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Diplômes 2012
Pierre-Julien BERTAUX




Les subtilités des vins
  et leur révélation
        Mémoire de diplôme
          Strate College
         Promotion 2012




      D i r e c t e u r d e p ro j e t
      Jean-Paul GANDON
"Le vin crée une triple communion...
      Communion avec la terre dont il est issu,
  communion avec soi-même quand on le goûte,
communion avec les autres quand on en parle..."

                                Paul Claudel
Sommaire
            8     Introduction

           14   1/ L’essence et les sens du vin
           15     A/ L’Homme et les subtilités des vins
           15      a. Le fruit d’une complicité entre l’Homme et la nature
           23      b. Une correspondance des sens
           26      c. Accéder au plaisir par le rituel de la dégustation

           31     B/ Un objet culturel au centre de la table
           31      a. Sa place dans l’humanité
           36      b. Un plaisir inhérent à la gastronomie
           38      c. S’enivrer avec modération

           41     C/ Un imaginaire emblématique
           41      a. Une évocation de la beauté du monde
           46      b. Un univers en mouvement
           51      c. L’image de l’amateur de vin


           54   2/ Une demande trop influente sur l’offre
           55     A/ Evolution des comportements
           55      a. Sur les marchés matures
           58      b. À l’échelle mondiale
           60      c. Les causes

           63     B/ Réactions de la filière vitivinicole
           63      a. Une amélioration de la qualité
           66      b. Un héritage en danger
           70      c. Les vignobles du Nouveau Monde

           72     C/ Enjeux d’une médiation
           72      a. Le renouveau d’une culture vinique
           75      b. Le nouvel amateur
           79      c. L’intérêt du savoir-goûter
82     3/ Amener à la révélation
                   83      A/ Fonctionnement de la révélation appliqué au vin
                    83      a. Précisions sur la révélation et la subtilité
                    88      b. Les mécanismes de la révélation dans divers domaines
                    93      c. L’éducation pour accéder à la révélation


                   96      B/ Un univers engagé pour la révélation du vin
                            a. La découverte chez le producteur
                    96
                            b. Les outils de la découverte des vins
                   100
                            c. Le vin 2.0
                   106

                  109      C/ Eclairer les nouvelles routes des vins
                   109      a. Se connaitre soi-même
                   113      b. S’entrainer, autrement dit, goûter
                   119      c. Partir à la conquête de sa cave


                  122      Conclusion



      Glossaire   126
        Résumé    130
     Summary      132
  Bibliographie   134
Crédits images    138
Remerciements     139
Introduction
     Nous disons « le vin », au singulier, comme s’il était une simple boisson unique
     et uniformisée. La définition du vin en tant que « boisson fermentée préparée à
     partir de raisin ou de jus de raisin frais » (définition Larousse), ne dit rien de ce
     qu’il est vraiment. Le mettant au rang de simple boisson fermentée, elle pose la
     question de savoir de quelle manière il est considéré. Mais toute personne ayant
     goût aux vins sait que l’on parle, en réalité, des vins ou même de l’univers des vins.
10   Tout amateur impliqué sait que cet univers est vaste, fascinant et même infini. « Le             11
     vrai vin est plus qu’une boisson alcoolisée. »1 affirme l’importateur américain Ker-
     mit Lynch, dans le récit de ses rencontres avec les vignerons* des régions viticoles
     françaises, intitulé Mes aventures sur les routes du vin. Un vin est le reflet de son terroir,
     qui puise sa personnalité dans les entrailles de la terre. Il est un cadeau de la na-
     ture, révélé par le vigneron qui façonne sa vigne et son vin. L’univers des vins est
     riche de par la diversité des pays, des terroirs, des vignerons mais aussi de par les
     goûts des consommateurs, les situations de dégustation*, les capacités diverses des
     amateurs à la dégustation. Les vignerons qui font bien le vin, sont des Hommes
     passionnés, des Hommes qui ont chacun leur style, des artistes respectueux de
     la vigne, qui mettent un peu d’eux-mêmes dans chaque flacon. En plus d’être le
     discours de la terre et vmme, un vin est le souvenir d’une année. Le millésime*,
     au-delà d’une simple date rappelant l’âge de la bouteille, est le témoin du ciel de
     chaque jour de l’année.
     Pour celui qui goûte, avant d’être source d’ivresse, le vin est source d’agréables
     sensations et d’émotions. Néanmoins, il est un plaisir tellement fin et subtil qu’il
     demande un apprentissage et une aide. Déguster, c’est réveiller tous nos sens, leur
     demander le maximum de leurs capacités, avec concentration. Mais c’est aussi
     réveiller nos sens, dans le sens de leur apporter des sensations complexes et surpre-
     nantes. Le goût, l’odorat, la vue, mais aussi le toucher et l’ouïe se lient entre eux
     au moment de la dégustation afin de nous donner une perception globale du vin.
     Lors de la dégustation il devient un lien : lien entre celui qui goûte et ses souve-
     nir, lien entre ses perceptions et le terroir, lien entre le vigneron et le dégustateur.
     Surtout, il se fait lien entre ceux qui goûtent, il est un catalyseur de la convivialité.
     Vecteur d’imaginaires, d’idées, il aime que l’on parle de lui, autour de lui. C’est un
     concentré de joies, un poème à deux verres ou plus.
     Il ne devient un univers riche que pour celui qui sait goûter. La maîtrise de la
     dégustation n’est pas donnée à tous, elle est aussi subtile que le vin. Le vin se mé-
     rite, il ne se livre complètement qu’à celui qui sait, celui qui possède l’artisanat du


     1  LYNCH, Kermit, 2008, Mes aventures sur les routes du vin, Paris, Éditions Payot & Rivages,
     2008, p.340.
savoir-goûter*. Les subtilités des vins sont nombreuses et toutes liées entre elles.
                                 De la même manière, elles sont aussi liées à l’apprentissage, qui est la clef entre le
                                 dégustateur et le produit.
                                 L’intérêt pour les subtilités des vins est aujourd’hui grandissant chez les consom-
                                 mateurs. La multiplication de l’offre en terme de cours d’œnologie* en est un des
                                 reflets. Le consommateur veut s’éduquer aux plaisirs de savoir apprécier les vins.
                                 Un savoir qui signifie, entre autres, comprendre la structure du vin, discerner les
                                 cépages*, les régions, le vieillissement. Celui à qui les vins se sont révélés sait per-
                                 cevoir les arômes et autres perceptions sensorielles, mais aussi associer les mets et
                                 les vins et avec quelles personnes déguster quel vin. Ceci afin de faire de chaque
                                 flacon dégusté, un moment unique et agréable. Bonheur complexe à atteindre,
                                 complexe à définir, son sens se révèle à force d’attentions.
                                 Le vin ne se révèle pas de lui-même. Alors, devant cette difficulté du vin et cette
                                 lacune du consommateur, une aide extérieure aux subtilités des vins parait être
12                               indiquée. Une aide dont le but serait de révéler, comme enlever le bouchon sépa-           13
                                 rant le vin du consommateur. La question de révéler demande de savoir ce qu’est
                                 la révélation et comment agir sur elle. L’acte de la révélation est un mystère, alors
                                 que la révélation enlève le mystère. La révélation est synonyme d’une confidence,
                                 du dévoilement d’un secret. Mais elle est aussi une inspiration, un éveil, comme un
                                 acte de faire prendre conscience de la nécessité de comprendre. Elle est une aide
                                 à la découverte, l’aboutissement d’une quête, ou bien les étapes de progression
                                 d’une quête infinie. La révélation marque par elle-même mais aussi par la satis-
                                 faction de l’avoir atteinte. Elle est une notion ambiguë se situant entre un savoir
                                 donné, quand celui qui la reçoit est passif, et un éveil donnant l’envie d’être actif
                                 à celui à qui l’on révèle. Peut-être est elle un point de départ vers la recherche
                                 d’autres révélations. Révéler est alors donner mais aussi intéresser, afin que celui
                                 à qui l’on révèle ait envie d’aller à la recherche de ce qui ne lui à pas été donné.
                                 Le dégustateur atteint la révélation d’un vin, seulement lorsqu’il possède les
                                 connaissances lui permettant de l’interroger. On peut toutefois observer que les
                                 subtilités des vins commencent à se révéler au consommateur, du moins à dé-
                                 montrer leurs intérêts, lorsque l’on observe l’évolution des comportements de
                                 consommation. Autrefois principalement considéré comme aliment quotidien, il
                                 est maintenant un plaisir plus occasionnel réellement dégusté. L’intérêt pour le vin
                                 devient d’un ordre plus subtil, plus raffiné. De plus il est grandissant, se diffusant
                                 à travers le monde. De la même manière, la production autrefois limitée principa-
                                 lement à l’Europe méditerranéenne, s’étend à de nombreux pays. Des vignobles
                                 sont plantés sur tous les continents. Fiers représentants de diverses cultures, les
                                 vins et donc la révélation de leurs subtilités s’adressent à des publics divers, qui se
     « Le vin, de la poésie en   trouvent tout autour du globe. Révéler les subtilités des vins est alors pour l’instant
                                 une aspiration floue, tant la notion de révélation comme les subtilités des vins ont
     bouteille. »                besoin d’être cernés.
      Robert Louis Stevenson     L’univers des vins et la révélation ne peuvent pas être expliqués avec des termes
                                 courants. C’est pourquoi tous les mots suivis d’un astérisque sont définis dans le
                                 glossaire.
                                 Cette envie de rendre le vin plus accessible est motivée par celle de partager une
                                 passion, de la communiquer et de la faire comprendre. C’est une envie d’apporter
au plus grand nombre les plaisirs des vins, mais aussi une envie de faire com-
     prendre le respect mérité par le vin.

     La révélation des subtilités des vins pose bien des questions, telle celle de l’essence
     et les sens des vins, autrement dit, la nécessité d’expliquer les liens entre l’Homme
     et les subtilités des vins, la place du vin au sein des cultures, ainsi que l’imaginaire
     dégagé par ce produit.
     Mais elle soulève aussi le besoin d’observer l’évolution du monde des vins, d’expli-
     quer en quoi et pourquoi la demande est trop influente sur l’offre. Pour cela seront
     analysés l’évolution des comportements, la réaction de la filière vitivinicole face à
     cette évolution, de laquelle découlera l’enjeu d’une médiation.
     La troisième grande réflexion, est celle de la manière d’amener à la révélation.
     C’est donc dans une première mesure définir précisément ce qu’est la révélation
     lorsqu’elle est appliquée aux vins. C’est aussi se donner la possibilité de pouvoir
14   s’appuyer sur les précédentes initiatives réalisées pour révéler les subtilités des vins,   15
     afin d’en tirer les points positifs et de ne pas reproduire les erreurs potentielles.
     Cette troisième grande réflexion se conclut par une définition de ce qu’il est né-
     cessaire de révéler, et comment le révéler.
1    L’essence et
     les sens du vin.
      Ici se pose la question de savoir ce qui fait du vin une boisson différente des
      autres. Il est nécessaire d’expliquer pourquoi le produit de la vigne suscite un tel
                                                                                             A / L’HOMME ET
                                                                                                 LES SUBTILITÉS DES VINS.
                                                                                             L’Homme est lié aux subtilités des vins, Que ce soit le vigneron qui le fait ou le dégustateur qui le goûte*.


      engouement chez certains et de trouver ce qu’il a de si magique.


16                                                                                                 a. Le fruit d’une complicité entre                                                                        17

                                                                                                         l’Homme et la nature.


                                                                                             P
                                                                                                        arlons-nous de boire du vin ? Pas exactement. Disons plutôt goûter, dé-
                                                                                                        guster, apprécier le vin, le respecter. Ce fruit, le raisin dont est issu le vin,
                                                                                                        termine dans votre verre souvent plusieurs années après avoir été récolté.
                                                                                                        Des années pendant lesquelles des hommes ont pris soin de leurs vignes,
                                                                                             ont travaillé le raisin pour le faire devenir vin. Alors on en parle avec respect, car
                                                                                             cet élixir a quelque chose de spécial, il est éternel. Comme l’écrit John Arlott,
                                                                                             poète, auteur et amateur de vin Anglais « Le vin est une des grandes réussites de
                                                                                             l’homme pour transformer un fruit périssable en quelque chose de permanent. »1
                                                                                             Nous savons tous qu’il n y a pas un vin, mais des vins, et si nous savons tous que
                                                                                             le vin est du raisin ayant fermenté, la grande quantité de paramètres entrant en
                                                                                             compte dans l’élaboration du vin rend difficile la compréhension des subtilités
                                                                                             pour celui qui veut apprendre à goûter. Mais cette compréhension est indispen-
                                                                                             sable. Les qualités organoleptiques d’un vin étant directement liées à la manière
                                                                                             dont celui-ci est produit, la compréhension est le premier pas vers le plaisir com-
                                                                                             plet des sens. Cette idée peut s’étendre à l’ensemble de la gastronomie et d’autres
                                                                                             domaines. Platon disait que « Celui qui participe à un festin sans rien connaître de
                                                                                             l’art culinaire ne peut apprécier comme il convient la préparation des mets qu’on
                                                                                             lui sert. »
                                                                                             Un vin est un moment. C’est un moment présent, le moment de la dégustation.
                                                                                             C’est également un moment passé, un moment qui s’est produit un an, dix ans,
                                                                                             cinquante ans auparavant : le moment de la récolte. Le niveau de qualité de celle-
                                                                                             ci se révélera seulement au moment présent de la dégustation. Et c’est enfin un
                                                                                             moment futur, un souvenir. Chaque vin mène sa propre vie. Un exemple sera plus
                                                                                             parlant pour illustrer cette idée. Voici donc la vie d’un vin et d’un seul : 
                                                                                             Un soir d’été, dans un jardin de Rilly-la-Montagne, sous la lumière fuyante du
                                                                                             soleil, un liquide s’apprête à quitter son flacon de verre. On distingue à peine la

                                                                                             1  Toutes les citations sur le vin qui en sont pas référencés proviennent du site internet vignobleti-
                                                                                             quette. Adresse URL : http://www.vignobletiquette.com/padv/cita/citvingen.htm
« Une alchimie secrète s'empare des

