mai un séminaire consacré aux « dérives sectaires et à la déradicalisation ». Un premier pas
pour contrer les difficultés, l'impuissance parfois, à doter les cadres musulmans d'outils
capables de juguler l'extrémisme d'une partie de leurs fidèles.
Car les jeunes imams, qui ont grandi dans un pays musulman, sont conscients de leurs limites.
« Mes connaissances sur la laïcité étaient plus que floues et j'avais besoin de cette formation
pour mieux comprendre la France et les Français car, souvent, les fidèles ne demandent pas
seulement un avis religieux », explique Toufik, arrivé d'Algérie il y a six ans et désormais imam à
la mosquée d'Oullins (Rhône). « Avant la formation, je ne comprenais pas pourquoi l'Etat
interdisait certaines choses en matière de religion ; maintenant je peux l'expliquer », confirme
Mohammed Bah, un jeune Guinéen, imam à SaintEtienne,
confronté comme ses pairs à des
revendications et des incompréhensions de la part de ses fidèles. Mais c'est aussi
théologiquement qu'ils doivent s'armer. « Même si elle demeure insuffisante pour répondre aux
défis actuels, cette formation est nécessaire », plaide M. Gaci. Face au discours « du juste
milieu » qu'il assure incarner, Toufik raconte « l'agressivité » de certains musulmans français. «
Il faut parfois du courage face à des jeunes qui veulent imposer leur loi. On a l'impression que
certains passent d'un extrême à l'autre et qu'une fois dans la religion, ils essayent d'en faire
toujours plus. Du coup, quand on essaye de tenir des positions modérées, ils nous traitent de
vendus. » « On se retrouve face à des gens qui ne sont pas formés, ni sur la religion, ni sur la loi
française », confirme Hacène Kharchaoui, agent funéraire musulman à Lyon et engagé auprès
de la mosquée. « En quête d’un leader, ils prennent des informations tous azimuts, à nous de
les aider à faire le tri, de leur expliquer les textes ».
21. « Ici, on donne aux cadres musulmans des réponses théologiques pour qu'ils ne soient pas
désarmés face à des jeunes plus identitaires que religieux ; ils peuvent avoir un rôle de
prévention », explique Hacène Taïbi, chargé de l'enseignement à la mosquée de Lyon. « Il ne
faut pas céder. » « Confrontés à des situations concrètes, les responsables musulmans de
France ne doivent pas répondre n'importe quoi, développe M. Gaci. On leur rappelle que le droit
musulman demande de tenir compte du contexte où l'on vit. Et qu'en conséquence, une fatwa
(un avis religieux) ne peut être ni importée ni exportée. Face à un discours religieux, il faut
répondre sur le terrain religieux. ». « Tout ce qui n'est pas interdit par un texte est permis. Il faut
rappeler cela aux jeunes qui se disent à cheval sur le licite (halal) et l'illicite (haram) »,
martèletil
encore à ses étudiants. « Ainsi, aucun texte n'interdit de participer à une élection.
Voter est donc permis », lancetil,
dans une allusion aux courants les plus radicaux qui se sont
récemment répandus sur Internet en assurant que participer à une élection dans un pays non
musulman était « haram ». « Certains fidèles contestent même les visites que l'on organise
pour les nonmusulmans
à la mosquée », explique Youssef Afif, collègue de M. Bah à
SaintEtienne.
« On leur rappelle que le prophète recevait des chrétiens et des juifs. Les plus
radicaux, on ne les revoit plus à la mosquée. »
M. Bah confirme une évolution de la jeunesse ces « cinq dernières années ». « Il y a ceux qui se
radicalisent d'un coup avec 1 % de connaissance religieuse et ceux qui “se réveillent” et
viennent vers nous pour se former. » Pour éviter aux plus fragiles de se « faire choper » par un
groupe radical, M. Afif évite désormais « les conversions en public lors de la grande prière du
vendredi ». « Sinon, les nouveaux fidèles deviennent une cible pour ceux qu’on appelle les
“recruteurs” ». « S'il est pris en charge par un groupe salafiste, un fidèle que j'ai converti peut
basculer et, au bout d'un mois, me traiter en ennemi », confirme M. Gaci. Comme cela existe
désormais dans quelques mosquées, les imams de SaintEtienne
souhaitent mettre en place
une formation de plusieurs heures, étalée sur plusieurs semaines, pour les personnes qui
souhaitent se convertir. Ailleurs, on s'interroge sur un meilleur contrôle de ce qui est enseigné
dans les écoles coraniques et une meilleure formation des enseignants qui y interviennent. «
Pour contrer la radicalisation des esprits, des discours et des comportements, il faudrait que les
imams puissent s'entourer de psychologues, de juristes, d'enseignants pour orienter ces
jeunes, estime encore M. Gaci, qui ne cache pas son inquiétude face aux évolutions actuelles. Il
faudrait que l'on puisse assurer une présence permanente dans les mosquées. Mais les
moyens manquent. » Pourtant, insiste, Toufik, le jeune imam d'Oullins, « il faut tenir, ne pas
laisser sa place, car sinon, après, ce sera pire ».