     teinte de cette substance à travers la bouteille d’un vert presque opaque. Mais le
                                                                                                moindres richesses du terroir pour en
     col élancé, les courbes fluides et le fond piqué de la bouteille indiquent qu’il s’agit    composer un élixir sans pareil. »
     d’ un champagne s’apprêtant à remplir le verre. Ce vin, il n’est pas arrivé comme
     cela, par hasard. Il a bien son histoire. Car s’il y a une Histoire du vin, chaque vin     Maurice Constantin-Weyer
     possède sa propre histoire, chaque bouteille est un objet unique. Pour celui-ci, le
     début et la fin ont lieu  presque au même endroit. Dans la Marne, une grande
     formation rocheuse constituée de craie s’élève sous le nom de Montagne de Reims.
     Plusieurs villages entourés de vignobles peuplent cette montagne. Certains sont
     classés Grands Crus*, comme Verzenay ou Bouzy, d’autres sont classés Premiers
     Crus comme Villers-Allerand, près de Rilly-la-Montagne. Nous sommes en 2005,
     l’année où la France dit « non » à la Constitution Européenne, l’année où l’oura-
     gan Katrina dévaste la Nouvelle-Orléans, l’année où Nadal remporte sa première
     victoire à Roland Garros et l’année où une partie des grappes, dont est issu le vin
     reposant dans cette bouteille, ont poussé. Après les vendanges, dans une parcelle
18   au sol crayeux de ce dernier village, les huit mille pieds de pinot noir* par hectare                                              19
     sont plongés dans un sommeil hivernal bien mérité. En novembre le vigneron
     commence à tailler sa vigne, dans le froid, le dos courbé, afin d’éliminer les bois
     morts pour préparer les ceps* à produire les meilleurs raisins, pérenniser sa récolte
     et gérer ses rendements. Sans lui, la vigne s’émanciperait anarchiquement. Il sé-
     lectionne les rameaux fructifères* pour trouver le meilleur compromis entre quan-
     tité et qualité, en gardant seulement le nombre de bourgeons nécessaires à la
     production de son quota.  La vigne se réveille en mars, quand la sève remonte
     dans les rameaux restants. Sous le soleil printanier, le vigneron doit alors commen-
     cer à lier les sarments aux fils de métal qui maintiennent la plante. Quand les
     bourgeons sortent (on dit qu’ils débourrent) à la mi-mai, tout le savoir-faire du
     viticulteur* sera nécessaire pour épamprer, c’est-à-dire supprimer les bourgeons
     qui ne donneront pas de raisins et qui risqueraient de détourner la sève des bour-
     geons principaux. Ainsi le vigneron obtiendra une meilleure maturation* des
     fruits. La lutte  contre les maladies, parasites, mauvaises herbes et autres animaux
     nuisibles commence, en espérant que les aléas climatiques ne viennent pas anéan-
     tir tout le travail. En peu de temps, il faut palisser*. Quelques travailleurs saison-
     niers viennent alors séparer les rameaux pour aérer la vigne, exposer idéalement
     la plante au soleil et ne pas tenter la pourriture qui pourrait se développer à cause
     de l’humidité. Les fleurs apparaissent et quelques-unes tombent quand les autres
     se transforment en petits fruits verts. Au fil des semaines les baies grossissent (c’est
     la nouaison) jusqu’à la constitution d’une grappe herbacée.  Elles commencent
     doucement à se colorer (c’est la véraison), puis elles se chargent en sucre en se
     nourrissant du soleil. Encore un peu de temps et les grappes atteindront, cent
     jours après la floraison, leur parfaite maturité. Le viticulteur ne se relâche pas
     jusqu’aux vendanges en rognant la vigne avec sa cisaille ou sur son enjambeur
     (tracteur à vignes), supprimant les pousses sans raisin et une partie des feuilles dans
     un souci de meilleur ensoleillement. Les vendanges sont lancées au jour près,
     après avoir attendu que le raisin atteigne sa teneur en sucre idéale et avant qu’il
     perde son acidité. Il est à sa meilleure maturité. On décide de la maturité de la
     récolte en fonction du vin voulu. Il existe plusieurs types de maturité. Ainsi la ma-
     turité physiologique est le moment où la vigne arrête d’alimenter le raisin. Elle est
« Un vin doit avoir la tête de
                                                                                                    l'endroit où il est né et les
     mesurée selon un rapport sucre/acide dont l’optimum dépend du cépage et du
     terroir. La maturité technologique se réfère au rapport sucre/acide souhaitable                tripes de celui qui l'a fait. »
     pour la mise en œuvre de bonnes conditions de vinification*. La maturité phéno-                Jacques Puisais
     lique traduit la concentration maximum en tanins et anthocyanes* (pigments co-
     lorants des raisins) et leur extrabilité*. La maturité aromatique correspond à la
     richesse maximum en arômes et précurseurs d’arômes*. Ce jour-là, des cueilleurs
     de tous horizons viennent couper grappe par grappe le précieux fruit du travail de
     l’année. Les dos font mal, les coupures piquent les doigts mais la bonne humeur
     générale compense cet état de fatigue. Pâté, saucisson et vin rouge du «  casse-
     croute », ainsi que le champagne à volonté le soir, reflètent la convivialité du mo-
     ment. Ici, pas de machine à vendanger car seul l’Homme peux cueillir délicate-
     ment et sélectionner les grappes en écartant celles pourries ou pas suffisamment
     mures. Au même moment les pressoirs tournent à plein régime, marc après marc,
     remplissant les cuves du moût* : délicieux jus du raisin. Les baies éclatent, écrasées
20   délicatement par ces énormes machines. Le jus d’un marc est divisé en trois par-                                                 21
     ties de qualités différentes : la cuvée, la taille et la rebèche. Le jus est laissé au repos
     pendant douze heures, les impuretés tombent au font des cuves de débourrage.
     On soutire à ce moment le jus pour éliminer ces bourbes nuisibles à la qualité. On
     mesure la densité en sucre qui va annoncer le futur degré alcoolique, on ajoute
     ensuite un peu de sucre pour atteindre les douze degrés. C’est la chaptalisation.
     Tous parlent alors de la qualité de la récolte, faisant des prévisions sur le futur vin
     qui est maintenant dans les cuves de fermentation. Les levures commencent à
     faire leur travail dans le jus de ce pinot noir, transformant le sucre en alcool. La
     fermentation alcoolique* a commencé. Du gaz carbonique et de l’énergie sous
     forme de chaleur se dégagent. Une mousse se forme à la surface du mou. Le vin
     est alors souvent trop acide, c’est pourquoi on effectue une deuxième fermenta-
     tion, dite malolactique. Celle-ci consiste en une transformation par voix bacté-
     rienne des acides maliques en acides lactiques. L’acide malique est un diacide,
     donc il possède deux fonctions acides alors que l’acide lactique n’en possède
     qu’une. L’acidité baisse  alors de manière significative. Une fois la fermentation
     terminée,  le vin reste au repos quelques mois. Les lies (levures mortes) sont élimi-
     nées par soutirage. Au printemps le vigneron goutte les vins clairs de chaque
     cuvée, de différents cépages et millésimes. Il mélange ses échantillons, tente de
     trouver l’assemblage le plus harmonieux. Cet assemblage est personnel, il n’existe
     pas de recette universelle. Chaque chef de cave en garde soigneusement le secret.
     L’assemblage qui atteint le meilleur équilibre est reproduit sur l’ensemble de la
     récolte. Le pinot noir de notre parcelle est mélangé à du chardonay ou du pinot
     meunier, ou les deux, mais aussi à des vins d’années précédentes. Peut-être même
     du pinot noir de la même parcelle. La cuvée est maintenant réalisée. Le vigneron
     met alors le vin dans notre bouteille, il y adjoint une petite dose de liqueur sucrée
     et des levures sélectionnées. Le vin entame alors une troisième fermentation, mais
     cette fois il est emprisonné et le gaz carbonique ne s’échappe pas. La pression
     augmente jusqu’à six bars, provoquant la prise de mousse*. Tout se passe sous les
     voutes d’une cave creusée dans la craie, plusieurs mètres sous terre, là ou la tem-
     pérature est constante. Notre bouteille est empilée à l’horizontale sur d’autres
     bouteilles maintenues par des lattes de bois. Un nouveau dépôt s’est formé dans
notre vin qui est maintenant du champagne. Pour l’éliminer, durant plusieurs se-
                                                                                                « Tout l'attrait du vin
     maines, notre bouteille va être progressivement inclinée tête en bas en la tournant
     d’un quart de tour tous les jours. À la fin du remuage*, elle finit à la verticale, le            vient du fait que
     dépôt tout en bas est en contact avec la capsule. La bouteille est dégorgée par des
     mains entraînées : le caviste redresse progressivement la bouteille tout en arra-                     deux bouteilles
     chant la capsule. Le dépôt est éjecté avec un peu de vin sous la pression. Pour                         ne sont jamais
     rectifier le niveau de la bouteille, on ajoute la liqueur d’expédition qui selon sa
     concentration en sucre définit le dosage* du vin (extra-brut, brut nature, brut,                         parfaitement semblables. »
     extra dry, sec, demi-sec ou doux). Il est temps de boucher et museler. Étiquette et                     Edward Bunyard
     coiffe viennent habiller le flacon. La bouteille atterrit alors dans la cave de la mai-
     son de celui, chez qui ce récit a débuté. Après être restée quelques années à vieillir
     tranquillement et passée quelques heures dans le réfrigérateur, son heure est ve-
     nue. Le bouchon est éjecté pour atterrir dans les rosiers du voisin. Les flûtes se
     remplissent et la dégustation peut enfin commencer, après toutes ces années pen-
22   dant lesquelles plusieurs hommes ont travaillé à son élaboration quand le soleil, en                                                  23
     synergie avec la terre, alimentait la vigne.
     Voilà l’histoire d’un vin. Elle manque bien de détails, l’essentiel étant de raconter
     l’histoire de cette bouteille de champagne pour mieux comprendre son parcours,
     des vignes jusqu’au verre. Aussi pour comprendre que le vin est un produit com-
     plexe dans son élaboration. Mais des histoires de vins il y en a bien d’autres, écrites
     par d’autres terroirs, d’autres parcelles, d’autres sols, d’autres cépages, d’autres
     densités de pieds de vigne, d’autres âges de vigne, d’autres tailles de ceps, d’autres
     techniques viticoles, d’autres stades de maturation, d’autres millésimes, d’autres
     manières de vendanger, de pressurer, de vinifier, d’assembler, de faire vieillir, etc.
     Chaque action sur la vigne et le vin a des influences sur ses qualités organolep-
     tiques*. Chaque paramètre modifie le résultat. Même si certains vignerons mo-
     destes vous diront que leur travail ne consiste qu’à accompagner le raisin jusqu’à
     ce qu’il donne le vin, chacun d’entre eux a un style différent et participe à la per-
     sonnalité de ce vin. Le vigneron est un alchimiste qui métamorphose les moindres
     richesses de son terroir en un breuvage exquis. Oscar Wilde écrit dans Le Portrait
     de Dorian Gray que « […] tout portrait peint avec sincérité est le portrait de l’ar-
     tiste et non du modèle. Le modèle n’est que l’accident, l’occasion. Ce n’est pas
     lui qui est révélé par le peintre ; c’est plutôt le peintre qui, sur la toile peinte, se
     révèle lui-même. »2 Cette pensée peut en partie s’appliquer au vigneron, qui  est
     l’artiste se révélant dans le vin qu’il fait, mais un bon vigneron révèle surtout son
     modèle : le terroir. Même dans nos caves, le vin évolue différemment suivant les
     conditions dans lesquelles nous le faisons vieillir. Car le vin est un produit vivant et
     il demande des attentions. Il est donc important de savoir ce que l’on s’apprête à
     déguster. Le champagne, avec sa prise de mousse et ses assemblages de millésimes
     (qui en France ne sont autorisés que dans la Champagne), est un vin particulier.
     Chaque grand type de vin possède ses particularités. De même pour chaque ter-
     roir, au niveau du travail de la vigne et du vin. Mais les vins rouges, les vins blancs
     secs, et les blancs moelleux sont aussi le résultat de différences fondamentales.
     D’autres vins que les effervescents ont également de grandes particularités. Ainsi


     2  WILDE, Oscar, 1972, Le Portrait de Dorian Gray, Paris, Le Livre de Poche, p.46.
les vins doux naturels se démarquent par l’arrêt de leur fermentation grâce à un          tions. Il nous procure LE plaisir. La dégustation nous demande également de nous
     ajout d’alcool vinique à 95 %, dénuée d’arômes. Ce qui permet de garder un                concentrer sur nous-même, de nous connaître pour mieux appréhender le vin. La
     taux élevé en sucre. Quant aux vins de liqueurs, ils ont la même particularité sauf       dégustation est permanente, elle n’est pas un moment isolé, ce moment pendant
     que la liqueur injectée participe au goût final. Les vins de glace sont récoltés en       lequel on a le verre à la main. Elle est un art de vivre.
     janvier lorsqu’il fait 7° C afin que l’eau glacée reste emprisonnée dans les baies        On tente de séparer les arômes entremêlés, pour ensuite apprécier davantage le
     et que le jus soit fort concentré en sucre et acide. Les vins de paille aussi perdent     bouquet. Et quand bien même on essaye de distinguer individuellement chaque
     de l’eau mais par un procédé différent. Les grappes sont couchées sur de la paille        arôme, la magie du bouquet d’un vin résidant dans l’association structurée de
     jusqu’à ce que le raisin perde de l’eau par évaporation. Pour les vins pétillants, la     ses arômes, il est bien évident que l’on aura infiniment plus de plaisir à sentir
     fermentation est interrompue par le froid. Le vin est mis en bouteille et la fermen-      ces arômes liés que de sentir successivement un
                                                                                                                                                      "Le vin peut dégager une
     tation redémarre, mais cette fois le dioxyde de carbone reste dans la bouteille et se     bouquet de menthe, une plaquette de chocolat et
     dissout dans le vin. Les vins de voile sont les seuls pour lesquels on ne rajoute pas     quelques fruits rouges. On fait tourner le nectar telle force sensorielle qu’elle
     de vin dans les fûts lorsque le niveau baisse par évaporation et pénétration du vin       sur notre langue dans le but qu’il s’exprime sur en devient émotionnelle."
     dans le bois. Parmi les vins « particuliers », on peut aussi citer les tokays, les vins   chaque papille. Mais il est timide, alors pour le
     botrytisés ou encore les beaujolais. Les étiquettes, à condition de savoir les lire,      faire parler, nous devons l’interroger. Et lorsqu’il se met enfin à s’exprimer, on
24   nous apportent  beaucoup d’informations et permettent d’imaginer. Elles nous              reste à l’écouter. Il aime être au cœur des attentions mais il se donne davantage        25
     donnent des indices sur les sensations que les vins nous feront ressentir.                quand il est associé à un met. À la seule condition qu’il s’entende bien avec ce
                                                                                               dernier. Les vins sont, bien sur, tous différents, certains vont s’exprimer sur la du-
     Qu’il soit un grand vin prestigieux ou un vin de pays, toutes ses subtilités objec-       rée sans trop s’imposer, d’autres vont tenir un beau discours impressionnant, mais
     tives comptent et il est important de les considérer lors de la dégustation, car elles    vite lassant. Le vin est comme une personne, il a son caractère, sa personnalité, il
     participe à la magie du vin.                                                              demande de l’attention, il peut parfois mal tourner. Les sens n’en sont que plus in-
                                                                                               trigués, curieux, avant de se montrer satisfaits. Mais pour créer une proximité, une
                                                                                               complicité avec lui, il faut apprendre à le connaître, savoir le découvrir. Le goût et
                                                                                               l’odorat sont évidemment concernés, c’est là le langage avec lequel il est le plus à
                                                                                               l’aise. Mais de la même manière que nous avons un langage corporel, le vin nous
                                                                                               promet beaucoup ne serait-ce que par le son qu’il émet en se glissant dans notre
          b. Une correspondance des sens.                                                      verre, tel un animal qui parade pour attirer l’attention. Il nous parle avec sa robe*,




     D
                                                                                               il nous annonce ce qu’il va nous dire au nez et en bouche. Lorsqu’on le verse dans
                   ans son poème  correspondances, Baudelaire lie les sens. Il donne une       la bouche il nous montre sa présence, exhibe ses tanins, chatouille de son astrin-
                   couleur, une texture aux parfums. Les sens ici en synergie permettent       gence*. C’est un dialogue, il faut être à l’écoute, ne pas juger trop vite. Un vin, plus
                   d’accéder à quelque chose de plus spirituel, une sorte d’extase. Si le      qu’une robe, un nez, une bouche, est l’ensemble de toutes ces sensations. On exige
                   vin est un produit de savoir-faire, il existe pour donner du plaisir, un    de lui qu’il soit cohérent. Un vin, au nez superbe, risque de fortement décevoir si
     plaisir des sens. Lorsque l’on déguste ce sont tous les sens qui réagissent. L’osmose     la bouche ne suit pas. Il a été prouvé scientifiquement que la simple perception
     qui se créé alors nous amène plus loin que de simples sensations, mais à une réelle       d’une odeur stimule d’autres zones que celles spécifiquement olfactives, grâce à
     jouissance.                                                                               des phénomènes d’association.
     Les plaisirs des cinq sens, on en entend beaucoup parler, comme une justification         L’expression d’un terroir est également ce qu’il y a d’extraordinaire dans le vin.
     à tout. On vous éveille les sens dans un spa, chez le fleuriste, en vous vendant votre    Un vin, s’il est bien fait, possède un style qui lui est propre, un style qui est le ré-
     savon bio, au volant d’une voiture de sport. La sensation est partout. Mais le vin        sultât de tous les paramètres évoqués dans les pages précédentes. Mais l’exercice
     va plus loin. Le vin est un concentré de sensations, il a une manière bien à lui de       commence ici à être subtile, difficile. Le vin nous offre des sensations, mais nous ne
     les exprimer. S’il vous en donne de lui-même, il faut aller chercher les autres, se       sommes pas toujours réceptifs. Connaître le vin c’est aussi associer les sensations
     concentrer pour accéder à ses émotions  cachées, mais cet effort est récompensé.          au savoir. Pour raccorder un vin à son terroir, il faut commencer à bien percevoir
     Le vin peut dégager une telle force sensorielle qu’elle en devient émotionnelle.          les sensations qu’il offre. Ces sensations sont les éléments décrits sur une fiche de
     La dégustation a ceci de personnel qu’elle s’inscrit dans notre univers culturel          dégustation. C’est une fiche que l’on remplit pour juger un vin, et pour en laisser
     propre, construit par de précédentes dégustations, de souvenirs de goût, de sen-          une trace. Malgré le vocabulaire riche élaboré pour décrire les vins le plus objec-
     teurs collectées tout au long de la vie. Elle nous rend curieux des autres, de ceux       tivement possible, c’est avant tout, nos propres sensations que l’on perçoit. C’est
     qui font ces vins à travers le monde. Elle nous demande un travail, un travail long       pourquoi les subtilités sensorielles des vins seront décrites comme subtilités subjec-
     et complexe, qui ne s’achève jamais. Cet effort est couronné de maintes satisfac-         tives. On parle avant tout du goût des aliments et des vins, mais ici, le goût, renvoie
à toutes les perceptions sensorielles offertes. Chaque vin agite les cinq sens, mais                on distingue trois types d’arômes qui sont les arômes primaires ou variéteaux, les
     dans d’inégales proportions. Il est important de noter que l’on distingue les per-                  arômes secondaires ou techniques, et les arômes tertiaires, aussi appelés bouquet.
     ceptions sensorielles externes, celles qui sont présentes à l’extérieur de la bouche                Les arômes primaires sont issus du cépage, du terroir et du climat du millésime.
     et les perceptions internes qui se retrouvent en bouche.                                            Les arômes secondaires proviennent du travail technique fait sur le vin et de la
     Il faut l’avouer, l’ouïe occupe la place la moins importante dans la hiérarchie des                 fermentation. Enfin, le bouquet se développe avec le temps et a pour origine les
     sens du vin. Le vin suggère ce sens, il a un rythme, la dégustation a un rythme. La                 précurseurs d’arômes, des composés présents au début mais inodores et qui se
     manière dont il va s’ouvrir à votre nez, la longueur en bouche, il créé sa musique                  révèlent avec le temps, ou avec l’évolution des arômes primaires et secondaires.
     par d’autres sens que l’ouïe. D’ailleurs on l’associe volontiers à la musique. En-                  C’est la complexation. Les vins se différencient également du fait que certains ne
     semble ils sont synonymes de fête, on créé ainsi des événements dans les vignobles                  présentent qu’une seule ou peu de nuances olfactives quand d’autres se renouvel-
     comme « Musique au Chambertin »1, festival de concert lié à la dégustation à Ge-                    lent constamment au niveau de leur expression odorante. Là réside la complexité.
     vrey-Chambertin, en Bourgogne, ou les soirées organisées par « Musique et Vin »2                    L’intensité du vin est aussi une de ses caractéristiques. Une dernière subtilité à
     à Paris qui proposent des thématiques alliant chaque fois divers vins à la musique.                 percevoir est la présence ou non de défauts. Ces défauts ne sont pas forcément dé-
     On peut aussi citer Frédéric Beinex, DJ Bordelais qui se propose de révéler  la                     sagréables mais sont le résultat d’une dérive non souhaitée du vin. La bouche est
     mélodie d’un vin par une musique de la même année que le millésime. L’ouïe au                       un lieu ou trois des sens sont présents pour le vin, un nombre important de subti-
26   sens propre du terme est présente surtout dans le cadre du rituel de la dégustation.                lités y sont donc perceptibles. L’équilibre est la résultante de toutes les perceptions   27
     Le grincement de la mèche du tire-bouchon qui s’enfonce dans le liège, le son                       chimiques, donc des saveurs et des sensations chimiques au niveau du touché.
     inimitable du bouchon qui sort de la bouteille, le « glou-glou » du vin qui coule et                Le vin en bouche est rythmé en trois temps: l’attaque, l’évolution et la finale. La
     vient emplir le verre, les sons cristallins des verres qui s’entrechoquent… Tous sont               perception de l’équilibre évolue avec le temps sous l’influence de la salive. Pour les
     des bruits produits par les mouvements du vin et de ses contenants. Il n’y a que les                vins rouges, les caractéristiques principales en bouche sont l’acidité, la sucrosité
     vins effervescents qui ont vraiment un son propre, celui des bulles qui crépitent.                  (La sucrosité d’un vin est un équilibre complexe entre le degré alcoolique, le ni-
     Encore une fois les sens sont reliés puisque le son produit par les bulles annonce                  veau de sucre résiduel et le boisage) et enfin l’astringence liée aux tanins. Pour les
     leur finesse tactile.                                                                               vins blancs ce sont seulement la sucrosité et l’acidité, parfois la salinité. D’autres
     Les subtilités des vins au niveau visuel sont perçues par la limpidité et la brillance.             sensations sont perceptibles mais souvent dans une moindre mesure, ce sont la
     La brillance est l’éclat renvoyé par la surface du vin. Cette qualité est plus es-                  chaleur liée à l’alcool, l’amertume, le caractère rafraîchissant et le piquant du gaz
     thétique car elle ne peut pas être rattachée aux autres caractéristiques organo-                    carbonique. La viscosité est, elle, liée à la sensation voluptueuse  ou de volume
     leptiques du vin, exceptées parfois certaines maladies microbiennes du vin qui                      que l’on peut ressentir. L’effervescence, qui ne concerne que les vins à bulle, est
     peuvent entraîner une perte de brillance. La limpidité non plus ne peut pas être                    une caractéristique importante qui englobe l’intensité, la finesse des bulles et la
     associée aux autres caractéristiques du vin car elle est le fruit du travail de clarifi-            texture de la mousse. Les tanins sont identifiables par une certaine granulométrie
     cation (filtration, collage*, sédimentation*). Une autre caractéristique uniquement                 ou adhérence. Il existe plusieurs styles différents de tanin. Les tanins fins ou gras,
     esthétique est la viscosité, qui se décrit par les termes de larme, jambes. Ce sont                 doux ou durs. D’autres classifications existent mais elles sont très complètes et
     les larmes qui restent fixées à la paroi du verre lorsque l’on penche celui-ci. La                  complexes, et très peu de dégustateurs sont capables de les percevoir. Enfin la per-
     couleur, quant à elle, est une caractéristique importante car elle peut révéler le                  sistance aromatique concerne la durée de perception des arômes en bouche et se
     degré d’évolution, la maturité ou l’origine du raisin, et parfois certains défauts.                 mesure en codalies (secondes mentales). La persistance peut être aussi en rapport
     On peut parfois distinguer plusieurs notes chromatiques dans un même vin. La                        à une perception spatiale en bouche. En résumé, le vin agit de manière biologique
     couleur dominante est la teinte et les couleurs secondaires sont les nuances ou                     sur notre cerveau, mais il provoque dans l’esprit de l’amateur un désir intense.
     reflets. Par exemple la présence de nuances violette peut trahir un vin peu évolué                  L’idée de goûter un vin séduisant et sensuel excite le connaisseur. Certains provo-
     quand les nuances brunes peuvent montrer un vin assagi. L’intensité de la couleur                   quent des coups de foudre. Ce fut le cas me concernant avec un vieux Chassagne-
     est, elle, liée à l’origine de certains terroirs, aux cépages ou à une typicité, un style.          Montrachet que mon grand-père me fit goûter. Malheureusement l’étiquette avait
     Pour les vins blancs, l’intensité de la couleur et ses reflets sont parfois liés au terroir         été trop abîmée par le temps et il était impossible de savoir ni le millésime ni le
     ou à l’état de maturité du raisin à la vendange. En ce qui concerne les odeurs, il                  nom de l’artiste qui l’avait produit. Je n’oublierais jamais sa texture grasse et ses
     existe plusieurs classifications différentes classant les odeurs par familles et sous               arômes beurrés. Mais je regrette de ne pas avoir eu les capacités suffisantes pour
     familles, telle que la famille des fruits et la sous famille des agrumes. Dans le vin,              en percevoir toutes les subtilités. Ce grand vin fut une révélation pour moi et je
                                                                                                         souhaite à tout le monde de connaître pareille découverte. Ce jour là, la phrase de
                                                                                                         Napoléon Bonaparte : «Le vin inspire et contribue énormément à la joie de vivre
     1  Musique au Chambertin est un festival musical œnologique se déroulant chaque année à
     Gevrey-Chambertin.                                                                                  » prit tout son sens. Au même titre qu’un tableau, un vin s’admire et on peut donc
                                                                                                         parler de composition, de richesse et de style pour le décrire. Faire du vin est un
     2  Musique et Vin est un établissement situé à Paris. Adresse URL : http://www.musique-et-vin.fr/
art et déguster est un art de vivre. Le vin, lui, est unique, vivant, communiquant,         vin à la maison en imaginant déjà par quoi l’accompagner - un gibier, un dessert
     fragile, fort, timide... Mais certainement pas un banal produit de consommation.            chocolaté, un cigare - peut importait à cet instant. Il prit soin d’aller la ranger à la
                                                                                                 cave immédiatement à son retour, glissant soigneusement chaque bouteille dans
     Atteindre les plaisirs subtils du vin ne se fait pas aisément. Pour parvenir à com-         les casiers. C’était aussi un bon prétexte pour retrouver sa cave, qui commençait à
     prendre un vin, à apprécier tout ce qu’il peut offrir, on se livre à une sorte de rituel.   se remplir doucement de joyaux de toutes les régions. Il ouvrit une des bouteilles
                                                                                                 au bout de deux ans. Mais il constata que c’était trop tôt, ce sont des choses qui
                                                                                                 arrivent. Puis, pendant quatre ans, lors de ses visites régulières pour aller chercher
                                                                                                 un flacon, pour montrer son trésor à un ami passionné, ou pour aller simplement
                                                                                                 admirer seul, ces vins en train d’évoluer, il jetait un œil aux cinq bouteilles res-
                                                                                                 tantes. Ces flacons se paraient progressivement d’un manteau de poussière. Ils les
      c. Accéder au plaisir par le rituel de                                                     imaginait, tentait de deviner ce qu’elles allaient révéler. Il s’impatientait mais cette
                                                                                                 attente était nécessaire. Le plaisir de l’attente devient alors aussi fort que celui que
                 la dégustation.                                                                 l’on peut ressentir lors de la dernière journée de travail avant les vacances. Il vous




     U
                                                                                                 invite, c’est l’occasion de vous faire découvrir ce vin, alors revient la question de
28                  n rituel qui peut être charmant mais qui peut paraître froid et nous         l’accompagnement. Il n’est pas chasseur et vous ne fumez pas le cigare, il se décide        29
                    éloigner des plaisirs, du fait de l’extrême concentration qu’il implique.    donc pour un moelleux au chocolat. Viennent d’autres questions. Faut-il le cham-
                    Du moins pour celui qui débute dans la découverte des vins. Le mo-           brer* ? Quand le sortir de la cave ? Le mettre en carafe ? Puisqu’il se déguste à
                    ment de la dégustation est un moment hédoniste, un moment de ren-            quinze degrés, le simple fait de le carafer suffira à lui faire gagner les deux degrés.
     contre avec un ou plusieurs vins, un moment de partage avec d’autres amateurs.              De toute manière il y aura du dépôt donc il faudra délicatement verser le vin dans
     Le plaisir se doit d’être préparé, on n’imagine pas résumer ce moment à l’achat             la carafe en prenant soin de laisser le dépôt dans la bouteille. Il doit réfléchir aux
     hasardeux d’une bouteille que l’on ouvre aussitôt, on n’imagine pas non plus faire          verres adéquats. Il vient justement de s’offrir ces nouveaux verres extrêmement
     aussitôt glisser le vin dans sa bouche et s’arrêter là. L’action de déguster n’est pas      fins, ce qui les rend agréables. De plus, ils sont assez droits donc le vin se posera,
     synonyme de simplement boire. Dans chaque flacon, il y a en réalité une décou-              sur le bout de la langue, là où se perçoit le sucré, parfait. Tout est donc prêt, mais
     verte qui se mérite. Mais parce que les subtilités sont difficiles à saisir, elles ne se    il reste toujours cette inquiétude, celle d’avoir fait une erreur dans la préparation.
     révèlent pas n’importe comment. Celui qui ne connaît pas le vin ne dispose pas du           Les verres sont remplis au tiers, votre ami admire la belle couleur tuilée au-dessus
     mode d’emploi et rencontrera des difficultés pour comprendre le rituel nécessaire.          de la nappe blanche. Il s’extasie devant sa profondeur, saisit le verre par le pied
     Peut-être n’a-t-il pas envie de ce rituel long et complexe. Même si le vin est présent      pour ne pas le réchauffer ni faire de trace. Il penche son verre et admire les larmes
     lors d’un repas entre amis, il n’est pas toujours au centre des attentions, il va être      épaisses. Il approche lentement le verre de ses narines, perçoit progressivement
     bu et non goûté. Or, c’est passer à côté de ses plaisirs en le faisant simplement tra-      les arômes primaires, repose le verre. Il le maintient par le bas du pied pour faire
     verser sa gorge sans en garder de trace. Pour l’amateur qui connaît le vin, ce rituel       tourner le verre autour du vin qui danse élégamment et s’aère. Un sourire se
     est un bonheur, durant lequel une relation se crée avec le vin.                             dessine sur le visage de votre ami au moment de flairer le deuxième nez. Le fait
     D’ailleurs si votre ami, qui vous a invité à dîner, est passionné par le vin, le plaisir    d’aspirer fortement, de flairer, lui permet d’amener plus de stimuli plus rapide-
     qu’il aurait pu prendre ici a été altéré par votre manque d’attention. Le vin s’est         ment vers le plafond des fosses nasales, et donc de mieux percevoir les arômes. Il
     vu seulement dispersé dans les verres et non partagé. Il est, peut être, lui-même           réfléchit, il perçoit des senteurs, mais veut savoir lesquelles. Il se remémore celles
     frustré de ne pas avoir pu s’exprimer et qu’on ne parle pas de lui, ni au moment            qu’il a retenues au cours de son apprentissage et fini par en retrouver certaines
     de le regarder, ni au moment de poser son nez au-dessus du verre, ni même au                dans ce vin. Il en prend maintenant une belle goulée, qu’il mâche, mastique, fait
     moment de l’associer au moelleux au chocolat. Le dessert n’était pas simplement             tourner dans sa bouche, fait glisser sur chaque papille, à l’intérieur de ses joues
     ce moelleux, mais l’association de celui-ci avec ce verre de Banyuls*. Votre ami,           pour que celles-ci s’en imprègnent. Il aspire un peu d’air pour oxygéner le vin et
     lui, a commencé à opérer ce rituel six ans auparavant lors de ses vacances dans les         ainsi lui faire révéler tout ce qu’il cache. Il le fait parler, avec ses techniques d’in-
     Pyrénées Orientales. Il s’était rendu au Cellier des Templiers à Banyuls-sur-Mer            terrogatoire spécifiques. Le vin chauffe dans la bouche est devient de plus en plus
     pour faire un peu de tourisme vinicole. Après la visite des caves vint la dégustation.      expressif. C’est alors tout le bouquet qui s’exprime, ce bouquet composé de fruits
     Il fut alors séduit par ces arômes de fruits cuits, de tabac, de vanille et de torréfac-    cuits, d’arômes de torréfaction, de cuir. Des notes de fruits secs aussi, mais celles-
     tion. Il savait que ce vin était un bon vin car il pouvait le comparer à ce qu’il avait     ci, votre ami ne les a pas identifiées. Chacun est victime d’une certaine anosmie*
     déjà goûté. En effet le vin est aussi une affaire de comparaisons : comparaison de          pour certaines odeurs. Le goût sucré est légèrement temporisé par une discrète
     plusieurs vins lors d’une dégustation mais également comparaison avec les souve-            acidité, c’est un velours qui vient caresser l’intérieur de la bouche. Il avale mainte-
     nirs de vins précédemment dégustés. Il décida donc de ramener une caisse de ce              nant par petites gorgées, doucement, sans ouvrir la bouche. Après cela, il entame
le moelleux, une cuillerée, puis reprend une gorgée, et encore une cuillerée. Le
                                      temps de déglutir et votre ami vous demande aussitôt votre avis : « Oui, il est très
                                      bon. » Avec cette réponse, soit il se lance dans un argumentaire de dix minutes
                                      en vous expliquant comment ce vin est fait, quelles sont ses particularités, avec
                                      ses mots un peu savants sur le vin et vous ne comprenez rien. Soit il détourne le
                                      regard, regarde son verre et en reprends une bonne lampé. Il aurait aimé pouvoir
                                      discuter avec vous, échanger vos ressentis sur ce vin et se remémorer ce moment
                                      passé avec vous la prochaine fois qu’il ouvre une bouteille de Banyuls Grand Cru
                                      ou inversement, se remémorer ce vin la prochaine foi qu’il passe un moment avec
                                      vous. D’une manière certainement un peu excessive, Charles Maurice De Talley-
                                      rand, apprenant à l’un de ses hôtes qu’il faut déjà observer, puis humer longue-
                                      ment un vin avant de le porter à ses lèvres, répondit à la question de ce dernier «
                                      Et après, on le boit ? » par un « Non, Monsieur, pas encore ! Après, on repose le
                                      verre de vin sur la table, et on en parle. » 
30                                    Toutefois, il est certain que ce vin ne disparaîtra pas de la pensée de votre ami : à           31
                                      défaut ne de ne plus l’avoir dans sa cave, il en gardera toujours le souvenir dans
                                      sa vinothéque mentale. Il ne comprend pas pourquoi ce rituel ne vous parait pas
                                      naturel et vous ne comprenez pas comment le repas a pu se terminer de manière
                                      si peu conviviale. En effet, lorsque l’on déguste tranquillement avec ses amis, et si
                                      ces amis sont connaisseurs, il y a de fortes chances pour que la conversation monte
                                      au niveau de l’expertise. Que ce moment agréable se transforme en un interroga-
                                      toire, dont les termes savants dépassent le profane.
                                      Mais rassurez-vous, cela pourrait être pire. En effet, le cadre n’était pas trop aus-
                                      tère. Le bois brûlait dans la cheminée, les murs étaient peints d’un joli vert d’eau
                                      et Dark Side of The Moon des Pink Floyd résonnait en fond. Toutefois, pour une
                                      dégustation « idéale », l’ambiance doit être neutre, ne pas perturber. La tem-
                                      pérature ne doit être ni trop froide ni trop chaude. Et la teinte verte des murs a
                                      pu donner à vos sens l’illusion d’un vin légèrement plus frais et plus vif. En effet,
                                      selon Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde 1992, « un vin dégusté
                                      dans une ambiance fortement teintée de jaune paraît plus rond et onctueux que
                                      le même, goûté dans une lumière bleue ou verte, qui accentue notre impression
                                      de fraîcheur et de vivacité »1. Isabelle Doyen, fondatrice d’Aromatique Majeurs,
                                      un laboratoire de création en parfums, indique que « quand il fait trop humide
                                      ou qu’il y a trop de lumière, par exemple, on sent mal. »2 L’AFNOR (Agence
                                      Française de Normalisation) a mis en place un recueil de normes, qui touche le
     « Et si cela peut se dire,       local de dégustation mais aussi d’autre conditions de l’analyse sensorielle, dans le
                                      but de rendre la dégustation la plus efficace et objective possible. Le vin a l’image
     il s'écouta pendant un instant   d’un produit convivial et il l’est, mais il est parfois trop intellectualisé et le rite qu’il
                                      exige peut être effrayant, incompris. La situation de dégustation a son importance
      savourer le bouquet de vin. »
                                      dans la perception des vins et est partie intégrante du monde du vin, mais elle
       Eugène Sue                     peut rentrer en contradiction avec la notion de plaisir. Ce rituel ne doit avoir pour
                                      dessein que le plaisir des sens, et l’éveil des sens doit faire partie d’un plaisir plus
                                      grand : celui du moment de la dégustation. La dégustation a ses exigences, ses

                                      1  FAURE-BRAC, Philippe, 2008, Comment goûter un vin, Paris, Éditions du chêne, p.10.

                                      2  L’Amateur de Vins et Spiritueux, N° 117, mars 2011, p.56.
B / UN OBJET CULTUREL
          règles mais ce n’est pas aussi simple que cela. Le vin est une affaire d’émotions et il
          serait trop cartésien de ne parler ici que de technique. Il est bien sûr  indispensable
          de maîtriser la technique, mais il faut aller au-delà pour profiter pleinement. Il est
          nécessaire de ne plus penser à la technique. Il faut que la technique devienne un              AU CENTRE DE LA TABLE.
          automatisme afin de libérer l’esprit pour une meilleure dégustation. Le cadre de
                                                                                                     Le vin est un plaisir des sens, mais aussi un fort élément culturel. Il occupe une place importante, d’un point
          la dégustation, notre concentration, la forme de notre palais, la fatigue influent.
                                                                                                     de vue intellectuel, dans la vie et l’histoire des Hommes.
                                                  Les moments du vin sont nombreux et diffé-
   "Il faut que la technique de- rents. Le vin vit aussi ce moment et change
   vienne un automatisme afin selon notre état de perception. Les réflexions
   de libérer l’esprit pour une que l’on a pendant une dégustation, la tech-
                                                  nique : tout doit être plaisir. Peut-être le vin
   meilleure dégustation."                        semble-t-il inaccessible pour certains à cause                     a. Sa place dans l’humanité.
          de ce rituel, qui semble être réservé aux connaisseurs. Le vin est affaire de plaisir,




                                                                                                     L’
          et d’émotion, en toute circonstance. La dégustation associe le plaisir au sérieux.
                                                                                                                     acte d’ingérer consiste à faire passer un aliment de l’extérieur à l’in-
32        Elle est un plaisir sérieux. S’il ne faut pas s’affranchir du  sérieux, il faut encore                                                                                                                       33
                                                                                                                     térieur de notre corps. On accepte ainsi cet aliment comme partie de
          moins oublier le plaisir. Car c’est pour le plaisir que le vin existe.
                                                                                                                     soi. Si l’habitude nous fait considérer cet acte comme anodin, il ne
                                                                                                                     faut pas oublier qu’il est chargé de symbolique. Ainsi nous pouvons
                                                                                                     dire que nous sommes ce que nous mangeons et buvons. Le vin est très ancré
                                                                                                     dans cette valeur et son identification au sang a été fortement utilisé par la liturgie
                                                                                                     chrétienne. Le vin est vivant, il est en lien avec la vie des Hommes. Deux êtres
                                                                                                     conçoivent un enfant et la femme le porte dans son ventre jusqu’à la naissance
                                                                                                     en prenant grand soin qu’il se développe dans les meilleures conditions. La terre
                                                                                                     et le soleil font grandir les grappes sur la vigne et l’Homme fait en sorte que son
                                                                                                     développement se passe pour le mieux. L’enfant naît et grandit. Il est élevé au
                                                                                                     mieux pour devenir un être plein de qualités. Le raisin est vinifié avec le plus
                                                                                                     grand soin pour devenir un vin de la plus grande qualité possible. Le petit être
                                                                                                     grandit, mûrit, vieillit, acquiert de la sagesse et développe des qualités et défauts
                                                                                                     qui lui sont propre, en interaction avec le monde qui l’entoure. Son esprit et son
                                                                                                     corps changent. Le vin, lui, est élevé en cave, prend de la maturité. Les échanges
                                                                                                     lents avec l’atmosphère de la cave le font évoluer. Ses molécules se transforment.
                                                                                                     L’Homme vieillit, se cultive, gagne en sagesse et devient le meilleur de lui-même.
                                                                                                     Le vin aussi vieillit et gagne en équilibre, se structure pour arriver à son apogée*,
                                                                                                     le moment ou il sera le meilleur. Puis chacun de nous vieillit lentement et inexo-
                                                                                                     rablement, s’affaiblit, perd de ses capacités intellectuelles comme physique. Le
                                                                                                     vieillard, lui, parvient encore à nous passionner par le récit de son histoire person-
                                                                                                     nelle. Le vin, lui, a dépassé le moment ou son potentiel était le maximum, perd sa
                                                                                                     force et sa richesse et a de moins en moins à raconter. Et même si l’Homme et le
                                                                                                     vin se bonifient avec le temps, les années finissent par passer trop vite et les deux
                                                                                                     se meurent. En cela le cycle de la vie de l’Homme présente de fortes similitudes
                                                                                                     avec celui du vin. Le corps retourne à la terre tout comme les arômes du vin se
                                                                                                     dirigent vers cette terre d’où ils viennent. Les arômes fruités du vin jeune s’affi-
                                                                                                     nent avec le temps pour offrir des parfums floraux, végétaux puis minéraux. Il est
                                                                                                     ainsi en perpétuelle évolution, faisant le chemin inverse de celui qui l’a amené de
                                                                                                     la terre à la grappe. Chaque journée est le terrain de changements minimes mais
                                                                                                     fondamentaux, sur plusieurs années. Il est comme nous, seulement de passage, se
                                                                                                     transformant en permanence dans l’attente d’être au centre des attentions puis de
disparaître à tout jamais. Laissant parfois un souvenir, une pensée, mais rien de                              du temps le vin devient une constituante d’un art de vivre, pour finalement deve-
     plus. Ce rapport entre l’Homme et le vin, est joliment dit dans le film Sideways1                              nir un emblème de la culture française. Tout au long de l’Histoire, le vin est syno-
     par le personnage de Maya qui, lors d’une soirée bien arrosée, à la question de                                nyme de fête et de culture. Comme le formule Paul Claudel, diplomate et écrivain
     Miles « pourquoi aimez vous le vin ? » répond:                                                                 Français, « Le vin crée une triple communion… Communion avec la terre dont
     « J’aime penser à la vie du vin, à quel point c’est un être vivant. Et j’imagine ce qu’il a pu se passer       il est issu, communion avec soi-même quand on le goûte, communion avec les
     l’année ou ses grappes ployaient sous les raisins, s’il y avait beaucoup de soleil ou s’il pleuvait. J’adore
                                                                                                                    autres quand on en parle… » Toutes ces croyances, ces œuvres, ces pensées et
     aussi penser aux gens prêts pour les vendanges après tant de soins dispensés. Et si c’est un vieux vin,
     combien de ces femmes et hommes sont morts aujourd’hui. J’aime comme le vin évolue sans cesse.                 ces bouteilles dégustées prouvent que le vin tient une place à part dans la culture
     Si j’ouvre une bouteille aujourd’hui le vin aura un goût différent de celui qu’il aurait eu si j’avais         en général et particulièrement dans la culture culinaire. « […] la partie intellec-
     ouvert cette bouteille un autre jour. Parce qu’une bouteille de vin est un être chargé de vie. Elle est en     tuelle d’un repas. » pensait Alexandre Dumas. Certains œnophiles, vont même
     constante évolution, elle gagne en complexité. Jusqu’à son apogée—comme votre Cheval Blanc—et                  jusqu’à le considérer comme une œuvre d’art, au même titre que la peinture ou
     elle entame ensuite un lent et inexorable déclin. Et c’est surtout divin à goûter. »
                                                                                                                    la musique. Pourrait-on envisager de lui donner la place du 10e art ? Ce serait
     Chaque vignoble, chaque vin a son histoire et il a sa place dans l’Histoire. Durant
                                                                                                                    un bel hommage rendu à ces vigne-
     plusieurs dizaines de millions d’années, tout comme les Homo sapiens, la vigne a
                                                                                                                    rons, à ces intellectuels de la vigne,
     subi une lente évolution. L’Homme consomme son fruit depuis toujours, mais ce
                                                                                                                    trop souvent considérés comme de
34
     n’est que par accident, 6000 ans avant notre ère qu’il découvre le vin, en laissant                                                                                                                    35
                                                                                                                    simples « cul-terreux ». Jean-Paul
     fermenter le raisin. C’est en Mésopotamie et dans le Caucase que la vigne est
                                                                                                                    Kauffmann, journaliste et écrivain
     domestiquée. La culture de la vigne s’épanouit dans le bassin méditerranéen, et
                                                                                                                    Français, défend dans une entre-
     sous l’impulsion des Grecs et des Romains, cette région devient le berceau de la
                                                                                                                    vue donnée à la Revue du Vin de
     civilisation du vin. À l’époque de l’antiquité, le vin est bien différent de celui que
                                                                                                                    France3, l’aspect intellectuel du vin
     nous connaissons aujourd’hui. Il n’existe pas de méthode de conservation, le vin
                                                                                                                    : « Le plaisir des papilles n’est total
     n’a que les amphores pour contenants. Il est tout de même un produit d’échanges,
                                                                                                                    que s’il s’accompagne d’une dimen-
     et est exporté vers l’Angleterre et la Gaule. Les Gaulois étant de grands amateurs
                                                                                                                    sion culturelle, spirituelle… Je trouve
     de ce breuvage, ils importent la vigne. Le premier vignoble français est implanté
                                                                                                                    régressif le mépris actuel pour cet
     600 ans avant JC à Massalia, l’actuelle ville de Marseille. Mais ce sont les Romains
                                                                                                                    aspect intellectuel du vin, comme si
     qui étendent cette culture à travers toute la Gaule et jusqu’en Grande-Bretagne.
                                                                                                                    nous n’étions que de vulgaires pour-
     La sélection des cépages les mieux adaptés à la variété des terroirs commence pro-
                                                                                                                    ceaux d’Epicure, pour reprendre
     gressivement, et les méthodes de culture évoluent. La vigne s’installe dans toutes
                                                                                                                    l’expression d’Horace. Rien que par
     les régions viticoles que nous connaissons actuellement. La vigne est même plan-
                                                                                                                    la mémoire, l’aspect historique et
     tée en région parisienne, qui est alors l’une des plus grandes régions viticoles. Les
                                                                                                                    géographie d’une appellation, le sys-
     méthodes de vinification évoluent grâce aux Gaulois qui inventent le procédé de
                                                                                                                    tème analogique de la dégustation,
     vieillissement en fûts de chêne, donc aussi un outil permettant de conserver le
                                                                                                                    l’intellect est mis à contribution…
     vin. La vigne et le vin ont marqué la géographie.2 Aujourd’hui les vignobles ont
                                                                                                                    Nous sommes des buveurs de sens ».
     prit une surface importante des territoires et dessinent tout autour de la planète,
     bien des paysages. Les mythologies ont eu leurs divinités du vin, Bacchus chez les
                                                                                                                    Il est un élément inspirant dans l’art,
     Romains et Dionysos dans la théogonie Grecque. Bacchus, dieu non seulement
                                                                                                                    mais surtout un élément indispen-
     du vin mais aussi de l’ivresse, des débordements sexuels et de la nature, inspira
                                                                                                                    sable à un excellent repas pour la
     des artistes parmi les plus grands tel le Caravage ou Titien. Il était célébré lors des
                                                                                                                    plupart des gourmets. Le vin est, sur la table, aussi porteur d’intérêt que les mets.
     bacchanales, fêtes qui évoluèrent en orgies nocturnes et durant lesquelles les quali-
     tés sensorielles du vin n’étaient plus au centre de priorités. Le vin lui-même inspira
     une infinité d’artistes. Les natures mortes le font souvent apparaître. Les scènes où
     l’on boit le vin, comme  Le Buveur de Cézanne ou Les Buveurs de Van Gogh, sont
     représentatives des différentes visions que peuvent avoir les artistes du vin. Au fil


     1  PAYNE, Alexander, sideways, 2004. (dvd)

     2  Les informations précédentes sur l’Histoire du vin proviennent du site vignobletiquette. Adresse
     URL : http://www.vignobletiquette.com/info/hdlv.htm                                                            3  La revue des vins de France, N° 531, mai 2009.
36                                          37




     "Aujourd’hui les vignobles ont
     prit une surface importante des
     territoires et dessinent tout autour
     de la planète, bien des paysages."
b. Un plaisir inhérent à la gastronomie.                                                    posants pris isolément. »1 Le vin et le met se subliment l’un l’autre. Les deux, une
                                                                                                 fois associés, créent un niveau de plaisir supérieur. Un plaisir plus grand que le




     L
                                                                                                 plaisir de chacun. Il font plus que s’additionner.
                e principal besoin physiologique commun au vivant est de se nourrir.             Dans un restaurant, le prix des vins est multiplié par un coefficient allant de 3 à
                La plante, comme la vigne, s’alimente de la terre et du soleil. L’animal         10, par rapport à sa valeur chez le producteur2. Pourtant, lors d’un repas dans un
                et l’Homme se nourrissent du végétal et/ou de l’animal. L’acte de se             restaurant, même si le vin à tendance à revenir plus cher que les plats consom-
                nourrir a la particularité de nous apporter des sensations. L’Homme a            més, nous sommes nombreux à souvent commander une ou plusieurs bouteilles.
     donc appris à faire de cet élément de survie, un plaisir. Un plaisir qui revient tous       C’est dire à quel point le vin est lié à la gastronomie. Certains restaurants placent
     les jours, plusieurs fois par jours et qui devrait être commun à tous : le repas. La        d’ailleurs l’accent davantage sur la cave que sur la cuisine. Tel le restaurant Il
     culture alimentaire est une pratique humaine centrale, présente dans toutes les             Vino, créé par Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde en 2004. Dans ce
     civilisations et est une grande part de chaque culture. Le vin est un produit de            restaurant, le menu présente les vins, et seulement les vins. Pour chaque sélection
     terroir, tout comme le café ou le fromage. Il est en ce sens le représentant d’une          de vin, le Chef vous propose les mets les plus complices. Les rôles sont inversés.
     culture. Lors de voyages vous visitez des monuments, faites des rencontres, mais            C’est en quelque sorte le met qui accompagne le vin plus que l’inverse.
     aussi vous découvrez la cuisine locale et parfois les vins locaux. La culture unifie        Si accorder vins et mets est chose impor-
38   ou sépare les groupes humains, dans ce sens la gastronomie possède un aspect                tante, elle est loin d’être facile. Malgré le                                                        39
     identitaire. Ainsi, l’image du français est indissociable de celle de la baguette de        fait qu’à la maison, celui qui choisit le vin
     pain, du fromage qui sent fort et de la bouteille de vin pour un œil étranger.              n’est pas forcément celui qui cuisine, il
     Le fait de manger n’est pas toujours associé à celui de boire. Le repas est sou-            influe autant sur le repas, sur ce moment.
     vent accompagné d’eau, mais celle-ci est alors consommée seulement en tant que              Il peut sublimer le travail du cuisinier
     complément hydratant et facilitant la déglutition. La majorité des autres boissons          comme le gâcher. L’accord est complexe
     sont sucrées et ont tendance à alourdir ou atténuer les sensations tactiles et aro-         dans le sens ou chaque vin est typé, cha-
     matiques d’un plat, et donc de l’ensemble du repas. Elles ne permettent jamais de           cun est différent et les plats offrent une
     révéler les subtilités d’un met. Les arômes volatiles du vin excitent les cils olfactifs    nuance de goûts infiniment variée. Trou-
     de notre nez, prévenant ainsi le cerveau d’une possible mise en appétit. Nous de-           ver exactement le mariage idéal est un
     venons davantage réceptifs aux sensations. Mais surtout, le contact des aliments et         véritable savoir-faire, un métier : celui de
     du vin modifie les saveurs, autant pour le plat que pour le vin.                            sommelier. Choisir finement le vin qui va
     Si aujourd’hui le fait d’associer mets et vins semble pour beaucoup, évident, il n’en       accompagner un met, ou l’inverse, doit
     a pas toujours été ainsi. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, tellement de plats étaient       se faire avec finesse. Il y a des règles à res-
     servis en même temps que le vin était dégusté seulement en début ou fin de repas.           pecter. Certains détails sont à souligner
     Il était aussi dégusté pour célébrer une occasion précise. Il était donc impensable         et doivent être, pour le vin,du même type
     d’associer vins et mets. Aujourd’hui, les plats sont moins nombreux, et servis les          que le met. Il est d’usage de mettre en ac-
     uns après les autres, il est possible de les accorder. Le vin est maintenant princi-        cord la couleur, les saveurs, la force et le
     palement apprécié pendant les repas. Les valeurs données par le prestige ou la              niveau de qualité des deux. Une cuisine
     rareté d’un aliment influencent le plaisir. Ainsi le vin, lorsqu’il n’est pas vin aliment   fine invite un vin de la même finesse, une
     quotidien, est synonyme de plaisir lors d’un repas.                                         cuisine simple fait appel à un vin simple.
     Même si le vin n’est pas présent dans toutes les cultures, il a tendance à être adopté      De même qu’une cuisine régionale se révèle souvent mieux avec des vins locaux.
     dans plus en plus de pays. En témoigne l’intérêt naissant de la Chine. Le vin n’est,        Quelques principes de base sont donc à prendre en compte pour associer type de
     pour la plupart d’entre nous, pas systématique, mais il apparaît souvent sur la             vin et type de plats. Par exemples il est courant d’associer un poisson noble tel le
     table lorsque le repas à pour but premier l’hédonisme. Il est choisi en fonction des        turbot avec un vin blanc noble tel un Meursault ; ou des viande rouge tel qu’une
     mets, et parfois inversement. Que ce soit à la maison, au restaurant, entre amis,           entrecôte avec des vins rouges tel un Graves ou un Médoc. Il est aussi à prendre
     en famille, en repas d’affaire ou tout autre situation, il est un élément indissociable     en compte qu’aucune bouteille ne doit faire regretter la précédente. C’est-à-dire
     des plaisirs de la table pour beaucoup. Un bon accord met-vin semble apporter               que dans la suite des bouteilles, il y a un ordre à suivre. L’accord met et vin est
     beaucoup tant au plat qu’au vin. Kermit Lynch explique dans le récit de ses pé-             cependant victime de préjugés. Les codes imposants un vin blanc moelleux, tel un
     riples sur les routes des vins de France que (p.30)« […] vous pouvez créer “quelque
     chose” par un assortiment de manger et du boire qui dépasse chacun de ses com-
                                                                                                 1  LYNCH, Kermit, 2008, Mes aventure sur les routes du vin, Paris, Éditions Payot & Rivages, p.30.

                                                                                                 2  SCIENCE & VIE, Questions réponses : La science du vin.
sauternes avec un foie gras, ou un vin rouge avec le fromage restent pour beau-               provoque l’ivresse chez celui qui l’ingurgite. Comme nous le savons tous, l’alcool
     coup des règles invariables. Heureusement, cette vision évolue, grâce au travail              possède son lot de dangers. Dangers sanitaires de la prise trop régulière et en trop
     des sommeliers, et plusieurs accords sont toujours possibles.                                 grande quantité, dangers d’addiction, risques d’accidents, troubles du comporte-
     Pourtant, si le vin est indissociable de la gastronomie, il bénéficie moins des nou-          ment et autres. Il est évident que le vin quotidien "La dégustation hédoniste
     velles tendances qui apparaissent dans la nourriture. Par exemple des AMAP*,                  de l’alcoolique qui se soûle pour oublier ses tour-
     ou des tendances locavores*. Ces modèles ne pourraient certainement pas s’ap-                 ments n’a rien à voir avec le vin de la fête. Pour laisse place à l’alcool."
     pliquer directement au vin, mais une réflexion sur de telles innovations mérite               Baudelaire, le vin était un élément d’évasion. Il avait une vision amère du vin, le
     certainement d’être engagée. De plus, à l’heure des tendances fooding*, slow food*,           considérait comme un simple échappatoire. Vision triste que le dernier quatrain
     gastropub*, cuisine moléculaire, food art, fusion-food*, branchées et pas toujours dé-        de son poème Le vin des chiffonniers résume mélancoliquement :  
     nuées de sens, peu de projets touchent le vin. On voit le design culinaire se dé-             « Pour noyer la rancoeur et bercer l’indolence / De tous ces vieux maudits qui
     velopper, mais il semblerait qu’il ait oublié l’un des éléments les plus importants           meurent en silence / Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil / L’Homme
     de la gastronomie. Le vin ne pourrait que se réjouir d’une nouvelle image, d’une              ajouta le Vin, fils sacré du soleil ! »1      
     image d’innovation. Marc Brétillot, designer culinaire, avoue avoir travaillé une             Mais l’ivresse n’est pas toujours liée au spleen et l’objet ici n’est pas de traiter des
     fois sur le vin : « Oui j’ai travaillé sur deux bouteilles accolées avec d’un coté un         effets néfastes de l’alcool, mais d’établir une réflexion en rapport avec la découverte
40   vin de cépage et de l’autre du bouillon. Le concept est exprimé par l’objet. Les              des subtilités des vins, et l’ivresse est indissociable de ce breuvage. Bien tôt l’ivresse    41
     deux liquides se mélangent quand on les sert, j ai testé des accords : Betterave/             du vin est louée chez les Grecs et les Romains. Bacchus est cité comme celui qui
     Syrah ou Chardonnay/Topinambour…»3 Grâce à ses doubles bouteilles, Marc                       enlève le souci. Dans Le Banquet2 décrit par Platon, les convives font preuve de plus
     Bretillot sert vin rouge et vin blanc dans le même verre en même temps. Simple                de sincérité et d’intelligence après avoir atteint un niveau d’ivresse souhaité. Cer-
     provocation pour les véritables amateurs ou véritable tentative d’innover dans le             taines décisions politiques sont même prises en état d’ivresse pendant l’antiquité.
     monde trop figé du vin ? On reste visiblement bien loin de la révélation des sub-             S’enivrer de vin est un acte sociabilisant, que ce soit avec des personnes chères, des
     tilités des vins.                                                                             individus intéressants rencontrés lors d’une dégustation, d’une réception, d’une
                                                                                                   fête, autour d’un repas sophistiqué ou simple. Il provoque une exaltation à l’ori-
     S’il est un élément du repas, le vin est aussi, ne l’oublions pas, une boisson alcooli-       gine de bien des longues discussions et de bien des aveux. Nombreux sont les pen-
     sée. Il est une source d’ivresse, mais d’une ivresse souvent considérée comme plus            seurs, les poètes, à avoir loué les vertus de l’ivresse. L’ivresse est un état d’exaltation
     noble que celle des autres boissons.                                                          qui s’il est, par définition amené par l’alcool, peut être aussi, selon Baudelaire, pro-
                                                                                                   voqué par la poésie comme par la vertu. « Enivrez-vous »3, nous ordonne-t-il dès
                                                                                                   le titre de son poème. Le vin n’offre pas une échappatoire à la réalité, et si c’est ce
                                                                                                   que l’on cherche en lui, il ne sera que momentané, et jamais bon. Mais il permet
                  c. S’enivrer avec modération.                                                    de s’éloigner en toute conscience de la raison. Une ivresse raisonnable aide peut-
                                                                                                   être à se dévoiler. Horace ne disait-il pas que « Le vin met à jour les secrets cachés




     A
                                                                                                   de l’âme » ? Il est question dans ce mémoire de la révélation des subtilités des
                 près avoir offert tout ce qu’il avait, qualités et défauts, il quitte la bouche   vins, chose difficile, mais le vin, lui, ne rencontre aucun problème à nous ouvrir
                 pour aller se perdre dans le crachoir. Le vin n’est pas avalé, son action         aux autres, à nous décomplexer. Autour d’une table, ceux qui sont sous la légère
                 s’arrête aux effets qu’il produit en bouche. Quand la dégustation se              emprise de l’alcool font preuve de plus de sincérité, la timidité est abolie et l’ins-
                 veut être une analyse sensorielle des plus précises, elle n’autorise pas          tant en devient plus gai. Comme le dit Alain, « L’effet de l’ivresse est d’abolir les
     le vin à libérer son alcool dans le sang. Même si le fait de cracher peut paraître            scrupules du sentiment. » Qu’il soit bu à l’apéritif ou lors du repas, le vin est alors
     barbare, irrespectueux, il ne s’agit pas ici de rudoyer le vin, mais de ménager son           aussi un prétexte à l’ivresse. Certes, on se soûle avec élégance et retenue lorsqu’il
     esprit et son palais en tant que dégustateur. Garder les idées claires est le seul            s’agit de vin. On ne pratique pas le « binge drinking* » qui consiste à se soûler
     moyen de percevoir en profondeur plusieurs vins à la suite, de les juger avec pré-            le plus rapidement possible en buvant des vodkas ou autres spiritueux de piètre
     cision, sérieux et rigueur. Mais beaucoup s’accorderont à dire que ce n’est pas une           qualité. Toutefois, il ne faudrait pas stigmatiser les spiritueux puisque lorsqu’il
     condition nécessaire pour l’apprécier et en tirer de grandes joies. La dégustation            sont de bonne qualité, ils sont aussi une grande source de plaisir pour les sens,
     hédoniste laisse place à l’alcool. Cet alcool est par nature une composante du
     vin, puisqu’un jus de raisin fermenté devient vin, et elle participe, bien sûr, à son
                                                                                                   1  BAUDELAIRE, Charles, Le vin des chiffonniers (recueil de poèmes Les Fleurs du mal, 2011,
     goût. En plus du fait de participer aux qualités organoleptiques des vins, l’alcool           Paris, Le Livre de Poche).

                                                                                                   2  PLATON, 2007, Le banquet, Paris, Librio.

     3  Cuisine Créative, N° 37, novembre 2009, entrevue de Guillaume Delattre.                    3  BAUDELAIRE, Charles, Enivrez-vous (recueil de poèmes Petits poèmes en prose).
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Comment révéler toutes les subtilités des vins ? Pierre-Julien Bertaux

  • 2. Pierre-Julien BERTAUX Les subtilités des vins et leur révélation Mémoire de diplôme Strate College Promotion 2012 D i r e c t e u r d e p ro j e t Jean-Paul GANDON
  • 3. "Le vin crée une triple communion... Communion avec la terre dont il est issu, communion avec soi-même quand on le goûte, communion avec les autres quand on en parle..." Paul Claudel
  • 4. Sommaire 8 Introduction 14 1/ L’essence et les sens du vin 15 A/ L’Homme et les subtilités des vins 15 a. Le fruit d’une complicité entre l’Homme et la nature 23 b. Une correspondance des sens 26 c. Accéder au plaisir par le rituel de la dégustation 31 B/ Un objet culturel au centre de la table 31 a. Sa place dans l’humanité 36 b. Un plaisir inhérent à la gastronomie 38 c. S’enivrer avec modération 41 C/ Un imaginaire emblématique 41 a. Une évocation de la beauté du monde 46 b. Un univers en mouvement 51 c. L’image de l’amateur de vin 54 2/ Une demande trop influente sur l’offre 55 A/ Evolution des comportements 55 a. Sur les marchés matures 58 b. À l’échelle mondiale 60 c. Les causes 63 B/ Réactions de la filière vitivinicole 63 a. Une amélioration de la qualité 66 b. Un héritage en danger 70 c. Les vignobles du Nouveau Monde 72 C/ Enjeux d’une médiation 72 a. Le renouveau d’une culture vinique 75 b. Le nouvel amateur 79 c. L’intérêt du savoir-goûter
  • 5. 82 3/ Amener à la révélation 83 A/ Fonctionnement de la révélation appliqué au vin 83 a. Précisions sur la révélation et la subtilité 88 b. Les mécanismes de la révélation dans divers domaines 93 c. L’éducation pour accéder à la révélation 96 B/ Un univers engagé pour la révélation du vin a. La découverte chez le producteur 96 b. Les outils de la découverte des vins 100 c. Le vin 2.0 106 109 C/ Eclairer les nouvelles routes des vins 109 a. Se connaitre soi-même 113 b. S’entrainer, autrement dit, goûter 119 c. Partir à la conquête de sa cave 122 Conclusion Glossaire 126 Résumé 130 Summary 132 Bibliographie 134 Crédits images 138 Remerciements 139
  • 6. Introduction Nous disons « le vin », au singulier, comme s’il était une simple boisson unique et uniformisée. La définition du vin en tant que « boisson fermentée préparée à partir de raisin ou de jus de raisin frais » (définition Larousse), ne dit rien de ce qu’il est vraiment. Le mettant au rang de simple boisson fermentée, elle pose la question de savoir de quelle manière il est considéré. Mais toute personne ayant goût aux vins sait que l’on parle, en réalité, des vins ou même de l’univers des vins. 10 Tout amateur impliqué sait que cet univers est vaste, fascinant et même infini. « Le 11 vrai vin est plus qu’une boisson alcoolisée. »1 affirme l’importateur américain Ker- mit Lynch, dans le récit de ses rencontres avec les vignerons* des régions viticoles françaises, intitulé Mes aventures sur les routes du vin. Un vin est le reflet de son terroir, qui puise sa personnalité dans les entrailles de la terre. Il est un cadeau de la na- ture, révélé par le vigneron qui façonne sa vigne et son vin. L’univers des vins est riche de par la diversité des pays, des terroirs, des vignerons mais aussi de par les goûts des consommateurs, les situations de dégustation*, les capacités diverses des amateurs à la dégustation. Les vignerons qui font bien le vin, sont des Hommes passionnés, des Hommes qui ont chacun leur style, des artistes respectueux de la vigne, qui mettent un peu d’eux-mêmes dans chaque flacon. En plus d’être le discours de la terre et vmme, un vin est le souvenir d’une année. Le millésime*, au-delà d’une simple date rappelant l’âge de la bouteille, est le témoin du ciel de chaque jour de l’année. Pour celui qui goûte, avant d’être source d’ivresse, le vin est source d’agréables sensations et d’émotions. Néanmoins, il est un plaisir tellement fin et subtil qu’il demande un apprentissage et une aide. Déguster, c’est réveiller tous nos sens, leur demander le maximum de leurs capacités, avec concentration. Mais c’est aussi réveiller nos sens, dans le sens de leur apporter des sensations complexes et surpre- nantes. Le goût, l’odorat, la vue, mais aussi le toucher et l’ouïe se lient entre eux au moment de la dégustation afin de nous donner une perception globale du vin. Lors de la dégustation il devient un lien : lien entre celui qui goûte et ses souve- nir, lien entre ses perceptions et le terroir, lien entre le vigneron et le dégustateur. Surtout, il se fait lien entre ceux qui goûtent, il est un catalyseur de la convivialité. Vecteur d’imaginaires, d’idées, il aime que l’on parle de lui, autour de lui. C’est un concentré de joies, un poème à deux verres ou plus. Il ne devient un univers riche que pour celui qui sait goûter. La maîtrise de la dégustation n’est pas donnée à tous, elle est aussi subtile que le vin. Le vin se mé- rite, il ne se livre complètement qu’à celui qui sait, celui qui possède l’artisanat du 1  LYNCH, Kermit, 2008, Mes aventures sur les routes du vin, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2008, p.340.
  • 7. savoir-goûter*. Les subtilités des vins sont nombreuses et toutes liées entre elles. De la même manière, elles sont aussi liées à l’apprentissage, qui est la clef entre le dégustateur et le produit. L’intérêt pour les subtilités des vins est aujourd’hui grandissant chez les consom- mateurs. La multiplication de l’offre en terme de cours d’œnologie* en est un des reflets. Le consommateur veut s’éduquer aux plaisirs de savoir apprécier les vins. Un savoir qui signifie, entre autres, comprendre la structure du vin, discerner les cépages*, les régions, le vieillissement. Celui à qui les vins se sont révélés sait per- cevoir les arômes et autres perceptions sensorielles, mais aussi associer les mets et les vins et avec quelles personnes déguster quel vin. Ceci afin de faire de chaque flacon dégusté, un moment unique et agréable. Bonheur complexe à atteindre, complexe à définir, son sens se révèle à force d’attentions. Le vin ne se révèle pas de lui-même. Alors, devant cette difficulté du vin et cette lacune du consommateur, une aide extérieure aux subtilités des vins parait être 12 indiquée. Une aide dont le but serait de révéler, comme enlever le bouchon sépa- 13 rant le vin du consommateur. La question de révéler demande de savoir ce qu’est la révélation et comment agir sur elle. L’acte de la révélation est un mystère, alors que la révélation enlève le mystère. La révélation est synonyme d’une confidence, du dévoilement d’un secret. Mais elle est aussi une inspiration, un éveil, comme un acte de faire prendre conscience de la nécessité de comprendre. Elle est une aide à la découverte, l’aboutissement d’une quête, ou bien les étapes de progression d’une quête infinie. La révélation marque par elle-même mais aussi par la satis- faction de l’avoir atteinte. Elle est une notion ambiguë se situant entre un savoir donné, quand celui qui la reçoit est passif, et un éveil donnant l’envie d’être actif à celui à qui l’on révèle. Peut-être est elle un point de départ vers la recherche d’autres révélations. Révéler est alors donner mais aussi intéresser, afin que celui à qui l’on révèle ait envie d’aller à la recherche de ce qui ne lui à pas été donné. Le dégustateur atteint la révélation d’un vin, seulement lorsqu’il possède les connaissances lui permettant de l’interroger. On peut toutefois observer que les subtilités des vins commencent à se révéler au consommateur, du moins à dé- montrer leurs intérêts, lorsque l’on observe l’évolution des comportements de consommation. Autrefois principalement considéré comme aliment quotidien, il est maintenant un plaisir plus occasionnel réellement dégusté. L’intérêt pour le vin devient d’un ordre plus subtil, plus raffiné. De plus il est grandissant, se diffusant à travers le monde. De la même manière, la production autrefois limitée principa- lement à l’Europe méditerranéenne, s’étend à de nombreux pays. Des vignobles sont plantés sur tous les continents. Fiers représentants de diverses cultures, les vins et donc la révélation de leurs subtilités s’adressent à des publics divers, qui se « Le vin, de la poésie en trouvent tout autour du globe. Révéler les subtilités des vins est alors pour l’instant une aspiration floue, tant la notion de révélation comme les subtilités des vins ont bouteille. » besoin d’être cernés. Robert Louis Stevenson L’univers des vins et la révélation ne peuvent pas être expliqués avec des termes courants. C’est pourquoi tous les mots suivis d’un astérisque sont définis dans le glossaire. Cette envie de rendre le vin plus accessible est motivée par celle de partager une passion, de la communiquer et de la faire comprendre. C’est une envie d’apporter
  • 8. au plus grand nombre les plaisirs des vins, mais aussi une envie de faire com- prendre le respect mérité par le vin. La révélation des subtilités des vins pose bien des questions, telle celle de l’essence et les sens des vins, autrement dit, la nécessité d’expliquer les liens entre l’Homme et les subtilités des vins, la place du vin au sein des cultures, ainsi que l’imaginaire dégagé par ce produit. Mais elle soulève aussi le besoin d’observer l’évolution du monde des vins, d’expli- quer en quoi et pourquoi la demande est trop influente sur l’offre. Pour cela seront analysés l’évolution des comportements, la réaction de la filière vitivinicole face à cette évolution, de laquelle découlera l’enjeu d’une médiation. La troisième grande réflexion, est celle de la manière d’amener à la révélation. C’est donc dans une première mesure définir précisément ce qu’est la révélation lorsqu’elle est appliquée aux vins. C’est aussi se donner la possibilité de pouvoir 14 s’appuyer sur les précédentes initiatives réalisées pour révéler les subtilités des vins, 15 afin d’en tirer les points positifs et de ne pas reproduire les erreurs potentielles. Cette troisième grande réflexion se conclut par une définition de ce qu’il est né- cessaire de révéler, et comment le révéler.
  • 9. 1 L’essence et les sens du vin. Ici se pose la question de savoir ce qui fait du vin une boisson différente des autres. Il est nécessaire d’expliquer pourquoi le produit de la vigne suscite un tel A / L’HOMME ET LES SUBTILITÉS DES VINS. L’Homme est lié aux subtilités des vins, Que ce soit le vigneron qui le fait ou le dégustateur qui le goûte*. engouement chez certains et de trouver ce qu’il a de si magique. 16 a. Le fruit d’une complicité entre 17 l’Homme et la nature. P arlons-nous de boire du vin ? Pas exactement. Disons plutôt goûter, dé- guster, apprécier le vin, le respecter. Ce fruit, le raisin dont est issu le vin, termine dans votre verre souvent plusieurs années après avoir été récolté. Des années pendant lesquelles des hommes ont pris soin de leurs vignes, ont travaillé le raisin pour le faire devenir vin. Alors on en parle avec respect, car cet élixir a quelque chose de spécial, il est éternel. Comme l’écrit John Arlott, poète, auteur et amateur de vin Anglais « Le vin est une des grandes réussites de l’homme pour transformer un fruit périssable en quelque chose de permanent. »1 Nous savons tous qu’il n y a pas un vin, mais des vins, et si nous savons tous que le vin est du raisin ayant fermenté, la grande quantité de paramètres entrant en compte dans l’élaboration du vin rend difficile la compréhension des subtilités pour celui qui veut apprendre à goûter. Mais cette compréhension est indispen- sable. Les qualités organoleptiques d’un vin étant directement liées à la manière dont celui-ci est produit, la compréhension est le premier pas vers le plaisir com- plet des sens. Cette idée peut s’étendre à l’ensemble de la gastronomie et d’autres domaines. Platon disait que « Celui qui participe à un festin sans rien connaître de l’art culinaire ne peut apprécier comme il convient la préparation des mets qu’on lui sert. » Un vin est un moment. C’est un moment présent, le moment de la dégustation. C’est également un moment passé, un moment qui s’est produit un an, dix ans, cinquante ans auparavant : le moment de la récolte. Le niveau de qualité de celle- ci se révélera seulement au moment présent de la dégustation. Et c’est enfin un moment futur, un souvenir. Chaque vin mène sa propre vie. Un exemple sera plus parlant pour illustrer cette idée. Voici donc la vie d’un vin et d’un seul :  Un soir d’été, dans un jardin de Rilly-la-Montagne, sous la lumière fuyante du soleil, un liquide s’apprête à quitter son flacon de verre. On distingue à peine la 1  Toutes les citations sur le vin qui en sont pas référencés proviennent du site internet vignobleti- quette. Adresse URL : http://www.vignobletiquette.com/padv/cita/citvingen.htm
  • 10. « Une alchimie secrète s'empare des teinte de cette substance à travers la bouteille d’un vert presque opaque. Mais le moindres richesses du terroir pour en col élancé, les courbes fluides et le fond piqué de la bouteille indiquent qu’il s’agit composer un élixir sans pareil. » d’ un champagne s’apprêtant à remplir le verre. Ce vin, il n’est pas arrivé comme cela, par hasard. Il a bien son histoire. Car s’il y a une Histoire du vin, chaque vin Maurice Constantin-Weyer possède sa propre histoire, chaque bouteille est un objet unique. Pour celui-ci, le début et la fin ont lieu  presque au même endroit. Dans la Marne, une grande formation rocheuse constituée de craie s’élève sous le nom de Montagne de Reims. Plusieurs villages entourés de vignobles peuplent cette montagne. Certains sont classés Grands Crus*, comme Verzenay ou Bouzy, d’autres sont classés Premiers Crus comme Villers-Allerand, près de Rilly-la-Montagne. Nous sommes en 2005, l’année où la France dit « non » à la Constitution Européenne, l’année où l’oura- gan Katrina dévaste la Nouvelle-Orléans, l’année où Nadal remporte sa première victoire à Roland Garros et l’année où une partie des grappes, dont est issu le vin reposant dans cette bouteille, ont poussé. Après les vendanges, dans une parcelle 18 au sol crayeux de ce dernier village, les huit mille pieds de pinot noir* par hectare 19 sont plongés dans un sommeil hivernal bien mérité. En novembre le vigneron commence à tailler sa vigne, dans le froid, le dos courbé, afin d’éliminer les bois morts pour préparer les ceps* à produire les meilleurs raisins, pérenniser sa récolte et gérer ses rendements. Sans lui, la vigne s’émanciperait anarchiquement. Il sé- lectionne les rameaux fructifères* pour trouver le meilleur compromis entre quan- tité et qualité, en gardant seulement le nombre de bourgeons nécessaires à la production de son quota.  La vigne se réveille en mars, quand la sève remonte dans les rameaux restants. Sous le soleil printanier, le vigneron doit alors commen- cer à lier les sarments aux fils de métal qui maintiennent la plante. Quand les bourgeons sortent (on dit qu’ils débourrent) à la mi-mai, tout le savoir-faire du viticulteur* sera nécessaire pour épamprer, c’est-à-dire supprimer les bourgeons qui ne donneront pas de raisins et qui risqueraient de détourner la sève des bour- geons principaux. Ainsi le vigneron obtiendra une meilleure maturation* des fruits. La lutte  contre les maladies, parasites, mauvaises herbes et autres animaux nuisibles commence, en espérant que les aléas climatiques ne viennent pas anéan- tir tout le travail. En peu de temps, il faut palisser*. Quelques travailleurs saison- niers viennent alors séparer les rameaux pour aérer la vigne, exposer idéalement la plante au soleil et ne pas tenter la pourriture qui pourrait se développer à cause de l’humidité. Les fleurs apparaissent et quelques-unes tombent quand les autres se transforment en petits fruits verts. Au fil des semaines les baies grossissent (c’est la nouaison) jusqu’à la constitution d’une grappe herbacée.  Elles commencent doucement à se colorer (c’est la véraison), puis elles se chargent en sucre en se nourrissant du soleil. Encore un peu de temps et les grappes atteindront, cent jours après la floraison, leur parfaite maturité. Le viticulteur ne se relâche pas jusqu’aux vendanges en rognant la vigne avec sa cisaille ou sur son enjambeur (tracteur à vignes), supprimant les pousses sans raisin et une partie des feuilles dans un souci de meilleur ensoleillement. Les vendanges sont lancées au jour près, après avoir attendu que le raisin atteigne sa teneur en sucre idéale et avant qu’il perde son acidité. Il est à sa meilleure maturité. On décide de la maturité de la récolte en fonction du vin voulu. Il existe plusieurs types de maturité. Ainsi la ma- turité physiologique est le moment où la vigne arrête d’alimenter le raisin. Elle est
  • 11. « Un vin doit avoir la tête de l'endroit où il est né et les mesurée selon un rapport sucre/acide dont l’optimum dépend du cépage et du terroir. La maturité technologique se réfère au rapport sucre/acide souhaitable tripes de celui qui l'a fait. » pour la mise en œuvre de bonnes conditions de vinification*. La maturité phéno- Jacques Puisais lique traduit la concentration maximum en tanins et anthocyanes* (pigments co- lorants des raisins) et leur extrabilité*. La maturité aromatique correspond à la richesse maximum en arômes et précurseurs d’arômes*. Ce jour-là, des cueilleurs de tous horizons viennent couper grappe par grappe le précieux fruit du travail de l’année. Les dos font mal, les coupures piquent les doigts mais la bonne humeur générale compense cet état de fatigue. Pâté, saucisson et vin rouge du «  casse- croute », ainsi que le champagne à volonté le soir, reflètent la convivialité du mo- ment. Ici, pas de machine à vendanger car seul l’Homme peux cueillir délicate- ment et sélectionner les grappes en écartant celles pourries ou pas suffisamment mures. Au même moment les pressoirs tournent à plein régime, marc après marc, remplissant les cuves du moût* : délicieux jus du raisin. Les baies éclatent, écrasées 20 délicatement par ces énormes machines. Le jus d’un marc est divisé en trois par- 21 ties de qualités différentes : la cuvée, la taille et la rebèche. Le jus est laissé au repos pendant douze heures, les impuretés tombent au font des cuves de débourrage. On soutire à ce moment le jus pour éliminer ces bourbes nuisibles à la qualité. On mesure la densité en sucre qui va annoncer le futur degré alcoolique, on ajoute ensuite un peu de sucre pour atteindre les douze degrés. C’est la chaptalisation. Tous parlent alors de la qualité de la récolte, faisant des prévisions sur le futur vin qui est maintenant dans les cuves de fermentation. Les levures commencent à faire leur travail dans le jus de ce pinot noir, transformant le sucre en alcool. La fermentation alcoolique* a commencé. Du gaz carbonique et de l’énergie sous forme de chaleur se dégagent. Une mousse se forme à la surface du mou. Le vin est alors souvent trop acide, c’est pourquoi on effectue une deuxième fermenta- tion, dite malolactique. Celle-ci consiste en une transformation par voix bacté- rienne des acides maliques en acides lactiques. L’acide malique est un diacide, donc il possède deux fonctions acides alors que l’acide lactique n’en possède qu’une. L’acidité baisse  alors de manière significative. Une fois la fermentation terminée,  le vin reste au repos quelques mois. Les lies (levures mortes) sont élimi- nées par soutirage. Au printemps le vigneron goutte les vins clairs de chaque cuvée, de différents cépages et millésimes. Il mélange ses échantillons, tente de trouver l’assemblage le plus harmonieux. Cet assemblage est personnel, il n’existe pas de recette universelle. Chaque chef de cave en garde soigneusement le secret. L’assemblage qui atteint le meilleur équilibre est reproduit sur l’ensemble de la récolte. Le pinot noir de notre parcelle est mélangé à du chardonay ou du pinot meunier, ou les deux, mais aussi à des vins d’années précédentes. Peut-être même du pinot noir de la même parcelle. La cuvée est maintenant réalisée. Le vigneron met alors le vin dans notre bouteille, il y adjoint une petite dose de liqueur sucrée et des levures sélectionnées. Le vin entame alors une troisième fermentation, mais cette fois il est emprisonné et le gaz carbonique ne s’échappe pas. La pression augmente jusqu’à six bars, provoquant la prise de mousse*. Tout se passe sous les voutes d’une cave creusée dans la craie, plusieurs mètres sous terre, là ou la tem- pérature est constante. Notre bouteille est empilée à l’horizontale sur d’autres bouteilles maintenues par des lattes de bois. Un nouveau dépôt s’est formé dans
  • 12. notre vin qui est maintenant du champagne. Pour l’éliminer, durant plusieurs se- « Tout l'attrait du vin maines, notre bouteille va être progressivement inclinée tête en bas en la tournant d’un quart de tour tous les jours. À la fin du remuage*, elle finit à la verticale, le vient du fait que dépôt tout en bas est en contact avec la capsule. La bouteille est dégorgée par des mains entraînées : le caviste redresse progressivement la bouteille tout en arra- deux bouteilles chant la capsule. Le dépôt est éjecté avec un peu de vin sous la pression. Pour ne sont jamais rectifier le niveau de la bouteille, on ajoute la liqueur d’expédition qui selon sa concentration en sucre définit le dosage* du vin (extra-brut, brut nature, brut, parfaitement semblables. » extra dry, sec, demi-sec ou doux). Il est temps de boucher et museler. Étiquette et Edward Bunyard coiffe viennent habiller le flacon. La bouteille atterrit alors dans la cave de la mai- son de celui, chez qui ce récit a débuté. Après être restée quelques années à vieillir tranquillement et passée quelques heures dans le réfrigérateur, son heure est ve- nue. Le bouchon est éjecté pour atterrir dans les rosiers du voisin. Les flûtes se remplissent et la dégustation peut enfin commencer, après toutes ces années pen- 22 dant lesquelles plusieurs hommes ont travaillé à son élaboration quand le soleil, en 23 synergie avec la terre, alimentait la vigne. Voilà l’histoire d’un vin. Elle manque bien de détails, l’essentiel étant de raconter l’histoire de cette bouteille de champagne pour mieux comprendre son parcours, des vignes jusqu’au verre. Aussi pour comprendre que le vin est un produit com- plexe dans son élaboration. Mais des histoires de vins il y en a bien d’autres, écrites par d’autres terroirs, d’autres parcelles, d’autres sols, d’autres cépages, d’autres densités de pieds de vigne, d’autres âges de vigne, d’autres tailles de ceps, d’autres techniques viticoles, d’autres stades de maturation, d’autres millésimes, d’autres manières de vendanger, de pressurer, de vinifier, d’assembler, de faire vieillir, etc. Chaque action sur la vigne et le vin a des influences sur ses qualités organolep- tiques*. Chaque paramètre modifie le résultat. Même si certains vignerons mo- destes vous diront que leur travail ne consiste qu’à accompagner le raisin jusqu’à ce qu’il donne le vin, chacun d’entre eux a un style différent et participe à la per- sonnalité de ce vin. Le vigneron est un alchimiste qui métamorphose les moindres richesses de son terroir en un breuvage exquis. Oscar Wilde écrit dans Le Portrait de Dorian Gray que « […] tout portrait peint avec sincérité est le portrait de l’ar- tiste et non du modèle. Le modèle n’est que l’accident, l’occasion. Ce n’est pas lui qui est révélé par le peintre ; c’est plutôt le peintre qui, sur la toile peinte, se révèle lui-même. »2 Cette pensée peut en partie s’appliquer au vigneron, qui  est l’artiste se révélant dans le vin qu’il fait, mais un bon vigneron révèle surtout son modèle : le terroir. Même dans nos caves, le vin évolue différemment suivant les conditions dans lesquelles nous le faisons vieillir. Car le vin est un produit vivant et il demande des attentions. Il est donc important de savoir ce que l’on s’apprête à déguster. Le champagne, avec sa prise de mousse et ses assemblages de millésimes (qui en France ne sont autorisés que dans la Champagne), est un vin particulier. Chaque grand type de vin possède ses particularités. De même pour chaque ter- roir, au niveau du travail de la vigne et du vin. Mais les vins rouges, les vins blancs secs, et les blancs moelleux sont aussi le résultat de différences fondamentales. D’autres vins que les effervescents ont également de grandes particularités. Ainsi 2  WILDE, Oscar, 1972, Le Portrait de Dorian Gray, Paris, Le Livre de Poche, p.46.
  • 13. les vins doux naturels se démarquent par l’arrêt de leur fermentation grâce à un tions. Il nous procure LE plaisir. La dégustation nous demande également de nous ajout d’alcool vinique à 95 %, dénuée d’arômes. Ce qui permet de garder un concentrer sur nous-même, de nous connaître pour mieux appréhender le vin. La taux élevé en sucre. Quant aux vins de liqueurs, ils ont la même particularité sauf dégustation est permanente, elle n’est pas un moment isolé, ce moment pendant que la liqueur injectée participe au goût final. Les vins de glace sont récoltés en lequel on a le verre à la main. Elle est un art de vivre. janvier lorsqu’il fait 7° C afin que l’eau glacée reste emprisonnée dans les baies On tente de séparer les arômes entremêlés, pour ensuite apprécier davantage le et que le jus soit fort concentré en sucre et acide. Les vins de paille aussi perdent bouquet. Et quand bien même on essaye de distinguer individuellement chaque de l’eau mais par un procédé différent. Les grappes sont couchées sur de la paille arôme, la magie du bouquet d’un vin résidant dans l’association structurée de jusqu’à ce que le raisin perde de l’eau par évaporation. Pour les vins pétillants, la ses arômes, il est bien évident que l’on aura infiniment plus de plaisir à sentir fermentation est interrompue par le froid. Le vin est mis en bouteille et la fermen- ces arômes liés que de sentir successivement un "Le vin peut dégager une tation redémarre, mais cette fois le dioxyde de carbone reste dans la bouteille et se bouquet de menthe, une plaquette de chocolat et dissout dans le vin. Les vins de voile sont les seuls pour lesquels on ne rajoute pas quelques fruits rouges. On fait tourner le nectar telle force sensorielle qu’elle de vin dans les fûts lorsque le niveau baisse par évaporation et pénétration du vin sur notre langue dans le but qu’il s’exprime sur en devient émotionnelle." dans le bois. Parmi les vins « particuliers », on peut aussi citer les tokays, les vins chaque papille. Mais il est timide, alors pour le botrytisés ou encore les beaujolais. Les étiquettes, à condition de savoir les lire, faire parler, nous devons l’interroger. Et lorsqu’il se met enfin à s’exprimer, on 24 nous apportent  beaucoup d’informations et permettent d’imaginer. Elles nous reste à l’écouter. Il aime être au cœur des attentions mais il se donne davantage 25 donnent des indices sur les sensations que les vins nous feront ressentir. quand il est associé à un met. À la seule condition qu’il s’entende bien avec ce dernier. Les vins sont, bien sur, tous différents, certains vont s’exprimer sur la du- Qu’il soit un grand vin prestigieux ou un vin de pays, toutes ses subtilités objec- rée sans trop s’imposer, d’autres vont tenir un beau discours impressionnant, mais tives comptent et il est important de les considérer lors de la dégustation, car elles vite lassant. Le vin est comme une personne, il a son caractère, sa personnalité, il participe à la magie du vin. demande de l’attention, il peut parfois mal tourner. Les sens n’en sont que plus in- trigués, curieux, avant de se montrer satisfaits. Mais pour créer une proximité, une complicité avec lui, il faut apprendre à le connaître, savoir le découvrir. Le goût et l’odorat sont évidemment concernés, c’est là le langage avec lequel il est le plus à l’aise. Mais de la même manière que nous avons un langage corporel, le vin nous promet beaucoup ne serait-ce que par le son qu’il émet en se glissant dans notre b. Une correspondance des sens. verre, tel un animal qui parade pour attirer l’attention. Il nous parle avec sa robe*, D il nous annonce ce qu’il va nous dire au nez et en bouche. Lorsqu’on le verse dans ans son poème  correspondances, Baudelaire lie les sens. Il donne une la bouche il nous montre sa présence, exhibe ses tanins, chatouille de son astrin- couleur, une texture aux parfums. Les sens ici en synergie permettent gence*. C’est un dialogue, il faut être à l’écoute, ne pas juger trop vite. Un vin, plus d’accéder à quelque chose de plus spirituel, une sorte d’extase. Si le qu’une robe, un nez, une bouche, est l’ensemble de toutes ces sensations. On exige vin est un produit de savoir-faire, il existe pour donner du plaisir, un de lui qu’il soit cohérent. Un vin, au nez superbe, risque de fortement décevoir si plaisir des sens. Lorsque l’on déguste ce sont tous les sens qui réagissent. L’osmose la bouche ne suit pas. Il a été prouvé scientifiquement que la simple perception qui se créé alors nous amène plus loin que de simples sensations, mais à une réelle d’une odeur stimule d’autres zones que celles spécifiquement olfactives, grâce à jouissance. des phénomènes d’association. Les plaisirs des cinq sens, on en entend beaucoup parler, comme une justification L’expression d’un terroir est également ce qu’il y a d’extraordinaire dans le vin. à tout. On vous éveille les sens dans un spa, chez le fleuriste, en vous vendant votre Un vin, s’il est bien fait, possède un style qui lui est propre, un style qui est le ré- savon bio, au volant d’une voiture de sport. La sensation est partout. Mais le vin sultât de tous les paramètres évoqués dans les pages précédentes. Mais l’exercice va plus loin. Le vin est un concentré de sensations, il a une manière bien à lui de commence ici à être subtile, difficile. Le vin nous offre des sensations, mais nous ne les exprimer. S’il vous en donne de lui-même, il faut aller chercher les autres, se sommes pas toujours réceptifs. Connaître le vin c’est aussi associer les sensations concentrer pour accéder à ses émotions  cachées, mais cet effort est récompensé. au savoir. Pour raccorder un vin à son terroir, il faut commencer à bien percevoir Le vin peut dégager une telle force sensorielle qu’elle en devient émotionnelle. les sensations qu’il offre. Ces sensations sont les éléments décrits sur une fiche de La dégustation a ceci de personnel qu’elle s’inscrit dans notre univers culturel dégustation. C’est une fiche que l’on remplit pour juger un vin, et pour en laisser propre, construit par de précédentes dégustations, de souvenirs de goût, de sen- une trace. Malgré le vocabulaire riche élaboré pour décrire les vins le plus objec- teurs collectées tout au long de la vie. Elle nous rend curieux des autres, de ceux tivement possible, c’est avant tout, nos propres sensations que l’on perçoit. C’est qui font ces vins à travers le monde. Elle nous demande un travail, un travail long pourquoi les subtilités sensorielles des vins seront décrites comme subtilités subjec- et complexe, qui ne s’achève jamais. Cet effort est couronné de maintes satisfac- tives. On parle avant tout du goût des aliments et des vins, mais ici, le goût, renvoie
  • 14. à toutes les perceptions sensorielles offertes. Chaque vin agite les cinq sens, mais on distingue trois types d’arômes qui sont les arômes primaires ou variéteaux, les dans d’inégales proportions. Il est important de noter que l’on distingue les per- arômes secondaires ou techniques, et les arômes tertiaires, aussi appelés bouquet. ceptions sensorielles externes, celles qui sont présentes à l’extérieur de la bouche Les arômes primaires sont issus du cépage, du terroir et du climat du millésime. et les perceptions internes qui se retrouvent en bouche. Les arômes secondaires proviennent du travail technique fait sur le vin et de la Il faut l’avouer, l’ouïe occupe la place la moins importante dans la hiérarchie des fermentation. Enfin, le bouquet se développe avec le temps et a pour origine les sens du vin. Le vin suggère ce sens, il a un rythme, la dégustation a un rythme. La précurseurs d’arômes, des composés présents au début mais inodores et qui se manière dont il va s’ouvrir à votre nez, la longueur en bouche, il créé sa musique révèlent avec le temps, ou avec l’évolution des arômes primaires et secondaires. par d’autres sens que l’ouïe. D’ailleurs on l’associe volontiers à la musique. En- C’est la complexation. Les vins se différencient également du fait que certains ne semble ils sont synonymes de fête, on créé ainsi des événements dans les vignobles présentent qu’une seule ou peu de nuances olfactives quand d’autres se renouvel- comme « Musique au Chambertin »1, festival de concert lié à la dégustation à Ge- lent constamment au niveau de leur expression odorante. Là réside la complexité. vrey-Chambertin, en Bourgogne, ou les soirées organisées par « Musique et Vin »2 L’intensité du vin est aussi une de ses caractéristiques. Une dernière subtilité à à Paris qui proposent des thématiques alliant chaque fois divers vins à la musique. percevoir est la présence ou non de défauts. Ces défauts ne sont pas forcément dé- On peut aussi citer Frédéric Beinex, DJ Bordelais qui se propose de révéler  la sagréables mais sont le résultat d’une dérive non souhaitée du vin. La bouche est mélodie d’un vin par une musique de la même année que le millésime. L’ouïe au un lieu ou trois des sens sont présents pour le vin, un nombre important de subti- 26 sens propre du terme est présente surtout dans le cadre du rituel de la dégustation. lités y sont donc perceptibles. L’équilibre est la résultante de toutes les perceptions 27 Le grincement de la mèche du tire-bouchon qui s’enfonce dans le liège, le son chimiques, donc des saveurs et des sensations chimiques au niveau du touché. inimitable du bouchon qui sort de la bouteille, le « glou-glou » du vin qui coule et Le vin en bouche est rythmé en trois temps: l’attaque, l’évolution et la finale. La vient emplir le verre, les sons cristallins des verres qui s’entrechoquent… Tous sont perception de l’équilibre évolue avec le temps sous l’influence de la salive. Pour les des bruits produits par les mouvements du vin et de ses contenants. Il n’y a que les vins rouges, les caractéristiques principales en bouche sont l’acidité, la sucrosité vins effervescents qui ont vraiment un son propre, celui des bulles qui crépitent. (La sucrosité d’un vin est un équilibre complexe entre le degré alcoolique, le ni- Encore une fois les sens sont reliés puisque le son produit par les bulles annonce veau de sucre résiduel et le boisage) et enfin l’astringence liée aux tanins. Pour les leur finesse tactile. vins blancs ce sont seulement la sucrosité et l’acidité, parfois la salinité. D’autres Les subtilités des vins au niveau visuel sont perçues par la limpidité et la brillance. sensations sont perceptibles mais souvent dans une moindre mesure, ce sont la La brillance est l’éclat renvoyé par la surface du vin. Cette qualité est plus es- chaleur liée à l’alcool, l’amertume, le caractère rafraîchissant et le piquant du gaz thétique car elle ne peut pas être rattachée aux autres caractéristiques organo- carbonique. La viscosité est, elle, liée à la sensation voluptueuse  ou de volume leptiques du vin, exceptées parfois certaines maladies microbiennes du vin qui que l’on peut ressentir. L’effervescence, qui ne concerne que les vins à bulle, est peuvent entraîner une perte de brillance. La limpidité non plus ne peut pas être une caractéristique importante qui englobe l’intensité, la finesse des bulles et la associée aux autres caractéristiques du vin car elle est le fruit du travail de clarifi- texture de la mousse. Les tanins sont identifiables par une certaine granulométrie cation (filtration, collage*, sédimentation*). Une autre caractéristique uniquement ou adhérence. Il existe plusieurs styles différents de tanin. Les tanins fins ou gras, esthétique est la viscosité, qui se décrit par les termes de larme, jambes. Ce sont doux ou durs. D’autres classifications existent mais elles sont très complètes et les larmes qui restent fixées à la paroi du verre lorsque l’on penche celui-ci. La complexes, et très peu de dégustateurs sont capables de les percevoir. Enfin la per- couleur, quant à elle, est une caractéristique importante car elle peut révéler le sistance aromatique concerne la durée de perception des arômes en bouche et se degré d’évolution, la maturité ou l’origine du raisin, et parfois certains défauts. mesure en codalies (secondes mentales). La persistance peut être aussi en rapport On peut parfois distinguer plusieurs notes chromatiques dans un même vin. La à une perception spatiale en bouche. En résumé, le vin agit de manière biologique couleur dominante est la teinte et les couleurs secondaires sont les nuances ou sur notre cerveau, mais il provoque dans l’esprit de l’amateur un désir intense. reflets. Par exemple la présence de nuances violette peut trahir un vin peu évolué L’idée de goûter un vin séduisant et sensuel excite le connaisseur. Certains provo- quand les nuances brunes peuvent montrer un vin assagi. L’intensité de la couleur quent des coups de foudre. Ce fut le cas me concernant avec un vieux Chassagne- est, elle, liée à l’origine de certains terroirs, aux cépages ou à une typicité, un style. Montrachet que mon grand-père me fit goûter. Malheureusement l’étiquette avait Pour les vins blancs, l’intensité de la couleur et ses reflets sont parfois liés au terroir été trop abîmée par le temps et il était impossible de savoir ni le millésime ni le ou à l’état de maturité du raisin à la vendange. En ce qui concerne les odeurs, il nom de l’artiste qui l’avait produit. Je n’oublierais jamais sa texture grasse et ses existe plusieurs classifications différentes classant les odeurs par familles et sous arômes beurrés. Mais je regrette de ne pas avoir eu les capacités suffisantes pour familles, telle que la famille des fruits et la sous famille des agrumes. Dans le vin, en percevoir toutes les subtilités. Ce grand vin fut une révélation pour moi et je souhaite à tout le monde de connaître pareille découverte. Ce jour là, la phrase de Napoléon Bonaparte : «Le vin inspire et contribue énormément à la joie de vivre 1  Musique au Chambertin est un festival musical œnologique se déroulant chaque année à Gevrey-Chambertin. » prit tout son sens. Au même titre qu’un tableau, un vin s’admire et on peut donc parler de composition, de richesse et de style pour le décrire. Faire du vin est un 2  Musique et Vin est un établissement situé à Paris. Adresse URL : http://www.musique-et-vin.fr/
  • 15. art et déguster est un art de vivre. Le vin, lui, est unique, vivant, communiquant, vin à la maison en imaginant déjà par quoi l’accompagner - un gibier, un dessert fragile, fort, timide... Mais certainement pas un banal produit de consommation. chocolaté, un cigare - peut importait à cet instant. Il prit soin d’aller la ranger à la cave immédiatement à son retour, glissant soigneusement chaque bouteille dans Atteindre les plaisirs subtils du vin ne se fait pas aisément. Pour parvenir à com- les casiers. C’était aussi un bon prétexte pour retrouver sa cave, qui commençait à prendre un vin, à apprécier tout ce qu’il peut offrir, on se livre à une sorte de rituel. se remplir doucement de joyaux de toutes les régions. Il ouvrit une des bouteilles au bout de deux ans. Mais il constata que c’était trop tôt, ce sont des choses qui arrivent. Puis, pendant quatre ans, lors de ses visites régulières pour aller chercher un flacon, pour montrer son trésor à un ami passionné, ou pour aller simplement admirer seul, ces vins en train d’évoluer, il jetait un œil aux cinq bouteilles res- tantes. Ces flacons se paraient progressivement d’un manteau de poussière. Ils les c. Accéder au plaisir par le rituel de imaginait, tentait de deviner ce qu’elles allaient révéler. Il s’impatientait mais cette attente était nécessaire. Le plaisir de l’attente devient alors aussi fort que celui que la dégustation. l’on peut ressentir lors de la dernière journée de travail avant les vacances. Il vous U invite, c’est l’occasion de vous faire découvrir ce vin, alors revient la question de 28 n rituel qui peut être charmant mais qui peut paraître froid et nous l’accompagnement. Il n’est pas chasseur et vous ne fumez pas le cigare, il se décide 29 éloigner des plaisirs, du fait de l’extrême concentration qu’il implique. donc pour un moelleux au chocolat. Viennent d’autres questions. Faut-il le cham- Du moins pour celui qui débute dans la découverte des vins. Le mo- brer* ? Quand le sortir de la cave ? Le mettre en carafe ? Puisqu’il se déguste à ment de la dégustation est un moment hédoniste, un moment de ren- quinze degrés, le simple fait de le carafer suffira à lui faire gagner les deux degrés. contre avec un ou plusieurs vins, un moment de partage avec d’autres amateurs. De toute manière il y aura du dépôt donc il faudra délicatement verser le vin dans Le plaisir se doit d’être préparé, on n’imagine pas résumer ce moment à l’achat la carafe en prenant soin de laisser le dépôt dans la bouteille. Il doit réfléchir aux hasardeux d’une bouteille que l’on ouvre aussitôt, on n’imagine pas non plus faire verres adéquats. Il vient justement de s’offrir ces nouveaux verres extrêmement aussitôt glisser le vin dans sa bouche et s’arrêter là. L’action de déguster n’est pas fins, ce qui les rend agréables. De plus, ils sont assez droits donc le vin se posera, synonyme de simplement boire. Dans chaque flacon, il y a en réalité une décou- sur le bout de la langue, là où se perçoit le sucré, parfait. Tout est donc prêt, mais verte qui se mérite. Mais parce que les subtilités sont difficiles à saisir, elles ne se il reste toujours cette inquiétude, celle d’avoir fait une erreur dans la préparation. révèlent pas n’importe comment. Celui qui ne connaît pas le vin ne dispose pas du Les verres sont remplis au tiers, votre ami admire la belle couleur tuilée au-dessus mode d’emploi et rencontrera des difficultés pour comprendre le rituel nécessaire. de la nappe blanche. Il s’extasie devant sa profondeur, saisit le verre par le pied Peut-être n’a-t-il pas envie de ce rituel long et complexe. Même si le vin est présent pour ne pas le réchauffer ni faire de trace. Il penche son verre et admire les larmes lors d’un repas entre amis, il n’est pas toujours au centre des attentions, il va être épaisses. Il approche lentement le verre de ses narines, perçoit progressivement bu et non goûté. Or, c’est passer à côté de ses plaisirs en le faisant simplement tra- les arômes primaires, repose le verre. Il le maintient par le bas du pied pour faire verser sa gorge sans en garder de trace. Pour l’amateur qui connaît le vin, ce rituel tourner le verre autour du vin qui danse élégamment et s’aère. Un sourire se est un bonheur, durant lequel une relation se crée avec le vin. dessine sur le visage de votre ami au moment de flairer le deuxième nez. Le fait D’ailleurs si votre ami, qui vous a invité à dîner, est passionné par le vin, le plaisir d’aspirer fortement, de flairer, lui permet d’amener plus de stimuli plus rapide- qu’il aurait pu prendre ici a été altéré par votre manque d’attention. Le vin s’est ment vers le plafond des fosses nasales, et donc de mieux percevoir les arômes. Il vu seulement dispersé dans les verres et non partagé. Il est, peut être, lui-même réfléchit, il perçoit des senteurs, mais veut savoir lesquelles. Il se remémore celles frustré de ne pas avoir pu s’exprimer et qu’on ne parle pas de lui, ni au moment qu’il a retenues au cours de son apprentissage et fini par en retrouver certaines de le regarder, ni au moment de poser son nez au-dessus du verre, ni même au dans ce vin. Il en prend maintenant une belle goulée, qu’il mâche, mastique, fait moment de l’associer au moelleux au chocolat. Le dessert n’était pas simplement tourner dans sa bouche, fait glisser sur chaque papille, à l’intérieur de ses joues ce moelleux, mais l’association de celui-ci avec ce verre de Banyuls*. Votre ami, pour que celles-ci s’en imprègnent. Il aspire un peu d’air pour oxygéner le vin et lui, a commencé à opérer ce rituel six ans auparavant lors de ses vacances dans les ainsi lui faire révéler tout ce qu’il cache. Il le fait parler, avec ses techniques d’in- Pyrénées Orientales. Il s’était rendu au Cellier des Templiers à Banyuls-sur-Mer terrogatoire spécifiques. Le vin chauffe dans la bouche est devient de plus en plus pour faire un peu de tourisme vinicole. Après la visite des caves vint la dégustation. expressif. C’est alors tout le bouquet qui s’exprime, ce bouquet composé de fruits Il fut alors séduit par ces arômes de fruits cuits, de tabac, de vanille et de torréfac- cuits, d’arômes de torréfaction, de cuir. Des notes de fruits secs aussi, mais celles- tion. Il savait que ce vin était un bon vin car il pouvait le comparer à ce qu’il avait ci, votre ami ne les a pas identifiées. Chacun est victime d’une certaine anosmie* déjà goûté. En effet le vin est aussi une affaire de comparaisons : comparaison de pour certaines odeurs. Le goût sucré est légèrement temporisé par une discrète plusieurs vins lors d’une dégustation mais également comparaison avec les souve- acidité, c’est un velours qui vient caresser l’intérieur de la bouche. Il avale mainte- nirs de vins précédemment dégustés. Il décida donc de ramener une caisse de ce nant par petites gorgées, doucement, sans ouvrir la bouche. Après cela, il entame
  • 16. le moelleux, une cuillerée, puis reprend une gorgée, et encore une cuillerée. Le temps de déglutir et votre ami vous demande aussitôt votre avis : « Oui, il est très bon. » Avec cette réponse, soit il se lance dans un argumentaire de dix minutes en vous expliquant comment ce vin est fait, quelles sont ses particularités, avec ses mots un peu savants sur le vin et vous ne comprenez rien. Soit il détourne le regard, regarde son verre et en reprends une bonne lampé. Il aurait aimé pouvoir discuter avec vous, échanger vos ressentis sur ce vin et se remémorer ce moment passé avec vous la prochaine fois qu’il ouvre une bouteille de Banyuls Grand Cru ou inversement, se remémorer ce vin la prochaine foi qu’il passe un moment avec vous. D’une manière certainement un peu excessive, Charles Maurice De Talley- rand, apprenant à l’un de ses hôtes qu’il faut déjà observer, puis humer longue- ment un vin avant de le porter à ses lèvres, répondit à la question de ce dernier « Et après, on le boit ? » par un « Non, Monsieur, pas encore ! Après, on repose le verre de vin sur la table, et on en parle. »  30 Toutefois, il est certain que ce vin ne disparaîtra pas de la pensée de votre ami : à 31 défaut ne de ne plus l’avoir dans sa cave, il en gardera toujours le souvenir dans sa vinothéque mentale. Il ne comprend pas pourquoi ce rituel ne vous parait pas naturel et vous ne comprenez pas comment le repas a pu se terminer de manière si peu conviviale. En effet, lorsque l’on déguste tranquillement avec ses amis, et si ces amis sont connaisseurs, il y a de fortes chances pour que la conversation monte au niveau de l’expertise. Que ce moment agréable se transforme en un interroga- toire, dont les termes savants dépassent le profane. Mais rassurez-vous, cela pourrait être pire. En effet, le cadre n’était pas trop aus- tère. Le bois brûlait dans la cheminée, les murs étaient peints d’un joli vert d’eau et Dark Side of The Moon des Pink Floyd résonnait en fond. Toutefois, pour une dégustation « idéale », l’ambiance doit être neutre, ne pas perturber. La tem- pérature ne doit être ni trop froide ni trop chaude. Et la teinte verte des murs a pu donner à vos sens l’illusion d’un vin légèrement plus frais et plus vif. En effet, selon Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde 1992, « un vin dégusté dans une ambiance fortement teintée de jaune paraît plus rond et onctueux que le même, goûté dans une lumière bleue ou verte, qui accentue notre impression de fraîcheur et de vivacité »1. Isabelle Doyen, fondatrice d’Aromatique Majeurs, un laboratoire de création en parfums, indique que « quand il fait trop humide ou qu’il y a trop de lumière, par exemple, on sent mal. »2 L’AFNOR (Agence Française de Normalisation) a mis en place un recueil de normes, qui touche le « Et si cela peut se dire, local de dégustation mais aussi d’autre conditions de l’analyse sensorielle, dans le but de rendre la dégustation la plus efficace et objective possible. Le vin a l’image il s'écouta pendant un instant d’un produit convivial et il l’est, mais il est parfois trop intellectualisé et le rite qu’il exige peut être effrayant, incompris. La situation de dégustation a son importance savourer le bouquet de vin. » dans la perception des vins et est partie intégrante du monde du vin, mais elle Eugène Sue peut rentrer en contradiction avec la notion de plaisir. Ce rituel ne doit avoir pour dessein que le plaisir des sens, et l’éveil des sens doit faire partie d’un plaisir plus grand : celui du moment de la dégustation. La dégustation a ses exigences, ses 1  FAURE-BRAC, Philippe, 2008, Comment goûter un vin, Paris, Éditions du chêne, p.10. 2  L’Amateur de Vins et Spiritueux, N° 117, mars 2011, p.56.
  • 17. B / UN OBJET CULTUREL règles mais ce n’est pas aussi simple que cela. Le vin est une affaire d’émotions et il serait trop cartésien de ne parler ici que de technique. Il est bien sûr  indispensable de maîtriser la technique, mais il faut aller au-delà pour profiter pleinement. Il est nécessaire de ne plus penser à la technique. Il faut que la technique devienne un AU CENTRE DE LA TABLE. automatisme afin de libérer l’esprit pour une meilleure dégustation. Le cadre de Le vin est un plaisir des sens, mais aussi un fort élément culturel. Il occupe une place importante, d’un point la dégustation, notre concentration, la forme de notre palais, la fatigue influent. de vue intellectuel, dans la vie et l’histoire des Hommes. Les moments du vin sont nombreux et diffé- "Il faut que la technique de- rents. Le vin vit aussi ce moment et change vienne un automatisme afin selon notre état de perception. Les réflexions de libérer l’esprit pour une que l’on a pendant une dégustation, la tech- nique : tout doit être plaisir. Peut-être le vin meilleure dégustation." semble-t-il inaccessible pour certains à cause a. Sa place dans l’humanité. de ce rituel, qui semble être réservé aux connaisseurs. Le vin est affaire de plaisir, L’ et d’émotion, en toute circonstance. La dégustation associe le plaisir au sérieux. acte d’ingérer consiste à faire passer un aliment de l’extérieur à l’in- 32 Elle est un plaisir sérieux. S’il ne faut pas s’affranchir du  sérieux, il faut encore 33 térieur de notre corps. On accepte ainsi cet aliment comme partie de moins oublier le plaisir. Car c’est pour le plaisir que le vin existe. soi. Si l’habitude nous fait considérer cet acte comme anodin, il ne faut pas oublier qu’il est chargé de symbolique. Ainsi nous pouvons dire que nous sommes ce que nous mangeons et buvons. Le vin est très ancré dans cette valeur et son identification au sang a été fortement utilisé par la liturgie chrétienne. Le vin est vivant, il est en lien avec la vie des Hommes. Deux êtres conçoivent un enfant et la femme le porte dans son ventre jusqu’à la naissance en prenant grand soin qu’il se développe dans les meilleures conditions. La terre et le soleil font grandir les grappes sur la vigne et l’Homme fait en sorte que son développement se passe pour le mieux. L’enfant naît et grandit. Il est élevé au mieux pour devenir un être plein de qualités. Le raisin est vinifié avec le plus grand soin pour devenir un vin de la plus grande qualité possible. Le petit être grandit, mûrit, vieillit, acquiert de la sagesse et développe des qualités et défauts qui lui sont propre, en interaction avec le monde qui l’entoure. Son esprit et son corps changent. Le vin, lui, est élevé en cave, prend de la maturité. Les échanges lents avec l’atmosphère de la cave le font évoluer. Ses molécules se transforment. L’Homme vieillit, se cultive, gagne en sagesse et devient le meilleur de lui-même. Le vin aussi vieillit et gagne en équilibre, se structure pour arriver à son apogée*, le moment ou il sera le meilleur. Puis chacun de nous vieillit lentement et inexo- rablement, s’affaiblit, perd de ses capacités intellectuelles comme physique. Le vieillard, lui, parvient encore à nous passionner par le récit de son histoire person- nelle. Le vin, lui, a dépassé le moment ou son potentiel était le maximum, perd sa force et sa richesse et a de moins en moins à raconter. Et même si l’Homme et le vin se bonifient avec le temps, les années finissent par passer trop vite et les deux se meurent. En cela le cycle de la vie de l’Homme présente de fortes similitudes avec celui du vin. Le corps retourne à la terre tout comme les arômes du vin se dirigent vers cette terre d’où ils viennent. Les arômes fruités du vin jeune s’affi- nent avec le temps pour offrir des parfums floraux, végétaux puis minéraux. Il est ainsi en perpétuelle évolution, faisant le chemin inverse de celui qui l’a amené de la terre à la grappe. Chaque journée est le terrain de changements minimes mais fondamentaux, sur plusieurs années. Il est comme nous, seulement de passage, se transformant en permanence dans l’attente d’être au centre des attentions puis de
  • 18. disparaître à tout jamais. Laissant parfois un souvenir, une pensée, mais rien de du temps le vin devient une constituante d’un art de vivre, pour finalement deve- plus. Ce rapport entre l’Homme et le vin, est joliment dit dans le film Sideways1 nir un emblème de la culture française. Tout au long de l’Histoire, le vin est syno- par le personnage de Maya qui, lors d’une soirée bien arrosée, à la question de nyme de fête et de culture. Comme le formule Paul Claudel, diplomate et écrivain Miles « pourquoi aimez vous le vin ? » répond: Français, « Le vin crée une triple communion… Communion avec la terre dont « J’aime penser à la vie du vin, à quel point c’est un être vivant. Et j’imagine ce qu’il a pu se passer il est issu, communion avec soi-même quand on le goûte, communion avec les l’année ou ses grappes ployaient sous les raisins, s’il y avait beaucoup de soleil ou s’il pleuvait. J’adore autres quand on en parle… » Toutes ces croyances, ces œuvres, ces pensées et aussi penser aux gens prêts pour les vendanges après tant de soins dispensés. Et si c’est un vieux vin, combien de ces femmes et hommes sont morts aujourd’hui. J’aime comme le vin évolue sans cesse. ces bouteilles dégustées prouvent que le vin tient une place à part dans la culture Si j’ouvre une bouteille aujourd’hui le vin aura un goût différent de celui qu’il aurait eu si j’avais en général et particulièrement dans la culture culinaire. « […] la partie intellec- ouvert cette bouteille un autre jour. Parce qu’une bouteille de vin est un être chargé de vie. Elle est en tuelle d’un repas. » pensait Alexandre Dumas. Certains œnophiles, vont même constante évolution, elle gagne en complexité. Jusqu’à son apogée—comme votre Cheval Blanc—et jusqu’à le considérer comme une œuvre d’art, au même titre que la peinture ou elle entame ensuite un lent et inexorable déclin. Et c’est surtout divin à goûter. » la musique. Pourrait-on envisager de lui donner la place du 10e art ? Ce serait Chaque vignoble, chaque vin a son histoire et il a sa place dans l’Histoire. Durant un bel hommage rendu à ces vigne- plusieurs dizaines de millions d’années, tout comme les Homo sapiens, la vigne a rons, à ces intellectuels de la vigne, subi une lente évolution. L’Homme consomme son fruit depuis toujours, mais ce trop souvent considérés comme de 34 n’est que par accident, 6000 ans avant notre ère qu’il découvre le vin, en laissant 35 simples « cul-terreux ». Jean-Paul fermenter le raisin. C’est en Mésopotamie et dans le Caucase que la vigne est Kauffmann, journaliste et écrivain domestiquée. La culture de la vigne s’épanouit dans le bassin méditerranéen, et Français, défend dans une entre- sous l’impulsion des Grecs et des Romains, cette région devient le berceau de la vue donnée à la Revue du Vin de civilisation du vin. À l’époque de l’antiquité, le vin est bien différent de celui que France3, l’aspect intellectuel du vin nous connaissons aujourd’hui. Il n’existe pas de méthode de conservation, le vin : « Le plaisir des papilles n’est total n’a que les amphores pour contenants. Il est tout de même un produit d’échanges, que s’il s’accompagne d’une dimen- et est exporté vers l’Angleterre et la Gaule. Les Gaulois étant de grands amateurs sion culturelle, spirituelle… Je trouve de ce breuvage, ils importent la vigne. Le premier vignoble français est implanté régressif le mépris actuel pour cet 600 ans avant JC à Massalia, l’actuelle ville de Marseille. Mais ce sont les Romains aspect intellectuel du vin, comme si qui étendent cette culture à travers toute la Gaule et jusqu’en Grande-Bretagne. nous n’étions que de vulgaires pour- La sélection des cépages les mieux adaptés à la variété des terroirs commence pro- ceaux d’Epicure, pour reprendre gressivement, et les méthodes de culture évoluent. La vigne s’installe dans toutes l’expression d’Horace. Rien que par les régions viticoles que nous connaissons actuellement. La vigne est même plan- la mémoire, l’aspect historique et tée en région parisienne, qui est alors l’une des plus grandes régions viticoles. Les géographie d’une appellation, le sys- méthodes de vinification évoluent grâce aux Gaulois qui inventent le procédé de tème analogique de la dégustation, vieillissement en fûts de chêne, donc aussi un outil permettant de conserver le l’intellect est mis à contribution… vin. La vigne et le vin ont marqué la géographie.2 Aujourd’hui les vignobles ont Nous sommes des buveurs de sens ». prit une surface importante des territoires et dessinent tout autour de la planète, bien des paysages. Les mythologies ont eu leurs divinités du vin, Bacchus chez les Il est un élément inspirant dans l’art, Romains et Dionysos dans la théogonie Grecque. Bacchus, dieu non seulement mais surtout un élément indispen- du vin mais aussi de l’ivresse, des débordements sexuels et de la nature, inspira sable à un excellent repas pour la des artistes parmi les plus grands tel le Caravage ou Titien. Il était célébré lors des plupart des gourmets. Le vin est, sur la table, aussi porteur d’intérêt que les mets. bacchanales, fêtes qui évoluèrent en orgies nocturnes et durant lesquelles les quali- tés sensorielles du vin n’étaient plus au centre de priorités. Le vin lui-même inspira une infinité d’artistes. Les natures mortes le font souvent apparaître. Les scènes où l’on boit le vin, comme  Le Buveur de Cézanne ou Les Buveurs de Van Gogh, sont représentatives des différentes visions que peuvent avoir les artistes du vin. Au fil 1  PAYNE, Alexander, sideways, 2004. (dvd) 2  Les informations précédentes sur l’Histoire du vin proviennent du site vignobletiquette. Adresse URL : http://www.vignobletiquette.com/info/hdlv.htm 3  La revue des vins de France, N° 531, mai 2009.
  • 19. 36 37 "Aujourd’hui les vignobles ont prit une surface importante des territoires et dessinent tout autour de la planète, bien des paysages."
  • 20. b. Un plaisir inhérent à la gastronomie. posants pris isolément. »1 Le vin et le met se subliment l’un l’autre. Les deux, une fois associés, créent un niveau de plaisir supérieur. Un plaisir plus grand que le L plaisir de chacun. Il font plus que s’additionner. e principal besoin physiologique commun au vivant est de se nourrir. Dans un restaurant, le prix des vins est multiplié par un coefficient allant de 3 à La plante, comme la vigne, s’alimente de la terre et du soleil. L’animal 10, par rapport à sa valeur chez le producteur2. Pourtant, lors d’un repas dans un et l’Homme se nourrissent du végétal et/ou de l’animal. L’acte de se restaurant, même si le vin à tendance à revenir plus cher que les plats consom- nourrir a la particularité de nous apporter des sensations. L’Homme a més, nous sommes nombreux à souvent commander une ou plusieurs bouteilles. donc appris à faire de cet élément de survie, un plaisir. Un plaisir qui revient tous C’est dire à quel point le vin est lié à la gastronomie. Certains restaurants placent les jours, plusieurs fois par jours et qui devrait être commun à tous : le repas. La d’ailleurs l’accent davantage sur la cave que sur la cuisine. Tel le restaurant Il culture alimentaire est une pratique humaine centrale, présente dans toutes les Vino, créé par Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde en 2004. Dans ce civilisations et est une grande part de chaque culture. Le vin est un produit de restaurant, le menu présente les vins, et seulement les vins. Pour chaque sélection terroir, tout comme le café ou le fromage. Il est en ce sens le représentant d’une de vin, le Chef vous propose les mets les plus complices. Les rôles sont inversés. culture. Lors de voyages vous visitez des monuments, faites des rencontres, mais C’est en quelque sorte le met qui accompagne le vin plus que l’inverse. aussi vous découvrez la cuisine locale et parfois les vins locaux. La culture unifie Si accorder vins et mets est chose impor- 38 ou sépare les groupes humains, dans ce sens la gastronomie possède un aspect tante, elle est loin d’être facile. Malgré le 39 identitaire. Ainsi, l’image du français est indissociable de celle de la baguette de fait qu’à la maison, celui qui choisit le vin pain, du fromage qui sent fort et de la bouteille de vin pour un œil étranger. n’est pas forcément celui qui cuisine, il Le fait de manger n’est pas toujours associé à celui de boire. Le repas est sou- influe autant sur le repas, sur ce moment. vent accompagné d’eau, mais celle-ci est alors consommée seulement en tant que Il peut sublimer le travail du cuisinier complément hydratant et facilitant la déglutition. La majorité des autres boissons comme le gâcher. L’accord est complexe sont sucrées et ont tendance à alourdir ou atténuer les sensations tactiles et aro- dans le sens ou chaque vin est typé, cha- matiques d’un plat, et donc de l’ensemble du repas. Elles ne permettent jamais de cun est différent et les plats offrent une révéler les subtilités d’un met. Les arômes volatiles du vin excitent les cils olfactifs nuance de goûts infiniment variée. Trou- de notre nez, prévenant ainsi le cerveau d’une possible mise en appétit. Nous de- ver exactement le mariage idéal est un venons davantage réceptifs aux sensations. Mais surtout, le contact des aliments et véritable savoir-faire, un métier : celui de du vin modifie les saveurs, autant pour le plat que pour le vin. sommelier. Choisir finement le vin qui va Si aujourd’hui le fait d’associer mets et vins semble pour beaucoup, évident, il n’en accompagner un met, ou l’inverse, doit a pas toujours été ainsi. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, tellement de plats étaient se faire avec finesse. Il y a des règles à res- servis en même temps que le vin était dégusté seulement en début ou fin de repas. pecter. Certains détails sont à souligner Il était aussi dégusté pour célébrer une occasion précise. Il était donc impensable et doivent être, pour le vin,du même type d’associer vins et mets. Aujourd’hui, les plats sont moins nombreux, et servis les que le met. Il est d’usage de mettre en ac- uns après les autres, il est possible de les accorder. Le vin est maintenant princi- cord la couleur, les saveurs, la force et le palement apprécié pendant les repas. Les valeurs données par le prestige ou la niveau de qualité des deux. Une cuisine rareté d’un aliment influencent le plaisir. Ainsi le vin, lorsqu’il n’est pas vin aliment fine invite un vin de la même finesse, une quotidien, est synonyme de plaisir lors d’un repas. cuisine simple fait appel à un vin simple. Même si le vin n’est pas présent dans toutes les cultures, il a tendance à être adopté De même qu’une cuisine régionale se révèle souvent mieux avec des vins locaux. dans plus en plus de pays. En témoigne l’intérêt naissant de la Chine. Le vin n’est, Quelques principes de base sont donc à prendre en compte pour associer type de pour la plupart d’entre nous, pas systématique, mais il apparaît souvent sur la vin et type de plats. Par exemples il est courant d’associer un poisson noble tel le table lorsque le repas à pour but premier l’hédonisme. Il est choisi en fonction des turbot avec un vin blanc noble tel un Meursault ; ou des viande rouge tel qu’une mets, et parfois inversement. Que ce soit à la maison, au restaurant, entre amis, entrecôte avec des vins rouges tel un Graves ou un Médoc. Il est aussi à prendre en famille, en repas d’affaire ou tout autre situation, il est un élément indissociable en compte qu’aucune bouteille ne doit faire regretter la précédente. C’est-à-dire des plaisirs de la table pour beaucoup. Un bon accord met-vin semble apporter que dans la suite des bouteilles, il y a un ordre à suivre. L’accord met et vin est beaucoup tant au plat qu’au vin. Kermit Lynch explique dans le récit de ses pé- cependant victime de préjugés. Les codes imposants un vin blanc moelleux, tel un riples sur les routes des vins de France que (p.30)« […] vous pouvez créer “quelque chose” par un assortiment de manger et du boire qui dépasse chacun de ses com- 1  LYNCH, Kermit, 2008, Mes aventure sur les routes du vin, Paris, Éditions Payot & Rivages, p.30. 2  SCIENCE & VIE, Questions réponses : La science du vin.
  • 21. sauternes avec un foie gras, ou un vin rouge avec le fromage restent pour beau- provoque l’ivresse chez celui qui l’ingurgite. Comme nous le savons tous, l’alcool coup des règles invariables. Heureusement, cette vision évolue, grâce au travail possède son lot de dangers. Dangers sanitaires de la prise trop régulière et en trop des sommeliers, et plusieurs accords sont toujours possibles. grande quantité, dangers d’addiction, risques d’accidents, troubles du comporte- Pourtant, si le vin est indissociable de la gastronomie, il bénéficie moins des nou- ment et autres. Il est évident que le vin quotidien "La dégustation hédoniste velles tendances qui apparaissent dans la nourriture. Par exemple des AMAP*, de l’alcoolique qui se soûle pour oublier ses tour- ou des tendances locavores*. Ces modèles ne pourraient certainement pas s’ap- ments n’a rien à voir avec le vin de la fête. Pour laisse place à l’alcool." pliquer directement au vin, mais une réflexion sur de telles innovations mérite Baudelaire, le vin était un élément d’évasion. Il avait une vision amère du vin, le certainement d’être engagée. De plus, à l’heure des tendances fooding*, slow food*, considérait comme un simple échappatoire. Vision triste que le dernier quatrain gastropub*, cuisine moléculaire, food art, fusion-food*, branchées et pas toujours dé- de son poème Le vin des chiffonniers résume mélancoliquement :   nuées de sens, peu de projets touchent le vin. On voit le design culinaire se dé- « Pour noyer la rancoeur et bercer l’indolence / De tous ces vieux maudits qui velopper, mais il semblerait qu’il ait oublié l’un des éléments les plus importants meurent en silence / Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil / L’Homme de la gastronomie. Le vin ne pourrait que se réjouir d’une nouvelle image, d’une ajouta le Vin, fils sacré du soleil ! »1       image d’innovation. Marc Brétillot, designer culinaire, avoue avoir travaillé une Mais l’ivresse n’est pas toujours liée au spleen et l’objet ici n’est pas de traiter des fois sur le vin : « Oui j’ai travaillé sur deux bouteilles accolées avec d’un coté un effets néfastes de l’alcool, mais d’établir une réflexion en rapport avec la découverte 40 vin de cépage et de l’autre du bouillon. Le concept est exprimé par l’objet. Les des subtilités des vins, et l’ivresse est indissociable de ce breuvage. Bien tôt l’ivresse 41 deux liquides se mélangent quand on les sert, j ai testé des accords : Betterave/ du vin est louée chez les Grecs et les Romains. Bacchus est cité comme celui qui Syrah ou Chardonnay/Topinambour…»3 Grâce à ses doubles bouteilles, Marc enlève le souci. Dans Le Banquet2 décrit par Platon, les convives font preuve de plus Bretillot sert vin rouge et vin blanc dans le même verre en même temps. Simple de sincérité et d’intelligence après avoir atteint un niveau d’ivresse souhaité. Cer- provocation pour les véritables amateurs ou véritable tentative d’innover dans le taines décisions politiques sont même prises en état d’ivresse pendant l’antiquité. monde trop figé du vin ? On reste visiblement bien loin de la révélation des sub- S’enivrer de vin est un acte sociabilisant, que ce soit avec des personnes chères, des tilités des vins. individus intéressants rencontrés lors d’une dégustation, d’une réception, d’une fête, autour d’un repas sophistiqué ou simple. Il provoque une exaltation à l’ori- S’il est un élément du repas, le vin est aussi, ne l’oublions pas, une boisson alcooli- gine de bien des longues discussions et de bien des aveux. Nombreux sont les pen- sée. Il est une source d’ivresse, mais d’une ivresse souvent considérée comme plus seurs, les poètes, à avoir loué les vertus de l’ivresse. L’ivresse est un état d’exaltation noble que celle des autres boissons. qui s’il est, par définition amené par l’alcool, peut être aussi, selon Baudelaire, pro- voqué par la poésie comme par la vertu. « Enivrez-vous »3, nous ordonne-t-il dès le titre de son poème. Le vin n’offre pas une échappatoire à la réalité, et si c’est ce que l’on cherche en lui, il ne sera que momentané, et jamais bon. Mais il permet c. S’enivrer avec modération. de s’éloigner en toute conscience de la raison. Une ivresse raisonnable aide peut- être à se dévoiler. Horace ne disait-il pas que « Le vin met à jour les secrets cachés A de l’âme » ? Il est question dans ce mémoire de la révélation des subtilités des près avoir offert tout ce qu’il avait, qualités et défauts, il quitte la bouche vins, chose difficile, mais le vin, lui, ne rencontre aucun problème à nous ouvrir pour aller se perdre dans le crachoir. Le vin n’est pas avalé, son action aux autres, à nous décomplexer. Autour d’une table, ceux qui sont sous la légère s’arrête aux effets qu’il produit en bouche. Quand la dégustation se emprise de l’alcool font preuve de plus de sincérité, la timidité est abolie et l’ins- veut être une analyse sensorielle des plus précises, elle n’autorise pas tant en devient plus gai. Comme le dit Alain, « L’effet de l’ivresse est d’abolir les le vin à libérer son alcool dans le sang. Même si le fait de cracher peut paraître scrupules du sentiment. » Qu’il soit bu à l’apéritif ou lors du repas, le vin est alors barbare, irrespectueux, il ne s’agit pas ici de rudoyer le vin, mais de ménager son aussi un prétexte à l’ivresse. Certes, on se soûle avec élégance et retenue lorsqu’il esprit et son palais en tant que dégustateur. Garder les idées claires est le seul s’agit de vin. On ne pratique pas le « binge drinking* » qui consiste à se soûler moyen de percevoir en profondeur plusieurs vins à la suite, de les juger avec pré- le plus rapidement possible en buvant des vodkas ou autres spiritueux de piètre cision, sérieux et rigueur. Mais beaucoup s’accorderont à dire que ce n’est pas une qualité. Toutefois, il ne faudrait pas stigmatiser les spiritueux puisque lorsqu’il condition nécessaire pour l’apprécier et en tirer de grandes joies. La dégustation sont de bonne qualité, ils sont aussi une grande source de plaisir pour les sens, hédoniste laisse place à l’alcool. Cet alcool est par nature une composante du vin, puisqu’un jus de raisin fermenté devient vin, et elle participe, bien sûr, à son 1  BAUDELAIRE, Charles, Le vin des chiffonniers (recueil de poèmes Les Fleurs du mal, 2011, goût. En plus du fait de participer aux qualités organoleptiques des vins, l’alcool Paris, Le Livre de Poche). 2  PLATON, 2007, Le banquet, Paris, Librio. 3  Cuisine Créative, N° 37, novembre 2009, entrevue de Guillaume Delattre. 3  BAUDELAIRE, Charles, Enivrez-vous (recueil de poèmes Petits poèmes en prose).